GRAND ENTRETIEN
« Les ouvriers sont invisibles, non parce que, comme l’affirme le lieu commun, “Ils meurent“, mais parce qu’il est impossible de les filmer là où ils sont ouvriers, dans les usines. » d’homme, à égalité. Mon but est que chacun puisse s’identifier à eux, ou à l’un d’eux, et non à moi, la réalisatrice. Je voulais faire un film de stratégie, d’action, qui puisse offrir, en images, des pistes sur ce qui préoccupe beaucoup d’entre nous : « Qu’est ce qu’on peut faire ? Lutter, c’est quoi au juste ? » regards. Il est rare de voir une usine avec des ouvriers au travail ou en lutte… françoise davisse.
question : que faire face à la fermeture, alors que la direction promet de tout faire dans l’intérêt des salariés ? Peut-être avons-nous une vision ancienne des luttes, dans lesquelles la quasi totalité des salariés participe. Peut-être, et c’est une des questions du film, doit-on penser la lutte autrement. Si l’essentiel des salariés était contre le mouvement, il n’y aurait pas eu de grève, où en tout cas elle n’aurait duré que quelques heures. Mais il y a des niveaux différents d’engagement entre salariés qui se côtoient, qui sont collègues… Un mouvement minoritaire touche aussi ceux qui ne s’y engagent pas. Voir cette prise de pouvoir, de parole, cette liberté dans l’usine marque même ceux qui n’y ont pas forcément pris une part active.
Les ouvriers sont invisibles, non parce que, comme l’affirme le lieu commun, “Ils meurent”, mais parce qu’il est impossible de les filmer là où ils sont ouvriers, dans les usines. Cette idée de “mort” est pernicieuse : dans nos esprits, aller voir un film sur les ouvriers, c’est plombant. Alors que, comme en témoigne l’histoire du cinéma français, c’est un milieu riche en histoires à filmer.
regards. Beaucoup de choses se jouent, individuellement et collectivement, dans le choix de faire grève ou pas…
regards.
françoise davisse.
Comme des Lions est loin de retracer une lutte glorieuse. On est frappé par la difficulté de ce combat. Et d’abord par la difficulté à mobiliser les ouvriers de cette usine promise à la fermeture. Au plus fort du mouvement, ils n’étaient que six cents grévistes sur trois mille. Est-ce que c’était tendu entre les ouvriers, dans l’usine ?
françoise davisse.
Avec “les ouvriers qui disparaissent”, la seconde idée ancrée dans nos têtes est que le conflit se joue entre “grévistes” et “non grévistes”. Alors qu’en fait, il y a des salariés aux prises avec une
Cette lutte, organisée autour d’un comité de grève, faisait la part grande aux discussions : entre grévistes pour décider, mais aussi avec les nongrévistes. C’était parfois tendu, parce que pour certains grévistes, c’était injuste de prendre des risques pour les autres. Mais la différence essentielle est une question d’image de soi : rester un “bon opérateur” dans une entreprise où l’on est dans “le même bateau” que la direction, ou prendre le risque de changer d’image, d’être “mal vu”, de se situer du côté de ceux qui sont décrits comme des voyous ? Franchir le cap fut pour ceux qui l’ont fait une libération. Pour ceux qui ne l’ont
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