Trimestriel Printemps 2016

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LE DOSSIER

supposément “indépendant”. Le rêve des libéraux étant que les plates-formes numériques n’assurent plus seulement un simple complément de revenu, mais deviennent le principal mode de participation à la vie économique du plus grand nombre. Un rêve qui est – heureusement – encore loin d’être réalisé. Le CDI continue à occuper la place centrale dans la structure sociale française, concernant 87 % des salariés du secteur privé, un pourcentage stable depuis le début des années 2000. Et si la part des contrats temporaires augmente dans les nouvelles embauches, cette tendance n’a rien d’inéluctable. C’est tout l’enjeu des luttes sociales actuelles autour de la requalification juridique de l’activité. Au nom des contraintes imposées par le donneur d’ordre (port d’uniforme, horaire, sanc-

tion en cas de refus de mission…) certains chauffeurs d’Uber réclament en effet devant les prud’hommes la transformation de leur contrat d’auto-entrepreneur en CDI, estimant qu’il existe bien un lien de subordination avec la plate-forme, et qu’il s’agit donc de salariat dissimulé. Les innovations technologiques ont certes modifié l’organisation du travail, mais le salariat n’a pas dit son dernier mot. Face au chômage et à la précarisation, il est en tout cas urgent de reconstruire des garanties collectives et juridiques pour tous. Faute de quoi, prévenait dès 1998 le sociologue Robert Castel, « sous couvert d’inventer l’avenir, on redécouvre les vieilles recettes du capitalisme sauvage ».  laura raim

CE QUE TRAVAILLER VEUT DIRE Apparu tardivement et recouvrant des réalités très différentes, le terme de travail s’est vu donner des sens aussi multiples que contradictoires. Sa définition est l’objet de luttes qui montrent justement l’importance de l’enjeu. L’avenir du travail serait donc en question. On mélange souvent des notions différentes : statut, emploi et travail. Qu’est-ce que je fais quand je travaille ? Cette notion, si centrale dans nos vies et pour notre identité, ne se laisse pas facilement attraper par une définition. Quand on remonte les siècles à la recherche de sa genèse, on découvre qu’elle est en réalité très récente. Les Grecs anciens, nous apprend l’historien Jean-Pierre Vernant, avaient des termes pour désigner l’effort, les tâches, les métiers, le savoir-faire… mais pas pour désigner le travail. Le travail ne constituait

tout simplement pas une catégorie de pensée séparée dans les sociétés précapitalistes. ALIÉNÉ OU LIBÉRÉ ?

Le concept apparaît seulement au XVIIIe siècle, en même temps qu’un autre : consommation. Smith définit le travail comme ce qui permet de créer de la valeur. Ce que les économistes traduisent depuis par “facteur de production”. Synonyme de peine (son origine étymologique tripalium signifie instrument de torture…), il assure la double fonction de fabriquer des richesses et de fonder l’ordre social. Depuis, il

s’est revêtu de nouvelles couches de significations radicalement différentes. Dans son Que sais-je ? sur le travail, la sociologue Dominique Méda distingue deux autres moments historiques dans sa détermination conceptuelle. Avec Marx, le travail apparaît potentiellement comme la liberté créatrice qui va permettre à l’humanité de transformer le monde à son image, de progresser vers le bien-être, mais aussi de « réaliser son individualité ». Il faudra toutefois attendre le milieu du XXe siècle pour que cette idée du travail comme vecteur de réalisation de soi entre dans la pratique.

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