Trimestriel Automne 2017

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REPORTAGE

« La mairie de Paris voulait créer un centre d’hébergement, l’État en a fait un centre de tri. Taper sur le centre, c’est se tromper d’adversaire. » Antoine, coordinateur de l’association Utopia 56

la Libye et l’Italie, l’une des voies migratoires principales, n’a cependant pas eu les mêmes effets. Khaled s’est vu prendre ses empreintes de force en Italie. Aujourd’hui, du fait du règlement Dublin III (lire l’encadré), se rendre dans le centre l’exposerait à une expulsion sans qu’il puisse effectuer de démarches. Ahmad, quant à lui, est en France depuis avril 2016. Arrivé à Calais au moment de l’évacuation, après avoir échappé à la prise d’empreintes en Italie, il a été transféré dans un centre d’accueil à Nancy. Sans traducteur, ni documents traduits (sauf l’aide au retour), il explique que « tu signes des papiers que tu ne comprends pas ». Il commence alors des démarches de demande d’asile dans son CAO. Venu à Paris un week-end pour aider un ami malade, il est chassé du centre à son retour, en raison de son absence. Aujourd’hui, il est à nouveau dans la rue après avoir essayé de rentrer dans la bulle. Interrogé sur les dispositifs d’orientation à l’intérieur, Ahmad s’agace : « Ils nous donnent seulement le règlement intérieur. On ne reçoit pas plus d’explications. C’est seulement dans les centres d’accueil qu’on commence à nous expliquer ce qui se passe ». L’arabe marocain dans

lequel on leur traduit le peu d’informations est par ailleurs très éloigné, soulignent-ils, de l’arabe plus littéraire qu’ils pratiquent. Si leur version diffère évidemment des explications officielles, elle met en exergue l’un des problèmes récurrents du centre : la transmission de l’information –déformée, mal traduite, omise, passant par le bouche-à-oreille… À l’extérieur, aucun panneau, aucune information n’est disponible et les bénévoles ne sont pas assez nombreux pour expliquer clairement ce qui attend les personnes à l’intérieur. Même sur les risques d’expulsion qui, en vertu de Dublin III, toucheraient pourtant énormément de personnes aux alentours du camp.

COLMATER LES FAILLES DU SYSTÈME D’ACCUEIL Dans l’urgence donc, quelques associations comme Utopia colmatent les failles du système comme elles peuvent. Ce jeudi en fin de matinée, un groupe de mineurs afghans et soudanais attend près de l’entrée. La responsable de l’équipe mineurs, constituée récemment par Utopia, les regroupe avant de les faire rentrer dans la bulle pour un pré-examen au faciès par la Croix-Rouge, qui les réorientera ou non vers le Demie (Dispositif d’évaluation des mineurs isolés étrangers). Quelques heures plus tard cependant, sur les dix-huit postulants, seuls deux mineurs ont le droit de se présenter au dispositif d’évaluation, à Paris, pour se voir éventuellement reconnaître leur minorité. Utopia paye alors de sa poche des hébergements d’urgence, dans un hôtel non loin, pour accueillir les plus vulnérables parmi ceux et celles qui ont été refusés. Une solution provisoire. Même son de cloche pour les familles qui arrivent à la porte de la Chapelle. De l’autre côté du Périphérique parisien, dans le nouveau centre d’Ivry réservé aux femmes et aux familles, les places manquent. Celles qui arrivent ici se voient également refuser une prise en charge dans la bulle. C’est le cas d’une famille érythréenne : Sarah et son mari, avec leur bébé Menken d’un an et demi, se voient, après une longue attente,

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