Trimestriel hiver 2016

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LE DOSSIER

savoirs et des pouvoirs que sécrète inexorablement le capital dominant. Ce n’est donc ni la mondialité, ni la diversité, ni la mobilité qu’il faut combattre, mais la mondialisation capitaliste, ce mix de concurrence libre et non faussée et de gouvernance technocratique. Au cœur de tous les combats émancipateurs, il convient donc de replacer la question de l’égalité, celle des conditions et pas seulement celle de “l’égalité des chances”. À quoi il faut ajouter que l’une des faces contemporaines de l’inégalité est la discrimination. Il ne suffit pas au capital qu’il y ait inégalité : il faut qu’elle soit légitimée par des considérations de couleur de peau, d’origine, de culture, de religion ou d’orientation sexuelle. Dans la valorisation qu’exige la compétitivité, la publicité positive ne suffit pas ; la négative doit l’accompagner, qui fait de l’autre un inférieur, un concurrent, bientôt un ennemi. La discrimination, c’est l’inégalité portée vers la limite ultime de l’exclusion ou de la relégation. Le bout du parcours de l’identité, c’est la clôture, le mur et le ghetto. Auquel cas, mieux vaut ne pas se laisser prendre dans l’engrenage identitaire. Le combat pour l’égalité reste le socle du travail d’émancipation humaine. Elle suppose le combat contre toutes les discriminations, donc la reconnaissance des spécificités, afin qu’elles ne se figent pas en différences, puis en repliement sur des communautés

défensives. Enfin, le combat moderne pour l’égalité, c’est la volonté de la diffusion des pouvoirs, audelà de la seule représentation classique, contre les logiques actuelles de la gouvernance. C’est le combat pour une démocratie d’un nouvel âge. CONTRE LE PIÈGE DU NATIONALISME…

Le second débat, celui sur la nation, concerne plutôt la gauche de gauche. Pour certains (Aurélien Bernier), l’ancrage national offre le double avantage d’offrir une alternative crédible à une Union européenne essoufflée et de disputer à l’extrême droite le terrain de la souveraineté nationale qui est son fer-de-lance symbolique. Pour d’autres (Jacques Sapir), la nation est le lieu par excellence, contre une Union européenne fer-delance de la mondialisation capitaliste, où peuvent se nouer de larges alliances dépassant le clivage jugé désuet de la droite et de la gauche. D’autres encore théorisent sur le caractère stratégique de l’enjeu national. Le philosophe Frédéric Lordon considère que le “cosmopolitisme”, qu’il attribue à ce qu’il appelle « l’européisme de gauche », pêche par son caractère irréaliste et totalement inopérant. Il n’est pas, dit-il, de mobilisation politique sans « affect » qui la rend possible. Or il n’y a pas d’affect sans « corps politique intermédiaire » pour le susciter. La nation fait partir de ces

Ce n’est ni la mondialité, ni la diversité, ni la mobilité qu’il faut combattre, mais la mondialisation capitaliste, ce mix de concurrence libre et non faussée et de gouvernance technocratique. « corps » ; il n’y a donc pas d’avancée possible qui ne soit pas d’abord nationale. Le problème est que ce raisonnement, qui fonda naguère l’attachement national du communisme français, souffre aujourd’hui d’une triple limite. Si l’État-nation conserve des marges de manœuvre d’autant plus fortes qu’il peut s’appuyer sur une puissance matérielle évidente – c’est le cas de la France – il n’en reste pas moins que chaque territoire s’insère désormais dans un monde dont les interdépendances concrètes sont sans commune mesure avec celle des décennies et a fortiori des siècles passés. En cela, à la différence de ce qu’affirmaient par exemple les communistes français, il y a une dimension nationale incontestable de toute lutte transformatrice, mais il n’y a pas de transformation “avant tout

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