Trimestriel Hiver 2018

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« Leur extrémisme a détourné beaucoup de gens de leur cause. Leur slogan “Fuck White Art”, leur argument du “white washing”, la teneur raciale du discours... Tout le monde ne s’accorde pas sur ça. » Saul Gonzalez, journaliste

ne s’intéressait à cette partie pauvre de la ville. Contre l’avis de ses parents, elle part après son bac étudier à l’université. Écrivaine, metteuse en scène, scénariste, activiste, elle a ouvert en 2000 Casa 0101, son propre théâtre, et vient d’inaugurer dans le même lieu le Boyle Heights Museum, pour « préserver et célébrer les histoires riches et importantes de notre communauté ». Élégante, tonique, débordée, Lopez nous reçoit dans son théâtre. L’endroit est modeste, mais se veut un lieu fait « par et pour la communauté ». Ici, on donne des pièces qui traitent de la culture locale, on promeut le riche héritage artistique mexicain, on organise des débats sur l’avenir du quartier. « La grosse erreur du Weird Wave Coffee, analyse-t-elle, c’est d’avoir peint sa façade en blanc, dans un quartier qui adore la couleur. Dès que j’ai vu ce grand mur blanc, cette esthétique Ikea, j’ai compris que ces gens n’essayaient pas de s’intégrer, mais annonçaient : “Nous sommes différents, nous sommes meilleurs, les Blancs sont à l’abri ici”. » Elle-même a récemment ouvert un restaurant, Casa Fina, non loin de son théâtre. « Quand l’espace est devenu vacant, j’ai su que si je ne m’en emparais pas, il deviendrait un

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bistrot ou un café. Alors je l’ai loué, et la première chose qu’on a faite a été de le peindre en violet. Nous, on aime la couleur, c’est une manière de dire que nous sommes fiers d’être mexicains. » Chez Casa Fina, les prix sont abordables « pour que tout le monde puisse venir », comme dans son théâtre (entre vingt et vingt-cinq dollars dollars pour une pièce et trente pour les comédies musicales). « Il faut se poser la question de ce que la communauté peut payer, insiste-t-elle. À Boyle Heights, le café coûte généralement 75 cents ou un dollar. » Chez Weird Wave, préparé dans les règles de l’art, il en coûte deux, l’expresso 2,50, le Vanilla Latte 4,25.

RÉVOLUTION FONCIÈRE

Boyle Heights fait partie des quartiers les plus pauvres de Los Angeles, avec un revenu médian de 34 000 dollars, contre 82 000 pour la ville de Los Angeles dans son ensemble. Au cours des trois dernières années, le loyer moyen y a augmenté de 40 %, alors que le prix de vente moyen d’une maison a grimpé de 35 % (selon le site d’immobilier Trulia). Malgré tout, le prix moyen d’une maison reste 216 000 dollars en dessous de la moyenne du comté de Los Angeles, attisant les convoitises. L’ouverture, en 2009, de trois nouvelles stations de métro, la rénovation, en cours, du viaduc qui enjambe les autoroutes pour relier le quartier à Downtown s’ajoutent au projet de réhabilitation de la L.A. River, qui verra fleurir zones piétonnes, pistes cyclables, food trucks le long de cette partie de la ville jusque-là abandonnée... Tous les voyants sont donc au vert pour faire des maisons victoriennes en bois de cette enclave tranquille la nouvelle cible des promoteurs. Comme l’explique Saul Gonzalez, journaliste de la chaîne de radio publique KCRW, et producteur d’une émission sur la gentrification intitulée “There goes the neighborhood” (qui, après New York, a consacré une deuxième saison à Los Angeles), « c’est un grand plan d’urbanisme à plusieurs millions de dollars, un peu comme la High Line à New York [un parc suspendu qui suit le tracé de l’ancienne voie de chemin de fer et survole le


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