The Red Bulletin FR 09/24

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L’ÉPOPÉE DE RED BULL RACING

20 ANS D’AUDACE, DE RISQUE ET DE PERFORMANCE

PAR MAX, VETTEL, HORNER & CO + LE FUTUR DE LA F1

Votre magazine offert chaque mois avec

Konstantin Reyer

Le photographe autrichien, spĂ©cialisĂ© dans les sports d’action, dit du BoatOne d’Alinghi Red Bull Racing que son accĂ©lĂ©ration « le rend difficile Ă  photographier sur une mer bleue agitĂ©e ». P. 78

Chloé Sarraméa

Journaliste, réalisatrice et radio host spécialisée musique, elle a été profondément marquée par Zinée.

NĂ©e Ă  Toulouse et fiĂšre d’y ĂȘtre restĂ©e, l’étoile montante du rap l’a Ă©mue avec sa candeur, sa gĂ©nĂ©rositĂ© et sa fragilitĂ©. P. 22

Tim Kent

BasĂ© Ă  Londres, ce photographe (sociĂ©tĂ©, luxe, culture, auto) a shootĂ© les archives Red Bull Racing. « Travailler avec l’équipe de course Red Bull m’a donnĂ© un aperçu fascinant des dĂ©tails et de la prĂ©cision qui rĂšgnent en coulisses d’un tel phĂ©nomĂšne. » P. 48

Si la F1 a bĂ©nĂ©ficiĂ© d’une grosse hype ces derniĂšres annĂ©es, c’est en partie grĂące Ă  l’écurie

Red Bull Racing. Au cƓur de ce numĂ©ro un peu spĂ©cial, nous revenons sur ses origines, ses pilotes stars (qui s’expriment au fil de nos pages – Max inclus), nous intĂ©ressons au leader de cette structure, Christian Horner, et vous montrons de l’historique : les voitures, piĂšces et accessoires qui ont contribuĂ© au succĂšs d’une Ă©quipe qui fĂȘte ses vingt ans cette annĂ©e. Aussi, nous accueillons un pilote français de F2 qui voit loin, Isack Hadjar, et montons mĂȘme Ă  bord du BoatOne d’Alinghi Red Bull Racing, engagĂ© sur la fameuse America’s Cup. Un bateau ? Jusqu’oĂč iront-ils ? Vous voici en pole position. Bonne lecture !

Hamda Al Qubaisi et d’autres Ă  ses cĂŽtĂ©s bĂątissent le sport automobile de demain.

Inspiration

Justine Dupont 20

Surfeuse

Zinée 22

Rappeuse

Red Bull Racing l’a projetĂ© dans l’ñge adulte.

IcĂŽne

Du Verstappen comme on l’aime. 100    % cash et exclu.

La F1 peut compter sur les femmes. Il est temps. Ce programme les soutient.

Portrait

Objectif en tĂȘte et parler vrai, Isack passe Ă  table.

Direction

Red Bull Racing et Alinghi Ɠuvrent pour Ă©lever le niveau d’excellence sur les flots. Pilotes

Red Bull Racing est indissociable de Christian Horner. DĂ©couvrez l’homme derriĂšre le mythe America’s Cup

Archives

Au plus prùs des voitures et du matos d’exception.

89 Voyage : Colorado

94 Indoor surf

97 Mentions légales

98 Finir en beauté

Le futur : le BoatOne d’Alinghi Red Bull Racing engagĂ© dans l’America’s Cup.

Tower Bridge, Angleterre (Se) faire le pont

«  Tu te dĂ©places tel un oiseau, essayant de ressentir le vent.  » Ce vol en wingsuit inĂ©dit des Autrichiens Marco FĂŒrst et Marco Waltenspiel Ă  travers le Tower Bridge de Londres a fait les gros titres dans le monde entier. Deux ans et demi de prĂ©paration, pour 45 secondes de vol, le 12 mai 2024. L’objectif  : Ă©voluer au sein du pĂ©rimĂštre d’une fenĂȘtre de 65 m  ×  32 m entre les tours emblĂ©matiques du pont, les passerelles et les bascules. Pour cĂ©lĂ©brer l’accomplissement de cette mission, les deux parachutistes, amis depuis 2007, se sont fait faire un tatouage en commun  : «  TB  » pour Tower Bridge, avec la date du saut. redbull.com

Milos, GrĂšce Capture

«  Pour moi, la photo, c’est le pouvoir d’une image qui dit toute l’histoire, philosophe le Grec Alex Grymanis. Comme je pratique le snow et le skate depuis l’enfance, je suis entourĂ© de mouvement, d’action. J’ai voulu capturer l’essence de ces moments avec mon appareil.  » C’est chose faite avec ce clichĂ© immortalisant son compatriote wakeboardeur Nikolas Plytas. IG : @alexgrymanis

Berlin,

Allemagne En enfance

Elias Giselbrecht (Autriche) a produit ce clichĂ© aprĂšs un long trajet en bus de treize heures. Il voulait shooter face Ă  cet Ă©difice du Parlement Ă  Berlin depuis qu’il s’est mis au parkour, gamin, et l’occasion s’est prĂ©sentĂ©e alors qu’il suivait le coach et athlĂšte Heinzl Revo. Elias explique  : «  J’ai passĂ© ces derniĂšres annĂ©es Ă  sillonner le monde Ă  la recherche d’endroits uniques pour prĂ©senter ce sport qu’est le parkour Ă  travers mes yeux.  » Son rĂȘve d’enfance est rĂ©alisĂ©. IG : @brichti_revo

Trikala, GrĂšce

Renversant

Cette sĂ©quence montre la premiĂšre boucle complĂšte rĂ©alisĂ©e sur un pipe de 7,5 m de haut par un athlĂšte de BMX. Le rider grec George Ntavoutian a en effet menĂ©, en avril dernier, son ambitieux projet FullPipe, qui s’est rĂ©vĂ©lĂ© ĂȘtre un test de tĂ©nacitĂ© autant qu’une dĂ©monstration de compĂ©tence. Le premier jour, une prise d’élan Ă  partir d’une rampe trop courte a eu pour consĂ©quence de l’immobiliser sur un matelas gonflable de sĂ©curitĂ©, terrassĂ© par la douleur. Mais dĂšs le lendemain, de nouveaux complĂ©ments – de bois (pour la rampe) et d’acier (la dĂ©termination de George) – ont permis Ă  ce jeune homme de 25 ans de tout dĂ©chirer. Respect. IG : @georgentavou ; redbull.com

Pharrell Williams

You Can Do it Too (2006)

«  Gros fan de Pharrell. Je tenais un skyblog, style compte fan, sur lui. Je crois avoir sĂ©chĂ© les cours le jour de la sortie de l’album In My Mind pour aller l’acheter. J’ai tout de suite adorĂ© ce track
 Entendre “ You can do it too young love”, de la part de ton artiste prĂ©fĂ©rĂ© lorsque tu as 13 ans, ça motive. Comme si tu pouvais tout faire.  »

Dom Kennedy

Watermelon Sundae (feat. Jason Madison) (2008)

«  Ce titre est sorti l’étĂ© oĂč j’ai rencontrĂ© Myth Syzer, on n’arrĂȘtait pas d’écouter ce son. C’est vraiment mon morceau ultime de l’étĂ©, c’est un hymne aux histoires d’amour. Avec les thĂšmes qu’il aborde, son flow, ses choix de prod. Dom Kennedy aurait pu faire partie du crew Bon Gamin.  »

Loveni

Essence

Le rappeur de Paris Est revient sur sa sĂ©lection spĂ©ciale Bon Gamin, qui nous rappelle que l’ADN mĂȘme de son crew peut rĂ©sider en chacun e de nous.

Loveni, c’est une technique indĂ©niable au flow intermittent et trĂ©pidant, l’incarnation vivante d’une nonchalance pourtant dynamique, qui a ce pouvoir de nous faire bouger Ă  toute heure de la journĂ©e. D’aprĂšs lui, l’essence d’un Bon Gamin, aussi abstraite que concrĂšte, relĂšve de l’authenticitĂ©, pour mieux s’inscrire dans sa vĂ©ritĂ©, comme il s’évertue Ă  le faire avec ses amis Ichon et Myth Syzer  : «  On se moque des diktats du moment ou de rĂ©pondre Ă  certains codes que le rap peut parfois imposer.  » Il ne s’agit pas d’ĂȘtre anti-rap et anti-codes, mais d’affirmer sa singularitĂ©, qui, dans son cas, a Ă©tĂ© inspirĂ©e par la musique afro-amĂ©ricaine, et notamment le rap du Sud des USA avec la Three 6 Mafia. Comme son nom l’indique, Loveni n’est pas «  un rappeur de l’industrie  », mais un «  artisan  ». Il nous propose ici quatre tracks qui reflĂštent la nature d’un Bon Gamin. IG  : @doublexlov

Écouter le dernier album de Loveni, MAD LOV, 2024, Bon Gamin Entertainment.

Kanye West

Slow Jamz (Twista & Jamie Foxx) (2004)

«  Il est sur The College Dropout, un des premiers albums que j’ai vraiment saignĂ©s. Je m’identifiais Ă  Kanye West, Ă  son image hors normes et au titre du LP – quitter l’école, pour aller au bout de sa passion. Sans parler de la prod, avec plein de rĂ©fs Ă  Marvin Gaye et de slow jams 70’s et 80’s.  »

Plastic Bertrand

Stop ou encore (1980)

«  Stop ou encore est hyper Bon Gamin, ça parle du passage Ă  l’ñge adulte. Il y a un gimmick qui revient  : “J’ai 15 ans, qu’est-ce que j’fais ?” (x3), et aprĂšs c’est 20 ans, puis 30, avec cette phrase qui revient  : “Je m’arrĂȘte ou je continue”, de flĂąner et boire des coups. C’est un titre funk boogie, on a l’impression qu’il rappe.  »

Des sentiers qui serpentent à travers la nature. Des sommets qui touchent le ciel. Les rayons du soleil qui suscitent des envies d’aventure et des villes uniques que vous n’oublierez jamais. Pour en savoir plus sur le Colorado, rendez-vous sur Colorado.com

Assise extrĂȘme

L’athlùte immobile

De l’Antarctique aux dĂ©serts chauds, Robby Silk reconnecte avec la nature grĂące au sport Ă  l’endurance la plus lente au monde.

L’üle de Cuverville a longtemps Ă©tĂ© une escale prisĂ©e par les bateaux de croisiĂšre, notamment en raison des colonies de manchots papous qui y sont Ă©tablies. Bien peu de personnes, cependant, ont envisagĂ© de passer l’intĂ©gralitĂ© de leur sĂ©jour sur l’ülot rocheux sans bouger, en position assise. À l’instar de Robby Silk. Lorsqu’il arrive lĂ -bas en fĂ©vrier 2022, l’écrivain-voyageur de 51 ans, originaire de Floride, a sorti sa chaise pliante et s’installe pour quatre heures. Il accueille tout   : les papous curieux, la vue, le vent glacial
 Silk est un pionnier de ce qu’il appelle «  l’assise extrĂȘme  ». C’est vingt ans plus tĂŽt que l’idĂ©e lui est venue, aprĂšs avoir

lu un roman dans lequel un bĂ©douin fixe le dĂ©sert, «  en attendant  ». «  Ça m’a bouleversĂ©, dit-il. Notre Ă©tat naturel n’est pas d’ĂȘtre liĂ© Ă  des appareils Ă©lectroniques. Pour moi, il s’agit d’entrer en rĂ©sonance avec le cycle du soleil.  »

Pour sa toute premiĂšre tentative d’assise extrĂȘme, l’AmĂ©ricain jette son dĂ©volu sur le parc national de Joshua Tree, en Californie, le 21 juin 2020 – jour du solstice d’étĂ©, pour accentuer le cĂŽtĂ© extrĂȘme de l’action. AprĂšs coup, il rĂ©alise qu’il n’a pas accordĂ© assez d’attention au choix de l’endroit ni Ă  sa prĂ©paration. Il dĂ©veloppe alors des rĂšgles pour ses expĂ©riences futures  : «  Pas de smartphone. Pas de textos.

Roi des gens qui ne s’ennuient jamais : (de haut en bas) Silk sur l’üle de Cuverville, en fĂ©vrier 2022 ; pause mĂ©ditative dans le canyon de Palo Duro, au Texas.

Aucune connexion internet. Pas de chaise au dossier inclinable.  » Et, crucial  : «  On a le droit de se lever et de s’étirer. Et de bouger pour les pauses techniques. Mais l’athlĂšte doit rester proche de sa chaise en toutes circonstances.  »

Quatre ans plus tard, Silk utilise toujours la mĂȘme chaise et fait des repĂ©rages, du canyon de Palo Duro (Texas) Ă  Doha (Qatar) Ă  la recherche de l’angle Ă  360  ° parfait pour s’asseoir et se laisser absorber par le paysage, du lever au coucher du soleil. «  C’est une discipline mentale. Ça peut durer quinze heures par jour. Il faut rester assis, mĂȘme sous la pluie ou la chaleur. Il y a quelque chose de trĂšs primitif lĂ -dedans.  »

La patience est parfois rĂ©compensĂ©e. Au milieu des prairies vierges et sauvages du Nebraska, au crĂ©puscule, en octobre 2023, Silk est rejoint par une douzaine de bovins curieux. Une barriĂšre les empĂȘche d’approcher trop prĂšs de lui, mais par la suite, l’athlĂšte raconte  : «  Ce fut une belle expĂ©rience que je n’aurais jamais pu vivre si je n’étais pas restĂ© assis lĂ .  » Silk trouve du sens dans ces interactions avec la nature  : «  C’est un sentiment d’accomplissement.  »

Quant Ă  la dimension sportive de l’assise extrĂȘme, Silk dĂ©veloppe  : «  Une fois qu’on a dĂ©terminĂ© en quoi le fait de s’asseoir peut ĂȘtre un dĂ©fi, on peut ajouter un Ă©lĂ©ment compĂ©titif. Par exemple [pendant la derniĂšre performance]  : quelle a Ă©tĂ© la tempĂ©rature max  ? Y avait-il vraiment tant d’insectes que ça  ?  » Dans cette optique, si l’athlĂšte trouve un moyen de gĂ©rer les moustiques, les Everglades, en Floride, pourraient constituer sa prochaine destination. «  Quand on dĂ©bute, il n’est pas nĂ©cessaire de chercher l’extrĂȘme tout de suite, soulignet-il. Trouvez dĂ©jĂ  un endroit qui vous plaĂźt. Allez-y une heure ou deux, avec l’intention de dĂ©connecter, avec un peu de discipline, et observez attentivement ce qui vous entoure.  » extremesitting.org

Design social & réconciliation

DĂ©jĂ  quatre ans que le collectif Hall Haus bouscule les codes du design industriel et du mobilier, les (re)destinant Ă  tous et toutes, avec une ambition sociale.

Studio de design basĂ© Ă  Paris et fondĂ© en septembre 2020 par Abdoulaye Niang, Sammy Bernoussi, Teddy Sanches et Zakari Boukhari, le collectif Hall Haus embrasse les cultures urbaines et les arts dĂ©coratifs Ă  travers son engagement et son goĂ»t de la matiĂšre. Ses trois premiers membres sont diplĂŽmĂ©s de l’ENSCI avec une spĂ©cialisation en design industriel, tandis que Zakari est titulaire d’un diplĂŽme de GĂ©nie des procĂ©dĂ©s Ă©nergĂ©tiques de l’École des arts et mĂ©tiers. Ensemble, les membres de Hall Haus dĂ©noncent, par la fusion de leurs cultures populaires avec le design et l’influence du style architectural de l’école du Bauhaus, un certain mĂ©pris de notre sociĂ©tĂ© dans l’amĂ©nagement du territoire.

Tout a commencĂ© en 2020, Ă  Lafayette Anticipations (fondation du Groupe Galeries Lafayette fĂ©dĂ©rant «  les actions de soutien Ă  la crĂ©ation contemporaine  ») avec le programme À l’Ɠuvre, qui leur a permis de remporter une bourse et une rĂ©sidence artistique pour exposer leurs Ɠuvres, grĂące Ă  la crĂ©ation du fauteuil Curry Mango, directement inspirĂ© de l’assise Quechua – objet phare des quartiers populaires et des aficionados du camping et des barbecues, et de la chaise Wassily, rendant quant Ă  elle hommage Ă  Marcel Breuer. La chaise en question permettra Ă  Hall Haus d’ĂȘtre finaliste du concours de design de la Villa Noailles 2022, dans la catĂ©gorie Design objet.

L’essence mĂȘme de la dĂ©marche du quatuor se retrouve dans la crĂ©ation Wassily, qui se rĂ©vĂšle une vĂ©ritable porte d’entrĂ©e vers des collaborations prestigieuses comme avec Nike en 2022, pour qui Hall Haus a animĂ© un workshop Ă  l’occasion des cinquante ans de la marque. Et puis, il y a eu l’exposition Hall Haus  : Pour Ceux, situĂ©e dans l’ancien magasin emblĂ©matique Tati Ă  BarbĂšs-Rochechouart, dont le titre fait Ă©cho au morceau de Mafia K’1 Fry.

De haut en bas, les quatres membres du collectif Hall Haus : Teddy Sanches, Sammy Bernoussi, Abdoulaye Niang et Zakari Boukhari.

Le 23 mai 2023, le collectif publie sur sa page Instagram une photo de leur banc en acier intitulĂ© Pour Ceux Bench, avec comme lĂ©gende  : «  À la classe ouvriĂšre, les darons Ă©boueurs. Les daronnes qui taffent dans les travaux sanitaires, dans la douleur.  » Rohff dans le son Pour ceux (Mafia K’1 Fry, 2003). Avant d’ajouter  : «  Vous l’avez sans doute remarquĂ©, c’est devenu une galĂšre de s’asseoir confortablement dans la rue. Lorsqu’ils ne sont pas remplacĂ©s par des modules inclinĂ©s ou par des structures qui permettent d’ĂȘtre assis-debout, les bancs sont segmentĂ©s par des barres qui empĂȘchent de s’allonger. Ces obstacles sont

appelĂ©s des dispositifs antiSDF. L’objectif est de dissuader les personnes sans-abri de s’installer dans l’espace public et de les invisibiliser de nos villes. Cette conception malveillante Ă©carte du mĂȘme coup toutes les populations  ; les personnes ĂągĂ©es, les femmes enceintes, plus personne ne peut se poser dans l’espace public. Nous, on est attachĂ©s Ă  une autre philosophie et c’est un autre message qu’on veut faire passer  ! On a imaginĂ© le banc pour celles et ceux qui poncent les rues, pour nos daron·ne·s, pour les enfants et travailleur·euse·s Ă  la sortie de l’école et du travail. Avec une assise large et sans obstacles, ce banc est

destinĂ© au confort de tous. En fait, c’est notre banc idĂ©al pour le Paris de demain  !  »

Avec Hall Haus, tout est pensĂ© dans les moindres dĂ©tails  : objets, matiĂšres, techniques et reprĂ©sentations dans le but d’intĂ©grer au mieux une certaine dimension sociale et d’insuffler leurs visions du monde, qui se veulent plus inclusives.

PortĂ©s par leur savoir-faire maĂźtrisĂ© et leur ambition inĂ©galĂ©e, les quatre membres du collectif, Abdoulaye Niang, Sammy Bernoussi, Teddy Sanches et Zakari Boukhari sont mĂȘme consacrĂ©s par l’as du mobilier accessible Ă  tous, IKEA, en juin 2023. Le gĂ©ant suĂ©dois les a en effet contactĂ©s dans le cadre du programme Pour un mode de vie sain et durable, en vue de «  pousser Ă  travers l’accessibilitĂ© et le vivre-ensemble [leur] vision du mode de vie durable, la proximitĂ© avec la nature, la communautĂ© ou encore les initiatives locales, ainsi que le partage et la transmission des savoir-faire et des connaissances  ».

ans avant

À propos d’initiatives locales, on ne peut que mentionner la collaboration avec JAHJAH Studio, la mĂȘme annĂ©e, Keep the sun in your haus, autour d’objets domestiques et de l’art de la table. Assiettes en porcelaine de Limoges, casiers ou encore chaises en acier polyzinc
 Tout est fabriquĂ© en France.

Depuis, les crĂ©ations de Hall Haus ont Ă©normĂ©ment voyagĂ©. À l’occasion de la Milan Design Week 2024, le collectif a exposĂ© trois de ses crĂ©ations phares : le canapĂ© modulable Haus Dari, le fauteuil Curry Mango, et la chaise DKR – par ailleurs rĂ©compensĂ©e lors de la French Design 2024. Les Ɠuvres ont ensuite sĂ©journĂ© aux Archives nationales de Pierrefite-Sur-Seine (93) puis ont Ă©tĂ© exposĂ©es Ă  la Galerie Paradis, avant de devenir partie prenante des installations de la fondation de Lafayette Anticipations. IG  : @hall.haus ; hall.haus

DKR aka Olympic Palabre (2023) s’inspire de la chaise Ă  palabre traditionnelle africaine, inventĂ©e en Égypte vers 2 600
J.-C.
CanapĂ© modulable Haus Dari, exposĂ© Ă  Al-’Ula, au nord-ouest de l’Arabie saoudite.

La mélodie des champis

Play that fungi music

Les noms de Reishi et King Oyster ne font pas tache dans le line-up d’un plan clubbing. Jusqu’à ce qu’on rĂ©alise que ce sont en fait des espĂšces de champignons et qu’on s’apprĂȘte Ă  les entendre « jouer ».

C’est un vendredi soir, au centre d’arts EartH (Evolutionary Arts Hackney), Ă  Londres, que Brian d’Souza rĂ©alise que les champignons ne font pas des partenaires de scĂšne infaillibles. «  J’en avais pris une poignĂ©e pour faire des essais la veille, et le rĂ©sultat Ă©tait gĂ©nial, relate le producteur et DJ nĂ© Ă  Glasgow, aka Auntie Flo. Le show avait Ă©tĂ© assurĂ© devant 600 personnes ce soir-lĂ . Mais le jour J, j’ai senti qu’ils donnaient de moins en moins. La raison, c’est qu’ils Ă©taient en

train de se dĂ©composer. J’ai appelĂ© mon concert “La complainte des champignons”.  »

La scĂšne  s’inscrit dans sa rĂ©cente aventure expĂ©rimentale visant Ă  faire de la musique en utilisant la sonification des biodonnĂ©es – une pratique qui consiste Ă  traduire les signaux Ă©lectriques Ă©mis par les vĂ©gĂ©taux en sons audibles par l’oreille humaine, que d’Souza compare Ă  une «  mise sur Ă©coute  » de la nature. Son EP, Mycorrhizal Fungi, aussi le premier de son

Le mycĂ©lium : (de haut en bas) le matos ; le concert ; notre Écossais et ses « artistes ».

label, A State Of Flo, prĂ©sente des titres issus de quatre espĂšces  : pleurote, reishi, champi criniĂšre de lion et shiitakĂ©.

À EartH, il joue avec des reishi et des pleurotes, traitant leurs signaux via un synthĂ©tiseur modulaire fabriquĂ© par ses soins, conçu pour extraire les sons du mycĂ©lium, le rĂ©seau souterrain de filaments qui relie les champignons entre eux. «  C’est cette polyphonie que je souhaite transposer musicalement. Une multitude de choses se passent simultanĂ©ment  : elles interagissent, se repoussent ou s’harmonisent.  »

Au fait, ça ressemble Ă  quoi, le cri du champi  ? «  C’est trĂšs alĂ©atoire et trĂšs variable, explique d’Souza. Je trouve qu’ils ont quelque chose d’extraterrestre.  »

D’Souza, motivĂ© par sa passion pour l’enregistrement de sons sur le terrain, commence par sonifier des biodonnĂ©es obtenues par la capture de signaux Ă©lectriques de diverses essences de plantes. Ce sont ses projets pour le RHS Chelsea Flower Show et le festival de Glastonbury qui l’amĂšnent, l’an dernier, Ă  concentrer ses recherches sur les champignons. Il enregistre des donnĂ©es via PlantWave, qui mesure les changements biologiques dans les vĂ©gĂ©taux et les traduit en hauteurs de vibrations, pour ensuite les lire sur un synthĂ©tiseur MIDI, lequel attribue un son particulier Ă  chaque signal Ă©lectrique produit par un champi.

«  Ces minuscules variations de tension sont autant d’indicateurs de vie et du processus biologique en cours, dĂ©clare d’Souza. Je suis comme un conduit. J’allais dire conducteur, au sens de chef d’orchestre, mais non. Je me contente de rĂ©cupĂ©rer les signaux purs et d’essayer de prendre les meilleures dĂ©cisions pour perfectionner l’esthĂ©tique sonore, sans chercher Ă  intervenir sur la composition. Ce sont les champignons qui jouent les notes  !  » Écoutez Mycorrhizal Fungi sur astateofflo.bandcamp.com

RACHEL LUCY SHNAPP, CHRIS KEENAN, BRIAN D’SOUZA RACHAEL SIGEE

Encore des objectifs

La surfeuse de gros iconique
Justine Dupont Ă©voque le plus puissant moteur que nous ayons Ă  disposition, et la maniĂšre d’en tirer le maximum afin de se dĂ©passer.

Texte : Alex Lisetz

the red bulletin : Justine, aux Big Wave Challenge 2023, tu as reçu le titre de surfeuse de l’annĂ©e, du meilleur ride de l’annĂ©e, et tu dĂ©tiens le record du monde fĂ©minin de la plus grosse vague
 Serais-tu la femme la plus tĂ©mĂ©raire de la planĂšte (et de l’ocĂ©an) ? justine dupont : Je ne pense pas, je m’entraĂźne dur pour pouvoir surfer ces vagues. Je prends Ă©normĂ©ment de plaisir Ă  le faire mĂȘme s’il m’arrive de temps en temps d’avoir des apprĂ©hensions, comme toute personne. Je cherche Ă  exploiter le maximum de mes capacitĂ©s.

Comme en janvier dernier, en Californie, Ă  Cortes Bank, oĂč tu as maĂźtrisĂ© une vague de 22 mĂštres de haut ? Ça reste Ă  ce jour le meilleur surf trip de ma vie. Tout Ă©tait parfait : le crew, la mĂ©tĂ©o, l’aventure, les vagues
 J’ai eu l’honneur de faire Ă©quipe avec Lucas Chumbo, le leader de la discipline. Fred, mon conjoint, faisait la sĂ©curitĂ©. C’était le scĂ©nario idĂ©al, je ne pouvais pas rĂȘver mieux.

Comment fais-tu fi de ta peur ?

Je ne l’ignore pas, je l’utilise. Elle m’aide Ă  me concentrer pleinement sur le moment. Je suis attentive Ă  tout ce qui se passe dans l’eau. Ça m’aide Ă  ĂȘtre connectĂ©e Ă  l’instant. Je ressens l’eau salĂ©e dans ma bouche, je regarde, j’écoute. Mes sens sont alors Ă©veillĂ©s et je suis prĂȘte Ă  surfer et Ă  m’adapter Ă  tout ce qui peut se prĂ©senter.

Photo : Rick Guest

Un jour, tu as dit que le surf, c’est une question d’équilibre entre la prise de contrĂŽle et le lĂącher-prise du jeu
 J’essaye de maĂźtriser tout ce que je peux. D’abord, il y a la prĂ©paration. Je m’entraĂźne deux fois par jour : une fois en salle, et une fois dans l’eau. Je travaille pour avoir le meilleur Ă©quipement possible. Avec l’équipe, on fait tout pour mettre en place le meilleur systĂšme de sĂ©curitĂ© possible. On se remet beaucoup en question. J’étudie mĂ©ticuleusement les conditions mĂ©tĂ©o de chaque spot. Je fais tout ça pour pouvoir, une fois sur la planche, fonctionner de maniĂšre purement intuitive. C’est le moment d’ĂȘtre uniquement dans l’instant, de lĂącher prise et de devenir animal.

En janvier de cette annĂ©e, tu as mis ton fils, Elio, au monde. C’est la plus grande perte de contrĂŽle qui soit, non ? Il faut accepter que plus rien ne se passe comme on l’avait prĂ©vu. Elio m’apprend chaque jour Ă  prendre les choses comme elles viennent.

Et toi, qu’aimerais-tu lui transmettre ? J’aimerais lui donner l’envie d’explorer le monde et la vie le sourire aux lĂšvres et l’esprit ouvert. Nous allons essayer de lui faire vivre plein d’expĂ©riences diffĂ©rentes et profiter de chaque instant avec lui.

Ton compagnon, Fred, est aussi ton coĂ©quipier, ton sauveteur
 C’est lui qui te tracte dans les vagues. DerniĂšrement, Fred s’occupe plus de ma sĂ©curitĂ© dans l’eau et d’autres surfeurs me tractent lors des gros jours. C’est un super Ă©quilibre que l’on a trouvĂ©. À NazarĂ©, je surfe principalement avec Lucas Chumbo et Éric RebiĂšre sur les grosses sessions et Fred est toujours Ă  l’eau pour veiller sur moi. J’ai confiance en eux. Quand je vais

sur un spot que je connais moins, je prĂ©fĂšre faire Ă©quipe avec un surfeur local qui, lui, connaĂźt toutes les ficelles de l’endroit.

J’aimerais revenir sur le sujet de la peur. La plupart d’entre nous l’associent Ă  un sentiment dĂ©sagrĂ©able qu’on essaie de minimiser. Comment se fait-il que tu la ressentes diffĂ©remment ?

Je vois la peur comme mon alliĂ©e. Il faut la doser. Un petit peu de peur m’aide Ă  ĂȘtre alerte, focus. C’est dans ces moments que je performe. Si je ne ressens pas la peur, je suis moins attentive. Peut-ĂȘtre mĂȘme trop sĂ»re de moi. Ça peut devenir dangereux. Enfin, si la peur est trop prĂ©sente, c’est un signal d’alarme. C’est le moment de se poser les bonnes questions. C’est aussi le moment oĂč il faut ĂȘtre assez conscient et surtout capable de rebrousser chemin et attendre une autre opportunitĂ©.

Parce que dans le doute, ton adversaire, l’ocĂ©an, est toujours le plus fort ?

L’ocĂ©an et la nature seront toujours plus forts que nous. Je ne le vois jamais comme un adversaire. C’est un partenaire que je respecte Ă©normĂ©ment. J’aime imaginer qu’il me respecte autant que je le respecte.

Est-ce que ta façon de surfer a changĂ© depuis que tu es devenue maman ? Je travaille dur pour la saison Ă  venir. Je suis consciente que je dois ĂȘtre encore mieux prĂ©parĂ©e pour ĂȘtre de nouveau la plus performante possible dans l’ocĂ©an. J’ai encore plein de beaux objectifs sportifs Ă  atteindre. C’est excitant. Un de mes principaux sera de resurfer une trĂšs belle vague Ă  NazarĂ©. J’ai aussi la responsabilitĂ© de montrer Ă  Elio qu’il est une force et que je peux continuer de rĂ©ussir dans ma carriĂšre avec lui dans notre vie.

Et tu as aussi dĂ©veloppĂ© une seconde activitĂ© pro : on peut te booker comme confĂ©renciĂšre en motivation
 Absolument. J’aborde une confĂ©rence comme une vague. Je m’y prĂ©pare pour pouvoir transmettre au mieux les sensations et expĂ©riences que j’ai la chance de vivre dans l’ocĂ©an.

Focus

Originaire de Bordeaux Âge 32 ans PalmarĂšs Multiple championne du monde de surf dans diverses disciplines, du big wave au stand up paddle, et confĂ©renciĂšre en motivation

Résidence Nazaré, Portugal IG @justinedupont33

« Ma peur, je ne l’ignore pas, je l’utilise. Elle m’aide Ă  me concentrer sur le moment. »
Justine Dupont

Sans compromis

NĂ©e Ă  Toulouse il y a vingt-sept ans, la rappeuse ZinĂ©e est restĂ©e dans sa ville d’origine pour mieux percer dans la chanson française.

Texte : Chloé Sarraméa

Depuis le 17 mai 2024, le tĂ©lĂ©phone de Charlie n’arrĂȘte pas de sonner. Le premier album de ZinĂ©e est sorti et il semble que l’industrie tout entiĂšre se soit passĂ© le mot – et le numĂ©ro de son manager. À chaque fois qu’il dĂ©croche, c’est la mĂȘme histoire. Directeurs artistiques et patrons de label convoitent son amie et collaboratrice, une rappeuse inclassable dĂ©jĂ  favorite des mĂ©dias et du showbusiness. Ces derniers projettent sur elle l’avenir de la chanson française : une petite jeune femme frĂȘle, toujours vĂȘtue de noir, nĂ©e Ă  Toulouse et fiĂšre d’y ĂȘtre restĂ©e, qui Ă©crit sur sa maladie, le temps qui passe, les liens familiaux, le rapport Ă  l’enfance et l’amitiĂ©. Une hĂ©ritiĂšre de Diam’s et de Keny Arkana bercĂ©e au flamenco et Ă  la musique Ă©lectro qui, en plus d’ĂȘtre connectĂ©e avec son public comme on le voit rarement, ne souffre pas d’ĂȘtre sexualisĂ©e dans une industrie encore ultra misogyne. Mais les coups de fil, les flatteries et les gros chĂšques n’auront pas raison de sa fidĂ©litĂ© – ni Ă  son Ă©quipe, ni Ă  ses principes. Il suffit de la voir sur scĂšne pour s’en rendre compte.

Ce soir-lĂ , au Petit Bain, Ă  Paris, la salle est comble. Plus de 400 personnes sont rĂ©unies pour “Les Ă©toiles de ZinĂ©e”, une release party caritative au profit d’1 Maillot pour la Vie. L’artiste s’est rĂ©cemment rapprochĂ©e de cette association crĂ©Ă©e Ă  Toulouse, qui Ɠuvre pour rĂ©aliser les rĂȘves des enfants malades. Aux cĂŽtĂ©s de quatre rappeurs qui forment son entourage, elle s’élance sur scĂšne pour chanter les titres de son album OSMIN, dĂ©voilĂ© trois ans aprĂšs son EP Cobalt (2021). L’expĂ©rience est unique. ZinĂ©e achĂšve son concert en pleurs face

à un public au bord des larmes, unanimement touchĂ© par la sincĂ©ritĂ©, la bienveillance et la gĂ©nĂ©rositĂ© d’une artiste sensible et vulnĂ©rable, profondĂ©ment humaine. « Mon public m’a attendue, il a compris ma maladie et que je n’allais pas sortir un projet tous les deux jours. C’est le ZinĂ©e club, un public intime, qui me ressemble », commente-t-elle. Elle Ă©changera d’ailleurs avec lui aprĂšs son show, prĂ©fĂ©rant en dire plus sur la cause qu’elle est venue dĂ©fendre que de rappeler qu’il y a du merch Ă  Ă©couler au fond de la salle. En 2022, la chanteuse se produit avec ses musiciens sur la scĂšne du Chantier des Francofolies, le tremplin pour artistes Ă©mergents du festival aux quelque 150 000 spectateurs annuels. SuccĂ©dant Ă  Christine and The Queens, Juliette Armanet et Pomme, celle qui compte seulement deux EPs Ă  son actif – FutĂ©e (2020) et Cobalt (2021) – s’est dĂ©jĂ  fait remarquer pour sa voix mĂ©tallique vocodĂ©e et sa musique autobiographique : des comptines pour adultes qui flirtent avec la chanson française tout en conservant un ADN rap, versant vulnĂ©rable, lĂ©gĂšrement tragique, aux possibilitĂ©s mĂ©lodiques infinies. Elle est depuis peu membre du collectif 75e Session (qui a vu passer Nekfeu, Sheldon, Lomepal, Georgio, Sopico
) qui l’épaule pour la gestion de sa carriĂšre et avec qui elle travaille la production de ses morceaux et sa direction artistique. Fan de MylĂšne Farmer, elle a conquis un vaste public grĂące Ă  un songwriting sincĂšre et une instrumentation mĂ©ticuleuse. Un an plus tard, pourtant, son ascension a failli ĂȘtre stoppĂ©e net. « Je suis tombĂ©e malade. Je souffre d’endomĂ©triose profonde : une maladie qui touche une femme sur cinq et que l’on met environ sept ans Ă  diagnostiquer
 J’ai fait six mois d’immunothĂ©rapie, j’ai Ă©tĂ© opĂ©rĂ©e pour rien et j’ai perdu un ovaire. On m’a sectionnĂ© des nerfs et,

depuis, je ne sens plus ma jambe », confie ZinĂ©e, prĂ©cise et didactique, lorsque nous la rencontrons. Aujourd’hui, elle va mieux. Elle explique souvent Ă©changer, comme aprĂšs son concert parisien, avec des jeunes femmes qui viennent la questionner au sujet de la maladie. Elle leur donne des noms de spĂ©cialistes : « C’est difficile de rĂ©sumer ça en quelques minutes mais c’est trĂšs important d’en parler. J’aimerais prendre le temps et faire de la sensibilisation. Je vais peut-ĂȘtre contacter EndoFrance (Association française de lutte contre l’endomĂ©triose, ndlr)
 Tout ça est trĂšs vaste. »

Quand sa maladie s’aggrave, ZinĂ©e ne peut plus vivre seule. Elle passe beaucoup de temps chez elle, dans la campagne toulousaine, entourĂ©e de sa famille et de ses animaux. Elle discute pendant des heures avec son frĂšre, passionnĂ© d’Histoire, qui lui raconte celle de la Palestine : « Je me sens impuissante. Comme j’ai pas mal de visibilitĂ© sur les rĂ©seaux sociaux, j’essaie de partager un maximum d’infos. J’utilise mon image pour m’exprimer : je ne peux pas faire des collabs avec des marques et fermer les yeux sur ce qu’il se passe dans le monde. » Paru sur les labels indĂ©pendants Yotanka et 75e Session, son premier album a Ă©tĂ© imaginĂ© comme le prolongement de ses engagements et de ses rĂ©flexions. « OSMIN est l’anagramme du prĂ©nom de mon frĂšre et renvoie originellement Ă  la notion de protection. J’avais envie de parler de la protection des enfants, c’est au centre des problĂ©matiques actuelles », confesse-t-elle. Comme toujours chez ZinĂ©e, ce disque appuie sur les contrastes : une voix haut perchĂ©e et une musique douce pour traiter de sujets graves, une Ă©criture incisive, hommage Ă  la verve des rappeurs de la fin des annĂ©es 90 sur des instrus pop futuristes. Il y a aussi Chilly Gonzales, des tracks trĂšs produits, de l’acoustique, du piano, des guitares, des notes de flamenco
 De quoi signer un deal Ă  plusieurs zĂ©ros. Pas sĂ»r que ça la branche : tout ce dont elle a besoin pour vivre, c’est voir la mer assez souvent, Ă©crire des textes, dessiner et pouvoir s’acheter une figurine ou un jeu vidĂ©o de temps en temps. « L’oseille, quand il y en aura, je le donnerai Ă  des assos, ou j’en monterai une moi-mĂȘme », conclue-t-elle.

Focus

En concert le 13 février 2025 à la Gaßté Lyrique. IG @zinee313

« Mon public m’a attendue, il a compris ma maladie et que je n’allais pas sortir un projet tous les deux jours. »

Retour vers le futur. À gauche, la Red Bull Racing RB20 ; Ă  droite, la Red Bull RB1. Des annĂ©es d’aventure les sĂ©parent.

20 ANS

DEUX DÉCENNIES D’AUDACE ET D’INNOVATION, DE PRISE DE RISQUE ET DE SUCCÈS... DE RED BULL RACING

Vers le succĂšs

Une immersion au cƓur de la philosophie de Red Bull Racing, Ă  travers ses pilotes iconiques, son patron, son excellence d’ingĂ©nierie et son futur, via les jeunes pilotes et l’America’s Cup.

L’originale ! L’Italien Vitantonio Liuzzi au volant de la RB1 - la premiùre voiture de Red Bull Racing - sur le circuit de BarcelonaCatalunya en Espagne, le 25 novembre 2004.

L’écurie Red Bull Racing est nĂ©e en 2004 lorsque la sociĂ©tĂ© autrichienne Red Bull a rachetĂ© l’équipe Jaguar Racing Ă  Ford Motor Company. L’acquisition a eu lieu aprĂšs que Ford ait dĂ©cidĂ© de se retirer de la Formule 1 en raison de performances dĂ©cevantes et de budgets Ă©levĂ©s. Le fondateur de Red Bull, Dietrich Mateschitz, a vu une opportunitĂ© de promouvoir sa boisson Ă©nergisante Ă  travers la plateforme mondiale qu’est la Formule 1. RebaptisĂ©e Red Bull Racing, l’entitĂ© a rapidement commencĂ© Ă  prĂ©parer la saison 2005, ses dĂ©buts en compĂ©tition.

DĂšs le dĂ©part, cette nouvelle structure adopte une approche audacieuse et innovante, combinant marketing Ă©nergique et leadership sportif ambitieux. David Coulthard, pilote d’expĂ©rience jouissant d’une solide rĂ©putation, est embauchĂ© pour apporter du vĂ©cu et de l’élan Ă  l’équipe. Pour complĂ©ter son team, Red Bull Racing choisit Christian Klien, un jeune talent autrichien, ainsi que Vitantonio Liuzzi, autre espoir prometteur. Sa premiĂšre saison en 2005 est marquĂ©e par des faits d’armes impressionnants : lors de la premiĂšre course de la saison Ă  Melbourne, en Australie, Coulthard termine quatriĂšme, tandis que Klien prend la septiĂšme place. Des rĂ©sultats qui dĂ©passent les pronostics et imposent immĂ©diatement le potentiel de l’équipe.

Tout au long de la saison, Red Bull Racing continue d’impressionner. Coulthard marque constamment des points, tandis que Klien et Liuzzi alternent le deuxiĂšme siĂšge de l’équipe, acquĂ©rant ainsi une prĂ©cieuse expĂ©rience en F1. Les voitures, Ă©quipĂ©es de moteurs Cosworth, se rĂ©vĂšlent compĂ©titives et fiables. L’équipe termine la saison 2005 avec 34 points, assurant ainsi une respectable septiĂšme place au championnat des constructeurs. Un rĂ©sultat remarquable pour une premiĂšre annĂ©e, dans un univers oĂč la concurrence est rude. Cette premiĂšre saison est Ă©galement marquĂ©e par des

AUX ORIGINES

mouvements stratégiques en coulisses. Red Bull signe un partenariat moteur avec Ferrari pour la saison suivante, démontrant ainsi son intention de progresser rapidement dans les plus hauts échelons de la F1.

De plus, l’équipe investit dans l’infrastructure et les talents, notamment des techniciens et ingĂ©nieurs de haut niveau. Christian Horner, Adrian Newey et Helmut Marko joueront des rĂŽles cruciaux dans le succĂšs de Red Bull Racing. Horner (voir notre portrait p. 72), en tant que directeur d’équipe depuis 2005, a apportĂ© une gestion solide, radicale et stratĂ©gique. Newey, ingĂ©nieur en chef, a conçu des voitures rĂ©volutionnaires, notamment la RB7 et la RB9, qui ont dominĂ© les saisons 2010-2013. Marko, consultant pour Red Bull, a supervisĂ© le dĂ©veloppement des jeunes pilotes via le Red Bull Junior Team, dĂ©couvrant des talents comme Sebastian Vettel, qui a remportĂ© quatre championnats consĂ©cutifs de 2010 Ă  2013. Ensemble, ils ont imposĂ© une Ă©quipe performante et innovante.

Les origines de Red Bull Racing et leur premiĂšre saison en 2005 sont une histoire de prise de risque calculĂ©e, de stratĂ©gie marketing audacieuse et de performances sportives impressionnantes. En seulement un an, l’équipe a rĂ©ussi Ă  se faire un nom dans le paddock de Formule 1, assurant son succĂšs futur en Ă©tablissant les bases d’une Ă©quipe vouĂ©e Ă  devenir l’une des plus dominantes de l’histoire moderne de la F1, rayonnant bien au-delĂ  de l’univers des sports mĂ©caniques. Qui n’a pas vu ses couleurs cĂ©lĂ©brĂ©es dans les les mĂ©dias nationaux comme internationaux ? Fans de F1 ou non, qui n’a pas entendu parler de Sebastian Vettel ou Max Verstappen ?

Dans les pages qui suivent, vous retrouverez les pilotes iconiques de l’écurie, des interviews exclusives avec Max, Vettel ou encore Christian Horner, certaines des plus belles piĂšces de son arsenal, et un focus sur celleux (soutenu·e·s par Red Bull Racing) qui Ă©criront le futur de la course automobile.

SEBASTIAN VETTEL

Le curieux

En 2007, le jeune pilote d’outre-Rhin goĂ»te pour la premiĂšre fois Ă  la F1. L’Allemand a remportĂ© le championnat du monde Ă  quatre reprises, de 2010 Ă  2013, sous les couleurs de Red Bull Racing. Il est devenu le plus jeune pilote Ă  le faire, Ă  l’ñge de 24 ans. DĂ©couvrez le portrait d’un champion instinctif et accessible. À ses cĂŽtĂ©s dans ce dossier, d’autres phĂ©nomĂšnes de Red Bull Racing : Coulthard, Ricciardo et Webber.

Tombant Ă  genoux, Sebastian Vettel cĂ©lĂšbre sa victoire devant la foule du circuit international de Buddh Ă  Greater Noida (Inde) le 27 octobre 2013, aprĂšs avoir remportĂ© le Grand Prix d’Inde – et son quatriĂšme titre consĂ©cutif au Championnat du monde des pilotes.
Texte Justin Hynes

Avec Red Bull Racing

113 courses, 38 victoires, 65 podiums,

44 pole positions et 24 records du tour.

Nous sommes en 2005, peu aprĂšs la reprise de l’ancienne usine Jaguar Racing de Milton Keynes par Red Bull. Sous la grisaille anglaise, les portes du futur Building One s’ouvrent devant un adolescent frĂȘle Ă  la tignasse blonde hirsute. Prenant le temps de rassembler ses idĂ©es et de choisir ses mots – l’anglais n’est pas sa langue maternelle –, il demande poliment si, en tant que membre du programme Red Bull Junior, il peut visiter les lieux. Presque vingt ans plus tard, Sebastian Vettel sourit au souvenir de cette premiĂšre rencontre avec l’équipe Red Bull, qui fera de lui le plus jeune champion de la discipline en 2010 et qui lui permettra de remporter trois titres supplĂ©mentaires, l’érigeant au statut de lĂ©gende de la F1.

« Je venais d’obtenir mon permis B, se rappelle le pilote, qui habitait encore sa ville natale, Heppenheim (Allemagne), Ă  l’époque. J’ai dĂ©cidĂ© d’appeler pour demander si je pouvais voir l’usine, et ils ont acceptĂ©. J’ai alors pris le volant, traversĂ© la Manche et conduit jusqu’à Milton Keynes. J’ai juste frappĂ© Ă  la porte et lancĂ© : “Salut, je suis Sebastian.” La journĂ©e a Ă©tĂ© extraordinaire, puis je suis rentrĂ© chez moi. Ils m’ont mĂȘme offert une casquette ! »

FULGURANT

La confiance en soi, la curiositĂ© et le charme ingĂ©nu grĂące auxquels le jeune homme de 18 ans a visitĂ© l’usine lui ont valu par la suite de gagner une Ă©quipe de fidĂšles chez Red Bull Racing et des millions de fans Ă  travers le monde. Cette formidable confiance, l’Allemand l’a acquise Ă  bord d’un kart.

« Red Bull venait de crĂ©er son Ă©quipe junior. Red Bull Allemagne me sponsorisait et je pense qu’ils se sont dit : “Oh, il y

a ce gamin qui fait du karting
 il pourrait rejoindre l’équipe.” J’ai rencontrĂ© Helmut [Marko] sur le circuit de Spielberg. Il ne me connaissait pas et m’a demandĂ© si je faisais du karting. J’ai acquiescĂ©. Et comme j’étais vraiment jeune, il a ajoutĂ© : “Donc maintenant, tu devrais commencer la compĂ©tition internationale.” Je lui ai alors rĂ©pondu : “Ouais, j’ai remportĂ© le championnat europĂ©en l’an dernier.” Il m’a regardĂ© et je pense que tout s’est mis en place aprĂšs ça. »

L’ascension du champion prĂ©coce de karting vers la F1 a Ă©tĂ© fulgurante. Les dĂ©buts de Sebastian Vettel en monoplace ont eu lieu en 2003. Avec 18 victoires au compteur en 20 courses, il a largement

dominĂ© le Championnat de Formule BMW ADAC 2004. Il a dĂ©couvert la F3 l’annĂ©e suivante et il est devenu vice-champion d’Europe en 2006. AprĂšs un passage par les Formula Renault 3.5 Series, vĂ©ritable tremplin vers la F1, Sebastian Vettel a fait ses dĂ©buts dans la discipline reine pendant le Grand Prix des États-Unis de 2007. Il remplaçait le pilote BMW Sauber Robert Kubica qui avait dĂ» dĂ©clarer forfait Ă  la suite d’un grave accident survenu la semaine prĂ©cĂ©dente Ă  MontrĂ©al.

En grappillant quelques points pendant sa premiÚre course, Sebastian Vettel a décroché une place permanente chez Toro Rosso dÚs le GP de Hongrie,

DAVID COULTHARD

72 courses, 4 saisons et 2 podiums dont le tout premier pour Red Bull Racing.

Ça t’a fait quel effet de dĂ©crocher le premier podium de Red Bull Racing Ă  Monaco en 2006  ?

Je suis toujours un peu déçu quand je ne finis pas premier. (Coulthard a fini troisiÚme, ndlr.)

As-tu l’impression de toujours faire partie de l’équipe Oracle Red Bull Racing  ?

Le GP de Monza, en Italie, avec sa foule à 2000 %, est spécial. Ce 8 septembre 2013, le pilote le plus rapide, Sebastian Vettel, est en route vers le titre avec cette sixiÚme victoire, et savoure sa vue mer - de tifosi.

Sebastian Vettel en pleine action au Grand Prix de Monaco Ă  Monte-Carlo le 25 mai 2014. La course s’est rĂ©vĂ©lĂ©e dĂ©cevante pour le champion du monde de F1 en titre : des problĂšmes de turbocompresseur l’ont forcĂ© Ă  abandonner aprĂšs seulement cinq tours.

Je fais partie de ces Ă©ternels insatisfaits qui font la gueule mĂȘme quand ils gagnent, d’ailleurs je n’ai jamais mis 20 sur 20 Ă  aucune de mes performances. Pour moi, ce sont juste de nouvelles Ă©tapes franchies, c’est un peu une mĂ©taphore de la maniĂšre dont je fonctionne. Donc ce jour-lĂ , je n’étais pas aussi euphorique que les autres. Je me souviens que Christian Horner s’est jetĂ© dans la piscine du camp de Red Bull Energy. AprĂšs, forcĂ©ment, ça reste quand mĂȘme un trĂšs bon souvenir. J’étais trĂšs heureux de monter sur le podium et de partager ces moments de joie avec l’équipe.

Pendant quatre ans, je me suis donnĂ© corps et Ăąme Ă  l’équipe. Ensuite, j’ai rĂ©alisĂ© que j’avais fait mon temps, que le plus gros de mon talent Ă©tait derriĂšre moi, et que Seb [Vettel, qui a pris sa relĂšve en 2009] avait un potentiel Ă©norme. Donc la transition s’est faite en douceur et je suis devenu conseiller et ambassadeur de Red Bull. J’observe l’équipe Ă  distance sans m’impliquer dans toute la partie opĂ©rationnelle et je suis bien entendu trĂšs fier de leur succĂšs. Je me souviens de nos meetings avec Mateschitz en Autriche, quand je lui disais quelle Ă©tait, selon moi, la meilleure direction Ă  prendre. On Ă©tait quelques-uns Ă  se donner vraiment Ă  fond, ça nous a permis d’influencer certaines dĂ©cisions et de dĂ©bloquer pas mal d’investissements. Depuis, je me suis rĂ©orientĂ© vers la tĂ©lĂ© et d’autres projets, mais j’ai toujours l’impression de faire partie de cette grande aventure qu’est Red Bull Racing.

MARK WEBBER

129 courses, 9 victoires, 41 podiums, 13 pole positions et 19 tours les plus rapides

À propos du premier titre mondial des constructeurs qu’il a offert Ă  Red Bull Racing avec Sebastien Vettel en 2010. «  Pour les pilotes, le championnat des constructeurs est bien sĂ»r un fleuron, mais le championnat des pilotes est un truc Ă©norme pour nous. C’est une chose magnifique que d’avoir le premier garage l’annĂ©e suivante [la voie des stands de F1 s’aligne gĂ©nĂ©ralement dans l’ordre du championnat des constructeurs de l’annĂ©e prĂ©cĂ©dente] et que toute l’équipe ait le mĂ©rite de cette rĂ©ussite. Gagner le championnat des constructeurs signifie que beau-

succĂ©dant ainsi Ă  l’AmĂ©ricain Scott Speed. Mais s’il a rĂ©alisĂ© des progrĂšs constants au fil des courses, Sebastian Vettel a failli tout perdre lors du GP du Japon. Tandis que la voiture de sĂ©curitĂ© neutralisait la course sous la pluie, il s’est dĂ©concentrĂ© et a percutĂ© l’arriĂšre de la monoplace de Mark Webber, signant leur abandon Ă  tous les deux. Mark Webber, en lice pour la victoire, Ă©tait fou de rage : « Les gosses, je vous jure
 Ils n’ont pas assez d’expĂ©rience. Vous faites du bon travail et ils fichent tout en l’air. »

coup de choses ont Ă©tĂ© bien faites. C’était notre premiĂšre victoire et donc la plus spĂ©ciale. C’était formidable pour Dietrich et la vision qu’il avait, et la confiance qu’il a insufflĂ©e Ă  l’équipe a Ă©tĂ© Ă©norme. Dans les annĂ©es qui ont suivi, nous ne nous sommes pas reposĂ©s sur nos lauriers, et les rĂ©sultats ne nous sont jamais montĂ©s Ă  la tĂȘte – mais nous savions ce qui Ă©tait possible.  »

Mais Sebastian Vettel ne s’est pas laissĂ© dĂ©courager. « C’était vraiment une grosse course, mais je ne pensais pas avoir tout fait capoter, rembobine-t-il. J’étais vraiment dĂ©solĂ© pour Mark – car cette erreur Ă©tait de mon fait – et pour l’équipe. J’étais déçu de moi-mĂȘme, abattu
 submergĂ© par mes Ă©motions. Le lendemain, je suis rentrĂ© Ă  Tokyo. J’ai Ă©coutĂ© la mĂȘme chanson en boucle pendant tout le trajet en bus : Achilles Heel par Toploader. Parfois, quand on Ă©coute la mĂȘme chose encore et encore, cela nous aide Ă  digĂ©rer. Cependant, le souvenir est encore vif. DĂšs que j’entends cette chanson, je me retrouve au Japon. »

Le gain de quelques points Ă  la fin de la campagne – notamment grĂące Ă  une quatriĂšme place en Chine la semaine suivant la dĂ©bĂącle japonaise – a apportĂ© un peu d’éclat Ă  la premiĂšre saison du pilote allemand. Puis en 2008, Sebastian Vettel a renouĂ© avec le succĂšs, ce qui lui a permis de battre Ă  plate couture son coĂ©quipier SĂ©bastien Bourdais et, surtout, de remporter sa premiĂšre victoire chez Toro Rosso en s’accommodant d’une pluie torrentielle Ă  Monza. Au cours d’un seul week-end spectaculaire, il est devenu le plus jeune pilote Ă  dĂ©crocher la pole position en F1 et le plus jeune vainqueur d’un Grand Prix.

Qui d’autre que Sebastian Vettel pouvait succĂ©der Ă  David Coulthard aprĂšs ses adieux Ă  la compĂ©tition en fin d’annĂ©e ?

« Je n’avais aucune crainte – aprĂšs tout, [chez Toro Rosso] on a battu Red Bull

en 2008. Mais alors, devais-je accepter ?, sourit-il. Plus sĂ©rieusement, c’était bien sĂ»r la stratĂ©gie Ă  adopter. Il n’y avait pas Ă  se poser de questions. Avec Toro Rosso, on a appris Ă  s’adapter Ă  ce que l’on avait. À l’époque, on avait une voiture et une plateforme similaires, et on Ă©tait limitĂ©s par ce que les ingĂ©nieurs de Toro Rosso Ă©taient enclins Ă  rĂ©aliser. Chez Red Bull Racing, on nous demandait ce qu’on voulait. C’était ce que je recherchais. » Les rĂ©sultats ont Ă©tĂ© incroyables. Bien que l’écurie Red Bull Racing ait Ă©tĂ© handicapĂ©e par l’arrivĂ©e du double diffuseur controversĂ© qui a permis Ă  Jenson Button, chez Brawn, de dominer facilement le dĂ©but de la saison, Sebastian Vettel a peu Ă  peu tirĂ© son Ă©pingle du jeu.

À L’INSTINCT

AprĂšs des dĂ©buts difficiles en Australie et en Malaisie, oĂč il a Ă©tĂ© contraint Ă  l’abandon, la nouvelle recrue Red Bull Racing s’est hissĂ©e en Chine Ă  un niveau qui n’avait pas Ă©tĂ© atteint depuis longtemps. Faisant fi d’un problĂšme d’arbre de transmission, il a dĂ©crochĂ© la premiĂšre pole position de l’équipe : « J’ai pu boucler un tour pour les essais Q1, Q2 et Q3. Pas plus. C’était juste ce qu’il me fallait. » Puis le dimanche, il a su mener son coĂ©quipier Mark Webber jusqu’au drapeau, offrant Ă  l’équipe sa premiĂšre victoire et son premier doublĂ©.

À Silverstone, lorsque l’équipe a amĂ©liorĂ© son double diffuseur, Sebastian Vettel est devenu intouchable. Il a devancĂ© Mark Webber de 15 secondes et le troisiĂšme de la course, Rubens Barrichello sur Brawn, de plus de 40 secondes. Le pilote allemand a une nouvelle fois gagnĂ© au Japon et terminĂ© la saison sur une victoire Ă  Abu Dhabi. Il exultait. Le garage commençait Ă  faire des Ă©tincelles et quelque chose de beau se prĂ©parait chez Red Bull Racing.

« J’adorais ĂȘtre lĂ , affirme Sebastian Vettel. C’était le seul endroit qui me plaisait pendant cette pĂ©riode de ma vie. Il y avait une telle effervescence. Idem pour les mĂ©caniciens et les ingĂ©nieurs. Tout ce dont on parle
 Ça arrivait bel et bien. »

«  J’adorais la course
 mais cela ne dĂ©finissait pas qui j’étais.  »

S’était-il retrouvĂ©, en vĂ©ritable catalyseur du changement, Ă  la tĂȘte du combat qui les attendait ? « On pourrait dire que mon bonheur Ă©tait contagieux, mais c’était la mĂȘme chose de l’autre cĂŽtĂ©, soutient-il. VoilĂ  ce dont je me souviens. Je ne me demandais pas comment agir ou mener. J’avais juste le sentiment de faire partie d’une Ă©quipe. Je connaissais mon boulot et je l’adorais, mais je n’y rĂ©flĂ©chissais pas trop. Tout se faisait Ă  l’instinct. »

« Vous savez, poursuit-il, je suis toujours en contact avec mon ancien entraĂźneur, Tommi [PĂ€rmĂ€koski], et on plaisante souvent sur le fait que nous ignorions Ă  quel point on Ă©tait bons. On n’y pensait pas. On a juste continuĂ© notre petit bonhomme de chemin. Je crois que, dĂšs qu’on commence Ă  y penser, les problĂšmes arrivent. »

SEULEMENT UN PILOTE

Il n’était plus possible d’arrĂȘter la machine. En 2010, Sebastian Vettel et Mark Webber se sont tous deux lancĂ©s dans la course au titre face au double champion Fernando Alonso et au champion de 2008, Lewis Hamilton. Mais, Ă  la surprise gĂ©nĂ©rale, c’est le gamin qui a gagnĂ© : Sebastian Vettel a en effet remportĂ© son premier titre mondial Ă  l’issue d’un affrontement trĂšs Ă©mouvant Ă  Abu Dhabi.

Pendant les annĂ©es qui ont suivi, les progrĂšs de la voiture et du pilote ont transformĂ© cette courte victoire en un premier pas vers la gloire, particuliĂšrement en 2011 et 2013. À 26 ans, Sebastian Vettel Ă©tait l’un des cinq pilotes Ă  dĂ©tenir au moins quatre titres mondiaux. C’était une lĂ©gende et une machine Ă  battre les records, en mĂȘme temps adulĂ© par ses fans et haĂŻ par ses adversaires. Pour de nombreux pilotes, ce statut de superstar commence Ă  peser lourd. Les exigences se multiplient aux dĂ©pens de la libertĂ©. Les intrusions s’intensifient aux dĂ©pens de la vie privĂ©e. Cependant,

«  Je ne rĂ©flĂ©chissais pas trop Ă  mon boulot. Tout se faisait Ă  l’instinct.  »

Sebastian Vettel est clair : Ă  l’époque, ces contrariĂ©tĂ©s ont rarement entachĂ© sa vie de sportif.

« Le reste ne m’a jamais vraiment atteint, confirme-t-il. Je me sentais pilote, je n’ai jamais eu l’impression d’ĂȘtre plus que ça. Mon mĂ©tier n’était pas plus important qu’un autre. Bien sĂ»r, lorsque la voiture est sur le circuit, je suis seul avec moi-mĂȘme et tout repose entre mes mains. Mais en dehors de ces moments-lĂ , je n’ai jamais eu l’impression d’ĂȘtre meilleur qu’un autre. Le star-system ne me faisait ni chaud ni froid. »

« Vous pouvez choisir la maniĂšre dont vous souhaitez rĂ©agir, observe-t-il. Et vous pouvez mettre un terme Ă  une bonne partie de ces dĂ©sagrĂ©ments par votre comportement, vos rĂ©ponses ou vos silences, la crĂ©ation ou non d’un mythe

autour de votre personne, ou d’une sorte de bulle. Si vous crĂ©ez ce mythe ou cette bulle, il sera peut-ĂȘtre plus difficile de redescendre. Naturellement, les gens manifestaient davantage leur intĂ©rĂȘt, mais je n’en avais rien Ă  faire. L’équipe marketing avait de nombreux projets pour moi. Or, je n’avais pas envie que mon visage et mon nom se retrouvent sur certains produits. Je n’étais qu’un pilote, aprĂšs tout
 Et mĂȘme, ce n’était pas vraiment moi au fond. C’était ce que je faisais et ce que j’aimais, mais pas qui j’étais. » Chez Sebastian Vettel, ce rejet de la cĂ©lĂ©britĂ© s’est accompagnĂ© d’une prise de conscience de soi et de la vie en dehors du paddock. En 2024, sa vision plus large du monde s’est concrĂ©tisĂ©e par un activisme environnemental assumĂ© dont on voyait dĂ©jĂ  les premiers signes en 2011.

LES YEUX OUVERTS

AprĂšs avoir remportĂ© le premier Grand Prix d’Inde, Sebastian Vettel a Ă©tĂ© interrogĂ© sur son expĂ©rience dans le pays. Le vainqueur de 24 ans ne s’est pas contentĂ© d’un simple clin d’Ɠil aux fans et aux organisateurs. « Si vous gardez les yeux ouverts, vous dĂ©couvrirez beaucoup de choses qui Ă©claireront de nouveaux horizons, a-t-il confiĂ©. Cela vous ouvre les yeux, tant que vous vous autorisez Ă  regarder. »

Avec le recul, Sebastian Vettel pense que cette expĂ©rience s’intĂšgre dans sa prise de conscience globale. « Je suis si heureux d’avoir fait ce voyage, se rĂ©jouit-il. Il m’a fallu cinq heures pour arriver au Taj Mahal en voiture. Pas de problĂšme. La vue Ă©tait jolie, mais c’est le voyage en voiture qui m’en a mis plein les yeux. J’étais dĂ©boussolĂ©, car je voyais Ă©normĂ©ment de pauvretĂ©, ou au moins ce que l’Occident considĂšre comme de la pauvretĂ©. Mais les gens n’avaient pas l’air triste. Nous avons tant de choses, et pourtant il y a tellement de gens malheureux. Eux ont si peu, mais il me semble en tout cas qu’ils avaient de la joie. DĂšs lors, je me suis toujours assurĂ© de regarder ce qui se passait autour de moi. »

Tandis que Sebastian Vettel commençait Ă  se pencher sur des questions qui n’avaient rien Ă  voir avec la course automobile, les problĂšmes de Red Bull Racing sur l’asphalte ont rapidement distrait le champion. AprĂšs un quatriĂšme titre remportĂ© haut la main avec un nombre record de neuf victoires d’affilĂ©e entre la pause estivale et la fin de la saison, on aurait pu croire que le bonheur de Sebastian Vettel ne serait pas prĂšs de s’arrĂȘter. Mais dans ce qui s’est avĂ©rĂ© une intersaison bien trop courte, la machine

AprĂšs avoir obtenu la premiĂšre pole position chez Red Bull Racing, Sebastian Vettel remporte la premiĂšre victoire historique de l’équipe avec sa RB5 sur le circuit international de Shanghai du GP de Chine le 19 avril 2009.

Sebastian Vettel savoure sa victoire en parc fermĂ© au Grand Prix de Singapour aprĂšs ĂȘtre restĂ© en pole position sur le circuit urbain de Marina Bay Street le 25 septembre 2011. Cette victoire lui a permis de devancer son rival, Jenson Button (McLaren) de 124 points au Championnat du monde des pilotes.

a stoppĂ© net. Les moteurs V8 simples Ă  aspiration normale ont laissĂ© leur place Ă  des groupes propulseurs turbo 1,6 litre d’une complexitĂ© infernale, qui ont poussĂ© les capacitĂ©s technologiques des constructeurs de moteurs sportifs, tels que Renault, jusqu’au point de rupture.

Lors des premiers tests effectuĂ©s Ă  Jerez, des problĂšmes de surchauffe ont frĂ©quemment mis la RB10 Ă  l’arrĂȘt et ont dĂ©bouchĂ© sur la solution un peu loufoque de fabriquer un conduit de refroidissement de fortune Ă  partir du tuyau d’un aspirateur Henry utilisĂ© pour nettoyer le garage.

Sebastian Vettel, Ă  la fois abasourdi et consternĂ©, s’est planquĂ© dans l’espace rĂ©servĂ© Ă  l’équipe pendant la majeure partie de ces quatre jours de tests. Et il n’est pas restĂ© trĂšs longtemps sur la piste. Pendant les premiers jours, il a bouclĂ© seulement quatorze tours.

« C’était bizarre, se souvient-il. À l’évidence, nous avions encore en tĂȘte la rĂ©ussite exceptionnelle des annĂ©es prĂ©cĂ©dentes. Puis pendant l’hiver, j’ai vĂ©cu l’un des plus beaux jours de ma vie avec la

naissance de ma fille. Je me suis ensuite rendu aux tests et je me suis demandĂ© ce que c’était tout ça et Ă  quoi servaient ces rĂšglements Ă  la con. Je ne les comprenais pas. J’ai appelĂ© Bernie [Ecclestone] pour lui dire : “Bernie, ils vont dĂ©truire tout ce que tu as construit.” C’était si Ă©trange. Évidemment, une Ă©quipe avait tout compris et les autres Ă©taient Ă  la ramasse. »

GrĂące Ă  un travail acharnĂ© en usine, les principaux problĂšmes ont Ă©tĂ© corrigĂ©s. Lors du Grand Prix d’Australie, la nouvelle recrue Daniel Ricciardo a ainsi pu terminer sur le podium, mais il a Ă©tĂ© disqualifiĂ© quelques heures plus tard en raison d’irrĂ©gularitĂ©s concernant le dĂ©bit de carburant de sa voiture.

« Les rĂ©sultats de Daniel Ă©taient super, rĂ©vĂšle Sebastian Vettel, alors quand on est arrivĂ©s pour la deuxiĂšme course de la saison en Malaisie, j’étais vraiment dans un excellent Ă©tat d’esprit. Je n’avais juste pas rĂ©alisĂ© qu’on Ă©tait trop en retard sur le moteur. On a seulement fini Ă  la troisiĂšme place. J’étais derriĂšre [Nico] Rosberg et je pouvais sentir qu’ils Ă©taient plus rapides sur les lignes droites, mais qu’on se rattrapait sur les virages. Lors de la rĂ©union qui a suivi, j’ai soutenu que j’allais y arriver. On Ă©tait encore enthousiasmĂ©s par les annĂ©es prĂ©cĂ©dentes. Mais les rĂ©sultats n’étaient clairement pas lĂ . J’avais des attentes trĂšs diffĂ©rentes de celles de Daniel, reconnaĂźt Sebastian Vettel. Pour lui, ĂȘtre sur le podium ou bien finir cinquiĂšme, c’était dĂ©jĂ  gĂ©nial. Et je

DANIEL RICCIARDO

100 courses, 7 victoires, 29 podiums, 3 pole positions et 13 meilleurs tours

AprĂšs ton entrĂ©e Ă  l’acadĂ©mie des jeunes pilotes de Red Bull Racing et ta rĂ©putation de talent prometteur, as-tu ressenti une certaine pression, notamment dans tes relations avec Helmut Marko, le conseiller de l’écurie   ?

C’est sĂ»r que j’ai subi beaucoup de pression de la part d’Helmut, mais j’ai toujours su transformer les situations nĂ©gatives ou pesantes en quelque chose d’aĂ©rien et de positif. Je me disais constamment  : «  Si je ressens une telle pression, c’est que ce type croit en moi. Je pense qu’il veut que je rĂ©ussisse, donc allez, on s’y met.  » Je ne me disais pas  : «  Ce mec veut que je dĂ©gage.  »

Dans l’ensemble, comment s’est passĂ©e ta transition vers la Formule 1  ?

MĂȘme si c’était un peu angoissant, c’est venu assez naturellement, finalement. En F1, pour sortir du lot, il faut soit enchaĂźner les victoires, soit ĂȘtre un leader. Donc on baigne dĂ©jĂ  dans cet Ă©tat d’esprit. Ensuite, et je dis ça sans la moindre arrogance, il arrive un moment oĂč l’on se dit  : «  C’est probablement ma voie.  »

Toutes ces annĂ©es oĂč ma mĂšre me disait  : «  Tu es spĂ©cial  », elle avait peut-ĂȘtre raison. Peut-ĂȘtre que j’ai vraiment un talent incroyable, je ne sais pas. Donc, oui, c’est assez bizarre. Il y a cet aspect familier, mais c’est quand mĂȘme un sacrĂ© choc parce qu’on n’est plus avec des juniors. Fini les dĂ©butants, les gamins de 16 ou 17 ans  ; on est dans la cour des

grands, avec Alonso, Schumacher et Vettel. C’est tout un processus, mais disons qu’à un moment donnĂ©, je me suis dit  : «  Peut-ĂȘtre que tu fais partie de ce groupe.  » J’ai commencĂ© Ă  humaniser ces types que je voyais comme des idoles.

Ton baptĂȘme du feu a lieu en 2014 quand tu passes de la Scuderia Toro Rosso (l’équipe junior de Red Bull), Ă  Red Bull Racing, ce qui t’amĂšne Ă  piloter aux cĂŽtĂ©s de Sebastian Vettel (voir p. 28). Que penses-tu de cette saison  ? Oui, c’était LA grande annĂ©e. DĂ©finitivement l’une de mes meilleures, voire ma meilleure saison en F1, et pas seulement au niveau des rĂ©sultats. Je pense que c’est le moment oĂč les gens ont commencĂ© Ă  me respecter, mĂȘme ceux qui ne croyaient pas encore en moi Ă  100  %. Beaucoup savaient que j’étais rapide, mais Ă  mon avis, ils pensaient qu’il me manquait ce petit truc en plus pour courir en tĂȘte, pour devenir leader. C’est comme si on m’avait dĂ©jĂ  cataloguĂ©, tout le monde pensait que je n’étais pas assez coriace. Au cours de l’avant-saison 2014, j’ai fait une sorte d’auto-

thĂ©rapie en m’imaginant des duels avec Fernando Alonso et tous ces coureurs rĂ©putĂ©s pour leur poigne et leur agressivitĂ©. Je voulais m’affirmer par rapport Ă  eux, me faire un nom. J’étais dĂ©terminĂ© Ă  dĂ©marrer la saison avec une nouvelle attitude, parce que personne ne s’attendait Ă  ce que je batte Seb. Certains pensaient probablement que je ne mĂ©ritais pas ma place, alors je me suis dit  : «  Il faut que je donne le ton dĂšs le dĂ©part.  » Plus simple Ă  dire qu’à faire  !

Ta carriĂšre auraitelle Ă©tĂ© diffĂ©rente si tu n’avais pas eu un pilote nommĂ© Max comme coĂ©quipier  ? Il n’y avait que moi qui savais, quand Max est arrivĂ©, que les choses allaient se compliquer. Mais le sentiment dominant Ă©tait plutĂŽt  : «  Incroyable. Ce gamin vient d’une autre planĂšte.  » Donc, chaque fois que je faisais un bon rĂ©sultat contre Max, c’était du bonus  : ça m’a aidĂ© Ă  forger mon caractĂšre, Ă  devenir encore meilleur et ainsi de suite. Je ne me le serais pas imaginĂ© autrement. Les trois annĂ©es oĂč on a couru ensemble sont trois grandes annĂ©es de rivalitĂ© intense avec des Ă©carts vraiment minimes entre nous.

Sebastian Vettel franchit la ligne d’arrivĂ©e devant son coĂ©quipier Mark Webber lors du Grand Prix d’Abu Dhabi, sur le circuit Yas Marina, le 1er novembre 2009. Red Bull Racing a ainsi dĂ©crochĂ© pour la quatriĂšme fois cette saison les premiĂšre et deuxiĂšme places sur le podium.

«  Je me suis Ă©normĂ©ment amusĂ© chez
Red Bull. C’est Ă  cet Ăąge-lĂ  que je suis devenu adulte.  »

comprends tout Ă  fait, car je suis passĂ© par lĂ  lors de mes dĂ©buts avec l’équipe. Mais je n’attendais plus les mĂȘmes choses, et il devenait indĂ©niable que la situation n’allait pas s’amĂ©liorer. Adrian [Newey] avait perdu sa joie de vivre. Ce fut une dĂ©cision trĂšs difficile Ă  prendre, mais il fallait tourner la page et passer Ă  la suite. »

DÉFINITIF

Le Grand Prix du Japon a marquĂ© la fin de l’aventure. Juste avant le week-end de course, Sebastian Vettel a annoncĂ© qu’il rejoignait Ferrari. Red Bull Racing a rapidement dĂ©clarĂ© que le jeune pilote Toro Rosso Daniil Kvyat remplacerait le quadruple champion du monde. Il n’y a pas eu de rĂ©criminations mais, Ă©trange-

ment, peu de bons souvenirs ont Ă©tĂ© Ă©voquĂ©s. La rupture Ă©tait trop douloureuse. « Cela m’a vraiment brisĂ© le cƓur, avoue aujourd’hui Sebastian Vettel. Je voulais clarifier les choses. Mais on m’a expliquĂ© que je ne devais pas parler de certains Ă©lĂ©ments du contrat, etc. Et cela semblait bizarre et peu naturel, car tout le monde savait que Fernando quittait Ferrari – c’était limpide. Je ne m’étais jamais retrouvĂ© dans une telle situation. Ce n’était pas juste. Avec mon Ă©quipe, on avait vĂ©cu tellement de choses ensemble que j’aurais adorĂ© en parler. Mais je ne l’ai pas fait. » Dix ans plus tard, alors qu’il ne se sent plus obligĂ© de prĂȘter allĂ©geance Ă  son Ă©quipe et que la Formule 1 est largement derriĂšre lui, Sebastian Vettel peut enfin expliquer ce que ces six saisons spectaculaires ont reprĂ©sentĂ© Ă  ses yeux. « J’ai beaucoup appris, affirmet-il. Mais surtout, je me suis Ă©normĂ©ment amusĂ©. C’est Ă  cette pĂ©riode-lĂ  que je suis devenu adulte. »

Et son rĂȘve, qui avait commencĂ© sous la grisaille de Milton Keynes avec un semblant d’invitation et une casquette gratos, est devenu rĂ©alitĂ©. « Je me souviens qu’en 2010, aprĂšs la grande fĂȘte et les interviews Ă  Salzbourg, ainsi que la remise des trophĂ©es Ă  Monaco, je suis rentrĂ© chez moi et j’ai posĂ© la coupe sur la table de la cuisine, s’amuse-t-il. C’est Ă  ce moment-lĂ  que j’ai compris que c’était dĂ©finitif. Mon nom Ă©tait gravĂ©, personne ne pouvait l’enlever. C’était fou ! »

Trajectoire prodigieuse

Texte Justin Hynes
PORTRAIT

MAX VERSTAPPEN

Max Verstappen au volant de l’Oracle Red Bull Racing RB20 pendant les essais du Grand Prix d’Espagne au Circuit de Barcelona-Catalunya le 21 juin 2024 à Barcelone, Espagne.

Le chemin vers la gloire de Red Bull Racing a Ă©tĂ© tracĂ© par toute une Ă©quipe et jalonnĂ© par de nombreux Ă©vĂ©nements. Mais le NĂ©erlandais est le vĂ©ritable architecte de sa rĂ©ussite. Voici comment, en l’espace d’une dĂ©cennie dans cette Ă©curie, il est sans doute devenu le pilote de F1 le plus complet


Suzuka, Japon, 3 octobre 2014. À mi-chemin de la pit lane, la Toro Rosso du pilote français Jean-Éric Vergne doit regagner le stand. Alors qu’une nuĂ©e de mĂ©caniciens et d’ingĂ©nieurs s’afaire dans la chaleur Ă©manant de la monoplace qu’ils Ă©lĂšvent sur des vĂ©rins et branchent Ă  des cĂąbles gros comme le bras, un pilote inconnu sort de l’habitacle. Ce n’est pas Jean-Éric Vergne.

Pour ces essais, celui qui lui succĂ©dera en 2015 a pris le volant. C’est un petit gĂ©nie qui est passĂ© des podiums de kart Ă  la Formule 1 en seulement deux ans. Un prodige qui a fĂȘtĂ© ses 17 ans 3 jours auparavant et qui, aprĂšs 22 tours bouclĂ©s sagement mais de plus en plus vite, est dĂ©sormais le plus jeune pilote Ă  participer Ă  un Ă©vĂ©nement de F1.

Max Verstappen ne semble pas intimidĂ© pendant sa prise en main de la Formule 1 hybride. « Je ne saurais pas vous dire », rĂ©pond-il quand on lui demande si le fait d’ĂȘtre attachĂ© Ă  un missile de 1 000 chevaux lancĂ© sur l’un des circuits de F1 les plus cĂ©lĂšbres et les plus techniques au monde Ă©tait impressionnant. « Je n’étais pas nerveux. L’écart est plus grand entre le kart et la F3 qu’entre la F3 et la F1. En fn de compte, une monoplace reste une monoplace. »

Une dĂ©cennie plus tard, en avril dernier, alors qu’il s’installe dans un coin de l’espace Oracle Red Bull Racing au sein du paddock de Suzuka, Max Verstappen repense Ă  son parcours, depuis sa dĂ©couverte de la Toro Rosso STR7 jusqu’à ses trois titres de champion du monde qui

font de lui le troisiĂšme pilote ayant remportĂ© le plus de victoires – juste derriĂšre

Lewis Hamilton et Michael Schumacher –, et Ă  son avalanche de records, parmi lesquels le plus grand nombre de victoires en une saison (19), le plus grand nombre de victoires consĂ©cutives en une saison (10), et le plus grand nombre de points marquĂ©s en une saison (575).

« Ai-je changĂ© ma façon de piloter ? C’est certain, afrme-t-il. La vitesse pure a toujours Ă©tĂ© lĂ , mais on s’amĂ©liore, on trouve son Ă©quilibre. Tout est une question d’expĂ©rience. Pas seulement dans la course, mais aussi dans la vie en gĂ©nĂ©ral et en tant que personne. À 17 ou 18 ans, j’étais probablement un peu plus bĂȘte et je prenais la vie moins au sĂ©rieux. C’est drĂŽle de penser que je radote depuis 2017 ou 2018 : “Si vous me donnez une voiture capable de remporter le championnat, je le remporterai.” Mais quand on a

vraiment une voiture capable de remporter un championnat, notre Ă©tat d’esprit change du tout au tout. On apprend Ă  faire les choses difĂ©remment. »

« Il est parfois plus difcile de s’imposer pendant certaines saisons. On se montre naturellement plus agressif, car on veut prendre davantage de risques pour arracher le podium, ajoute-t-il. Mais quand on se bat pour le titre de champion, on fait spontanĂ©ment plus attention pour s’assurer de marquer des points chaque week-end. »

La capacitĂ© de Max Verstappen Ă  transformer cette attitude ofensive en trophĂ©es a suscitĂ© l’intĂ©rĂȘt dĂšs ses premiers coups de volant dans le sport automobile. Alors que le jeune pilote enchaĂźnait les victoires en karting, les Ă©quipes nĂ©erlandaises de Red Bull Racing ont communiquĂ© ses rĂ©sultats aux hautes instances, et notamment au cĂ©lĂšbre conseiller Helmut Marko.

Le responsable senior de l’équipe junior Red Bull Racing a tĂ©lĂ©phonĂ© Ă  Jos, le pĂšre de Max Verstappen, et au manager de ce dernier, Raymond Vermeulen. « Mais ce n’était pas le bon moment, explique Helmut Marko. Il a fallu attendre l’arrivĂ©e de Max en F3 pour entamer des nĂ©gociations sĂ©rieuses. »

Faisant f du passage habituel des pilotes de kart par la Formule 4 monoplace, Max Verstappen s’est retrouvĂ© catapultĂ© dans le championnat d’Europe de Formule 3 de la FIA, qui Ă©tait peut-ĂȘtre Ă  l’époque la pĂ©piniĂšre de jeunes talents la plus compĂ©titive au niveau international. Face Ă  des talents plus expĂ©rimentĂ©s, tels qu’Esteban Ocon, futur pilote Alpine, et Antonio Giovinazzi, futur pilote de F1 Alfa Romeo et Ferrari, Ă©galement vainqueur du Mans, Max Verstappen, ĂągĂ© de 16 ans Ă  peine, a fait une entrĂ©e retentissante, remportant la course de Hockenheim (Allemagne) et les trois courses de Spa-Francorchamps (Belgique). C’est le moment qu’a choisi Helmut Marko pour reprendre contact et organiser une rencontre.

« Nous avons discutĂ© pendant une heure et demie, prĂ©cise Helmut Marko. GĂ©nĂ©ralement, les conversations avec les pilotes durent une petite demi-heure, mais nous avions beaucoup de choses Ă  nous dire. Il Ă©tait dĂ©jĂ  trĂšs mĂ»r pour son Ăąge. Avec les autres pilotes, on parle uniquement de course automobile, mais Max possĂ©dait des connaissances trĂšs vastes. Par exemple, il savait tout ce qui se passait – notamment sur le plan fnancier –chez Jumbo, la grande chaĂźne de supermarchĂ©s qui le sponsorisait. C’était impressionnant. »

L’énergie de la victoire : Helmut Marko cĂ©lĂšbre Max.
« Tout est une question d’expĂ©rience. Aussi dans la vie en gĂ©nĂ©ral. »

L’Orange Arm – qui rassemble les fans les plus fidĂšles et dĂ©monstratifs de Max Verstappen – affiche son soutien avant le GP d’Autriche au Red Bull Ring de Spielberg, le 4 juillet 2021.

L’intelligence de Max Verstappen et sa vitesse pure incontestable ont convaincu Helmut Marko du potentiel de ce jeune homme. Mais pour ĂȘtre sĂ»r Ă  100 %, Helmut Marko s’est rendu sur le circuit de Norisring (Allemagne), rĂ©putĂ© pour son tracĂ© complexe, afn d’assister sous la pluie Ă  une course prometteuse du pilote. « Il a mis deux secondes Ă  tout le monde et il maĂźtrisait sa voiture Ă  la perfection, tĂ©moigne-t-il. Du jamais vu. Cela m’a suf. »

Sous les yeux du quadruple champion du monde Sebastian Vettel – la premiĂšre belle dĂ©couverte de Helmut Marko –, Red Bull Racing a prĂ©sentĂ© Max Verstappen comme son nouveau diamant brut lors du Grand Prix de Belgique de 2014. Le mois suivant, le NĂ©erlandais participait aux essais du Grand Prix du Japon. Cinq mois plus tard, Ă  l’occasion du Grand Prix d’Australie de 2015, il est ofciellement devenu le plus jeune pilote de F1.

L’impact de Helmut Marko sur Max Verstappen est notable dĂšs les premiĂšres annĂ©es. Ce dernier accueillait de la mĂȘme maniĂšre les encouragements et les critiques du conseiller autrichien. Dix ans aprĂšs les dĂ©buts d’une relation parfois tendue mais qui reste privilĂ©giĂ©e – « Il a vraiment beaucoup d’humour » –, Max Verstappen considĂšre toujours Helmut Marko comme l’un de ses conseillers les plus fables, aux cĂŽtĂ©s de son pĂšre et de son manager.

« Pour rĂ©ussir dans ce domaine, il faut ĂȘtre entourĂ© de personnes qui veulent le mieux pour vous, estime le pilote nĂ©erlandais. Par chance, mon pĂšre me soutient depuis le plus jeune Ăąge, tout comme mon manager Raymond, qui fait pratiquement partie de la famille. Helmut occupe aussi une place trĂšs importante dans ma vie, souligne-t-il. Bien sĂ»r, notre relation a Ă©voluĂ© au fl du temps pour gagner en Ă©quilibre. C’est vraiment quelqu’un de sympa et bienveillant. Évidemment, il vaut mieux avoir de bons rĂ©sultats, car l’entreprise repose sur les performances, au fond. Mais avec le temps, j’ai pu dĂ©couvrir une facette plus personnelle de Helmut. C’est devenu un ami proche. ForcĂ©ment, on a traversĂ© les joies et les peines ensemble, confe-t-il. Surtout au dĂ©but de ma carriĂšre, quand j’avais encore beaucoup Ă  apprendre. Il a fallu que je tire les leçons de mes erreurs. Et certaines discussions n’ont pas toujours Ă©tĂ© faciles. Mais j’aimais beaucoup – et j’aime toujours – sa franchise. Je suis tout aussi direct. Il n’y a pas de blabla avec lui. Absolument pas. Et ça me plaĂźt. »

Helmut Marko a afchĂ© son approche claire et rĂ©fĂ©chie un an aprĂšs les dĂ©buts de Max Verstappen. Daniil Kvyat, parachutĂ© dans le baquet laissĂ© vacant par Sebastian Vettel en fn d’annĂ©e 2014, n’était pas Ă  la fĂȘte. Au Grand Prix de Chine, le Russe avait musclĂ© sa conduite pour atteindre le podium et s’était dĂ©jĂ  montrĂ© trop agressif aux yeux de Sebastian Vettel, qui avait Ă©tĂ© Ă©cartĂ© de la piste par le pilote Red Bull au premier virage. Et quand Daniil Kvyat a pilotĂ© Ă  domicile pendant le Grand Prix de Russie, Ă  Sotchi, Sebastian Vettel est sorti de ses gonds, car le Russe l’avait percutĂ© « en [lui] arrivant dessus comme un boulet de canon ».

La pression est alors montĂ©e d’un cran. Le camp de Max Verstappen y a mis son

« Max, c’était du jamais vu.
Cela m’a suffi. »
Helmut Marko

grain de sel et le verdict est tombĂ©. Helmut Marko et Christian Horner, directeur de l’équipe Red Bull Racing, ont vite rĂ©agi : dix jours avant le Grand Prix d’Espagne, Daniil Kvyat et Max Verstappen ont Ă©changĂ© leurs places. Lorsqu’il Ă©voque l’arrivĂ©e de Max Verstappen, Christian Horner se souvient : « Il n’y avait aucune inquiĂ©tude. Nous savions qu’il Ă©tait prĂȘt. À Barcelone, il a simplement sautĂ© dans la voiture et s’est calĂ© sur la cadence de Daniel Ricciardo. »

Daniel Ricciardo, vainqueur de plusieurs courses pendant sa troisiĂšme saison avec Red Bull Racing, et leader de facto de l’équipe, se rappelle bien l’impact immĂ©diat du jeune Max Verstappen. « Sa capacitĂ© Ă  conduire vite Ă©tait incontestable, et en plus, il ne semblait pas du tout impressionnĂ©, reconnaĂźt Daniel Ricciardo. Il n’en avait littĂ©ralement rien Ă  faire. On avait le sentiment qu’il se disait : “Okay, maintenant je suis dans une bonne voiture. Je vais me donner Ă  fond et simplement enchaĂźner les tours.” J’ai immĂ©diatement pensĂ© que ce gamin avait quelque chose de spĂ©cial. Il n’était pas du tout

Pourchassé par Lewis Hamilton, pilote star de Mercedes, au GP de France de 2021.

10 ANS, 5 COURSES MARQUANTES

Parmi les dizaines de courses auxquelles Max a participé, il est difficile de choisir ses meilleures performances chez Red Bull Racing. Nous avons demandé au pilote néerlandais de nous parler de cinq victoires parmi ses favorites. Et ce ne sont pas celles auxquelles vous auriez pu vous attendre


1/ GRAND PRIX

D’ESPAGNE – 2016

GRILLE : P1. COURSE : P1.

« Ma premiĂšre victoire – impossible de surpasser ça ! »

À peine dix jours aprĂšs ĂȘtre entrĂ© sur le circuit, Max Verstappen a Ă©bahi tout le monde en se qualifiant Ă  la quatriĂšme place et en remportant la victoire, repoussant les attaques rĂ©pĂ©tĂ©es du grand champion Ferrari Kimi RĂ€ikkönen Ă  l’approche de la ligne d’arrivĂ©e.

« Au dĂ©but de la course, nous avons eu de la chance que les deux Mercedes se percutent, mais il fallait en profiter pour prendre l’avantage, et c’est ce que nous avons fait. La fin de la course avec Kimi Ă  mes trousses n’a pas Ă©tĂ© facile – mes pneus Ă©taient presque morts. C’était stressant parce que je luttais pour dĂ©crocher mon premier podium et ma premiĂšre victoire. J’étais trĂšs concentrĂ©. Et soudain, au dernier virage, j’ai rĂ©alisĂ© que

j’allais gagner. Ma premiĂšre victoire – impossible de surpasser ça ! C’était un sentiment incroyable, car l’équipe n’attendait rien de moi. »

2/ GRAND PRIX

D’ALLEMAGNE – 2019

GRILLE : P2. COURSE : P1. « Les conditions Ă©taient trĂšs difficiles. C’était une question de survie. »

Des pluies torrentielles, les accidents de Lewis Hamilton avec Mercedes et de Charles Leclerc avec Ferrari, un atroce tĂȘte-Ă -queue de Sebastian Vettel dans la seconde Ferrari, six voitures de sĂ©curité  Max Verstappen s’est malgrĂ© tout frayĂ© un chemin vers la victoire, contre vents et marĂ©es. AprĂšs un dĂ©part trĂšs lent qui l’a fait chuter de la deuxiĂšme Ă  la quatriĂšme place, le pilote nĂ©erlandais a rapidement doublĂ© l’Alfa Romeo de Kimi RĂ€ikkönen et a pris les monoplaces Mercedes pour cibles Ă  travers ce chaos, se faufilant Ă  l’avant lorsque les deux voitures ont

eu leur accident. « C’était une course compliquĂ©e : d’abord de fortes pluies, et puis il a fallu gĂ©rer nos pneus slick sur la piste qui avait sĂ©chĂ©, et ensuite la pluie est revenue. C’était une question de survie, et c’est ce que j’ai littĂ©ralement adorĂ© dans cette course. On ne pouvait pas piloter comme d’habitude. Il ne fallait pas rouler trop vite pour ne pas bloquer les roues, sortir du circuit et se retrouver coincĂ©. La victoire a eu une saveur trĂšs particuliĂšre ce jour-lĂ . »

3/ GRAND PRIX DE FRANCE – 2021

GRILLE : P1. COURSE : P1. « Nous ne voulions pas patienter jusqu’à la fin de la course et nous contenter d’une deuxiĂšme ou d’une troisiĂšme place. »

AprĂšs avoir remportĂ© une victoire sur les quatre premiers circuits de l’annĂ©e 2021, Max Verstappen s’est lancĂ© dans une sĂ©rieuse course au titre avec quatre victoires dĂ©crochĂ©es en cinq Ă©vĂ©nements – et aucune de ses victoires n’a surpassĂ© celle sur le circuit Paul Ricard. DĂšs le dĂ©part, il a gĂąchĂ© la pole position obtenue la veille en effectuant un premier virage trop large et en offrant ainsi la tĂȘte de la course Ă  Lewis Hamilton. Tandis que la bataille stratĂ©gique faisait rage, l’écurie Red Bull s’est imposĂ©e face Ă  Hamilton pendant le premier arrĂȘt aux stands et a regagnĂ© la premiĂšre place. Le pilote Mercedes a alors enjoint son Ă©quipe de lui permettre de ressortir devant Max au deuxiĂšme arrĂȘt, mais une fois encore, il a Ă©tĂ© pris de court par le NĂ©erlandais qui a Ă©tĂ© le premier Ă  faire une halte. Lewis Hamilton a finalement choisi de ne pas rentrer au stand, mais grĂące Ă  ses pneus neufs, Verstappen a rattrapĂ© le septuple champion avec une rapiditĂ© exceptionnelle. Il l’a dĂ©passĂ© pendant l’avant-dernier tour et a remportĂ© une victoire magistrale.

Le premier d’une longue sĂ©rie : Max Verstappen face Ă  son trophĂ©e aprĂšs sa toute premiĂšre victoire en F1 lors du Grand Prix d’Espagne de 2016.

« La stratĂ©gie que nous avons mise en place Ă©tait tout simplement gĂ©niale. Nous devions prendre les choses en main, car nous n’aurions peut-ĂȘtre pas Ă©tĂ© capables de terminer la course en un seul arrĂȘt. Alors nous nous sommes dit qu’il fallait se montrer agressif et tenter les deux arrĂȘts, ce qui a fonctionnĂ© Ă  la perfection. Nous ne voulions pas patienter jusqu’à la fin de la course et nous contenter d’une deuxiĂšme ou d’une troisiĂšme place, alors nous avons tentĂ© le coup. Mercedes dominait le championnat depuis de nombreuses annĂ©es, et c’était la premiĂšre fois que nous Ă©tions si proches. Cette course a annoncĂ© le dĂ©but d’une rĂ©elle lutte pour le titre. »

4/ GRAND PRIX DE BELGIQUE - 2022 GRILLE : P14. COURSE : P1.

« J’aurais pu prendre le dĂ©part Ă  la derniĂšre place, on serait quand mĂȘme montĂ©s sur la premiĂšre marche du podium ! »

Confiante quant Ă  la vitesse de sa RB18 et Ă  la possibilitĂ© de rĂ©aliser des dĂ©passements sur le circuit de Spa-Francorchamps, l’équipe a choisi de tester un nouveau groupe propulseur, quitte Ă  Ă©coper de pĂ©nalitĂ©s sur la grille de dĂ©part. Max Verstappen, qui avait Ă©tĂ© le plus rapide aux qualifications avec six dixiĂšmes d’avance, a donc hĂ©ritĂ© de la quatorziĂšme place. Mais cela n’avait aucune importance : il s’est avĂ©rĂ© inarrĂȘtable. AprĂšs avoir remontĂ© de six places pendant le premier tour, il a pris la tĂȘte de la course au bout du douziĂšme tour. Max Verstappen a optĂ© pour une stratĂ©gie Ă  deux arrĂȘts, ce qui lui a permis de devancer son coĂ©quipier Sergio PĂ©rez de 17,8 secondes. « Pendant cette course, la voiture Ă©tait d’une qualitĂ© incroyable. J’aurais pu prendre le dĂ©part Ă  la derniĂšre place, on serait quand mĂȘme montĂ©s sur la premiĂšre marche du

podium ! J’ai mĂȘme commencĂ© avec des pneus tendres et je les ai fait durer plus longtemps que les autres pilotes qui Ă©taient sur pneus mĂ©diums. C’est trĂšs rare de vivre ce genre de week-end. J’ai gagnĂ© en confiance grĂące Ă  la voiture. Je me suis senti extrĂȘmement bien et j’étais sur mon circuit prĂ©fĂ©rĂ©. Tout Ă©tait parfait. »

5/ GRAND PRIX

DU JAPON – 2023

GRILLE  : P1. COURSE  : P1. « Je me suis dit que j’allais montrer Ă  tout le monde ce dont j’étais capable. J’étais ultramotivĂ©. »

Qu’y a-t-il de plus intimidant que d’affronter Max Verstappen dans une voiture au top ?

L’affronter dans une voiture au top alors qu’il a quelque chose Ă  prouver. AprĂšs un mauvais week-end Ă  Singapour, oĂč le pilote nĂ©erlandais s’est fait sortir au deuxiĂšme tour des qualifications et a terminĂ© cinquiĂšme de la course, l’écurie Oracle Red Bull Racing s’est retrouvĂ©e dans le viseur de la FIA Ă  cause de ses ailerons avant flexibles. AgacĂ© par ces soupçons de manquement au rĂšglement, Max Verstappen a rĂ©pondu de la seule maniĂšre qu’il connaisse. DĂšs les premiers essais, il a largement distancĂ© ses adversaires et il s’est emparĂ© de la pole devant la McLaren d’Oscar Piastri pendant la journĂ©e de samedi, avec prĂšs de six dixiĂšmes de seconde d’avance. Le lendemain, il a usĂ© de sa vitesse pour dominer la course, battant Lando Norris et sa McLaren de prĂšs de 20 secondes. Point final. «  AprĂšs Singapour, oĂč les gens mettaient en doute nos compĂ©tences Ă  cause de nos ailerons flexibles, ultramotivĂ©, je me suis dit que j’allais montrer Ă  tout le monde ce dont j’étais capable. La voiture a survolĂ© le circuit pendant ce GP et je pilotais incroyablement bien. Je souriais mĂȘme au volant – ce qui est plutĂŽt rare pendant des qualifications  !  »

«C’est Max. Il veut juste conduire
 et flirter avec les limites.»

dĂ©passĂ© par la situation. C’est Max. Il veut juste conduire
 et firter avec les limites. »

Cependant, avec une visite Ă  l’usine, l’adaptation de son baquet et le travail de simulation qui se sont succĂ©dĂ© quelques jours avant son arrivĂ©e Ă  Barcelone, les attentes Ă  l’égard de Max Verstappen n’étaient pas trĂšs Ă©levĂ©es.

« Sur la grille de dĂ©part, Christian est venu me voir et m’a glissĂ© : “Amuse-toi, ne te mets pas la pression, et essaie juste de marquer quelques points”, a racontĂ© le NĂ©erlandais lors de l’enregistrement du podcast Talking Bull cette annĂ©e. C’était ma premiĂšre course. Il voulait probablement me dire de ne pas m’en faire et de ne pas tenter le diable. »

Et ce fut la rĂ©vĂ©lation. AprĂšs que les deux Mercedes en premiĂšre ligne se sont mutuellement Ă©liminĂ©es dĂšs le dĂ©part, Max Verstappen a optĂ© pour une meilleure stratĂ©gie que Daniel Ricciardo. Il a pris la tĂȘte, et vers la fn de la course, il a facilement tenu le champion du monde 2007 Kimi RĂ€ikkönen en Ă©chec et dĂ©crochĂ© une victoire Ă  peine croyable, ce qui lui a valu de devenir le plus jeune vainqueur d’une course de F1.

Mais si Max Verstappen a vĂ©cu un rĂ©el conte de fĂ©es pendant ce premier weekend avec toute l’équipe, le reste de la saison et les deux campagnes suivantes ont Ă©tĂ© plus mornes. FreinĂ©s par la qualitĂ© moyenne du groupe propulseur, Red Bull Racing et Max Verstappen ont fait de leur mieux pour obtenir des rĂ©sultats, dĂ©robant la victoire lorsque les conditions de course le permettaient, et prenant leur mal en patience.

Les choses ont commencĂ© Ă  changer en 2019, lorsque le groupe propulseur Renault a Ă©tĂ© remplacĂ© par un modĂšle Honda. Trois victoires ont Ă©tĂ© comptabilisĂ©es cette saison-lĂ  – y compris une premiĂšre victoire pour Honda depuis treize ans, et une premiĂšre victoire Ă  domicile pour Red Bull Racing en Autriche –, suivies de deux victoires supplĂ©mentaires au cours de la campagne 2020 Ă©courtĂ©e par

Max Verstappen cĂ©lĂšbre sa cinquantiĂšme victoire en F1 aprĂšs le Grand Prix des États-Unis sur le circuit des AmĂ©riques, Ă  Austin (Texas), le 22 octobre 2023.

la pandĂ©mie. Mais il a fallu attendre l’annĂ©e 2021 pour tenter d’ébranler l’hĂ©gĂ©monie de Mercedes.

« En 2021, j’ai fnalement pu prouver qu’avec le bon matĂ©riel, je pouvais saisir ma chance, se souvient Max Verstappen. Mais chercher Ă  dĂ©crocher le titre de champion du monde, c’est un tout autre Ă©tat d’esprit. Vous devez vous focaliser sur cet objectif et faire votre apprentissage en cours de route
 Ce n’est jamais si simple. »

La lutte a atteint son paroxysme lors de la course d’Abu Dhabi, dĂ©cisive pour le classement fnal, et pendant laquelle l’arrivĂ©e tardive d’une voiture de sĂ©curitĂ© a permis Ă  Max Verstappen de dĂ©passer Lewis Hamilton au dernier tour, et de ravir ainsi son premier titre de champion du monde. Cependant, la surcharge

« Avec Helmut Marko, il n’y a pas de blabla. » Max Verstappen

mentale liĂ©e Ă  ce face-Ă -face avec Lewis Hamilton a imprĂ©gnĂ© toute la campagne, Ă©maillĂ©e d’afrontements violents Ă  Imola, Monza, Interlagos, Djeddah, et, bien sĂ»r, marquĂ©e par l’accrochage de Silverstone qui a causĂ© de sĂ©rieux dĂ©gĂąts du cĂŽtĂ© de Max Verstappen. Le NĂ©erlandais en garde un trĂšs mauvais souvenir.

« Je n’aurais pas envie de revivre cette annĂ©e-lĂ , avoue Max Verstappen. Elle Ă©tait
 particuliĂšrement chaotique. C’est trĂšs difcile de lutter pour un premier titre. Maintenant que j’en ai trois, je pense que ce serait dur de revivre cette premiĂšre annĂ©e de championnat
 Mais quand on est en plein dedans, on fonce. On fait de son mieux et on se dit que ce qui doit arriver arrivera. Enfn, dans l’idĂ©al, j’aimerais Ă©viter de retraverser tout cela. »

« L’équipe en a aussi soufert, se remĂ©more-t-il. Pendant plusieurs annĂ©es, nous Ă©tions dans l’incapacitĂ© de prĂ©tendre au titre, et nous sommes soudain revenus dans la compĂ©tition. Il y avait une vraie soif de victoire. Tout le monde cherchait encore ses marques. Aujourd’hui, nous avons bien plus confance en nous. Nous avons grandi

en tant qu’équipe. Est-ce que j’aurais Ă©tĂ© plus rapide en 2021 avec l’expĂ©rience que j’ai acquise depuis ? Je ne pense pas que cela aurait changĂ© grand-chose. »

Les tensions sur le circuit se sont accompagnĂ©es de joutes verbales en dehors, mais si la saison 2021 a connu son lot de traits d’esprit, Max Verstappen a rarement pris part Ă  ces Ă©changes, laissant aux autres le soin de multiplier les interventions dans la tempĂȘte mĂ©diatique qui frappait la course au titre.

Max Verstappen a toujours Ă©tĂ© fdĂšle Ă  cette stratĂ©gie, et ce n’est pas prĂšs de changer. « Je ne tiens pas Ă  perdre mon temps lĂ -dessus, se moque-t-il. Je trouve cela totalement inutile. C’est sans doute dĂ» au fait que, quand je rentre chez moi, je ne pense plus vraiment Ă  la Formule 1. Cela vous semblera peut-ĂȘtre Ă©trange, car la F1 reprĂ©sente une grande partie de ma vie, mais pour ĂȘtre honnĂȘte, cette façon de voir les choses m’aide beaucoup. Quand j’arrive pour le week-end de course, je suis pleinement concentrĂ©, mais quand je suis Ă  la maison, je prĂ©fĂšre penser Ă  d’autres choses et m’occuper diffĂ©remment. Je ne pense pas Ă  la F1 pour m’endormir, et je ne me brosse pas les dents le matin en y pensant non plus. »

L’irruption de Max Verstappen au plus haut niveau a coĂŻncidĂ© avec la fn d’une Ăšre technologique. En efet, une toute nouvelle gĂ©nĂ©ration de Formule 1 a Ă©mergĂ© dĂšs 2022. Oracle Red Bull Racing est l’écurie qui a le mieux exploitĂ© le potentiel des rĂ©centes rĂ©glementations – et le pilote nĂ©erlandais a su tirer parti de tous leurs avantages en termes de performances.

Ses quinze victoires sans appel en 2022 lui ont ofert un deuxiĂšme titre, Ă  146 points de son plus proche rival, le pilote Ferrari Charles Leclerc. Et, grĂące au dĂ©veloppement de la RB19 l’annĂ©e suivante, les Ă©quipes Oracle Red Bull Racing sont passĂ©es Ă  la vitesse supĂ©rieure, dominant peu Ă  peu la compĂ©tition jusqu’à un contrĂŽle presque total du championnat en 2023, lorsque Max Verstappen a rĂ©alisĂ© la meilleure saison de l’histoire de la F1, en remportant 19 des 22 courses et en manquant le podium une seule fois.

Mais le triple champion est clair : ce n’est pas parce qu’on remporte 34 courses sur 44 en l’espace de deux saisons que la victoire perd de son attrait. « La victoire ne devient pas ennuyeuse
 Ce qui est ennuyeux, c’est de ne pas gagner, intervient Max Verstappen avec emphase. Ce que je prĂ©fĂšre, c’est gagner et essayer de rester au top. C’est le plus difcile. »

Le pilote nĂ©erlandais passe la ligne d’arrivĂ©e lors du Grand Prix d’Autriche sur le circuit de Spielberg, le 30 juin 2019.

« Je n’ai pas besoin de faire le show. Ce n’est pas moi. »

15 mai 2016. Max Verstappen vient de remporter, Ă  18 ans 7 mois et 15 jours, son premier Grand Prix. Depuis ses dĂ©buts en F1 quatorze mois plus tĂŽt pour Toro Rosso, il a prouvĂ© qu’il Ă©tait rapide, combatif et controversĂ©, comme tous les grands pilotes de F1 avant lui.

Toutefois, il conçoit que les spectateurs aient l’impression d’une routine lorsqu’il monte sur la plus haute marche du podium. « Certaines victoires touchent plus que d’autres. Et c’est bien normal, observe Max Verstappen. Mais en gĂ©nĂ©ral, je ne montre pas beaucoup mes Ă©motions quand je gagne. Parce que je suis lĂ  pour ça. Le week-end, je viens pour gagner, ce qui dĂ©pend beaucoup des conditions de course. Quand toutes les conditions sont rĂ©unies, je veux juste cocher ma to-do list et passer Ă  la suite. »

« Quand on remporte un championnat, poursuit le pilote nĂ©erlandais, l’émotion est plus palpable, mais en ce qui concerne la plupart des victoires
 Je ne sais pas, chacun est difĂ©rent dans sa façon d’exprimer son ressenti. Je suis heureux, mais je n’ai pas besoin de le crier au monde entier. Je suis heureux pour mon entourage et je suis content d’avoir rĂ©pondu aux attentes. C’est ce qui compte. Je n’ai pas besoin de faire le show, de sauter partout ou de courir avec un drapeau. Ce n’est pas moi. »

La quĂȘte de simplicitĂ© de Max Verstappen dans l’analyse de son succĂšs constitue le fl conducteur de sa vision du mĂ©tier. Respectant de maniĂšre presque fanatique les avis sans dĂ©tour de Helmut Marko et s’eforçant de ne pas gaspiller son Ă©nergie (Ă©motionnelle, mentale ou physique), Max Verstappen s’engage Ă  dĂ©mystifer

« J’adore la F1, jusqu’à un certain point. »

Max Verstappen

l’art de la Formule 1 et à en faire ressortir la substantifque moelle.

« Je n’ai pas de mĂ©thode particuliĂšre, assure-t-il. J’ai un calendrier. Mais en dehors de ça, je prends du temps pour moi. Rien de trĂšs palpitant. Je n’ai pas de rĂ©elle structure, mais je sais ce que j’ai Ă  faire. Et si un imprĂ©vu survient, je le gĂšre. Je n’y pense pas trop, confesse-t-il. Je fais juste mon boulot et je passe Ă  autre chose. Il n’y a rien de bien sorcier. Et ça a fonctionnĂ© pendant toute ma vie. Il n’y a que la voiture qui roule un peu plus vite que celle de mes 7 ans ! »

Le petit prodige qui faisait dĂ©jĂ  des merveilles Ă  7 ans sur les circuits de kart soufera ses 27 bougies en septembre prochain. Il a consacrĂ© toute sa vie aux sports automobiles, et plus d’un tiers de son existence Ă  la seule F1. S’amuse-t-il toujours autant ? « D’une certaine façon, oui, mais parfois non, glisset-il. Depuis quelque temps, les rĂ©seaux

sociaux ont envahi le sport. C’est la partie la moins amusante du mĂ©tier. Je prĂ©fĂšre largement me pointer sur le circuit, conduire ma voiture et travailler avec les ingĂ©nieurs. C’est ce qui me plaĂźt le plus. Disons que le monde virtuel de la F1 est le moins agrĂ©able, le moins fun. »

« Mais je sais aussi que je ne vais pas piloter toute ma vie, prĂ©vient-il. Alors j’en profte Ă  fond et j’essaie d’ĂȘtre le plus compĂ©titif possible tant que je veux rester dans la F1. Je suis bien conscient qu’un jour, je quitterai le circuit. Et ça me va. Je me serai bien amusĂ©, j’aurai eu une belle carriĂšre et j’aurai alors du temps pour faire d’autres choses. »

Max Verstappen est certain que cette prise de conscience lui simplife grandement la vie en Formule 1, car il ne craint pas de tout perdre.

« Je n’ai pas peur d’arrĂȘter la compĂ©tition, renchĂ©rit-il. Beaucoup de gens sont tellement focalisĂ©s sur leur mĂ©tier que lorsque vient le temps de s’arrĂȘter, ils rĂ©alisent qu’ils n’ont jamais pensĂ© Ă  ce qu’ils feraient aprĂšs. J’ai beaucoup d’idĂ©es et de projets. Je ne veux pas faire de courses jusqu’à mes 40 ans, sillonner le monde pour participer Ă  24 ou 25 Ă©vĂ©nements par an et ĂȘtre loin de mes proches. Ce n’est pas ça qui compte. J’adore la F1, mais jusqu’à un certain point. Peu importe que vous ne remportiez aucun championnat, ou que vous en gagniez trois
 ou huit. La vie [en dehors du sport] a pour moi bien plus de valeur : nous ne sommes pas Ă©ternels et je ne veux pas passer la moitiĂ© de mon existence Ă  piloter une F1. »

Mais pour l’heure, hors de question qu’il arrĂȘte. L’attrait de la F1 est encore trop fort, bien qu’il n’ait pas d’autres trophĂ©es en ligne de mire.

« Qu’est-ce que j’aime toujours dans la F1 ? La rĂ©ponse est simple : j’aime la compĂ©tition, sourit-il. En rĂ©alitĂ©, c’est bien plus que cela. J’aime toutes les personnes brillantes avec lesquelles je travaille. Cela me manquera beaucoup. Ce que je ferai aprĂšs la Formule 1 ne sera jamais aussi exceptionnel – d’autant qu’avec la meilleure Ă©quipe qui soit, je suis aujourd’hui au sommet de la discipline. C’est ce qui me motive Ă  revenir chaque week-end. » Clap de fn pour Max Verstappen. Dix ans aprĂšs son premier week-end de F1, il entre dans le mĂȘme espace Suzuka que le 3 octobre 2014, traverse Ă  grands pas le paddock pour rejoindre son Ă©curie, fameuse, Oracle Red Bull Racing, et se prĂ©pare une nouvelle fois Ă  ressentir l’excitation de la compĂ©tition et Ă  marquer les esprits. Par centaines de milliers, Ă  travers toute la planĂšte.

Max Verstappen en mode Texas, à Austin, le 23 octobre 2021, lors des essais du Grand Prix des États-Unis. Une course qu’il remportera.

Trésors

Red Bull Racing

nous a donnĂ© accĂšs Ă  ses archives, d’un genre trĂšs spĂ©cial  : chacun des outils de prĂ©cision que vous allez dĂ©couvrir a contribuĂ© Ă  l’incroyable saga de l’écurie.

Les volants actuels sont beaucoup plus complexes que cet exemple de la RB1 - l’absence d’un grand Ă©cran central Ă©tant la diffĂ©rence la plus Ă©vidente. Cependant, bon nombre des Ă©lĂ©ments de base sont inchangĂ©s. Les poignĂ©es sont personnalisĂ©es pour chaque pilote ; les palettes sont incroyablement sensibles, et les boutons, cadrans et molettes permettent des milliers de rĂ©glages.

Photos Tim Kent

DÉTAILS

La RB4 marqua la fin d’un dĂ©but : le laisser-faire aĂ©rodynamique vit des voitures ornĂ©es d’ailes exotiques, de spoilers et de cheminĂ©es. La voiture de Red Bull Racing montra parfois des Ă©clairs d’excellence - un podium pour David Coulthard au Canada ; une place en premiĂšre ligne pour Mark Webber Ă  Silverstone -, mais la vĂ©ritable gloire devra attendre 2009 et la page blanche d’une nouvelle Ăšre aĂ©rodynamique.

Si la puissance en chevaux Ă©tait la principale mesure de performance au dĂ©but de l’ùre hybride, Red Bull Racing continuait de briller par son expertise aĂ©rodynamique. La version Ă  nez plus court de la RB11 fut introduite lors du Grand Prix d’Espagne 2015. Comme toujours, elle Ă©tait au maximum de ses performances aprĂšs avoir Ă©tĂ© soumise Ă  pas moins de quatre crashtests d’homologation.

DÉTAILS

La plupart des grands pilotes conservent un design de casque distinctif tout au long de leur carriĂšre, sauf Sebastian Vettel. Lorsqu’il performait chez Red Bull Racing, le pilote allemand prĂ©fĂ©rait des designs uniques - parfois un hommage, d’autres fois une touche de fantaisie ; il en a mĂȘme portĂ© un qui s’illuminait Ă  l’occasion d’une course de nuit. Malheureusement pour Seb, la FIA a finalement exigĂ© que les pilotes s’en tiennent principalement Ă  un seul design.

CASQUES DE VETTEL

LA COURONNE DE RED BULL RACING

Plus personne ne parle des boĂźtes de vitesses des voitures de F1, car elles sont trĂšs, trĂšs, trĂšs fiables. Lorsque Red Bull Racing a rejoint la F1, chaque voiture pouvait utiliser plusieurs boĂźtes de vitesses Ă  chaque course. Aujourd’hui, une boĂźte de vitesses - boĂźtier, cassette, transmission et piĂšces de rechange - est une piĂšce rĂ©glementĂ©e, chaque voiture ayant droit Ă  cinq jeux pour une saison de 24 courses.

En 2022, un nouvel ensemble de rĂšgles aĂ©rodynamiques a Ă©tĂ© introduit avec le retour des voitures Ă  effet de sol pour la premiĂšre fois depuis le dĂ©but des annĂ©es 1980. Des tunnels sous le plancher et un Ă©norme diffuseur permettent aux voitures modernes de gĂ©nĂ©rer d’énormes quantitĂ©s d’appuis, ce qui rend la plupart des virages les plus difficiles de la F1 faciles Ă  nĂ©gocier. Un progrĂšs qui, bien entendu, appelle Ă  la crĂ©ation d’une nouvelle gĂ©nĂ©ration de virages encore plus redoutables.

RB18  /  2022 AILERON AVANT

La refonte aĂ©rodynamique de 2022 a radicalement transformĂ© le look des bolides. Au niveau de l’aileron avant, le cĂŽne qui gĂ©nĂ©rait le « vortex 750 », cet Ă©cart de 250 mm qui poussait l’air vers les dĂ©flecteurs pour une meilleure aĂ©rodynamique – mais qui crĂ©ait aussi un sillage important – disparaĂźt. DĂšs lors, les pilotes se rapprochent, et attaquent.

Vous ĂȘtes-vous dĂ©jĂ  demandĂ© de quoi parlent le pilote de la voiture mĂ©dicale et son mĂ©decin en attendant d’ĂȘtre appelĂ©s Ă  l’action ? Alan van der Merwe et le docteur Ian Roberts ont mis leur temps Ă  profit et ont inventĂ© les gants biomĂ©triques que tous les pilotes de F1 portent maintenant, lesquels sont Ă©quipĂ©s d’un capteur capable de mesurer l’oxymĂ©trie de pouls. Les signaux transmis via une connexion Bluetooth industrielle d’une portĂ©e de 500 mĂštres permettent Ă  l’équipe mĂ©dicale de savoir si le pilote respire, une information cruciale Ă  l’heure de dĂ©cider d’un plan d’extraction en cas d’accident.

C’est sous une pluie torrentielle et un vent Ă  dĂ©corner les bƓufs que l’équipe du Red Bull Academy Programme attaque la piste du circuit de Zandvoort, aux Pays-Bas. Des conditions qui n’ont pas l’air de dĂ©courager les participantes de ce championnat entiĂšrement fĂ©minin, destinĂ© Ă  bouleverser la nonmixitĂ© du sport automobile et Ă  leur ouvrir les portes de la F 1.

Zandvoort est une jolie petite ville de la cĂŽte nĂ©erlandaise, connue pour ses immenses dunes de sable et pour le circuit automobile qu’elles abritent : un paysage de rĂȘve quand le soleil brille, mais qui, lors de cette journĂ©e d’essais de la F1 Academy, se montre particuliĂšrement inhospitalier, avec des rafales de vent et des averses continues. En dĂ©pit de cette mĂ©tĂ©o dĂ©sastreuse, les pilotes enchaĂźnent courageusement les tours, s’affrontant sur le circuit dĂ©trempĂ© de Zandvoort, situĂ© non loin des cĂŽtes orageuses de la mer du Nord – un lieu mythique oĂč le sport automobile, depuis longtemps dominĂ© par les hommes, est en train de vivre une petite rĂ©volution en accueillant la F1 Academy – , un championnat de niveau F4 entiĂšrement rĂ©servĂ© aux femmes.

Le projet est conçu pour permettre aux jeunes femmes pilotes de continuer Ă  concourir, en intervenant Ă  une Ă©tape de leur carriĂšre oĂč nombre d’entre elles ont Ă©tĂ© contraintes d’abandonner les circuits, par manque de sponsors ou d’opportunitĂ©s – mais non par manque de talent : l’idĂ©e est donc de relancer celles qui pourraient un jour arriver Ă  intĂ©grer la discipline reine, la Formule 1 – qui n’a pas vu de femme pilote depuis plus de quarante ans.

Pour cette saison 2024 de la F1 Academy, trois femmes pilotes sont en train de concourir pour l’écurie nĂ©erlandaise MP Motorsport : Emely de Heus et les deux sƓurs Al Qubaisi, Amna et Hamda. Ces trois femmes de talent, qui ont signĂ© pour le Red Bull Academy Programme, ont hĂ©ritĂ© de leurs pĂšres la passion pour la course automobile. MalgrĂ© un soutien parental sans faille, les difficultĂ©s qu’ont

rencontrĂ©es De Heus et les sƓurs Al Qubaisi pour bĂątir une carriĂšre dans le sport automobile ont Ă©tĂ© nombreuses – tant financiĂšrement que socialement. Mais les trois femmes ont su s’accrocher pour rentrer Ă  la F1 Academy. Retour au hangar MP Ă  Zandvoort, aprĂšs la course : les trois pilotes sont en pleine discussion avec leurs ingĂ©nieurs de course respectifs, examinant les temps de la journĂ©e et les enregistrements vidĂ©o, afin de mieux cerner comment amĂ©liorer leurs performances. À l’extĂ©rieur, malgrĂ© la pluie, une brochette d’adolescents qui font le pied de grue Ă  la sortie : ces fans sont lĂ  pour Emely de Heus, qui vient discuter avec eux et faire des selfies.

PAS POUR FAIRE JOLI

Pour celles et ceux qui sont Ă  l’origine de la F1 Academy, dont l’objectif est de faire Ă©merger la nouvelle gĂ©nĂ©ration de femmes pilotes de course, cette preuve d’une popularitĂ© croissante auprĂšs des jeunes est quelque chose de trĂšs positif. Susie Wolff, directrice gĂ©nĂ©rale du projet, est elle-mĂȘme une pionniĂšre sur les circuits, avec notamment une carriĂšre en tant que pilote de dĂ©veloppement en F1 chez Williams, et plus rĂ©cemment comme directrice de l’équipe Venturi Racing en Formule E. « Les obstacles financiers dans cette discipline sont

Speed sisters

F1 ACADEMY

AMNA AL QUBAISI

Pilote de course, Amna (24 ans), l’aĂźnĂ©e des deux sƓurs Al Qubaisi (voir pages suivantes), a une Ăąme de pionniĂšre : premiĂšre femme Ă©miratie Ă  piloter en F3, premiĂšre femme arabe Ă  participer Ă  des essais en Formule E, et premiĂšre femme arabe Ă  remporter une course en F4.

EMELY DE HEUS

Durant la saison qui a prĂ©cĂ©dĂ© son dĂ©but en monoplace – elle est passĂ©e Ă  la F4 espagnole en 2021 –, la jeune femme de 21 ans, originaire de Mijnsheerenland (Pays-Bas), avait remportĂ© les championnats de karting Wintercup Senior dans son pays natal. « L’un des premiers objectifs de cette Academy, c’est de montrer des exemples Ă  suivre. »

nombreux : en donnant Ă  ces femmes et ces jeunes filles plus de visibilitĂ©, nous espĂ©rons les aider Ă  progresser dans leur carriĂšre, a-t-elle dĂ©clarĂ© lors d’une interview sur le site officiel de la F1 avant le dĂ©but de la saison 2024. Nous ne sommes pas lĂ  uniquement pour faire joli, mais pour agir concrĂštement sur le dĂ©veloppement de leur carriĂšre. »

Les fans de sport automobile auront sans doute un sentiment de dĂ©jĂ -vu, aprĂšs le lancement en 2019 des W Series, le premier championnat de course rĂ©servĂ© aux femmes. « Cela a permis de dĂ©construire ce clichĂ©, en montrant des femmes qui occupaient les circuits et se tenaient sur les podiums, tous les week-ends : ces images ont eu un impact trĂšs fort », dit Hazel Southwell, journaliste spĂ©cialisĂ©e en sport automobile. Pourtant, en dĂ©pit d’une popularitĂ© croissante, les W Series ont Ă©tĂ© dissoutes aprĂšs trois saisons, par manque de financements : une liquidation qui semblait sonner le glas du sport auto pour les femmes et qui fut un coup dur pour les pilotes concernĂ©es – dont Emely de Heus. La F1 Academy a donc Ă©tĂ© lancĂ©e en 2023 pour combler ce manque.

AprĂšs une premiĂšre saison assez hĂ©tĂ©roclite, celle de 2024 est vĂ©ritablement ancrĂ©e dans le monde de la F1, puisque chacune des sept courses se dĂ©roulera le mĂȘme week-end que les Grands Prix de F1 Ă  Djeddah, Miami, Barcelone, Zandvoort, Singapour, au Qatar et Ă  Abu Dhabi – et seront toutes diffusĂ©es en direct sur YouTube.

Mais le changement majeur rĂ©side dans le fait que dĂ©sormais, toutes les grandes Ă©curies de F1 ont intĂ©grĂ© une femme dans leur programme de formation, ce qui veut dire que leurs couleurs apparaĂźtront sur les voitures de la F1 Academy pendant toute la saison 2024. Plus que toutes les autres Ă©curies de F1, Red Bull sponsorise Ă  elle seule trois Ă©quipes : un partenariat qui inclut des temps de simulation ainsi que des programmes de dĂ©veloppement physique. Pour Amna Al Qubaisi, pilote Visa Cash App RB du programme Red Bull, la F1 Academy a Ă©tĂ© une vĂ©ritable « bouĂ©e de secours », en intervenant au moment oĂč elle avait quasiment tirĂ© un trait dĂ©finitif sur ses espoirs de carriĂšre en sport auto. InspirĂ©e par son pĂšre, qui concourait pour les Endurance et Porsche Supercup Series (et qui fut le premier pilote Ă©mirati Ă  participer aux 24 Heures du Mans), l’adolescente se met au karting et remporte ses premiers succĂšs aux Émirats arabes unis. Amna a Ă©tĂ© rejointe par sa sƓur Hamda, et ensemble, les deux

Les deux sƓurs ont la course dans le sang : Hamda (à g.) et Amna (dr.). Le duo Al Qubaisi s’entend à merveille avec leur collùgue de MP Motorsport, Emely de Heus (au centre).

jeunes femmes sont devenues un phĂ©nomĂšne mĂ©diatique en bouleversant l’image des femmes pilotes dans le monde arabe et au-delĂ .

« HonnĂȘtement, je n’aurais jamais cru arriver jusque-lĂ , admet la jeune femme de 24 ans. On m’a souvent dit que le sport automobile Ă©tait fait pour les hommes, alors je suis ravie d’avoir rĂ©ussi, avec ma sƓur, Ă  bousculer ces clichĂ©s. Je reçois souvent des messages de femmes qui me racontent que grĂące Ă  nous, leurs parents les soutiennent dans ce sport. Nous avons observĂ© un grand changement ces derniĂšres annĂ©es, et il y a de plus en plus de filles dans les compĂ©titions aux Émirats arabes unis

« Pour moi, les perfs de notre binĂŽme sont comparables Ă  celles de Max Verstappen. » Amna Al Qubaisi

– ce qui est une excellente nouvelle, car les courses locales ont un rĂŽle crucial dans une carriĂšre : chaque champion a Ă©tĂ© un dĂ©butant un jour. »

À

SA PLACE

Mais pour passer du statut d’amateur Ă  celui de professionnel, l’argent est le nerf de la guerre : les coĂ»ts exorbitants liĂ©s Ă  ce sport finissent par dĂ©courager de nombreux pilotes, mĂȘme talentueux. C’est aussi ce qui explique qu’on a rarement des couples de frĂšres et sƓurs – comme Michael et Ralf Schumacher –qui rĂ©ussissent Ă  faire carriĂšre ensemble : c’est tout simplement trop cher. Il y a quelques annĂ©es, alors que les deux sƓurs se partageaient un sponsor et que les financements diminuaient, Amna a fini par se rĂ©signer en laissant la place à sa petite sƓur. « Je voulais donner sa chance Ă  Hamda, car je sentais que j’avais dĂ©jĂ  eu la mienne, explique Amna, qui a laissĂ© tomber la F3 pour Ă©tudier Ă  l’universitĂ©. Les gens croient que nous roulons sur l’or parce que nous venons d’un certain milieu, mais c’est faux : nous avons travaillĂ© trĂšs dur
 pour finalement

devoir choisir laquelle d’entre nous aurait le droit de continuer. La F1 Academy est donc arrivĂ©e Ă  point nommĂ©, et je suis tellement heureuse qu’elle m’ait donnĂ© une seconde chance. »

En avril dernier, aprĂšs presque deux ans d’absence, sa premiĂšre compĂ©tition Ă  la F1 Academy se solde par une victoire sur le Red Bull Ring, en Autriche. Depuis, Amna se considĂšre comme le parfait complĂ©ment de sa sƓur : « Je suis trĂšs agressive et je dirais que j’ai davantage le courage de freiner trĂšs tard, alors qu’Hamda est une conductrice beaucoup plus douce. Dans certains virages, c’est elle qui est plus rapide que moi, tandis que dans d’autres, je suis plus rapide qu’elle. Pour moi, les performances de notre binĂŽme sont comparables Ă  celles de Max Verstappen. »

Leur lien de sororitĂ© s’est rĂ©cemment Ă©tendu Ă  Emely de Heus, qu’Amna appelle affectueusement « l’autre sƓur ».

Alors que les autres Ă©curies de la F1 Academy ont modifiĂ© leurs Ă©quipes pour 2024, MP Motorsport a gardĂ© le mĂȘme groupe pour le programme Red Bull Academy. Le courant semble passer parfaitement entre les trois femmes, qui se retrouvent non seulement sur la piste mais aussi sur leurs vidĂ©os TikTok.

Lors de la premiĂšre Red Bull Academy en 2023, De Heus et Amna ont chacune remportĂ© de belles victoires, mais c’est Hamda qui s’est rĂ©vĂ©lĂ©e ĂȘtre la surprise de

Toutes les grandes écuries de F1 ont intégré une femme dans leur programme de formation.

mais pour les femmes arabes, c’était encore plus improbable : aujourd’hui, je peux dire que j’ai vraiment trouvĂ© la place qui me convient. »

COMME MAX OU LEWIS

la saison, terminant troisiĂšme du championnat avec quatre victoires et trois autres podiums – malgrĂ© une grave blessure au poignet avant le dĂ©but de la saison. Son mĂ©decin lui avait prĂ©dit une convalescence de quatre mois – elle n’aura durĂ© que six semaines. « Quand je me suis cassĂ© le bras, j’ai cru que je pouvais dire adieu au sport auto », se souvient la jeune femme de 21 ans, qui fera cette saison 2024 dans le cadre du Red Bull Racing Pepe Jeans Academy Programme. « Revenir dans la compĂ©tition aprĂšs cet accident m’a fait prendre conscience de l’importance que ce sport a pour moi. J’ai traversĂ© des moments trĂšs durs, mais je me suis accrochĂ©e et ça a payĂ©. » En crĂ©ant la surprise en 2023, la jeune Émiratie a pu non seulement dĂ©montrer ses qualitĂ©s de pilote, mais aussi laisser apprĂ©cier sa dĂ©termination : « Quand nous avons dĂ©marrĂ©, c’était dĂ©jĂ  complĂštement anormal de voir des femmes dans ce sport,

Quand elles ne sont pas sur la piste, les pilotes se retrouvent dans le hangar de MP Motorsport pour s’entraĂźner avec Sarah Harrington, responsable du programme Red Bull Academy : Ă©tirements, exercices de rĂ©activitĂ© ou de renforcement du cou
 Si les trois pilotes suivaient dĂ©jĂ  un programme physique avant d’ĂȘtre prises en charge par Red Bull, leur approche est dĂ©sormais plus structurĂ©e et cohĂ©rente. « Le premier objectif que nous avons, c’est d’éduquer les pilotes, explique Harrington, une ancienne coureuse de 400 mĂštres. On est amenĂ©es Ă  voyager Ă©normĂ©ment dans ce sport : il est donc primordial d’avoir une vraie discipline d’entraĂźnement, qui ne risque pas d’avoir des rĂ©percussions nĂ©gatives sur la course en Ă©puisant les athlĂštes. » Harrington souligne qu’il n’y a aucune preuve que les femmes soient dĂ©savantagĂ©es physiquement par rapport aux hommes dans les sports motorisĂ©s – cela dit, un entraĂźnement bien adaptĂ© peut considĂ©rablement aider Ă  combler les Ă©carts : « Les femmes sont tout Ă  fait capables de rĂ©pondre aux exigences physiques d’une course. Cependant, la force peut ĂȘtre un facteur limitant, donc il faut

Amna, la pilote Visa Cash App du Red Bull Academy Programme, pensait que sa carriÚre de course pro était terminée avant de rejoindre cette académie de F1 pour la saison 2023.

À 21 ans Ă  peine, la jeune pilote Ă©miratie est la premiĂšre femme Ă  s’ĂȘtre tenue sur un podium lors du championnat de F4 en Italie, avec une troisiĂšme place en 2021.

travailler dessus. Peu importe le talent d’un pilote, si vous n’avez pas la force de tenir votre nuque, votre vision sera altĂ©rĂ©e. Plus votre cou est solide et conditionnĂ© pour supporter ces pressions, plus vous serez performant. La F1 Academy offre Ă©videmment la possibilitĂ© Ă  ces femmes de concourir et de conduire, mais l’un des premiers aspects du projet est de crĂ©er des exemples inspirants : la façon dont elles conduisent, dont elles s’entraĂźnent – ces filles sont de vĂ©ritables athlĂštes de pointe. »

Si la F1 Academy peut offrir un entraßnement de qualité, tant sur le plan physique que professionnel, elle a une influence limitée sur les perspectives de carriÚre des femmes qui y participent :

c’est pour cette raison qu’un autre volet du projet consiste Ă  promouvoir le karting au niveau local chez les jeunes filles. En parallĂšle, les experts comme les pilotes interpellent les organisateurs des championnats de karting Ă  faire quelque chose contre l’absence de filles dans cette discipline. Sans cette double synergie, les progrĂšs rĂ©alisĂ©s par l’Academy risquent de se heurter de nouveau Ă  la rĂ©alitĂ© – stagnante – du terrain.

Ancien pilote de McLaren et Red Bull, David Coulthard fait partie de ceux qui essaient d’explorer des voies nouvelles pour aider les jeunes talents dans le sport automobile : le pilote Ă©cossais, qui a remportĂ© treize Grands Prix au cours de ses quatorze annĂ©es de carriĂšre en F1,

a longtemps soutenu les femmes dans ce domaine, avec notamment la crĂ©ation de More Than Equal, un projet qui s’efforce d’identifier et de soutenir les femmes au dĂ©but de leur parcours.

« Celles qui ont du talent recevront le mĂȘme traitement que Max [Verstappen] ou Lewis [Hamilton], explique Coulthard, qui a montĂ© ce projet en mĂ©moire de sa dĂ©funte sƓur Lynsay, une excellente pilote de karting qui, selon lui, n’a jamais eu la possibilitĂ© concrĂšte de passer professionnelle. Le critĂšre de sĂ©lection est simple : c’est le temps au tour. Cela nous a permis d’identifier dĂ©jĂ  quelques filles en karting, et je suis convaincu qu’avec le bon entraĂźnement mental et physique, elles auront de bien

Hamda Al Qubaisi en train de franchir la ligne d’arrivĂ©e/dĂ©part lors des tests sur le circuit de Zandvoort, pluvieux et venteux : un temps typique des cĂŽtes de la mer du Nord.

meilleures chances. » Les pilotes de la F1 Academy ne peuvent concourir que durant deux saisons. AprĂšs cela, les participantes ont plusieurs options pour la poursuite de leur parcours. Certaines, comme la championne 2023 de l’Academy Marta GarcĂ­a LĂłpez et la vicechampionne LĂ©na BĂŒhler, entreront au championnat d’Europe de Formule RĂ©gionale (FREC).

Dans le meilleur des scĂ©narios, les pilotes en herbe pourront passer Ă  l’étape supĂ©rieure en intĂ©grant la F3. D’autres, enfin, peuvent carrĂ©ment quitter la F3, Ă  l’instar de la double championne des W Series Jamie Chadwick, qui participe depuis deux ans aux championnats d’Indy NXT.

La F1 Academy fait partie de ces projets qui Ɠuvrent Ă  crĂ©er du changement.

UNE PRESSION ÉNORME

Alors que la F1 devient de plus en plus ouvertement l’objectif Ă  atteindre Ă  long terme pour de nombreuses femmes pilotes, la question qui se pose dĂ©sormais est de savoir si la voie vers la discipline reine existe aussi pour elles. La F1 Academy apporte sa contribution en aidant les femmes Ă  gagner les points nĂ©cessaires pour la Super Licence, indispensable pour rouler en F1 – une condition que jusqu’à prĂ©sent, seule la pilote britannique Katherine Legge a pu atteindre, mĂȘme si ses points ont expirĂ© en 2019. Lucide, Amna concĂšde : « Tout le monde se demande quand est-ce qu’on verra une femme rouler en F1, mais le jour oĂč nous en verrons une, les gens se demanderont ce qu’elle fait lĂ . Moi, ce jour-lĂ , je serai tellement heureuse ! Peu importe ce qui se passe, elle y sera arrivĂ©e, elle aura mĂ©ritĂ© sa place en F1. » Étant donnĂ© l’attention inĂ©vitable que cet Ă©vĂ©nement suscitera, la prochaine femme qui accĂšdera Ă  la F1 aura sans doute l’impression d’ĂȘtre la toute premiĂšre, bien que la vĂ©ritable pionniĂšre ait fait ses dĂ©buts il y a 65 ans : au cours des saisons 1958 et 1959, l’Italienne Maria Teresa de Filippis a reprĂ©sentĂ© Maserati et Behra-Porsche (durant cinq courses), ouvrant la voie Ă  sa compatriote Lella Lombardi qui est devenue la premiĂšre – et jusqu’à prĂ©sent la seule – femme Ă  marquer des points au championnat de F1, avec une sixiĂšme place au Grand Prix d’Espagne en 1975 dans sa March-Ford. Dans une interview donnĂ©e en 2006 au magazine The Observer, De Filippis se souvient avoir Ă©tĂ© refusĂ©e Ă  l’entrĂ©e du Grand Prix de France par un directeur de course : « Il m’a dit que le seul endroit oĂč une femme devrait porter un casque, c’est chez le coiffeur, se souvient-elle. À part cela, je ne pense pas avoir rencontrĂ© de prĂ©jugĂ©s – seulement de la surprise face Ă  mon succĂšs. »

Seules quatre autres pilotes ont participĂ© Ă  un week-end de course depuis le rĂ©sultat historique de Lombardi Ă  Madrid – la plus rĂ©cente est l’actuelle directrice de la F1 Academy Susie Wolff, qui a participĂ© aux essais pour Williams au Grand Prix de Grande-Bretagne en 2014. « La

pression sur les femmes est Ă©norme, souligne Southwell. Imaginez que vous soyez la seule fille au dĂ©part, dans une voiture mĂ©diocre, et que vous couriez le risque de condamner toutes les autres femmes si vous ne roulez pas comme Ayrton Senna : c’est une invitation Ă  l’échec. »

Southwell se souvient de l’expĂ©rience qu’a vĂ©cue Chadwick, la triple championne des W Series, alors que sa popularitĂ© explosait : « Elle Ă©tait parfaitement consciente du fait que chacune de ses courses allait bien au-delĂ  des performances individuelles : elle Ă©tait devenue un modĂšle pour toutes les filles qui auraient un jour envie de l’imiter. De savoir tous ces espoirs braquĂ©s sur vous, ça vous met une Ă©norme pression. »

Toutes celles et ceux qui travaillent Ă  favoriser la place des femmes dans ce sport s’accordent sur une chose : il n’est pas trĂšs utile d’essayer de prĂ©dire le jour oĂč l’on verra des femmes en F1 – mĂȘme si les prĂ©visions les plus optimistes tablent sur quelques annĂ©es. « Jusqu’ici, aucune femme n’a rĂ©ussi Ă  rentrer en F1 pour y rester suffisamment longtemps, explique Coulthard. Mais cela a Ă©tĂ© plus difficile pour elles, alors si nous leur donnons les mĂȘmes chances que celles donnĂ©es aux hommes, les choses vont commencer Ă  bouger, pas forcĂ©ment dans les prochaines annĂ©es... mais peut-ĂȘtre dans la prochaine dĂ©cennie. »

La F1 Academy fait justement partie de ces projets qui Ɠuvrent Ă  crĂ©er du changement. Lors des championnats Extreme E – oĂč 50 % du peloton Ă©tait fĂ©minin – et EY, on a ainsi observĂ© que l’écart de vitesse entre hommes et femmes s’est rĂ©duit de 51 % entre la premiĂšre et la troisiĂšme saison, grĂące des temps de piste et d’entraĂźnement plus Ă©quitables. « Cela ne me surprend pas, commente Hamda. Lors de ma deuxiĂšme saison dans le championnat italien de F4 en 2021, quand je suis devenue la premiĂšre femme Ă  obtenir une place sur le podium de la compĂ©tition, en terminant troisiĂšme, j’avais fait beaucoup plus d’essais dans la prĂ©-saison – autant que mes coĂ©quipiers masculins. RĂ©sultat : contrairement Ă  l’annĂ©e prĂ©cĂ©dente, j’ai fait aussi bien qu’eux cette annĂ©e-lĂ . Les femmes peuvent rouler aussi bien que les hommes, pour peu qu’on leur donne les mĂȘmes chances. » Et Emely de Heus de conclure : « Chaque fois que j’ai participĂ© Ă  une course et que j’ai regardĂ© autour de moi qui Ă©taient mes concurrents, je n’ai jamais vu un garçon ou une fille – juste un autre pilote sous son casque. Et c’est comme ça que ça devrait ĂȘtre. »

« Si le sport automobile Ă©tait aussi accessible que le football, la grille de F1 ne ressemblerait pas Ă  ce qu’elle est aujourd’hui. »

Sous les couleurs de Campos Racing, il est le pilote de F2 Ă  ne pas lĂącher du regard – si toutefois vous arrivez Ă  le suivre. IntĂ©grĂ© au programme Red Bull Junior Team, Isack Hadjar grimpe les Ă©chelons du sport auto, lucide sur le travail Ă  accomplir et avec la volontĂ© de voir son sport changer de visage.

ISACK HADJAR

Ne le cherchez pas ! Sympa et accessible, Isack Hadjar, 19 ans, n’en est pas moins un pilote coriace et engagĂ©.

« Quand

tu es jeune

et que tu te fais laminer en karting par manque de moyens, c’est compliquĂ©. »

que je sais que si je ne fais pas d’erreur, il ne peut pas me coller 5 secondes, pas possible. À ce moment-lĂ , j’étais un peu en difficultĂ© parce que je m’étais battu avec Victor (Martins, un pote d’Isack, ndlr) et j’avais un peu pourri mes pneus, et derriĂšre, j’avais Zane Maloney qui m’a mis la pression pendant beaucoup de tours. J’ai maintenu le gap, mais c’était vraiment chaud avec lui. Donc cette pĂ©nalitĂ© n’a pas du tout changĂ© ma situation, en fait, j’étais en train de dĂ©fendre ma premiĂšre place. J’ai ignorĂ© Crawford, je savais que j’allais gagner avec sa pĂ©nalitĂ©, par contre il fallait prĂ©server cette premiĂšre place avec ce mec derriĂšre qui me collait au cul.

19 ans et tellement de promesses associĂ©es Ă  son nom. Isack Hadjar a dĂ©butĂ© dans le karting avant de passer aux championnats de Formule 4 et de Formule 3, oĂč il s’est rapidement distinguĂ© par ses performances impressionnantes. Membre du Red Bull Junior Team depuis 2021, il bĂ©nĂ©ficie d’un soutien crucial pour sa progression dans les catĂ©gories supĂ©rieures du sport automobile, renforçant son objectif de devenir un pilote de Formule 1. Nous le rencontrons quelques jours aprĂšs une victoire sur le mythique circuit anglais de Silverstone, qui lui vaut de prendre la tĂȘte du classement de la saison de F2. À l’approche de notre entretien, les mĂ©dias F1 Ă©voquent une possible montĂ©e de ce Franco-AlgĂ©rien en F1, au sein de l’écurie Visa Cash APP RB. Pas de quoi mettre le jeune pilote en surchauffe, il dĂ©barque serein et accessible. Rapidement, son caractĂšre bien trempĂ© se fait sentir. Nous voilĂ  partis pour une heure avec un passionnĂ© de pilotage franchement agrĂ©able, Ă  l’objectif clair. Et conscient qu’il ne l’atteindra que d’une seule maniĂšre.

the red bulletin : Nous Ă©tions devant nos Ă©crans dimanche matin pour savourer ta victoire Ă  Silverstone. Vu d’un canapĂ©, on se dit : « C’est top, Isack prend la tĂȘte du championnat, il doit ĂȘtre dingue ! » C’était aussi excitant de ton cĂŽtĂ© ?

isack hadjar : Quand je gagne, je ne suis pas au courant du classement du championnat. On sait en F2 Ă  quel point ça va vite, ça fait yoyo dans le classement. Ça fait plaisir de voir son nom affichĂ© en haut, on est premier du championnat Ă©quipe, c’est cool. Je suis content de ma victoire, du taf que j’ai fait, et ça me rassure pour la suite, ça me donne plus de confiance, mais honnĂȘtement, tant que le championnat n’est pas pliĂ©, le classement, je n’en fais pas grand-chose. C’est sĂ©ance par sĂ©ance.

Durant la course, au tour 19
 Alors moi, je ne suis pas calĂ© lĂ -dessus, le tour 12, tout ça, je ne sais pas ce que j’ai fait
 (sourire) Le tour 19, qu’est-ce que j’ai fait ?

Eh bien, Ă  ce tour 19, c’est passĂ© en mode bagarre, le pilote amĂ©ricain Jak Crawford, en tĂȘte, prend une pĂ©nalitĂ© de 5 secondes, ce qui te propulse en premiĂšre place
 “Crawford has a penalty?! ”, tu poses la question Ă  ton gars Ă  la radio, et il te dit « reste calme, reste calme ! »  On sent une espĂšce d’équilibre entre la fougue, la hargne, pour y arriver, ĂȘtre en tĂȘte, et un selfcontrol
 Comment tu maintiens cet Ă©quilibre, ĂȘtre explosif mais dans la maĂźtrise ?

Quand il y a eu l’info qu’il a eu la pĂ©na, je n’ai plus du tout calculĂ© le leader, parce

Tu parles Ă  la radio, tu gĂšres l’info de la pĂ©nalitĂ©, ce mec derriĂšre
 On a l’impression que vous pouvez faire mille trucs au volant, Ă  prĂšs de 300 km/h, pas « juste » piloter
 Ça s’apprend ?

En fait, je maĂźtrise tellement mon milieu que je sais exactement ce que je dois faire, sur quoi je dois me concentrer
 Dans la voiture, tu as beau ĂȘtre dans ton cockpit, tu arrives Ă  te faire une image de la course et du schĂ©ma de la course. Je pense que c’est lĂ  oĂč je suis fort le dimanche : je sais ce qui se passe autour de moi, Ă  quel tour le mec a pitĂ©, est-ce qu’il a de meilleurs pneus que moi, je sais s’il est en train d’économiser, je sais si l’autre est sur une stratĂ©gie dĂ©calĂ©e...

Tout ça, je le sais parce que je maßtrise mon sujet.

Parce qu’on te passe les infos ou parce que tu as une perception, un genre de troisiùme Ɠil dans la nuque ?

Il y a de ça, oui
 (rires) Et la communication avec l’ingĂ© qui me donne les bonnes infos, je lui casse les co**lles.

Comment il s’appelle ? Jose, mais on l’appelle Pepe.

Comment devient-on « Pepe » ? Mon Pepe Ă  moi, c’est un ingĂ©nieur, qui a fait des Ă©tudes, qui aime le sport auto, il a commencĂ© dans de plus petites catĂ©gories, et il est arrivĂ© en F2 en tant qu’ingĂ©nieur de pistes, Ă  l’époque, c’était la GP2
 Il a vu beaucoup de trĂšs bons pilotes passer, il a fait pas mal d’équipes, il a jouĂ© pas mal de titres


C’est un genre de pote ou quelqu’un qui doit te pousser en permanence pour rester au max et rester focus ?

Il y a un Ă©cart d’ñge qui fait que ça ne peut pas ĂȘtre mon « pote », il y a ce respect, il pourrait ĂȘtre mon pĂšre. On a la mĂȘme

En haut : le pilote de l’écurie Campos Racing, lors du Grand Prix de Silverstone en Angleterre en 2024, durant lequel il s’est imposĂ©.
En bas : Isack en action.

approche du travail, du coup on se fout beaucoup sur la gueule
 (rires)

Quelle est votre approche, du coup ? On aime creuser, chercher les dĂ©tails pour aller chercher la performance. J’adore lui poser des questions auxquelles il ne peut pas rĂ©pondre, chacun essaie de mettre l’autre en difficultĂ©. Je prends l’exemple de la qualif de Silverstone, il ne m’a pas dit que j’avais fait du bon boulot, il m’a juste dit : « C’est bien. (sourire) Tu aurais pu passer plus fort ici, on a mal gĂ©rĂ© ça, okay, okay
 » Il y a toujours cette recherche de perfo. À la radio, il peut en prendre plein la gueule, mais on se connaĂźt et il le prend bien, ce sont les mĂ©dias qui sont plus touchĂ©s que lui


Qu’est-ce que ça peut vous foutre, les gars ? (rires)

Vous ĂȘtes tellement engagĂ©s pour pousser la performance que tu ne vas pas prendre de filtre pour lui dire les choses


Exactement. On est dans une position oĂč on joue le titre, on joue devant Ă  toutes les courses, et il y a donc un respect : il me donne la voiture qui peut me permettre de jouer devant, et je suis le pilote qui peut le faire gagner. Je fais ce qu’il faut pour ça, donc on peut se parler comme ça.

Tu as fait ta premiĂšre pole position en F2 vendredi dernier, mais tu es dĂ©jĂ  perçu comme un pilote solide, quoi qu’il arrive, pole position ou pas. Les trois derniĂšres annĂ©es, j’ai fait deux poles, mais j’ai gagnĂ© plusieurs courses, et sur la plupart de mes victoires, ça s’est fait en partant de derriĂšre, dans des championnats oĂč ce n’est pas Ă©vident de doubler, et oĂč souvent on gagne en partant de la pole. Du coup, j’ai cette image du gars qui joue souvent devant, c’est sympa, je prends.

Évoquons Ă  prĂ©sent tes dĂ©buts, tes pemiers coups de cƓur avec les bagnoles, celles que tu vois au cinĂ©ma, le film d’animation Cars
 Tu essaies le karting vers tes 6 ans, Ă  Porte de la Chapelle, Ă  l’entrĂ©e de Paris
 Chez S-Kart. Grosse dĂ©dicace Ă  eux.

Toutefois, la Chapelle, ce n’est pas Silverstone ou la Red Bull Energy Station Ă  Monaco
 (Isack Ă©clate de rire.) C’est sĂ»r.

La symbolique est intĂ©ressante, car il n’y a pas trente ans entre ces deux rĂ©alitĂ©s, mais un temps assez court :

« Le seul truc que je peux faire, c’est de me montrer tous les week-ends et de les Ă©teindre. »

treize ans seulement te séparent de ce sport de karting en Seine-Saint-Denis.

Tu t’y revois ?

Je ne me rappelle pas de ce que je pensais du sport auto Ă  ce moment-lĂ . En fait, je ne sais pas si j’ai toujours voulu aller en F1 ou pas, si je faisais ça pour m’amuser ou non. Je n’arrive pas Ă  me rappeler quand c’est devenu sĂ©rieux. Et ça, c’est dommage.

Tu le regrettes ? Mais est-ce que ça n’est pas aussi un bon moyen d’avancer, cette espĂšce de dĂ©tachement ?

La Formule 1, ça a toujours Ă©tĂ© Ă©vident, donc je n’y ai jamais vraiment pensĂ©, je n’ai jamais eu ce genre de dĂ©clic, car c’était naturel. Pour moi, ça a toujours Ă©tĂ© normal d’avoir un volant entre les mains et d’y aller. À cette Ă©poque, je regardais Ă  peine la F1, j’étais fan de Cars, en effet


Vraiment fan, avec parure de lit et tout ? Je regardais le film tous les jours, et j’ai toujours mon doudou Cars Ă  la maison. J’étais fan de bagnoles, et plus tard j’ai vu le documentaire sur Ayrton Senna. Et lĂ , gros coup de cƓur pour la personne, le charisme qu’il dĂ©gageait. Quand tu le vois dans sa voiture avec le casque jaune, et chaque fois qu’il Ă©tait en piste, il Ă©tait spectaculaire comparĂ© aux autres pilotes. Il m’a marquĂ©.

Dix ans plus tard Ă  peu prĂšs, tu as 16 ans, interview pour un mĂ©dia en ligne, tu sembles dĂ©jĂ  hyper cash, lucide, notamment Ă  propos du financement d’une carriĂšre de pilote. Tu Ă©voques le soutien de ta mĂšre pour dĂ©crocher des financements. Pierre Gasly Ă©voquait lui aussi cette quĂȘte de financement dans lesquelles s’impliquaient ses parents. On a eu les mĂȘmes problĂ©matiques. DĂšs le karting, les prix sont exorbitants, et depuis la gĂ©nĂ©ration de Pierre Gasly, les prix dans la compĂ©tition automobile ont explosĂ©. En karting, je n’ai jamais Ă©tĂ© dans les bonnes conditions, c’est toujours mon pĂšre qui a fait ma mĂ©canique, pendant trĂšs longtemps, alors que d’autres pilotes avaient des Ă©quipes privĂ©es. Je n’ai

jamais pu faire le calendrier en entier, toutes les courses, avoir le meilleur moteur, etc. J’ai toujours dĂ» compenser, c’était frustrant quand je rentrais d’une course, le lendemain je devais retourner Ă  l’école tandis que des mecs allaient rouler, tester parce qu’ils faisaient l’école Ă  la maison. Je n’ai pas eu droit Ă  ce parcourslà
 Je n’ai pas de trĂšs bons souvenirs du karting.

Pour autant, tu Ă©tais toujours d’attaque Ă  la prochaine course. Parce que tu voyais tes parents s’investir ?

Parce que j’adorais ça. On n’a jamais couru aprĂšs les titres en karting. Mon pĂšre a toujours eu cette approche : « Tu es lĂ  pour te former, ce n’est pas parce que tu vas avoir des titres en karting que tu vas ĂȘtre champion du monde de F1. » Quand tu es gamin, tu as forcĂ©ment du mal Ă  comprendre ça, tu es en mode : « Donne-moi le moteur, donne-moi les jours de roulage et je vais les dĂ©monter ! » Tu as du mal Ă  te rendre compte de ce qui est vraiment important. En fait, le karting, c’est important pour apprendre les bases, mais tous les mecs que je suis en train d’exploser en F2 et que j’ai Ă©clatĂ©s en F3 aussi, ce sont des mecs qui me mettaient la misĂšre en karting.

Tu roulais avec eux en karting ?

Oui, on a tous grandi ensemble, on se connaĂźt tous depuis ces annĂ©es-lĂ . C’est maintenant que je comprends, mais quand tu es jeune et que tu te fais laminer en karting par manque de moyens, c’est compliquĂ©. Par contre, ça te pousse Ă  dĂ©velopper une autre approche : comment je peux compenser ? Comment je m’arrache pour rester prĂ©sent et performer ?

Ça donne envie d’aider de jeunes gars ?

Tout ça, c’est mal fait
 Si le sport automobile Ă©tait aussi accessible que le football, la grille de F1 ne ressemblerait pas Ă  ce qu’elle est aujourd’hui.

Il y aurait plus de Français ?

Il y aurait plus de tout. Surtout des meilleurs pilotes. On ne maximise pas le talent de la grille en F1.

Est-ce qu’un pilote comme Hamilton est la preuve qu’un autre type de pilote de F1 a sa place sur la grille ? Il a Ă©tĂ© le premier signal du changement ?

Non, c’est juste lui qui est hors du commun et qui a fait la diffĂ©rence dans un systĂšme qui est mauvais, c’est tout. Je pense que c’est ça, la force de ce mec. C’est un bon gars, ça se voit.

S’il faut avoir certains moyens pour progresser en F1, naturellement, au dĂ©part, on va se priver de beaucoup de talents.

Exactement. DĂ©jĂ , le prix du karting Ă©limine une bonne partie des bons pilotes potentiels. L’exemple du Rallye Jeunes, c’est gĂ©nial...

Quel est le concept ?

Tu mets vingt balles, tu as des Ă©preuves, une dĂ©tection, et celui qui gagne a une carriĂšre soutenue. (Les pilotes de rallye SĂ©bastien Ogier, SĂ©bastien Loeb et Adrien Fourmaux sont passĂ©s par lĂ , ndlr.) Il faut aider les gamins Ă  ne pas rencontrer de difficultĂ©s ou voir leurs rĂȘves se briser parce qu’ils n’ont pas les tunes. (AgacĂ©.) Ça me rend ouf.

Il y a aussi l’exemple de la GT Academy qui permettait à des fans du jeu Gran Turismo de devenir d’authentiques pilotes.

Une simple dĂ©tection sur simulateur serait un super outil. Je pense qu’il y a des gens qui commencent Ă  travailler lĂ dessus et que ça va changer, parce que ça n’est pas possible.

Tes guides, tes mentors, ceux qui t’ont aidĂ©, qui sont-ils ou elles ?

Il y a beaucoup de personnes qui m’ont filĂ© des coups de main, Ă  leur niveau, mais c’est dur de les citer personnellement, Ă  part mes parents. Ma mĂšre s’est battue pour aller chercher les sponsors et les budgets, c’est avec mon pĂšre que j’ai fait des milliers de kilomĂštres, qui m’a fait la mĂ©canique pendant des annĂ©es en karting, et qui m’a toujours donnĂ© cette perspective et cette mĂ©thode de travail. J’ai eu du mal Ă  la comprendre, mais quand je vois oĂč j’en suis, avec les moyens qu’on a eus
 Avec un autre pĂšre, je n’aurais pas tenu longtemps.

Du soutien, tu en as aussi reçu en intégrant le Red Bull Junior Team. Alors là, on entre dans une autre dimension !

Pourquoi ?

(Il prend son temps.) Ce que j’ai aimĂ© dans ce moment-lĂ , intĂ©grer le programme Red Bull Junior Team, c’est cette notion du « enfin ! » : si j’ai les rĂ©sultats, que je gagne et que l’on voit que je performe, j’irai lĂ  oĂč je veux. C’est certain, c’est Ă©crit noir sur blanc. C’est ça le plus important, cette sĂ©curitĂ© et cette perspective. Pendant des annĂ©es, tu navigues dans un dĂ©sert, tu ne sais pas vraiment oĂč tu vas, et quand Red Bull te signe, si tu

performes en F3 et en F2, tu sais oĂč tu arrives, et ça n’a pas de prix. C’est le plus rassurant pour un pilote, pour un sportif. Quand ça ne dĂ©pend plus que de toi, il n’y a rien de mieux. Il n’y a pas que ça, bien sĂ»r, il faut aussi aller dans la bonne Ă©quipe, bien rouler et tout peut arriver, mais tu as une vraie perspective.

Dans la F1, Red Bull fait Ă©voluer deux Ă©curies, Red Bull Racing et Visa Cash APP RB, et s’appuie sur un personnage trĂšs important, Helmut Marko, expilote automobile autrichien, notamment responsable de la filiĂšre des jeunes pilotes. Tu as une connexion directe avec lui ? Tu as son tĂ©l ? Ouais. Je l’appelle, parfois.

Il répond ?

Toujours, et s’il ne rĂ©pond pas, il te rappelle. Je m’entends bien avec lui, et quand je l’appelle, ça n’est pas pour parler de conneries. (rires) Parfois, quand tu fais de la merde, c’est mieux de l’anticiper et de l’appeler, avant qu’il ne t’appelle. Je l’ai appris, il apprĂ©cie, il est plus cool.

En regardant ton actu avant notre entretien, j’ai vu des choses apparaĂźtre du genre « Isack Hadjar en F1 l’an prochain chez Visa Cash APP RB ». Qu’en dis-tu ?

Pour commencer, je n’en sais rien. Mais si le Junior Team et le team B (Visa Cash APP RB, ndlr) existent, c’est pour une raison.

« Je bouge plus vite que vous. »

Et puis on voit trĂšs bien ce qui se passe en ce moment, le driver market bouge beaucoup. Mais le seul truc que je peux faire, c’est de me montrer tous les week-ends et de les Ă©teindre. Il faut qu’on parle de moi, il faut que dans la conversation on pense Ă  Isack qui est en train de les dĂ©gommer. Il n’y a que ça que je peux faire, et ça me va.

Sans transition mais en restant dans le pilotage, j’ai pu voir que tu avais pris les airs avec des pilotes d’avions de voltige français, Guillaume Calmes et LoĂŻc Lovicourt. Qu’est-ce qui t’intĂ©resse dans leur monde ?

Je me suis rendu compte Ă  quel point ils Ă©taient dans une autre dimension. On y est allĂ©s fort, vraiment fort, et ce sont des machines, de vrais pilotes. Quand j’ai senti que ma tĂȘte allait exploser et que j’ai failli m’évanouir, c’était impressionnant. Je n’ai pas vu de similitudes avec le sport auto tellement c’était violent. MĂȘme quand je pilote une F1, ça ne se rapproche mĂȘme pas de ce que ces mecs subissent. J’ai du mal Ă  en tirer quelque chose Ă  part que c’était extrĂȘmement violent. (Il sourit.)

À propos du pilote F2 britannique

Oliver Bearman qui a remplacĂ© Carlos Sainz Jr. en F1 lors du Grand Prix d’Arabie saoudite en mars, tu as dit : « Il n’était pas prĂȘt physiquement. » À quoi faut-il se prĂ©parer quand on va piloter une F1 ?

Toute ta carriĂšre, en tant que jeune pilote, idĂ©alement, tu t’adaptes aux diffĂ©rentes catĂ©gories, par paliers. Tu amĂ©liores au fur et Ă  mesure cette capacitĂ© d’adaptation, et tous les ans, tu t’habitues Ă  avoir plus de grip, que ce soit en karting ou en

Isack et son ingénieur, Pepe, partenaire essentiel de sa perf. Leurs échanges à la radio ont fait le tour des réseaux sociaux.
« Une

F1, ça n’est plus une voiture de course, c’est un vaisseau spatial ! »

monoplace. Plus de grip, plus de puissance, plus de grip, plus de puissance, et ainsi de suite. Tu arrives en F4, tu passes en F3, F2, les steps sont assez similaires, et ça passe bien, avec toujours un premier choc. Mais F2 vers F1, c’est comme si tu passais de la F4 Ă  la F2, c’est un step. Les F1 vont vraiment vite et les F2 sont assez loin. Quand je dis que tu n’es pas prĂȘt, tu n’es pas prĂȘt. Quand je monte dans une F1 pour les FP1 (Free Practice 1, essais, ndlr), les premiers tours, ça n’a vraiment rien Ă  voir avec la F2. Tout ce que j’ai appris en F2, je le mets Ă  la poubelle ? Ça n’est plus une voiture de course, c’est un vaisseau spatial !

Du coup, monter en F1 doit ĂȘtre une perspective stressante ? Ou bien, en parlant Ă  des pilotes passĂ©s par lĂ , on sait que ça sera rapidement gĂ©rable ?

Tu le sais, mais tu as toujours ce doute. Mais pour aller tĂąter les limites de la voiture, il faut faire pas mal de kilomĂštres. En quelques tours en FP1, je sais dĂ©jĂ  exactement oĂč j’ai Ă©tĂ© bon et oĂč j’ai Ă©normĂ©ment de marge (Ă  trois reprises, Isack a effectuĂ© des essais libres en F1, ndlr). Si tu me laisses des tours, je vais m’y habituer.

En combattant. Et, des sports de combat, tu en suis pas mal sur les rĂ©seaux : boxe, MMA
 Qu’est-ce qui te botte lĂ -dedans ?

J’ai toujours aimĂ© la boxe, Rocky
 Le MMA est plus nouveau pour moi. Le fameux combat Mayweather contre McGregor en 2017, je me suis levĂ© Ă  4 heures du matin pour le regarder, je devais avoir 12 piges. J’ai toujours suivi les gros combats, et ce truc de MMA, c’est grĂące Ă  Conor [McGregor], il a lancĂ© le sport dans une autre dimension, avec son trash talk et le showman qu’il est, ça m’a poussĂ© Ă  aller dĂ©couvrir la discipline. Gros respect.

Conor McGregor n’est peut-ĂȘtre pas le meilleur exemple, mais ces combattants sont souvent trĂšs calmes, concentrĂ©s, en dehors du combat. Tu as toi-mĂȘme un parler vrai, une vraie fougue et Ă©nergie, mais tu sembles aussi trĂšs posĂ©. Du genre sympa mais qu’il ne faut pas chercher. Est-ce que tu as Ă©tĂ© un gamin sanguin qui a appris Ă  se poser ? Je suis trĂšs sanguin en effet, s’il faut pĂ©ter un cĂąble, je vais pĂ©ter un cĂąble. On m’a entendu Ă  la radio, et ça ne fait pas plaisir. Mais quand il faut ĂȘtre calme, j’en suis capable, je sais faire la diffĂ©rence. Je pense que dans les moments les plus critiques, les plus importants, je serai le mec le plus calme, et pour les conneries, je

« Si je prends la radio pour gueuler, ça me fait du bien, ça n’est pas mĂ©chant. »

suis capable de m’énerver en deux secondes. Je suis trĂšs Ă©motif, j’ai besoin de faire sortir, et si je prends la radio pour gueuler, ça me fait du bien, ça n’est pas mĂ©chant. J’aime bien gueuler
 (rires)

Cette pression du pilotage, tu l’évacues Ă  quel moment ? Dans ta vie perso ? C’est quand je gagne ou que je fais une pole que je respire. Les moments off oĂč je rĂ©cupĂšre physiquement, ce sont les moments que je dĂ©teste le plus. Quand je vais Ă  la salle, en famille et avec les potes, c’est cool, bien sĂ»r, mais ce que j’aime le plus, c’est les week-ends de course et ĂȘtre dans la voiture. Quand tu gagnes
 (Il souffle.) Les pĂ©riodes de pause, c’est la salle d’attente.

Tu Ă©voquais la salle, quelle est ta routine fitness ?

Pendant la saison, c’est trĂšs dur de m’organiser, car je ne suis jamais chez moi. Mais les semaines comme celle-ci (Isack dispose de deux semaines entre deux courses, ndlr), j’ai mon prĂ©parateur physique, et je vais dans sa salle de boxe, oĂč il a des athlĂštes qui font du MMA, un peu de tout, pour une prĂ©pa spĂ©cifique Ă  mon sport. Il n’est pas spĂ©cialisĂ© dans le sport auto, mais ses connaissances lui permettent de s’adapter Ă  mon profil, il sait ce dont j’ai besoin.

Quelle va ĂȘtre cette prĂ©paration spĂ©cifique ?

Beaucoup de haut du corps, de force bassin, ĂȘtre gainĂ© au niveau des abdos, Ă©paule, nuque, et cardio.

Le cardio prend cher en course ? Ça n’est pas le plus important, c’est le haut du corps, et le bas du dos. C’est extrĂȘmement spĂ©cifique, je ne fais pas beaucoup de force. Et parfois, Ă  la fin de la sĂ©ance, je boxe, c’est mon petit plaisir, pour me finir au cardio. La boxe est un bon moyen de faire ma prĂ©pa physique et de m’amuser en mĂȘme temps. J’y Ă©tais hier, j’y Ă©tais aujourd’hui, j’irai demain. De temps en temps, je fais des sĂ©ances de kinĂ©, pour me rĂ©parer un peu, afin que je sois le plus souple et le plus dĂ©tendu possible avant de rentrer dans la voiture.

Parlons de tes rĂ©flexes ! Qui n’a pas vu cette fameuse sĂ©ance oĂč tu Ă©vites de maniĂšre magistrale une collision avec le pilote japonais Ritomo Miyata, dans le Tunnel, dans un virage Ă  l’aveugle du Grand Prix de Monaco en mai dernier ? AprĂšs cette sĂ©quence, tu as rĂ©coltĂ© plus de 10 000 followers sur Instagram


Cette vidĂ©o, mĂȘme les mecs qui ne suivent pas le sport auto l’ont vue.

Comment atteint-on un tel niveau de réflexes ?

Quand tu es dans un kart dĂšs l’ñge de 6 ans, et que tu ne fais que rouler, chercher les dĂ©tails sur la piste, les cordes, ton environnement bouge Ă  des vitesses
 En soi, je bouge plus vite que vous
 Je suis habituĂ© Ă  Ă©voluer dans un milieu qui va extrĂȘmement vite, et mes rĂ©flexes de base sont extrĂȘmement affĂ»tĂ©s du fait que je pilote depuis que je suis gamin. Les vitesses augmentent de plus en plus, en F2 on se dĂ©place Ă  des vitesses pas mal.

Tu roules Ă  combien quand tu Ă©vites Miyata ?

Je suis Ă  250, 240
 S’il avait Ă©tĂ© un peu plus derriĂšre, ça aurait Ă©tĂ©. Mais j’avais un peu de marge, quand je l’évite on le voit, je passe Ă  ça de lui (Isack fait un Ă©cart avec ses mains, 30 cm environ, ndlr). Ça, c’est une marge


C’est une marge ?

Oui. Et je suis Ă  ça du mur Ă  gauche (mĂȘme Ă©cart avec les mains, ndlr)

T’es large !

(Il rigole.) Oui, il y avait un demi-dixiĂšme de marge.

Et une fois que tu as passé ça ?

C’est bon, c’est fini, qualifs ! Je suis sorti de la voiture et c’est lĂ  qu’on m’en a parlĂ© : « Le tunnel, c’était chaud ! » Et moi : «De quoi ? » Quand j’ai vu les images, lĂ , j’ai rĂ©alisĂ© que c’était chaud.

Sur tes posts Instagram, tu mets un emoji ninja, pourquoi ?

J’aime bien le ninja. Il ne fait pas beaucoup de bruit et il est efficace.

Ça te reprĂ©sente ?

Je reste simple, je fais court dans mes rĂ©ponses. J’aime bien l’emoji ninja.

Le leader

Alors qu’il s’apprĂȘte Ă  engager l’équipe d’Oracle Red Bull Racing dans une nouvelle phase de son histoire, Christian Horner sait qu’il peut compter sur sa longue expĂ©rience Ă  la tĂȘte de l’écurie autrichienne, qu’il dirige d’une main de maĂźtre depuis vingt ans.

Christian Horner caresse machinalement sa barbe poivre et sel, en rĂ©flĂ©chissant Ă  l’avenir qui se dessine devant lui : « Il se passe beaucoup de choses en ce moment », rĂ©sume le patron d’Oracle Red Bull Racing pour dĂ©crire la phase de transition que traverse l’écurie autrichienne, qu’il a mis des annĂ©es Ă  dĂ©velopper et qui est en train de passer Ă  la construction de chĂąssis et de moteurs. Une Ăšre de grands changements, tant dans le domaine aĂ©rodynamique que financier, mais Ă©galement sur le marchĂ© des pilotes, alors que les meilleurs d’entre eux seront tentĂ©s de chercher oĂč aller pour avoir les meilleures chances de gagner.

« Il s’agit d’un vĂ©ritable bouleversement, mais ça ne sert Ă  rien d’avoir peur, insiste-t-il. C’est normal d’avoir une certaine apprĂ©hension, mais je pense qu’il faut accueillir cette nouvelle situation, il faut affronter nos peurs, apprendre Ă  les gĂ©rer. »

« GĂ©rer » l’écurie Oracle Red Bull Racing : c’est ce que Christian Horner fait depuis vingt ans, depuis la fondation de l’équipe. Suite aux succĂšs qu’il rencontre en Formule 3000, il est repĂ©rĂ© par Dietrich Mateschitz, fondateur de Red Bull, et Helmut Marko, consultant de Red Bull en F1, pour concrĂ©tiser les ambitions de la marque dans la F1.

Depuis son entrĂ©e dans le projet Red Bull Racing – quelques jours avant NoĂ«l 2004 –, Horner a menĂ© de front toutes les phases de dĂ©veloppement de cette Ă©curie sur deux dĂ©cennies. Toujours prĂ©sent sur les stands – le trĂ©pignement saccadĂ© de ses jambes trahissait souvent l’intensitĂ© de l’action sur la piste –,

377 courses, 6 couronnes mondiales des constructeurs,

7 titres de champion du monde des pilotes

CHRISTIAN HORNER

célÚbrent

et le

le 2 mars 2024 : une

de la

Horner
vainqueur
course Max Verstappen
leur victoire lors du Grand Prix du BahreĂŻn
double victoire pour Oracle Red Bull Racing, puisque Sergio Pérez a terminé second.

30 septembre 2022 : Horner supervise les opĂ©rations aux stands lors d’un entraĂźnement avant la course nocturne du GP de Singapour, sur le circuit de Marina Bay Street, le 30 septembre 2022.

Horner a Ă©tĂ© pour Oracle Red Bull Racing plus qu’un patron ou qu’un acteur dĂ©cisif du monde de la F1 : il a Ă©tĂ© un dirigeant, un nĂ©gociateur politique, un combattant acharnĂ© – pendant prĂšs de 400 courses. Il y a vingt ans, alors que Red Bull vient de racheter Jaguar, Horner est chargĂ©, Ă  tout juste 31 ans, de reprendre en main cette petite Ă©quipe installĂ©e en Angleterre, dans les hangars de Milton Keynes. Objectif : gagner en efficacitĂ© et en puissance. Aujourd’hui, l’écurie Oracle Red Bull Racing est un ensemble regroupant des sociĂ©tĂ©s de course et de technologie, employant plus d’un millier de

personnes, elles-mĂȘmes rĂ©parties sur un campus en constante expansion – et qui peut se vanter d’avoir Ă  son actif treize titres de champion du monde.

Alors que l’écurie est en plein forme pour attaquer sa vingtiĂšme saison et que les trois derniĂšres annĂ©es ont, elles aussi, Ă©tĂ© particuliĂšrement rĂ©ussies, on peut dire qu’Oracle Red Bull Racing est Ă  l’apogĂ©e de sa gloire. Pour autant, la phase qui s’annonce est remplie d’incertitudes, avec en 2025 le dĂ©part d’Adrian Newey, qui a Ă©tĂ© le designeur star de l’écurie pendant deux dĂ©cennies. L’annĂ©e suivante, Red Bull relĂšvera peut-ĂȘtre le plus grand dĂ©fi de son histoire en F1,

en ayant son propre moteur rĂ©pondant aux nouvelles rĂ©glementations. Celles concernant le chĂąssis changeront Ă©galement en 2026 – des bouleversements qui pourraient ĂȘtre dĂ©cisifs pour l’avenir de l’écurie autrichienne, mais qui ne font pas peur Ă  Christian Horner, habituĂ© Ă  relever ce genre de dĂ©fis. Qu’il s’agisse de bĂątir toute une Ă©curie en partant quasiment de zĂ©ro, de servir de mĂ©diateur Ă  des pilotes qui se font la guerre, de repartir de plus belle aprĂšs avoir frisĂ© l’abandon total du projet, ou qu’il s’agisse enfin de faire Ă©merger une caste de champions parmi les plus atypiques de la F1, le patron d’Oracle Red Bull

« C’est notre ADN : nous avons toujours fait les choses diffĂ©remment. »

Racing est convaincu qu’il a les Ă©paules et l’expĂ©rience nĂ©cessaires pour emmener toute son Ă©quipe dans cette nouvelle Ăšre de compĂ©tition.

the red bulletin : La place d’Oracle Red Bull Racing au sommet de la Formule 1 semble presque acquise aujourd’hui, mais que dire des premiĂšres annĂ©es ? Qu’avez-vous appris Ă  ce moment-lĂ  sur la maniĂšre de mettre sur pied une excellente Ă©quipe de F1 ?

christian horner : La clĂ©, Ă  cette Ă©poque, Ă©tait de s’assurer que nous investissions dans les bons outils, ceux qu’Adrian [Newey] nous demandait : mettre Ă  niveau la soufflerie, avoir un cluster CFD (modĂ©lisation de flux des fluides, ndlr)
 des choses qui paraissent Ă©videntes de nos jours, mais qui demandaient un investissement massif en capital. Heureusement, Dietrich [Mateschitz] a Ă©tĂ© fantastique et son soutien total : nous avons donc fait un excellent dĂ©but en 2005, mais l’annĂ©e suivante a Ă©tĂ© difficile. Adrian a trĂšs tĂŽt cessĂ© tout dĂ©veloppement sur la RB2 – dĂšs la troisiĂšme course – pour pouvoir consacrer tout son temps Ă  la soufflerie, ce qui a Ă©tĂ© trĂšs mal accueilli Ă  l’époque. Mais vous n’engagez pas Adrian Newey pour ensuite lui dire : « Vous aurez la moitiĂ© du temps en soufflerie. » Pour moi, il s’agissait de poser des jalons pour l’avenir, de mettre en place des mĂ©thodes de travail. J’ai toujours pensĂ© que le sport automobile est un jeu de processus, que vous mettez des systĂšmes en place et que c’est tout cela qui finit par vous apporter le succĂšs. Il s’agissait donc de bien faire les choses, puis de trouver les bonnes personnes – des acteurs clĂ©s qui sauraient faire fonctionner ces systĂšmes.

Le succĂšs n’a pas Ă©tĂ© immĂ©diat pour l’équipe : il y a eu trois saisons, de 2006 Ă  2008, oĂč les rĂ©sultats Ă©taient encore difficiles Ă  obtenir. Quels Ă©taient les problĂšmes Ă  cette Ă©poque ?

Quand Adrian est arrivĂ©, nous n’étions pas du tout Ă  son niveau : c’était un extraterrestre pour nous ! Nous avions le meilleur designeur de F1 dans la poche, mais aucune des installations nĂ©cessaires pour faire le job. C’était comme avoir un chef d’orchestre, sans orchestre ; ou alors quelques bons musiciens ne sachant jouer que de la cymbale et du triangle. Petit Ă  petit, nous avons pourtant rĂ©ussi Ă  assembler un groupe et Ă  produire une musique de plus en plus belle


Jusqu’à l’arrivĂ©e de notre chanteur vedette, Sebastian [Vettel], qui nous a emmenĂ©s en tĂȘte des charts.

L’arrivĂ©e de Sebastian Vettel faisait-elle partie de votre stratĂ©gie ?

Il semblait y avoir une synergie quasi divine dans l’arrivĂ©e d’Adrian Newey et la montĂ©e de notre Ă©curie, coĂŻncidant avec la progression de Vettel dans les rangs juniors et la retraite de David Coulthard, survenant au

bon moment pour permettre Ă  Seb de briller
 Mais tout cela n’était pas du tout prĂ©vu. Évidemment, il avait Ă©tĂ© un junior chez Red Bull, mais on le partageait avec BMW – pour qui il avait notamment remplacĂ© Robert Kubica (au Grand Prix des États-Unis 2007, ndlr). Je me souviens que Mario Theissen (le directeur de l’équipe BMW Sauber, ndlr) n’était pas convaincu par Sebastian : il y avait mĂȘme un dĂ©bat pour savoir si nous devions le prendre chez Toro Rosso. Gerhard (Berger, patron de Toro Rosso en 2007, ndlr) n’était pas sĂ»r non plus parce qu’il y avait aussi Vitantonio Liuzzi et Scott Speed, alors que lui prĂ©fĂ©rait SĂ©bastien Bourdais. Il y avait donc une certaine rĂ©ticence. Je me souviens de cette rĂ©union pendant laquelle Dietrich [Mateschitz] nous a dit de donner une chance au gamin : Vettel a Ă©tĂ© pris chez Toro Rosso en Hongrie
 et le reste appartient Ă  l’histoire.

L’impact de Vettel a Ă©tĂ© presque immĂ©diat : deux courses hĂ©sitantes au dĂ©but de 2009, puis la pole position et la victoire en Chine. Son arrivĂ©e a dĂ©clenchĂ© un sursaut remarquable pour l’équipe au cours des saisons suivantes, mais ce ne fut pas toujours facile, notamment Ă  cause de la rivalitĂ© entre Vettel et son coĂ©quipier Mark Webber. À quel point cela a-t-il Ă©tĂ© difficile Ă  gĂ©rer et qu’avez-vous appris de ce conflit ? Oui, en 2011 et 2012, les relations entre les deux pilotes Ă©taient tendues, surtout en 2012. On apprend toujours au cours d’une vie, et ce fut effectivement une expĂ©rience trĂšs utile de devoir gĂ©rer cette guerre entre deux mĂąles alpha, oĂč l’un gagnait et l’autre non : alors mĂȘme que nous dominions les compĂ©titions, je recevais rĂ©guliĂšrement des lettres d’avocats venant des managers des deux pilotes, ou d’autres personnes. Quant Ă  cet incident « Multi-21 » de 2013 survenu en Malaisie, ça s’est corsé  Bref, Mark ne nous a mĂȘme pas dit qu’il allait partir Ă  la fin de la saison : il l’a juste annoncĂ© Ă  Silverstone. Il a convoquĂ© sa propre confĂ©rence de presse pour y annoncer qu’il prenait sa retraite. Nos relations n’étaient pas au beau fixe Ă  ce moment-lĂ . C’est difficile Ă  gĂ©rer en tant que dynamique. Vous voulez que tout aille bien, mais ce n’est pas possible, parce que vous avez un gars qui gagne tout et un autre qui en souffre. En 2013, Mark n’a pas gagnĂ© une seule course, alors que Sebastian en a gagnĂ© treize. Mais je ne veux pas dire du mal de Mark, il Ă©tait juste dans une position difficile. À prĂ©sent, il voit les choses de maniĂšre beaucoup plus sereine.

Et pourtant, tout a une fin, mĂȘme les phases de victoires : ça a Ă©tĂ© le cas pour Red Bull Racing aprĂšs l’arrivĂ©e des moteurs hybrides : de treize victoires en 2013, l’écurie est passĂ©e Ă  seulement trois en 2014. Le vent tournait ?

« J’ai dĂ» retourner chez Renault en m’excusant.
Sans quoi nous aurions Ă©tĂ© hors course. »

J’avais passĂ© les deux annĂ©es prĂ©cĂ©dentes Ă  alerter Carlos Ghosn (l’ancien PDG de l’alliance NissanRenault, ndlr) sur ce problĂšme de moteur et sur le fait que Mercedes y avait investi des sommes colossales, mais on m’avait rĂ©torquĂ© que Renault fabriquait les meilleurs moteurs turbo de toute l’histoire de la F1. Sauf qu’ils ont oubliĂ© qu’il y avait aussi un Ă©lĂ©ment hybride... En un mot : je pense qu’au cours des tests de prĂ©-saison, nous avons rĂ©ussi Ă  faire seulement cinq tours sans que la voiture ne prenne feu
 Bref, le moteur Ă©tait un dĂ©sastre, mais Daniel (Ricciardo, qui a remplacĂ© Webber, ndlr) Ă©tait exceptionnel : il a remportĂ© les trois courses pour nous cette annĂ©e-lĂ . Ce qui est drĂŽle, c’est que le seul doute que nous avions sur Daniel
 Ce n’était pas vis-Ă vis de ses performances en vitesse, elles Ă©taient clairement lĂ . Le seul point d’interrogation, c’était que personne ne l’avait jamais vu dĂ©passer lors d’une course, parce que chez Toro Rosso, les pilotes avaient tendance Ă  bien se qualifier puis Ă  reculer. Donc, nous ne l’avions jamais vu dĂ©passer une voiture sur un circuit. Mais, dĂšs qu’il est arrivĂ© chez nous, il n’a jamais cessĂ© de dĂ©passer ses adversaires... Et c’était magnifique Ă  voir.

Quel a été le moment le plus difficile de cette période ?

Je pense que la pire annĂ©e a probablement Ă©tĂ© 2015 : Adrian Ă©tait dĂ©couragĂ©, Sebastian Ă©tait parti, il y avait des rumeurs de vente au groupe VW, mĂȘme

Melbourne, 18 mars 2012 : le directeur de l’écurie discute avec Sebastian Vettel alors que celui-ci s’apprĂȘte Ă  disputer le GP d’Australie.

Horner et son team aprĂšs avoir remportĂ© le championnat des constructeurs au Grand Prix des États-Unis Ă  Austin (Texas), le 23 octobre 2022.

Dietrich [Mateschitz] se demandait si ça valait la peine de continuer, parce que c’était tout simplement sans espoir sans un bon moteur. Nous avons tout fait pour obtenir un moteur Mercedes, avec au bout du compte un accord conclu par une poignĂ©e de mains entre Niki [Lauda] et Dietrich, avec la promesse d’avoir des moteurs Mercedes en 2016. Sur la base de cette poignĂ©e de mains, on m’a dit d’annuler le contrat avec Renault ainsi qu’un parrainage avec Infiniti qui avait encore un an devant lui. Mais l’accord avec Mercedes a Ă©tĂ© torpillĂ© par Toto (Wolff, directeur de l’écurie Mercedes, ndlr), qui nous considĂ©rait comme son concurrent le plus dangereux. J’ai finalement dĂ» retourner chez Renault en m’excusant. Sans quoi nous aurions Ă©tĂ© hors course.

Avez-vous alors pensé à démissionner ?

Non. J’ai reçu quelques offres pendant cette pĂ©riode, mais je n’ai jamais Ă©tĂ© tentĂ©. Et puis j’avais envie de rester loyal envers mon Ă©quipe, les gens, les actionnaires. J’avais embarquĂ© des gens avec moi, alors quitter l’écurie ne m’aurait pas semblĂ© correct. Quand vous avez pris un engagement, tout ce que vous pouvez vous dire, c’est : « Je dois redresser la situation. »

Justement, quand est-ce que la situation a commencé à se redresser ?

En 2016, nous avons déjà pu démontrer que nous avions un excellent chùssis. Max [Verstappen] est

« Nous faisons face au plus grand dĂ©fi de notre histoire. »

arrivĂ© et a immĂ©diatement gagnĂ© en Espagne, puis nous avons eu un doublĂ© en Malaisie Ă  la fin de l’annĂ©e, avant de terminer deuxiĂšme aux championnats du monde. Quand la rĂšglementation a changĂ© en 2017, nous avons accusĂ© au dĂ©but un retard de performances, mais que nous avons rĂ©ussi Ă  rattraper assez rapidement. C’est lĂ  que nous avons vraiment commencĂ© Ă  voir Max monter en puissance. Il y a eu ensuite cette chance d’allier Honda et Toro Rosso pour 2018, avec en perspective l’opportunitĂ© de prendre ce moteur pour aller Ă  MontrĂ©al – tout en continuant Ă  dialoguer avec tous les autres. Et en mai 2018, nous avions des designs de moteur de chez Renault, Ferrari et Honda ! Nous en avions mĂȘme un de Mercedes – bien que je pense qu’ils se moquaient de nous une fois de plus. Mais on savait que Honda s’amĂ©liorait, et lorsqu’à MontrĂ©al, ils ont montrĂ© de quoi ils Ă©taient capables, le rĂ©sultat Ă©tait lĂ©gĂšrement supĂ©rieur Ă  Renault. On s’est dit : « Ces gars sont sur la bonne voie : allons-y ! »

Avez-vous eu l’impression de prendre un risque, compte tenu des enjeux et du fait que Honda n’avait pas encore fait entiùrement ses preuves ?

Le mantra de Dietrich a toujours Ă©tĂ© “no risk, no fun”. C’est ce qu’il me disait toujours. Il y avait donc une part de risque, mais c’était Ă©videmment calculĂ©, et ça doit l’ĂȘtre : on ne peut pas se permettre d’ĂȘtre imprudent. Avec Renault, nous recevions chaque annĂ©e des tableurs dĂ©crivant tous les objectifs qu’ils allaient atteindre et comment ils allaient rattraper Mercedes – mais ils ne l’ont jamais fait. Nous avons donc estimĂ© qu’un changement Ă©tait nĂ©cessaire, et lorsque nous avons terminĂ© sur le podium en Australie en 2019, nous Ă©tions de retour dans le jeu.

Ces deux derniĂšres dĂ©cennies mouvementĂ©es vous rendent-elles confiant face Ă  l’avenir, avec l’arrivĂ©e imminente des nouveaux moteurs Powertrains de Red Bull ?

Je ne me fais pas d’illusion : ces premiers moteurs produits par Red Bull constituent le plus grand dĂ©fi de notre histoire en F1. Il fallait du courage pour se lancer dans ce projet et c’est l’un des derniers que Dietrich a approuvĂ© avant de dĂ©cĂ©der. Mais si les vingt derniĂšres annĂ©es ont prouvĂ© quelque chose, c’est que Red Bull en est capable. Personne ne pensait que la filiale d’une entreprise de boissons gazeuses pourrait venir et battre Ferrari, McLaren et Mercedes et gagner treize championnats du monde. Donc, il n’y a aucune raison de douter de nos capacitĂ©s avec ces moteurs. C’est notre ADN : nous avons toujours fait les choses diffĂ©remment. Nous n’avons jamais Ă©tĂ© la marionnette de personne. Bien sĂ»r, nous n’avons jamais manquĂ© de rebondissements en vingt ans, mais c’est Red Bull, c’est ce que nous sommes. Comme l’a toujours dit Dietrich : “no risk, no fun”.

L’équipage

Alinghi Red Bull Racing au large de Barcelone. Les hydrofoils du bateau BoatOne lui permettent de voler au-dessus de l’eau à deux fois la vitesse du vent.

Cap vers le progrĂšs

Que se passe-t-il lorsqu’une des plus grandes Ă©quipes de voile de l’histoire s’associe aux champions du monde en titre de F1 pour prendre part Ă  la plus prestigieuse course de voiliers au monde ? Bienvenue dans les coulisses d’une aventure inĂ©dite : la quĂȘte d’Alinghi Red Bull Racing pour remporter l’America’s Cup.

Texte Tom Guise Photos Konstantin Reyer

Se mettre Ă  niveau : en tant que nouvelle Ă©quipe, et avec les rĂšgles exigeant que les marins soient issus du pays que l’équipe reprĂ©sente, l’équipage Alinghi Red Bull Racing n’a jamais participĂ© Ă  une America’s Cup auparavant. Ils ont dĂ» apprendre rapidement.

Nous sommes en fĂ©vrier 2003 et la 31e America’s Cup se dĂ©roule au large des cĂŽtes de la Nouvelle-ZĂ©lande, dans le golfe d’Hauraki. ProtĂ©gĂ©e par des pĂ©ninsules, cette Ă©tendue dans l’ocĂ©an Pacifique est parfaite pour une compĂ©tition qui, depuis plus d’un siĂšcle et demi, est la rĂ©fĂ©rence mondiale des rĂ©gates de voiliers de pointe.

L’équipe de Nouvelle-ZĂ©lande est double championne en titre. Selon les rĂšgles anciennes, c’est au dĂ©fenseur de la Coupe d’organiser la compĂ©tition et de dĂ©cider du protocole, une tradition qui confĂšre aux champions kiwis un avantage considĂ©rable face à un nouvel outsider, Alinghi, venu d’un pays sans accĂšs maritime : la Suisse.

L’affrontement entre ces deux voiliers de 24 mĂštres de long connaĂźt quelques rebondissements : dĂšs la premiĂšre course, le bateau nĂ©o-zĂ©landais subit diverses pannes techniques et son cockpit se remplit d’eau. Puis c’est au tour de la mĂ©tĂ©o de devenir capricieuse : mer agitĂ©e, trop de vent, puis pas assez. Pendant neuf jours, les bateaux restent Ă  quai, attendant une fenĂȘtre mĂ©tĂ©o favorable. Quand elle arrive, c’est l’avarie de trop pour les Kiwis : leur mĂąt se casse. Les challengers suisses scellent leur victoire, devenant les premiers champions venant d’un pays enclavĂ© – et les seuls Ă  remporter la course lors d’une toute premiĂšre participation.

Arnaud Psarofaghis se souvient de ce moment. Il avait 14 ans Ă  l’époque, vivait Ă  200 mĂštres du lac LĂ©man. La Suisse n’a peut-ĂȘtre pas de frontiĂšres maritimes, mais elle possĂšde de nombreux lacs. « Les gens

« Voir tout le pays en liesse, c’est comme si la Suisse avait gagnĂ© la Coupe du Monde. »

apprĂ©cient les lacs en Ă©tĂ© autant que les montagnes en hiver, souligne-t-il. Et contrairement Ă  la mer, un lac est plat, ce qui permet d’y dĂ©velopper des bateaux plus performants. »

Il a commencĂ© Ă  naviguer dĂšs son plus jeune Ăąge. C’est au bord du lac LĂ©man que se trouve la SociĂ©tĂ© Nautique de GenĂšve, sous les couleurs de laquelle Alinghi a pris part Ă  la Coupe en 2003. Psarofaghis Ă©tait lĂ  lorsque l’équipe a ramenĂ© la lĂ©gendaire Auld Mug, la Vieille AiguiĂšre qui sert de trophĂ©e Ă  l’America’s Cup et qui fut accueillie par plus de de 40 000 personnes venues braver le froid pour cĂ©lĂ©brer le retour de leurs hĂ©ros. « De voir tout le pays en liesse, mĂȘme les gens qui ne s’intĂ©ressaient pas Ă  la voile, nous a montrĂ© l’importance que cet Ă©vĂ©nement avait : c’était comme si la Suisse avait gagnĂ© la Coupe du Monde, se souvient-il. Cela m’a donnĂ© un objectif – rejoindre un jour cette Ă©quipe. » En 2016, lorsque Psarofaghis rentre finalement chez Alinghi comme Ă©quipier, les ambitions de l’équipe suisse ont changĂ©. En 2007, Alinghi avait dĂ©fendu son titre, contre l’équipe nouvellement rebaptisĂ©e Emirates Team New Zealand (ETNZ). Puis, en 2010, ils avaient perdu face Ă  la Oracle Team USA du milliardaire amĂ©ricain Larry Ellison dans une bataille controversĂ©e autant sur l’eau qu’au tribunal, en raison de dĂ©saccords sur les rĂšgles. DĂ©goĂ»tĂ©e par cette expĂ©rience, l’équipe suisse s’était retirĂ©e de la compĂ©tition.

L’America’s Cup a de nombreuses lĂ©gendes. Il y a d’abord celle d’une goĂ©lette amĂ©ricaine nommĂ©e America, arrivant sur les cĂŽtes britanniques en 1851 pour remporter une coupe de 100 guinĂ©es du Royal Yacht Squadron, donnant naissance Ă  la plus ancienne compĂ©tition sportive internationale. Ou celle de Sir Thomas Lipton, l’empereur du thĂ©, qui a passĂ© trois dĂ©cennies et dĂ©pensĂ© une fortune pour tenter – en vain – de ramener la Auld Mug en GrandeBretagne. Il y a encore celle d’Alan Bond, homme d’affaires australien dont le voilier, Australia II, a finalement brisĂ© en 1983 un cycle de 132 ans de victoires des AmĂ©ricains, exploit qui lui a valu l’Ordre d’Australie, avant d’en ĂȘtre dĂ©chu et emprisonnĂ© pour dĂ©tournement de fonds, quatorze ans plus tard.

Aujourd’hui, peut-ĂȘtre que la plus grande lĂ©gende de l’America’s Cup est en train de s’écrire. En 2021, onze ans aprĂšs s’ĂȘtre retirĂ©, Alinghi annonce son retour dans la compĂ©tition. Devant la presse, le fondateur Ernesto Bertarelli, qui avait participĂ© aux derniĂšres courses de l’équipe, dĂ©clare que l’équipe a l’intention de « faire quelque chose de totalement nouveau » : le partenariat avec Red Bull est alors

Arnaud Psarofaghis, le skipper d’Alinghi Red Bull Racing.

dĂ©voilĂ©, avec pour objectif la formation d’une nouvelle Ă©quipe combinant les expertises en F1 et en voile. Son nom : Alinghi Red Bull Racing – un nouveau challenger vient de rentrer dans le jeu.

Barcelone est une ville qui a une longue et riche histoire avec la mer et la voile. En 2023, de nouveaux hangars Ă  bateaux sont venus complĂ©ter ceux, dĂ©jĂ  trĂšs nombreux, qui bordent le Port Vell de la citĂ© catalane : ces hangars accueillent aujourd’hui les Ă©quipes concourant pour la 37e America’s Cup.

Lorsque ETNZ a remportĂ© la coupe en 2021, ils ont pu choisir le lieu de la prochaine compĂ©tition et, chose trĂšs rare, ont renoncĂ© Ă  l’avantage de « jouer Ă  domicile » en dĂ©cidant de l’organiser dans la citĂ© catalane en octobre 2024. Leur base est aujourd’hui entourĂ©e de celles des cinq challengers, et parmi elles, le bĂątiment d’Alinghi Red Bull Racing se distingue, avec ses couleurs rouge et bleu qui rappellent celles de l’équipe de F1. Des passants curieux s’aventurent parfois jusqu’à l’entrĂ©e, espĂ©rant apercevoir quelque secret cachĂ© – mais c’est loin des regards indiscrets que la vĂ©ritable magie opĂšre.

Devant le hangar, en cale sĂšche, se trouve un bateau aux couleurs d’Alinghi Red Bull Racing : un AC75 – la catĂ©gorie de monocoque de 20,5 mĂštres de long que toutes les Ă©quipes vont utiliser. Son esthĂ©tique de canoĂ« intrigue les touristes, qui le prennent en photo. NommĂ© BoatZero par les Suisses qui l’ont achetĂ© comme navire d’entraĂźnement, il fut l’un des bateaux de ETNZ lors de la derniĂšre compĂ©tition. Cet objectif dĂ©sormais atteint, sa coque a Ă©tĂ© dĂ©pouillĂ©e

de son mĂąt et de ses voiles, l’équipe ayant dĂ©veloppĂ© un BoatOne supĂ©rieur et infiniment plus secret.

« ComparĂ© Ă  notre BoatZero, c’est le jour et la nuit, nous explique Silvio Arrivabene, co-directeur gĂ©nĂ©ral de l’équipe, en parlant du nouveau BoatOne. La coque, les appendices, tout est complĂštement diffĂ©rent. »

Le navigateur et architecte naval italien faisait partie de l’équipe de construction d’Alinghi lorsque celle-ci a concouru en 2010. En 2017, il a rejoint American Magic – l’équipe reprĂ©sentant le plus ancien syndicat du sport, le New York Yacht Club –travaillant sur son bateau pour la course de 2021. Avant mĂȘme que cette compĂ©tition ne soit terminĂ©e, Arrivabene a reçu un appel de Bertarelli : « Ernesto avait envie de revenir dans la course et m’a demandĂ© si j’étais intĂ©ressĂ©, se souvient-il. Il n’a pas fallu grand-chose pour me convaincre – juste ce simple coup de tĂ©lĂ©phone. »

Si l’expĂ©rience d’Arrivabene avec l’équipe de 2010 pesait Ă©videmment dans la balance, celle qu’il avait acquise lors de l’édition 2021 Ă©tait encore plus prĂ©cieuse, compte tenu de la rĂ©volution technologique qui avait bouleversĂ© le monde du sport nautique quelques annĂ©es auparavant.

En 2012, l’hydrofoil – l’utilisation de structures en forme d’aileron pour soulever un bateau hors de l’eau, rĂ©duisant la traĂźnĂ©e – n’était pas inconnu. Populaire en kitesurf, il avait Ă©tĂ© adoptĂ© par une plus petite classe de monocoques appelĂ©s Moths. Mais c’est ETNZ, cette fois dĂ©fiant les dĂ©fenseurs Oracle Team USA, qui a envisagĂ© pour la premiĂšre fois de les utiliser sur des supports plus grands –notamment les catamarans qu’ils allaient inscrire Ă  l’America’s Cup de l’annĂ©e suivante. Lorsqu’une photo (floue) de leur prototype volant au-dessus de l’eau a Ă©tĂ© divulguĂ©e, on a d’abord pensĂ© Ă  un fake, une illusion d’optique. Mais la graine avait Ă©tĂ© plantĂ©e, et les Ă©quipes se sont immĂ©diatement mobilisĂ©es pour se surpasser. RĂ©sultat : la Coupe de 2013 s’est dĂ©roulĂ©e sur des catamarans qui ne faisaient pas que naviguer, mais qui volaient au-dessus de l’eau Ă  plus du double de leur vitesse normale. « Ce fut un moment dĂ©terminant, explique Arrivabene. Jusqu’en 2013, les bateaux de l’America’s Cup Ă©taient encore en contact avec l’eau. À prĂ©sent, vous n’avez plus besoin de lest ni de quille, il n’y a plus de gĂźte (inclinaison du bateau, ndlr), la voile est semblable Ă  une lame. Quant Ă  la vitesse... »

Ce que dĂ©crit Arrivabene est un passage de l’hydrodynamique – la physique du mouvement dans les fluides – Ă  l’aĂ©rodynamique – le dĂ©placement dans l’air. C’est lĂ  que la seconde partie de la configuration d’Alinghi Red Bull Racing entre en jeu.

« Plus besoin de lest ni de quille. La voile est une lame. »
Silvio Arrivabene, co-directeur gĂ©nĂ©ral d’Alinghi Red Bull Racing.

PrĂȘt : avant que BoatOne ne file en mer, marins et ingĂ©nieurs vĂ©rifient les systĂšmes.

BoatOne ressemble plus à la Batmobile qu’à un bateau.

Couture vitale : (ci-dessus) un ouvrier voilier travaille sur une machine Ă  coudre gĂ©ante dans l’atelier de voiles Alinghi Red Bull Racing, qui doit rester impeccable ; (ci-dessous) le bateau BoatOne est soulevĂ© du quai et mis Ă  l’eau.

L’AC en chiffres

8

Le nombre de membres d’équipage : quatre cyclors, deux barreurs et deux rĂ©gleurs de grand-voile/ contrĂŽleurs de vol.

20,5

La longueur du bateau en mĂštres.

50

La vitesse en nƓuds que BoatOne peut dĂ©passer en vol.

26,5

La hauteur réglementaire du mùt en mÚtres.

15 000

La pression en tonnes exercée à certains endroits de la grand-voile quand le bateau est à pleine vitesse.

6

Le nombre de voiles principales autorisées pour toute la compétition. Quinze focs (la plus petite voile) sont autorisées.

Milton Keynes n’est pas aussi glamour que Barcelone : la ville britannique, cĂ©lĂšbre pour le nombre de ses ronds-points (130 ou plus au total), a mĂȘme Ă©tĂ© qualifiĂ©e d’ennuyeuse par les gens du coin. Il y a pourtant une catĂ©gorie de personnes que ce nom fait vibrer : les fans de F1. Et pour cause : cette ville abrite la base de Red Bull Racing.

Juste en face de la base, on trouve Red Bull Advanced Technologies (RBAT), dont les avancĂ©es scientifiques (qui ont aidĂ© Ă  remporter sept championnats des pilotes de F1 et six championnats des constructeurs) sont appliquĂ©es Ă  d’autres projets – d’une voiture Ă  hydrogĂšne pour les 24 Heures du Mans Ă  une rampe de BMX assez lĂ©gĂšre pour ĂȘtre accrochĂ©e Ă  une montgolfiĂšre. Depuis 2021, on y planche aussi sur des voiliers capables de voler.

« Avec les hydrofoils, vous devez gĂ©nĂ©rer suffisamment de portance pour dĂ©placer six tonnes et demi, explique Dan Smith, ingĂ©nieur en aĂ©rodynamique chez RBAT. À pleine vitesse, la pression devient si faible que l’eau entre en Ă©bullition Ă  23 °C et se transforme en air. L’hydrofoil n’est plus soutenu par l’eau et vous perdez toute portance – c’est ce qu’on appelle la cavitation. »

Si les notions d’hydrodynamique sont Ă©videmment maĂźtrisĂ©es par les ingĂ©nieurs de RBAT, il y a un domaine dans lequel ils sont spĂ©cialisĂ©s : « Nous avons Ă©tĂ© surpris de voir Ă  quel point l’America’s Cup se joue autour de l’aĂ©rodynamique, dĂ©clare le directeur technique Rob Gray. On leur a dit : “Vous ĂȘtes les experts sur l’eau, mais nous avons cette technologie – comment pouvons-nous vous aider ?” »

« La science des matĂ©riaux de ces bateaux est trĂšs similaire Ă  celle de la F1, explique Adolfo Carrau, coordinateur de la conception chez Alinghi Red Bull Racing. Nous utilisons de la fibre de carbone et du titane, mais nous devons ĂȘtre stricts quant Ă  la rĂ©partition du poids. Si un dĂ©partement me dit qu’il a besoin de trois kilos, je leur rĂ©ponds : “En termes de gain de vitesse, combien allez-vous pouvoir me donner ?” »

« Les experts en aĂ©rodynamique nous aident Ă  rĂ©duire la taille des composants, explique Ed Collings, responsable des composites et de l’analyse structurelle chez RBAT. Des matĂ©riaux plus lourds avec une section transversale plus fine – dans le safran, par exemple – rĂ©duisent la traĂźnĂ©e. RĂ©duisez encore ce poids et vous pouvez transporter plus de systĂšmes de contrĂŽle, ce qui est positif en termes de performance. »

Comme on peut s’y attendre sur un monocoque volant, le monde de l’hydrodynamique croise parfois celui de l’aĂ©rodynamique. « Le plus flagrant, c’est pour la coque, qui touche Ă  la fois l’eau et l’air avant le dĂ©collage, explique Carrau. Il est tentant de faire une forme 100 % aĂ©rodynamique, mais si elle est trop traĂźnante dans l’eau – surtout Ă  Barcelone, oĂč il y a de grosses vagues – elle ne dĂ©collera pas. »

Carrau Ă©tait marin avant d’ĂȘtre concepteur chez Alinghi Red Bull Racing. Une expĂ©rience qui, selon lui, est essentielle dans une Ă©quipe de l’America’s Cup, oĂč les dĂ©partements de conception sont rĂ©duits et doivent donc connaĂźtre plusieurs domaines. « Les

« Le bateau suiveur ne pouvait pas nous suivre, alors nous avons doublĂ© ses moteurs. »

Ă©quipes de F1 peuvent avoir des centaines de concepteurs, poursuit-il. Ils passent toute leur carriĂšre Ă  dĂ©velopper un seul composant, comme l’aileron avant ou la suspension. »

L’un des composants essentiels d’un AC75, c’est notamment le systĂšme qui dĂ©place la grand-voile. Les voiles sont le moteur d’un voilier, le vent Ă©tant le carburant – mais les hydrauliques utilisĂ©s pour rĂ©gler les voiles sont actionnĂ©s par la force humaine. On utilisait autrefois des winches : en 2024, tout se fera Ă  la force des jambes – quatre membres d’équipage, appelĂ©s « cyclors », chevauchant des pĂ©daliers montĂ©s sur le pont. « Toute rĂ©duction de friction, c’est de l’énergie en plus que l’on peut utiliser ailleurs, explique Collings. Nous avons conçu l’ensemble du systĂšme de rail de grand-voile Ă  partir de zĂ©ro. » Gray nous cite une phrase que Silvio Arrivabene lui avait dit un jour : « Rob, nous sommes les bĂ»cherons, vous ĂȘtes les horlogers. » L’Italien s’en souvient trĂšs bien : « L’expĂ©rience de Red Bull Advanced Technologies dans le domaine de la micro-optimisation est un Ă©norme avantage », dĂ©clare-t-il.

« Quand vous fabriquez une voiture de course, c’est un travail trĂšs fin et prĂ©cis, mais dans un hangar Ă  bateaux, vous avez besoin de gros outils, il y a de la poussiĂšre et du bruit. Le monde de la voile est rude. »

Le terme de « bĂ»cheron » n’est pas forcĂ©ment ce qui vient Ă  l’esprit en entrant dans la base d’Alinghi Red Bull Racing. Surplombant le front de mer, on trouve le salon des invitĂ©s, restaurĂ© par le chef local Ă©toilĂ© Romain Fornell. Plus loin, une salle de sport de 250 mÂČ Ă©quipĂ©e de vĂ©los d’exercice et de rameurs. Si certains des cyclors viennent justement du cyclisme, la plupart sont des rameurs, un sport qui demande 60 % de travail des jambes.

Sur le quai se trouvent trois hangars. Le premier est la voilerie (sail loft). Son sol est semblable Ă  une immense table destinĂ©e Ă  Ă©taler des pans de textile haute technologie – un composite de fibre de carbone qui peut supporter jusqu’à 15 tonnes de pression Ă  pleine vitesse. L’analogie la plus proche de la F1, ce sont les pneus – les voiles deviennent moins efficaces Ă  mesure qu’elles s’usent. Chaque Ă©quipe est autorisĂ©e Ă  avoir six grand-voiles pendant toute la compĂ©tition.

Un ouvrier voilier utilise une machine Ă  coudre surdimensionnĂ©e. On nous dit que toute la zone a Ă©tĂ© « nettoyĂ©e » pour notre visite, ce qui signifie que tout ce qui est secret a Ă©tĂ© retirĂ© de la vue. Mais la piĂšce elle-mĂȘme est Ă©galement propre au sens littĂ©ral – des

extracteurs aspirent chaque particule de poussiĂšre. En passant par une porte dans la salle suivante – l’atelier de grĂ©ement –, on aperçoit une Ă©norme lance bleue. « Vous ne devriez pas voir cela », note notre guide. C’est le mĂąt de l’AC75.

Le dernier hangar est le plus grand de tous – le hangar Ă  bateaux. DerriĂšre un voile opaque, Ă  l’abri des regards, le fameux BoatOne de l’équipe suisse. Des endroits comme celui-ci, classĂ©s top secret, il y en a encore quelques-uns sur la base, mais inutile de chercher une soufflerie ou un bassin Ă  vagues : le rĂšglement exige que les bateaux soient testĂ©s exclusivement en mer, avec des photographes indĂ©pendants, dits « de reconnaissance », qui doivent partager ce qu’ils voient avec toutes les Ă©quipes. Cela rend les tests extrĂȘmement difficiles. Contrairement Ă  la F1, oĂč une voiture peut Ă©voluer au cours d’une saison, le BoatOne ne verra pas une course avant la derniĂšre prĂ©-rĂ©gate en aoĂ»t, deux mois avant l’Amrica’s Cup. Mais l’équipage a une autre façon de tuer le temps – un simulateur.

L’accĂšs Ă  la salle du simulateur est limitĂ© au personnel autorisĂ© – dont ne fait pas partie The Red Bulletin. Heureusement, le responsable Ozanne est lĂ  pour rĂ©pondre Ă  nos questions. Lorsqu’on lui demande ce qu’il y a dans ce simulateur, sa rĂ©ponse est lapidaire : « C’est une rĂ©plique du bateau. »

On pense immĂ©diatement aux simulateurs utilisĂ©s en F1 – un chĂąssis mobile avec un Ă©cran. Joseph Ozanne corrige cette supposition : « En F1, le pilote n’a pas besoin de bouger la tĂȘte grĂące Ă  ses rĂ©troviseurs. Sur un bateau de course, comme les membres de l’équipage ne peuvent pas voir ce que font les autres, on n’a pas d’écran mais une rĂ©alitĂ© virtuelle dans laquelle on peut voir ses mains. »

Pendant que les cyclors s’entraĂźnent dans la salle de sport, les quatre membres du driving group – deux barreurs, et deux contrĂŽleurs de vol et rĂ©gleurs de voiles (qui opĂšrent les foils) – passent jusqu’à cinq heures par jour dans le simulateur. Au dĂ©but, c’était juste pour apprendre Ă  faire fonctionner le bateau. Les Ă©quipiers doivent ĂȘtre des citoyens du pays qu’ils reprĂ©sentent et, comme l’équipe suisse est nouvelle, aucun n’avait pilotĂ© un AC75 auparavant. « La premiĂšre annĂ©e, ils ont fait l’équivalent de deux tours du monde, raconte Ozanne. Maintenant, ils se concentrent sur un autre aspect crucial : la course. Ils construisent tout un manuel dans le monde virtuel avant de faire face Ă  un adversaire. »

Le simulateur a Ă©galement Ă©tĂ© essentiel pour dĂ©velopper chaque aspect du BoatOne. Ozanne prĂ©cise : « Nous n’utilisons aucun Ă©lĂ©ment sans le tester d’abord dans le simulateur. » Une fois la construction du yacht terminĂ©e, ses concepteurs sont devenus des analystes de performances, observant l’AC75 et rĂ©injectant ces donnĂ©es dans le simulateur ; et pour en optimiser le processus, on utilise l’IA : « Le simulateur peut fonctionner tout seul. Quand je pars le soir, j’appuie sur un bouton et le lendemain matin, j’ai des heures de simulation. Mais c’est vraiment pour rĂ©duire l’écart entre la conception, l’optimisation et le monde rĂ©el. Parce qu’au bout du compte, c’est un Ă©quipage de voile qui va sur l’eau, pas un ordinateur. »

Il est Ă  peine 9 heures, mais une partie de l’équipe suisse s’affaire dĂ©jĂ  sur le quai depuis quelques heures : c’est une journĂ©e d’exercice en mer pour le BoatOne. Lorsqu’il sort du hangar, on se rend compte Ă  quel point il est diffĂ©rent du BoatZero. La proue arbore une rainure, comme une bouche. Le pont et les flancs ont Ă©tĂ© redessinĂ©s. Plus spectaculaire encore, les parois de la poupe ont Ă©tĂ© dĂ©coupĂ©es pour rĂ©vĂ©ler un tableau arriĂšre plongeant. Il ressemble plus Ă  la Batmobile qu’à un bateau. Le mĂąt de 26,50 mĂštres est levĂ© par une grue puis fixĂ© sur le pont du bateau.

Alors que BoatOne est mis Ă  l’eau, l’équipe de reconnaissance prend des photos. Un bateau suiveur, avec Ă  son bord des ingĂ©nieurs et leurs ordinateurs portables, est lancĂ© Ă  sa poursuite, un autre est rempli de bouĂ©es Ă  larguer en mer pour marquer le parcours.

« Nous avons toujours des bateaux suiveurs, dĂ©clare BarnabĂ© Delarze, l’un des cyclors et ancien rameur olympique. À tout moment, il y a des gens qui surveillent ce qui se passe sur l’AC75, sautant Ă  bord entre les sessions pour vĂ©rifier que tout fonctionne. En cas de besoin, ils peuvent nous remorquer. Nous sommes Ă©galement remorquĂ©s en mer – on ne peut pas hisser les voiles Ă  quai, car si le vent souffle, cela peut trĂšs vite mal tourner. » Le plus puissant des bateaux suiveurs a une puissance de 1 800 chevaux.

« Aucun Ă©lĂ©ment n’est utilisĂ© sans le tester dans le simulateur. »
« Alinghi Red Bull Racing est neuf, notre Ă©quipage jeune. »

« Il est nĂ©cessaire de suivre l’AC75, qui atteint jusqu’à 50 nƓuds [92 km/h], dit Delarze. Le plus petit a 900 chevaux mais il ne pouvait pas nous suivre, alors nous avons doublĂ© les moteurs. »

Pendant qu’on attache les voiles, des contrĂŽles sont effectuĂ©s sur les systĂšmes logistique, Ă©lectronique et hydraulique. Les cyclors, quant Ă  eux, testent leur Ă©quipement. « Nous avons des voiles pour diffĂ©rentes conditions de vent, explique Carrau. Le responsable mĂ©tĂ©o doit ĂȘtre prĂ©cis dans ses prĂ©visions : si vous ĂȘtes coincĂ© avec la mauvaise grand-voile, vous ĂȘtes foutu. »

Le groupe de pilotage arrive : leurs casques de protection sont Ă©quipĂ©s d’appareils de communication Ă©tanches. Psarofaghis est parmi eux, ses ambitions d’enfance dĂ©sormais alignĂ©es avec l’équipe qu’il a toujours rĂȘvĂ© d’intĂ©grer. Mais pour le barreur de 35 ans, il reste encore beaucoup Ă  faire. Lors de leurs deux premiĂšres prĂ©-rĂ©gates – Ă  proximitĂ© de Vilanova i la GeltrĂș en septembre dernier et Ă  Djeddah en dĂ©cembre – ils sont arrivĂ©s cinquiĂšmes, puis troisiĂšmes.

RĂ©vĂ©lation : la coque de BoatOne doit fonctionner dans l’eau et dans l’air. Une grande partie de ces tests a Ă©tĂ© effectuĂ©e dans un simulateur, mais chaque fois qu’Alinghi Red Bull Racing le sort, les autres Ă©quipes peuvent espionner ce qu’il a accompli.

« La premiĂšre course, vous n’avez pas d’attentes ; la seconde, vous savez ce que vous voulez. À Djeddah, nous aurions pu faire mieux, dit-il. Mais cela nous a permis d’identifier nos points faibles. » Dans les deux rĂ©gates, l’équipe a utilisĂ© un AC40 – une rĂ©plique de l’AC75, mais deux fois plus petite, sans cyclors en raison des hydrauliques motorisĂ©es. Courir en AC40 n’est pas vraiment formateur pour l’AC75 », admet Arrivabene, qui souhaite multiplier les opportunitĂ©s de piloter le grand monocoque en rĂ©duisant l’écart entre les compĂ©titions Ă  seulement deux ans – au lieu de trois ou quatre actuellement. « Vous avez tout cet Ă©lan, puis plus rien. C’est frustrant. C’est pourquoi nous voulons remporter cette Coupe pour changer tout cela. »

Cette vision de changement inclut autre chose – des navigatrices Ă  bord. L’America’s Cup n’a pas de restrictions de genre, mais en 173 ans d’histoire, une seule femme a fait partie d’un Ă©quipage vainqueur – la navigatrice amĂ©ricaine Dawn Riley, en 1992. « Les hommes sont physiquement plus forts, dit Coraline Jonet, responsable du projet Youth & Women’s America’s Cup d’Alinghi Red Bull Racing. Mais il y a des rĂŽles Ă  bord qui ne nĂ©cessitent pas de force physique. Les capacitĂ©s cognitives des femmes sont les mĂȘmes que celles des hommes, il faut juste de l’expĂ©rience. » Jonet parle en connaissance de cause : la navigatrice de 42 ans a remportĂ© sept championnats sur des monocoques D35 plus petits, sur le lac

LĂ©man. À prĂ©sent, elle supervise une nouvelle gĂ©nĂ©ration : la Youth America’s Cup – destinĂ©e aux jeunes 18 Ă  25 ans – existe depuis quelques annĂ©es, mais c’est cette annĂ©e, en 2024, que dĂ©butera la premiĂšre Women’s America’s Cup. Les deux suivent le mĂȘme format – douze Ă©quipes sur des AC40. « C’est un support parfait pour une compĂ©tition, Ă©claire-t-elle. Ce bateau va trĂšs vite – 40 nƓuds –et l’on peut s’essayer Ă  tous les postes. »

L’équipe a ouvert les candidatures Ă  tous les navigateurs suisses, sĂ©lectionnant six femmes et six hommes. « Trois des femmes correspondent aux critĂšres d’ñge des jeunes, nous dit Jonet, ce qui signifie qu’elles pourraient concourir dans les deux Coupes. Cela leur donnerait une Ă©norme expĂ©rience. » Et de la visibilitĂ©, puisque la finale de la Women’s Cup a lieu durant l’évĂ©nement principal, plus mĂ©diatisĂ©. « En voyant des femmes participer Ă  la course, les jeunes spectatrices pourront se dire : “Je veux faire ça. Je peux faire ça, moi aussi.” »

Quand verra-t-on des femmes sur un AC75 ?

« Peut-ĂȘtre lors de la prochaine Coupe », rĂ©pond Coraline Jonet, souriante. Elle-mĂȘme aimerait en faire partie : « Je navigue depuis l’ñge de sept ans. Ce serait parfait. »

La plage de la Barceloneta est aujourd’hui bondĂ©e de familles et de personnes venant se baigner, mais la plupart sont trop occupĂ©es pour prĂȘter attention aux bateaux qui s’affrontent au large, sur les eaux des BalĂ©ares. Des monocoques impressionnants qui fendent l’air Ă  une vitesse vertigineuse.

The Red Bulletin a embarquĂ© dans le bateau suiveur de 900 chevaux, juste derriĂšre BoatOne. En dĂ©pit des capacitĂ©s indĂ©niables de Luis, notre barreur, le bateau volant nous distance. C’est une chose de savoir comment fonctionne un AC75, c’en est une autre de le voir – aucune partie du monocoque ne touche l’eau, si ce n’est le safran et l’un des foils. Alors qu’il vire, le bateau ne s’incline pas. IrĂ©el.

« Je sors sur le bateau suiveur tous les jours, nous raconte Arrivabene, et mon Ɠil est maintenant habituĂ© Ă  voir un bateau Ă  la verticale et des ailerons bougeant de haut en bas. Nous ne pouvons pas imaginer revenir Ă  la voile traditionnelle. »

Y a-t-il quelque chose de plus traditionnel qu’une compĂ©tition de voile qui dure depuis 173 ans ? Pourtant, c’est une autre tradition qui dĂ©finit l’America’s Cup : la quĂȘte du progrĂšs – et peut-ĂȘtre que cette annĂ©e, le progrĂšs aura les couleurs de l’équipe suisse.

« Alinghi Red Bull Racing est nouveau dans la course, notre Ă©quipage est jeune, avec des membres qui n’ont jamais participĂ© Ă  la Coupe. Les autres Ă©quipes ont probablement pensĂ© en nous voyant, “Ces gars ont encore beaucoup Ă  apprendre”, nous confie Arrivabene. Mais vous savez ce que je pense, moi ? Nous sommes prĂȘts. »

Les Louis Vuitton Cup Challenger Selection Series commencent le 29 août.

La 37 e America’s Cup commencera le 12 octobre 2024. alinghiredbullracing.com

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DIAMANTS BRUTS

Expédition à VTT dans le Colorado

VOYAGE/ COLORADO

«  Si je freine trop tard, je bascule dans un ravin de 30 mĂštres de haut  ; si je survis, je serai rĂ©compensĂ© par une section connue sous le nom d’Hospital Hill.  »

Au terme d’une ascension abrupte et rocailleuse dans l’ouest du Colorado, le manque d’air irrite mes bronches. Mais plus que l’altitude, c’est la vue sur les blocs de Grand Junction, dans la vallĂ©e en contrebas, qui me coupe le souffle. Entre la ville et moi, un sentier appelĂ© Wineglass, descente de 1,5 kilomĂštre depuis un large triangle de roche lisse vers une section de single trail mince comme un fil. C’est l’une des premiĂšres difficultĂ©s du Ribbon Trail, un parcours de descente en VTT de 4,5 km (niveau diamant noir) qui fait partie des Lunch Loops, rĂ©seau de sentiers encerclant la ville. Guide local et photographe, Devon Balet me met en garde  : ici, on atteint vite les100 km/h et un freinage trop sec peut transformer la surface de grĂšs sous mes roues en une vĂ©ritable patinoire. Ce terrain intransigeant sera le dernier dĂ©fi de mes cinq jours d’odyssĂ©e en VTT dans le Colorado. Originaire de Londres, je suis passionnĂ© de vĂ©lo de route, de gravel et de VTT et j’ai dĂ©jĂ  pas mal de sentiers et de routes au Royaume-Uni et en Europe Ă  mon actif. Aussi pouvais-je difficilement refuser cette opportunitĂ© de dĂ©couvrir enfin le cƓur spirituel du VTT. Ces single trails en granite, ces montĂ©es et descentes alpines enneigĂ©es et ces paysages dĂ©sertiques lunaires typiques du Colorado sont un condensĂ© de tout ce que les États-Unis peuvent offrir aux amoureux du VTT. PremiĂšre Ă©tape obligĂ©e  : la commune de Fort Collins, au nord de Denver, ainsi que les sentiers Ă  l’ouest du Horsetooth Reservoir. Depuis le dĂ©part au bord de l’eau, je me laisse bercer par un faux sentiment de sĂ©curitĂ© au cours de l’ascension d’une soixantaine de minutes, un peu ardue mais assez gĂ©rable.

La section finale, trĂšs accidentĂ©e et jonchĂ©e de trous, me force Ă  pousser mon vĂ©lo. Mais la beautĂ© du paysage Ă  l’ouest des sommets du Front Range des Rocheuses attĂ©nuent la douleur. C’est dans la descente du Wathen, pente de 2 km classĂ©e diamant noir parsemĂ©e de rochers de quartz scintillants et de virages Ă©levĂ©s et ondulants que tout s’écroule, littĂ©rale-

DESCENTES AU GALOP

Charlie Allenby nĂ©gociant l’un passage technique du Horsetooth Reservoir (ci-contre) ; affrontant les piĂšges de la face nord du single trail Ramble On dans le Powderhorn Bike Park (Ă  droite).

À FLANC DE ROCHER Allenby admire la vue au dĂ©part du Ribbon Trail ; (page d’ouverture) descente extrĂȘme sur le Palisade Plunge.

ment. Je fais deux chutes coup sur coup Ă  cause des leviers de frein inversĂ©s (ce que je croyais ĂȘtre mon frein arriĂšre Ă©tait en fait mon frein avant) et des racines glissantes. J’en sors sans bobos, mais ma confiance en a pris un sacrĂ© coup. Je finis la descente Ă©troite et sinueuse en redoublant de prudence, le souffle court, le cƓur battant Ă  tout rompre.

Je finis par atteindre sain et sauf la vallĂ©e. Pas possible d’ĂȘtre raide comme un piquet pour bien nĂ©gocier les bosses et les virages d’un sentier tout-terrain. Je dois me dĂ©tendre et retrouver une certaine fluiditĂ© dans le rythme. Le reste de la journĂ©e se passe sans accroc, j’ai enfin rĂ©ussi Ă  rentrer dans un flow. AĂ©rien, impassible, j’enchaĂźne les descentes de rochers en grĂšs rouge de cette doubletrack. Les jours suivants, je traverse la ligne de partage des eaux et continue vers l’ouest Ă  travers le Colorado, rĂ©compensĂ© par une profusion de paysages magni-

UN BON BOL DE PANORAMA Allenby fait une pause pour contempler les vignobles et les vergers de Palisade.

fiques. MĂȘme s’il est difficile de se dĂ©barrasser totalement de l’apprĂ©hension Ă  l’approche de terrains inconnus, je sens ma confiance renaĂźtre.

Si le village alpin de Snowmass est moins connu que la cĂ©lĂšbre station de ski d’Aspen, ses sentiers cyclistes surpassent ceux de son illustre voisine, avec des montĂ©es raides en lacet Ă  travers des forĂȘts de peupliers aux troncs blancs, des parties sur les crĂȘtes exposĂ©es, et des descentes aussi fluides que grisantes. Sur le Deadline Trail, spĂ©cialement creusĂ© pour les vĂ©tĂ©tistes, je respire un bon coup et franchis les sauts Ă  fond la caisse, la descente quasi verticale du West Government Trail me permet enfin de surmonter cette peur des racines et des rochers que je traĂźnais depuis Fort Collins.

Je poursuis mes pĂ©rĂ©grinations le long de la riviĂšre Colorado qui descend en grondant vers l’ouest, alimentĂ©e par la neige fondue. Difficile de croire que ce torrent furieux se termine en un mince filet d’eau au Mexique. L’horizon change  : les pics pointus laissent place aux sommets plats et Ă©tendus, la vĂ©gĂ©tation verdoyante Ă  un paysage dĂ©sertique et aride. Tel un mirage, les vergers et les vignobles de

LE CLUB DU MILE HIGH

Avec une altitude moyenne de 2 074 mĂštres, le Colorado est l’État le plus Ă©levĂ© des ÉtatsUnis. Denver, la capitale du Colorado, culmine Ă  1 609 mĂštres et est surnommĂ©e Mile High City. Pour se dĂ©placer facilement, mieux vaut louer une voiture, mĂȘme s’il est Ă©galement possible de prendre des vols de correspondance depuis l’aĂ©roport international de Denver vers des aĂ©roports situĂ©s non loin de Fort Collins, Snowmass Village et Grand Junction. colorado.com

Palisade apparaissent Ă  l’horizon, mais toute mon attention est fixĂ©e sur le sommet au sud de la modeste bourgade. Culminant Ă  3  454 mĂštres au niveau du Crater Peak, son point le plus Ă©levĂ©, et avec une superficie totale lĂ©gĂšrement infĂ©rieure Ă  celle des Brecon Beacons au pays de Galles, la Grand Mesa est la plus haute montagne Ă  sommet plat au monde. Elle abrite Ă©galement le Powderhorn Bike Park, station accessible en remontĂ©e mĂ©canique avec six sentiers de descente dont l’impressionnante Palisade Plunge, longue de 51 km et rĂ©servĂ©e aux experts.

J’en teste les derniers 2,5 km trĂšs techniques sous une chaleur Ă©crasante. C’est la premiĂšre fois que je roule sur du grĂšs et ça n’est pas une mince affaire. Austin Roberts, mon guide, qui travaille Ă  Palisade Cycle & Shuttle, me recommande de garder la roue avant en mouvement. Il m’indique la meilleure ligne Ă  suivre sur une bande de roche fissurĂ©e de 4 mĂštres de haut et la maniĂšre d’éviter une dalle en surplomb sur une terrible section de roche sĂ©dimentaire tortueuse. À chaque nouveau dĂ©fi surmontĂ©, je sens une grosse montĂ©e d’adrĂ©naline et mes chutes Ă  Fort Collins se conjuguent peu Ă  peu au passĂ©.

Pourtant, le dernier jour, alors que je m’apprĂȘte Ă  m’élancer du sommet du Wineglass de Grand Junction, je n’en mĂšne pas large. Si je freine trop tard, je bascule dans un ravin de 30 mĂštres de haut  ; si je survis Ă  cette descente sur l’immense dalle rocheuse, je serai rĂ©compensĂ© par une section connue sous le nom d’Hospital Hill. Peu pressĂ© de me retrouver aux urgences, je dĂ©cide de parcourir ce secteur Ă  pied.

Les mains agrippĂ©es au guidon, les doigts effleurant les freins, je laisse la gravitĂ© prendre les rĂȘnes. La surface lunaire crevassĂ©e tente de me dĂ©sarçonner, je dois faire appel Ă  tout ce que j’ai appris dans le Colorado. Épaules dĂ©tendues, genoux flĂ©chis, je laisse le vĂ©lo bringuebaler sous moi, la suspension absorbe le pire des chocs. Je n’ose regarder la vitesse sur mon GPS, mais Ă  en juger par la force du vent qui me fouette le visage, je file comme une fusĂ©e. À mesure que le sentier se rĂ©trĂ©cit, je freine lĂ©gĂšrement pour Ă©viter un arrĂȘt trop brutal.

Lors des derniers mĂštres du Ribbon Trail, je suis parcouru par un frisson de plaisir. En surmontant les obstacles posĂ©s sur ma route par le Colorado, j’ai dĂ» sortir de ma zone de confort et suis convaincu que je pourrais utiliser cette expĂ©rience et la mĂ©moire musculaire acquise ici pour affronter n’importe quel sentier.

IG  : @charlie.allenby

LE RAP GAME.

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SURF/ SWELL INTÉRIEUR

Envie de surfer mais vous habitez trop loin de l’ocĂ©an  ?

Alors laissez vous tenter par les vagues indoor. Focus sur le City Surf Park, proche de Lyon.

Quand Aymeric DĂ©sert, 34 ans – dont vingt de take-off sur la cĂŽte Altantique –a crĂ©Ă© la premiĂšre vague (et le plus grand surf-park d’Europe) en 2020, c’était avant tout pour partager une passion et la rendre accessible. «  Le surf est le sport le plus dur qui soit, d’autant que tout le monde n’habite pas prĂšs du littoral pour s’y entraĂźner, bref, il faut des annĂ©es avant de pouvoir s’éclater. Je me suis dit que la solution pourrait ĂȘtre une vague en bas de chez soi.  » Aymeric donne cinq raisons de succomber au swell intra-muros.

1. C’est toute l’annĂ©e

«  Pour 95  % des gens, le surf est une chimĂšre. Trop loin, trop dur, trop cher. L’idĂ©e de cette vague, c’est garantir des bonnes sensations de glisse en toutes saisons, Ă  un public qui a envie de se mettre au surf mais habite dans des

BIEN SE METTRE DANS LE BAIN INDOOR

LES 3 TIPS DE YOAN, WAVEMAN

CHEZ CITY SURF PARK

1. Ne vous laissez pas impressionner par le bruit, par les chutes, il n’y a aucun danger  : plus on se dĂ©contracte sur la vague, plus les premiers passages seront fluides. On est lĂ  pour vous donner des conseils et on analyse leur application en temps rĂ©el, ce qui permet de gagner du temps d’apprentissage.

2. CĂŽtĂ© dĂ©butants, le b.a.-ba de la technique pour garder l’équilibre sur le board est assez basique  : il ne faut pas hĂ©siter Ă  jouer avec le haut du corps en pensant Ă  verrouiller le bassin, les jambes flĂ©chies, le pied arriĂšre bien en appui sur la planche pour ne pas planter l’avant, et avoir le regard droit devant.

3. MĂȘme si on a l’habitude de surfer dans l’ocĂ©an, ne pas avoir peur de repartir de zĂ©ro  : le sport a beau ĂȘtre le mĂȘme, la pratique est diffĂ©rente. Il y a une phase de transition, sachant que sur notre vague, Ă  la diffĂ©rence de la glisse en extĂ©rieur, on passe beaucoup plus du pied avant au pied arriĂšre.

grandes mĂ©tropoles, Ă  plusieurs heures de route de la mer ou de l’ocĂ©an. En trois ans, on a organisĂ© 60  000 sessions de surf et 90  % de notre clientĂšle vient pour la dĂ©couverte.  »

2. On progresse trĂšs vite

«  Notre technologie de vague statique en eau profonde permet de crĂ©er une vague Ă  taille modulable de 80 Ă  150 cm sur une longueur de 10 m, soit un flux d’eau instantanĂ© en fonction du niveau du pratiquant. Sur une heure de session, on a 40 min de coaching, avec des wavemen ou women qui enseignent les gestes, mais aussi les valeurs du surf. C’est le seul outil qui permet de travailler sans fin une figure. Ce n’est pas un manĂšge. On essaie de tirer notre sport vers le haut.  »

3. Pas de danger

«  Sous le pied de la vague, il y aura toujours minimum 40 cm d’eau, impossible de toucher le fond en tombant. On n’a jamais eu d’accident, de crĂąne ouvert, d’ailerons qui finissent dans la cuisse, etc. Pas de collisions non plus. Il n’y a pas de localisme en indoor, pas d’agressivitĂ© au line-up, la session est collective, mais on passe Ă  tour de rĂŽle, aucun risque de se faire griller la priorité  !  »

4. Écolo et Ă©conomique

«  Notre technologie est trĂšs peu consommatrice d’eau. On a 450 mÂł d’eau en cycle fermĂ©, soit l’équivalent de la conso de treize mĂ©nages français. On est sur du 300 kilowatts, l’équivalent du moteur de la derniĂšre Tesla Ă©lectrique. Et l’eau est chauffĂ©e Ă  28 degrĂ©s toute l’annĂ©e par un systĂšme de rĂ©cupĂ©ration thermique. D’autre part, un surf trip n’est jamais neutre en termes d’empreinte carbone et pas toujours trĂšs rentable question qualitĂ©-prix, surtout si les conditions ne sont pas au rendez-vous. Chez nous, Ă  partir de 49 euros, matĂ©riel inclus, on a 5 Ă  6 min de ride rĂ©el sur la vague  : c’est Ă©norme comparĂ© au temps passĂ© sur une session de glisse sur l’ocĂ©an, entre la barre Ă  passer, la vague Ă  lire, etc.  »

5. On socialise

«  On se revendique spot de surf, lieu de vie. Tout le monde se parle, et sur la vague, le fait d’ĂȘtre en indoor favorise clairement le relationnel, les Ă©changes de conseils. On peut aussi s’inspirer en regardant les 10  % de forts riders qui viennent s’entrainer chez nous. À la sortie, tout le monde a le smile  !  »

City Surf Park, 2 av. Simone Veil, 69150 DĂ©cines-Charpieu  ; city-surf-park.com

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Date de parution 13 juin 2024

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3,6 kilomùtres à pied


Le type au bob, Jaan Roose, a tentĂ© de rĂ©aliser ce que personne n’avait jamais fait auparavant : traverser le dĂ©troit de Messine, situĂ© entre l’üle de la Sicile et l’Italie, sur une slackline d’une Ă©paisseur de 1,9 cm. Pour rĂ©aliser cet exploit, l’Estonien de 32 ans a dĂ» parcourir plus de 3  600 m. Il a dĂ©passĂ© le record de la plus longue marche sur une slackline (2  710 m), mais n’a pas rĂ©ussi Ă  homologuer un nouveau record du monde, puisqu’il est tombĂ© Ă  quelques mĂštres de la ligne d’arrivĂ©e. «  Je me sens “jaantastic”, je suis super content, un peu fatiguĂ© et Ă  bout mentalement  », a-t-il dĂ©clarĂ© Ă  l’arrivĂ©e.

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