Regards Automne 2016

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RESTITUONS !

Pour ses dix ans, le Musée du quai Branly – complété désormais du nom de son initiateur Jacques Chirac, grand défenseur des arts premiers auxquels il est dédié – se serait bien passé de cette polémique. Pour la première fois (selon le militant Louis-Georges Tin qui mène campagne sur le sujet depuis des années), le gouvernement d’une de nos anciennes colonies d’Afrique subsaharienne a fait une demande officielle de restitution d’objets d’art. Le président du Conseil représentatif des associations noires de France (CRAN) l’a fait savoir dans une tribune publiée cet été par Le Monde1. Le 27 juillet, « dans le cadre de la mise en œuvre de sa stratégie pour le développement culturel et touristique », la Répu-

Illustration Alexandra Compain-Tissier

1. “Trésors pillés : « La France doit répondre positivement à la demande du Bénin »”, lemonde.fr, 1er août 2016.

bernard hasquenoph Fondateur de louvrepourtous.fr

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blique du Bénin missionnait son ministre des Affaires étrangères pour entrer en négociation avec les autorités françaises et l’Unesco, et confiait à son ministre du Tourisme et de la Culture le soin de sécuriser le musée historique qui accueillerait les œuvres à leur retour. ŒUVRES MAL ACQUISES ?

La demande concerne des “objets précieux” provenant essentiellement du palais du roi Béhanzin à Abomey, ancienne capitale du Dahomey, dont s’emparèrent en 1892 les troupes françaises commandées par le général Dodds. Capturé en 1894, Béhanzin fut déporté en Martinique et, sans avoir jamais eu le droit de revenir dans son pays, mourut en 1906 en Algérie. Symbole de la résistance anticoloniale, non seulement au Bénin mais dans toute l’Afrique, sa statue se dresse aujourd’hui à l’entrée d’Abomey. Premier souhait du Bénin : que soient recensés tous ces objets, dispersés entre des collections privées et des musées comme le Quai Branly à Paris, qui en possède des joyaux autrefois conservés au Musée de l’homme, ex-musée d’ethnographie du Trocadéro : sceptres, trônes, portes sacrées du palais, statues de dieux ou de rois… Comment ont-ils été acquis ? Près de trente sont des dons du général Dodds lui-même, comme les car-

tels l’indiquent. Si, sur le site web du musée, les rares explications sont parfois aussi crédibles que celle d’un mauvais pickpocket – les portes furent « trouvées », ce siège royal fut « collecté »... –, sur place où les œuvres sont magnifiquement mises en valeur, les textes sont plus explicites, parlant bien de « butin de guerre ». Les Béninois parlent quant à eux de pillage. Question de vocabulaire. Le général Dodds possédait de nombreux autres objets qu’il avait “rapportés” du Trésor royal d’Abomey, puis légués à un certain Achille Lemoine qui en revendit plusieurs, en 1926, au célèbre collectionneur et marchand d’art Charles Ratton. Comme cette statue du roi Glèlè, père de Béhanzin, possédée aujourd’hui par le musée privé parisien Dapper, ainsi que celle d’un lion recouvert d’argent. En 2011, son pendant, vendu chez Christie’s, a atteint une somme record de plus d’un million d’euros. Pour dire que ces objets d’une grande beauté ont aussi une forte valeur marchande. Mais Dodds ne fut pas le seul à se servir : son état-major fit de même, comme le capitaine Fonssagrives qui donna aux musées français une statue du dieu de la guerre Gou considérée comme un chef-d’œuvre. Elle est maintenant exposée au Louvre, dans le pavillon des sessions, annexe du musée du quai Branly.


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