Trimestriel Printemps 2016

Page 79

ENQUÊTE INTELLECTUELLE

« Au nom de la gauche, ceux qui gouvernent commettent des horreurs d’extrême droite. Nous vivons de grands moments de honte politique. » Bernard Lahire, sociologue

la sociologie. Et pour en finir avec la prétendue “culture de l’excuse”, qui est tombé à pic, il a eu nombre d’occasions de le faire savoir. « On m’a tendu la perche et je l’ai prise car oui, il y a une rupture. En tout cas, je le vis comme ça. Ceux qui gouvernent dépassent les bornes. Au nom de la gauche, ils commettent des horreurs d’extrême droite. Nous vivons de grands moments de honte politique. » Trop c’est trop. PS, L’UNANIMITÉ CONTRE LUI

voulu à plusieurs reprises y voir un lieu à réinvestir : en 1993, au moment des États généraux du Parti socialiste et en 2007, lorsque j’ai fait la campagne de Ségolène Royal dans le XVIIIe arrondissement de Paris. Cette expérience m’a permis de voir de près que ça ne servait à rien. Mais ma dernière croyance, c’était de penser qu’il valait la peine de se débarrasser de Nicolas Sarkozy au prix d’un vote socialiste », explique-t-elle. Celle-là aussi s’est évaporée sous l’effet des promesses non tenues par l’actuel président. Pour elle, ce n’est donc pas avec la prolongation de l’état d’urgence que la prise de conscience s’est enclenchée. Elle y voit plutôt aujourd’hui « une occasion à ne pas manquer ». Il n’empêche que les réactions politiques aux attentats de novembre 2015, en donnant un brusque coup d’accélérateur à des processus en cours depuis plusieurs années, ont servi de détonateur. Si bien que le désenchantement s’est soudain mué en exaspération et que la colère sourde a fait place à une volonté nouvelle de se mobiliser. Comme chez le sociologue Bernard Lahire qui, lui non plus, n’espérait pas grand-chose d’un gouvernement socialiste. Mais les derniers événements ont fait sauter en lui un tabou : ce chercheur ne répugne plus à afficher ses convictions politiques. « D’habitude, je n’exprime pas mes positions politiques. J’estime que ce n’est pas mon rôle de le faire, sauf dans des moments un peu exceptionnels comme celui que nous sommes en train de vivre », confie-t-il. A priori, il apprécie peu le mélange entre le savant et le politique, craignant que le premier y perde en crédibilité scientifique. Mais cette fois, la coupe est pleine. Et, très sollicité depuis la publication de son dernier essai, Pour

Certes, l’histoire est émaillée de frondes menées par des intellectuels de gauche. Pour s’en convaincre, il suffit de se remémorer la pétition lancée en 1995 par Pierre Bourdieu en soutien aux grévistes contre le “plan Juppé” sur les retraites et la sécurité sociale. Sauf que le sociologue s’érigeait alors contre un gouvernement… de droite. Face au PS, le débat s’est longtemps résumé à la question sempiternelle : vaut-il encore la peine de mettre dans l’urne un bulletin socialiste ? Aujourd’hui, le vote utile n’est plus le sujet. Une frontière a été dépassée, qui donne aux mobilisations éparses leur côté inédit. « On a le sentiment d’être arrivé en bout de course de la Ve République, c’est cette impression de fin d’un monde qui réunit des gens appartenant à différents groupes », explique Sophie Wahnich. Des plus critiques aux plus modérés, l’éventail des “intellectuels rebelles” s’est récemment élargi aux compagnons de route d’un parti contre lequel – grande nouveauté – ils n’hésitent plus à batailler. Parmi eux, l’historien Michel Wieviorka, l’économiste Thomas Piketty, ancien conseiller de Dominique Strauss-Kahn, le démographe Hervé Le Bras et la sémiologue Mariette Darrigrand. Un noyau dur à l’initiative de l’appel pour une primaire à gauche, qui a fait la une du journal Libération en janvier 2016. Dirigé contre « un débat étouffé par le vote utile », ce texte demandait non seulement « la possibilité de choisir collectivement son candidat », mais aussi « du contenu, des échanges » – autrement dit de la pensée. Laquelle fait cruellement défaut, selon Michel Wieviorka qui dénonce dans le quotidien « le vide sidéral de la pensée officielle de la gauche ».

PRINTEMPS 2016 REGARDS 79


Turn static files into dynamic content formats.

Create a flipbook
Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.
Trimestriel Printemps 2016 by Regards Regards - Issuu