Trimestriel Automne 2017

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La force de nos démocraties capitalistes, c’est de permettre à beaucoup, souvent la majorité, de jouir un minimum – ou à tout le moins, d’en avoir l’illusion.

à Internet, comment fonctionne l’expansion continuelle de l’univers. Il ne s’agit pas ici de mettre une quelconque hiérarchie entre ces deux activités, mais seulement en exergue le fait que ni les uns ni les autres ne souhaitent, dans l’immédiat de la jouissance de leur action, de remise en question de leur mode de vie. LA “RÉVOLUTION”, DE DANTON À MACRON

Ce qui est drôle pourtant, malgré l’évidence qu’elle n’adviendra pas de sitôt, c’est que l’on parle souvent de révolution – et de son désir surtout. Mais ce que l’on désire en fait, c’est avant tout l’idée de révolution,

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moins son expérience en tant que telle. On veut le renversement du monde dans la totalité de ce qu’il est pour le remplacer par un autre, mais pas trop brutalement, ou alors pas complètement. Le problème finalement, c’est que le mot révolution porte en lui tous les stigmates des XIXe et XXe siècles : nostalgie des grandes heures de la pensée en action, amertume des révolutions ratées ou pire, trahies, arlésienne des penseurs et des rêveurs les plus géniaux. Et c’est sûrement à cause de cette mémoire historique du concept qu’il faut sans doute noter, aujourd’hui, la quasi indécence intrinsèque du terme même de révolution : entre Emmanuel Macron qui nous en parle (c’est même le titre d’un de ses bouquins) sans que l’on puisse du tout comprendre en quoi c’en est une, et une gauche, même radicale parfois, qui peine à sortir du giron gouvernemental de feu le Parti socialiste, on ne sait plus trop où on en est. Et il n’y a pas que Jean-Luc Mélenchon ou Nathalie Artaud qui nous parlent de la révolution à venir, Challenges aussi s’y met : l’hebdomadaire rapportait dernièrement une note de Patrick Artus, directeur des études chez Natixis, qui alertait les investisseurs sur une possibilité de révolution des salariés face à l’accroissement sans précédent des inégalités. Il est amusant de constater que la droite se met aussi à imaginer cela – même si pour elle cela ressemble plus à un cauche-

mar car, citons l’excipit : « Certes les ménages en “bénéficieraient”, mais pas les actionnaires, les finances publiques et les grands groupes ». Mais ce qui est le plus intéressant, c’est que ce soient les inégalités qui aient été identifiées comme la possible cause première d’une révolution en France. Même si on fait moins la révolution pour un concept que parce que l’on souffre de famine ou que son frère est torturé pour avoir lu Gramsci. LES LIBÉRALITÉS DU CAPITALISME LIBÉRAL

En somme, comme par le passé, les plus enclins à désirer, fomenter et initier une révolution sont, grâce à leur capital culturel surtout, les bourgeois. Seulement, ils ont tellement gagné aujourd’hui, ils sont dans des situations tellement confortables, socialement et technologiquement parlant, qu’il est fort à parier qu’ils ne passeront jamais véritablement le pas, la violence et la radicalité du basculement les effrayant le plus souvent. Mais si les bourgeois ne peuvent plus, ne veulent plus être aux avant-postes des révolutions, c’est aussi parce que notre époque ne voit plus les logiques de réflexion et d’action comme auparavant : nous sommes aujourd’hui persuadés que le salut de la gauche passe par son horizontalité, c’est-à-dire que c’est le tous qui va être le seul à même de porter une révolution réussie dans la durée. Dès lors, si une seule catégorie


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