Trimestriel Printemps 2016

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GRAND ENTRETIEN

« L’Amérique latine connaît aujourd’hui, en dépit des tensions et des conflits, une maturité démocratique inédite. » regards. Le cadre démocratique est récent… Comment est-il abordé par ces nouveaux pouvoirs ? christophe ventura. Il n’a jamais été remis en cause. Mieux, il est conforté quelle qu’en fut la difficulté. Par exemple, ce cadre impose un rythme très soutenu de campagnes politiques liées aux élections. Le Venezuela a vécu en campagne permanente durant pratiquement quinze ans. Les Lula, Morales, Correa savaient qu’il fallait changer leur pays. Mais ils savaient aussi qu’on ne change pas un pays en dix ans en mode démocratique, surtout lorsque que nombre de pouvoirs hostiles agissent toujours dans la société et l’appareil d’État. Ils pensaient dès le départ que les processus qu’ils menaient devaient tabler sur vingt à vingt-cinq ans pour accomplir leurs objectifs de transformation des sociétés, le tout avec la possibilité de perdre des élections. Tous connaissent très bien leur droite nationale, leur oligarchie et ses relais internationaux. Mais ils n’ont pas versé dans l’autoritarisme. Le simple fait d’avoir permis que s’installe une démocratie stabilisée avec une certaine pérennité des institutions est un changement profond dans cette région. Ce qui dominait jusque là, c’était les régimes autoritaires et / ou instables et les coups d’État militaires. L’Amérique latine connaît aujourd’hui, en dépit des tensions et des conflits, une maturité démocratique inédite. regards.

Cette période était aussi dominée par les négociations du traité de libre échange avec l’Amérique du Nord… christophe ventura.

Quand ces gauches, l’une après l’autre, gagnent le pouvoir à partir de la victoire inaugurale de Hugo Chavez au Venezuela en 1998, elles remettent en cause le projet de l’ALCA (Zone de

libre-échange des Amériques) négocié avec George W. Bush. Il s’agissait de la création d’un grand marché de libre échange à l’échelle du continent américain, la plus grande zone de libre-échange au monde à l’époque. Sous domination des États-Unis, évidemment. Une des urgences de ces nouvelles gauches a été de sortir la région de cette perspective et elles lui ont opposé d’autres projets d’intégration régionale. Ces gauches ont fait face à une urgence géopolitique et ont fait un choix historique : sortir la région de l’arrière-cour américaine. Ce que nos dirigeants sont incapables de faire pour l’Europe, soit dit en passant. regards. Quel était le cœur du programme de cette nouvelle gauche au pouvoir? christophe ventura. Le mandat impératif sorti des urnes était “la lutte contre la pauvreté”. Les nouveaux pouvoirs commencent par “éponger” la dette sociale. Cette dette s’inscrit dans une histoire longue en Amérique latine, qui remonte jusqu’au colonialisme, et elle est immense, en particulier au Venezuela. Ce pays connaît alors un taux de pauvreté de 75 %. Les politiques d’urgence sont décidées dans un cadre démocratique.

regards. Quel était leur modèle politique pour conduire cette lutte contre la pauvreté? christophe ventura.

Il n’était pas fermement constitué au départ… Entre 1998 et 2002 – avant qu’il fut victime du coup d’État –, Hugo Chavez cherche par exemple une “troisième voie” et regarde même du côté de Tony Blair. Les politiques qu’il met en place ne sont pas radicales. À cette époque, il n’avait pas encore

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