Trimestriel Hiver 2018

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Louvre Abu Zarbi

Illustration Alexandra Compain-Tissier

S’il est deux personnes qui garderont un souvenir mitigé de l’inauguration du Louvre Abu Dhabi, en novembre dernier, ce sont bien les journalistes de la télé publique suisse RTS. Dûment accrédités, ils étaient venus couvrir l’événement pour le magazine de reportages Mise au point. Ils avaient tourné dans le musée et interviewé Jean Nouvel, l’architecte du bâtiment tant admiré. Puis, contrairement à leurs collègues venus du monde entier, ils s’en étaient éloignés pour

bernard hasquenoph Fondateur de louvrepourtous.fr

124 REGARDS HIVER ÉTÉ 2016 2018

partir à la rencontre des ouvriers qui l’avaient construit. Drôle d’idée ! Alors qu’ils filmaient un marché populaire d’Abou Dhabi, ils furent arrêtés par la police et conduits au poste. Transférés les yeux bandés, vraisemblablement dans les locaux des services de renseignements, ils disparurent durant cinquante heures et furent interrogés jusque près de neuf heures d’affilée. Enfin relâchés, ils purent repartir… mais sans leur matériel, confisqué. « Les autorités policières cherchaient à obtenir les motivations de leur reportage, mais aussi à savoir s’ils collaboraient avec des ONG ou des États tiers », rapporta leur rédaction consternée, qui condamna « cette tentative d’intimidation et cette atteinte à la liberté de la presse ».

CHAPE DE PLOMB Bienvenue aux Émirats arabes unis, cette fédération de minuscules monarchies du Golfe, richissime grâce au pétrole. Un pays placé loin dans le classement mondial de la liberté de la presse établi par Reporter sans frontières (RSF). S’ils n’étaient occidentaux, nos amis suisses croupiraient sans doute dans les geôles d’un État

censé garantir la liberté d’expression, mais qui la foule à la moindre critique. Encore plus depuis qu’en 2012, une chape de plomb numérique s’est abattue sur ses citoyens, via une loi sur la cybercriminalité votée au prétexte de lutter contre le terrorisme – par peur, surtout, qu’un vent démocratique y souffle après les Printemps arabes de 2011. Depuis, n’importe qui peut se retrouver « accusé de diffamation, d’offense à l’État ou de diffusion de fausses informations visant à nuire à l’image du pays », rapporte RSF. En risquant de lourdes peines de prison. Symbole de cette répression : le blogueur et défenseur des droits humains Ahmed Mansoor, arrêté en mars 2007 et considéré comme prisonnier d’opinion pour Amnesty International. L’incident des reporters de la RTS a d’autant plus fait tâche durant les festivités du Louvre Abu Dhabi que les promoteurs de ce “premier musée universel dans le monde arabe” n’ont cessé de le présenter comme un modèle d’ouverture. « Le Louvre Abu Dhabi symbolise la vision d’une nation tolérante et ouverte à la diversité », a clamé Mohamed Khalifa


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