Trimestriel Été 2017

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LE DOSSIER

En outre, la formation de “l’opinion publique” ne passe plus par le prisme exclusif des médiations traditionnelles, des notables, des leaders de communauté ou des partis. Les moyens d’information classiques (presse, radio, télévision) sont eux-mêmes relayés par les structures plus souples et plus immédiates des réseaux sociaux. Le recul des grandes idéologies laisse la place à des représentations plus incertaines et plus mobiles, où le “bricolage” permanent l’emporte sur les formes anciennes de l’inculcation et de la transmission. L’alliance des intellectuels professionnels et des partis, qui était la base de production des idéologies partisanes et des transmissions doctrinales est remise en cause. Les intellectuels quittent les partis et les organisations politiques délèguent la formation idéologique aux fondations, cabinets d’études et think tanks. Les partis, de fait, tendent ainsi à se défaire de cette fonction d’élaboration des grandes représentations de la société, qui servaient jadis à légitimer leur action et à souder intellectuellement les corps militants. LE DÉCLIN DES COLLECTIVITÉS ANCIENNES

Tout ceci s’inscrit dans une recomposition sociale d’envergure, qui prend l’allure d’un bouleversement de portée anthropologique. La diversification des activités à l’échelle planétaire, l’essor de l’information

et des services complexifie la distribution des secteurs économiques et, sur cette base, de la distribution des groupes sociaux. La répartition des classes est sous-tendue par la double tendance à la polarisation sociale des avoirs, des savoirs et des pouvoirs, d’un côté, et, d’un autre côté, à la parcellisation des statuts. La logique de la classification sociale qui oppose dominants et dominés est plus vive que jamais, sans que pour autant elle produise des groupes homogènes et en expansion. Du côté des catégories populaires, numériquement majoritaires, il n’y a plus de groupe central en expansion. La période contemporaine remet en question les champs de l’individuel et du collectif. La conception de l’individu hésite entre, d’un côté, la forme individualiste qui oppose les personnes dans la concurrence universelle des richesses et des pouvoirs et, d’un autre côté, l’image d’un individu de plus en plus autonome et de plus en plus solidaire de tous les autres. Le déclin des collectivités anciennes, celles du monde rural ou des espaces urbains, fait hésiter entre l’éparpillement des individus et le grand retour des communautés inclusives, de la race, de la religion ou des nations. Dans tous les cas, le parti politique n’est plus à même de répondre aux attentes, ni celles qui poussent à vouloir agir de manière autonome, ni celles qui marquent la recherche de nouveaux cadres communs et rassurants. Pour les uns, les partis

La critique des partis, vieille comme les partis L'action des partis a été dès le départ contestée. Les critiques les plus vives viennent d’abord des nostalgiques des sociétés anciennes, celles des ordres, des encadrements religieux et des corps constitués. Pour ceux-là, les partis, leur autonomie, leur ouverture aux classes moyennes et populaires sont la porte ouverte à l’anarchie, aux demandes égalitaires et à la révolution. Mais les critiques ne manquent pas non plus à l’autre extrême du champ politique, chez ceux qui constatent que les partis finissent bien vite par fonctionner sur eux-mêmes, produisant une bureaucratie de plus en plus envahissante et installant de fait un modèle oligarchique qui voue la masse des adhérents à des tâches de simple exécution. Significativement, le même Robert Michels qui soulignait l’apport historique des partis, fournit aussi, en socialiste, le premier modèle durable de leur critique fondamentale. Il explique que les partis, polarisés de plus en plus sur les ambitions de conquête et d’exercice du pouvoir, tendent à calquer leurs mécanismes sur la rationalité hiérarchique et verticale de l’État. Même quand ils permettent à des contingents importants des classes subalternes d’exercer des responsabilités qu’ils n’atteindraient pas sans eux, les partis fonctionnent à la dépossession du plus grand nombre et à la concentration des pouvoirs réels et de la légitimité entre les mains de petits groupes d’individus, en général de sexe masculin.

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