The Red Bulletin FR 09/24

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L’ÉPOPÉE DE RED BULL RACING

20 ANS D’AUDACE, DE RISQUE ET DE PERFORMANCE

PAR MAX, VETTEL, HORNER & CO + LE FUTUR DE LA F1

Votre magazine offert chaque mois avec

Konstantin Reyer

Le photographe autrichien, spécialisé dans les sports d’action, dit du BoatOne d’Alinghi Red Bull Racing que son accélération « le rend difficile à photographier sur une mer bleue agitée ». P. 78

Chloé Sarraméa

Journaliste, réalisatrice et radio host spécialisée musique, elle a été profondément marquée par Zinée.

Née à Toulouse et fière d’y être restée, l’étoile montante du rap l’a émue avec sa candeur, sa générosité et sa fragilité. P. 22

Tim Kent

Basé à Londres, ce photographe (société, luxe, culture, auto) a shooté les archives Red Bull Racing. « Travailler avec l’équipe de course Red Bull m’a donné un aperçu fascinant des détails et de la précision qui règnent en coulisses d’un tel phénomène. » P. 48

Si la F1 a bénéficié d’une grosse hype ces dernières années, c’est en partie grâce à l’écurie

Red Bull Racing. Au cœur de ce numéro un peu spécial, nous revenons sur ses origines, ses pilotes stars (qui s’expriment au fil de nos pages – Max inclus), nous intéressons au leader de cette structure, Christian Horner, et vous montrons de l’historique : les voitures, pièces et accessoires qui ont contribué au succès d’une équipe qui fête ses vingt ans cette année. Aussi, nous accueillons un pilote français de F2 qui voit loin, Isack Hadjar, et montons même à bord du BoatOne d’Alinghi Red Bull Racing, engagé sur la fameuse America’s Cup. Un bateau ? Jusqu’où iront-ils ? Vous voici en pole position. Bonne lecture !

Hamda Al Qubaisi et d’autres à ses côtés bâtissent le sport automobile de demain.

Inspiration

Justine Dupont 20

Surfeuse

Zinée 22

Rappeuse

Red Bull Racing l’a projeté dans l’âge adulte.

Icône

Du Verstappen comme on l’aime. 100    % cash et exclu.

La F1 peut compter sur les femmes. Il est temps. Ce programme les soutient.

Portrait

Objectif en tête et parler vrai, Isack passe à table.

Direction

Red Bull Racing et Alinghi œuvrent pour élever le niveau d’excellence sur les flots. Pilotes

Red Bull Racing est indissociable de Christian Horner. Découvrez l’homme derrière le mythe America’s Cup

Archives

Au plus près des voitures et du matos d’exception.

89 Voyage : Colorado

94 Indoor surf

97 Mentions légales

98 Finir en beauté

Le futur : le BoatOne d’Alinghi Red Bull Racing engagé dans l’America’s Cup.

Tower Bridge, Angleterre (Se) faire le pont

«  Tu te déplaces tel un oiseau, essayant de ressentir le vent.  » Ce vol en wingsuit inédit des Autrichiens Marco Fürst et Marco Waltenspiel à travers le Tower Bridge de Londres a fait les gros titres dans le monde entier. Deux ans et demi de préparation, pour 45 secondes de vol, le 12 mai 2024. L’objectif  : évoluer au sein du périmètre d’une fenêtre de 65 m  ×  32 m entre les tours emblématiques du pont, les passerelles et les bascules. Pour célébrer l’accomplissement de cette mission, les deux parachutistes, amis depuis 2007, se sont fait faire un tatouage en commun  : «  TB  » pour Tower Bridge, avec la date du saut. redbull.com

Milos, Grèce Capture

«  Pour moi, la photo, c’est le pouvoir d’une image qui dit toute l’histoire, philosophe le Grec Alex Grymanis. Comme je pratique le snow et le skate depuis l’enfance, je suis entouré de mouvement, d’action. J’ai voulu capturer l’essence de ces moments avec mon appareil.  » C’est chose faite avec ce cliché immortalisant son compatriote wakeboardeur Nikolas Plytas. IG : @alexgrymanis

Berlin,

Allemagne En enfance

Elias Giselbrecht (Autriche) a produit ce cliché après un long trajet en bus de treize heures. Il voulait shooter face à cet édifice du Parlement à Berlin depuis qu’il s’est mis au parkour, gamin, et l’occasion s’est présentée alors qu’il suivait le coach et athlète Heinzl Revo. Elias explique  : «  J’ai passé ces dernières années à sillonner le monde à la recherche d’endroits uniques pour présenter ce sport qu’est le parkour à travers mes yeux.  » Son rêve d’enfance est réalisé. IG : @brichti_revo

Trikala, Grèce

Renversant

Cette séquence montre la première boucle complète réalisée sur un pipe de 7,5 m de haut par un athlète de BMX. Le rider grec George Ntavoutian a en effet mené, en avril dernier, son ambitieux projet FullPipe, qui s’est révélé être un test de ténacité autant qu’une démonstration de compétence. Le premier jour, une prise d’élan à partir d’une rampe trop courte a eu pour conséquence de l’immobiliser sur un matelas gonflable de sécurité, terrassé par la douleur. Mais dès le lendemain, de nouveaux compléments – de bois (pour la rampe) et d’acier (la détermination de George) – ont permis à ce jeune homme de 25 ans de tout déchirer. Respect. IG : @georgentavou ; redbull.com

Pharrell Williams

You Can Do it Too (2006)

«  Gros fan de Pharrell. Je tenais un skyblog, style compte fan, sur lui. Je crois avoir séché les cours le jour de la sortie de l’album In My Mind pour aller l’acheter. J’ai tout de suite adoré ce track… Entendre “ You can do it too young love”, de la part de ton artiste préféré lorsque tu as 13 ans, ça motive. Comme si tu pouvais tout faire.  »

Dom Kennedy

Watermelon Sundae (feat. Jason Madison) (2008)

«  Ce titre est sorti l’été où j’ai rencontré Myth Syzer, on n’arrêtait pas d’écouter ce son. C’est vraiment mon morceau ultime de l’été, c’est un hymne aux histoires d’amour. Avec les thèmes qu’il aborde, son flow, ses choix de prod. Dom Kennedy aurait pu faire partie du crew Bon Gamin.  »

Loveni

Essence

Le rappeur de Paris Est revient sur sa sélection spéciale Bon Gamin, qui nous rappelle que l’ADN même de son crew peut résider en chacun e de nous.

Loveni, c’est une technique indéniable au flow intermittent et trépidant, l’incarnation vivante d’une nonchalance pourtant dynamique, qui a ce pouvoir de nous faire bouger à toute heure de la journée. D’après lui, l’essence d’un Bon Gamin, aussi abstraite que concrète, relève de l’authenticité, pour mieux s’inscrire dans sa vérité, comme il s’évertue à le faire avec ses amis Ichon et Myth Syzer  : «  On se moque des diktats du moment ou de répondre à certains codes que le rap peut parfois imposer.  » Il ne s’agit pas d’être anti-rap et anti-codes, mais d’affirmer sa singularité, qui, dans son cas, a été inspirée par la musique afro-américaine, et notamment le rap du Sud des USA avec la Three 6 Mafia. Comme son nom l’indique, Loveni n’est pas «  un rappeur de l’industrie  », mais un «  artisan  ». Il nous propose ici quatre tracks qui reflètent la nature d’un Bon Gamin. IG  : @doublexlov

Écouter le dernier album de Loveni, MAD LOV, 2024, Bon Gamin Entertainment.

Kanye West

Slow Jamz (Twista & Jamie Foxx) (2004)

«  Il est sur The College Dropout, un des premiers albums que j’ai vraiment saignés. Je m’identifiais à Kanye West, à son image hors normes et au titre du LP – quitter l’école, pour aller au bout de sa passion. Sans parler de la prod, avec plein de réfs à Marvin Gaye et de slow jams 70’s et 80’s.  »

Plastic Bertrand

Stop ou encore (1980)

«  Stop ou encore est hyper Bon Gamin, ça parle du passage à l’âge adulte. Il y a un gimmick qui revient  : “J’ai 15 ans, qu’est-ce que j’fais ?” (x3), et après c’est 20 ans, puis 30, avec cette phrase qui revient  : “Je m’arrête ou je continue”, de flâner et boire des coups. C’est un titre funk boogie, on a l’impression qu’il rappe.  »

Des sentiers qui serpentent à travers la nature. Des sommets qui touchent le ciel. Les rayons du soleil qui suscitent des envies d’aventure et des villes uniques que vous n’oublierez jamais. Pour en savoir plus sur le Colorado, rendez-vous sur Colorado.com

Assise extrême

L’athlète immobile

De l’Antarctique aux déserts chauds, Robby Silk reconnecte avec la nature grâce au sport à l’endurance la plus lente au monde.

L’île de Cuverville a longtemps été une escale prisée par les bateaux de croisière, notamment en raison des colonies de manchots papous qui y sont établies. Bien peu de personnes, cependant, ont envisagé de passer l’intégralité de leur séjour sur l’îlot rocheux sans bouger, en position assise. À l’instar de Robby Silk. Lorsqu’il arrive là-bas en février 2022, l’écrivain-voyageur de 51 ans, originaire de Floride, a sorti sa chaise pliante et s’installe pour quatre heures. Il accueille tout   : les papous curieux, la vue, le vent glacial… Silk est un pionnier de ce qu’il appelle «  l’assise extrême  ». C’est vingt ans plus tôt que l’idée lui est venue, après avoir

lu un roman dans lequel un bédouin fixe le désert, «  en attendant  ». «  Ça m’a bouleversé, dit-il. Notre état naturel n’est pas d’être lié à des appareils électroniques. Pour moi, il s’agit d’entrer en résonance avec le cycle du soleil.  »

Pour sa toute première tentative d’assise extrême, l’Américain jette son dévolu sur le parc national de Joshua Tree, en Californie, le 21 juin 2020 – jour du solstice d’été, pour accentuer le côté extrême de l’action. Après coup, il réalise qu’il n’a pas accordé assez d’attention au choix de l’endroit ni à sa préparation. Il développe alors des règles pour ses expériences futures  : «  Pas de smartphone. Pas de textos.

Roi des gens qui ne s’ennuient jamais : (de haut en bas) Silk sur l’île de Cuverville, en février 2022 ; pause méditative dans le canyon de Palo Duro, au Texas.

Aucune connexion internet. Pas de chaise au dossier inclinable.  » Et, crucial  : «  On a le droit de se lever et de s’étirer. Et de bouger pour les pauses techniques. Mais l’athlète doit rester proche de sa chaise en toutes circonstances.  »

Quatre ans plus tard, Silk utilise toujours la même chaise et fait des repérages, du canyon de Palo Duro (Texas) à Doha (Qatar) à la recherche de l’angle à 360  ° parfait pour s’asseoir et se laisser absorber par le paysage, du lever au coucher du soleil. «  C’est une discipline mentale. Ça peut durer quinze heures par jour. Il faut rester assis, même sous la pluie ou la chaleur. Il y a quelque chose de très primitif là-dedans.  »

La patience est parfois récompensée. Au milieu des prairies vierges et sauvages du Nebraska, au crépuscule, en octobre 2023, Silk est rejoint par une douzaine de bovins curieux. Une barrière les empêche d’approcher trop près de lui, mais par la suite, l’athlète raconte  : «  Ce fut une belle expérience que je n’aurais jamais pu vivre si je n’étais pas resté assis là.  » Silk trouve du sens dans ces interactions avec la nature  : «  C’est un sentiment d’accomplissement.  »

Quant à la dimension sportive de l’assise extrême, Silk développe  : «  Une fois qu’on a déterminé en quoi le fait de s’asseoir peut être un défi, on peut ajouter un élément compétitif. Par exemple [pendant la dernière performance]  : quelle a été la température max  ? Y avait-il vraiment tant d’insectes que ça  ?  » Dans cette optique, si l’athlète trouve un moyen de gérer les moustiques, les Everglades, en Floride, pourraient constituer sa prochaine destination. «  Quand on débute, il n’est pas nécessaire de chercher l’extrême tout de suite, soulignet-il. Trouvez déjà un endroit qui vous plaît. Allez-y une heure ou deux, avec l’intention de déconnecter, avec un peu de discipline, et observez attentivement ce qui vous entoure.  » extremesitting.org

Design social & réconciliation

Déjà quatre ans que le collectif Hall Haus bouscule les codes du design industriel et du mobilier, les (re)destinant à tous et toutes, avec une ambition sociale.

Studio de design basé à Paris et fondé en septembre 2020 par Abdoulaye Niang, Sammy Bernoussi, Teddy Sanches et Zakari Boukhari, le collectif Hall Haus embrasse les cultures urbaines et les arts décoratifs à travers son engagement et son goût de la matière. Ses trois premiers membres sont diplômés de l’ENSCI avec une spécialisation en design industriel, tandis que Zakari est titulaire d’un diplôme de Génie des procédés énergétiques de l’École des arts et métiers. Ensemble, les membres de Hall Haus dénoncent, par la fusion de leurs cultures populaires avec le design et l’influence du style architectural de l’école du Bauhaus, un certain mépris de notre société dans l’aménagement du territoire.

Tout a commencé en 2020, à Lafayette Anticipations (fondation du Groupe Galeries Lafayette fédérant «  les actions de soutien à la création contemporaine  ») avec le programme À l’œuvre, qui leur a permis de remporter une bourse et une résidence artistique pour exposer leurs œuvres, grâce à la création du fauteuil Curry Mango, directement inspiré de l’assise Quechua – objet phare des quartiers populaires et des aficionados du camping et des barbecues, et de la chaise Wassily, rendant quant à elle hommage à Marcel Breuer. La chaise en question permettra à Hall Haus d’être finaliste du concours de design de la Villa Noailles 2022, dans la catégorie Design objet.

L’essence même de la démarche du quatuor se retrouve dans la création Wassily, qui se révèle une véritable porte d’entrée vers des collaborations prestigieuses comme avec Nike en 2022, pour qui Hall Haus a animé un workshop à l’occasion des cinquante ans de la marque. Et puis, il y a eu l’exposition Hall Haus  : Pour Ceux, située dans l’ancien magasin emblématique Tati à Barbès-Rochechouart, dont le titre fait écho au morceau de Mafia K’1 Fry.

De haut en bas, les quatres membres du collectif Hall Haus : Teddy Sanches, Sammy Bernoussi, Abdoulaye Niang et Zakari Boukhari.

Le 23 mai 2023, le collectif publie sur sa page Instagram une photo de leur banc en acier intitulé Pour Ceux Bench, avec comme légende  : «  À la classe ouvrière, les darons éboueurs. Les daronnes qui taffent dans les travaux sanitaires, dans la douleur.  » Rohff dans le son Pour ceux (Mafia K’1 Fry, 2003). Avant d’ajouter  : «  Vous l’avez sans doute remarqué, c’est devenu une galère de s’asseoir confortablement dans la rue. Lorsqu’ils ne sont pas remplacés par des modules inclinés ou par des structures qui permettent d’être assis-debout, les bancs sont segmentés par des barres qui empêchent de s’allonger. Ces obstacles sont

appelés des dispositifs antiSDF. L’objectif est de dissuader les personnes sans-abri de s’installer dans l’espace public et de les invisibiliser de nos villes. Cette conception malveillante écarte du même coup toutes les populations  ; les personnes âgées, les femmes enceintes, plus personne ne peut se poser dans l’espace public. Nous, on est attachés à une autre philosophie et c’est un autre message qu’on veut faire passer  ! On a imaginé le banc pour celles et ceux qui poncent les rues, pour nos daron·ne·s, pour les enfants et travailleur·euse·s à la sortie de l’école et du travail. Avec une assise large et sans obstacles, ce banc est

destiné au confort de tous. En fait, c’est notre banc idéal pour le Paris de demain  !  »

Avec Hall Haus, tout est pensé dans les moindres détails  : objets, matières, techniques et représentations dans le but d’intégrer au mieux une certaine dimension sociale et d’insuffler leurs visions du monde, qui se veulent plus inclusives.

Portés par leur savoir-faire maîtrisé et leur ambition inégalée, les quatre membres du collectif, Abdoulaye Niang, Sammy Bernoussi, Teddy Sanches et Zakari Boukhari sont même consacrés par l’as du mobilier accessible à tous, IKEA, en juin 2023. Le géant suédois les a en effet contactés dans le cadre du programme Pour un mode de vie sain et durable, en vue de «  pousser à travers l’accessibilité et le vivre-ensemble [leur] vision du mode de vie durable, la proximité avec la nature, la communauté ou encore les initiatives locales, ainsi que le partage et la transmission des savoir-faire et des connaissances  ».

ans avant

À propos d’initiatives locales, on ne peut que mentionner la collaboration avec JAHJAH Studio, la même année, Keep the sun in your haus, autour d’objets domestiques et de l’art de la table. Assiettes en porcelaine de Limoges, casiers ou encore chaises en acier polyzinc… Tout est fabriqué en France.

Depuis, les créations de Hall Haus ont énormément voyagé. À l’occasion de la Milan Design Week 2024, le collectif a exposé trois de ses créations phares : le canapé modulable Haus Dari, le fauteuil Curry Mango, et la chaise DKR – par ailleurs récompensée lors de la French Design 2024. Les œuvres ont ensuite séjourné aux Archives nationales de Pierrefite-Sur-Seine (93) puis ont été exposées à la Galerie Paradis, avant de devenir partie prenante des installations de la fondation de Lafayette Anticipations. IG  : @hall.haus ; hall.haus

DKR aka Olympic Palabre (2023) s’inspire de la chaise à palabre traditionnelle africaine, inventée en Égypte vers 2 600
J.-C.
Canapé modulable Haus Dari, exposé à Al-’Ula, au nord-ouest de l’Arabie saoudite.

La mélodie des champis

Play that fungi music

Les noms de Reishi et King Oyster ne font pas tache dans le line-up d’un plan clubbing. Jusqu’à ce qu’on réalise que ce sont en fait des espèces de champignons et qu’on s’apprête à les entendre « jouer ».

C’est un vendredi soir, au centre d’arts EartH (Evolutionary Arts Hackney), à Londres, que Brian d’Souza réalise que les champignons ne font pas des partenaires de scène infaillibles. «  J’en avais pris une poignée pour faire des essais la veille, et le résultat était génial, relate le producteur et DJ né à Glasgow, aka Auntie Flo. Le show avait été assuré devant 600 personnes ce soir-là. Mais le jour J, j’ai senti qu’ils donnaient de moins en moins. La raison, c’est qu’ils étaient en

train de se décomposer. J’ai appelé mon concert “La complainte des champignons”.  »

La scène  s’inscrit dans sa récente aventure expérimentale visant à faire de la musique en utilisant la sonification des biodonnées – une pratique qui consiste à traduire les signaux électriques émis par les végétaux en sons audibles par l’oreille humaine, que d’Souza compare à une «  mise sur écoute  » de la nature. Son EP, Mycorrhizal Fungi, aussi le premier de son

Le mycélium : (de haut en bas) le matos ; le concert ; notre Écossais et ses « artistes ».

label, A State Of Flo, présente des titres issus de quatre espèces  : pleurote, reishi, champi crinière de lion et shiitaké.

À EartH, il joue avec des reishi et des pleurotes, traitant leurs signaux via un synthétiseur modulaire fabriqué par ses soins, conçu pour extraire les sons du mycélium, le réseau souterrain de filaments qui relie les champignons entre eux. «  C’est cette polyphonie que je souhaite transposer musicalement. Une multitude de choses se passent simultanément  : elles interagissent, se repoussent ou s’harmonisent.  »

Au fait, ça ressemble à quoi, le cri du champi  ? «  C’est très aléatoire et très variable, explique d’Souza. Je trouve qu’ils ont quelque chose d’extraterrestre.  »

D’Souza, motivé par sa passion pour l’enregistrement de sons sur le terrain, commence par sonifier des biodonnées obtenues par la capture de signaux électriques de diverses essences de plantes. Ce sont ses projets pour le RHS Chelsea Flower Show et le festival de Glastonbury qui l’amènent, l’an dernier, à concentrer ses recherches sur les champignons. Il enregistre des données via PlantWave, qui mesure les changements biologiques dans les végétaux et les traduit en hauteurs de vibrations, pour ensuite les lire sur un synthétiseur MIDI, lequel attribue un son particulier à chaque signal électrique produit par un champi.

«  Ces minuscules variations de tension sont autant d’indicateurs de vie et du processus biologique en cours, déclare d’Souza. Je suis comme un conduit. J’allais dire conducteur, au sens de chef d’orchestre, mais non. Je me contente de récupérer les signaux purs et d’essayer de prendre les meilleures décisions pour perfectionner l’esthétique sonore, sans chercher à intervenir sur la composition. Ce sont les champignons qui jouent les notes  !  » Écoutez Mycorrhizal Fungi sur astateofflo.bandcamp.com

RACHEL LUCY SHNAPP, CHRIS KEENAN, BRIAN D’SOUZA RACHAEL SIGEE

Encore des objectifs

La surfeuse de gros iconique
Justine Dupont évoque le plus puissant moteur que nous ayons à disposition, et la manière d’en tirer le maximum afin de se dépasser.

Texte : Alex Lisetz

the red bulletin : Justine, aux Big Wave Challenge 2023, tu as reçu le titre de surfeuse de l’année, du meilleur ride de l’année, et tu détiens le record du monde féminin de la plus grosse vague… Serais-tu la femme la plus téméraire de la planète (et de l’océan) ? justine dupont : Je ne pense pas, je m’entraîne dur pour pouvoir surfer ces vagues. Je prends énormément de plaisir à le faire même s’il m’arrive de temps en temps d’avoir des appréhensions, comme toute personne. Je cherche à exploiter le maximum de mes capacités.

Comme en janvier dernier, en Californie, à Cortes Bank, où tu as maîtrisé une vague de 22 mètres de haut ? Ça reste à ce jour le meilleur surf trip de ma vie. Tout était parfait : le crew, la météo, l’aventure, les vagues… J’ai eu l’honneur de faire équipe avec Lucas Chumbo, le leader de la discipline. Fred, mon conjoint, faisait la sécurité. C’était le scénario idéal, je ne pouvais pas rêver mieux.

Comment fais-tu fi de ta peur ?

Je ne l’ignore pas, je l’utilise. Elle m’aide à me concentrer pleinement sur le moment. Je suis attentive à tout ce qui se passe dans l’eau. Ça m’aide à être connectée à l’instant. Je ressens l’eau salée dans ma bouche, je regarde, j’écoute. Mes sens sont alors éveillés et je suis prête à surfer et à m’adapter à tout ce qui peut se présenter.

Photo : Rick Guest

Un jour, tu as dit que le surf, c’est une question d’équilibre entre la prise de contrôle et le lâcher-prise du jeu… J’essaye de maîtriser tout ce que je peux. D’abord, il y a la préparation. Je m’entraîne deux fois par jour : une fois en salle, et une fois dans l’eau. Je travaille pour avoir le meilleur équipement possible. Avec l’équipe, on fait tout pour mettre en place le meilleur système de sécurité possible. On se remet beaucoup en question. J’étudie méticuleusement les conditions météo de chaque spot. Je fais tout ça pour pouvoir, une fois sur la planche, fonctionner de manière purement intuitive. C’est le moment d’être uniquement dans l’instant, de lâcher prise et de devenir animal.

En janvier de cette année, tu as mis ton fils, Elio, au monde. C’est la plus grande perte de contrôle qui soit, non ? Il faut accepter que plus rien ne se passe comme on l’avait prévu. Elio m’apprend chaque jour à prendre les choses comme elles viennent.

Et toi, qu’aimerais-tu lui transmettre ? J’aimerais lui donner l’envie d’explorer le monde et la vie le sourire aux lèvres et l’esprit ouvert. Nous allons essayer de lui faire vivre plein d’expériences différentes et profiter de chaque instant avec lui.

Ton compagnon, Fred, est aussi ton coéquipier, ton sauveteur… C’est lui qui te tracte dans les vagues. Dernièrement, Fred s’occupe plus de ma sécurité dans l’eau et d’autres surfeurs me tractent lors des gros jours. C’est un super équilibre que l’on a trouvé. À Nazaré, je surfe principalement avec Lucas Chumbo et Éric Rebière sur les grosses sessions et Fred est toujours à l’eau pour veiller sur moi. J’ai confiance en eux. Quand je vais

sur un spot que je connais moins, je préfère faire équipe avec un surfeur local qui, lui, connaît toutes les ficelles de l’endroit.

J’aimerais revenir sur le sujet de la peur. La plupart d’entre nous l’associent à un sentiment désagréable qu’on essaie de minimiser. Comment se fait-il que tu la ressentes différemment ?

Je vois la peur comme mon alliée. Il faut la doser. Un petit peu de peur m’aide à être alerte, focus. C’est dans ces moments que je performe. Si je ne ressens pas la peur, je suis moins attentive. Peut-être même trop sûre de moi. Ça peut devenir dangereux. Enfin, si la peur est trop présente, c’est un signal d’alarme. C’est le moment de se poser les bonnes questions. C’est aussi le moment où il faut être assez conscient et surtout capable de rebrousser chemin et attendre une autre opportunité.

Parce que dans le doute, ton adversaire, l’océan, est toujours le plus fort ?

L’océan et la nature seront toujours plus forts que nous. Je ne le vois jamais comme un adversaire. C’est un partenaire que je respecte énormément. J’aime imaginer qu’il me respecte autant que je le respecte.

Est-ce que ta façon de surfer a changé depuis que tu es devenue maman ? Je travaille dur pour la saison à venir. Je suis consciente que je dois être encore mieux préparée pour être de nouveau la plus performante possible dans l’océan. J’ai encore plein de beaux objectifs sportifs à atteindre. C’est excitant. Un de mes principaux sera de resurfer une très belle vague à Nazaré. J’ai aussi la responsabilité de montrer à Elio qu’il est une force et que je peux continuer de réussir dans ma carrière avec lui dans notre vie.

Et tu as aussi développé une seconde activité pro : on peut te booker comme conférencière en motivation… Absolument. J’aborde une conférence comme une vague. Je m’y prépare pour pouvoir transmettre au mieux les sensations et expériences que j’ai la chance de vivre dans l’océan.

Focus

Originaire de Bordeaux Âge 32 ans Palmarès Multiple championne du monde de surf dans diverses disciplines, du big wave au stand up paddle, et conférencière en motivation

Résidence Nazaré, Portugal IG @justinedupont33

« Ma peur, je ne l’ignore pas, je l’utilise. Elle m’aide à me concentrer sur le moment. »
Justine Dupont

Sans compromis

Née à Toulouse il y a vingt-sept ans, la rappeuse Zinée est restée dans sa ville d’origine pour mieux percer dans la chanson française.

Texte : Chloé Sarraméa

Depuis le 17 mai 2024, le téléphone de Charlie n’arrête pas de sonner. Le premier album de Zinée est sorti et il semble que l’industrie tout entière se soit passé le mot – et le numéro de son manager. À chaque fois qu’il décroche, c’est la même histoire. Directeurs artistiques et patrons de label convoitent son amie et collaboratrice, une rappeuse inclassable déjà favorite des médias et du showbusiness. Ces derniers projettent sur elle l’avenir de la chanson française : une petite jeune femme frêle, toujours vêtue de noir, née à Toulouse et fière d’y être restée, qui écrit sur sa maladie, le temps qui passe, les liens familiaux, le rapport à l’enfance et l’amitié. Une héritière de Diam’s et de Keny Arkana bercée au flamenco et à la musique électro qui, en plus d’être connectée avec son public comme on le voit rarement, ne souffre pas d’être sexualisée dans une industrie encore ultra misogyne. Mais les coups de fil, les flatteries et les gros chèques n’auront pas raison de sa fidélité – ni à son équipe, ni à ses principes. Il suffit de la voir sur scène pour s’en rendre compte.

Ce soir-là, au Petit Bain, à Paris, la salle est comble. Plus de 400 personnes sont réunies pour “Les étoiles de Zinée”, une release party caritative au profit d’1 Maillot pour la Vie. L’artiste s’est récemment rapprochée de cette association créée à Toulouse, qui œuvre pour réaliser les rêves des enfants malades. Aux côtés de quatre rappeurs qui forment son entourage, elle s’élance sur scène pour chanter les titres de son album OSMIN, dévoilé trois ans après son EP Cobalt (2021). L’expérience est unique. Zinée achève son concert en pleurs face

à un public au bord des larmes, unanimement touché par la sincérité, la bienveillance et la générosité d’une artiste sensible et vulnérable, profondément humaine. « Mon public m’a attendue, il a compris ma maladie et que je n’allais pas sortir un projet tous les deux jours. C’est le Zinée club, un public intime, qui me ressemble », commente-t-elle. Elle échangera d’ailleurs avec lui après son show, préférant en dire plus sur la cause qu’elle est venue défendre que de rappeler qu’il y a du merch à écouler au fond de la salle. En 2022, la chanteuse se produit avec ses musiciens sur la scène du Chantier des Francofolies, le tremplin pour artistes émergents du festival aux quelque 150 000 spectateurs annuels. Succédant à Christine and The Queens, Juliette Armanet et Pomme, celle qui compte seulement deux EPs à son actif – Futée (2020) et Cobalt (2021) – s’est déjà fait remarquer pour sa voix métallique vocodée et sa musique autobiographique : des comptines pour adultes qui flirtent avec la chanson française tout en conservant un ADN rap, versant vulnérable, légèrement tragique, aux possibilités mélodiques infinies. Elle est depuis peu membre du collectif 75e Session (qui a vu passer Nekfeu, Sheldon, Lomepal, Georgio, Sopico…) qui l’épaule pour la gestion de sa carrière et avec qui elle travaille la production de ses morceaux et sa direction artistique. Fan de Mylène Farmer, elle a conquis un vaste public grâce à un songwriting sincère et une instrumentation méticuleuse. Un an plus tard, pourtant, son ascension a failli être stoppée net. « Je suis tombée malade. Je souffre d’endométriose profonde : une maladie qui touche une femme sur cinq et que l’on met environ sept ans à diagnostiquer… J’ai fait six mois d’immunothérapie, j’ai été opérée pour rien et j’ai perdu un ovaire. On m’a sectionné des nerfs et,

depuis, je ne sens plus ma jambe », confie Zinée, précise et didactique, lorsque nous la rencontrons. Aujourd’hui, elle va mieux. Elle explique souvent échanger, comme après son concert parisien, avec des jeunes femmes qui viennent la questionner au sujet de la maladie. Elle leur donne des noms de spécialistes : « C’est difficile de résumer ça en quelques minutes mais c’est très important d’en parler. J’aimerais prendre le temps et faire de la sensibilisation. Je vais peut-être contacter EndoFrance (Association française de lutte contre l’endométriose, ndlr)… Tout ça est très vaste. »

Quand sa maladie s’aggrave, Zinée ne peut plus vivre seule. Elle passe beaucoup de temps chez elle, dans la campagne toulousaine, entourée de sa famille et de ses animaux. Elle discute pendant des heures avec son frère, passionné d’Histoire, qui lui raconte celle de la Palestine : « Je me sens impuissante. Comme j’ai pas mal de visibilité sur les réseaux sociaux, j’essaie de partager un maximum d’infos. J’utilise mon image pour m’exprimer : je ne peux pas faire des collabs avec des marques et fermer les yeux sur ce qu’il se passe dans le monde. » Paru sur les labels indépendants Yotanka et 75e Session, son premier album a été imaginé comme le prolongement de ses engagements et de ses réflexions. « OSMIN est l’anagramme du prénom de mon frère et renvoie originellement à la notion de protection. J’avais envie de parler de la protection des enfants, c’est au centre des problématiques actuelles », confesse-t-elle. Comme toujours chez Zinée, ce disque appuie sur les contrastes : une voix haut perchée et une musique douce pour traiter de sujets graves, une écriture incisive, hommage à la verve des rappeurs de la fin des années 90 sur des instrus pop futuristes. Il y a aussi Chilly Gonzales, des tracks très produits, de l’acoustique, du piano, des guitares, des notes de flamenco… De quoi signer un deal à plusieurs zéros. Pas sûr que ça la branche : tout ce dont elle a besoin pour vivre, c’est voir la mer assez souvent, écrire des textes, dessiner et pouvoir s’acheter une figurine ou un jeu vidéo de temps en temps. « L’oseille, quand il y en aura, je le donnerai à des assos, ou j’en monterai une moi-même », conclue-t-elle.

Focus

En concert le 13 février 2025 à la Gaîté Lyrique. IG @zinee313

« Mon public m’a attendue, il a compris ma maladie et que je n’allais pas sortir un projet tous les deux jours. »

Retour vers le futur. À gauche, la Red Bull Racing RB20 ; à droite, la Red Bull RB1. Des années d’aventure les séparent.

20 ANS

DEUX DÉCENNIES D’AUDACE ET D’INNOVATION, DE PRISE DE RISQUE ET DE SUCCÈS... DE RED BULL RACING

Vers le succès

Une immersion au cœur de la philosophie de Red Bull Racing, à travers ses pilotes iconiques, son patron, son excellence d’ingénierie et son futur, via les jeunes pilotes et l’America’s Cup.

L’originale ! L’Italien Vitantonio Liuzzi au volant de la RB1 - la première voiture de Red Bull Racing - sur le circuit de BarcelonaCatalunya en Espagne, le 25 novembre 2004.

L’écurie Red Bull Racing est née en 2004 lorsque la société autrichienne Red Bull a racheté l’équipe Jaguar Racing à Ford Motor Company. L’acquisition a eu lieu après que Ford ait décidé de se retirer de la Formule 1 en raison de performances décevantes et de budgets élevés. Le fondateur de Red Bull, Dietrich Mateschitz, a vu une opportunité de promouvoir sa boisson énergisante à travers la plateforme mondiale qu’est la Formule 1. Rebaptisée Red Bull Racing, l’entité a rapidement commencé à préparer la saison 2005, ses débuts en compétition.

Dès le départ, cette nouvelle structure adopte une approche audacieuse et innovante, combinant marketing énergique et leadership sportif ambitieux. David Coulthard, pilote d’expérience jouissant d’une solide réputation, est embauché pour apporter du vécu et de l’élan à l’équipe. Pour compléter son team, Red Bull Racing choisit Christian Klien, un jeune talent autrichien, ainsi que Vitantonio Liuzzi, autre espoir prometteur. Sa première saison en 2005 est marquée par des faits d’armes impressionnants : lors de la première course de la saison à Melbourne, en Australie, Coulthard termine quatrième, tandis que Klien prend la septième place. Des résultats qui dépassent les pronostics et imposent immédiatement le potentiel de l’équipe.

Tout au long de la saison, Red Bull Racing continue d’impressionner. Coulthard marque constamment des points, tandis que Klien et Liuzzi alternent le deuxième siège de l’équipe, acquérant ainsi une précieuse expérience en F1. Les voitures, équipées de moteurs Cosworth, se révèlent compétitives et fiables. L’équipe termine la saison 2005 avec 34 points, assurant ainsi une respectable septième place au championnat des constructeurs. Un résultat remarquable pour une première année, dans un univers où la concurrence est rude. Cette première saison est également marquée par des

AUX ORIGINES

mouvements stratégiques en coulisses. Red Bull signe un partenariat moteur avec Ferrari pour la saison suivante, démontrant ainsi son intention de progresser rapidement dans les plus hauts échelons de la F1.

De plus, l’équipe investit dans l’infrastructure et les talents, notamment des techniciens et ingénieurs de haut niveau. Christian Horner, Adrian Newey et Helmut Marko joueront des rôles cruciaux dans le succès de Red Bull Racing. Horner (voir notre portrait p. 72), en tant que directeur d’équipe depuis 2005, a apporté une gestion solide, radicale et stratégique. Newey, ingénieur en chef, a conçu des voitures révolutionnaires, notamment la RB7 et la RB9, qui ont dominé les saisons 2010-2013. Marko, consultant pour Red Bull, a supervisé le développement des jeunes pilotes via le Red Bull Junior Team, découvrant des talents comme Sebastian Vettel, qui a remporté quatre championnats consécutifs de 2010 à 2013. Ensemble, ils ont imposé une équipe performante et innovante.

Les origines de Red Bull Racing et leur première saison en 2005 sont une histoire de prise de risque calculée, de stratégie marketing audacieuse et de performances sportives impressionnantes. En seulement un an, l’équipe a réussi à se faire un nom dans le paddock de Formule 1, assurant son succès futur en établissant les bases d’une équipe vouée à devenir l’une des plus dominantes de l’histoire moderne de la F1, rayonnant bien au-delà de l’univers des sports mécaniques. Qui n’a pas vu ses couleurs célébrées dans les les médias nationaux comme internationaux ? Fans de F1 ou non, qui n’a pas entendu parler de Sebastian Vettel ou Max Verstappen ?

Dans les pages qui suivent, vous retrouverez les pilotes iconiques de l’écurie, des interviews exclusives avec Max, Vettel ou encore Christian Horner, certaines des plus belles pièces de son arsenal, et un focus sur celleux (soutenu·e·s par Red Bull Racing) qui écriront le futur de la course automobile.

SEBASTIAN VETTEL

Le curieux

En 2007, le jeune pilote d’outre-Rhin goûte pour la première fois à la F1. L’Allemand a remporté le championnat du monde à quatre reprises, de 2010 à 2013, sous les couleurs de Red Bull Racing. Il est devenu le plus jeune pilote à le faire, à l’âge de 24 ans. Découvrez le portrait d’un champion instinctif et accessible. À ses côtés dans ce dossier, d’autres phénomènes de Red Bull Racing : Coulthard, Ricciardo et Webber.

Tombant à genoux, Sebastian Vettel célèbre sa victoire devant la foule du circuit international de Buddh à Greater Noida (Inde) le 27 octobre 2013, après avoir remporté le Grand Prix d’Inde – et son quatrième titre consécutif au Championnat du monde des pilotes.
Texte Justin Hynes

Avec Red Bull Racing

113 courses, 38 victoires, 65 podiums,

44 pole positions et 24 records du tour.

Nous sommes en 2005, peu après la reprise de l’ancienne usine Jaguar Racing de Milton Keynes par Red Bull. Sous la grisaille anglaise, les portes du futur Building One s’ouvrent devant un adolescent frêle à la tignasse blonde hirsute. Prenant le temps de rassembler ses idées et de choisir ses mots – l’anglais n’est pas sa langue maternelle –, il demande poliment si, en tant que membre du programme Red Bull Junior, il peut visiter les lieux. Presque vingt ans plus tard, Sebastian Vettel sourit au souvenir de cette première rencontre avec l’équipe Red Bull, qui fera de lui le plus jeune champion de la discipline en 2010 et qui lui permettra de remporter trois titres supplémentaires, l’érigeant au statut de légende de la F1.

« Je venais d’obtenir mon permis B, se rappelle le pilote, qui habitait encore sa ville natale, Heppenheim (Allemagne), à l’époque. J’ai décidé d’appeler pour demander si je pouvais voir l’usine, et ils ont accepté. J’ai alors pris le volant, traversé la Manche et conduit jusqu’à Milton Keynes. J’ai juste frappé à la porte et lancé : “Salut, je suis Sebastian.” La journée a été extraordinaire, puis je suis rentré chez moi. Ils m’ont même offert une casquette ! »

FULGURANT

La confiance en soi, la curiosité et le charme ingénu grâce auxquels le jeune homme de 18 ans a visité l’usine lui ont valu par la suite de gagner une équipe de fidèles chez Red Bull Racing et des millions de fans à travers le monde. Cette formidable confiance, l’Allemand l’a acquise à bord d’un kart.

« Red Bull venait de créer son équipe junior. Red Bull Allemagne me sponsorisait et je pense qu’ils se sont dit : “Oh, il y

a ce gamin qui fait du karting… il pourrait rejoindre l’équipe.” J’ai rencontré Helmut [Marko] sur le circuit de Spielberg. Il ne me connaissait pas et m’a demandé si je faisais du karting. J’ai acquiescé. Et comme j’étais vraiment jeune, il a ajouté : “Donc maintenant, tu devrais commencer la compétition internationale.” Je lui ai alors répondu : “Ouais, j’ai remporté le championnat européen l’an dernier.” Il m’a regardé et je pense que tout s’est mis en place après ça. »

L’ascension du champion précoce de karting vers la F1 a été fulgurante. Les débuts de Sebastian Vettel en monoplace ont eu lieu en 2003. Avec 18 victoires au compteur en 20 courses, il a largement

dominé le Championnat de Formule BMW ADAC 2004. Il a découvert la F3 l’année suivante et il est devenu vice-champion d’Europe en 2006. Après un passage par les Formula Renault 3.5 Series, véritable tremplin vers la F1, Sebastian Vettel a fait ses débuts dans la discipline reine pendant le Grand Prix des États-Unis de 2007. Il remplaçait le pilote BMW Sauber Robert Kubica qui avait dû déclarer forfait à la suite d’un grave accident survenu la semaine précédente à Montréal.

En grappillant quelques points pendant sa première course, Sebastian Vettel a décroché une place permanente chez Toro Rosso dès le GP de Hongrie,

DAVID COULTHARD

72 courses, 4 saisons et 2 podiums dont le tout premier pour Red Bull Racing.

Ça t’a fait quel effet de décrocher le premier podium de Red Bull Racing à Monaco en 2006  ?

Je suis toujours un peu déçu quand je ne finis pas premier. (Coulthard a fini troisième, ndlr.)

As-tu l’impression de toujours faire partie de l’équipe Oracle Red Bull Racing  ?

Le GP de Monza, en Italie, avec sa foule à 2000 %, est spécial. Ce 8 septembre 2013, le pilote le plus rapide, Sebastian Vettel, est en route vers le titre avec cette sixième victoire, et savoure sa vue mer - de tifosi.

Sebastian Vettel en pleine action au Grand Prix de Monaco à Monte-Carlo le 25 mai 2014. La course s’est révélée décevante pour le champion du monde de F1 en titre : des problèmes de turbocompresseur l’ont forcé à abandonner après seulement cinq tours.

Je fais partie de ces éternels insatisfaits qui font la gueule même quand ils gagnent, d’ailleurs je n’ai jamais mis 20 sur 20 à aucune de mes performances. Pour moi, ce sont juste de nouvelles étapes franchies, c’est un peu une métaphore de la manière dont je fonctionne. Donc ce jour-là, je n’étais pas aussi euphorique que les autres. Je me souviens que Christian Horner s’est jeté dans la piscine du camp de Red Bull Energy. Après, forcément, ça reste quand même un très bon souvenir. J’étais très heureux de monter sur le podium et de partager ces moments de joie avec l’équipe.

Pendant quatre ans, je me suis donné corps et âme à l’équipe. Ensuite, j’ai réalisé que j’avais fait mon temps, que le plus gros de mon talent était derrière moi, et que Seb [Vettel, qui a pris sa relève en 2009] avait un potentiel énorme. Donc la transition s’est faite en douceur et je suis devenu conseiller et ambassadeur de Red Bull. J’observe l’équipe à distance sans m’impliquer dans toute la partie opérationnelle et je suis bien entendu très fier de leur succès. Je me souviens de nos meetings avec Mateschitz en Autriche, quand je lui disais quelle était, selon moi, la meilleure direction à prendre. On était quelques-uns à se donner vraiment à fond, ça nous a permis d’influencer certaines décisions et de débloquer pas mal d’investissements. Depuis, je me suis réorienté vers la télé et d’autres projets, mais j’ai toujours l’impression de faire partie de cette grande aventure qu’est Red Bull Racing.

MARK WEBBER

129 courses, 9 victoires, 41 podiums, 13 pole positions et 19 tours les plus rapides

À propos du premier titre mondial des constructeurs qu’il a offert à Red Bull Racing avec Sebastien Vettel en 2010. «  Pour les pilotes, le championnat des constructeurs est bien sûr un fleuron, mais le championnat des pilotes est un truc énorme pour nous. C’est une chose magnifique que d’avoir le premier garage l’année suivante [la voie des stands de F1 s’aligne généralement dans l’ordre du championnat des constructeurs de l’année précédente] et que toute l’équipe ait le mérite de cette réussite. Gagner le championnat des constructeurs signifie que beau-

succédant ainsi à l’Américain Scott Speed. Mais s’il a réalisé des progrès constants au fil des courses, Sebastian Vettel a failli tout perdre lors du GP du Japon. Tandis que la voiture de sécurité neutralisait la course sous la pluie, il s’est déconcentré et a percuté l’arrière de la monoplace de Mark Webber, signant leur abandon à tous les deux. Mark Webber, en lice pour la victoire, était fou de rage : « Les gosses, je vous jure… Ils n’ont pas assez d’expérience. Vous faites du bon travail et ils fichent tout en l’air. »

coup de choses ont été bien faites. C’était notre première victoire et donc la plus spéciale. C’était formidable pour Dietrich et la vision qu’il avait, et la confiance qu’il a insufflée à l’équipe a été énorme. Dans les années qui ont suivi, nous ne nous sommes pas reposés sur nos lauriers, et les résultats ne nous sont jamais montés à la tête – mais nous savions ce qui était possible.  »

Mais Sebastian Vettel ne s’est pas laissé décourager. « C’était vraiment une grosse course, mais je ne pensais pas avoir tout fait capoter, rembobine-t-il. J’étais vraiment désolé pour Mark – car cette erreur était de mon fait – et pour l’équipe. J’étais déçu de moi-même, abattu… submergé par mes émotions. Le lendemain, je suis rentré à Tokyo. J’ai écouté la même chanson en boucle pendant tout le trajet en bus : Achilles Heel par Toploader. Parfois, quand on écoute la même chose encore et encore, cela nous aide à digérer. Cependant, le souvenir est encore vif. Dès que j’entends cette chanson, je me retrouve au Japon. »

Le gain de quelques points à la fin de la campagne – notamment grâce à une quatrième place en Chine la semaine suivant la débâcle japonaise – a apporté un peu d’éclat à la première saison du pilote allemand. Puis en 2008, Sebastian Vettel a renoué avec le succès, ce qui lui a permis de battre à plate couture son coéquipier Sébastien Bourdais et, surtout, de remporter sa première victoire chez Toro Rosso en s’accommodant d’une pluie torrentielle à Monza. Au cours d’un seul week-end spectaculaire, il est devenu le plus jeune pilote à décrocher la pole position en F1 et le plus jeune vainqueur d’un Grand Prix.

Qui d’autre que Sebastian Vettel pouvait succéder à David Coulthard après ses adieux à la compétition en fin d’année ?

« Je n’avais aucune crainte – après tout, [chez Toro Rosso] on a battu Red Bull

en 2008. Mais alors, devais-je accepter ?, sourit-il. Plus sérieusement, c’était bien sûr la stratégie à adopter. Il n’y avait pas à se poser de questions. Avec Toro Rosso, on a appris à s’adapter à ce que l’on avait. À l’époque, on avait une voiture et une plateforme similaires, et on était limités par ce que les ingénieurs de Toro Rosso étaient enclins à réaliser. Chez Red Bull Racing, on nous demandait ce qu’on voulait. C’était ce que je recherchais. » Les résultats ont été incroyables. Bien que l’écurie Red Bull Racing ait été handicapée par l’arrivée du double diffuseur controversé qui a permis à Jenson Button, chez Brawn, de dominer facilement le début de la saison, Sebastian Vettel a peu à peu tiré son épingle du jeu.

À L’INSTINCT

Après des débuts difficiles en Australie et en Malaisie, où il a été contraint à l’abandon, la nouvelle recrue Red Bull Racing s’est hissée en Chine à un niveau qui n’avait pas été atteint depuis longtemps. Faisant fi d’un problème d’arbre de transmission, il a décroché la première pole position de l’équipe : « J’ai pu boucler un tour pour les essais Q1, Q2 et Q3. Pas plus. C’était juste ce qu’il me fallait. » Puis le dimanche, il a su mener son coéquipier Mark Webber jusqu’au drapeau, offrant à l’équipe sa première victoire et son premier doublé.

À Silverstone, lorsque l’équipe a amélioré son double diffuseur, Sebastian Vettel est devenu intouchable. Il a devancé Mark Webber de 15 secondes et le troisième de la course, Rubens Barrichello sur Brawn, de plus de 40 secondes. Le pilote allemand a une nouvelle fois gagné au Japon et terminé la saison sur une victoire à Abu Dhabi. Il exultait. Le garage commençait à faire des étincelles et quelque chose de beau se préparait chez Red Bull Racing.

« J’adorais être là, affirme Sebastian Vettel. C’était le seul endroit qui me plaisait pendant cette période de ma vie. Il y avait une telle effervescence. Idem pour les mécaniciens et les ingénieurs. Tout ce dont on parle… Ça arrivait bel et bien. »

«  J’adorais la course… mais cela ne définissait pas qui j’étais.  »

S’était-il retrouvé, en véritable catalyseur du changement, à la tête du combat qui les attendait ? « On pourrait dire que mon bonheur était contagieux, mais c’était la même chose de l’autre côté, soutient-il. Voilà ce dont je me souviens. Je ne me demandais pas comment agir ou mener. J’avais juste le sentiment de faire partie d’une équipe. Je connaissais mon boulot et je l’adorais, mais je n’y réfléchissais pas trop. Tout se faisait à l’instinct. »

« Vous savez, poursuit-il, je suis toujours en contact avec mon ancien entraîneur, Tommi [Pärmäkoski], et on plaisante souvent sur le fait que nous ignorions à quel point on était bons. On n’y pensait pas. On a juste continué notre petit bonhomme de chemin. Je crois que, dès qu’on commence à y penser, les problèmes arrivent. »

SEULEMENT UN PILOTE

Il n’était plus possible d’arrêter la machine. En 2010, Sebastian Vettel et Mark Webber se sont tous deux lancés dans la course au titre face au double champion Fernando Alonso et au champion de 2008, Lewis Hamilton. Mais, à la surprise générale, c’est le gamin qui a gagné : Sebastian Vettel a en effet remporté son premier titre mondial à l’issue d’un affrontement très émouvant à Abu Dhabi.

Pendant les années qui ont suivi, les progrès de la voiture et du pilote ont transformé cette courte victoire en un premier pas vers la gloire, particulièrement en 2011 et 2013. À 26 ans, Sebastian Vettel était l’un des cinq pilotes à détenir au moins quatre titres mondiaux. C’était une légende et une machine à battre les records, en même temps adulé par ses fans et haï par ses adversaires. Pour de nombreux pilotes, ce statut de superstar commence à peser lourd. Les exigences se multiplient aux dépens de la liberté. Les intrusions s’intensifient aux dépens de la vie privée. Cependant,

«  Je ne réfléchissais pas trop à mon boulot. Tout se faisait à l’instinct.  »

Sebastian Vettel est clair : à l’époque, ces contrariétés ont rarement entaché sa vie de sportif.

« Le reste ne m’a jamais vraiment atteint, confirme-t-il. Je me sentais pilote, je n’ai jamais eu l’impression d’être plus que ça. Mon métier n’était pas plus important qu’un autre. Bien sûr, lorsque la voiture est sur le circuit, je suis seul avec moi-même et tout repose entre mes mains. Mais en dehors de ces moments-là, je n’ai jamais eu l’impression d’être meilleur qu’un autre. Le star-system ne me faisait ni chaud ni froid. »

« Vous pouvez choisir la manière dont vous souhaitez réagir, observe-t-il. Et vous pouvez mettre un terme à une bonne partie de ces désagréments par votre comportement, vos réponses ou vos silences, la création ou non d’un mythe

autour de votre personne, ou d’une sorte de bulle. Si vous créez ce mythe ou cette bulle, il sera peut-être plus difficile de redescendre. Naturellement, les gens manifestaient davantage leur intérêt, mais je n’en avais rien à faire. L’équipe marketing avait de nombreux projets pour moi. Or, je n’avais pas envie que mon visage et mon nom se retrouvent sur certains produits. Je n’étais qu’un pilote, après tout… Et même, ce n’était pas vraiment moi au fond. C’était ce que je faisais et ce que j’aimais, mais pas qui j’étais. » Chez Sebastian Vettel, ce rejet de la célébrité s’est accompagné d’une prise de conscience de soi et de la vie en dehors du paddock. En 2024, sa vision plus large du monde s’est concrétisée par un activisme environnemental assumé dont on voyait déjà les premiers signes en 2011.

LES YEUX OUVERTS

Après avoir remporté le premier Grand Prix d’Inde, Sebastian Vettel a été interrogé sur son expérience dans le pays. Le vainqueur de 24 ans ne s’est pas contenté d’un simple clin d’œil aux fans et aux organisateurs. « Si vous gardez les yeux ouverts, vous découvrirez beaucoup de choses qui éclaireront de nouveaux horizons, a-t-il confié. Cela vous ouvre les yeux, tant que vous vous autorisez à regarder. »

Avec le recul, Sebastian Vettel pense que cette expérience s’intègre dans sa prise de conscience globale. « Je suis si heureux d’avoir fait ce voyage, se réjouit-il. Il m’a fallu cinq heures pour arriver au Taj Mahal en voiture. Pas de problème. La vue était jolie, mais c’est le voyage en voiture qui m’en a mis plein les yeux. J’étais déboussolé, car je voyais énormément de pauvreté, ou au moins ce que l’Occident considère comme de la pauvreté. Mais les gens n’avaient pas l’air triste. Nous avons tant de choses, et pourtant il y a tellement de gens malheureux. Eux ont si peu, mais il me semble en tout cas qu’ils avaient de la joie. Dès lors, je me suis toujours assuré de regarder ce qui se passait autour de moi. »

Tandis que Sebastian Vettel commençait à se pencher sur des questions qui n’avaient rien à voir avec la course automobile, les problèmes de Red Bull Racing sur l’asphalte ont rapidement distrait le champion. Après un quatrième titre remporté haut la main avec un nombre record de neuf victoires d’affilée entre la pause estivale et la fin de la saison, on aurait pu croire que le bonheur de Sebastian Vettel ne serait pas près de s’arrêter. Mais dans ce qui s’est avéré une intersaison bien trop courte, la machine

Après avoir obtenu la première pole position chez Red Bull Racing, Sebastian Vettel remporte la première victoire historique de l’équipe avec sa RB5 sur le circuit international de Shanghai du GP de Chine le 19 avril 2009.

Sebastian Vettel savoure sa victoire en parc fermé au Grand Prix de Singapour après être resté en pole position sur le circuit urbain de Marina Bay Street le 25 septembre 2011. Cette victoire lui a permis de devancer son rival, Jenson Button (McLaren) de 124 points au Championnat du monde des pilotes.

a stoppé net. Les moteurs V8 simples à aspiration normale ont laissé leur place à des groupes propulseurs turbo 1,6 litre d’une complexité infernale, qui ont poussé les capacités technologiques des constructeurs de moteurs sportifs, tels que Renault, jusqu’au point de rupture.

Lors des premiers tests effectués à Jerez, des problèmes de surchauffe ont fréquemment mis la RB10 à l’arrêt et ont débouché sur la solution un peu loufoque de fabriquer un conduit de refroidissement de fortune à partir du tuyau d’un aspirateur Henry utilisé pour nettoyer le garage.

Sebastian Vettel, à la fois abasourdi et consterné, s’est planqué dans l’espace réservé à l’équipe pendant la majeure partie de ces quatre jours de tests. Et il n’est pas resté très longtemps sur la piste. Pendant les premiers jours, il a bouclé seulement quatorze tours.

« C’était bizarre, se souvient-il. À l’évidence, nous avions encore en tête la réussite exceptionnelle des années précédentes. Puis pendant l’hiver, j’ai vécu l’un des plus beaux jours de ma vie avec la

naissance de ma fille. Je me suis ensuite rendu aux tests et je me suis demandé ce que c’était tout ça et à quoi servaient ces règlements à la con. Je ne les comprenais pas. J’ai appelé Bernie [Ecclestone] pour lui dire : “Bernie, ils vont détruire tout ce que tu as construit.” C’était si étrange. Évidemment, une équipe avait tout compris et les autres étaient à la ramasse. »

Grâce à un travail acharné en usine, les principaux problèmes ont été corrigés. Lors du Grand Prix d’Australie, la nouvelle recrue Daniel Ricciardo a ainsi pu terminer sur le podium, mais il a été disqualifié quelques heures plus tard en raison d’irrégularités concernant le débit de carburant de sa voiture.

« Les résultats de Daniel étaient super, révèle Sebastian Vettel, alors quand on est arrivés pour la deuxième course de la saison en Malaisie, j’étais vraiment dans un excellent état d’esprit. Je n’avais juste pas réalisé qu’on était trop en retard sur le moteur. On a seulement fini à la troisième place. J’étais derrière [Nico] Rosberg et je pouvais sentir qu’ils étaient plus rapides sur les lignes droites, mais qu’on se rattrapait sur les virages. Lors de la réunion qui a suivi, j’ai soutenu que j’allais y arriver. On était encore enthousiasmés par les années précédentes. Mais les résultats n’étaient clairement pas là. J’avais des attentes très différentes de celles de Daniel, reconnaît Sebastian Vettel. Pour lui, être sur le podium ou bien finir cinquième, c’était déjà génial. Et je

DANIEL RICCIARDO

100 courses, 7 victoires, 29 podiums, 3 pole positions et 13 meilleurs tours

Après ton entrée à l’académie des jeunes pilotes de Red Bull Racing et ta réputation de talent prometteur, as-tu ressenti une certaine pression, notamment dans tes relations avec Helmut Marko, le conseiller de l’écurie   ?

C’est sûr que j’ai subi beaucoup de pression de la part d’Helmut, mais j’ai toujours su transformer les situations négatives ou pesantes en quelque chose d’aérien et de positif. Je me disais constamment  : «  Si je ressens une telle pression, c’est que ce type croit en moi. Je pense qu’il veut que je réussisse, donc allez, on s’y met.  » Je ne me disais pas  : «  Ce mec veut que je dégage.  »

Dans l’ensemble, comment s’est passée ta transition vers la Formule 1  ?

Même si c’était un peu angoissant, c’est venu assez naturellement, finalement. En F1, pour sortir du lot, il faut soit enchaîner les victoires, soit être un leader. Donc on baigne déjà dans cet état d’esprit. Ensuite, et je dis ça sans la moindre arrogance, il arrive un moment où l’on se dit  : «  C’est probablement ma voie.  »

Toutes ces années où ma mère me disait  : «  Tu es spécial  », elle avait peut-être raison. Peut-être que j’ai vraiment un talent incroyable, je ne sais pas. Donc, oui, c’est assez bizarre. Il y a cet aspect familier, mais c’est quand même un sacré choc parce qu’on n’est plus avec des juniors. Fini les débutants, les gamins de 16 ou 17 ans  ; on est dans la cour des

grands, avec Alonso, Schumacher et Vettel. C’est tout un processus, mais disons qu’à un moment donné, je me suis dit  : «  Peut-être que tu fais partie de ce groupe.  » J’ai commencé à humaniser ces types que je voyais comme des idoles.

Ton baptême du feu a lieu en 2014 quand tu passes de la Scuderia Toro Rosso (l’équipe junior de Red Bull), à Red Bull Racing, ce qui t’amène à piloter aux côtés de Sebastian Vettel (voir p. 28). Que penses-tu de cette saison  ? Oui, c’était LA grande année. Définitivement l’une de mes meilleures, voire ma meilleure saison en F1, et pas seulement au niveau des résultats. Je pense que c’est le moment où les gens ont commencé à me respecter, même ceux qui ne croyaient pas encore en moi à 100  %. Beaucoup savaient que j’étais rapide, mais à mon avis, ils pensaient qu’il me manquait ce petit truc en plus pour courir en tête, pour devenir leader. C’est comme si on m’avait déjà catalogué, tout le monde pensait que je n’étais pas assez coriace. Au cours de l’avant-saison 2014, j’ai fait une sorte d’auto-

thérapie en m’imaginant des duels avec Fernando Alonso et tous ces coureurs réputés pour leur poigne et leur agressivité. Je voulais m’affirmer par rapport à eux, me faire un nom. J’étais déterminé à démarrer la saison avec une nouvelle attitude, parce que personne ne s’attendait à ce que je batte Seb. Certains pensaient probablement que je ne méritais pas ma place, alors je me suis dit  : «  Il faut que je donne le ton dès le départ.  » Plus simple à dire qu’à faire  !

Ta carrière auraitelle été différente si tu n’avais pas eu un pilote nommé Max comme coéquipier  ? Il n’y avait que moi qui savais, quand Max est arrivé, que les choses allaient se compliquer. Mais le sentiment dominant était plutôt  : «  Incroyable. Ce gamin vient d’une autre planète.  » Donc, chaque fois que je faisais un bon résultat contre Max, c’était du bonus  : ça m’a aidé à forger mon caractère, à devenir encore meilleur et ainsi de suite. Je ne me le serais pas imaginé autrement. Les trois années où on a couru ensemble sont trois grandes années de rivalité intense avec des écarts vraiment minimes entre nous.

Sebastian Vettel franchit la ligne d’arrivée devant son coéquipier Mark Webber lors du Grand Prix d’Abu Dhabi, sur le circuit Yas Marina, le 1er novembre 2009. Red Bull Racing a ainsi décroché pour la quatrième fois cette saison les première et deuxième places sur le podium.

«  Je me suis énormément amusé chez
Red Bull. C’est à cet âge-là que je suis devenu adulte.  »

comprends tout à fait, car je suis passé par là lors de mes débuts avec l’équipe. Mais je n’attendais plus les mêmes choses, et il devenait indéniable que la situation n’allait pas s’améliorer. Adrian [Newey] avait perdu sa joie de vivre. Ce fut une décision très difficile à prendre, mais il fallait tourner la page et passer à la suite. »

DÉFINITIF

Le Grand Prix du Japon a marqué la fin de l’aventure. Juste avant le week-end de course, Sebastian Vettel a annoncé qu’il rejoignait Ferrari. Red Bull Racing a rapidement déclaré que le jeune pilote Toro Rosso Daniil Kvyat remplacerait le quadruple champion du monde. Il n’y a pas eu de récriminations mais, étrange-

ment, peu de bons souvenirs ont été évoqués. La rupture était trop douloureuse. « Cela m’a vraiment brisé le cœur, avoue aujourd’hui Sebastian Vettel. Je voulais clarifier les choses. Mais on m’a expliqué que je ne devais pas parler de certains éléments du contrat, etc. Et cela semblait bizarre et peu naturel, car tout le monde savait que Fernando quittait Ferrari – c’était limpide. Je ne m’étais jamais retrouvé dans une telle situation. Ce n’était pas juste. Avec mon équipe, on avait vécu tellement de choses ensemble que j’aurais adoré en parler. Mais je ne l’ai pas fait. » Dix ans plus tard, alors qu’il ne se sent plus obligé de prêter allégeance à son équipe et que la Formule 1 est largement derrière lui, Sebastian Vettel peut enfin expliquer ce que ces six saisons spectaculaires ont représenté à ses yeux. « J’ai beaucoup appris, affirmet-il. Mais surtout, je me suis énormément amusé. C’est à cette période-là que je suis devenu adulte. »

Et son rêve, qui avait commencé sous la grisaille de Milton Keynes avec un semblant d’invitation et une casquette gratos, est devenu réalité. « Je me souviens qu’en 2010, après la grande fête et les interviews à Salzbourg, ainsi que la remise des trophées à Monaco, je suis rentré chez moi et j’ai posé la coupe sur la table de la cuisine, s’amuse-t-il. C’est à ce moment-là que j’ai compris que c’était définitif. Mon nom était gravé, personne ne pouvait l’enlever. C’était fou ! »

Trajectoire prodigieuse

Texte Justin Hynes
PORTRAIT

MAX VERSTAPPEN

Max Verstappen au volant de l’Oracle Red Bull Racing RB20 pendant les essais du Grand Prix d’Espagne au Circuit de Barcelona-Catalunya le 21 juin 2024 à Barcelone, Espagne.

Le chemin vers la gloire de Red Bull Racing a été tracé par toute une équipe et jalonné par de nombreux événements. Mais le Néerlandais est le véritable architecte de sa réussite. Voici comment, en l’espace d’une décennie dans cette écurie, il est sans doute devenu le pilote de F1 le plus complet…

Suzuka, Japon, 3 octobre 2014. À mi-chemin de la pit lane, la Toro Rosso du pilote français Jean-Éric Vergne doit regagner le stand. Alors qu’une nuée de mécaniciens et d’ingénieurs s’afaire dans la chaleur émanant de la monoplace qu’ils élèvent sur des vérins et branchent à des câbles gros comme le bras, un pilote inconnu sort de l’habitacle. Ce n’est pas Jean-Éric Vergne.

Pour ces essais, celui qui lui succédera en 2015 a pris le volant. C’est un petit génie qui est passé des podiums de kart à la Formule 1 en seulement deux ans. Un prodige qui a fêté ses 17 ans 3 jours auparavant et qui, après 22 tours bouclés sagement mais de plus en plus vite, est désormais le plus jeune pilote à participer à un événement de F1.

Max Verstappen ne semble pas intimidé pendant sa prise en main de la Formule 1 hybride. « Je ne saurais pas vous dire », répond-il quand on lui demande si le fait d’être attaché à un missile de 1 000 chevaux lancé sur l’un des circuits de F1 les plus célèbres et les plus techniques au monde était impressionnant. « Je n’étais pas nerveux. L’écart est plus grand entre le kart et la F3 qu’entre la F3 et la F1. En fn de compte, une monoplace reste une monoplace. »

Une décennie plus tard, en avril dernier, alors qu’il s’installe dans un coin de l’espace Oracle Red Bull Racing au sein du paddock de Suzuka, Max Verstappen repense à son parcours, depuis sa découverte de la Toro Rosso STR7 jusqu’à ses trois titres de champion du monde qui

font de lui le troisième pilote ayant remporté le plus de victoires – juste derrière

Lewis Hamilton et Michael Schumacher –, et à son avalanche de records, parmi lesquels le plus grand nombre de victoires en une saison (19), le plus grand nombre de victoires consécutives en une saison (10), et le plus grand nombre de points marqués en une saison (575).

« Ai-je changé ma façon de piloter ? C’est certain, afrme-t-il. La vitesse pure a toujours été là, mais on s’améliore, on trouve son équilibre. Tout est une question d’expérience. Pas seulement dans la course, mais aussi dans la vie en général et en tant que personne. À 17 ou 18 ans, j’étais probablement un peu plus bête et je prenais la vie moins au sérieux. C’est drôle de penser que je radote depuis 2017 ou 2018 : “Si vous me donnez une voiture capable de remporter le championnat, je le remporterai.” Mais quand on a

vraiment une voiture capable de remporter un championnat, notre état d’esprit change du tout au tout. On apprend à faire les choses diféremment. »

« Il est parfois plus difcile de s’imposer pendant certaines saisons. On se montre naturellement plus agressif, car on veut prendre davantage de risques pour arracher le podium, ajoute-t-il. Mais quand on se bat pour le titre de champion, on fait spontanément plus attention pour s’assurer de marquer des points chaque week-end. »

La capacité de Max Verstappen à transformer cette attitude ofensive en trophées a suscité l’intérêt dès ses premiers coups de volant dans le sport automobile. Alors que le jeune pilote enchaînait les victoires en karting, les équipes néerlandaises de Red Bull Racing ont communiqué ses résultats aux hautes instances, et notamment au célèbre conseiller Helmut Marko.

Le responsable senior de l’équipe junior Red Bull Racing a téléphoné à Jos, le père de Max Verstappen, et au manager de ce dernier, Raymond Vermeulen. « Mais ce n’était pas le bon moment, explique Helmut Marko. Il a fallu attendre l’arrivée de Max en F3 pour entamer des négociations sérieuses. »

Faisant f du passage habituel des pilotes de kart par la Formule 4 monoplace, Max Verstappen s’est retrouvé catapulté dans le championnat d’Europe de Formule 3 de la FIA, qui était peut-être à l’époque la pépinière de jeunes talents la plus compétitive au niveau international. Face à des talents plus expérimentés, tels qu’Esteban Ocon, futur pilote Alpine, et Antonio Giovinazzi, futur pilote de F1 Alfa Romeo et Ferrari, également vainqueur du Mans, Max Verstappen, âgé de 16 ans à peine, a fait une entrée retentissante, remportant la course de Hockenheim (Allemagne) et les trois courses de Spa-Francorchamps (Belgique). C’est le moment qu’a choisi Helmut Marko pour reprendre contact et organiser une rencontre.

« Nous avons discuté pendant une heure et demie, précise Helmut Marko. Généralement, les conversations avec les pilotes durent une petite demi-heure, mais nous avions beaucoup de choses à nous dire. Il était déjà très mûr pour son âge. Avec les autres pilotes, on parle uniquement de course automobile, mais Max possédait des connaissances très vastes. Par exemple, il savait tout ce qui se passait – notamment sur le plan fnancier –chez Jumbo, la grande chaîne de supermarchés qui le sponsorisait. C’était impressionnant. »

L’énergie de la victoire : Helmut Marko célèbre Max.
« Tout est une question d’expérience. Aussi dans la vie en général. »

L’Orange Arm – qui rassemble les fans les plus fidèles et démonstratifs de Max Verstappen – affiche son soutien avant le GP d’Autriche au Red Bull Ring de Spielberg, le 4 juillet 2021.

L’intelligence de Max Verstappen et sa vitesse pure incontestable ont convaincu Helmut Marko du potentiel de ce jeune homme. Mais pour être sûr à 100 %, Helmut Marko s’est rendu sur le circuit de Norisring (Allemagne), réputé pour son tracé complexe, afn d’assister sous la pluie à une course prometteuse du pilote. « Il a mis deux secondes à tout le monde et il maîtrisait sa voiture à la perfection, témoigne-t-il. Du jamais vu. Cela m’a suf. »

Sous les yeux du quadruple champion du monde Sebastian Vettel – la première belle découverte de Helmut Marko –, Red Bull Racing a présenté Max Verstappen comme son nouveau diamant brut lors du Grand Prix de Belgique de 2014. Le mois suivant, le Néerlandais participait aux essais du Grand Prix du Japon. Cinq mois plus tard, à l’occasion du Grand Prix d’Australie de 2015, il est ofciellement devenu le plus jeune pilote de F1.

L’impact de Helmut Marko sur Max Verstappen est notable dès les premières années. Ce dernier accueillait de la même manière les encouragements et les critiques du conseiller autrichien. Dix ans après les débuts d’une relation parfois tendue mais qui reste privilégiée – « Il a vraiment beaucoup d’humour » –, Max Verstappen considère toujours Helmut Marko comme l’un de ses conseillers les plus fables, aux côtés de son père et de son manager.

« Pour réussir dans ce domaine, il faut être entouré de personnes qui veulent le mieux pour vous, estime le pilote néerlandais. Par chance, mon père me soutient depuis le plus jeune âge, tout comme mon manager Raymond, qui fait pratiquement partie de la famille. Helmut occupe aussi une place très importante dans ma vie, souligne-t-il. Bien sûr, notre relation a évolué au fl du temps pour gagner en équilibre. C’est vraiment quelqu’un de sympa et bienveillant. Évidemment, il vaut mieux avoir de bons résultats, car l’entreprise repose sur les performances, au fond. Mais avec le temps, j’ai pu découvrir une facette plus personnelle de Helmut. C’est devenu un ami proche. Forcément, on a traversé les joies et les peines ensemble, confe-t-il. Surtout au début de ma carrière, quand j’avais encore beaucoup à apprendre. Il a fallu que je tire les leçons de mes erreurs. Et certaines discussions n’ont pas toujours été faciles. Mais j’aimais beaucoup – et j’aime toujours – sa franchise. Je suis tout aussi direct. Il n’y a pas de blabla avec lui. Absolument pas. Et ça me plaît. »

Helmut Marko a afché son approche claire et réféchie un an après les débuts de Max Verstappen. Daniil Kvyat, parachuté dans le baquet laissé vacant par Sebastian Vettel en fn d’année 2014, n’était pas à la fête. Au Grand Prix de Chine, le Russe avait musclé sa conduite pour atteindre le podium et s’était déjà montré trop agressif aux yeux de Sebastian Vettel, qui avait été écarté de la piste par le pilote Red Bull au premier virage. Et quand Daniil Kvyat a piloté à domicile pendant le Grand Prix de Russie, à Sotchi, Sebastian Vettel est sorti de ses gonds, car le Russe l’avait percuté « en [lui] arrivant dessus comme un boulet de canon ».

La pression est alors montée d’un cran. Le camp de Max Verstappen y a mis son

« Max, c’était du jamais vu.
Cela m’a suffi. »
Helmut Marko

grain de sel et le verdict est tombé. Helmut Marko et Christian Horner, directeur de l’équipe Red Bull Racing, ont vite réagi : dix jours avant le Grand Prix d’Espagne, Daniil Kvyat et Max Verstappen ont échangé leurs places. Lorsqu’il évoque l’arrivée de Max Verstappen, Christian Horner se souvient : « Il n’y avait aucune inquiétude. Nous savions qu’il était prêt. À Barcelone, il a simplement sauté dans la voiture et s’est calé sur la cadence de Daniel Ricciardo. »

Daniel Ricciardo, vainqueur de plusieurs courses pendant sa troisième saison avec Red Bull Racing, et leader de facto de l’équipe, se rappelle bien l’impact immédiat du jeune Max Verstappen. « Sa capacité à conduire vite était incontestable, et en plus, il ne semblait pas du tout impressionné, reconnaît Daniel Ricciardo. Il n’en avait littéralement rien à faire. On avait le sentiment qu’il se disait : “Okay, maintenant je suis dans une bonne voiture. Je vais me donner à fond et simplement enchaîner les tours.” J’ai immédiatement pensé que ce gamin avait quelque chose de spécial. Il n’était pas du tout

Pourchassé par Lewis Hamilton, pilote star de Mercedes, au GP de France de 2021.

10 ANS, 5 COURSES MARQUANTES

Parmi les dizaines de courses auxquelles Max a participé, il est difficile de choisir ses meilleures performances chez Red Bull Racing. Nous avons demandé au pilote néerlandais de nous parler de cinq victoires parmi ses favorites. Et ce ne sont pas celles auxquelles vous auriez pu vous attendre…

1/ GRAND PRIX

D’ESPAGNE – 2016

GRILLE : P1. COURSE : P1.

« Ma première victoire – impossible de surpasser ça ! »

À peine dix jours après être entré sur le circuit, Max Verstappen a ébahi tout le monde en se qualifiant à la quatrième place et en remportant la victoire, repoussant les attaques répétées du grand champion Ferrari Kimi Räikkönen à l’approche de la ligne d’arrivée.

« Au début de la course, nous avons eu de la chance que les deux Mercedes se percutent, mais il fallait en profiter pour prendre l’avantage, et c’est ce que nous avons fait. La fin de la course avec Kimi à mes trousses n’a pas été facile – mes pneus étaient presque morts. C’était stressant parce que je luttais pour décrocher mon premier podium et ma première victoire. J’étais très concentré. Et soudain, au dernier virage, j’ai réalisé que

j’allais gagner. Ma première victoire – impossible de surpasser ça ! C’était un sentiment incroyable, car l’équipe n’attendait rien de moi. »

2/ GRAND PRIX

D’ALLEMAGNE – 2019

GRILLE : P2. COURSE : P1. « Les conditions étaient très difficiles. C’était une question de survie. »

Des pluies torrentielles, les accidents de Lewis Hamilton avec Mercedes et de Charles Leclerc avec Ferrari, un atroce tête-à-queue de Sebastian Vettel dans la seconde Ferrari, six voitures de sécurité… Max Verstappen s’est malgré tout frayé un chemin vers la victoire, contre vents et marées. Après un départ très lent qui l’a fait chuter de la deuxième à la quatrième place, le pilote néerlandais a rapidement doublé l’Alfa Romeo de Kimi Räikkönen et a pris les monoplaces Mercedes pour cibles à travers ce chaos, se faufilant à l’avant lorsque les deux voitures ont

eu leur accident. « C’était une course compliquée : d’abord de fortes pluies, et puis il a fallu gérer nos pneus slick sur la piste qui avait séché, et ensuite la pluie est revenue. C’était une question de survie, et c’est ce que j’ai littéralement adoré dans cette course. On ne pouvait pas piloter comme d’habitude. Il ne fallait pas rouler trop vite pour ne pas bloquer les roues, sortir du circuit et se retrouver coincé. La victoire a eu une saveur très particulière ce jour-là. »

3/ GRAND PRIX DE FRANCE – 2021

GRILLE : P1. COURSE : P1. « Nous ne voulions pas patienter jusqu’à la fin de la course et nous contenter d’une deuxième ou d’une troisième place. »

Après avoir remporté une victoire sur les quatre premiers circuits de l’année 2021, Max Verstappen s’est lancé dans une sérieuse course au titre avec quatre victoires décrochées en cinq événements – et aucune de ses victoires n’a surpassé celle sur le circuit Paul Ricard. Dès le départ, il a gâché la pole position obtenue la veille en effectuant un premier virage trop large et en offrant ainsi la tête de la course à Lewis Hamilton. Tandis que la bataille stratégique faisait rage, l’écurie Red Bull s’est imposée face à Hamilton pendant le premier arrêt aux stands et a regagné la première place. Le pilote Mercedes a alors enjoint son équipe de lui permettre de ressortir devant Max au deuxième arrêt, mais une fois encore, il a été pris de court par le Néerlandais qui a été le premier à faire une halte. Lewis Hamilton a finalement choisi de ne pas rentrer au stand, mais grâce à ses pneus neufs, Verstappen a rattrapé le septuple champion avec une rapidité exceptionnelle. Il l’a dépassé pendant l’avant-dernier tour et a remporté une victoire magistrale.

Le premier d’une longue série : Max Verstappen face à son trophée après sa toute première victoire en F1 lors du Grand Prix d’Espagne de 2016.

« La stratégie que nous avons mise en place était tout simplement géniale. Nous devions prendre les choses en main, car nous n’aurions peut-être pas été capables de terminer la course en un seul arrêt. Alors nous nous sommes dit qu’il fallait se montrer agressif et tenter les deux arrêts, ce qui a fonctionné à la perfection. Nous ne voulions pas patienter jusqu’à la fin de la course et nous contenter d’une deuxième ou d’une troisième place, alors nous avons tenté le coup. Mercedes dominait le championnat depuis de nombreuses années, et c’était la première fois que nous étions si proches. Cette course a annoncé le début d’une réelle lutte pour le titre. »

4/ GRAND PRIX DE BELGIQUE - 2022 GRILLE : P14. COURSE : P1.

« J’aurais pu prendre le départ à la dernière place, on serait quand même montés sur la première marche du podium ! »

Confiante quant à la vitesse de sa RB18 et à la possibilité de réaliser des dépassements sur le circuit de Spa-Francorchamps, l’équipe a choisi de tester un nouveau groupe propulseur, quitte à écoper de pénalités sur la grille de départ. Max Verstappen, qui avait été le plus rapide aux qualifications avec six dixièmes d’avance, a donc hérité de la quatorzième place. Mais cela n’avait aucune importance : il s’est avéré inarrêtable. Après avoir remonté de six places pendant le premier tour, il a pris la tête de la course au bout du douzième tour. Max Verstappen a opté pour une stratégie à deux arrêts, ce qui lui a permis de devancer son coéquipier Sergio Pérez de 17,8 secondes. « Pendant cette course, la voiture était d’une qualité incroyable. J’aurais pu prendre le départ à la dernière place, on serait quand même montés sur la première marche du

podium ! J’ai même commencé avec des pneus tendres et je les ai fait durer plus longtemps que les autres pilotes qui étaient sur pneus médiums. C’est très rare de vivre ce genre de week-end. J’ai gagné en confiance grâce à la voiture. Je me suis senti extrêmement bien et j’étais sur mon circuit préféré. Tout était parfait. »

5/ GRAND PRIX

DU JAPON – 2023

GRILLE  : P1. COURSE  : P1. « Je me suis dit que j’allais montrer à tout le monde ce dont j’étais capable. J’étais ultramotivé. »

Qu’y a-t-il de plus intimidant que d’affronter Max Verstappen dans une voiture au top ?

L’affronter dans une voiture au top alors qu’il a quelque chose à prouver. Après un mauvais week-end à Singapour, où le pilote néerlandais s’est fait sortir au deuxième tour des qualifications et a terminé cinquième de la course, l’écurie Oracle Red Bull Racing s’est retrouvée dans le viseur de la FIA à cause de ses ailerons avant flexibles. Agacé par ces soupçons de manquement au règlement, Max Verstappen a répondu de la seule manière qu’il connaisse. Dès les premiers essais, il a largement distancé ses adversaires et il s’est emparé de la pole devant la McLaren d’Oscar Piastri pendant la journée de samedi, avec près de six dixièmes de seconde d’avance. Le lendemain, il a usé de sa vitesse pour dominer la course, battant Lando Norris et sa McLaren de près de 20 secondes. Point final. «  Après Singapour, où les gens mettaient en doute nos compétences à cause de nos ailerons flexibles, ultramotivé, je me suis dit que j’allais montrer à tout le monde ce dont j’étais capable. La voiture a survolé le circuit pendant ce GP et je pilotais incroyablement bien. Je souriais même au volant – ce qui est plutôt rare pendant des qualifications  !  »

«C’est Max. Il veut juste conduire… et flirter avec les limites.»

dépassé par la situation. C’est Max. Il veut juste conduire… et firter avec les limites. »

Cependant, avec une visite à l’usine, l’adaptation de son baquet et le travail de simulation qui se sont succédé quelques jours avant son arrivée à Barcelone, les attentes à l’égard de Max Verstappen n’étaient pas très élevées.

« Sur la grille de départ, Christian est venu me voir et m’a glissé : “Amuse-toi, ne te mets pas la pression, et essaie juste de marquer quelques points”, a raconté le Néerlandais lors de l’enregistrement du podcast Talking Bull cette année. C’était ma première course. Il voulait probablement me dire de ne pas m’en faire et de ne pas tenter le diable. »

Et ce fut la révélation. Après que les deux Mercedes en première ligne se sont mutuellement éliminées dès le départ, Max Verstappen a opté pour une meilleure stratégie que Daniel Ricciardo. Il a pris la tête, et vers la fn de la course, il a facilement tenu le champion du monde 2007 Kimi Räikkönen en échec et décroché une victoire à peine croyable, ce qui lui a valu de devenir le plus jeune vainqueur d’une course de F1.

Mais si Max Verstappen a vécu un réel conte de fées pendant ce premier weekend avec toute l’équipe, le reste de la saison et les deux campagnes suivantes ont été plus mornes. Freinés par la qualité moyenne du groupe propulseur, Red Bull Racing et Max Verstappen ont fait de leur mieux pour obtenir des résultats, dérobant la victoire lorsque les conditions de course le permettaient, et prenant leur mal en patience.

Les choses ont commencé à changer en 2019, lorsque le groupe propulseur Renault a été remplacé par un modèle Honda. Trois victoires ont été comptabilisées cette saison-là – y compris une première victoire pour Honda depuis treize ans, et une première victoire à domicile pour Red Bull Racing en Autriche –, suivies de deux victoires supplémentaires au cours de la campagne 2020 écourtée par

Max Verstappen célèbre sa cinquantième victoire en F1 après le Grand Prix des États-Unis sur le circuit des Amériques, à Austin (Texas), le 22 octobre 2023.

la pandémie. Mais il a fallu attendre l’année 2021 pour tenter d’ébranler l’hégémonie de Mercedes.

« En 2021, j’ai fnalement pu prouver qu’avec le bon matériel, je pouvais saisir ma chance, se souvient Max Verstappen. Mais chercher à décrocher le titre de champion du monde, c’est un tout autre état d’esprit. Vous devez vous focaliser sur cet objectif et faire votre apprentissage en cours de route… Ce n’est jamais si simple. »

La lutte a atteint son paroxysme lors de la course d’Abu Dhabi, décisive pour le classement fnal, et pendant laquelle l’arrivée tardive d’une voiture de sécurité a permis à Max Verstappen de dépasser Lewis Hamilton au dernier tour, et de ravir ainsi son premier titre de champion du monde. Cependant, la surcharge

« Avec Helmut Marko, il n’y a pas de blabla. » Max Verstappen

mentale liée à ce face-à-face avec Lewis Hamilton a imprégné toute la campagne, émaillée d’afrontements violents à Imola, Monza, Interlagos, Djeddah, et, bien sûr, marquée par l’accrochage de Silverstone qui a causé de sérieux dégâts du côté de Max Verstappen. Le Néerlandais en garde un très mauvais souvenir.

« Je n’aurais pas envie de revivre cette année-là, avoue Max Verstappen. Elle était… particulièrement chaotique. C’est très difcile de lutter pour un premier titre. Maintenant que j’en ai trois, je pense que ce serait dur de revivre cette première année de championnat… Mais quand on est en plein dedans, on fonce. On fait de son mieux et on se dit que ce qui doit arriver arrivera. Enfn, dans l’idéal, j’aimerais éviter de retraverser tout cela. »

« L’équipe en a aussi soufert, se remémore-t-il. Pendant plusieurs années, nous étions dans l’incapacité de prétendre au titre, et nous sommes soudain revenus dans la compétition. Il y avait une vraie soif de victoire. Tout le monde cherchait encore ses marques. Aujourd’hui, nous avons bien plus confance en nous. Nous avons grandi

en tant qu’équipe. Est-ce que j’aurais été plus rapide en 2021 avec l’expérience que j’ai acquise depuis ? Je ne pense pas que cela aurait changé grand-chose. »

Les tensions sur le circuit se sont accompagnées de joutes verbales en dehors, mais si la saison 2021 a connu son lot de traits d’esprit, Max Verstappen a rarement pris part à ces échanges, laissant aux autres le soin de multiplier les interventions dans la tempête médiatique qui frappait la course au titre.

Max Verstappen a toujours été fdèle à cette stratégie, et ce n’est pas près de changer. « Je ne tiens pas à perdre mon temps là-dessus, se moque-t-il. Je trouve cela totalement inutile. C’est sans doute dû au fait que, quand je rentre chez moi, je ne pense plus vraiment à la Formule 1. Cela vous semblera peut-être étrange, car la F1 représente une grande partie de ma vie, mais pour être honnête, cette façon de voir les choses m’aide beaucoup. Quand j’arrive pour le week-end de course, je suis pleinement concentré, mais quand je suis à la maison, je préfère penser à d’autres choses et m’occuper différemment. Je ne pense pas à la F1 pour m’endormir, et je ne me brosse pas les dents le matin en y pensant non plus. »

L’irruption de Max Verstappen au plus haut niveau a coïncidé avec la fn d’une ère technologique. En efet, une toute nouvelle génération de Formule 1 a émergé dès 2022. Oracle Red Bull Racing est l’écurie qui a le mieux exploité le potentiel des récentes réglementations – et le pilote néerlandais a su tirer parti de tous leurs avantages en termes de performances.

Ses quinze victoires sans appel en 2022 lui ont ofert un deuxième titre, à 146 points de son plus proche rival, le pilote Ferrari Charles Leclerc. Et, grâce au développement de la RB19 l’année suivante, les équipes Oracle Red Bull Racing sont passées à la vitesse supérieure, dominant peu à peu la compétition jusqu’à un contrôle presque total du championnat en 2023, lorsque Max Verstappen a réalisé la meilleure saison de l’histoire de la F1, en remportant 19 des 22 courses et en manquant le podium une seule fois.

Mais le triple champion est clair : ce n’est pas parce qu’on remporte 34 courses sur 44 en l’espace de deux saisons que la victoire perd de son attrait. « La victoire ne devient pas ennuyeuse… Ce qui est ennuyeux, c’est de ne pas gagner, intervient Max Verstappen avec emphase. Ce que je préfère, c’est gagner et essayer de rester au top. C’est le plus difcile. »

Le pilote néerlandais passe la ligne d’arrivée lors du Grand Prix d’Autriche sur le circuit de Spielberg, le 30 juin 2019.

« Je n’ai pas besoin de faire le show. Ce n’est pas moi. »

15 mai 2016. Max Verstappen vient de remporter, à 18 ans 7 mois et 15 jours, son premier Grand Prix. Depuis ses débuts en F1 quatorze mois plus tôt pour Toro Rosso, il a prouvé qu’il était rapide, combatif et controversé, comme tous les grands pilotes de F1 avant lui.

Toutefois, il conçoit que les spectateurs aient l’impression d’une routine lorsqu’il monte sur la plus haute marche du podium. « Certaines victoires touchent plus que d’autres. Et c’est bien normal, observe Max Verstappen. Mais en général, je ne montre pas beaucoup mes émotions quand je gagne. Parce que je suis là pour ça. Le week-end, je viens pour gagner, ce qui dépend beaucoup des conditions de course. Quand toutes les conditions sont réunies, je veux juste cocher ma to-do list et passer à la suite. »

« Quand on remporte un championnat, poursuit le pilote néerlandais, l’émotion est plus palpable, mais en ce qui concerne la plupart des victoires… Je ne sais pas, chacun est diférent dans sa façon d’exprimer son ressenti. Je suis heureux, mais je n’ai pas besoin de le crier au monde entier. Je suis heureux pour mon entourage et je suis content d’avoir répondu aux attentes. C’est ce qui compte. Je n’ai pas besoin de faire le show, de sauter partout ou de courir avec un drapeau. Ce n’est pas moi. »

La quête de simplicité de Max Verstappen dans l’analyse de son succès constitue le fl conducteur de sa vision du métier. Respectant de manière presque fanatique les avis sans détour de Helmut Marko et s’eforçant de ne pas gaspiller son énergie (émotionnelle, mentale ou physique), Max Verstappen s’engage à démystifer

« J’adore la F1, jusqu’à un certain point. »

Max Verstappen

l’art de la Formule 1 et à en faire ressortir la substantifque moelle.

« Je n’ai pas de méthode particulière, assure-t-il. J’ai un calendrier. Mais en dehors de ça, je prends du temps pour moi. Rien de très palpitant. Je n’ai pas de réelle structure, mais je sais ce que j’ai à faire. Et si un imprévu survient, je le gère. Je n’y pense pas trop, confesse-t-il. Je fais juste mon boulot et je passe à autre chose. Il n’y a rien de bien sorcier. Et ça a fonctionné pendant toute ma vie. Il n’y a que la voiture qui roule un peu plus vite que celle de mes 7 ans ! »

Le petit prodige qui faisait déjà des merveilles à 7 ans sur les circuits de kart soufera ses 27 bougies en septembre prochain. Il a consacré toute sa vie aux sports automobiles, et plus d’un tiers de son existence à la seule F1. S’amuse-t-il toujours autant ? « D’une certaine façon, oui, mais parfois non, glisset-il. Depuis quelque temps, les réseaux

sociaux ont envahi le sport. C’est la partie la moins amusante du métier. Je préfère largement me pointer sur le circuit, conduire ma voiture et travailler avec les ingénieurs. C’est ce qui me plaît le plus. Disons que le monde virtuel de la F1 est le moins agréable, le moins fun. »

« Mais je sais aussi que je ne vais pas piloter toute ma vie, prévient-il. Alors j’en profte à fond et j’essaie d’être le plus compétitif possible tant que je veux rester dans la F1. Je suis bien conscient qu’un jour, je quitterai le circuit. Et ça me va. Je me serai bien amusé, j’aurai eu une belle carrière et j’aurai alors du temps pour faire d’autres choses. »

Max Verstappen est certain que cette prise de conscience lui simplife grandement la vie en Formule 1, car il ne craint pas de tout perdre.

« Je n’ai pas peur d’arrêter la compétition, renchérit-il. Beaucoup de gens sont tellement focalisés sur leur métier que lorsque vient le temps de s’arrêter, ils réalisent qu’ils n’ont jamais pensé à ce qu’ils feraient après. J’ai beaucoup d’idées et de projets. Je ne veux pas faire de courses jusqu’à mes 40 ans, sillonner le monde pour participer à 24 ou 25 événements par an et être loin de mes proches. Ce n’est pas ça qui compte. J’adore la F1, mais jusqu’à un certain point. Peu importe que vous ne remportiez aucun championnat, ou que vous en gagniez trois… ou huit. La vie [en dehors du sport] a pour moi bien plus de valeur : nous ne sommes pas éternels et je ne veux pas passer la moitié de mon existence à piloter une F1. »

Mais pour l’heure, hors de question qu’il arrête. L’attrait de la F1 est encore trop fort, bien qu’il n’ait pas d’autres trophées en ligne de mire.

« Qu’est-ce que j’aime toujours dans la F1 ? La réponse est simple : j’aime la compétition, sourit-il. En réalité, c’est bien plus que cela. J’aime toutes les personnes brillantes avec lesquelles je travaille. Cela me manquera beaucoup. Ce que je ferai après la Formule 1 ne sera jamais aussi exceptionnel – d’autant qu’avec la meilleure équipe qui soit, je suis aujourd’hui au sommet de la discipline. C’est ce qui me motive à revenir chaque week-end. » Clap de fn pour Max Verstappen. Dix ans après son premier week-end de F1, il entre dans le même espace Suzuka que le 3 octobre 2014, traverse à grands pas le paddock pour rejoindre son écurie, fameuse, Oracle Red Bull Racing, et se prépare une nouvelle fois à ressentir l’excitation de la compétition et à marquer les esprits. Par centaines de milliers, à travers toute la planète.

Max Verstappen en mode Texas, à Austin, le 23 octobre 2021, lors des essais du Grand Prix des États-Unis. Une course qu’il remportera.

Trésors

Red Bull Racing

nous a donné accès à ses archives, d’un genre très spécial  : chacun des outils de précision que vous allez découvrir a contribué à l’incroyable saga de l’écurie.

Les volants actuels sont beaucoup plus complexes que cet exemple de la RB1 - l’absence d’un grand écran central étant la différence la plus évidente. Cependant, bon nombre des éléments de base sont inchangés. Les poignées sont personnalisées pour chaque pilote ; les palettes sont incroyablement sensibles, et les boutons, cadrans et molettes permettent des milliers de réglages.

Photos Tim Kent

DÉTAILS

La RB4 marqua la fin d’un début : le laisser-faire aérodynamique vit des voitures ornées d’ailes exotiques, de spoilers et de cheminées. La voiture de Red Bull Racing montra parfois des éclairs d’excellence - un podium pour David Coulthard au Canada ; une place en première ligne pour Mark Webber à Silverstone -, mais la véritable gloire devra attendre 2009 et la page blanche d’une nouvelle ère aérodynamique.

Si la puissance en chevaux était la principale mesure de performance au début de l’ère hybride, Red Bull Racing continuait de briller par son expertise aérodynamique. La version à nez plus court de la RB11 fut introduite lors du Grand Prix d’Espagne 2015. Comme toujours, elle était au maximum de ses performances après avoir été soumise à pas moins de quatre crashtests d’homologation.

DÉTAILS

La plupart des grands pilotes conservent un design de casque distinctif tout au long de leur carrière, sauf Sebastian Vettel. Lorsqu’il performait chez Red Bull Racing, le pilote allemand préférait des designs uniques - parfois un hommage, d’autres fois une touche de fantaisie ; il en a même porté un qui s’illuminait à l’occasion d’une course de nuit. Malheureusement pour Seb, la FIA a finalement exigé que les pilotes s’en tiennent principalement à un seul design.

CASQUES DE VETTEL

LA COURONNE DE RED BULL RACING

Plus personne ne parle des boîtes de vitesses des voitures de F1, car elles sont très, très, très fiables. Lorsque Red Bull Racing a rejoint la F1, chaque voiture pouvait utiliser plusieurs boîtes de vitesses à chaque course. Aujourd’hui, une boîte de vitesses - boîtier, cassette, transmission et pièces de rechange - est une pièce réglementée, chaque voiture ayant droit à cinq jeux pour une saison de 24 courses.

En 2022, un nouvel ensemble de règles aérodynamiques a été introduit avec le retour des voitures à effet de sol pour la première fois depuis le début des années 1980. Des tunnels sous le plancher et un énorme diffuseur permettent aux voitures modernes de générer d’énormes quantités d’appuis, ce qui rend la plupart des virages les plus difficiles de la F1 faciles à négocier. Un progrès qui, bien entendu, appelle à la création d’une nouvelle génération de virages encore plus redoutables.

RB18  /  2022 AILERON AVANT

La refonte aérodynamique de 2022 a radicalement transformé le look des bolides. Au niveau de l’aileron avant, le cône qui générait le « vortex 750 », cet écart de 250 mm qui poussait l’air vers les déflecteurs pour une meilleure aérodynamique – mais qui créait aussi un sillage important – disparaît. Dès lors, les pilotes se rapprochent, et attaquent.

Vous êtes-vous déjà demandé de quoi parlent le pilote de la voiture médicale et son médecin en attendant d’être appelés à l’action ? Alan van der Merwe et le docteur Ian Roberts ont mis leur temps à profit et ont inventé les gants biométriques que tous les pilotes de F1 portent maintenant, lesquels sont équipés d’un capteur capable de mesurer l’oxymétrie de pouls. Les signaux transmis via une connexion Bluetooth industrielle d’une portée de 500 mètres permettent à l’équipe médicale de savoir si le pilote respire, une information cruciale à l’heure de décider d’un plan d’extraction en cas d’accident.

C’est sous une pluie torrentielle et un vent à décorner les bœufs que l’équipe du Red Bull Academy Programme attaque la piste du circuit de Zandvoort, aux Pays-Bas. Des conditions qui n’ont pas l’air de décourager les participantes de ce championnat entièrement féminin, destiné à bouleverser la nonmixité du sport automobile et à leur ouvrir les portes de la F 1.

Zandvoort est une jolie petite ville de la côte néerlandaise, connue pour ses immenses dunes de sable et pour le circuit automobile qu’elles abritent : un paysage de rêve quand le soleil brille, mais qui, lors de cette journée d’essais de la F1 Academy, se montre particulièrement inhospitalier, avec des rafales de vent et des averses continues. En dépit de cette météo désastreuse, les pilotes enchaînent courageusement les tours, s’affrontant sur le circuit détrempé de Zandvoort, situé non loin des côtes orageuses de la mer du Nord – un lieu mythique où le sport automobile, depuis longtemps dominé par les hommes, est en train de vivre une petite révolution en accueillant la F1 Academy – , un championnat de niveau F4 entièrement réservé aux femmes.

Le projet est conçu pour permettre aux jeunes femmes pilotes de continuer à concourir, en intervenant à une étape de leur carrière où nombre d’entre elles ont été contraintes d’abandonner les circuits, par manque de sponsors ou d’opportunités – mais non par manque de talent : l’idée est donc de relancer celles qui pourraient un jour arriver à intégrer la discipline reine, la Formule 1 – qui n’a pas vu de femme pilote depuis plus de quarante ans.

Pour cette saison 2024 de la F1 Academy, trois femmes pilotes sont en train de concourir pour l’écurie néerlandaise MP Motorsport : Emely de Heus et les deux sœurs Al Qubaisi, Amna et Hamda. Ces trois femmes de talent, qui ont signé pour le Red Bull Academy Programme, ont hérité de leurs pères la passion pour la course automobile. Malgré un soutien parental sans faille, les difficultés qu’ont

rencontrées De Heus et les sœurs Al Qubaisi pour bâtir une carrière dans le sport automobile ont été nombreuses – tant financièrement que socialement. Mais les trois femmes ont su s’accrocher pour rentrer à la F1 Academy. Retour au hangar MP à Zandvoort, après la course : les trois pilotes sont en pleine discussion avec leurs ingénieurs de course respectifs, examinant les temps de la journée et les enregistrements vidéo, afin de mieux cerner comment améliorer leurs performances. À l’extérieur, malgré la pluie, une brochette d’adolescents qui font le pied de grue à la sortie : ces fans sont là pour Emely de Heus, qui vient discuter avec eux et faire des selfies.

PAS POUR FAIRE JOLI

Pour celles et ceux qui sont à l’origine de la F1 Academy, dont l’objectif est de faire émerger la nouvelle génération de femmes pilotes de course, cette preuve d’une popularité croissante auprès des jeunes est quelque chose de très positif. Susie Wolff, directrice générale du projet, est elle-même une pionnière sur les circuits, avec notamment une carrière en tant que pilote de développement en F1 chez Williams, et plus récemment comme directrice de l’équipe Venturi Racing en Formule E. « Les obstacles financiers dans cette discipline sont

Speed sisters

F1 ACADEMY

AMNA AL QUBAISI

Pilote de course, Amna (24 ans), l’aînée des deux sœurs Al Qubaisi (voir pages suivantes), a une âme de pionnière : première femme émiratie à piloter en F3, première femme arabe à participer à des essais en Formule E, et première femme arabe à remporter une course en F4.

EMELY DE HEUS

Durant la saison qui a précédé son début en monoplace – elle est passée à la F4 espagnole en 2021 –, la jeune femme de 21 ans, originaire de Mijnsheerenland (Pays-Bas), avait remporté les championnats de karting Wintercup Senior dans son pays natal. « L’un des premiers objectifs de cette Academy, c’est de montrer des exemples à suivre. »

nombreux : en donnant à ces femmes et ces jeunes filles plus de visibilité, nous espérons les aider à progresser dans leur carrière, a-t-elle déclaré lors d’une interview sur le site officiel de la F1 avant le début de la saison 2024. Nous ne sommes pas là uniquement pour faire joli, mais pour agir concrètement sur le développement de leur carrière. »

Les fans de sport automobile auront sans doute un sentiment de déjà-vu, après le lancement en 2019 des W Series, le premier championnat de course réservé aux femmes. « Cela a permis de déconstruire ce cliché, en montrant des femmes qui occupaient les circuits et se tenaient sur les podiums, tous les week-ends : ces images ont eu un impact très fort », dit Hazel Southwell, journaliste spécialisée en sport automobile. Pourtant, en dépit d’une popularité croissante, les W Series ont été dissoutes après trois saisons, par manque de financements : une liquidation qui semblait sonner le glas du sport auto pour les femmes et qui fut un coup dur pour les pilotes concernées – dont Emely de Heus. La F1 Academy a donc été lancée en 2023 pour combler ce manque.

Après une première saison assez hétéroclite, celle de 2024 est véritablement ancrée dans le monde de la F1, puisque chacune des sept courses se déroulera le même week-end que les Grands Prix de F1 à Djeddah, Miami, Barcelone, Zandvoort, Singapour, au Qatar et à Abu Dhabi – et seront toutes diffusées en direct sur YouTube.

Mais le changement majeur réside dans le fait que désormais, toutes les grandes écuries de F1 ont intégré une femme dans leur programme de formation, ce qui veut dire que leurs couleurs apparaîtront sur les voitures de la F1 Academy pendant toute la saison 2024. Plus que toutes les autres écuries de F1, Red Bull sponsorise à elle seule trois équipes : un partenariat qui inclut des temps de simulation ainsi que des programmes de développement physique. Pour Amna Al Qubaisi, pilote Visa Cash App RB du programme Red Bull, la F1 Academy a été une véritable « bouée de secours », en intervenant au moment où elle avait quasiment tiré un trait définitif sur ses espoirs de carrière en sport auto. Inspirée par son père, qui concourait pour les Endurance et Porsche Supercup Series (et qui fut le premier pilote émirati à participer aux 24 Heures du Mans), l’adolescente se met au karting et remporte ses premiers succès aux Émirats arabes unis. Amna a été rejointe par sa sœur Hamda, et ensemble, les deux

Les deux sœurs ont la course dans le sang : Hamda (à g.) et Amna (dr.). Le duo Al Qubaisi s’entend à merveille avec leur collègue de MP Motorsport, Emely de Heus (au centre).

jeunes femmes sont devenues un phénomène médiatique en bouleversant l’image des femmes pilotes dans le monde arabe et au-delà.

« Honnêtement, je n’aurais jamais cru arriver jusque-là, admet la jeune femme de 24 ans. On m’a souvent dit que le sport automobile était fait pour les hommes, alors je suis ravie d’avoir réussi, avec ma sœur, à bousculer ces clichés. Je reçois souvent des messages de femmes qui me racontent que grâce à nous, leurs parents les soutiennent dans ce sport. Nous avons observé un grand changement ces dernières années, et il y a de plus en plus de filles dans les compétitions aux Émirats arabes unis

« Pour moi, les perfs de notre binôme sont comparables à celles de Max Verstappen. » Amna Al Qubaisi

– ce qui est une excellente nouvelle, car les courses locales ont un rôle crucial dans une carrière : chaque champion a été un débutant un jour. »

À

SA PLACE

Mais pour passer du statut d’amateur à celui de professionnel, l’argent est le nerf de la guerre : les coûts exorbitants liés à ce sport finissent par décourager de nombreux pilotes, même talentueux. C’est aussi ce qui explique qu’on a rarement des couples de frères et sœurs – comme Michael et Ralf Schumacher –qui réussissent à faire carrière ensemble : c’est tout simplement trop cher. Il y a quelques années, alors que les deux sœurs se partageaient un sponsor et que les financements diminuaient, Amna a fini par se résigner en laissant la place à sa petite sœur. « Je voulais donner sa chance à Hamda, car je sentais que j’avais déjà eu la mienne, explique Amna, qui a laissé tomber la F3 pour étudier à l’université. Les gens croient que nous roulons sur l’or parce que nous venons d’un certain milieu, mais c’est faux : nous avons travaillé très dur… pour finalement

devoir choisir laquelle d’entre nous aurait le droit de continuer. La F1 Academy est donc arrivée à point nommé, et je suis tellement heureuse qu’elle m’ait donné une seconde chance. »

En avril dernier, après presque deux ans d’absence, sa première compétition à la F1 Academy se solde par une victoire sur le Red Bull Ring, en Autriche. Depuis, Amna se considère comme le parfait complément de sa sœur : « Je suis très agressive et je dirais que j’ai davantage le courage de freiner très tard, alors qu’Hamda est une conductrice beaucoup plus douce. Dans certains virages, c’est elle qui est plus rapide que moi, tandis que dans d’autres, je suis plus rapide qu’elle. Pour moi, les performances de notre binôme sont comparables à celles de Max Verstappen. »

Leur lien de sororité s’est récemment étendu à Emely de Heus, qu’Amna appelle affectueusement « l’autre sœur ».

Alors que les autres écuries de la F1 Academy ont modifié leurs équipes pour 2024, MP Motorsport a gardé le même groupe pour le programme Red Bull Academy. Le courant semble passer parfaitement entre les trois femmes, qui se retrouvent non seulement sur la piste mais aussi sur leurs vidéos TikTok.

Lors de la première Red Bull Academy en 2023, De Heus et Amna ont chacune remporté de belles victoires, mais c’est Hamda qui s’est révélée être la surprise de

Toutes les grandes écuries de F1 ont intégré une femme dans leur programme de formation.

mais pour les femmes arabes, c’était encore plus improbable : aujourd’hui, je peux dire que j’ai vraiment trouvé la place qui me convient. »

COMME MAX OU LEWIS

la saison, terminant troisième du championnat avec quatre victoires et trois autres podiums – malgré une grave blessure au poignet avant le début de la saison. Son médecin lui avait prédit une convalescence de quatre mois – elle n’aura duré que six semaines. « Quand je me suis cassé le bras, j’ai cru que je pouvais dire adieu au sport auto », se souvient la jeune femme de 21 ans, qui fera cette saison 2024 dans le cadre du Red Bull Racing Pepe Jeans Academy Programme. « Revenir dans la compétition après cet accident m’a fait prendre conscience de l’importance que ce sport a pour moi. J’ai traversé des moments très durs, mais je me suis accrochée et ça a payé. » En créant la surprise en 2023, la jeune Émiratie a pu non seulement démontrer ses qualités de pilote, mais aussi laisser apprécier sa détermination : « Quand nous avons démarré, c’était déjà complètement anormal de voir des femmes dans ce sport,

Quand elles ne sont pas sur la piste, les pilotes se retrouvent dans le hangar de MP Motorsport pour s’entraîner avec Sarah Harrington, responsable du programme Red Bull Academy : étirements, exercices de réactivité ou de renforcement du cou… Si les trois pilotes suivaient déjà un programme physique avant d’être prises en charge par Red Bull, leur approche est désormais plus structurée et cohérente. « Le premier objectif que nous avons, c’est d’éduquer les pilotes, explique Harrington, une ancienne coureuse de 400 mètres. On est amenées à voyager énormément dans ce sport : il est donc primordial d’avoir une vraie discipline d’entraînement, qui ne risque pas d’avoir des répercussions négatives sur la course en épuisant les athlètes. » Harrington souligne qu’il n’y a aucune preuve que les femmes soient désavantagées physiquement par rapport aux hommes dans les sports motorisés – cela dit, un entraînement bien adapté peut considérablement aider à combler les écarts : « Les femmes sont tout à fait capables de répondre aux exigences physiques d’une course. Cependant, la force peut être un facteur limitant, donc il faut

Amna, la pilote Visa Cash App du Red Bull Academy Programme, pensait que sa carrière de course pro était terminée avant de rejoindre cette académie de F1 pour la saison 2023.

À 21 ans à peine, la jeune pilote émiratie est la première femme à s’être tenue sur un podium lors du championnat de F4 en Italie, avec une troisième place en 2021.

travailler dessus. Peu importe le talent d’un pilote, si vous n’avez pas la force de tenir votre nuque, votre vision sera altérée. Plus votre cou est solide et conditionné pour supporter ces pressions, plus vous serez performant. La F1 Academy offre évidemment la possibilité à ces femmes de concourir et de conduire, mais l’un des premiers aspects du projet est de créer des exemples inspirants : la façon dont elles conduisent, dont elles s’entraînent – ces filles sont de véritables athlètes de pointe. »

Si la F1 Academy peut offrir un entraînement de qualité, tant sur le plan physique que professionnel, elle a une influence limitée sur les perspectives de carrière des femmes qui y participent :

c’est pour cette raison qu’un autre volet du projet consiste à promouvoir le karting au niveau local chez les jeunes filles. En parallèle, les experts comme les pilotes interpellent les organisateurs des championnats de karting à faire quelque chose contre l’absence de filles dans cette discipline. Sans cette double synergie, les progrès réalisés par l’Academy risquent de se heurter de nouveau à la réalité – stagnante – du terrain.

Ancien pilote de McLaren et Red Bull, David Coulthard fait partie de ceux qui essaient d’explorer des voies nouvelles pour aider les jeunes talents dans le sport automobile : le pilote écossais, qui a remporté treize Grands Prix au cours de ses quatorze années de carrière en F1,

a longtemps soutenu les femmes dans ce domaine, avec notamment la création de More Than Equal, un projet qui s’efforce d’identifier et de soutenir les femmes au début de leur parcours.

« Celles qui ont du talent recevront le même traitement que Max [Verstappen] ou Lewis [Hamilton], explique Coulthard, qui a monté ce projet en mémoire de sa défunte sœur Lynsay, une excellente pilote de karting qui, selon lui, n’a jamais eu la possibilité concrète de passer professionnelle. Le critère de sélection est simple : c’est le temps au tour. Cela nous a permis d’identifier déjà quelques filles en karting, et je suis convaincu qu’avec le bon entraînement mental et physique, elles auront de bien

Hamda Al Qubaisi en train de franchir la ligne d’arrivée/départ lors des tests sur le circuit de Zandvoort, pluvieux et venteux : un temps typique des côtes de la mer du Nord.

meilleures chances. » Les pilotes de la F1 Academy ne peuvent concourir que durant deux saisons. Après cela, les participantes ont plusieurs options pour la poursuite de leur parcours. Certaines, comme la championne 2023 de l’Academy Marta García López et la vicechampionne Léna Bühler, entreront au championnat d’Europe de Formule Régionale (FREC).

Dans le meilleur des scénarios, les pilotes en herbe pourront passer à l’étape supérieure en intégrant la F3. D’autres, enfin, peuvent carrément quitter la F3, à l’instar de la double championne des W Series Jamie Chadwick, qui participe depuis deux ans aux championnats d’Indy NXT.

La F1 Academy fait partie de ces projets qui œuvrent à créer du changement.

UNE PRESSION ÉNORME

Alors que la F1 devient de plus en plus ouvertement l’objectif à atteindre à long terme pour de nombreuses femmes pilotes, la question qui se pose désormais est de savoir si la voie vers la discipline reine existe aussi pour elles. La F1 Academy apporte sa contribution en aidant les femmes à gagner les points nécessaires pour la Super Licence, indispensable pour rouler en F1 – une condition que jusqu’à présent, seule la pilote britannique Katherine Legge a pu atteindre, même si ses points ont expiré en 2019. Lucide, Amna concède : « Tout le monde se demande quand est-ce qu’on verra une femme rouler en F1, mais le jour où nous en verrons une, les gens se demanderont ce qu’elle fait là. Moi, ce jour-là, je serai tellement heureuse ! Peu importe ce qui se passe, elle y sera arrivée, elle aura mérité sa place en F1. » Étant donné l’attention inévitable que cet événement suscitera, la prochaine femme qui accèdera à la F1 aura sans doute l’impression d’être la toute première, bien que la véritable pionnière ait fait ses débuts il y a 65 ans : au cours des saisons 1958 et 1959, l’Italienne Maria Teresa de Filippis a représenté Maserati et Behra-Porsche (durant cinq courses), ouvrant la voie à sa compatriote Lella Lombardi qui est devenue la première – et jusqu’à présent la seule – femme à marquer des points au championnat de F1, avec une sixième place au Grand Prix d’Espagne en 1975 dans sa March-Ford. Dans une interview donnée en 2006 au magazine The Observer, De Filippis se souvient avoir été refusée à l’entrée du Grand Prix de France par un directeur de course : « Il m’a dit que le seul endroit où une femme devrait porter un casque, c’est chez le coiffeur, se souvient-elle. À part cela, je ne pense pas avoir rencontré de préjugés – seulement de la surprise face à mon succès. »

Seules quatre autres pilotes ont participé à un week-end de course depuis le résultat historique de Lombardi à Madrid – la plus récente est l’actuelle directrice de la F1 Academy Susie Wolff, qui a participé aux essais pour Williams au Grand Prix de Grande-Bretagne en 2014. « La

pression sur les femmes est énorme, souligne Southwell. Imaginez que vous soyez la seule fille au départ, dans une voiture médiocre, et que vous couriez le risque de condamner toutes les autres femmes si vous ne roulez pas comme Ayrton Senna : c’est une invitation à l’échec. »

Southwell se souvient de l’expérience qu’a vécue Chadwick, la triple championne des W Series, alors que sa popularité explosait : « Elle était parfaitement consciente du fait que chacune de ses courses allait bien au-delà des performances individuelles : elle était devenue un modèle pour toutes les filles qui auraient un jour envie de l’imiter. De savoir tous ces espoirs braqués sur vous, ça vous met une énorme pression. »

Toutes celles et ceux qui travaillent à favoriser la place des femmes dans ce sport s’accordent sur une chose : il n’est pas très utile d’essayer de prédire le jour où l’on verra des femmes en F1 – même si les prévisions les plus optimistes tablent sur quelques années. « Jusqu’ici, aucune femme n’a réussi à rentrer en F1 pour y rester suffisamment longtemps, explique Coulthard. Mais cela a été plus difficile pour elles, alors si nous leur donnons les mêmes chances que celles données aux hommes, les choses vont commencer à bouger, pas forcément dans les prochaines années... mais peut-être dans la prochaine décennie. »

La F1 Academy fait justement partie de ces projets qui œuvrent à créer du changement. Lors des championnats Extreme E – où 50 % du peloton était féminin – et EY, on a ainsi observé que l’écart de vitesse entre hommes et femmes s’est réduit de 51 % entre la première et la troisième saison, grâce des temps de piste et d’entraînement plus équitables. « Cela ne me surprend pas, commente Hamda. Lors de ma deuxième saison dans le championnat italien de F4 en 2021, quand je suis devenue la première femme à obtenir une place sur le podium de la compétition, en terminant troisième, j’avais fait beaucoup plus d’essais dans la pré-saison – autant que mes coéquipiers masculins. Résultat : contrairement à l’année précédente, j’ai fait aussi bien qu’eux cette année-là. Les femmes peuvent rouler aussi bien que les hommes, pour peu qu’on leur donne les mêmes chances. » Et Emely de Heus de conclure : « Chaque fois que j’ai participé à une course et que j’ai regardé autour de moi qui étaient mes concurrents, je n’ai jamais vu un garçon ou une fille – juste un autre pilote sous son casque. Et c’est comme ça que ça devrait être. »

« Si le sport automobile était aussi accessible que le football, la grille de F1 ne ressemblerait pas à ce qu’elle est aujourd’hui. »

Sous les couleurs de Campos Racing, il est le pilote de F2 à ne pas lâcher du regard – si toutefois vous arrivez à le suivre. Intégré au programme Red Bull Junior Team, Isack Hadjar grimpe les échelons du sport auto, lucide sur le travail à accomplir et avec la volonté de voir son sport changer de visage.

ISACK HADJAR

Ne le cherchez pas ! Sympa et accessible, Isack Hadjar, 19 ans, n’en est pas moins un pilote coriace et engagé.

« Quand

tu es jeune

et que tu te fais laminer en karting par manque de moyens, c’est compliqué. »

que je sais que si je ne fais pas d’erreur, il ne peut pas me coller 5 secondes, pas possible. À ce moment-là, j’étais un peu en difficulté parce que je m’étais battu avec Victor (Martins, un pote d’Isack, ndlr) et j’avais un peu pourri mes pneus, et derrière, j’avais Zane Maloney qui m’a mis la pression pendant beaucoup de tours. J’ai maintenu le gap, mais c’était vraiment chaud avec lui. Donc cette pénalité n’a pas du tout changé ma situation, en fait, j’étais en train de défendre ma première place. J’ai ignoré Crawford, je savais que j’allais gagner avec sa pénalité, par contre il fallait préserver cette première place avec ce mec derrière qui me collait au cul.

19 ans et tellement de promesses associées à son nom. Isack Hadjar a débuté dans le karting avant de passer aux championnats de Formule 4 et de Formule 3, où il s’est rapidement distingué par ses performances impressionnantes. Membre du Red Bull Junior Team depuis 2021, il bénéficie d’un soutien crucial pour sa progression dans les catégories supérieures du sport automobile, renforçant son objectif de devenir un pilote de Formule 1. Nous le rencontrons quelques jours après une victoire sur le mythique circuit anglais de Silverstone, qui lui vaut de prendre la tête du classement de la saison de F2. À l’approche de notre entretien, les médias F1 évoquent une possible montée de ce Franco-Algérien en F1, au sein de l’écurie Visa Cash APP RB. Pas de quoi mettre le jeune pilote en surchauffe, il débarque serein et accessible. Rapidement, son caractère bien trempé se fait sentir. Nous voilà partis pour une heure avec un passionné de pilotage franchement agréable, à l’objectif clair. Et conscient qu’il ne l’atteindra que d’une seule manière.

the red bulletin : Nous étions devant nos écrans dimanche matin pour savourer ta victoire à Silverstone. Vu d’un canapé, on se dit : « C’est top, Isack prend la tête du championnat, il doit être dingue ! » C’était aussi excitant de ton côté ?

isack hadjar : Quand je gagne, je ne suis pas au courant du classement du championnat. On sait en F2 à quel point ça va vite, ça fait yoyo dans le classement. Ça fait plaisir de voir son nom affiché en haut, on est premier du championnat équipe, c’est cool. Je suis content de ma victoire, du taf que j’ai fait, et ça me rassure pour la suite, ça me donne plus de confiance, mais honnêtement, tant que le championnat n’est pas plié, le classement, je n’en fais pas grand-chose. C’est séance par séance.

Durant la course, au tour 19… Alors moi, je ne suis pas calé là-dessus, le tour 12, tout ça, je ne sais pas ce que j’ai fait… (sourire) Le tour 19, qu’est-ce que j’ai fait ?

Eh bien, à ce tour 19, c’est passé en mode bagarre, le pilote américain Jak Crawford, en tête, prend une pénalité de 5 secondes, ce qui te propulse en première place… “Crawford has a penalty?! ”, tu poses la question à ton gars à la radio, et il te dit « reste calme, reste calme ! »… On sent une espèce d’équilibre entre la fougue, la hargne, pour y arriver, être en tête, et un selfcontrol… Comment tu maintiens cet équilibre, être explosif mais dans la maîtrise ?

Quand il y a eu l’info qu’il a eu la péna, je n’ai plus du tout calculé le leader, parce

Tu parles à la radio, tu gères l’info de la pénalité, ce mec derrière… On a l’impression que vous pouvez faire mille trucs au volant, à près de 300 km/h, pas « juste » piloter… Ça s’apprend ?

En fait, je maîtrise tellement mon milieu que je sais exactement ce que je dois faire, sur quoi je dois me concentrer… Dans la voiture, tu as beau être dans ton cockpit, tu arrives à te faire une image de la course et du schéma de la course. Je pense que c’est là où je suis fort le dimanche : je sais ce qui se passe autour de moi, à quel tour le mec a pité, est-ce qu’il a de meilleurs pneus que moi, je sais s’il est en train d’économiser, je sais si l’autre est sur une stratégie décalée...

Tout ça, je le sais parce que je maîtrise mon sujet.

Parce qu’on te passe les infos ou parce que tu as une perception, un genre de troisième œil dans la nuque ?

Il y a de ça, oui… (rires) Et la communication avec l’ingé qui me donne les bonnes infos, je lui casse les co**lles.

Comment il s’appelle ? Jose, mais on l’appelle Pepe.

Comment devient-on « Pepe » ? Mon Pepe à moi, c’est un ingénieur, qui a fait des études, qui aime le sport auto, il a commencé dans de plus petites catégories, et il est arrivé en F2 en tant qu’ingénieur de pistes, à l’époque, c’était la GP2… Il a vu beaucoup de très bons pilotes passer, il a fait pas mal d’équipes, il a joué pas mal de titres…

C’est un genre de pote ou quelqu’un qui doit te pousser en permanence pour rester au max et rester focus ?

Il y a un écart d’âge qui fait que ça ne peut pas être mon « pote », il y a ce respect, il pourrait être mon père. On a la même

En haut : le pilote de l’écurie Campos Racing, lors du Grand Prix de Silverstone en Angleterre en 2024, durant lequel il s’est imposé.
En bas : Isack en action.

approche du travail, du coup on se fout beaucoup sur la gueule… (rires)

Quelle est votre approche, du coup ? On aime creuser, chercher les détails pour aller chercher la performance. J’adore lui poser des questions auxquelles il ne peut pas répondre, chacun essaie de mettre l’autre en difficulté. Je prends l’exemple de la qualif de Silverstone, il ne m’a pas dit que j’avais fait du bon boulot, il m’a juste dit : « C’est bien. (sourire) Tu aurais pu passer plus fort ici, on a mal géré ça, okay, okay… » Il y a toujours cette recherche de perfo. À la radio, il peut en prendre plein la gueule, mais on se connaît et il le prend bien, ce sont les médias qui sont plus touchés que lui…

Qu’est-ce que ça peut vous foutre, les gars ? (rires)

Vous êtes tellement engagés pour pousser la performance que tu ne vas pas prendre de filtre pour lui dire les choses…

Exactement. On est dans une position où on joue le titre, on joue devant à toutes les courses, et il y a donc un respect : il me donne la voiture qui peut me permettre de jouer devant, et je suis le pilote qui peut le faire gagner. Je fais ce qu’il faut pour ça, donc on peut se parler comme ça.

Tu as fait ta première pole position en F2 vendredi dernier, mais tu es déjà perçu comme un pilote solide, quoi qu’il arrive, pole position ou pas. Les trois dernières années, j’ai fait deux poles, mais j’ai gagné plusieurs courses, et sur la plupart de mes victoires, ça s’est fait en partant de derrière, dans des championnats où ce n’est pas évident de doubler, et où souvent on gagne en partant de la pole. Du coup, j’ai cette image du gars qui joue souvent devant, c’est sympa, je prends.

Évoquons à présent tes débuts, tes pemiers coups de cœur avec les bagnoles, celles que tu vois au cinéma, le film d’animation Cars… Tu essaies le karting vers tes 6 ans, à Porte de la Chapelle, à l’entrée de Paris… Chez S-Kart. Grosse dédicace à eux.

Toutefois, la Chapelle, ce n’est pas Silverstone ou la Red Bull Energy Station à Monaco… (Isack éclate de rire.) C’est sûr.

La symbolique est intéressante, car il n’y a pas trente ans entre ces deux réalités, mais un temps assez court :

« Le seul truc que je peux faire, c’est de me montrer tous les week-ends et de les éteindre. »

treize ans seulement te séparent de ce sport de karting en Seine-Saint-Denis.

Tu t’y revois ?

Je ne me rappelle pas de ce que je pensais du sport auto à ce moment-là. En fait, je ne sais pas si j’ai toujours voulu aller en F1 ou pas, si je faisais ça pour m’amuser ou non. Je n’arrive pas à me rappeler quand c’est devenu sérieux. Et ça, c’est dommage.

Tu le regrettes ? Mais est-ce que ça n’est pas aussi un bon moyen d’avancer, cette espèce de détachement ?

La Formule 1, ça a toujours été évident, donc je n’y ai jamais vraiment pensé, je n’ai jamais eu ce genre de déclic, car c’était naturel. Pour moi, ça a toujours été normal d’avoir un volant entre les mains et d’y aller. À cette époque, je regardais à peine la F1, j’étais fan de Cars, en effet…

Vraiment fan, avec parure de lit et tout ? Je regardais le film tous les jours, et j’ai toujours mon doudou Cars à la maison. J’étais fan de bagnoles, et plus tard j’ai vu le documentaire sur Ayrton Senna. Et là, gros coup de cœur pour la personne, le charisme qu’il dégageait. Quand tu le vois dans sa voiture avec le casque jaune, et chaque fois qu’il était en piste, il était spectaculaire comparé aux autres pilotes. Il m’a marqué.

Dix ans plus tard à peu près, tu as 16 ans, interview pour un média en ligne, tu sembles déjà hyper cash, lucide, notamment à propos du financement d’une carrière de pilote. Tu évoques le soutien de ta mère pour décrocher des financements. Pierre Gasly évoquait lui aussi cette quête de financement dans lesquelles s’impliquaient ses parents. On a eu les mêmes problématiques. Dès le karting, les prix sont exorbitants, et depuis la génération de Pierre Gasly, les prix dans la compétition automobile ont explosé. En karting, je n’ai jamais été dans les bonnes conditions, c’est toujours mon père qui a fait ma mécanique, pendant très longtemps, alors que d’autres pilotes avaient des équipes privées. Je n’ai

jamais pu faire le calendrier en entier, toutes les courses, avoir le meilleur moteur, etc. J’ai toujours dû compenser, c’était frustrant quand je rentrais d’une course, le lendemain je devais retourner à l’école tandis que des mecs allaient rouler, tester parce qu’ils faisaient l’école à la maison. Je n’ai pas eu droit à ce parcourslà… Je n’ai pas de très bons souvenirs du karting.

Pour autant, tu étais toujours d’attaque à la prochaine course. Parce que tu voyais tes parents s’investir ?

Parce que j’adorais ça. On n’a jamais couru après les titres en karting. Mon père a toujours eu cette approche : « Tu es là pour te former, ce n’est pas parce que tu vas avoir des titres en karting que tu vas être champion du monde de F1. » Quand tu es gamin, tu as forcément du mal à comprendre ça, tu es en mode : « Donne-moi le moteur, donne-moi les jours de roulage et je vais les démonter ! » Tu as du mal à te rendre compte de ce qui est vraiment important. En fait, le karting, c’est important pour apprendre les bases, mais tous les mecs que je suis en train d’exploser en F2 et que j’ai éclatés en F3 aussi, ce sont des mecs qui me mettaient la misère en karting.

Tu roulais avec eux en karting ?

Oui, on a tous grandi ensemble, on se connaît tous depuis ces années-là. C’est maintenant que je comprends, mais quand tu es jeune et que tu te fais laminer en karting par manque de moyens, c’est compliqué. Par contre, ça te pousse à développer une autre approche : comment je peux compenser ? Comment je m’arrache pour rester présent et performer ?

Ça donne envie d’aider de jeunes gars ?

Tout ça, c’est mal fait… Si le sport automobile était aussi accessible que le football, la grille de F1 ne ressemblerait pas à ce qu’elle est aujourd’hui.

Il y aurait plus de Français ?

Il y aurait plus de tout. Surtout des meilleurs pilotes. On ne maximise pas le talent de la grille en F1.

Est-ce qu’un pilote comme Hamilton est la preuve qu’un autre type de pilote de F1 a sa place sur la grille ? Il a été le premier signal du changement ?

Non, c’est juste lui qui est hors du commun et qui a fait la différence dans un système qui est mauvais, c’est tout. Je pense que c’est ça, la force de ce mec. C’est un bon gars, ça se voit.

S’il faut avoir certains moyens pour progresser en F1, naturellement, au départ, on va se priver de beaucoup de talents.

Exactement. Déjà, le prix du karting élimine une bonne partie des bons pilotes potentiels. L’exemple du Rallye Jeunes, c’est génial...

Quel est le concept ?

Tu mets vingt balles, tu as des épreuves, une détection, et celui qui gagne a une carrière soutenue. (Les pilotes de rallye Sébastien Ogier, Sébastien Loeb et Adrien Fourmaux sont passés par là, ndlr.) Il faut aider les gamins à ne pas rencontrer de difficultés ou voir leurs rêves se briser parce qu’ils n’ont pas les tunes. (Agacé.) Ça me rend ouf.

Il y a aussi l’exemple de la GT Academy qui permettait à des fans du jeu Gran Turismo de devenir d’authentiques pilotes.

Une simple détection sur simulateur serait un super outil. Je pense qu’il y a des gens qui commencent à travailler làdessus et que ça va changer, parce que ça n’est pas possible.

Tes guides, tes mentors, ceux qui t’ont aidé, qui sont-ils ou elles ?

Il y a beaucoup de personnes qui m’ont filé des coups de main, à leur niveau, mais c’est dur de les citer personnellement, à part mes parents. Ma mère s’est battue pour aller chercher les sponsors et les budgets, c’est avec mon père que j’ai fait des milliers de kilomètres, qui m’a fait la mécanique pendant des années en karting, et qui m’a toujours donné cette perspective et cette méthode de travail. J’ai eu du mal à la comprendre, mais quand je vois où j’en suis, avec les moyens qu’on a eus… Avec un autre père, je n’aurais pas tenu longtemps.

Du soutien, tu en as aussi reçu en intégrant le Red Bull Junior Team. Alors là, on entre dans une autre dimension !

Pourquoi ?

(Il prend son temps.) Ce que j’ai aimé dans ce moment-là, intégrer le programme Red Bull Junior Team, c’est cette notion du « enfin ! » : si j’ai les résultats, que je gagne et que l’on voit que je performe, j’irai là où je veux. C’est certain, c’est écrit noir sur blanc. C’est ça le plus important, cette sécurité et cette perspective. Pendant des années, tu navigues dans un désert, tu ne sais pas vraiment où tu vas, et quand Red Bull te signe, si tu

performes en F3 et en F2, tu sais où tu arrives, et ça n’a pas de prix. C’est le plus rassurant pour un pilote, pour un sportif. Quand ça ne dépend plus que de toi, il n’y a rien de mieux. Il n’y a pas que ça, bien sûr, il faut aussi aller dans la bonne équipe, bien rouler et tout peut arriver, mais tu as une vraie perspective.

Dans la F1, Red Bull fait évoluer deux écuries, Red Bull Racing et Visa Cash APP RB, et s’appuie sur un personnage très important, Helmut Marko, expilote automobile autrichien, notamment responsable de la filière des jeunes pilotes. Tu as une connexion directe avec lui ? Tu as son tél ? Ouais. Je l’appelle, parfois.

Il répond ?

Toujours, et s’il ne répond pas, il te rappelle. Je m’entends bien avec lui, et quand je l’appelle, ça n’est pas pour parler de conneries. (rires) Parfois, quand tu fais de la merde, c’est mieux de l’anticiper et de l’appeler, avant qu’il ne t’appelle. Je l’ai appris, il apprécie, il est plus cool.

En regardant ton actu avant notre entretien, j’ai vu des choses apparaître du genre « Isack Hadjar en F1 l’an prochain chez Visa Cash APP RB ». Qu’en dis-tu ?

Pour commencer, je n’en sais rien. Mais si le Junior Team et le team B (Visa Cash APP RB, ndlr) existent, c’est pour une raison.

« Je bouge plus vite que vous. »

Et puis on voit très bien ce qui se passe en ce moment, le driver market bouge beaucoup. Mais le seul truc que je peux faire, c’est de me montrer tous les week-ends et de les éteindre. Il faut qu’on parle de moi, il faut que dans la conversation on pense à Isack qui est en train de les dégommer. Il n’y a que ça que je peux faire, et ça me va.

Sans transition mais en restant dans le pilotage, j’ai pu voir que tu avais pris les airs avec des pilotes d’avions de voltige français, Guillaume Calmes et Loïc Lovicourt. Qu’est-ce qui t’intéresse dans leur monde ?

Je me suis rendu compte à quel point ils étaient dans une autre dimension. On y est allés fort, vraiment fort, et ce sont des machines, de vrais pilotes. Quand j’ai senti que ma tête allait exploser et que j’ai failli m’évanouir, c’était impressionnant. Je n’ai pas vu de similitudes avec le sport auto tellement c’était violent. Même quand je pilote une F1, ça ne se rapproche même pas de ce que ces mecs subissent. J’ai du mal à en tirer quelque chose à part que c’était extrêmement violent. (Il sourit.)

À propos du pilote F2 britannique

Oliver Bearman qui a remplacé Carlos Sainz Jr. en F1 lors du Grand Prix d’Arabie saoudite en mars, tu as dit : « Il n’était pas prêt physiquement. » À quoi faut-il se préparer quand on va piloter une F1 ?

Toute ta carrière, en tant que jeune pilote, idéalement, tu t’adaptes aux différentes catégories, par paliers. Tu améliores au fur et à mesure cette capacité d’adaptation, et tous les ans, tu t’habitues à avoir plus de grip, que ce soit en karting ou en

Isack et son ingénieur, Pepe, partenaire essentiel de sa perf. Leurs échanges à la radio ont fait le tour des réseaux sociaux.
« Une

F1, ça n’est plus une voiture de course, c’est un vaisseau spatial ! »

monoplace. Plus de grip, plus de puissance, plus de grip, plus de puissance, et ainsi de suite. Tu arrives en F4, tu passes en F3, F2, les steps sont assez similaires, et ça passe bien, avec toujours un premier choc. Mais F2 vers F1, c’est comme si tu passais de la F4 à la F2, c’est un step. Les F1 vont vraiment vite et les F2 sont assez loin. Quand je dis que tu n’es pas prêt, tu n’es pas prêt. Quand je monte dans une F1 pour les FP1 (Free Practice 1, essais, ndlr), les premiers tours, ça n’a vraiment rien à voir avec la F2. Tout ce que j’ai appris en F2, je le mets à la poubelle ? Ça n’est plus une voiture de course, c’est un vaisseau spatial !

Du coup, monter en F1 doit être une perspective stressante ? Ou bien, en parlant à des pilotes passés par là, on sait que ça sera rapidement gérable ?

Tu le sais, mais tu as toujours ce doute. Mais pour aller tâter les limites de la voiture, il faut faire pas mal de kilomètres. En quelques tours en FP1, je sais déjà exactement où j’ai été bon et où j’ai énormément de marge (à trois reprises, Isack a effectué des essais libres en F1, ndlr). Si tu me laisses des tours, je vais m’y habituer.

En combattant. Et, des sports de combat, tu en suis pas mal sur les réseaux : boxe, MMA… Qu’est-ce qui te botte là-dedans ?

J’ai toujours aimé la boxe, Rocky… Le MMA est plus nouveau pour moi. Le fameux combat Mayweather contre McGregor en 2017, je me suis levé à 4 heures du matin pour le regarder, je devais avoir 12 piges. J’ai toujours suivi les gros combats, et ce truc de MMA, c’est grâce à Conor [McGregor], il a lancé le sport dans une autre dimension, avec son trash talk et le showman qu’il est, ça m’a poussé à aller découvrir la discipline. Gros respect.

Conor McGregor n’est peut-être pas le meilleur exemple, mais ces combattants sont souvent très calmes, concentrés, en dehors du combat. Tu as toi-même un parler vrai, une vraie fougue et énergie, mais tu sembles aussi très posé. Du genre sympa mais qu’il ne faut pas chercher. Est-ce que tu as été un gamin sanguin qui a appris à se poser ? Je suis très sanguin en effet, s’il faut péter un câble, je vais péter un câble. On m’a entendu à la radio, et ça ne fait pas plaisir. Mais quand il faut être calme, j’en suis capable, je sais faire la différence. Je pense que dans les moments les plus critiques, les plus importants, je serai le mec le plus calme, et pour les conneries, je

« Si je prends la radio pour gueuler, ça me fait du bien, ça n’est pas méchant. »

suis capable de m’énerver en deux secondes. Je suis très émotif, j’ai besoin de faire sortir, et si je prends la radio pour gueuler, ça me fait du bien, ça n’est pas méchant. J’aime bien gueuler… (rires)

Cette pression du pilotage, tu l’évacues à quel moment ? Dans ta vie perso ? C’est quand je gagne ou que je fais une pole que je respire. Les moments off où je récupère physiquement, ce sont les moments que je déteste le plus. Quand je vais à la salle, en famille et avec les potes, c’est cool, bien sûr, mais ce que j’aime le plus, c’est les week-ends de course et être dans la voiture. Quand tu gagnes… (Il souffle.) Les périodes de pause, c’est la salle d’attente.

Tu évoquais la salle, quelle est ta routine fitness ?

Pendant la saison, c’est très dur de m’organiser, car je ne suis jamais chez moi. Mais les semaines comme celle-ci (Isack dispose de deux semaines entre deux courses, ndlr), j’ai mon préparateur physique, et je vais dans sa salle de boxe, où il a des athlètes qui font du MMA, un peu de tout, pour une prépa spécifique à mon sport. Il n’est pas spécialisé dans le sport auto, mais ses connaissances lui permettent de s’adapter à mon profil, il sait ce dont j’ai besoin.

Quelle va être cette préparation spécifique ?

Beaucoup de haut du corps, de force bassin, être gainé au niveau des abdos, épaule, nuque, et cardio.

Le cardio prend cher en course ? Ça n’est pas le plus important, c’est le haut du corps, et le bas du dos. C’est extrêmement spécifique, je ne fais pas beaucoup de force. Et parfois, à la fin de la séance, je boxe, c’est mon petit plaisir, pour me finir au cardio. La boxe est un bon moyen de faire ma prépa physique et de m’amuser en même temps. J’y étais hier, j’y étais aujourd’hui, j’irai demain. De temps en temps, je fais des séances de kiné, pour me réparer un peu, afin que je sois le plus souple et le plus détendu possible avant de rentrer dans la voiture.

Parlons de tes réflexes ! Qui n’a pas vu cette fameuse séance où tu évites de manière magistrale une collision avec le pilote japonais Ritomo Miyata, dans le Tunnel, dans un virage à l’aveugle du Grand Prix de Monaco en mai dernier ? Après cette séquence, tu as récolté plus de 10 000 followers sur Instagram…

Cette vidéo, même les mecs qui ne suivent pas le sport auto l’ont vue.

Comment atteint-on un tel niveau de réflexes ?

Quand tu es dans un kart dès l’âge de 6 ans, et que tu ne fais que rouler, chercher les détails sur la piste, les cordes, ton environnement bouge à des vitesses… En soi, je bouge plus vite que vous… Je suis habitué à évoluer dans un milieu qui va extrêmement vite, et mes réflexes de base sont extrêmement affûtés du fait que je pilote depuis que je suis gamin. Les vitesses augmentent de plus en plus, en F2 on se déplace à des vitesses pas mal.

Tu roules à combien quand tu évites Miyata ?

Je suis à 250, 240… S’il avait été un peu plus derrière, ça aurait été. Mais j’avais un peu de marge, quand je l’évite on le voit, je passe à ça de lui (Isack fait un écart avec ses mains, 30 cm environ, ndlr). Ça, c’est une marge…

C’est une marge ?

Oui. Et je suis à ça du mur à gauche (même écart avec les mains, ndlr)

T’es large !

(Il rigole.) Oui, il y avait un demi-dixième de marge.

Et une fois que tu as passé ça ?

C’est bon, c’est fini, qualifs ! Je suis sorti de la voiture et c’est là qu’on m’en a parlé : « Le tunnel, c’était chaud ! » Et moi : «De quoi ? » Quand j’ai vu les images, là, j’ai réalisé que c’était chaud.

Sur tes posts Instagram, tu mets un emoji ninja, pourquoi ?

J’aime bien le ninja. Il ne fait pas beaucoup de bruit et il est efficace.

Ça te représente ?

Je reste simple, je fais court dans mes réponses. J’aime bien l’emoji ninja.

Le leader

Alors qu’il s’apprête à engager l’équipe d’Oracle Red Bull Racing dans une nouvelle phase de son histoire, Christian Horner sait qu’il peut compter sur sa longue expérience à la tête de l’écurie autrichienne, qu’il dirige d’une main de maître depuis vingt ans.

Christian Horner caresse machinalement sa barbe poivre et sel, en réfléchissant à l’avenir qui se dessine devant lui : « Il se passe beaucoup de choses en ce moment », résume le patron d’Oracle Red Bull Racing pour décrire la phase de transition que traverse l’écurie autrichienne, qu’il a mis des années à développer et qui est en train de passer à la construction de châssis et de moteurs. Une ère de grands changements, tant dans le domaine aérodynamique que financier, mais également sur le marché des pilotes, alors que les meilleurs d’entre eux seront tentés de chercher où aller pour avoir les meilleures chances de gagner.

« Il s’agit d’un véritable bouleversement, mais ça ne sert à rien d’avoir peur, insiste-t-il. C’est normal d’avoir une certaine appréhension, mais je pense qu’il faut accueillir cette nouvelle situation, il faut affronter nos peurs, apprendre à les gérer. »

« Gérer » l’écurie Oracle Red Bull Racing : c’est ce que Christian Horner fait depuis vingt ans, depuis la fondation de l’équipe. Suite aux succès qu’il rencontre en Formule 3000, il est repéré par Dietrich Mateschitz, fondateur de Red Bull, et Helmut Marko, consultant de Red Bull en F1, pour concrétiser les ambitions de la marque dans la F1.

Depuis son entrée dans le projet Red Bull Racing – quelques jours avant Noël 2004 –, Horner a mené de front toutes les phases de développement de cette écurie sur deux décennies. Toujours présent sur les stands – le trépignement saccadé de ses jambes trahissait souvent l’intensité de l’action sur la piste –,

377 courses, 6 couronnes mondiales des constructeurs,

7 titres de champion du monde des pilotes

CHRISTIAN HORNER

célèbrent

et le

le 2 mars 2024 : une

de la

Horner
vainqueur
course Max Verstappen
leur victoire lors du Grand Prix du Bahreïn
double victoire pour Oracle Red Bull Racing, puisque Sergio Pérez a terminé second.

30 septembre 2022 : Horner supervise les opérations aux stands lors d’un entraînement avant la course nocturne du GP de Singapour, sur le circuit de Marina Bay Street, le 30 septembre 2022.

Horner a été pour Oracle Red Bull Racing plus qu’un patron ou qu’un acteur décisif du monde de la F1 : il a été un dirigeant, un négociateur politique, un combattant acharné – pendant près de 400 courses. Il y a vingt ans, alors que Red Bull vient de racheter Jaguar, Horner est chargé, à tout juste 31 ans, de reprendre en main cette petite équipe installée en Angleterre, dans les hangars de Milton Keynes. Objectif : gagner en efficacité et en puissance. Aujourd’hui, l’écurie Oracle Red Bull Racing est un ensemble regroupant des sociétés de course et de technologie, employant plus d’un millier de

personnes, elles-mêmes réparties sur un campus en constante expansion – et qui peut se vanter d’avoir à son actif treize titres de champion du monde.

Alors que l’écurie est en plein forme pour attaquer sa vingtième saison et que les trois dernières années ont, elles aussi, été particulièrement réussies, on peut dire qu’Oracle Red Bull Racing est à l’apogée de sa gloire. Pour autant, la phase qui s’annonce est remplie d’incertitudes, avec en 2025 le départ d’Adrian Newey, qui a été le designeur star de l’écurie pendant deux décennies. L’année suivante, Red Bull relèvera peut-être le plus grand défi de son histoire en F1,

en ayant son propre moteur répondant aux nouvelles réglementations. Celles concernant le châssis changeront également en 2026 – des bouleversements qui pourraient être décisifs pour l’avenir de l’écurie autrichienne, mais qui ne font pas peur à Christian Horner, habitué à relever ce genre de défis. Qu’il s’agisse de bâtir toute une écurie en partant quasiment de zéro, de servir de médiateur à des pilotes qui se font la guerre, de repartir de plus belle après avoir frisé l’abandon total du projet, ou qu’il s’agisse enfin de faire émerger une caste de champions parmi les plus atypiques de la F1, le patron d’Oracle Red Bull

« C’est notre ADN : nous avons toujours fait les choses différemment. »

Racing est convaincu qu’il a les épaules et l’expérience nécessaires pour emmener toute son équipe dans cette nouvelle ère de compétition.

the red bulletin : La place d’Oracle Red Bull Racing au sommet de la Formule 1 semble presque acquise aujourd’hui, mais que dire des premières années ? Qu’avez-vous appris à ce moment-là sur la manière de mettre sur pied une excellente équipe de F1 ?

christian horner : La clé, à cette époque, était de s’assurer que nous investissions dans les bons outils, ceux qu’Adrian [Newey] nous demandait : mettre à niveau la soufflerie, avoir un cluster CFD (modélisation de flux des fluides, ndlr)… des choses qui paraissent évidentes de nos jours, mais qui demandaient un investissement massif en capital. Heureusement, Dietrich [Mateschitz] a été fantastique et son soutien total : nous avons donc fait un excellent début en 2005, mais l’année suivante a été difficile. Adrian a très tôt cessé tout développement sur la RB2 – dès la troisième course – pour pouvoir consacrer tout son temps à la soufflerie, ce qui a été très mal accueilli à l’époque. Mais vous n’engagez pas Adrian Newey pour ensuite lui dire : « Vous aurez la moitié du temps en soufflerie. » Pour moi, il s’agissait de poser des jalons pour l’avenir, de mettre en place des méthodes de travail. J’ai toujours pensé que le sport automobile est un jeu de processus, que vous mettez des systèmes en place et que c’est tout cela qui finit par vous apporter le succès. Il s’agissait donc de bien faire les choses, puis de trouver les bonnes personnes – des acteurs clés qui sauraient faire fonctionner ces systèmes.

Le succès n’a pas été immédiat pour l’équipe : il y a eu trois saisons, de 2006 à 2008, où les résultats étaient encore difficiles à obtenir. Quels étaient les problèmes à cette époque ?

Quand Adrian est arrivé, nous n’étions pas du tout à son niveau : c’était un extraterrestre pour nous ! Nous avions le meilleur designeur de F1 dans la poche, mais aucune des installations nécessaires pour faire le job. C’était comme avoir un chef d’orchestre, sans orchestre ; ou alors quelques bons musiciens ne sachant jouer que de la cymbale et du triangle. Petit à petit, nous avons pourtant réussi à assembler un groupe et à produire une musique de plus en plus belle…

Jusqu’à l’arrivée de notre chanteur vedette, Sebastian [Vettel], qui nous a emmenés en tête des charts.

L’arrivée de Sebastian Vettel faisait-elle partie de votre stratégie ?

Il semblait y avoir une synergie quasi divine dans l’arrivée d’Adrian Newey et la montée de notre écurie, coïncidant avec la progression de Vettel dans les rangs juniors et la retraite de David Coulthard, survenant au

bon moment pour permettre à Seb de briller… Mais tout cela n’était pas du tout prévu. Évidemment, il avait été un junior chez Red Bull, mais on le partageait avec BMW – pour qui il avait notamment remplacé Robert Kubica (au Grand Prix des États-Unis 2007, ndlr). Je me souviens que Mario Theissen (le directeur de l’équipe BMW Sauber, ndlr) n’était pas convaincu par Sebastian : il y avait même un débat pour savoir si nous devions le prendre chez Toro Rosso. Gerhard (Berger, patron de Toro Rosso en 2007, ndlr) n’était pas sûr non plus parce qu’il y avait aussi Vitantonio Liuzzi et Scott Speed, alors que lui préférait Sébastien Bourdais. Il y avait donc une certaine réticence. Je me souviens de cette réunion pendant laquelle Dietrich [Mateschitz] nous a dit de donner une chance au gamin : Vettel a été pris chez Toro Rosso en Hongrie… et le reste appartient à l’histoire.

L’impact de Vettel a été presque immédiat : deux courses hésitantes au début de 2009, puis la pole position et la victoire en Chine. Son arrivée a déclenché un sursaut remarquable pour l’équipe au cours des saisons suivantes, mais ce ne fut pas toujours facile, notamment à cause de la rivalité entre Vettel et son coéquipier Mark Webber. À quel point cela a-t-il été difficile à gérer et qu’avez-vous appris de ce conflit ? Oui, en 2011 et 2012, les relations entre les deux pilotes étaient tendues, surtout en 2012. On apprend toujours au cours d’une vie, et ce fut effectivement une expérience très utile de devoir gérer cette guerre entre deux mâles alpha, où l’un gagnait et l’autre non : alors même que nous dominions les compétitions, je recevais régulièrement des lettres d’avocats venant des managers des deux pilotes, ou d’autres personnes. Quant à cet incident « Multi-21 » de 2013 survenu en Malaisie, ça s’est corsé… Bref, Mark ne nous a même pas dit qu’il allait partir à la fin de la saison : il l’a juste annoncé à Silverstone. Il a convoqué sa propre conférence de presse pour y annoncer qu’il prenait sa retraite. Nos relations n’étaient pas au beau fixe à ce moment-là. C’est difficile à gérer en tant que dynamique. Vous voulez que tout aille bien, mais ce n’est pas possible, parce que vous avez un gars qui gagne tout et un autre qui en souffre. En 2013, Mark n’a pas gagné une seule course, alors que Sebastian en a gagné treize. Mais je ne veux pas dire du mal de Mark, il était juste dans une position difficile. À présent, il voit les choses de manière beaucoup plus sereine.

Et pourtant, tout a une fin, même les phases de victoires : ça a été le cas pour Red Bull Racing après l’arrivée des moteurs hybrides : de treize victoires en 2013, l’écurie est passée à seulement trois en 2014. Le vent tournait ?

« J’ai dû retourner chez Renault en m’excusant.
Sans quoi nous aurions été hors course. »

J’avais passé les deux années précédentes à alerter Carlos Ghosn (l’ancien PDG de l’alliance NissanRenault, ndlr) sur ce problème de moteur et sur le fait que Mercedes y avait investi des sommes colossales, mais on m’avait rétorqué que Renault fabriquait les meilleurs moteurs turbo de toute l’histoire de la F1. Sauf qu’ils ont oublié qu’il y avait aussi un élément hybride... En un mot : je pense qu’au cours des tests de pré-saison, nous avons réussi à faire seulement cinq tours sans que la voiture ne prenne feu… Bref, le moteur était un désastre, mais Daniel (Ricciardo, qui a remplacé Webber, ndlr) était exceptionnel : il a remporté les trois courses pour nous cette année-là. Ce qui est drôle, c’est que le seul doute que nous avions sur Daniel… Ce n’était pas vis-àvis de ses performances en vitesse, elles étaient clairement là. Le seul point d’interrogation, c’était que personne ne l’avait jamais vu dépasser lors d’une course, parce que chez Toro Rosso, les pilotes avaient tendance à bien se qualifier puis à reculer. Donc, nous ne l’avions jamais vu dépasser une voiture sur un circuit. Mais, dès qu’il est arrivé chez nous, il n’a jamais cessé de dépasser ses adversaires... Et c’était magnifique à voir.

Quel a été le moment le plus difficile de cette période ?

Je pense que la pire année a probablement été 2015 : Adrian était découragé, Sebastian était parti, il y avait des rumeurs de vente au groupe VW, même

Melbourne, 18 mars 2012 : le directeur de l’écurie discute avec Sebastian Vettel alors que celui-ci s’apprête à disputer le GP d’Australie.

Horner et son team après avoir remporté le championnat des constructeurs au Grand Prix des États-Unis à Austin (Texas), le 23 octobre 2022.

Dietrich [Mateschitz] se demandait si ça valait la peine de continuer, parce que c’était tout simplement sans espoir sans un bon moteur. Nous avons tout fait pour obtenir un moteur Mercedes, avec au bout du compte un accord conclu par une poignée de mains entre Niki [Lauda] et Dietrich, avec la promesse d’avoir des moteurs Mercedes en 2016. Sur la base de cette poignée de mains, on m’a dit d’annuler le contrat avec Renault ainsi qu’un parrainage avec Infiniti qui avait encore un an devant lui. Mais l’accord avec Mercedes a été torpillé par Toto (Wolff, directeur de l’écurie Mercedes, ndlr), qui nous considérait comme son concurrent le plus dangereux. J’ai finalement dû retourner chez Renault en m’excusant. Sans quoi nous aurions été hors course.

Avez-vous alors pensé à démissionner ?

Non. J’ai reçu quelques offres pendant cette période, mais je n’ai jamais été tenté. Et puis j’avais envie de rester loyal envers mon équipe, les gens, les actionnaires. J’avais embarqué des gens avec moi, alors quitter l’écurie ne m’aurait pas semblé correct. Quand vous avez pris un engagement, tout ce que vous pouvez vous dire, c’est : « Je dois redresser la situation. »

Justement, quand est-ce que la situation a commencé à se redresser ?

En 2016, nous avons déjà pu démontrer que nous avions un excellent châssis. Max [Verstappen] est

« Nous faisons face au plus grand défi de notre histoire. »

arrivé et a immédiatement gagné en Espagne, puis nous avons eu un doublé en Malaisie à la fin de l’année, avant de terminer deuxième aux championnats du monde. Quand la règlementation a changé en 2017, nous avons accusé au début un retard de performances, mais que nous avons réussi à rattraper assez rapidement. C’est là que nous avons vraiment commencé à voir Max monter en puissance. Il y a eu ensuite cette chance d’allier Honda et Toro Rosso pour 2018, avec en perspective l’opportunité de prendre ce moteur pour aller à Montréal – tout en continuant à dialoguer avec tous les autres. Et en mai 2018, nous avions des designs de moteur de chez Renault, Ferrari et Honda ! Nous en avions même un de Mercedes – bien que je pense qu’ils se moquaient de nous une fois de plus. Mais on savait que Honda s’améliorait, et lorsqu’à Montréal, ils ont montré de quoi ils étaient capables, le résultat était légèrement supérieur à Renault. On s’est dit : « Ces gars sont sur la bonne voie : allons-y ! »

Avez-vous eu l’impression de prendre un risque, compte tenu des enjeux et du fait que Honda n’avait pas encore fait entièrement ses preuves ?

Le mantra de Dietrich a toujours été “no risk, no fun”. C’est ce qu’il me disait toujours. Il y avait donc une part de risque, mais c’était évidemment calculé, et ça doit l’être : on ne peut pas se permettre d’être imprudent. Avec Renault, nous recevions chaque année des tableurs décrivant tous les objectifs qu’ils allaient atteindre et comment ils allaient rattraper Mercedes – mais ils ne l’ont jamais fait. Nous avons donc estimé qu’un changement était nécessaire, et lorsque nous avons terminé sur le podium en Australie en 2019, nous étions de retour dans le jeu.

Ces deux dernières décennies mouvementées vous rendent-elles confiant face à l’avenir, avec l’arrivée imminente des nouveaux moteurs Powertrains de Red Bull ?

Je ne me fais pas d’illusion : ces premiers moteurs produits par Red Bull constituent le plus grand défi de notre histoire en F1. Il fallait du courage pour se lancer dans ce projet et c’est l’un des derniers que Dietrich a approuvé avant de décéder. Mais si les vingt dernières années ont prouvé quelque chose, c’est que Red Bull en est capable. Personne ne pensait que la filiale d’une entreprise de boissons gazeuses pourrait venir et battre Ferrari, McLaren et Mercedes et gagner treize championnats du monde. Donc, il n’y a aucune raison de douter de nos capacités avec ces moteurs. C’est notre ADN : nous avons toujours fait les choses différemment. Nous n’avons jamais été la marionnette de personne. Bien sûr, nous n’avons jamais manqué de rebondissements en vingt ans, mais c’est Red Bull, c’est ce que nous sommes. Comme l’a toujours dit Dietrich : “no risk, no fun”.

L’équipage

Alinghi Red Bull Racing au large de Barcelone. Les hydrofoils du bateau BoatOne lui permettent de voler au-dessus de l’eau à deux fois la vitesse du vent.

Cap vers le progrès

Que se passe-t-il lorsqu’une des plus grandes équipes de voile de l’histoire s’associe aux champions du monde en titre de F1 pour prendre part à la plus prestigieuse course de voiliers au monde ? Bienvenue dans les coulisses d’une aventure inédite : la quête d’Alinghi Red Bull Racing pour remporter l’America’s Cup.

Texte Tom Guise Photos Konstantin Reyer

Se mettre à niveau : en tant que nouvelle équipe, et avec les règles exigeant que les marins soient issus du pays que l’équipe représente, l’équipage Alinghi Red Bull Racing n’a jamais participé à une America’s Cup auparavant. Ils ont dû apprendre rapidement.

Nous sommes en février 2003 et la 31e America’s Cup se déroule au large des côtes de la Nouvelle-Zélande, dans le golfe d’Hauraki. Protégée par des péninsules, cette étendue dans l’océan Pacifique est parfaite pour une compétition qui, depuis plus d’un siècle et demi, est la référence mondiale des régates de voiliers de pointe.

L’équipe de Nouvelle-Zélande est double championne en titre. Selon les règles anciennes, c’est au défenseur de la Coupe d’organiser la compétition et de décider du protocole, une tradition qui confère aux champions kiwis un avantage considérable face à un nouvel outsider, Alinghi, venu d’un pays sans accès maritime : la Suisse.

L’affrontement entre ces deux voiliers de 24 mètres de long connaît quelques rebondissements : dès la première course, le bateau néo-zélandais subit diverses pannes techniques et son cockpit se remplit d’eau. Puis c’est au tour de la météo de devenir capricieuse : mer agitée, trop de vent, puis pas assez. Pendant neuf jours, les bateaux restent à quai, attendant une fenêtre météo favorable. Quand elle arrive, c’est l’avarie de trop pour les Kiwis : leur mât se casse. Les challengers suisses scellent leur victoire, devenant les premiers champions venant d’un pays enclavé – et les seuls à remporter la course lors d’une toute première participation.

Arnaud Psarofaghis se souvient de ce moment. Il avait 14 ans à l’époque, vivait à 200 mètres du lac Léman. La Suisse n’a peut-être pas de frontières maritimes, mais elle possède de nombreux lacs. « Les gens

« Voir tout le pays en liesse, c’est comme si la Suisse avait gagné la Coupe du Monde. »

apprécient les lacs en été autant que les montagnes en hiver, souligne-t-il. Et contrairement à la mer, un lac est plat, ce qui permet d’y développer des bateaux plus performants. »

Il a commencé à naviguer dès son plus jeune âge. C’est au bord du lac Léman que se trouve la Société Nautique de Genève, sous les couleurs de laquelle Alinghi a pris part à la Coupe en 2003. Psarofaghis était là lorsque l’équipe a ramené la légendaire Auld Mug, la Vieille Aiguière qui sert de trophée à l’America’s Cup et qui fut accueillie par plus de de 40 000 personnes venues braver le froid pour célébrer le retour de leurs héros. « De voir tout le pays en liesse, même les gens qui ne s’intéressaient pas à la voile, nous a montré l’importance que cet événement avait : c’était comme si la Suisse avait gagné la Coupe du Monde, se souvient-il. Cela m’a donné un objectif – rejoindre un jour cette équipe. » En 2016, lorsque Psarofaghis rentre finalement chez Alinghi comme équipier, les ambitions de l’équipe suisse ont changé. En 2007, Alinghi avait défendu son titre, contre l’équipe nouvellement rebaptisée Emirates Team New Zealand (ETNZ). Puis, en 2010, ils avaient perdu face à la Oracle Team USA du milliardaire américain Larry Ellison dans une bataille controversée autant sur l’eau qu’au tribunal, en raison de désaccords sur les règles. Dégoûtée par cette expérience, l’équipe suisse s’était retirée de la compétition.

L’America’s Cup a de nombreuses légendes. Il y a d’abord celle d’une goélette américaine nommée America, arrivant sur les côtes britanniques en 1851 pour remporter une coupe de 100 guinées du Royal Yacht Squadron, donnant naissance à la plus ancienne compétition sportive internationale. Ou celle de Sir Thomas Lipton, l’empereur du thé, qui a passé trois décennies et dépensé une fortune pour tenter – en vain – de ramener la Auld Mug en GrandeBretagne. Il y a encore celle d’Alan Bond, homme d’affaires australien dont le voilier, Australia II, a finalement brisé en 1983 un cycle de 132 ans de victoires des Américains, exploit qui lui a valu l’Ordre d’Australie, avant d’en être déchu et emprisonné pour détournement de fonds, quatorze ans plus tard.

Aujourd’hui, peut-être que la plus grande légende de l’America’s Cup est en train de s’écrire. En 2021, onze ans après s’être retiré, Alinghi annonce son retour dans la compétition. Devant la presse, le fondateur Ernesto Bertarelli, qui avait participé aux dernières courses de l’équipe, déclare que l’équipe a l’intention de « faire quelque chose de totalement nouveau » : le partenariat avec Red Bull est alors

Arnaud Psarofaghis, le skipper d’Alinghi Red Bull Racing.

dévoilé, avec pour objectif la formation d’une nouvelle équipe combinant les expertises en F1 et en voile. Son nom : Alinghi Red Bull Racing – un nouveau challenger vient de rentrer dans le jeu.

Barcelone est une ville qui a une longue et riche histoire avec la mer et la voile. En 2023, de nouveaux hangars à bateaux sont venus compléter ceux, déjà très nombreux, qui bordent le Port Vell de la cité catalane : ces hangars accueillent aujourd’hui les équipes concourant pour la 37e America’s Cup.

Lorsque ETNZ a remporté la coupe en 2021, ils ont pu choisir le lieu de la prochaine compétition et, chose très rare, ont renoncé à l’avantage de « jouer à domicile » en décidant de l’organiser dans la cité catalane en octobre 2024. Leur base est aujourd’hui entourée de celles des cinq challengers, et parmi elles, le bâtiment d’Alinghi Red Bull Racing se distingue, avec ses couleurs rouge et bleu qui rappellent celles de l’équipe de F1. Des passants curieux s’aventurent parfois jusqu’à l’entrée, espérant apercevoir quelque secret caché – mais c’est loin des regards indiscrets que la véritable magie opère.

Devant le hangar, en cale sèche, se trouve un bateau aux couleurs d’Alinghi Red Bull Racing : un AC75 – la catégorie de monocoque de 20,5 mètres de long que toutes les équipes vont utiliser. Son esthétique de canoë intrigue les touristes, qui le prennent en photo. Nommé BoatZero par les Suisses qui l’ont acheté comme navire d’entraînement, il fut l’un des bateaux de ETNZ lors de la dernière compétition. Cet objectif désormais atteint, sa coque a été dépouillée

de son mât et de ses voiles, l’équipe ayant développé un BoatOne supérieur et infiniment plus secret.

« Comparé à notre BoatZero, c’est le jour et la nuit, nous explique Silvio Arrivabene, co-directeur général de l’équipe, en parlant du nouveau BoatOne. La coque, les appendices, tout est complètement différent. »

Le navigateur et architecte naval italien faisait partie de l’équipe de construction d’Alinghi lorsque celle-ci a concouru en 2010. En 2017, il a rejoint American Magic – l’équipe représentant le plus ancien syndicat du sport, le New York Yacht Club –travaillant sur son bateau pour la course de 2021. Avant même que cette compétition ne soit terminée, Arrivabene a reçu un appel de Bertarelli : « Ernesto avait envie de revenir dans la course et m’a demandé si j’étais intéressé, se souvient-il. Il n’a pas fallu grand-chose pour me convaincre – juste ce simple coup de téléphone. »

Si l’expérience d’Arrivabene avec l’équipe de 2010 pesait évidemment dans la balance, celle qu’il avait acquise lors de l’édition 2021 était encore plus précieuse, compte tenu de la révolution technologique qui avait bouleversé le monde du sport nautique quelques années auparavant.

En 2012, l’hydrofoil – l’utilisation de structures en forme d’aileron pour soulever un bateau hors de l’eau, réduisant la traînée – n’était pas inconnu. Populaire en kitesurf, il avait été adopté par une plus petite classe de monocoques appelés Moths. Mais c’est ETNZ, cette fois défiant les défenseurs Oracle Team USA, qui a envisagé pour la première fois de les utiliser sur des supports plus grands –notamment les catamarans qu’ils allaient inscrire à l’America’s Cup de l’année suivante. Lorsqu’une photo (floue) de leur prototype volant au-dessus de l’eau a été divulguée, on a d’abord pensé à un fake, une illusion d’optique. Mais la graine avait été plantée, et les équipes se sont immédiatement mobilisées pour se surpasser. Résultat : la Coupe de 2013 s’est déroulée sur des catamarans qui ne faisaient pas que naviguer, mais qui volaient au-dessus de l’eau à plus du double de leur vitesse normale. « Ce fut un moment déterminant, explique Arrivabene. Jusqu’en 2013, les bateaux de l’America’s Cup étaient encore en contact avec l’eau. À présent, vous n’avez plus besoin de lest ni de quille, il n’y a plus de gîte (inclinaison du bateau, ndlr), la voile est semblable à une lame. Quant à la vitesse... »

Ce que décrit Arrivabene est un passage de l’hydrodynamique – la physique du mouvement dans les fluides – à l’aérodynamique – le déplacement dans l’air. C’est là que la seconde partie de la configuration d’Alinghi Red Bull Racing entre en jeu.

« Plus besoin de lest ni de quille. La voile est une lame. »
Silvio Arrivabene, co-directeur général d’Alinghi Red Bull Racing.

Prêt : avant que BoatOne ne file en mer, marins et ingénieurs vérifient les systèmes.

BoatOne ressemble plus à la Batmobile qu’à un bateau.

Couture vitale : (ci-dessus) un ouvrier voilier travaille sur une machine à coudre géante dans l’atelier de voiles Alinghi Red Bull Racing, qui doit rester impeccable ; (ci-dessous) le bateau BoatOne est soulevé du quai et mis à l’eau.

L’AC en chiffres

8

Le nombre de membres d’équipage : quatre cyclors, deux barreurs et deux régleurs de grand-voile/ contrôleurs de vol.

20,5

La longueur du bateau en mètres.

50

La vitesse en nœuds que BoatOne peut dépasser en vol.

26,5

La hauteur réglementaire du mât en mètres.

15 000

La pression en tonnes exercée à certains endroits de la grand-voile quand le bateau est à pleine vitesse.

6

Le nombre de voiles principales autorisées pour toute la compétition. Quinze focs (la plus petite voile) sont autorisées.

Milton Keynes n’est pas aussi glamour que Barcelone : la ville britannique, célèbre pour le nombre de ses ronds-points (130 ou plus au total), a même été qualifiée d’ennuyeuse par les gens du coin. Il y a pourtant une catégorie de personnes que ce nom fait vibrer : les fans de F1. Et pour cause : cette ville abrite la base de Red Bull Racing.

Juste en face de la base, on trouve Red Bull Advanced Technologies (RBAT), dont les avancées scientifiques (qui ont aidé à remporter sept championnats des pilotes de F1 et six championnats des constructeurs) sont appliquées à d’autres projets – d’une voiture à hydrogène pour les 24 Heures du Mans à une rampe de BMX assez légère pour être accrochée à une montgolfière. Depuis 2021, on y planche aussi sur des voiliers capables de voler.

« Avec les hydrofoils, vous devez générer suffisamment de portance pour déplacer six tonnes et demi, explique Dan Smith, ingénieur en aérodynamique chez RBAT. À pleine vitesse, la pression devient si faible que l’eau entre en ébullition à 23 °C et se transforme en air. L’hydrofoil n’est plus soutenu par l’eau et vous perdez toute portance – c’est ce qu’on appelle la cavitation. »

Si les notions d’hydrodynamique sont évidemment maîtrisées par les ingénieurs de RBAT, il y a un domaine dans lequel ils sont spécialisés : « Nous avons été surpris de voir à quel point l’America’s Cup se joue autour de l’aérodynamique, déclare le directeur technique Rob Gray. On leur a dit : “Vous êtes les experts sur l’eau, mais nous avons cette technologie – comment pouvons-nous vous aider ?” »

« La science des matériaux de ces bateaux est très similaire à celle de la F1, explique Adolfo Carrau, coordinateur de la conception chez Alinghi Red Bull Racing. Nous utilisons de la fibre de carbone et du titane, mais nous devons être stricts quant à la répartition du poids. Si un département me dit qu’il a besoin de trois kilos, je leur réponds : “En termes de gain de vitesse, combien allez-vous pouvoir me donner ?” »

« Les experts en aérodynamique nous aident à réduire la taille des composants, explique Ed Collings, responsable des composites et de l’analyse structurelle chez RBAT. Des matériaux plus lourds avec une section transversale plus fine – dans le safran, par exemple – réduisent la traînée. Réduisez encore ce poids et vous pouvez transporter plus de systèmes de contrôle, ce qui est positif en termes de performance. »

Comme on peut s’y attendre sur un monocoque volant, le monde de l’hydrodynamique croise parfois celui de l’aérodynamique. « Le plus flagrant, c’est pour la coque, qui touche à la fois l’eau et l’air avant le décollage, explique Carrau. Il est tentant de faire une forme 100 % aérodynamique, mais si elle est trop traînante dans l’eau – surtout à Barcelone, où il y a de grosses vagues – elle ne décollera pas. »

Carrau était marin avant d’être concepteur chez Alinghi Red Bull Racing. Une expérience qui, selon lui, est essentielle dans une équipe de l’America’s Cup, où les départements de conception sont réduits et doivent donc connaître plusieurs domaines. « Les

« Le bateau suiveur ne pouvait pas nous suivre, alors nous avons doublé ses moteurs. »

équipes de F1 peuvent avoir des centaines de concepteurs, poursuit-il. Ils passent toute leur carrière à développer un seul composant, comme l’aileron avant ou la suspension. »

L’un des composants essentiels d’un AC75, c’est notamment le système qui déplace la grand-voile. Les voiles sont le moteur d’un voilier, le vent étant le carburant – mais les hydrauliques utilisés pour régler les voiles sont actionnés par la force humaine. On utilisait autrefois des winches : en 2024, tout se fera à la force des jambes – quatre membres d’équipage, appelés « cyclors », chevauchant des pédaliers montés sur le pont. « Toute réduction de friction, c’est de l’énergie en plus que l’on peut utiliser ailleurs, explique Collings. Nous avons conçu l’ensemble du système de rail de grand-voile à partir de zéro. » Gray nous cite une phrase que Silvio Arrivabene lui avait dit un jour : « Rob, nous sommes les bûcherons, vous êtes les horlogers. » L’Italien s’en souvient très bien : « L’expérience de Red Bull Advanced Technologies dans le domaine de la micro-optimisation est un énorme avantage », déclare-t-il.

« Quand vous fabriquez une voiture de course, c’est un travail très fin et précis, mais dans un hangar à bateaux, vous avez besoin de gros outils, il y a de la poussière et du bruit. Le monde de la voile est rude. »

Le terme de « bûcheron » n’est pas forcément ce qui vient à l’esprit en entrant dans la base d’Alinghi Red Bull Racing. Surplombant le front de mer, on trouve le salon des invités, restauré par le chef local étoilé Romain Fornell. Plus loin, une salle de sport de 250 m² équipée de vélos d’exercice et de rameurs. Si certains des cyclors viennent justement du cyclisme, la plupart sont des rameurs, un sport qui demande 60 % de travail des jambes.

Sur le quai se trouvent trois hangars. Le premier est la voilerie (sail loft). Son sol est semblable à une immense table destinée à étaler des pans de textile haute technologie – un composite de fibre de carbone qui peut supporter jusqu’à 15 tonnes de pression à pleine vitesse. L’analogie la plus proche de la F1, ce sont les pneus – les voiles deviennent moins efficaces à mesure qu’elles s’usent. Chaque équipe est autorisée à avoir six grand-voiles pendant toute la compétition.

Un ouvrier voilier utilise une machine à coudre surdimensionnée. On nous dit que toute la zone a été « nettoyée » pour notre visite, ce qui signifie que tout ce qui est secret a été retiré de la vue. Mais la pièce elle-même est également propre au sens littéral – des

extracteurs aspirent chaque particule de poussière. En passant par une porte dans la salle suivante – l’atelier de gréement –, on aperçoit une énorme lance bleue. « Vous ne devriez pas voir cela », note notre guide. C’est le mât de l’AC75.

Le dernier hangar est le plus grand de tous – le hangar à bateaux. Derrière un voile opaque, à l’abri des regards, le fameux BoatOne de l’équipe suisse. Des endroits comme celui-ci, classés top secret, il y en a encore quelques-uns sur la base, mais inutile de chercher une soufflerie ou un bassin à vagues : le règlement exige que les bateaux soient testés exclusivement en mer, avec des photographes indépendants, dits « de reconnaissance », qui doivent partager ce qu’ils voient avec toutes les équipes. Cela rend les tests extrêmement difficiles. Contrairement à la F1, où une voiture peut évoluer au cours d’une saison, le BoatOne ne verra pas une course avant la dernière pré-régate en août, deux mois avant l’Amrica’s Cup. Mais l’équipage a une autre façon de tuer le temps – un simulateur.

L’accès à la salle du simulateur est limité au personnel autorisé – dont ne fait pas partie The Red Bulletin. Heureusement, le responsable Ozanne est là pour répondre à nos questions. Lorsqu’on lui demande ce qu’il y a dans ce simulateur, sa réponse est lapidaire : « C’est une réplique du bateau. »

On pense immédiatement aux simulateurs utilisés en F1 – un châssis mobile avec un écran. Joseph Ozanne corrige cette supposition : « En F1, le pilote n’a pas besoin de bouger la tête grâce à ses rétroviseurs. Sur un bateau de course, comme les membres de l’équipage ne peuvent pas voir ce que font les autres, on n’a pas d’écran mais une réalité virtuelle dans laquelle on peut voir ses mains. »

Pendant que les cyclors s’entraînent dans la salle de sport, les quatre membres du driving group – deux barreurs, et deux contrôleurs de vol et régleurs de voiles (qui opèrent les foils) – passent jusqu’à cinq heures par jour dans le simulateur. Au début, c’était juste pour apprendre à faire fonctionner le bateau. Les équipiers doivent être des citoyens du pays qu’ils représentent et, comme l’équipe suisse est nouvelle, aucun n’avait piloté un AC75 auparavant. « La première année, ils ont fait l’équivalent de deux tours du monde, raconte Ozanne. Maintenant, ils se concentrent sur un autre aspect crucial : la course. Ils construisent tout un manuel dans le monde virtuel avant de faire face à un adversaire. »

Le simulateur a également été essentiel pour développer chaque aspect du BoatOne. Ozanne précise : « Nous n’utilisons aucun élément sans le tester d’abord dans le simulateur. » Une fois la construction du yacht terminée, ses concepteurs sont devenus des analystes de performances, observant l’AC75 et réinjectant ces données dans le simulateur ; et pour en optimiser le processus, on utilise l’IA : « Le simulateur peut fonctionner tout seul. Quand je pars le soir, j’appuie sur un bouton et le lendemain matin, j’ai des heures de simulation. Mais c’est vraiment pour réduire l’écart entre la conception, l’optimisation et le monde réel. Parce qu’au bout du compte, c’est un équipage de voile qui va sur l’eau, pas un ordinateur. »

Il est à peine 9 heures, mais une partie de l’équipe suisse s’affaire déjà sur le quai depuis quelques heures : c’est une journée d’exercice en mer pour le BoatOne. Lorsqu’il sort du hangar, on se rend compte à quel point il est différent du BoatZero. La proue arbore une rainure, comme une bouche. Le pont et les flancs ont été redessinés. Plus spectaculaire encore, les parois de la poupe ont été découpées pour révéler un tableau arrière plongeant. Il ressemble plus à la Batmobile qu’à un bateau. Le mât de 26,50 mètres est levé par une grue puis fixé sur le pont du bateau.

Alors que BoatOne est mis à l’eau, l’équipe de reconnaissance prend des photos. Un bateau suiveur, avec à son bord des ingénieurs et leurs ordinateurs portables, est lancé à sa poursuite, un autre est rempli de bouées à larguer en mer pour marquer le parcours.

« Nous avons toujours des bateaux suiveurs, déclare Barnabé Delarze, l’un des cyclors et ancien rameur olympique. À tout moment, il y a des gens qui surveillent ce qui se passe sur l’AC75, sautant à bord entre les sessions pour vérifier que tout fonctionne. En cas de besoin, ils peuvent nous remorquer. Nous sommes également remorqués en mer – on ne peut pas hisser les voiles à quai, car si le vent souffle, cela peut très vite mal tourner. » Le plus puissant des bateaux suiveurs a une puissance de 1 800 chevaux.

« Aucun élément n’est utilisé sans le tester dans le simulateur. »
« Alinghi Red Bull Racing est neuf, notre équipage jeune. »

« Il est nécessaire de suivre l’AC75, qui atteint jusqu’à 50 nœuds [92 km/h], dit Delarze. Le plus petit a 900 chevaux mais il ne pouvait pas nous suivre, alors nous avons doublé les moteurs. »

Pendant qu’on attache les voiles, des contrôles sont effectués sur les systèmes logistique, électronique et hydraulique. Les cyclors, quant à eux, testent leur équipement. « Nous avons des voiles pour différentes conditions de vent, explique Carrau. Le responsable météo doit être précis dans ses prévisions : si vous êtes coincé avec la mauvaise grand-voile, vous êtes foutu. »

Le groupe de pilotage arrive : leurs casques de protection sont équipés d’appareils de communication étanches. Psarofaghis est parmi eux, ses ambitions d’enfance désormais alignées avec l’équipe qu’il a toujours rêvé d’intégrer. Mais pour le barreur de 35 ans, il reste encore beaucoup à faire. Lors de leurs deux premières pré-régates – à proximité de Vilanova i la Geltrú en septembre dernier et à Djeddah en décembre – ils sont arrivés cinquièmes, puis troisièmes.

Révélation : la coque de BoatOne doit fonctionner dans l’eau et dans l’air. Une grande partie de ces tests a été effectuée dans un simulateur, mais chaque fois qu’Alinghi Red Bull Racing le sort, les autres équipes peuvent espionner ce qu’il a accompli.

« La première course, vous n’avez pas d’attentes ; la seconde, vous savez ce que vous voulez. À Djeddah, nous aurions pu faire mieux, dit-il. Mais cela nous a permis d’identifier nos points faibles. » Dans les deux régates, l’équipe a utilisé un AC40 – une réplique de l’AC75, mais deux fois plus petite, sans cyclors en raison des hydrauliques motorisées. Courir en AC40 n’est pas vraiment formateur pour l’AC75 », admet Arrivabene, qui souhaite multiplier les opportunités de piloter le grand monocoque en réduisant l’écart entre les compétitions à seulement deux ans – au lieu de trois ou quatre actuellement. « Vous avez tout cet élan, puis plus rien. C’est frustrant. C’est pourquoi nous voulons remporter cette Coupe pour changer tout cela. »

Cette vision de changement inclut autre chose – des navigatrices à bord. L’America’s Cup n’a pas de restrictions de genre, mais en 173 ans d’histoire, une seule femme a fait partie d’un équipage vainqueur – la navigatrice américaine Dawn Riley, en 1992. « Les hommes sont physiquement plus forts, dit Coraline Jonet, responsable du projet Youth & Women’s America’s Cup d’Alinghi Red Bull Racing. Mais il y a des rôles à bord qui ne nécessitent pas de force physique. Les capacités cognitives des femmes sont les mêmes que celles des hommes, il faut juste de l’expérience. » Jonet parle en connaissance de cause : la navigatrice de 42 ans a remporté sept championnats sur des monocoques D35 plus petits, sur le lac

Léman. À présent, elle supervise une nouvelle génération : la Youth America’s Cup – destinée aux jeunes 18 à 25 ans – existe depuis quelques années, mais c’est cette année, en 2024, que débutera la première Women’s America’s Cup. Les deux suivent le même format – douze équipes sur des AC40. « C’est un support parfait pour une compétition, éclaire-t-elle. Ce bateau va très vite – 40 nœuds –et l’on peut s’essayer à tous les postes. »

L’équipe a ouvert les candidatures à tous les navigateurs suisses, sélectionnant six femmes et six hommes. « Trois des femmes correspondent aux critères d’âge des jeunes, nous dit Jonet, ce qui signifie qu’elles pourraient concourir dans les deux Coupes. Cela leur donnerait une énorme expérience. » Et de la visibilité, puisque la finale de la Women’s Cup a lieu durant l’événement principal, plus médiatisé. « En voyant des femmes participer à la course, les jeunes spectatrices pourront se dire : “Je veux faire ça. Je peux faire ça, moi aussi.” »

Quand verra-t-on des femmes sur un AC75 ?

« Peut-être lors de la prochaine Coupe », répond Coraline Jonet, souriante. Elle-même aimerait en faire partie : « Je navigue depuis l’âge de sept ans. Ce serait parfait. »

La plage de la Barceloneta est aujourd’hui bondée de familles et de personnes venant se baigner, mais la plupart sont trop occupées pour prêter attention aux bateaux qui s’affrontent au large, sur les eaux des Baléares. Des monocoques impressionnants qui fendent l’air à une vitesse vertigineuse.

The Red Bulletin a embarqué dans le bateau suiveur de 900 chevaux, juste derrière BoatOne. En dépit des capacités indéniables de Luis, notre barreur, le bateau volant nous distance. C’est une chose de savoir comment fonctionne un AC75, c’en est une autre de le voir – aucune partie du monocoque ne touche l’eau, si ce n’est le safran et l’un des foils. Alors qu’il vire, le bateau ne s’incline pas. Iréel.

« Je sors sur le bateau suiveur tous les jours, nous raconte Arrivabene, et mon œil est maintenant habitué à voir un bateau à la verticale et des ailerons bougeant de haut en bas. Nous ne pouvons pas imaginer revenir à la voile traditionnelle. »

Y a-t-il quelque chose de plus traditionnel qu’une compétition de voile qui dure depuis 173 ans ? Pourtant, c’est une autre tradition qui définit l’America’s Cup : la quête du progrès – et peut-être que cette année, le progrès aura les couleurs de l’équipe suisse.

« Alinghi Red Bull Racing est nouveau dans la course, notre équipage est jeune, avec des membres qui n’ont jamais participé à la Coupe. Les autres équipes ont probablement pensé en nous voyant, “Ces gars ont encore beaucoup à apprendre”, nous confie Arrivabene. Mais vous savez ce que je pense, moi ? Nous sommes prêts. »

Les Louis Vuitton Cup Challenger Selection Series commencent le 29 août.

La 37 e America’s Cup commencera le 12 octobre 2024. alinghiredbullracing.com

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Expédition à VTT dans le Colorado

VOYAGE/ COLORADO

«  Si je freine trop tard, je bascule dans un ravin de 30 mètres de haut  ; si je survis, je serai récompensé par une section connue sous le nom d’Hospital Hill.  »

Au terme d’une ascension abrupte et rocailleuse dans l’ouest du Colorado, le manque d’air irrite mes bronches. Mais plus que l’altitude, c’est la vue sur les blocs de Grand Junction, dans la vallée en contrebas, qui me coupe le souffle. Entre la ville et moi, un sentier appelé Wineglass, descente de 1,5 kilomètre depuis un large triangle de roche lisse vers une section de single trail mince comme un fil. C’est l’une des premières difficultés du Ribbon Trail, un parcours de descente en VTT de 4,5 km (niveau diamant noir) qui fait partie des Lunch Loops, réseau de sentiers encerclant la ville. Guide local et photographe, Devon Balet me met en garde  : ici, on atteint vite les100 km/h et un freinage trop sec peut transformer la surface de grès sous mes roues en une véritable patinoire. Ce terrain intransigeant sera le dernier défi de mes cinq jours d’odyssée en VTT dans le Colorado. Originaire de Londres, je suis passionné de vélo de route, de gravel et de VTT et j’ai déjà pas mal de sentiers et de routes au Royaume-Uni et en Europe à mon actif. Aussi pouvais-je difficilement refuser cette opportunité de découvrir enfin le cœur spirituel du VTT. Ces single trails en granite, ces montées et descentes alpines enneigées et ces paysages désertiques lunaires typiques du Colorado sont un condensé de tout ce que les États-Unis peuvent offrir aux amoureux du VTT. Première étape obligée  : la commune de Fort Collins, au nord de Denver, ainsi que les sentiers à l’ouest du Horsetooth Reservoir. Depuis le départ au bord de l’eau, je me laisse bercer par un faux sentiment de sécurité au cours de l’ascension d’une soixantaine de minutes, un peu ardue mais assez gérable.

La section finale, très accidentée et jonchée de trous, me force à pousser mon vélo. Mais la beauté du paysage à l’ouest des sommets du Front Range des Rocheuses atténuent la douleur. C’est dans la descente du Wathen, pente de 2 km classée diamant noir parsemée de rochers de quartz scintillants et de virages élevés et ondulants que tout s’écroule, littérale-

DESCENTES AU GALOP

Charlie Allenby négociant l’un passage technique du Horsetooth Reservoir (ci-contre) ; affrontant les pièges de la face nord du single trail Ramble On dans le Powderhorn Bike Park (à droite).

À FLANC DE ROCHER Allenby admire la vue au départ du Ribbon Trail ; (page d’ouverture) descente extrême sur le Palisade Plunge.

ment. Je fais deux chutes coup sur coup à cause des leviers de frein inversés (ce que je croyais être mon frein arrière était en fait mon frein avant) et des racines glissantes. J’en sors sans bobos, mais ma confiance en a pris un sacré coup. Je finis la descente étroite et sinueuse en redoublant de prudence, le souffle court, le cœur battant à tout rompre.

Je finis par atteindre sain et sauf la vallée. Pas possible d’être raide comme un piquet pour bien négocier les bosses et les virages d’un sentier tout-terrain. Je dois me détendre et retrouver une certaine fluidité dans le rythme. Le reste de la journée se passe sans accroc, j’ai enfin réussi à rentrer dans un flow. Aérien, impassible, j’enchaîne les descentes de rochers en grès rouge de cette doubletrack. Les jours suivants, je traverse la ligne de partage des eaux et continue vers l’ouest à travers le Colorado, récompensé par une profusion de paysages magni-

UN BON BOL DE PANORAMA Allenby fait une pause pour contempler les vignobles et les vergers de Palisade.

fiques. Même s’il est difficile de se débarrasser totalement de l’appréhension à l’approche de terrains inconnus, je sens ma confiance renaître.

Si le village alpin de Snowmass est moins connu que la célèbre station de ski d’Aspen, ses sentiers cyclistes surpassent ceux de son illustre voisine, avec des montées raides en lacet à travers des forêts de peupliers aux troncs blancs, des parties sur les crêtes exposées, et des descentes aussi fluides que grisantes. Sur le Deadline Trail, spécialement creusé pour les vététistes, je respire un bon coup et franchis les sauts à fond la caisse, la descente quasi verticale du West Government Trail me permet enfin de surmonter cette peur des racines et des rochers que je traînais depuis Fort Collins.

Je poursuis mes pérégrinations le long de la rivière Colorado qui descend en grondant vers l’ouest, alimentée par la neige fondue. Difficile de croire que ce torrent furieux se termine en un mince filet d’eau au Mexique. L’horizon change  : les pics pointus laissent place aux sommets plats et étendus, la végétation verdoyante à un paysage désertique et aride. Tel un mirage, les vergers et les vignobles de

LE CLUB DU MILE HIGH

Avec une altitude moyenne de 2 074 mètres, le Colorado est l’État le plus élevé des ÉtatsUnis. Denver, la capitale du Colorado, culmine à 1 609 mètres et est surnommée Mile High City. Pour se déplacer facilement, mieux vaut louer une voiture, même s’il est également possible de prendre des vols de correspondance depuis l’aéroport international de Denver vers des aéroports situés non loin de Fort Collins, Snowmass Village et Grand Junction. colorado.com

Palisade apparaissent à l’horizon, mais toute mon attention est fixée sur le sommet au sud de la modeste bourgade. Culminant à 3  454 mètres au niveau du Crater Peak, son point le plus élevé, et avec une superficie totale légèrement inférieure à celle des Brecon Beacons au pays de Galles, la Grand Mesa est la plus haute montagne à sommet plat au monde. Elle abrite également le Powderhorn Bike Park, station accessible en remontée mécanique avec six sentiers de descente dont l’impressionnante Palisade Plunge, longue de 51 km et réservée aux experts.

J’en teste les derniers 2,5 km très techniques sous une chaleur écrasante. C’est la première fois que je roule sur du grès et ça n’est pas une mince affaire. Austin Roberts, mon guide, qui travaille à Palisade Cycle & Shuttle, me recommande de garder la roue avant en mouvement. Il m’indique la meilleure ligne à suivre sur une bande de roche fissurée de 4 mètres de haut et la manière d’éviter une dalle en surplomb sur une terrible section de roche sédimentaire tortueuse. À chaque nouveau défi surmonté, je sens une grosse montée d’adrénaline et mes chutes à Fort Collins se conjuguent peu à peu au passé.

Pourtant, le dernier jour, alors que je m’apprête à m’élancer du sommet du Wineglass de Grand Junction, je n’en mène pas large. Si je freine trop tard, je bascule dans un ravin de 30 mètres de haut  ; si je survis à cette descente sur l’immense dalle rocheuse, je serai récompensé par une section connue sous le nom d’Hospital Hill. Peu pressé de me retrouver aux urgences, je décide de parcourir ce secteur à pied.

Les mains agrippées au guidon, les doigts effleurant les freins, je laisse la gravité prendre les rênes. La surface lunaire crevassée tente de me désarçonner, je dois faire appel à tout ce que j’ai appris dans le Colorado. Épaules détendues, genoux fléchis, je laisse le vélo bringuebaler sous moi, la suspension absorbe le pire des chocs. Je n’ose regarder la vitesse sur mon GPS, mais à en juger par la force du vent qui me fouette le visage, je file comme une fusée. À mesure que le sentier se rétrécit, je freine légèrement pour éviter un arrêt trop brutal.

Lors des derniers mètres du Ribbon Trail, je suis parcouru par un frisson de plaisir. En surmontant les obstacles posés sur ma route par le Colorado, j’ai dû sortir de ma zone de confort et suis convaincu que je pourrais utiliser cette expérience et la mémoire musculaire acquise ici pour affronter n’importe quel sentier.

IG  : @charlie.allenby

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SURF/ SWELL INTÉRIEUR

Envie de surfer mais vous habitez trop loin de l’océan  ?

Alors laissez vous tenter par les vagues indoor. Focus sur le City Surf Park, proche de Lyon.

Quand Aymeric Désert, 34 ans – dont vingt de take-off sur la côte Altantique –a créé la première vague (et le plus grand surf-park d’Europe) en 2020, c’était avant tout pour partager une passion et la rendre accessible. «  Le surf est le sport le plus dur qui soit, d’autant que tout le monde n’habite pas près du littoral pour s’y entraîner, bref, il faut des années avant de pouvoir s’éclater. Je me suis dit que la solution pourrait être une vague en bas de chez soi.  » Aymeric donne cinq raisons de succomber au swell intra-muros.

1. C’est toute l’année

«  Pour 95  % des gens, le surf est une chimère. Trop loin, trop dur, trop cher. L’idée de cette vague, c’est garantir des bonnes sensations de glisse en toutes saisons, à un public qui a envie de se mettre au surf mais habite dans des

BIEN SE METTRE DANS LE BAIN INDOOR

LES 3 TIPS DE YOAN, WAVEMAN

CHEZ CITY SURF PARK

1. Ne vous laissez pas impressionner par le bruit, par les chutes, il n’y a aucun danger  : plus on se décontracte sur la vague, plus les premiers passages seront fluides. On est là pour vous donner des conseils et on analyse leur application en temps réel, ce qui permet de gagner du temps d’apprentissage.

2. Côté débutants, le b.a.-ba de la technique pour garder l’équilibre sur le board est assez basique  : il ne faut pas hésiter à jouer avec le haut du corps en pensant à verrouiller le bassin, les jambes fléchies, le pied arrière bien en appui sur la planche pour ne pas planter l’avant, et avoir le regard droit devant.

3. Même si on a l’habitude de surfer dans l’océan, ne pas avoir peur de repartir de zéro  : le sport a beau être le même, la pratique est différente. Il y a une phase de transition, sachant que sur notre vague, à la différence de la glisse en extérieur, on passe beaucoup plus du pied avant au pied arrière.

grandes métropoles, à plusieurs heures de route de la mer ou de l’océan. En trois ans, on a organisé 60  000 sessions de surf et 90  % de notre clientèle vient pour la découverte.  »

2. On progresse très vite

«  Notre technologie de vague statique en eau profonde permet de créer une vague à taille modulable de 80 à 150 cm sur une longueur de 10 m, soit un flux d’eau instantané en fonction du niveau du pratiquant. Sur une heure de session, on a 40 min de coaching, avec des wavemen ou women qui enseignent les gestes, mais aussi les valeurs du surf. C’est le seul outil qui permet de travailler sans fin une figure. Ce n’est pas un manège. On essaie de tirer notre sport vers le haut.  »

3. Pas de danger

«  Sous le pied de la vague, il y aura toujours minimum 40 cm d’eau, impossible de toucher le fond en tombant. On n’a jamais eu d’accident, de crâne ouvert, d’ailerons qui finissent dans la cuisse, etc. Pas de collisions non plus. Il n’y a pas de localisme en indoor, pas d’agressivité au line-up, la session est collective, mais on passe à tour de rôle, aucun risque de se faire griller la priorité  !  »

4. Écolo et économique

«  Notre technologie est très peu consommatrice d’eau. On a 450 m³ d’eau en cycle fermé, soit l’équivalent de la conso de treize ménages français. On est sur du 300 kilowatts, l’équivalent du moteur de la dernière Tesla électrique. Et l’eau est chauffée à 28 degrés toute l’année par un système de récupération thermique. D’autre part, un surf trip n’est jamais neutre en termes d’empreinte carbone et pas toujours très rentable question qualité-prix, surtout si les conditions ne sont pas au rendez-vous. Chez nous, à partir de 49 euros, matériel inclus, on a 5 à 6 min de ride réel sur la vague  : c’est énorme comparé au temps passé sur une session de glisse sur l’océan, entre la barre à passer, la vague à lire, etc.  »

5. On socialise

«  On se revendique spot de surf, lieu de vie. Tout le monde se parle, et sur la vague, le fait d’être en indoor favorise clairement le relationnel, les échanges de conseils. On peut aussi s’inspirer en regardant les 10  % de forts riders qui viennent s’entrainer chez nous. À la sortie, tout le monde a le smile  !  »

City Surf Park, 2 av. Simone Veil, 69150 Décines-Charpieu  ; city-surf-park.com

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3,6 kilomètres à pied…

Le type au bob, Jaan Roose, a tenté de réaliser ce que personne n’avait jamais fait auparavant : traverser le détroit de Messine, situé entre l’île de la Sicile et l’Italie, sur une slackline d’une épaisseur de 1,9 cm. Pour réaliser cet exploit, l’Estonien de 32 ans a dû parcourir plus de 3  600 m. Il a dépassé le record de la plus longue marche sur une slackline (2  710 m), mais n’a pas réussi à homologuer un nouveau record du monde, puisqu’il est tombé à quelques mètres de la ligne d’arrivée. «  Je me sens “jaantastic”, je suis super content, un peu fatigué et à bout mentalement  », a-t-il déclaré à l’arrivée.

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