LâĂPOPĂE DE RED BULL RACING
20 ANS DâAUDACE, DE RISQUE ET DE PERFORMANCE
PAR MAX, VETTEL, HORNER & CO + LE FUTUR DE LA F1
Konstantin Reyer
Le photographe autrichien, spĂ©cialisĂ© dans les sports dâaction, dit du BoatOne dâAlinghi Red Bull Racing que son accĂ©lĂ©ration « le rend difficile Ă photographier sur une mer bleue agitĂ©e ». P. 78
Chloé Sarraméa
Journaliste, réalisatrice et radio host spécialisée musique, elle a été profondément marquée par Zinée.
NĂ©e Ă Toulouse et fiĂšre dây ĂȘtre restĂ©e, lâĂ©toile montante du rap lâa Ă©mue avec sa candeur, sa gĂ©nĂ©rositĂ© et sa fragilitĂ©. P. 22
Tim Kent
BasĂ© Ă Londres, ce photographe (sociĂ©tĂ©, luxe, culture, auto) a shootĂ© les archives Red Bull Racing. « Travailler avec lâĂ©quipe de course Red Bull mâa donnĂ© un aperçu fascinant des dĂ©tails et de la prĂ©cision qui rĂšgnent en coulisses dâun tel phĂ©nomĂšne. » P. 48
Si la F1 a bĂ©nĂ©ficiĂ© dâune grosse hype ces derniĂšres annĂ©es, câest en partie grĂące Ă lâĂ©curie
Red Bull Racing. Au cĆur de ce numĂ©ro un peu spĂ©cial, nous revenons sur ses origines, ses pilotes stars (qui sâexpriment au fil de nos pages â Max inclus), nous intĂ©ressons au leader de cette structure, Christian Horner, et vous montrons de lâhistorique : les voitures, piĂšces et accessoires qui ont contribuĂ© au succĂšs dâune Ă©quipe qui fĂȘte ses vingt ans cette annĂ©e. Aussi, nous accueillons un pilote français de F2 qui voit loin, Isack Hadjar, et montons mĂȘme Ă bord du BoatOne dâAlinghi Red Bull Racing, engagĂ© sur la fameuse Americaâs Cup. Un bateauâ? JusquâoĂč iront-ilsâ? Vous voici en pole position. Bonne lectureâ!
Hamda Al Qubaisi et dâautres Ă ses cĂŽtĂ©s bĂątissent le sport automobile de demain.
Inspiration
Justine Dupont 20
Surfeuse
Zinée 22
Rappeuse
Red Bull Racing lâa projetĂ© dans lâĂąge adulte.
IcĂŽne
Du Verstappen comme on lâaime. 100ââââ% cash et exclu.
La F1 peut compter sur les femmes. Il est temps. Ce programme les soutient.
Portrait
Objectif en tĂȘte et parler vrai, Isack passe Ă table.
Direction
Red Bull Racing et Alinghi Ćuvrent pour Ă©lever le niveau dâexcellence sur les flots. Pilotes
Red Bull Racing est indissociable de Christian Horner. DĂ©couvrez lâhomme derriĂšre le mythe Americaâs Cup
Archives
Au plus prĂšs des voitures et du matos dâexception.
89 Voyage : Colorado
94 Indoor surf
97 Mentions légales
98 Finir en beauté
Tower Bridge, Angleterre (Se) faire le pont
«ââTu te dĂ©places tel un oiseau, essayant de ressentir le vent.ââ» Ce vol en wingsuit inĂ©dit des Autrichiens Marco FĂŒrst et Marco Waltenspiel Ă travers le Tower Bridge de Londres a fait les gros titres dans le monde entier. Deux ans et demi de prĂ©paration, pour 45 secondes de vol, le 12 mai 2024. Lâobjectifââ: Ă©voluer au sein du pĂ©rimĂštre dâune fenĂȘtre de 65 mââĂââ32 m entre les tours emblĂ©matiques du pont, les passerelles et les bascules. Pour cĂ©lĂ©brer lâaccomplissement de cette mission, les deux parachutistes, amis depuis 2007, se sont fait faire un tatouage en communââ: «ââTBââ» pour Tower Bridge, avec la date du saut. redbull.com
Milos, GrĂšce Capture
«ââPour moi, la photo, câest le pouvoir dâune image qui dit toute lâhistoire, philosophe le Grec Alex Grymanis. Comme je pratique le snow et le skate depuis lâenfance, je suis entourĂ© de mouvement, dâaction. Jâai voulu capturer lâessence de ces moments avec mon appareil.ââ» Câest chose faite avec ce clichĂ© immortalisant son compatriote wakeboardeur Nikolas Plytas. IG : @alexgrymanis
Berlin,
Allemagne En enfance
Elias Giselbrecht (Autriche) a produit ce clichĂ© aprĂšs un long trajet en bus de treize heures. Il voulait shooter face Ă cet Ă©difice du Parlement Ă Berlin depuis quâil sâest mis au parkour, gamin, et lâoccasion sâest prĂ©sentĂ©e alors quâil suivait le coach et athlĂšte Heinzl Revo. Elias expliqueââ: «ââJâai passĂ© ces derniĂšres annĂ©es Ă sillonner le monde Ă la recherche dâendroits uniques pour prĂ©senter ce sport quâest le parkour Ă travers mes yeux.ââ» Son rĂȘve dâenfance est rĂ©alisĂ©. IG : @brichti_revo
Trikala, GrĂšce
Renversant
Cette sĂ©quence montre la premiĂšre boucle complĂšte rĂ©alisĂ©e sur un pipe de 7,5 m de haut par un athlĂšte de BMX. Le rider grec George Ntavoutian a en effet menĂ©, en avril dernier, son ambitieux projet FullPipe, qui sâest rĂ©vĂ©lĂ© ĂȘtre un test de tĂ©nacitĂ© autant quâune dĂ©monstration de compĂ©tence. Le premier jour, une prise dâĂ©lan Ă partir dâune rampe trop courte a eu pour consĂ©quence de lâimmobiliser sur un matelas gonflable de sĂ©curitĂ©, terrassĂ© par la douleur. Mais dĂšs le lendemain, de nouveaux complĂ©ments â de bois (pour la rampe) et dâacier (la dĂ©termination de George) â ont permis Ă ce jeune homme de 25 ans de tout dĂ©chirer. Respect. IG : @georgentavou ; redbull.com
Pharrell Williams
You Can Do it Too (2006)
«ââGros fan de Pharrell. Je tenais un skyblog, style compte fan, sur lui. Je crois avoir sĂ©chĂ© les cours le jour de la sortie de lâalbum In My Mind pour aller lâacheter. Jâai tout de suite adorĂ© ce track⊠Entendre â You can do it too young loveâ, de la part de ton artiste prĂ©fĂ©rĂ© lorsque tu as 13 ans, ça motive. Comme si tu pouvais tout faire.ââ»
Dom Kennedy
Watermelon Sundae (feat. Jason Madison) (2008)
«ââCe titre est sorti lâĂ©tĂ© oĂč jâai rencontrĂ© Myth Syzer, on nâarrĂȘtait pas dâĂ©couter ce son. Câest vraiment mon morceau ultime de lâĂ©tĂ©, câest un hymne aux histoires dâamour. Avec les thĂšmes quâil aborde, son flow, ses choix de prod. Dom Kennedy aurait pu faire partie du crew Bon Gamin.ââ»
Loveni
Essence
Le rappeur de Paris Est revient sur sa sĂ©lection spĂ©ciale Bon Gamin, qui nous rappelle que lâADN mĂȘme de son crew peut rĂ©sider en chacun e de nous.
Loveni, câest une technique indĂ©niable au flow intermittent et trĂ©pidant, lâincarnation vivante dâune nonchalance pourtant dynamique, qui a ce pouvoir de nous faire bouger Ă toute heure de la journĂ©e. DâaprĂšs lui, lâessence dâun Bon Gamin, aussi abstraite que concrĂšte, relĂšve de lâauthenticitĂ©, pour mieux sâinscrire dans sa vĂ©ritĂ©, comme il sâĂ©vertue Ă le faire avec ses amis Ichon et Myth Syzerââ: «ââOn se moque des diktats du moment ou de rĂ©pondre Ă certains codes que le rap peut parfois imposer.ââ» Il ne sâagit pas dâĂȘtre anti-rap et anti-codes, mais dâaffirmer sa singularitĂ©, qui, dans son cas, a Ă©tĂ© inspirĂ©e par la musique afro-amĂ©ricaine, et notamment le rap du Sud des USA avec la Three 6 Mafia. Comme son nom lâindique, Loveni nâest pas «ââun rappeur de lâindustrieââ», mais un «ââartisanââ». Il nous propose ici quatre tracks qui reflĂštent la nature dâun Bon Gamin. IGââ: @doublexlov
Ăcouter le dernier album de Loveni, MAD LOV, 2024, Bon Gamin Entertainment.
Kanye West
Slow Jamz (Twista & Jamie Foxx) (2004)
«ââIl est sur The College Dropout, un des premiers albums que jâai vraiment saignĂ©s. Je mâidentifiais Ă Kanye West, Ă son image hors normes et au titre du LP â quitter lâĂ©cole, pour aller au bout de sa passion. Sans parler de la prod, avec plein de rĂ©fs Ă Marvin Gaye et de slow jams 70âs et 80âs.ââ»
Plastic Bertrand
Stop ou encore (1980)
«ââStop ou encore est hyper Bon Gamin, ça parle du passage Ă lâĂąge adulte. Il y a un gimmick qui revientââ: âJâai 15 ans, quâest-ce que jâfaisâ?â (x3), et aprĂšs câest 20 ans, puis 30, avec cette phrase qui revientââ: âJe mâarrĂȘte ou je continueâ, de flĂąner et boire des coups. Câest un titre funk boogie, on a lâimpression quâil rappe.ââ»
Des sentiers qui serpentent Ă travers la nature. Des sommets qui touchent le ciel. Les rayons du soleil qui suscitent des envies dâaventure et des villes uniques que vous nâoublierez jamais. Pour en savoir plus sur le Colorado, rendez-vous sur Colorado.com
Assise extrĂȘme
LâathlĂšte immobile
De lâAntarctique aux dĂ©serts chauds, Robby Silk reconnecte avec la nature grĂące au sport Ă lâendurance la plus lente au monde.
LâĂźle de Cuverville a longtemps Ă©tĂ© une escale prisĂ©e par les bateaux de croisiĂšre, notamment en raison des colonies de manchots papous qui y sont Ă©tablies. Bien peu de personnes, cependant, ont envisagĂ© de passer lâintĂ©gralitĂ© de leur sĂ©jour sur lâĂźlot rocheux sans bouger, en position assise. Ă lâinstar de Robby Silk. Lorsquâil arrive lĂ -bas en fĂ©vrier 2022, lâĂ©crivain-voyageur de 51 ans, originaire de Floride, a sorti sa chaise pliante et sâinstalle pour quatre heures. Il accueille tout ââ: les papous curieux, la vue, le vent glacial⊠Silk est un pionnier de ce quâil appelle «ââlâassise extrĂȘmeââ». Câest vingt ans plus tĂŽt que lâidĂ©e lui est venue, aprĂšs avoir
lu un roman dans lequel un bĂ©douin fixe le dĂ©sert, «ââen attendantââ». «ââĂa mâa bouleversĂ©, dit-il. Notre Ă©tat naturel nâest pas dâĂȘtre liĂ© Ă des appareils Ă©lectroniques. Pour moi, il sâagit dâentrer en rĂ©sonance avec le cycle du soleil.ââ»
Pour sa toute premiĂšre tentative dâassise extrĂȘme, lâAmĂ©ricain jette son dĂ©volu sur le parc national de Joshua Tree, en Californie, le 21 juin 2020 â jour du solstice dâĂ©tĂ©, pour accentuer le cĂŽtĂ© extrĂȘme de lâaction. AprĂšs coup, il rĂ©alise quâil nâa pas accordĂ© assez dâattention au choix de lâendroit ni Ă sa prĂ©paration. Il dĂ©veloppe alors des rĂšgles pour ses expĂ©riences futuresââ: «ââPas de smartphone. Pas de textos.
Roi des gens qui ne sâennuient jamais : (de haut en bas) Silk sur lâĂźle de Cuverville, en fĂ©vrier 2022 ; pause mĂ©ditative dans le canyon de Palo Duro, au Texas.
Aucune connexion internet. Pas de chaise au dossier inclinable.ââ» Et, crucialââ: «ââOn a le droit de se lever et de sâĂ©tirer. Et de bouger pour les pauses techniques. Mais lâathlĂšte doit rester proche de sa chaise en toutes circonstances.ââ»
Quatre ans plus tard, Silk utilise toujours la mĂȘme chaise et fait des repĂ©rages, du canyon de Palo Duro (Texas) Ă Doha (Qatar) Ă la recherche de lâangle Ă 360ââ° parfait pour sâasseoir et se laisser absorber par le paysage, du lever au coucher du soleil. «ââCâest une discipline mentale. Ăa peut durer quinze heures par jour. Il faut rester assis, mĂȘme sous la pluie ou la chaleur. Il y a quelque chose de trĂšs primitif lĂ -dedans.ââ»
La patience est parfois rĂ©compensĂ©e. Au milieu des prairies vierges et sauvages du Nebraska, au crĂ©puscule, en octobre 2023, Silk est rejoint par une douzaine de bovins curieux. Une barriĂšre les empĂȘche dâapprocher trop prĂšs de lui, mais par la suite, lâathlĂšte raconteââ: «ââCe fut une belle expĂ©rience que je nâaurais jamais pu vivre si je nâĂ©tais pas restĂ© assis lĂ .ââ» Silk trouve du sens dans ces interactions avec la natureââ: «ââCâest un sentiment dâaccomplissement.ââ»
Quant Ă la dimension sportive de lâassise extrĂȘme, Silk dĂ©veloppeââ: «ââUne fois quâon a dĂ©terminĂ© en quoi le fait de sâasseoir peut ĂȘtre un dĂ©fi, on peut ajouter un Ă©lĂ©ment compĂ©titif. Par exemple [pendant la derniĂšre performance]ââ: quelle a Ă©tĂ© la tempĂ©rature maxââ? Y avait-il vraiment tant dâinsectes que çaââ?ââ» Dans cette optique, si lâathlĂšte trouve un moyen de gĂ©rer les moustiques, les Everglades, en Floride, pourraient constituer sa prochaine destination. «ââQuand on dĂ©bute, il nâest pas nĂ©cessaire de chercher lâextrĂȘme tout de suite, soulignet-il. Trouvez dĂ©jĂ un endroit qui vous plaĂźt. Allez-y une heure ou deux, avec lâintention de dĂ©connecter, avec un peu de discipline, et observez attentivement ce qui vous entoure.ââ» extremesitting.org
Hall Haus
Design social & réconciliation
DĂ©jĂ quatre ans que le collectif Hall Haus bouscule les codes du design industriel et du mobilier, les (re)destinant Ă tous et toutes, avec une ambition sociale.
Studio de design basĂ© Ă Paris et fondĂ© en septembre 2020 par Abdoulaye Niang, Sammy Bernoussi, Teddy Sanches et Zakari Boukhari, le collectif Hall Haus embrasse les cultures urbaines et les arts dĂ©coratifs Ă travers son engagement et son goĂ»t de la matiĂšre. Ses trois premiers membres sont diplĂŽmĂ©s de lâENSCI avec une spĂ©cialisation en design industriel, tandis que Zakari est titulaire dâun diplĂŽme de GĂ©nie des procĂ©dĂ©s Ă©nergĂ©tiques de lâĂcole des arts et mĂ©tiers. Ensemble, les membres de Hall Haus dĂ©noncent, par la fusion de leurs cultures populaires avec le design et lâinfluence du style architectural de lâĂ©cole du Bauhaus, un certain mĂ©pris de notre sociĂ©tĂ© dans lâamĂ©nagement du territoire.
Tout a commencĂ© en 2020, Ă Lafayette Anticipations (fondation du Groupe Galeries Lafayette fĂ©dĂ©rant «ââles actions de soutien Ă la crĂ©ation contemporaineââ») avec le programme Ă lâĆuvre, qui leur a permis de remporter une bourse et une rĂ©sidence artistique pour exposer leurs Ćuvres, grĂące Ă la crĂ©ation du fauteuil Curry Mango, directement inspirĂ© de lâassise Quechua â objet phare des quartiers populaires et des aficionados du camping et des barbecues, et de la chaise Wassily, rendant quant Ă elle hommage Ă Marcel Breuer. La chaise en question permettra Ă Hall Haus dâĂȘtre finaliste du concours de design de la Villa Noailles 2022, dans la catĂ©gorie Design objet.
Lâessence mĂȘme de la dĂ©marche du quatuor se retrouve dans la crĂ©ation Wassily, qui se rĂ©vĂšle une vĂ©ritable porte dâentrĂ©e vers des collaborations prestigieuses comme avec Nike en 2022, pour qui Hall Haus a animĂ© un workshop Ă lâoccasion des cinquante ans de la marque. Et puis, il y a eu lâexposition Hall Hausââ: Pour Ceux, situĂ©e dans lâancien magasin emblĂ©matique Tati Ă BarbĂšs-Rochechouart, dont le titre fait Ă©cho au morceau de Mafia Kâ1 Fry.
Le 23 mai 2023, le collectif publie sur sa page Instagram une photo de leur banc en acier intitulĂ© Pour Ceux Bench, avec comme lĂ©gendeââ: «ââĂ la classe ouvriĂšre, les darons Ă©boueurs. Les daronnes qui taffent dans les travaux sanitaires, dans la douleur.ââ» Rohff dans le son Pour ceux (Mafia Kâ1 Fry, 2003). Avant dâajouterââ: «ââVous lâavez sans doute remarquĂ©, câest devenu une galĂšre de sâasseoir confortablement dans la rue. Lorsquâils ne sont pas remplacĂ©s par des modules inclinĂ©s ou par des structures qui permettent dâĂȘtre assis-debout, les bancs sont segmentĂ©s par des barres qui empĂȘchent de sâallonger. Ces obstacles sont
appelĂ©s des dispositifs antiSDF. Lâobjectif est de dissuader les personnes sans-abri de sâinstaller dans lâespace public et de les invisibiliser de nos villes. Cette conception malveillante Ă©carte du mĂȘme coup toutes les populationsââ; les personnes ĂągĂ©es, les femmes enceintes, plus personne ne peut se poser dans lâespace public. Nous, on est attachĂ©s Ă une autre philosophie et câest un autre message quâon veut faire passerââ! On a imaginĂ© le banc pour celles et ceux qui poncent les rues, pour nos daron·ne·s, pour les enfants et travailleur·euse·s Ă la sortie de lâĂ©cole et du travail. Avec une assise large et sans obstacles, ce banc est
destinĂ© au confort de tous. En fait, câest notre banc idĂ©al pour le Paris de demainââ!ââ»
Avec Hall Haus, tout est pensĂ© dans les moindres dĂ©tailsââ: objets, matiĂšres, techniques et reprĂ©sentations dans le but dâintĂ©grer au mieux une certaine dimension sociale et dâinsuffler leurs visions du monde, qui se veulent plus inclusives.
PortĂ©s par leur savoir-faire maĂźtrisĂ© et leur ambition inĂ©galĂ©e, les quatre membres du collectif, Abdoulaye Niang, Sammy Bernoussi, Teddy Sanches et Zakari Boukhari sont mĂȘme consacrĂ©s par lâas du mobilier accessible Ă tous, IKEA, en juin 2023. Le gĂ©ant suĂ©dois les a en effet contactĂ©s dans le cadre du programme Pour un mode de vie sain et durable, en vue de «ââpousser Ă travers lâaccessibilitĂ© et le vivre-ensemble [leur] vision du mode de vie durable, la proximitĂ© avec la nature, la communautĂ© ou encore les initiatives locales, ainsi que le partage et la transmission des savoir-faire et des connaissancesââ».
ans avant
Ă propos dâinitiatives locales, on ne peut que mentionner la collaboration avec JAHJAH Studio, la mĂȘme annĂ©e, Keep the sun in your haus, autour dâobjets domestiques et de lâart de la table. Assiettes en porcelaine de Limoges, casiers ou encore chaises en acier polyzinc⊠Tout est fabriquĂ© en France.
Depuis, les crĂ©ations de Hall Haus ont Ă©normĂ©ment voyagĂ©. Ă lâoccasion de la Milan Design Week 2024, le collectif a exposĂ© trois de ses crĂ©ations phares : le canapĂ© modulable Haus Dari, le fauteuil Curry Mango, et la chaise DKR â par ailleurs rĂ©compensĂ©e lors de la French Design 2024. Les Ćuvres ont ensuite sĂ©journĂ© aux Archives nationales de Pierrefite-Sur-Seine (93) puis ont Ă©tĂ© exposĂ©es Ă la Galerie Paradis, avant de devenir partie prenante des installations de la fondation de Lafayette Anticipations. IGââ: @hall.haus ; hall.haus
La mélodie des champis
Play that fungi music
Les noms de Reishi et King Oyster ne font pas tache dans le line-up dâun plan clubbing. JusquâĂ ce quâon rĂ©alise que ce sont en fait des espĂšces de champignons et quâon sâapprĂȘte Ă les entendre « jouer ».
Câest un vendredi soir, au centre dâarts EartH (Evolutionary Arts Hackney), Ă Londres, que Brian dâSouza rĂ©alise que les champignons ne font pas des partenaires de scĂšne infaillibles. «ââJâen avais pris une poignĂ©e pour faire des essais la veille, et le rĂ©sultat Ă©tait gĂ©nial, relate le producteur et DJ nĂ© Ă Glasgow, aka Auntie Flo. Le show avait Ă©tĂ© assurĂ© devant 600 personnes ce soir-lĂ . Mais le jour J, jâai senti quâils donnaient de moins en moins. La raison, câest quâils Ă©taient en
train de se dĂ©composer. Jâai appelĂ© mon concert âLa complainte des champignonsâ.ââ»
La scĂšneâ sâinscrit dans sa rĂ©cente aventure expĂ©rimentale visant Ă faire de la musique en utilisant la sonification des biodonnĂ©es â une pratique qui consiste Ă traduire les signaux Ă©lectriques Ă©mis par les vĂ©gĂ©taux en sons audibles par lâoreille humaine, que dâSouza compare Ă une «ââmise sur Ă©couteââ» de la nature. Son EP, Mycorrhizal Fungi, aussi le premier de son
Le mycĂ©lium : (de haut en bas) le matos ; le concert ; notre Ăcossais et ses « artistes ».
label, A State Of Flo, prĂ©sente des titres issus de quatre espĂšcesââ: pleurote, reishi, champi criniĂšre de lion et shiitakĂ©.
Ă EartH, il joue avec des reishi et des pleurotes, traitant leurs signaux via un synthĂ©tiseur modulaire fabriquĂ© par ses soins, conçu pour extraire les sons du mycĂ©lium, le rĂ©seau souterrain de filaments qui relie les champignons entre eux. «ââCâest cette polyphonie que je souhaite transposer musicalement. Une multitude de choses se passent simultanĂ©mentââ: elles interagissent, se repoussent ou sâharmonisent.ââ»
Au fait, ça ressemble Ă quoi, le cri du champiââ? «ââCâest trĂšs alĂ©atoire et trĂšs variable, explique dâSouza. Je trouve quâils ont quelque chose dâextraterrestre.ââ»
DâSouza, motivĂ© par sa passion pour lâenregistrement de sons sur le terrain, commence par sonifier des biodonnĂ©es obtenues par la capture de signaux Ă©lectriques de diverses essences de plantes. Ce sont ses projets pour le RHS Chelsea Flower Show et le festival de Glastonbury qui lâamĂšnent, lâan dernier, Ă concentrer ses recherches sur les champignons. Il enregistre des donnĂ©es via PlantWave, qui mesure les changements biologiques dans les vĂ©gĂ©taux et les traduit en hauteurs de vibrations, pour ensuite les lire sur un synthĂ©tiseur MIDI, lequel attribue un son particulier Ă chaque signal Ă©lectrique produit par un champi.
«ââCes minuscules variations de tension sont autant dâindicateurs de vie et du processus biologique en cours, dĂ©clare dâSouza. Je suis comme un conduit. Jâallais dire conducteur, au sens de chef dâorchestre, mais non. Je me contente de rĂ©cupĂ©rer les signaux purs et dâessayer de prendre les meilleures dĂ©cisions pour perfectionner lâesthĂ©tique sonore, sans chercher Ă intervenir sur la composition. Ce sont les champignons qui jouent les notesââ!ââ» Ăcoutez Mycorrhizal Fungi sur astateofflo.bandcamp.com
Encore des objectifs
La surfeuse de gros iconique
Justine Dupont Ă©voque le plus puissant moteur que nous ayons Ă disposition, et la maniĂšre dâen tirer le maximum afin de se dĂ©passer.
Texte : Alex Lisetz
the red bulletin : Justine, aux Big Wave Challenge 2023, tu as reçu le titre de surfeuse de lâannĂ©e, du meilleur ride de lâannĂ©e, et tu dĂ©tiens le record du monde fĂ©minin de la plus grosse vague⊠Serais-tu la femme la plus tĂ©mĂ©raire de la planĂšte (et de lâocĂ©an) ? justine dupont : Je ne pense pas, je mâentraĂźne dur pour pouvoir surfer ces vagues. Je prends Ă©normĂ©ment de plaisir Ă le faire mĂȘme sâil mâarrive de temps en temps dâavoir des apprĂ©hensions, comme toute personne. Je cherche Ă exploiter le maximum de mes capacitĂ©s.
Comme en janvier dernier, en Californie, Ă Cortes Bank, oĂč tu as maĂźtrisĂ© une vague de 22 mĂštres de haut ? Ăa reste Ă ce jour le meilleur surf trip de ma vie. Tout Ă©tait parfait : le crew, la mĂ©tĂ©o, lâaventure, les vagues⊠Jâai eu lâhonneur de faire Ă©quipe avec Lucas Chumbo, le leader de la discipline. Fred, mon conjoint, faisait la sĂ©curitĂ©. CâĂ©tait le scĂ©nario idĂ©al, je ne pouvais pas rĂȘver mieux.
Comment fais-tu fi de ta peur ?
Je ne lâignore pas, je lâutilise. Elle mâaide Ă me concentrer pleinement sur le moment. Je suis attentive Ă tout ce qui se passe dans lâeau. Ăa mâaide Ă ĂȘtre connectĂ©e Ă lâinstant. Je ressens lâeau salĂ©e dans ma bouche, je regarde, jâĂ©coute. Mes sens sont alors Ă©veillĂ©s et je suis prĂȘte Ă surfer et Ă mâadapter Ă tout ce qui peut se prĂ©senter.
Photo : Rick Guest
Un jour, tu as dit que le surf, câest une question dâĂ©quilibre entre la prise de contrĂŽle et le lĂącher-prise du jeu⊠Jâessaye de maĂźtriser tout ce que je peux. Dâabord, il y a la prĂ©paration. Je mâentraĂźne deux fois par jour : une fois en salle, et une fois dans lâeau. Je travaille pour avoir le meilleur Ă©quipement possible. Avec lâĂ©quipe, on fait tout pour mettre en place le meilleur systĂšme de sĂ©curitĂ© possible. On se remet beaucoup en question. JâĂ©tudie mĂ©ticuleusement les conditions mĂ©tĂ©o de chaque spot. Je fais tout ça pour pouvoir, une fois sur la planche, fonctionner de maniĂšre purement intuitive. Câest le moment dâĂȘtre uniquement dans lâinstant, de lĂącher prise et de devenir animal.
En janvier de cette annĂ©e, tu as mis ton fils, Elio, au monde. Câest la plus grande perte de contrĂŽle qui soit, non ? Il faut accepter que plus rien ne se passe comme on lâavait prĂ©vu. Elio mâapprend chaque jour Ă prendre les choses comme elles viennent.
Et toi, quâaimerais-tu lui transmettre ? Jâaimerais lui donner lâenvie dâexplorer le monde et la vie le sourire aux lĂšvres et lâesprit ouvert. Nous allons essayer de lui faire vivre plein dâexpĂ©riences diffĂ©rentes et profiter de chaque instant avec lui.
Ton compagnon, Fred, est aussi ton coĂ©quipier, ton sauveteur⊠Câest lui qui te tracte dans les vagues. DerniĂšrement, Fred sâoccupe plus de ma sĂ©curitĂ© dans lâeau et dâautres surfeurs me tractent lors des gros jours. Câest un super Ă©quilibre que lâon a trouvĂ©. Ă NazarĂ©, je surfe principalement avec Lucas Chumbo et Ăric RebiĂšre sur les grosses sessions et Fred est toujours Ă lâeau pour veiller sur moi. Jâai confiance en eux. Quand je vais
sur un spot que je connais moins, je prĂ©fĂšre faire Ă©quipe avec un surfeur local qui, lui, connaĂźt toutes les ficelles de lâendroit.
Jâaimerais revenir sur le sujet de la peur. La plupart dâentre nous lâassocient Ă un sentiment dĂ©sagrĂ©able quâon essaie de minimiser. Comment se fait-il que tu la ressentes diffĂ©remment ?
Je vois la peur comme mon alliĂ©e. Il faut la doser. Un petit peu de peur mâaide Ă ĂȘtre alerte, focus. Câest dans ces moments que je performe. Si je ne ressens pas la peur, je suis moins attentive. Peut-ĂȘtre mĂȘme trop sĂ»re de moi. Ăa peut devenir dangereux. Enfin, si la peur est trop prĂ©sente, câest un signal dâalarme. Câest le moment de se poser les bonnes questions. Câest aussi le moment oĂč il faut ĂȘtre assez conscient et surtout capable de rebrousser chemin et attendre une autre opportunitĂ©.
Parce que dans le doute, ton adversaire, lâocĂ©an, est toujours le plus fort ?
LâocĂ©an et la nature seront toujours plus forts que nous. Je ne le vois jamais comme un adversaire. Câest un partenaire que je respecte Ă©normĂ©ment. Jâaime imaginer quâil me respecte autant que je le respecte.
Est-ce que ta façon de surfer a changĂ© depuis que tu es devenue maman ? Je travaille dur pour la saison Ă venir. Je suis consciente que je dois ĂȘtre encore mieux prĂ©parĂ©e pour ĂȘtre de nouveau la plus performante possible dans lâocĂ©an. Jâai encore plein de beaux objectifs sportifs Ă atteindre. Câest excitant. Un de mes principaux sera de resurfer une trĂšs belle vague Ă NazarĂ©. Jâai aussi la responsabilitĂ© de montrer Ă Elio quâil est une force et que je peux continuer de rĂ©ussir dans ma carriĂšre avec lui dans notre vie.
Et tu as aussi dĂ©veloppĂ© une seconde activitĂ© pro : on peut te booker comme confĂ©renciĂšre en motivation⊠Absolument. Jâaborde une confĂ©rence comme une vague. Je mây prĂ©pare pour pouvoir transmettre au mieux les sensations et expĂ©riences que jâai la chance de vivre dans lâocĂ©an.
Focus
Originaire de Bordeaux Ăge 32 ans PalmarĂšs Multiple championne du monde de surf dans diverses disciplines, du big wave au stand up paddle, et confĂ©renciĂšre en motivation
Résidence Nazaré, Portugal IG @justinedupont33
«âMa peur, je ne lâignore pas, je lâutilise. Elle mâaide Ă me concentrer sur le moment.â»
Sans compromis
NĂ©e Ă Toulouse il y a vingt-sept ans, la rappeuse ZinĂ©e est restĂ©e dans sa ville dâorigine pour mieux percer dans la chanson française.
Texte : Chloé Sarraméa
Depuis le 17 mai 2024, le tĂ©lĂ©phone de Charlie nâarrĂȘte pas de sonner. Le premier album de ZinĂ©e est sorti et il semble que lâindustrie tout entiĂšre se soit passĂ© le mot â et le numĂ©ro de son manager. Ă chaque fois quâil dĂ©croche, câest la mĂȘme histoire. Directeurs artistiques et patrons de label convoitent son amie et collaboratrice, une rappeuse inclassable dĂ©jĂ favorite des mĂ©dias et du showbusiness. Ces derniers projettent sur elle lâavenir de la chanson française : une petite jeune femme frĂȘle, toujours vĂȘtue de noir, nĂ©e Ă Toulouse et fiĂšre dây ĂȘtre restĂ©e, qui Ă©crit sur sa maladie, le temps qui passe, les liens familiaux, le rapport Ă lâenfance et lâamitiĂ©. Une hĂ©ritiĂšre de Diamâs et de Keny Arkana bercĂ©e au flamenco et Ă la musique Ă©lectro qui, en plus dâĂȘtre connectĂ©e avec son public comme on le voit rarement, ne souffre pas dâĂȘtre sexualisĂ©e dans une industrie encore ultra misogyne. Mais les coups de fil, les flatteries et les gros chĂšques nâauront pas raison de sa fidĂ©litĂ© â ni Ă son Ă©quipe, ni Ă ses principes. Il suffit de la voir sur scĂšne pour sâen rendre compte.
Ce soir-lĂ , au Petit Bain, Ă Paris, la salle est comble. Plus de 400 personnes sont rĂ©unies pour âLes Ă©toiles de ZinĂ©eâ, une release party caritative au profit dâ1 Maillot pour la Vie. Lâartiste sâest rĂ©cemment rapprochĂ©e de cette association crĂ©Ă©e Ă Toulouse, qui Ćuvre pour rĂ©aliser les rĂȘves des enfants malades. Aux cĂŽtĂ©s de quatre rappeurs qui forment son entourage, elle sâĂ©lance sur scĂšne pour chanter les titres de son album OSMIN, dĂ©voilĂ© trois ans aprĂšs son EP Cobalt (2021). LâexpĂ©rience est unique. ZinĂ©e achĂšve son concert en pleurs face
Ă Â un public au bord des larmes, unanimement touchĂ© par la sincĂ©ritĂ©, la bienveillance et la gĂ©nĂ©rositĂ© dâune artiste sensible et vulnĂ©rable, profondĂ©ment humaine. « Mon public mâa attendue, il a compris ma maladie et que je nâallais pas sortir un projet tous les deux jours. Câest le ZinĂ©e club, un public intime, qui me ressemble », commente-t-elle. Elle Ă©changera dâailleurs avec lui aprĂšs son show, prĂ©fĂ©rant en dire plus sur la cause quâelle est venue dĂ©fendre que de rappeler quâil y a du merch Ă Ă©couler au fond de la salle. En 2022, la chanteuse se produit avec ses musiciens sur la scĂšne du Chantier des Francofolies, le tremplin pour artistes Ă©mergents du festival aux quelque 150 000 spectateurs annuels. SuccĂ©dant Ă Christine and The Queens, Juliette Armanet et Pomme, celle qui compte seulement deux EPs Ă son actif â FutĂ©e (2020) et Cobalt (2021) â sâest dĂ©jĂ fait remarquer pour sa voix mĂ©tallique vocodĂ©e et sa musique autobiographique : des comptines pour adultes qui flirtent avec la chanson française tout en conservant un ADN rap, versant vulnĂ©rable, lĂ©gĂšrement tragique, aux possibilitĂ©s mĂ©lodiques infinies. Elle est depuis peu membre du collectif 75e Session (qui a vu passer Nekfeu, Sheldon, Lomepal, Georgio, SopicoâŠ) qui lâĂ©paule pour la gestion de sa carriĂšre et avec qui elle travaille la production de ses morceaux et sa direction artistique. Fan de MylĂšne Farmer, elle a conquis un vaste public grĂące Ă un songwriting sincĂšre et une instrumentation mĂ©ticuleuse. Un an plus tard, pourtant, son ascension a failli ĂȘtre stoppĂ©e net. « Je suis tombĂ©e malade. Je souffre dâendomĂ©triose profonde : une maladie qui touche une femme sur cinq et que lâon met environ sept ans Ă diagnostiquer⊠Jâai fait six mois dâimmunothĂ©rapie, jâai Ă©tĂ© opĂ©rĂ©e pour rien et jâai perdu un ovaire. On mâa sectionnĂ© des nerfs et,
depuis, je ne sens plus ma jambe », confie ZinĂ©e, prĂ©cise et didactique, lorsque nous la rencontrons. Aujourdâhui, elle va mieux. Elle explique souvent Ă©changer, comme aprĂšs son concert parisien, avec des jeunes femmes qui viennent la questionner au sujet de la maladie. Elle leur donne des noms de spĂ©cialistes : « Câest difficile de rĂ©sumer ça en quelques minutes mais câest trĂšs important dâen parler. Jâaimerais prendre le temps et faire de la sensibilisation. Je vais peut-ĂȘtre contacter EndoFrance (Association française de lutte contre lâendomĂ©triose, ndlr)⊠Tout ça est trĂšs vaste. »
Quand sa maladie sâaggrave, ZinĂ©e ne peut plus vivre seule. Elle passe beaucoup de temps chez elle, dans la campagne toulousaine, entourĂ©e de sa famille et de ses animaux. Elle discute pendant des heures avec son frĂšre, passionnĂ© dâHistoire, qui lui raconte celle de la Palestine : « Je me sens impuissante. Comme jâai pas mal de visibilitĂ© sur les rĂ©seaux sociaux, jâessaie de partager un maximum dâinfos. Jâutilise mon image pour mâexprimer : je ne peux pas faire des collabs avec des marques et fermer les yeux sur ce quâil se passe dans le monde. » Paru sur les labels indĂ©pendants Yotanka et 75e Session, son premier album a Ă©tĂ© imaginĂ© comme le prolongement de ses engagements et de ses rĂ©flexions. « OSMIN est lâanagramme du prĂ©nom de mon frĂšre et renvoie originellement Ă la notion de protection. Jâavais envie de parler de la protection des enfants, câest au centre des problĂ©matiques actuelles », confesse-t-elle. Comme toujours chez ZinĂ©e, ce disque appuie sur les contrastes : une voix haut perchĂ©e et une musique douce pour traiter de sujets graves, une Ă©criture incisive, hommage Ă la verve des rappeurs de la fin des annĂ©es 90 sur des instrus pop futuristes. Il y a aussi Chilly Gonzales, des tracks trĂšs produits, de lâacoustique, du piano, des guitares, des notes de flamenco⊠De quoi signer un deal Ă plusieurs zĂ©ros. Pas sĂ»r que ça la branche : tout ce dont elle a besoin pour vivre, câest voir la mer assez souvent, Ă©crire des textes, dessiner et pouvoir sâacheter une figurine ou un jeu vidĂ©o de temps en temps. « Lâoseille, quand il y en aura, je le donnerai Ă des assos, ou jâen monterai une moi-mĂȘme », conclue-t-elle.
Focus
En concert le 13 février 2025 à la Gaßté Lyrique. IG @zinee313
«âMon public mâa attendue, il a compris ma maladie et que je nâallais pas sortir un projet tous les deux jours.â»
Zinée
Retour vers le futur. Ă gauche, la Red Bull Racing RB20 ; Ă droite, la Red Bull RB1. Des annĂ©es dâaventure les sĂ©parent.
20 ANS
DEUX DĂCENNIES DâAUDACE ET DâINNOVATION, DE PRISE DE RISQUE ET DE SUCCĂS... DE RED BULL RACING
Vers le succĂšs
Une immersion au cĆur de la philosophie de Red Bull Racing, Ă travers ses pilotes iconiques, son patron, son excellence dâingĂ©nierie et son futur, via les jeunes pilotes et lâAmericaâs Cup.
Lâoriginale ! LâItalien Vitantonio Liuzzi au volant de la RB1 - la premiĂšre voiture de Red Bull Racing - sur le circuit de BarcelonaCatalunya en Espagne, le 25 novembre 2004.
LâĂ©curie Red Bull Racing est nĂ©e en 2004 lorsque la sociĂ©tĂ© autrichienne Red Bull a rachetĂ© lâĂ©quipe Jaguar Racing Ă Ford Motor Company. Lâacquisition a eu lieu aprĂšs que Ford ait dĂ©cidĂ© de se retirer de la Formule 1 en raison de performances dĂ©cevantes et de budgets Ă©levĂ©s. Le fondateur de Red Bull, Dietrich Mateschitz, a vu une opportunitĂ© de promouvoir sa boisson Ă©nergisante Ă travers la plateforme mondiale quâest la Formule 1. RebaptisĂ©e Red Bull Racing, lâentitĂ© a rapidement commencĂ© Ă prĂ©parer la saison 2005, ses dĂ©buts en compĂ©tition.
DĂšs le dĂ©part, cette nouvelle structure adopte une approche audacieuse et innovante, combinant marketing Ă©nergique et leadership sportif ambitieux. David Coulthard, pilote dâexpĂ©rience jouissant dâune solide rĂ©putation, est embauchĂ© pour apporter du vĂ©cu et de lâĂ©lan Ă lâĂ©quipe. Pour complĂ©ter son team, Red Bull Racing choisit Christian Klien, un jeune talent autrichien, ainsi que Vitantonio Liuzzi, autre espoir prometteur. Sa premiĂšre saison en 2005 est marquĂ©e par des faits dâarmes impressionnantsâ: lors de la premiĂšre course de la saison Ă Melbourne, en Australie, Coulthard termine quatriĂšme, tandis que Klien prend la septiĂšme place. Des rĂ©sultats qui dĂ©passent les pronostics et imposent immĂ©diatement le potentiel de lâĂ©quipe.
Tout au long de la saison, Red Bull Racing continue dâimpressionner. Coulthard marque constamment des points, tandis que Klien et Liuzzi alternent le deuxiĂšme siĂšge de lâĂ©quipe, acquĂ©rant ainsi une prĂ©cieuse expĂ©rience en F1. Les voitures, Ă©quipĂ©es de moteurs Cosworth, se rĂ©vĂšlent compĂ©titives et fiables. LâĂ©quipe termine la saison 2005 avec 34 points, assurant ainsi une respectable septiĂšme place au championnat des constructeurs. Un rĂ©sultat remarquable pour une premiĂšre annĂ©e, dans un univers oĂč la concurrence est rude. Cette premiĂšre saison est Ă©galement marquĂ©e par des
AUX ORIGINES
mouvements stratégiques en coulisses. Red Bull signe un partenariat moteur avec Ferrari pour la saison suivante, démontrant ainsi son intention de progresser rapidement dans les plus hauts échelons de la F1.
De plus, lâĂ©quipe investit dans lâinfrastructure et les talents, notamment des techniciens et ingĂ©nieurs de haut niveau. Christian Horner, Adrian Newey et Helmut Marko joueront des rĂŽles cruciaux dans le succĂšs de Red Bull Racing. Horner (voir notre portrait p. 72), en tant que directeur dâĂ©quipe depuis 2005, a apportĂ© une gestion solide, radicale et stratĂ©gique. Newey, ingĂ©nieur en chef, a conçu des voitures rĂ©volutionnaires, notamment la RB7 et la RB9, qui ont dominĂ© les saisons 2010-2013. Marko, consultant pour Red Bull, a supervisĂ© le dĂ©veloppement des jeunes pilotes via le Red Bull Junior Team, dĂ©couvrant des talents comme Sebastian Vettel, qui a remportĂ© quatre championnats consĂ©cutifs de 2010 Ă 2013. Ensemble, ils ont imposĂ© une Ă©quipe performante et innovante.
Les origines de Red Bull Racing et leur premiĂšre saison en 2005 sont une histoire de prise de risque calculĂ©e, de stratĂ©gie marketing audacieuse et de performances sportives impressionnantes. En seulement un an, lâĂ©quipe a rĂ©ussi Ă se faire un nom dans le paddock de Formule 1, assurant son succĂšs futur en Ă©tablissant les bases dâune Ă©quipe vouĂ©e Ă devenir lâune des plus dominantes de lâhistoire moderne de la F1, rayonnant bien au-delĂ de lâunivers des sports mĂ©caniques. Qui nâa pas vu ses couleurs cĂ©lĂ©brĂ©es dans les les mĂ©dias nationaux comme internationauxâ? Fans de F1 ou non, qui nâa pas entendu parler de Sebastian Vettel ou Max Verstappenâ?
Dans les pages qui suivent, vous retrouverez les pilotes iconiques de lâĂ©curie, des interviews exclusives avec Max, Vettel ou encore Christian Horner, certaines des plus belles piĂšces de son arsenal, et un focus sur celleux (soutenu·e·s par Red Bull Racing) qui Ă©criront le futur de la course automobile.
SEBASTIAN VETTEL
Le curieux
En 2007, le jeune pilote dâoutre-Rhin goĂ»te pour la premiĂšre fois Ă la F1. LâAllemand a remportĂ© le championnat du monde Ă quatre reprises, de 2010 Ă 2013, sous les couleurs de Red Bull Racing. Il est devenu le plus jeune pilote Ă le faire, Ă lâĂąge de 24 ans. DĂ©couvrez le portrait dâun champion instinctif et accessible. Ă ses cĂŽtĂ©s dans ce dossier, dâautres phĂ©nomĂšnes de Red Bull Racing : Coulthard, Ricciardo et Webber.
Avec Red Bull Racing
113 courses, 38 victoires, 65 podiums,
44 pole positions et 24 records du tour.
Nous sommes en 2005, peu aprĂšs la reprise de lâancienne usine Jaguar Racing de Milton Keynes par Red Bull. Sous la grisaille anglaise, les portes du futur Building One sâouvrent devant un adolescent frĂȘle Ă la tignasse blonde hirsute. Prenant le temps de rassembler ses idĂ©es et de choisir ses mots â lâanglais nâest pas sa langue maternelle â, il demande poliment si, en tant que membre du programme Red Bull Junior, il peut visiter les lieux. Presque vingt ans plus tard, Sebastian Vettel sourit au souvenir de cette premiĂšre rencontre avec lâĂ©quipe Red Bull, qui fera de lui le plus jeune champion de la discipline en 2010 et qui lui permettra de remporter trois titres supplĂ©mentaires, lâĂ©rigeant au statut de lĂ©gende de la F1.
« Je venais dâobtenir mon permis B, se rappelle le pilote, qui habitait encore sa ville natale, Heppenheim (Allemagne), Ă lâĂ©poque. Jâai dĂ©cidĂ© dâappeler pour demander si je pouvais voir lâusine, et ils ont acceptĂ©. Jâai alors pris le volant, traversĂ© la Manche et conduit jusquâĂ Milton Keynes. Jâai juste frappĂ© Ă la porte et lancĂ© : âSalut, je suis Sebastian.â La journĂ©e a Ă©tĂ© extraordinaire, puis je suis rentrĂ© chez moi. Ils mâont mĂȘme offert une casquette ! »
FULGURANT
La confiance en soi, la curiositĂ© et le charme ingĂ©nu grĂące auxquels le jeune homme de 18 ans a visitĂ© lâusine lui ont valu par la suite de gagner une Ă©quipe de fidĂšles chez Red Bull Racing et des millions de fans Ă travers le monde. Cette formidable confiance, lâAllemand lâa acquise Ă bord dâun kart.
« Red Bull venait de crĂ©er son Ă©quipe junior. Red Bull Allemagne me sponsorisait et je pense quâils se sont dit : âOh, il y
a ce gamin qui fait du karting⊠il pourrait rejoindre lâĂ©quipe.â Jâai rencontrĂ© Helmut [Marko] sur le circuit de Spielberg. Il ne me connaissait pas et mâa demandĂ© si je faisais du karting. Jâai acquiescĂ©. Et comme jâĂ©tais vraiment jeune, il a ajoutĂ© : âDonc maintenant, tu devrais commencer la compĂ©tition internationale.â Je lui ai alors rĂ©pondu : âOuais, jâai remportĂ© le championnat europĂ©en lâan dernier.â Il mâa regardĂ© et je pense que tout sâest mis en place aprĂšs ça. »
Lâascension du champion prĂ©coce de karting vers la F1 a Ă©tĂ© fulgurante. Les dĂ©buts de Sebastian Vettel en monoplace ont eu lieu en 2003. Avec 18 victoires au compteur en 20 courses, il a largement
dominĂ© le Championnat de Formule BMW ADAC 2004. Il a dĂ©couvert la F3 lâannĂ©e suivante et il est devenu vice-champion dâEurope en 2006. AprĂšs un passage par les Formula Renault 3.5 Series, vĂ©ritable tremplin vers la F1, Sebastian Vettel a fait ses dĂ©buts dans la discipline reine pendant le Grand Prix des Ătats-Unis de 2007. Il remplaçait le pilote BMW Sauber Robert Kubica qui avait dĂ» dĂ©clarer forfait Ă la suite dâun grave accident survenu la semaine prĂ©cĂ©dente Ă MontrĂ©al.
En grappillant quelques points pendant sa premiÚre course, Sebastian Vettel a décroché une place permanente chez Toro Rosso dÚs le GP de Hongrie,
DAVID COULTHARD
72 courses, 4 saisons et 2 podiums dont le tout premier pour Red Bull Racing.
Ăa tâa fait quel effet de dĂ©crocher le premier podium de Red Bull Racing Ă Monaco en 2006ââ?
Je suis toujours un peu déçu quand je ne finis pas premier. (Coulthard a fini troisiÚme, ndlr.)
As-tu lâimpression de toujours faire partie de lâĂ©quipe Oracle Red Bull Racingââ?
Le GP de Monza, en Italie, avec sa foule à 2000 %, est spécial. Ce 8 septembre 2013, le pilote le plus rapide, Sebastian Vettel, est en route vers le titre avec cette sixiÚme victoire, et savoure sa vue mer - de tifosi.
Sebastian Vettel en pleine action au Grand Prix de Monaco Ă Monte-Carlo le 25 mai 2014. La course sâest rĂ©vĂ©lĂ©e dĂ©cevante pour le champion du monde de F1 en titre : des problĂšmes de turbocompresseur lâont forcĂ© Ă abandonner aprĂšs seulement cinq tours.
Je fais partie de ces Ă©ternels insatisfaits qui font la gueule mĂȘme quand ils gagnent, dâailleurs je nâai jamais mis 20 sur 20 Ă aucune de mes performances. Pour moi, ce sont juste de nouvelles Ă©tapes franchies, câest un peu une mĂ©taphore de la maniĂšre dont je fonctionne. Donc ce jour-lĂ , je nâĂ©tais pas aussi euphorique que les autres. Je me souviens que Christian Horner sâest jetĂ© dans la piscine du camp de Red Bull Energy. AprĂšs, forcĂ©ment, ça reste quand mĂȘme un trĂšs bon souvenir. JâĂ©tais trĂšs heureux de monter sur le podium et de partager ces moments de joie avec lâĂ©quipe.
Pendant quatre ans, je me suis donnĂ© corps et Ăąme Ă lâĂ©quipe. Ensuite, jâai rĂ©alisĂ© que jâavais fait mon temps, que le plus gros de mon talent Ă©tait derriĂšre moi, et que Seb [Vettel, qui a pris sa relĂšve en 2009] avait un potentiel Ă©norme. Donc la transition sâest faite en douceur et je suis devenu conseiller et ambassadeur de Red Bull. Jâobserve lâĂ©quipe Ă distance sans mâimpliquer dans toute la partie opĂ©rationnelle et je suis bien entendu trĂšs fier de leur succĂšs. Je me souviens de nos meetings avec Mateschitz en Autriche, quand je lui disais quelle Ă©tait, selon moi, la meilleure direction Ă prendre. On Ă©tait quelques-uns Ă se donner vraiment Ă fond, ça nous a permis dâinfluencer certaines dĂ©cisions et de dĂ©bloquer pas mal dâinvestissements. Depuis, je me suis rĂ©orientĂ© vers la tĂ©lĂ© et dâautres projets, mais jâai toujours lâimpression de faire partie de cette grande aventure quâest Red Bull Racing.
MARK WEBBER
129 courses, 9 victoires, 41 podiums, 13 pole positions et 19 tours les plus rapides
Ă propos du premier titre mondial des constructeurs quâil a offert Ă Red Bull Racing avec Sebastien Vettel en 2010. «ââPour les pilotes, le championnat des constructeurs est bien sĂ»r un fleuron, mais le championnat des pilotes est un truc Ă©norme pour nous. Câest une chose magnifique que dâavoir le premier garage lâannĂ©e suivante [la voie des stands de F1 sâaligne gĂ©nĂ©ralement dans lâordre du championnat des constructeurs de lâannĂ©e prĂ©cĂ©dente] et que toute lâĂ©quipe ait le mĂ©rite de cette rĂ©ussite. Gagner le championnat des constructeurs signifie que beau-
succĂ©dant ainsi Ă lâAmĂ©ricain Scott Speed. Mais sâil a rĂ©alisĂ© des progrĂšs constants au fil des courses, Sebastian Vettel a failli tout perdre lors du GP du Japon. Tandis que la voiture de sĂ©curitĂ© neutralisait la course sous la pluie, il sâest dĂ©concentrĂ© et a percutĂ© lâarriĂšre de la monoplace de Mark Webber, signant leur abandon Ă tous les deux. Mark Webber, en lice pour la victoire, Ă©tait fou de rage : « Les gosses, je vous jure⊠Ils nâont pas assez dâexpĂ©rience. Vous faites du bon travail et ils fichent tout en lâair. »
coup de choses ont Ă©tĂ© bien faites. CâĂ©tait notre premiĂšre victoire et donc la plus spĂ©ciale. CâĂ©tait formidable pour Dietrich et la vision quâil avait, et la confiance quâil a insufflĂ©e Ă lâĂ©quipe a Ă©tĂ© Ă©norme. Dans les annĂ©es qui ont suivi, nous ne nous sommes pas reposĂ©s sur nos lauriers, et les rĂ©sultats ne nous sont jamais montĂ©s Ă la tĂȘte â mais nous savions ce qui Ă©tait possible.ââ»
Mais Sebastian Vettel ne sâest pas laissĂ© dĂ©courager. « CâĂ©tait vraiment une grosse course, mais je ne pensais pas avoir tout fait capoter, rembobine-t-il. JâĂ©tais vraiment dĂ©solĂ© pour Mark â car cette erreur Ă©tait de mon fait â et pour lâĂ©quipe. JâĂ©tais déçu de moi-mĂȘme, abattu⊠submergĂ© par mes Ă©motions. Le lendemain, je suis rentrĂ© Ă Tokyo. Jâai Ă©coutĂ© la mĂȘme chanson en boucle pendant tout le trajet en bus : Achilles Heel par Toploader. Parfois, quand on Ă©coute la mĂȘme chose encore et encore, cela nous aide Ă digĂ©rer. Cependant, le souvenir est encore vif. DĂšs que jâentends cette chanson, je me retrouve au Japon. »
Le gain de quelques points Ă la fin de la campagne â notamment grĂące Ă une quatriĂšme place en Chine la semaine suivant la dĂ©bĂącle japonaise â a apportĂ© un peu dâĂ©clat Ă la premiĂšre saison du pilote allemand. Puis en 2008, Sebastian Vettel a renouĂ© avec le succĂšs, ce qui lui a permis de battre Ă plate couture son coĂ©quipier SĂ©bastien Bourdais et, surtout, de remporter sa premiĂšre victoire chez Toro Rosso en sâaccommodant dâune pluie torrentielle Ă Monza. Au cours dâun seul week-end spectaculaire, il est devenu le plus jeune pilote Ă dĂ©crocher la pole position en F1 et le plus jeune vainqueur dâun Grand Prix.
Qui dâautre que Sebastian Vettel pouvait succĂ©der Ă David Coulthard aprĂšs ses adieux Ă la compĂ©tition en fin dâannĂ©e ?
« Je nâavais aucune crainte â aprĂšs tout, [chez Toro Rosso] on a battu Red Bull
en 2008. Mais alors, devais-je accepter ?, sourit-il. Plus sĂ©rieusement, câĂ©tait bien sĂ»r la stratĂ©gie Ă adopter. Il nây avait pas Ă se poser de questions. Avec Toro Rosso, on a appris Ă sâadapter Ă ce que lâon avait. Ă lâĂ©poque, on avait une voiture et une plateforme similaires, et on Ă©tait limitĂ©s par ce que les ingĂ©nieurs de Toro Rosso Ă©taient enclins Ă rĂ©aliser. Chez Red Bull Racing, on nous demandait ce quâon voulait. CâĂ©tait ce que je recherchais. » Les rĂ©sultats ont Ă©tĂ© incroyables. Bien que lâĂ©curie Red Bull Racing ait Ă©tĂ© handicapĂ©e par lâarrivĂ©e du double diffuseur controversĂ© qui a permis Ă Jenson Button, chez Brawn, de dominer facilement le dĂ©but de la saison, Sebastian Vettel a peu Ă peu tirĂ© son Ă©pingle du jeu.
Ă LâINSTINCT
AprĂšs des dĂ©buts difficiles en Australie et en Malaisie, oĂč il a Ă©tĂ© contraint Ă lâabandon, la nouvelle recrue Red Bull Racing sâest hissĂ©e en Chine Ă un niveau qui nâavait pas Ă©tĂ© atteint depuis longtemps. Faisant fi dâun problĂšme dâarbre de transmission, il a dĂ©crochĂ© la premiĂšre pole position de lâĂ©quipe : « Jâai pu boucler un tour pour les essais Q1, Q2 et Q3. Pas plus. CâĂ©tait juste ce quâil me fallait. » Puis le dimanche, il a su mener son coĂ©quipier Mark Webber jusquâau drapeau, offrant Ă lâĂ©quipe sa premiĂšre victoire et son premier doublĂ©.
Ă Silverstone, lorsque lâĂ©quipe a amĂ©liorĂ© son double diffuseur, Sebastian Vettel est devenu intouchable. Il a devancĂ© Mark Webber de 15 secondes et le troisiĂšme de la course, Rubens Barrichello sur Brawn, de plus de 40 secondes. Le pilote allemand a une nouvelle fois gagnĂ© au Japon et terminĂ© la saison sur une victoire Ă Abu Dhabi. Il exultait. Le garage commençait Ă faire des Ă©tincelles et quelque chose de beau se prĂ©parait chez Red Bull Racing.
« Jâadorais ĂȘtre lĂ , affirme Sebastian Vettel. CâĂ©tait le seul endroit qui me plaisait pendant cette pĂ©riode de ma vie. Il y avait une telle effervescence. Idem pour les mĂ©caniciens et les ingĂ©nieurs. Tout ce dont on parle⊠Ăa arrivait bel et bien. »
«ââJâadorais la course⊠mais cela ne dĂ©finissait pas qui jâĂ©tais.ââ»
SâĂ©tait-il retrouvĂ©, en vĂ©ritable catalyseur du changement, Ă la tĂȘte du combat qui les attendait ? « On pourrait dire que mon bonheur Ă©tait contagieux, mais câĂ©tait la mĂȘme chose de lâautre cĂŽtĂ©, soutient-il. VoilĂ ce dont je me souviens. Je ne me demandais pas comment agir ou mener. Jâavais juste le sentiment de faire partie dâune Ă©quipe. Je connaissais mon boulot et je lâadorais, mais je nây rĂ©flĂ©chissais pas trop. Tout se faisait Ă lâinstinct. »
« Vous savez, poursuit-il, je suis toujours en contact avec mon ancien entraĂźneur, Tommi [PĂ€rmĂ€koski], et on plaisante souvent sur le fait que nous ignorions Ă quel point on Ă©tait bons. On nây pensait pas. On a juste continuĂ© notre petit bonhomme de chemin. Je crois que, dĂšs quâon commence Ă y penser, les problĂšmes arrivent. »
SEULEMENT UN PILOTE
Il nâĂ©tait plus possible dâarrĂȘter la machine. En 2010, Sebastian Vettel et Mark Webber se sont tous deux lancĂ©s dans la course au titre face au double champion Fernando Alonso et au champion de 2008, Lewis Hamilton. Mais, Ă la surprise gĂ©nĂ©rale, câest le gamin qui a gagnĂ© : Sebastian Vettel a en effet remportĂ© son premier titre mondial Ă lâissue dâun affrontement trĂšs Ă©mouvant Ă Abu Dhabi.
Pendant les annĂ©es qui ont suivi, les progrĂšs de la voiture et du pilote ont transformĂ© cette courte victoire en un premier pas vers la gloire, particuliĂšrement en 2011 et 2013. Ă 26 ans, Sebastian Vettel Ă©tait lâun des cinq pilotes Ă dĂ©tenir au moins quatre titres mondiaux. CâĂ©tait une lĂ©gende et une machine Ă battre les records, en mĂȘme temps adulĂ© par ses fans et haĂŻ par ses adversaires. Pour de nombreux pilotes, ce statut de superstar commence Ă peser lourd. Les exigences se multiplient aux dĂ©pens de la libertĂ©. Les intrusions sâintensifient aux dĂ©pens de la vie privĂ©e. Cependant,
«ââJe ne rĂ©flĂ©chissais pas trop Ă mon boulot. Tout se faisait Ă lâinstinct.ââ»
Sebastian Vettel est clair : Ă lâĂ©poque, ces contrariĂ©tĂ©s ont rarement entachĂ© sa vie de sportif.
« Le reste ne mâa jamais vraiment atteint, confirme-t-il. Je me sentais pilote, je nâai jamais eu lâimpression dâĂȘtre plus que ça. Mon mĂ©tier nâĂ©tait pas plus important quâun autre. Bien sĂ»r, lorsque la voiture est sur le circuit, je suis seul avec moi-mĂȘme et tout repose entre mes mains. Mais en dehors de ces moments-lĂ , je nâai jamais eu lâimpression dâĂȘtre meilleur quâun autre. Le star-system ne me faisait ni chaud ni froid. »
« Vous pouvez choisir la maniĂšre dont vous souhaitez rĂ©agir, observe-t-il. Et vous pouvez mettre un terme Ă une bonne partie de ces dĂ©sagrĂ©ments par votre comportement, vos rĂ©ponses ou vos silences, la crĂ©ation ou non dâun mythe
autour de votre personne, ou dâune sorte de bulle. Si vous crĂ©ez ce mythe ou cette bulle, il sera peut-ĂȘtre plus difficile de redescendre. Naturellement, les gens manifestaient davantage leur intĂ©rĂȘt, mais je nâen avais rien Ă faire. LâĂ©quipe marketing avait de nombreux projets pour moi. Or, je nâavais pas envie que mon visage et mon nom se retrouvent sur certains produits. Je nâĂ©tais quâun pilote, aprĂšs tout⊠Et mĂȘme, ce nâĂ©tait pas vraiment moi au fond. CâĂ©tait ce que je faisais et ce que jâaimais, mais pas qui jâĂ©tais. » Chez Sebastian Vettel, ce rejet de la cĂ©lĂ©britĂ© sâest accompagnĂ© dâune prise de conscience de soi et de la vie en dehors du paddock. En 2024, sa vision plus large du monde sâest concrĂ©tisĂ©e par un activisme environnemental assumĂ© dont on voyait dĂ©jĂ les premiers signes en 2011.
LES YEUX OUVERTS
AprĂšs avoir remportĂ© le premier Grand Prix dâInde, Sebastian Vettel a Ă©tĂ© interrogĂ© sur son expĂ©rience dans le pays. Le vainqueur de 24 ans ne sâest pas contentĂ© dâun simple clin dâĆil aux fans et aux organisateurs. « Si vous gardez les yeux ouverts, vous dĂ©couvrirez beaucoup de choses qui Ă©claireront de nouveaux horizons, a-t-il confiĂ©. Cela vous ouvre les yeux, tant que vous vous autorisez Ă regarder. »
Avec le recul, Sebastian Vettel pense que cette expĂ©rience sâintĂšgre dans sa prise de conscience globale. « Je suis si heureux dâavoir fait ce voyage, se rĂ©jouit-il. Il mâa fallu cinq heures pour arriver au Taj Mahal en voiture. Pas de problĂšme. La vue Ă©tait jolie, mais câest le voyage en voiture qui mâen a mis plein les yeux. JâĂ©tais dĂ©boussolĂ©, car je voyais Ă©normĂ©ment de pauvretĂ©, ou au moins ce que lâOccident considĂšre comme de la pauvretĂ©. Mais les gens nâavaient pas lâair triste. Nous avons tant de choses, et pourtant il y a tellement de gens malheureux. Eux ont si peu, mais il me semble en tout cas quâils avaient de la joie. DĂšs lors, je me suis toujours assurĂ© de regarder ce qui se passait autour de moi. »
Tandis que Sebastian Vettel commençait Ă se pencher sur des questions qui nâavaient rien Ă voir avec la course automobile, les problĂšmes de Red Bull Racing sur lâasphalte ont rapidement distrait le champion. AprĂšs un quatriĂšme titre remportĂ© haut la main avec un nombre record de neuf victoires dâaffilĂ©e entre la pause estivale et la fin de la saison, on aurait pu croire que le bonheur de Sebastian Vettel ne serait pas prĂšs de sâarrĂȘter. Mais dans ce qui sâest avĂ©rĂ© une intersaison bien trop courte, la machine
Sebastian Vettel savoure sa victoire en parc fermĂ© au Grand Prix de Singapour aprĂšs ĂȘtre restĂ© en pole position sur le circuit urbain de Marina Bay Street le 25 septembre 2011. Cette victoire lui a permis de devancer son rival, Jenson Button (McLaren) de 124 points au Championnat du monde des pilotes.
a stoppĂ© net. Les moteurs V8 simples Ă aspiration normale ont laissĂ© leur place Ă des groupes propulseurs turbo 1,6 litre dâune complexitĂ© infernale, qui ont poussĂ© les capacitĂ©s technologiques des constructeurs de moteurs sportifs, tels que Renault, jusquâau point de rupture.
Lors des premiers tests effectuĂ©s Ă Jerez, des problĂšmes de surchauffe ont frĂ©quemment mis la RB10 Ă lâarrĂȘt et ont dĂ©bouchĂ© sur la solution un peu loufoque de fabriquer un conduit de refroidissement de fortune Ă partir du tuyau dâun aspirateur Henry utilisĂ© pour nettoyer le garage.
Sebastian Vettel, Ă la fois abasourdi et consternĂ©, sâest planquĂ© dans lâespace rĂ©servĂ© Ă lâĂ©quipe pendant la majeure partie de ces quatre jours de tests. Et il nâest pas restĂ© trĂšs longtemps sur la piste. Pendant les premiers jours, il a bouclĂ© seulement quatorze tours.
« CâĂ©tait bizarre, se souvient-il. Ă lâĂ©vidence, nous avions encore en tĂȘte la rĂ©ussite exceptionnelle des annĂ©es prĂ©cĂ©dentes. Puis pendant lâhiver, jâai vĂ©cu lâun des plus beaux jours de ma vie avec la
naissance de ma fille. Je me suis ensuite rendu aux tests et je me suis demandĂ© ce que câĂ©tait tout ça et Ă quoi servaient ces rĂšglements Ă la con. Je ne les comprenais pas. Jâai appelĂ© Bernie [Ecclestone] pour lui dire : âBernie, ils vont dĂ©truire tout ce que tu as construit.â CâĂ©tait si Ă©trange. Ăvidemment, une Ă©quipe avait tout compris et les autres Ă©taient Ă la ramasse. »
GrĂące Ă un travail acharnĂ© en usine, les principaux problĂšmes ont Ă©tĂ© corrigĂ©s. Lors du Grand Prix dâAustralie, la nouvelle recrue Daniel Ricciardo a ainsi pu terminer sur le podium, mais il a Ă©tĂ© disqualifiĂ© quelques heures plus tard en raison dâirrĂ©gularitĂ©s concernant le dĂ©bit de carburant de sa voiture.
« Les rĂ©sultats de Daniel Ă©taient super, rĂ©vĂšle Sebastian Vettel, alors quand on est arrivĂ©s pour la deuxiĂšme course de la saison en Malaisie, jâĂ©tais vraiment dans un excellent Ă©tat dâesprit. Je nâavais juste pas rĂ©alisĂ© quâon Ă©tait trop en retard sur le moteur. On a seulement fini Ă la troisiĂšme place. JâĂ©tais derriĂšre [Nico] Rosberg et je pouvais sentir quâils Ă©taient plus rapides sur les lignes droites, mais quâon se rattrapait sur les virages. Lors de la rĂ©union qui a suivi, jâai soutenu que jâallais y arriver. On Ă©tait encore enthousiasmĂ©s par les annĂ©es prĂ©cĂ©dentes. Mais les rĂ©sultats nâĂ©taient clairement pas lĂ . Jâavais des attentes trĂšs diffĂ©rentes de celles de Daniel, reconnaĂźt Sebastian Vettel. Pour lui, ĂȘtre sur le podium ou bien finir cinquiĂšme, câĂ©tait dĂ©jĂ gĂ©nial. Et je
DANIEL RICCIARDO
100 courses, 7 victoires, 29 podiums, 3 pole positions et 13 meilleurs tours
AprĂšs ton entrĂ©e Ă lâacadĂ©mie des jeunes pilotes de Red Bull Racing et ta rĂ©putation de talent prometteur, as-tu ressenti une certaine pression, notamment dans tes relations avec Helmut Marko, le conseiller de lâĂ©curie ââ?
Câest sĂ»r que jâai subi beaucoup de pression de la part dâHelmut, mais jâai toujours su transformer les situations nĂ©gatives ou pesantes en quelque chose dâaĂ©rien et de positif. Je me disais constammentââ: «ââSi je ressens une telle pression, câest que ce type croit en moi. Je pense quâil veut que je rĂ©ussisse, donc allez, on sây met.ââ» Je ne me disais pasââ: «ââCe mec veut que je dĂ©gage.ââ»
Dans lâensemble, comment sâest passĂ©e ta transition vers la Formule 1ââ?
MĂȘme si câĂ©tait un peu angoissant, câest venu assez naturellement, finalement. En F1, pour sortir du lot, il faut soit enchaĂźner les victoires, soit ĂȘtre un leader. Donc on baigne dĂ©jĂ dans cet Ă©tat dâesprit. Ensuite, et je dis ça sans la moindre arrogance, il arrive un moment oĂč lâon se ditââ: «ââCâest probablement ma voie.ââ»
Toutes ces annĂ©es oĂč ma mĂšre me disaitââ: «ââTu es spĂ©cialââ», elle avait peut-ĂȘtre raison. Peut-ĂȘtre que jâai vraiment un talent incroyable, je ne sais pas. Donc, oui, câest assez bizarre. Il y a cet aspect familier, mais câest quand mĂȘme un sacrĂ© choc parce quâon nâest plus avec des juniors. Fini les dĂ©butants, les gamins de 16 ou 17 ansââ; on est dans la cour des
grands, avec Alonso, Schumacher et Vettel. Câest tout un processus, mais disons quâĂ un moment donnĂ©, je me suis ditââ: «ââPeut-ĂȘtre que tu fais partie de ce groupe.ââ» Jâai commencĂ© Ă humaniser ces types que je voyais comme des idoles.
Ton baptĂȘme du feu a lieu en 2014 quand tu passes de la Scuderia Toro Rosso (lâĂ©quipe junior de Red Bull), Ă Red Bull Racing, ce qui tâamĂšne Ă piloter aux cĂŽtĂ©s de Sebastian Vettel (voir p. 28). Que penses-tu de cette saisonââ? Oui, câĂ©tait LA grande annĂ©e. DĂ©finitivement lâune de mes meilleures, voire ma meilleure saison en F1, et pas seulement au niveau des rĂ©sultats. Je pense que câest le moment oĂč les gens ont commencĂ© Ă me respecter, mĂȘme ceux qui ne croyaient pas encore en moi Ă 100ââ%. Beaucoup savaient que jâĂ©tais rapide, mais Ă mon avis, ils pensaient quâil me manquait ce petit truc en plus pour courir en tĂȘte, pour devenir leader. Câest comme si on mâavait dĂ©jĂ cataloguĂ©, tout le monde pensait que je nâĂ©tais pas assez coriace. Au cours de lâavant-saison 2014, jâai fait une sorte dâauto-
thĂ©rapie en mâimaginant des duels avec Fernando Alonso et tous ces coureurs rĂ©putĂ©s pour leur poigne et leur agressivitĂ©. Je voulais mâaffirmer par rapport Ă eux, me faire un nom. JâĂ©tais dĂ©terminĂ© Ă dĂ©marrer la saison avec une nouvelle attitude, parce que personne ne sâattendait Ă ce que je batte Seb. Certains pensaient probablement que je ne mĂ©ritais pas ma place, alors je me suis ditââ: «ââIl faut que je donne le ton dĂšs le dĂ©part.ââ» Plus simple Ă dire quâĂ faireââ!
Ta carriĂšre auraitelle Ă©tĂ© diffĂ©rente si tu nâavais pas eu un pilote nommĂ© Max comme coĂ©quipierââ? Il nây avait que moi qui savais, quand Max est arrivĂ©, que les choses allaient se compliquer. Mais le sentiment dominant Ă©tait plutĂŽtââ: «ââIncroyable. Ce gamin vient dâune autre planĂšte.ââ» Donc, chaque fois que je faisais un bon rĂ©sultat contre Max, câĂ©tait du bonusââ: ça mâa aidĂ© Ă forger mon caractĂšre, Ă devenir encore meilleur et ainsi de suite. Je ne me le serais pas imaginĂ© autrement. Les trois annĂ©es oĂč on a couru ensemble sont trois grandes annĂ©es de rivalitĂ© intense avec des Ă©carts vraiment minimes entre nous.
Sebastian Vettel franchit la ligne dâarrivĂ©e devant son coĂ©quipier Mark Webber lors du Grand Prix dâAbu Dhabi, sur le circuit Yas Marina, le 1er novembre 2009. Red Bull Racing a ainsi dĂ©crochĂ© pour la quatriĂšme fois cette saison les premiĂšre et deuxiĂšme places sur le podium.
«ââJe me suis Ă©normĂ©ment amusĂ© chez
Red Bull. Câest Ă cet Ăąge-lĂ que je suis devenu adulte.ââ»
comprends tout Ă fait, car je suis passĂ© par lĂ lors de mes dĂ©buts avec lâĂ©quipe. Mais je nâattendais plus les mĂȘmes choses, et il devenait indĂ©niable que la situation nâallait pas sâamĂ©liorer. Adrian [Newey] avait perdu sa joie de vivre. Ce fut une dĂ©cision trĂšs difficile Ă prendre, mais il fallait tourner la page et passer Ă la suite. »
DĂFINITIF
Le Grand Prix du Japon a marquĂ© la fin de lâaventure. Juste avant le week-end de course, Sebastian Vettel a annoncĂ© quâil rejoignait Ferrari. Red Bull Racing a rapidement dĂ©clarĂ© que le jeune pilote Toro Rosso Daniil Kvyat remplacerait le quadruple champion du monde. Il nây a pas eu de rĂ©criminations mais, Ă©trange-
ment, peu de bons souvenirs ont Ă©tĂ© Ă©voquĂ©s. La rupture Ă©tait trop douloureuse. « Cela mâa vraiment brisĂ© le cĆur, avoue aujourdâhui Sebastian Vettel. Je voulais clarifier les choses. Mais on mâa expliquĂ© que je ne devais pas parler de certains Ă©lĂ©ments du contrat, etc. Et cela semblait bizarre et peu naturel, car tout le monde savait que Fernando quittait Ferrari â câĂ©tait limpide. Je ne mâĂ©tais jamais retrouvĂ© dans une telle situation. Ce nâĂ©tait pas juste. Avec mon Ă©quipe, on avait vĂ©cu tellement de choses ensemble que jâaurais adorĂ© en parler. Mais je ne lâai pas fait. » Dix ans plus tard, alors quâil ne se sent plus obligĂ© de prĂȘter allĂ©geance Ă son Ă©quipe et que la Formule 1 est largement derriĂšre lui, Sebastian Vettel peut enfin expliquer ce que ces six saisons spectaculaires ont reprĂ©sentĂ© Ă ses yeux. « Jâai beaucoup appris, affirmet-il. Mais surtout, je me suis Ă©normĂ©ment amusĂ©. Câest Ă cette pĂ©riode-lĂ que je suis devenu adulte. »
Et son rĂȘve, qui avait commencĂ© sous la grisaille de Milton Keynes avec un semblant dâinvitation et une casquette gratos, est devenu rĂ©alitĂ©. « Je me souviens quâen 2010, aprĂšs la grande fĂȘte et les interviews Ă Salzbourg, ainsi que la remise des trophĂ©es Ă Monaco, je suis rentrĂ© chez moi et jâai posĂ© la coupe sur la table de la cuisine, sâamuse-t-il. Câest Ă ce moment-lĂ que jâai compris que câĂ©tait dĂ©finitif. Mon nom Ă©tait gravĂ©, personne ne pouvait lâenlever. CâĂ©tait fou ! »
Trajectoire prodigieuse
MAX VERSTAPPEN
Max Verstappen au volant de lâOracle Red Bull Racing RB20 pendant les essais du Grand Prix dâEspagne au Circuit de Barcelona-Catalunya le 21 juin 2024 Ă Barcelone, Espagne.
Le chemin vers la gloire de Red Bull Racing a Ă©tĂ© tracĂ© par toute une Ă©quipe et jalonnĂ© par de nombreux Ă©vĂ©nements. Mais le NĂ©erlandais est le vĂ©ritable architecte de sa rĂ©ussite. Voici comment, en lâespace dâune dĂ©cennie dans cette Ă©curie, il est sans doute devenu le pilote de F1 le plus completâŠ
Suzuka, Japon, 3 octobre 2014. Ă mi-chemin de la pit lane, la Toro Rosso du pilote français Jean-Ăric Vergne doit regagner le stand. Alors quâune nuĂ©e de mĂ©caniciens et dâingĂ©nieurs sâafaire dans la chaleur Ă©manant de la monoplace quâils Ă©lĂšvent sur des vĂ©rins et branchent Ă des cĂąbles gros comme le bras, un pilote inconnu sort de lâhabitacle. Ce nâest pas Jean-Ăric Vergne.
Pour ces essais, celui qui lui succĂ©dera en 2015 a pris le volant. Câest un petit gĂ©nie qui est passĂ© des podiums de kart Ă la Formule 1 en seulement deux ans. Un prodige qui a fĂȘtĂ© ses 17 ans 3 jours auparavant et qui, aprĂšs 22 tours bouclĂ©s sagement mais de plus en plus vite, est dĂ©sormais le plus jeune pilote Ă participer Ă un Ă©vĂ©nement de F1.
Max Verstappen ne semble pas intimidĂ© pendant sa prise en main de la Formule 1 hybride. « Je ne saurais pas vous dire », rĂ©pond-il quand on lui demande si le fait dâĂȘtre attachĂ© Ă un missile de 1 000 chevaux lancĂ© sur lâun des circuits de F1 les plus cĂ©lĂšbres et les plus techniques au monde Ă©tait impressionnant. « Je nâĂ©tais pas nerveux. LâĂ©cart est plus grand entre le kart et la F3 quâentre la F3 et la F1. En fn de compte, une monoplace reste une monoplace. »
Une dĂ©cennie plus tard, en avril dernier, alors quâil sâinstalle dans un coin de lâespace Oracle Red Bull Racing au sein du paddock de Suzuka, Max Verstappen repense Ă son parcours, depuis sa dĂ©couverte de la Toro Rosso STR7 jusquâĂ ses trois titres de champion du monde qui
font de lui le troisiĂšme pilote ayant remportĂ© le plus de victoires â juste derriĂšre
Lewis Hamilton et Michael Schumacher â, et Ă son avalanche de records, parmi lesquels le plus grand nombre de victoires en une saison (19), le plus grand nombre de victoires consĂ©cutives en une saison (10), et le plus grand nombre de points marquĂ©s en une saison (575).
« Ai-je changĂ© ma façon de piloter ? Câest certain, afrme-t-il. La vitesse pure a toujours Ă©tĂ© lĂ , mais on sâamĂ©liore, on trouve son Ă©quilibre. Tout est une question dâexpĂ©rience. Pas seulement dans la course, mais aussi dans la vie en gĂ©nĂ©ral et en tant que personne. Ă 17 ou 18 ans, jâĂ©tais probablement un peu plus bĂȘte et je prenais la vie moins au sĂ©rieux. Câest drĂŽle de penser que je radote depuis 2017 ou 2018 : âSi vous me donnez une voiture capable de remporter le championnat, je le remporterai.â Mais quand on a
vraiment une voiture capable de remporter un championnat, notre Ă©tat dâesprit change du tout au tout. On apprend Ă faire les choses difĂ©remment. »
« Il est parfois plus difcile de sâimposer pendant certaines saisons. On se montre naturellement plus agressif, car on veut prendre davantage de risques pour arracher le podium, ajoute-t-il. Mais quand on se bat pour le titre de champion, on fait spontanĂ©ment plus attention pour sâassurer de marquer des points chaque week-end. »
La capacitĂ© de Max Verstappen Ă transformer cette attitude ofensive en trophĂ©es a suscitĂ© lâintĂ©rĂȘt dĂšs ses premiers coups de volant dans le sport automobile. Alors que le jeune pilote enchaĂźnait les victoires en karting, les Ă©quipes nĂ©erlandaises de Red Bull Racing ont communiquĂ© ses rĂ©sultats aux hautes instances, et notamment au cĂ©lĂšbre conseiller Helmut Marko.
Le responsable senior de lâĂ©quipe junior Red Bull Racing a tĂ©lĂ©phonĂ© Ă Jos, le pĂšre de Max Verstappen, et au manager de ce dernier, Raymond Vermeulen. « Mais ce nâĂ©tait pas le bon moment, explique Helmut Marko. Il a fallu attendre lâarrivĂ©e de Max en F3 pour entamer des nĂ©gociations sĂ©rieuses. »
Faisant f du passage habituel des pilotes de kart par la Formule 4 monoplace, Max Verstappen sâest retrouvĂ© catapultĂ© dans le championnat dâEurope de Formule 3 de la FIA, qui Ă©tait peut-ĂȘtre Ă lâĂ©poque la pĂ©piniĂšre de jeunes talents la plus compĂ©titive au niveau international. Face Ă des talents plus expĂ©rimentĂ©s, tels quâEsteban Ocon, futur pilote Alpine, et Antonio Giovinazzi, futur pilote de F1 Alfa Romeo et Ferrari, Ă©galement vainqueur du Mans, Max Verstappen, ĂągĂ© de 16 ans Ă peine, a fait une entrĂ©e retentissante, remportant la course de Hockenheim (Allemagne) et les trois courses de Spa-Francorchamps (Belgique). Câest le moment quâa choisi Helmut Marko pour reprendre contact et organiser une rencontre.
« Nous avons discutĂ© pendant une heure et demie, prĂ©cise Helmut Marko. GĂ©nĂ©ralement, les conversations avec les pilotes durent une petite demi-heure, mais nous avions beaucoup de choses Ă nous dire. Il Ă©tait dĂ©jĂ trĂšs mĂ»r pour son Ăąge. Avec les autres pilotes, on parle uniquement de course automobile, mais Max possĂ©dait des connaissances trĂšs vastes. Par exemple, il savait tout ce qui se passait â notamment sur le plan fnancier âchez Jumbo, la grande chaĂźne de supermarchĂ©s qui le sponsorisait. CâĂ©tait impressionnant. »
«âTout est une question dâexpĂ©rience. Aussi dans la vie en gĂ©nĂ©ral.â»
LâOrange Arm â qui rassemble les fans les plus fidĂšles et dĂ©monstratifs de Max Verstappen â affiche son soutien avant le GP dâAutriche au Red Bull Ring de Spielberg, le 4 juillet 2021.
Lâintelligence de Max Verstappen et sa vitesse pure incontestable ont convaincu Helmut Marko du potentiel de ce jeune homme. Mais pour ĂȘtre sĂ»r Ă 100 %, Helmut Marko sâest rendu sur le circuit de Norisring (Allemagne), rĂ©putĂ© pour son tracĂ© complexe, afn dâassister sous la pluie Ă une course prometteuse du pilote. « Il a mis deux secondes Ă tout le monde et il maĂźtrisait sa voiture Ă la perfection, tĂ©moigne-t-il. Du jamais vu. Cela mâa suf. »
Sous les yeux du quadruple champion du monde Sebastian Vettel â la premiĂšre belle dĂ©couverte de Helmut Marko â, Red Bull Racing a prĂ©sentĂ© Max Verstappen comme son nouveau diamant brut lors du Grand Prix de Belgique de 2014. Le mois suivant, le NĂ©erlandais participait aux essais du Grand Prix du Japon. Cinq mois plus tard, Ă lâoccasion du Grand Prix dâAustralie de 2015, il est ofciellement devenu le plus jeune pilote de F1.
Lâimpact de Helmut Marko sur Max Verstappen est notable dĂšs les premiĂšres annĂ©es. Ce dernier accueillait de la mĂȘme maniĂšre les encouragements et les critiques du conseiller autrichien. Dix ans aprĂšs les dĂ©buts dâune relation parfois tendue mais qui reste privilĂ©giĂ©e â « Il a vraiment beaucoup dâhumour » â, Max Verstappen considĂšre toujours Helmut Marko comme lâun de ses conseillers les plus fables, aux cĂŽtĂ©s de son pĂšre et de son manager.
« Pour rĂ©ussir dans ce domaine, il faut ĂȘtre entourĂ© de personnes qui veulent le mieux pour vous, estime le pilote nĂ©erlandais. Par chance, mon pĂšre me soutient depuis le plus jeune Ăąge, tout comme mon manager Raymond, qui fait pratiquement partie de la famille. Helmut occupe aussi une place trĂšs importante dans ma vie, souligne-t-il. Bien sĂ»r, notre relation a Ă©voluĂ© au fl du temps pour gagner en Ă©quilibre. Câest vraiment quelquâun de sympa et bienveillant. Ăvidemment, il vaut mieux avoir de bons rĂ©sultats, car lâentreprise repose sur les performances, au fond. Mais avec le temps, jâai pu dĂ©couvrir une facette plus personnelle de Helmut. Câest devenu un ami proche. ForcĂ©ment, on a traversĂ© les joies et les peines ensemble, confe-t-il. Surtout au dĂ©but de ma carriĂšre, quand jâavais encore beaucoup Ă apprendre. Il a fallu que je tire les leçons de mes erreurs. Et certaines discussions nâont pas toujours Ă©tĂ© faciles. Mais jâaimais beaucoup â et jâaime toujours â sa franchise. Je suis tout aussi direct. Il nây a pas de blabla avec lui. Absolument pas. Et ça me plaĂźt. »
Helmut Marko a afchĂ© son approche claire et rĂ©fĂ©chie un an aprĂšs les dĂ©buts de Max Verstappen. Daniil Kvyat, parachutĂ© dans le baquet laissĂ© vacant par Sebastian Vettel en fn dâannĂ©e 2014, nâĂ©tait pas Ă la fĂȘte. Au Grand Prix de Chine, le Russe avait musclĂ© sa conduite pour atteindre le podium et sâĂ©tait dĂ©jĂ montrĂ© trop agressif aux yeux de Sebastian Vettel, qui avait Ă©tĂ© Ă©cartĂ© de la piste par le pilote Red Bull au premier virage. Et quand Daniil Kvyat a pilotĂ© Ă domicile pendant le Grand Prix de Russie, Ă Sotchi, Sebastian Vettel est sorti de ses gonds, car le Russe lâavait percutĂ© « en [lui] arrivant dessus comme un boulet de canon ».
La pression est alors montĂ©e dâun cran. Le camp de Max Verstappen y a mis son
«âMax, câĂ©tait du jamais vu.
Cela mâa suffi.â»
Helmut Marko
grain de sel et le verdict est tombĂ©. Helmut Marko et Christian Horner, directeur de lâĂ©quipe Red Bull Racing, ont vite rĂ©agi : dix jours avant le Grand Prix dâEspagne, Daniil Kvyat et Max Verstappen ont Ă©changĂ© leurs places. Lorsquâil Ă©voque lâarrivĂ©e de Max Verstappen, Christian Horner se souvient : « Il nây avait aucune inquiĂ©tude. Nous savions quâil Ă©tait prĂȘt. Ă Barcelone, il a simplement sautĂ© dans la voiture et sâest calĂ© sur la cadence de Daniel Ricciardo. »
Daniel Ricciardo, vainqueur de plusieurs courses pendant sa troisiĂšme saison avec Red Bull Racing, et leader de facto de lâĂ©quipe, se rappelle bien lâimpact immĂ©diat du jeune Max Verstappen. « Sa capacitĂ© Ă conduire vite Ă©tait incontestable, et en plus, il ne semblait pas du tout impressionnĂ©, reconnaĂźt Daniel Ricciardo. Il nâen avait littĂ©ralement rien Ă faire. On avait le sentiment quâil se disait : âOkay, maintenant je suis dans une bonne voiture. Je vais me donner Ă fond et simplement enchaĂźner les tours.â Jâai immĂ©diatement pensĂ© que ce gamin avait quelque chose de spĂ©cial. Il nâĂ©tait pas du tout
10 ANS, 5 COURSES MARQUANTES
Parmi les dizaines de courses auxquelles Max a participĂ©, il est difficile de choisir ses meilleures performances chez Red Bull Racing. Nous avons demandĂ© au pilote nĂ©erlandais de nous parler de cinq victoires parmi ses favorites. Et ce ne sont pas celles auxquelles vous auriez pu vous attendreâŠ
1/ GRAND PRIX
DâESPAGNE â 2016
GRILLEâ: P1. COURSEâ: P1.
«âMa premiĂšre victoire â impossible de surpasser çaâ!â»
Ă peine dix jours aprĂšs ĂȘtre entrĂ© sur le circuit, Max Verstappen a Ă©bahi tout le monde en se qualifiant Ă la quatriĂšme place et en remportant la victoire, repoussant les attaques rĂ©pĂ©tĂ©es du grand champion Ferrari Kimi RĂ€ikkönen Ă lâapproche de la ligne dâarrivĂ©e.
«âAu dĂ©but de la course, nous avons eu de la chance que les deux Mercedes se percutent, mais il fallait en profiter pour prendre lâavantage, et câest ce que nous avons fait. La fin de la course avec Kimi Ă mes trousses nâa pas Ă©tĂ© facile â mes pneus Ă©taient presque morts. CâĂ©tait stressant parce que je luttais pour dĂ©crocher mon premier podium et ma premiĂšre victoire. JâĂ©tais trĂšs concentrĂ©. Et soudain, au dernier virage, jâai rĂ©alisĂ© que
jâallais gagner. Ma premiĂšre victoire â impossible de surpasser çaâ! CâĂ©tait un sentiment incroyable, car lâĂ©quipe nâattendait rien de moi.â»
2/ GRAND PRIX
DâALLEMAGNE â 2019
GRILLEâ: P2. COURSEâ: P1. «âLes conditions Ă©taient trĂšs difficiles. CâĂ©tait une question de survie.â»
Des pluies torrentielles, les accidents de Lewis Hamilton avec Mercedes et de Charles Leclerc avec Ferrari, un atroce tĂȘte-Ă -queue de Sebastian Vettel dans la seconde Ferrari, six voitures de sĂ©curité⊠Max Verstappen sâest malgrĂ© tout frayĂ© un chemin vers la victoire, contre vents et marĂ©es. AprĂšs un dĂ©part trĂšs lent qui lâa fait chuter de la deuxiĂšme Ă la quatriĂšme place, le pilote nĂ©erlandais a rapidement doublĂ© lâAlfa Romeo de Kimi RĂ€ikkönen et a pris les monoplaces Mercedes pour cibles Ă travers ce chaos, se faufilant Ă lâavant lorsque les deux voitures ont
eu leur accident. «âCâĂ©tait une course compliquĂ©eâ: dâabord de fortes pluies, et puis il a fallu gĂ©rer nos pneus slick sur la piste qui avait sĂ©chĂ©, et ensuite la pluie est revenue. CâĂ©tait une question de survie, et câest ce que jâai littĂ©ralement adorĂ© dans cette course. On ne pouvait pas piloter comme dâhabitude. Il ne fallait pas rouler trop vite pour ne pas bloquer les roues, sortir du circuit et se retrouver coincĂ©. La victoire a eu une saveur trĂšs particuliĂšre ce jour-lĂ .â»
3/ GRAND PRIX DE FRANCE â 2021
GRILLEâ: P1. COURSEâ: P1. «âNous ne voulions pas patienter jusquâĂ la fin de la course et nous contenter dâune deuxiĂšme ou dâune troisiĂšme place.â»
AprĂšs avoir remportĂ© une victoire sur les quatre premiers circuits de lâannĂ©e 2021, Max Verstappen sâest lancĂ© dans une sĂ©rieuse course au titre avec quatre victoires dĂ©crochĂ©es en cinq Ă©vĂ©nements â et aucune de ses victoires nâa surpassĂ© celle sur le circuit Paul Ricard. DĂšs le dĂ©part, il a gĂąchĂ© la pole position obtenue la veille en effectuant un premier virage trop large et en offrant ainsi la tĂȘte de la course Ă Lewis Hamilton. Tandis que la bataille stratĂ©gique faisait rage, lâĂ©curie Red Bull sâest imposĂ©e face Ă Hamilton pendant le premier arrĂȘt aux stands et a regagnĂ© la premiĂšre place. Le pilote Mercedes a alors enjoint son Ă©quipe de lui permettre de ressortir devant Max au deuxiĂšme arrĂȘt, mais une fois encore, il a Ă©tĂ© pris de court par le NĂ©erlandais qui a Ă©tĂ© le premier Ă faire une halte. Lewis Hamilton a finalement choisi de ne pas rentrer au stand, mais grĂące Ă ses pneus neufs, Verstappen a rattrapĂ© le septuple champion avec une rapiditĂ© exceptionnelle. Il lâa dĂ©passĂ© pendant lâavant-dernier tour et a remportĂ© une victoire magistrale.
«âLa stratĂ©gie que nous avons mise en place Ă©tait tout simplement gĂ©niale. Nous devions prendre les choses en main, car nous nâaurions peut-ĂȘtre pas Ă©tĂ© capables de terminer la course en un seul arrĂȘt. Alors nous nous sommes dit quâil fallait se montrer agressif et tenter les deux arrĂȘts, ce qui a fonctionnĂ© Ă la perfection. Nous ne voulions pas patienter jusquâĂ la fin de la course et nous contenter dâune deuxiĂšme ou dâune troisiĂšme place, alors nous avons tentĂ© le coup. Mercedes dominait le championnat depuis de nombreuses annĂ©es, et câĂ©tait la premiĂšre fois que nous Ă©tions si proches. Cette course a annoncĂ© le dĂ©but dâune rĂ©elle lutte pour le titre.â»
4/ GRAND PRIX DE BELGIQUE - 2022 GRILLE : P14. COURSE : P1.
«âJâaurais pu prendre le dĂ©part Ă la derniĂšre place, on serait quand mĂȘme montĂ©s sur la premiĂšre marche du podiumâ!â»
Confiante quant Ă la vitesse de sa RB18 et Ă la possibilitĂ© de rĂ©aliser des dĂ©passements sur le circuit de Spa-Francorchamps, lâĂ©quipe a choisi de tester un nouveau groupe propulseur, quitte Ă Ă©coper de pĂ©nalitĂ©s sur la grille de dĂ©part. Max Verstappen, qui avait Ă©tĂ© le plus rapide aux qualifications avec six dixiĂšmes dâavance, a donc hĂ©ritĂ© de la quatorziĂšme place. Mais cela nâavait aucune importance : il sâest avĂ©rĂ© inarrĂȘtable. AprĂšs avoir remontĂ© de six places pendant le premier tour, il a pris la tĂȘte de la course au bout du douziĂšme tour. Max Verstappen a optĂ© pour une stratĂ©gie Ă deux arrĂȘts, ce qui lui a permis de devancer son coĂ©quipier Sergio PĂ©rez de 17,8 secondes. « Pendant cette course, la voiture Ă©tait dâune qualitĂ© incroyable. Jâaurais pu prendre le dĂ©part Ă la derniĂšre place, on serait quand mĂȘme montĂ©s sur la premiĂšre marche du
podium ! Jâai mĂȘme commencĂ© avec des pneus tendres et je les ai fait durer plus longtemps que les autres pilotes qui Ă©taient sur pneus mĂ©diums. Câest trĂšs rare de vivre ce genre de week-end. Jâai gagnĂ© en confiance grĂące Ă la voiture. Je me suis senti extrĂȘmement bien et jâĂ©tais sur mon circuit prĂ©fĂ©rĂ©. Tout Ă©tait parfait. »
5/ GRAND PRIX
DU JAPON â 2023
GRILLEââ: P1. COURSEââ: P1. «âJe me suis dit que jâallais montrer Ă tout le monde ce dont jâĂ©tais capable. JâĂ©tais ultramotivĂ©.â»
Quây a-t-il de plus intimidant que dâaffronter Max Verstappen dans une voiture au topâ?
Lâaffronter dans une voiture au top alors quâil a quelque chose Ă prouver. AprĂšs un mauvais week-end Ă Singapour, oĂč le pilote nĂ©erlandais sâest fait sortir au deuxiĂšme tour des qualifications et a terminĂ© cinquiĂšme de la course, lâĂ©curie Oracle Red Bull Racing sâest retrouvĂ©e dans le viseur de la FIA Ă cause de ses ailerons avant flexibles. AgacĂ© par ces soupçons de manquement au rĂšglement, Max Verstappen a rĂ©pondu de la seule maniĂšre quâil connaisse. DĂšs les premiers essais, il a largement distancĂ© ses adversaires et il sâest emparĂ© de la pole devant la McLaren dâOscar Piastri pendant la journĂ©e de samedi, avec prĂšs de six dixiĂšmes de seconde dâavance. Le lendemain, il a usĂ© de sa vitesse pour dominer la course, battant Lando Norris et sa McLaren de prĂšs de 20 secondes. Point final. «ââAprĂšs Singapour, oĂč les gens mettaient en doute nos compĂ©tences Ă cause de nos ailerons flexibles, ultramotivĂ©, je me suis dit que jâallais montrer Ă tout le monde ce dont jâĂ©tais capable. La voiture a survolĂ© le circuit pendant ce GP et je pilotais incroyablement bien. Je souriais mĂȘme au volant â ce qui est plutĂŽt rare pendant des qualificationsââ!ââ»
«Câest Max. Il veut juste conduire⊠et flirter avec les limites.»
Daniel Ricciardo
dĂ©passĂ© par la situation. Câest Max. Il veut juste conduire⊠et firter avec les limites. »
Cependant, avec une visite Ă lâusine, lâadaptation de son baquet et le travail de simulation qui se sont succĂ©dĂ© quelques jours avant son arrivĂ©e Ă Barcelone, les attentes Ă lâĂ©gard de Max Verstappen nâĂ©taient pas trĂšs Ă©levĂ©es.
« Sur la grille de dĂ©part, Christian est venu me voir et mâa glissĂ© : âAmuse-toi, ne te mets pas la pression, et essaie juste de marquer quelques pointsâ, a racontĂ© le NĂ©erlandais lors de lâenregistrement du podcast Talking Bull cette annĂ©e. CâĂ©tait ma premiĂšre course. Il voulait probablement me dire de ne pas mâen faire et de ne pas tenter le diable. »
Et ce fut la rĂ©vĂ©lation. AprĂšs que les deux Mercedes en premiĂšre ligne se sont mutuellement Ă©liminĂ©es dĂšs le dĂ©part, Max Verstappen a optĂ© pour une meilleure stratĂ©gie que Daniel Ricciardo. Il a pris la tĂȘte, et vers la fn de la course, il a facilement tenu le champion du monde 2007 Kimi RĂ€ikkönen en Ă©chec et dĂ©crochĂ© une victoire Ă peine croyable, ce qui lui a valu de devenir le plus jeune vainqueur dâune course de F1.
Mais si Max Verstappen a vĂ©cu un rĂ©el conte de fĂ©es pendant ce premier weekend avec toute lâĂ©quipe, le reste de la saison et les deux campagnes suivantes ont Ă©tĂ© plus mornes. FreinĂ©s par la qualitĂ© moyenne du groupe propulseur, Red Bull Racing et Max Verstappen ont fait de leur mieux pour obtenir des rĂ©sultats, dĂ©robant la victoire lorsque les conditions de course le permettaient, et prenant leur mal en patience.
Les choses ont commencĂ© Ă changer en 2019, lorsque le groupe propulseur Renault a Ă©tĂ© remplacĂ© par un modĂšle Honda. Trois victoires ont Ă©tĂ© comptabilisĂ©es cette saison-lĂ â y compris une premiĂšre victoire pour Honda depuis treize ans, et une premiĂšre victoire Ă domicile pour Red Bull Racing en Autriche â, suivies de deux victoires supplĂ©mentaires au cours de la campagne 2020 Ă©courtĂ©e par
Max Verstappen cĂ©lĂšbre sa cinquantiĂšme victoire en F1 aprĂšs le Grand Prix des Ătats-Unis sur le circuit des AmĂ©riques, Ă Austin (Texas), le 22 octobre 2023.
la pandĂ©mie. Mais il a fallu attendre lâannĂ©e 2021 pour tenter dâĂ©branler lâhĂ©gĂ©monie de Mercedes.
« En 2021, jâai fnalement pu prouver quâavec le bon matĂ©riel, je pouvais saisir ma chance, se souvient Max Verstappen. Mais chercher Ă dĂ©crocher le titre de champion du monde, câest un tout autre Ă©tat dâesprit. Vous devez vous focaliser sur cet objectif et faire votre apprentissage en cours de route⊠Ce nâest jamais si simple. »
La lutte a atteint son paroxysme lors de la course dâAbu Dhabi, dĂ©cisive pour le classement fnal, et pendant laquelle lâarrivĂ©e tardive dâune voiture de sĂ©curitĂ© a permis Ă Max Verstappen de dĂ©passer Lewis Hamilton au dernier tour, et de ravir ainsi son premier titre de champion du monde. Cependant, la surcharge
«âAvec Helmut Marko, il nây a pas de blabla.â» Max Verstappen
mentale liĂ©e Ă ce face-Ă -face avec Lewis Hamilton a imprĂ©gnĂ© toute la campagne, Ă©maillĂ©e dâafrontements violents Ă Imola, Monza, Interlagos, Djeddah, et, bien sĂ»r, marquĂ©e par lâaccrochage de Silverstone qui a causĂ© de sĂ©rieux dĂ©gĂąts du cĂŽtĂ© de Max Verstappen. Le NĂ©erlandais en garde un trĂšs mauvais souvenir.
« Je nâaurais pas envie de revivre cette annĂ©e-lĂ , avoue Max Verstappen. Elle Ă©tait⊠particuliĂšrement chaotique. Câest trĂšs difcile de lutter pour un premier titre. Maintenant que jâen ai trois, je pense que ce serait dur de revivre cette premiĂšre annĂ©e de championnat⊠Mais quand on est en plein dedans, on fonce. On fait de son mieux et on se dit que ce qui doit arriver arrivera. Enfn, dans lâidĂ©al, jâaimerais Ă©viter de retraverser tout cela. »
« LâĂ©quipe en a aussi soufert, se remĂ©more-t-il. Pendant plusieurs annĂ©es, nous Ă©tions dans lâincapacitĂ© de prĂ©tendre au titre, et nous sommes soudain revenus dans la compĂ©tition. Il y avait une vraie soif de victoire. Tout le monde cherchait encore ses marques. Aujourdâhui, nous avons bien plus confance en nous. Nous avons grandi
en tant quâĂ©quipe. Est-ce que jâaurais Ă©tĂ© plus rapide en 2021 avec lâexpĂ©rience que jâai acquise depuis ? Je ne pense pas que cela aurait changĂ© grand-chose. »
Les tensions sur le circuit se sont accompagnĂ©es de joutes verbales en dehors, mais si la saison 2021 a connu son lot de traits dâesprit, Max Verstappen a rarement pris part Ă ces Ă©changes, laissant aux autres le soin de multiplier les interventions dans la tempĂȘte mĂ©diatique qui frappait la course au titre.
Max Verstappen a toujours Ă©tĂ© fdĂšle Ă cette stratĂ©gie, et ce nâest pas prĂšs de changer. « Je ne tiens pas Ă perdre mon temps lĂ -dessus, se moque-t-il. Je trouve cela totalement inutile. Câest sans doute dĂ» au fait que, quand je rentre chez moi, je ne pense plus vraiment Ă la Formule 1. Cela vous semblera peut-ĂȘtre Ă©trange, car la F1 reprĂ©sente une grande partie de ma vie, mais pour ĂȘtre honnĂȘte, cette façon de voir les choses mâaide beaucoup. Quand jâarrive pour le week-end de course, je suis pleinement concentrĂ©, mais quand je suis Ă la maison, je prĂ©fĂšre penser Ă dâautres choses et mâoccuper diffĂ©remment. Je ne pense pas Ă la F1 pour mâendormir, et je ne me brosse pas les dents le matin en y pensant non plus. »
Lâirruption de Max Verstappen au plus haut niveau a coĂŻncidĂ© avec la fn dâune Ăšre technologique. En efet, une toute nouvelle gĂ©nĂ©ration de Formule 1 a Ă©mergĂ© dĂšs 2022. Oracle Red Bull Racing est lâĂ©curie qui a le mieux exploitĂ© le potentiel des rĂ©centes rĂ©glementations â et le pilote nĂ©erlandais a su tirer parti de tous leurs avantages en termes de performances.
Ses quinze victoires sans appel en 2022 lui ont ofert un deuxiĂšme titre, Ă 146 points de son plus proche rival, le pilote Ferrari Charles Leclerc. Et, grĂące au dĂ©veloppement de la RB19 lâannĂ©e suivante, les Ă©quipes Oracle Red Bull Racing sont passĂ©es Ă la vitesse supĂ©rieure, dominant peu Ă peu la compĂ©tition jusquâĂ un contrĂŽle presque total du championnat en 2023, lorsque Max Verstappen a rĂ©alisĂ© la meilleure saison de lâhistoire de la F1, en remportant 19 des 22 courses et en manquant le podium une seule fois.
Mais le triple champion est clair : ce nâest pas parce quâon remporte 34 courses sur 44 en lâespace de deux saisons que la victoire perd de son attrait. « La victoire ne devient pas ennuyeuse⊠Ce qui est ennuyeux, câest de ne pas gagner, intervient Max Verstappen avec emphase. Ce que je prĂ©fĂšre, câest gagner et essayer de rester au top. Câest le plus difcile. »
Le pilote nĂ©erlandais passe la ligne dâarrivĂ©e lors du Grand Prix dâAutriche sur le circuit de Spielberg, le 30 juin 2019.
«âJe nâai pas besoin de faire le show. Ce nâest pas moi.â»
15 mai 2016. Max Verstappen vient de remporter, Ă 18 ans 7 mois et 15 jours, son premier Grand Prix. Depuis ses dĂ©buts en F1 quatorze mois plus tĂŽt pour Toro Rosso, il a prouvĂ© quâil Ă©tait rapide, combatif et controversĂ©, comme tous les grands pilotes de F1 avant lui.
Toutefois, il conçoit que les spectateurs aient lâimpression dâune routine lorsquâil monte sur la plus haute marche du podium. « Certaines victoires touchent plus que dâautres. Et câest bien normal, observe Max Verstappen. Mais en gĂ©nĂ©ral, je ne montre pas beaucoup mes Ă©motions quand je gagne. Parce que je suis lĂ pour ça. Le week-end, je viens pour gagner, ce qui dĂ©pend beaucoup des conditions de course. Quand toutes les conditions sont rĂ©unies, je veux juste cocher ma to-do list et passer Ă la suite. »
« Quand on remporte un championnat, poursuit le pilote nĂ©erlandais, lâĂ©motion est plus palpable, mais en ce qui concerne la plupart des victoires⊠Je ne sais pas, chacun est difĂ©rent dans sa façon dâexprimer son ressenti. Je suis heureux, mais je nâai pas besoin de le crier au monde entier. Je suis heureux pour mon entourage et je suis content dâavoir rĂ©pondu aux attentes. Câest ce qui compte. Je nâai pas besoin de faire le show, de sauter partout ou de courir avec un drapeau. Ce nâest pas moi. »
La quĂȘte de simplicitĂ© de Max Verstappen dans lâanalyse de son succĂšs constitue le fl conducteur de sa vision du mĂ©tier. Respectant de maniĂšre presque fanatique les avis sans dĂ©tour de Helmut Marko et sâeforçant de ne pas gaspiller son Ă©nergie (Ă©motionnelle, mentale ou physique), Max Verstappen sâengage Ă dĂ©mystifer
«âJâadore la F1, jusquâĂ un certain point.â»
Max Verstappen
lâart de la Formule 1 et Ă en faire ressortir la substantifque moelle.
« Je nâai pas de mĂ©thode particuliĂšre, assure-t-il. Jâai un calendrier. Mais en dehors de ça, je prends du temps pour moi. Rien de trĂšs palpitant. Je nâai pas de rĂ©elle structure, mais je sais ce que jâai Ă faire. Et si un imprĂ©vu survient, je le gĂšre. Je nây pense pas trop, confesse-t-il. Je fais juste mon boulot et je passe Ă autre chose. Il nây a rien de bien sorcier. Et ça a fonctionnĂ© pendant toute ma vie. Il nây a que la voiture qui roule un peu plus vite que celle de mes 7 ans ! »
Le petit prodige qui faisait dĂ©jĂ des merveilles Ă 7 ans sur les circuits de kart soufera ses 27 bougies en septembre prochain. Il a consacrĂ© toute sa vie aux sports automobiles, et plus dâun tiers de son existence Ă la seule F1. Sâamuse-t-il toujours autant ? « Dâune certaine façon, oui, mais parfois non, glisset-il. Depuis quelque temps, les rĂ©seaux
sociaux ont envahi le sport. Câest la partie la moins amusante du mĂ©tier. Je prĂ©fĂšre largement me pointer sur le circuit, conduire ma voiture et travailler avec les ingĂ©nieurs. Câest ce qui me plaĂźt le plus. Disons que le monde virtuel de la F1 est le moins agrĂ©able, le moins fun. »
« Mais je sais aussi que je ne vais pas piloter toute ma vie, prĂ©vient-il. Alors jâen profte Ă fond et jâessaie dâĂȘtre le plus compĂ©titif possible tant que je veux rester dans la F1. Je suis bien conscient quâun jour, je quitterai le circuit. Et ça me va. Je me serai bien amusĂ©, jâaurai eu une belle carriĂšre et jâaurai alors du temps pour faire dâautres choses. »
Max Verstappen est certain que cette prise de conscience lui simplife grandement la vie en Formule 1, car il ne craint pas de tout perdre.
« Je nâai pas peur dâarrĂȘter la compĂ©tition, renchĂ©rit-il. Beaucoup de gens sont tellement focalisĂ©s sur leur mĂ©tier que lorsque vient le temps de sâarrĂȘter, ils rĂ©alisent quâils nâont jamais pensĂ© Ă ce quâils feraient aprĂšs. Jâai beaucoup dâidĂ©es et de projets. Je ne veux pas faire de courses jusquâĂ mes 40 ans, sillonner le monde pour participer Ă 24 ou 25 Ă©vĂ©nements par an et ĂȘtre loin de mes proches. Ce nâest pas ça qui compte. Jâadore la F1, mais jusquâĂ un certain point. Peu importe que vous ne remportiez aucun championnat, ou que vous en gagniez trois⊠ou huit. La vie [en dehors du sport] a pour moi bien plus de valeur : nous ne sommes pas Ă©ternels et je ne veux pas passer la moitiĂ© de mon existence Ă piloter une F1. »
Mais pour lâheure, hors de question quâil arrĂȘte. Lâattrait de la F1 est encore trop fort, bien quâil nâait pas dâautres trophĂ©es en ligne de mire.
« Quâest-ce que jâaime toujours dans la F1 ? La rĂ©ponse est simple : jâaime la compĂ©tition, sourit-il. En rĂ©alitĂ©, câest bien plus que cela. Jâaime toutes les personnes brillantes avec lesquelles je travaille. Cela me manquera beaucoup. Ce que je ferai aprĂšs la Formule 1 ne sera jamais aussi exceptionnel â dâautant quâavec la meilleure Ă©quipe qui soit, je suis aujourdâhui au sommet de la discipline. Câest ce qui me motive Ă revenir chaque week-end. » Clap de fn pour Max Verstappen. Dix ans aprĂšs son premier week-end de F1, il entre dans le mĂȘme espace Suzuka que le 3 octobre 2014, traverse Ă grands pas le paddock pour rejoindre son Ă©curie, fameuse, Oracle Red Bull Racing, et se prĂ©pare une nouvelle fois Ă ressentir lâexcitation de la compĂ©tition et Ă marquer les esprits. Par centaines de milliers, Ă travers toute la planĂšte.
Trésors
Red Bull Racing
nous a donnĂ© accĂšs Ă ses archives, dâun genre trĂšs spĂ©cialââ: chacun des outils de prĂ©cision que vous allez dĂ©couvrir a contribuĂ© Ă lâincroyable saga de lâĂ©curie.
Les volants actuels sont beaucoup plus complexes que cet exemple de la RB1 - lâabsence dâun grand Ă©cran central Ă©tant la diffĂ©rence la plus Ă©vidente. Cependant, bon nombre des Ă©lĂ©ments de base sont inchangĂ©s. Les poignĂ©es sont personnalisĂ©es pour chaque pilote ; les palettes sont incroyablement sensibles, et les boutons, cadrans et molettes permettent des milliers de rĂ©glages.
DĂTAILS
La RB4 marqua la fin dâun dĂ©but : le laisser-faire aĂ©rodynamique vit des voitures ornĂ©es dâailes exotiques, de spoilers et de cheminĂ©es. La voiture de Red Bull Racing montra parfois des Ă©clairs dâexcellence - un podium pour David Coulthard au Canada ; une place en premiĂšre ligne pour Mark Webber Ă Silverstone -, mais la vĂ©ritable gloire devra attendre 2009 et la page blanche dâune nouvelle Ăšre aĂ©rodynamique.
Si la puissance en chevaux Ă©tait la principale mesure de performance au dĂ©but de lâĂšre hybride, Red Bull Racing continuait de briller par son expertise aĂ©rodynamique. La version Ă nez plus court de la RB11 fut introduite lors du Grand Prix dâEspagne 2015. Comme toujours, elle Ă©tait au maximum de ses performances aprĂšs avoir Ă©tĂ© soumise Ă pas moins de quatre crashtests dâhomologation.
DĂTAILS
La plupart des grands pilotes conservent un design de casque distinctif tout au long de leur carriĂšre, sauf Sebastian Vettel. Lorsquâil performait chez Red Bull Racing, le pilote allemand prĂ©fĂ©rait des designs uniques - parfois un hommage, dâautres fois une touche de fantaisie ; il en a mĂȘme portĂ© un qui sâilluminait Ă lâoccasion dâune course de nuit. Malheureusement pour Seb, la FIA a finalement exigĂ© que les pilotes sâen tiennent principalement Ă un seul design.
CASQUES DE VETTEL
LA COURONNE DE RED BULL RACING
Plus personne ne parle des boĂźtes de vitesses des voitures de F1, car elles sont trĂšs, trĂšs, trĂšs fiables. Lorsque Red Bull Racing a rejoint la F1, chaque voiture pouvait utiliser plusieurs boĂźtes de vitesses Ă chaque course. Aujourdâhui, une boĂźte de vitesses - boĂźtier, cassette, transmission et piĂšces de rechange - est une piĂšce rĂ©glementĂ©e, chaque voiture ayant droit Ă cinq jeux pour une saison de 24 courses.
En 2022, un nouvel ensemble de rĂšgles aĂ©rodynamiques a Ă©tĂ© introduit avec le retour des voitures Ă effet de sol pour la premiĂšre fois depuis le dĂ©but des annĂ©es 1980. Des tunnels sous le plancher et un Ă©norme diffuseur permettent aux voitures modernes de gĂ©nĂ©rer dâĂ©normes quantitĂ©s dâappuis, ce qui rend la plupart des virages les plus difficiles de la F1 faciles Ă nĂ©gocier. Un progrĂšs qui, bien entendu, appelle Ă la crĂ©ation dâune nouvelle gĂ©nĂ©ration de virages encore plus redoutables.
RB18ââ/ââ2022 AILERON AVANT
La refonte aĂ©rodynamique de 2022 a radicalement transformĂ© le look des bolides. Au niveau de lâaileron avant, le cĂŽne qui gĂ©nĂ©rait le « vortex 750 », cet Ă©cart de 250 mm qui poussait lâair vers les dĂ©flecteurs pour une meilleure aĂ©rodynamique â mais qui crĂ©ait aussi un sillage important â disparaĂźt. DĂšs lors, les pilotes se rapprochent, et attaquent.
Vous ĂȘtes-vous dĂ©jĂ demandĂ© de quoi parlent le pilote de la voiture mĂ©dicale et son mĂ©decin en attendant dâĂȘtre appelĂ©s Ă lâaction ? Alan van der Merwe et le docteur Ian Roberts ont mis leur temps Ă profit et ont inventĂ© les gants biomĂ©triques que tous les pilotes de F1 portent maintenant, lesquels sont Ă©quipĂ©s dâun capteur capable de mesurer lâoxymĂ©trie de pouls. Les signaux transmis via une connexion Bluetooth industrielle dâune portĂ©e de 500 mĂštres permettent Ă lâĂ©quipe mĂ©dicale de savoir si le pilote respire, une information cruciale Ă lâheure de dĂ©cider dâun plan dâextraction en cas dâaccident.
Câest sous une pluie torrentielle et un vent Ă dĂ©corner les bĆufs que lâĂ©quipe du Red Bull Academy Programme attaque la piste du circuit de Zandvoort, aux Pays-Bas. Des conditions qui nâont pas lâair de dĂ©courager les participantes de ce championnat entiĂšrement fĂ©minin, destinĂ© Ă bouleverser la nonmixitĂ© du sport automobile et Ă leur ouvrir les portes de la F 1.
Photos Amanda Fordyce
Zandvoort est une jolie petite ville de la cĂŽte nĂ©erlandaise, connue pour ses immenses dunes de sable et pour le circuit automobile quâelles abritent : un paysage de rĂȘve quand le soleil brille, mais qui, lors de cette journĂ©e dâessais de la F1 Academy, se montre particuliĂšrement inhospitalier, avec des rafales de vent et des averses continues. En dĂ©pit de cette mĂ©tĂ©o dĂ©sastreuse, les pilotes enchaĂźnent courageusement les tours, sâaffrontant sur le circuit dĂ©trempĂ© de Zandvoort, situĂ© non loin des cĂŽtes orageuses de la mer du Nord â un lieu mythique oĂč le sport automobile, depuis longtemps dominĂ© par les hommes, est en train de vivre une petite rĂ©volution en accueillant la F1 Academy â , un championnat de niveau F4 entiĂšrement rĂ©servĂ© aux femmes.
Le projet est conçu pour permettre aux jeunes femmes pilotes de continuer Ă concourir, en intervenant Ă une Ă©tape de leur carriĂšre oĂč nombre dâentre elles ont Ă©tĂ© contraintes dâabandonner les circuits, par manque de sponsors ou dâopportunitĂ©s â mais non par manque de talent : lâidĂ©e est donc de relancer celles qui pourraient un jour arriver Ă intĂ©grer la discipline reine, la Formule 1 â qui nâa pas vu de femme pilote depuis plus de quarante ans.
Pour cette saison 2024 de la F1 Academy, trois femmes pilotes sont en train de concourir pour lâĂ©curie nĂ©erlandaise MP Motorsport : Emely de Heus et les deux sĆurs Al Qubaisi, Amna et Hamda. Ces trois femmes de talent, qui ont signĂ© pour le Red Bull Academy Programme, ont hĂ©ritĂ© de leurs pĂšres la passion pour la course automobile. MalgrĂ© un soutien parental sans faille, les difficultĂ©s quâont
rencontrĂ©es De Heus et les sĆurs Al Qubaisi pour bĂątir une carriĂšre dans le sport automobile ont Ă©tĂ© nombreuses â tant financiĂšrement que socialement. Mais les trois femmes ont su sâaccrocher pour rentrer Ă la F1 Academy. Retour au hangar MP Ă Zandvoort, aprĂšs la course : les trois pilotes sont en pleine discussion avec leurs ingĂ©nieurs de course respectifs, examinant les temps de la journĂ©e et les enregistrements vidĂ©o, afin de mieux cerner comment amĂ©liorer leurs performances. Ă lâextĂ©rieur, malgrĂ© la pluie, une brochette dâadolescents qui font le pied de grue Ă la sortie : ces fans sont lĂ pour Emely de Heus, qui vient discuter avec eux et faire des selfies.
PAS POUR FAIRE JOLI
Pour celles et ceux qui sont Ă lâorigine de la F1 Academy, dont lâobjectif est de faire Ă©merger la nouvelle gĂ©nĂ©ration de femmes pilotes de course, cette preuve dâune popularitĂ© croissante auprĂšs des jeunes est quelque chose de trĂšs positif. Susie Wolff, directrice gĂ©nĂ©rale du projet, est elle-mĂȘme une pionniĂšre sur les circuits, avec notamment une carriĂšre en tant que pilote de dĂ©veloppement en F1 chez Williams, et plus rĂ©cemment comme directrice de lâĂ©quipe Venturi Racing en Formule E. « Les obstacles financiers dans cette discipline sont
Speed sisters
F1 ACADEMY
AMNA AL QUBAISI
Pilote de course, Amna (24 ans), lâaĂźnĂ©e des deux sĆurs Al Qubaisi (voir pages suivantes), a une Ăąme de pionniĂšre : premiĂšre femme Ă©miratie Ă piloter en F3, premiĂšre femme arabe Ă participer Ă des essais en Formule E, et premiĂšre femme arabe Ă remporter une course en F4.
EMELY DE HEUS
Durant la saison qui a prĂ©cĂ©dĂ© son dĂ©but en monoplace â elle est passĂ©e Ă la F4 espagnole en 2021 â, la jeune femme de 21 ans, originaire de Mijnsheerenland (Pays-Bas), avait remportĂ© les championnats de karting Wintercup Senior dans son pays natal. « Lâun des premiers objectifs de cette Academy, câest de montrer des exemples Ă suivre. »
nombreux : en donnant Ă ces femmes et ces jeunes filles plus de visibilitĂ©, nous espĂ©rons les aider Ă progresser dans leur carriĂšre, a-t-elle dĂ©clarĂ© lors dâune interview sur le site officiel de la F1 avant le dĂ©but de la saison 2024. Nous ne sommes pas lĂ uniquement pour faire joli, mais pour agir concrĂštement sur le dĂ©veloppement de leur carriĂšre. »
Les fans de sport automobile auront sans doute un sentiment de dĂ©jĂ -vu, aprĂšs le lancement en 2019 des W Series, le premier championnat de course rĂ©servĂ© aux femmes. « Cela a permis de dĂ©construire ce clichĂ©, en montrant des femmes qui occupaient les circuits et se tenaient sur les podiums, tous les week-ends : ces images ont eu un impact trĂšs fort », dit Hazel Southwell, journaliste spĂ©cialisĂ©e en sport automobile. Pourtant, en dĂ©pit dâune popularitĂ© croissante, les W Series ont Ă©tĂ© dissoutes aprĂšs trois saisons, par manque de financements : une liquidation qui semblait sonner le glas du sport auto pour les femmes et qui fut un coup dur pour les pilotes concernĂ©es â dont Emely de Heus. La F1 Academy a donc Ă©tĂ© lancĂ©e en 2023 pour combler ce manque.
AprĂšs une premiĂšre saison assez hĂ©tĂ©roclite, celle de 2024 est vĂ©ritablement ancrĂ©e dans le monde de la F1, puisque chacune des sept courses se dĂ©roulera le mĂȘme week-end que les Grands Prix de F1 Ă Djeddah, Miami, Barcelone, Zandvoort, Singapour, au Qatar et Ă Abu Dhabi â et seront toutes diffusĂ©es en direct sur YouTube.
Mais le changement majeur rĂ©side dans le fait que dĂ©sormais, toutes les grandes Ă©curies de F1 ont intĂ©grĂ© une femme dans leur programme de formation, ce qui veut dire que leurs couleurs apparaĂźtront sur les voitures de la F1 Academy pendant toute la saison 2024. Plus que toutes les autres Ă©curies de F1, Red Bull sponsorise Ă elle seule trois Ă©quipes : un partenariat qui inclut des temps de simulation ainsi que des programmes de dĂ©veloppement physique. Pour Amna Al Qubaisi, pilote Visa Cash App RB du programme Red Bull, la F1 Academy a Ă©tĂ© une vĂ©ritable « bouĂ©e de secours », en intervenant au moment oĂč elle avait quasiment tirĂ© un trait dĂ©finitif sur ses espoirs de carriĂšre en sport auto. InspirĂ©e par son pĂšre, qui concourait pour les Endurance et Porsche Supercup Series (et qui fut le premier pilote Ă©mirati Ă participer aux 24 Heures du Mans), lâadolescente se met au karting et remporte ses premiers succĂšs aux Ămirats arabes unis. Amna a Ă©tĂ© rejointe par sa sĆur Hamda, et ensemble, les deux
Les deux sĆurs ont la course dans le sang : Hamda (Ă g.) et Amna (dr.). Le duo Al Qubaisi sâentend Ă merveille avec leur collĂšgue de MP Motorsport, Emely de Heus (au centre).
jeunes femmes sont devenues un phĂ©nomĂšne mĂ©diatique en bouleversant lâimage des femmes pilotes dans le monde arabe et au-delĂ .
« HonnĂȘtement, je nâaurais jamais cru arriver jusque-lĂ , admet la jeune femme de 24 ans. On mâa souvent dit que le sport automobile Ă©tait fait pour les hommes, alors je suis ravie dâavoir rĂ©ussi, avec ma sĆur, Ă bousculer ces clichĂ©s. Je reçois souvent des messages de femmes qui me racontent que grĂące Ă nous, leurs parents les soutiennent dans ce sport. Nous avons observĂ© un grand changement ces derniĂšres annĂ©es, et il y a de plus en plus de filles dans les compĂ©titions aux Ămirats arabes unis
«âPour moi, les perfs de notre binĂŽme sont comparables Ă celles de Max Verstappen.â» Amna Al Qubaisi
â ce qui est une excellente nouvelle, car les courses locales ont un rĂŽle crucial dans une carriĂšre : chaque champion a Ă©tĂ© un dĂ©butant un jour. »
Ă
SA PLACE
Mais pour passer du statut dâamateur Ă celui de professionnel, lâargent est le nerf de la guerre : les coĂ»ts exorbitants liĂ©s Ă ce sport finissent par dĂ©courager de nombreux pilotes, mĂȘme talentueux. Câest aussi ce qui explique quâon a rarement des couples de frĂšres et sĆurs â comme Michael et Ralf Schumacher âqui rĂ©ussissent Ă faire carriĂšre ensemble : câest tout simplement trop cher. Il y a quelques annĂ©es, alors que les deux sĆurs se partageaient un sponsor et que les financements diminuaient, Amna a fini par se rĂ©signer en laissant la place Ă Â sa petite sĆur. « Je voulais donner sa chance Ă Hamda, car je sentais que jâavais dĂ©jĂ eu la mienne, explique Amna, qui a laissĂ© tomber la F3 pour Ă©tudier Ă lâuniversitĂ©. Les gens croient que nous roulons sur lâor parce que nous venons dâun certain milieu, mais câest faux : nous avons travaillĂ© trĂšs dur⊠pour finalement
devoir choisir laquelle dâentre nous aurait le droit de continuer. La F1 Academy est donc arrivĂ©e Ă point nommĂ©, et je suis tellement heureuse quâelle mâait donnĂ© une seconde chance. »
En avril dernier, aprĂšs presque deux ans dâabsence, sa premiĂšre compĂ©tition Ă la F1 Academy se solde par une victoire sur le Red Bull Ring, en Autriche. Depuis, Amna se considĂšre comme le parfait complĂ©ment de sa sĆur : « Je suis trĂšs agressive et je dirais que jâai davantage le courage de freiner trĂšs tard, alors quâHamda est une conductrice beaucoup plus douce. Dans certains virages, câest elle qui est plus rapide que moi, tandis que dans dâautres, je suis plus rapide quâelle. Pour moi, les performances de notre binĂŽme sont comparables Ă celles de Max Verstappen. »
Leur lien de sororitĂ© sâest rĂ©cemment Ă©tendu Ă Emely de Heus, quâAmna appelle affectueusement « lâautre sĆur ».
Alors que les autres Ă©curies de la F1 Academy ont modifiĂ© leurs Ă©quipes pour 2024, MP Motorsport a gardĂ© le mĂȘme groupe pour le programme Red Bull Academy. Le courant semble passer parfaitement entre les trois femmes, qui se retrouvent non seulement sur la piste mais aussi sur leurs vidĂ©os TikTok.
Lors de la premiĂšre Red Bull Academy en 2023, De Heus et Amna ont chacune remportĂ© de belles victoires, mais câest Hamda qui sâest rĂ©vĂ©lĂ©e ĂȘtre la surprise de
Toutes les grandes écuries de F1 ont intégré une femme dans leur programme de formation.
mais pour les femmes arabes, câĂ©tait encore plus improbable : aujourdâhui, je peux dire que jâai vraiment trouvĂ© la place qui me convient. »
COMME MAX OU LEWIS
la saison, terminant troisiĂšme du championnat avec quatre victoires et trois autres podiums â malgrĂ© une grave blessure au poignet avant le dĂ©but de la saison. Son mĂ©decin lui avait prĂ©dit une convalescence de quatre mois â elle nâaura durĂ© que six semaines. « Quand je me suis cassĂ© le bras, jâai cru que je pouvais dire adieu au sport auto », se souvient la jeune femme de 21 ans, qui fera cette saison 2024 dans le cadre du Red Bull Racing Pepe Jeans Academy Programme. « Revenir dans la compĂ©tition aprĂšs cet accident mâa fait prendre conscience de lâimportance que ce sport a pour moi. Jâai traversĂ© des moments trĂšs durs, mais je me suis accrochĂ©e et ça a payĂ©. » En crĂ©ant la surprise en 2023, la jeune Ămiratie a pu non seulement dĂ©montrer ses qualitĂ©s de pilote, mais aussi laisser apprĂ©cier sa dĂ©termination : « Quand nous avons dĂ©marrĂ©, câĂ©tait dĂ©jĂ complĂštement anormal de voir des femmes dans ce sport,
Quand elles ne sont pas sur la piste, les pilotes se retrouvent dans le hangar de MP Motorsport pour sâentraĂźner avec Sarah Harrington, responsable du programme Red Bull Academy : Ă©tirements, exercices de rĂ©activitĂ© ou de renforcement du cou⊠Si les trois pilotes suivaient dĂ©jĂ un programme physique avant dâĂȘtre prises en charge par Red Bull, leur approche est dĂ©sormais plus structurĂ©e et cohĂ©rente. « Le premier objectif que nous avons, câest dâĂ©duquer les pilotes, explique Harrington, une ancienne coureuse de 400 mĂštres. On est amenĂ©es Ă voyager Ă©normĂ©ment dans ce sport : il est donc primordial dâavoir une vraie discipline dâentraĂźnement, qui ne risque pas dâavoir des rĂ©percussions nĂ©gatives sur la course en Ă©puisant les athlĂštes. » Harrington souligne quâil nây a aucune preuve que les femmes soient dĂ©savantagĂ©es physiquement par rapport aux hommes dans les sports motorisĂ©s â cela dit, un entraĂźnement bien adaptĂ© peut considĂ©rablement aider Ă combler les Ă©carts : « Les femmes sont tout Ă fait capables de rĂ©pondre aux exigences physiques dâune course. Cependant, la force peut ĂȘtre un facteur limitant, donc il faut
HAMDA AL QUBAISI
Ă 21 ans Ă peine, la jeune pilote Ă©miratie est la premiĂšre femme Ă sâĂȘtre tenue sur un podium lors du championnat de F4 en Italie, avec une troisiĂšme place en 2021.
travailler dessus. Peu importe le talent dâun pilote, si vous nâavez pas la force de tenir votre nuque, votre vision sera altĂ©rĂ©e. Plus votre cou est solide et conditionnĂ© pour supporter ces pressions, plus vous serez performant. La F1 Academy offre Ă©videmment la possibilitĂ© Ă ces femmes de concourir et de conduire, mais lâun des premiers aspects du projet est de crĂ©er des exemples inspirants : la façon dont elles conduisent, dont elles sâentraĂźnent â ces filles sont de vĂ©ritables athlĂštes de pointe. »
Si la F1 Academy peut offrir un entraßnement de qualité, tant sur le plan physique que professionnel, elle a une influence limitée sur les perspectives de carriÚre des femmes qui y participent :
câest pour cette raison quâun autre volet du projet consiste Ă promouvoir le karting au niveau local chez les jeunes filles. En parallĂšle, les experts comme les pilotes interpellent les organisateurs des championnats de karting Ă faire quelque chose contre lâabsence de filles dans cette discipline. Sans cette double synergie, les progrĂšs rĂ©alisĂ©s par lâAcademy risquent de se heurter de nouveau Ă la rĂ©alitĂ© â stagnante â du terrain.
Ancien pilote de McLaren et Red Bull, David Coulthard fait partie de ceux qui essaient dâexplorer des voies nouvelles pour aider les jeunes talents dans le sport automobile : le pilote Ă©cossais, qui a remportĂ© treize Grands Prix au cours de ses quatorze annĂ©es de carriĂšre en F1,
a longtemps soutenu les femmes dans ce domaine, avec notamment la crĂ©ation de More Than Equal, un projet qui sâefforce dâidentifier et de soutenir les femmes au dĂ©but de leur parcours.
« Celles qui ont du talent recevront le mĂȘme traitement que Max [Verstappen] ou Lewis [Hamilton], explique Coulthard, qui a montĂ© ce projet en mĂ©moire de sa dĂ©funte sĆur Lynsay, une excellente pilote de karting qui, selon lui, nâa jamais eu la possibilitĂ© concrĂšte de passer professionnelle. Le critĂšre de sĂ©lection est simple : câest le temps au tour. Cela nous a permis dâidentifier dĂ©jĂ quelques filles en karting, et je suis convaincu quâavec le bon entraĂźnement mental et physique, elles auront de bien
meilleures chances. » Les pilotes de la F1 Academy ne peuvent concourir que durant deux saisons. AprĂšs cela, les participantes ont plusieurs options pour la poursuite de leur parcours. Certaines, comme la championne 2023 de lâAcademy Marta GarcĂa LĂłpez et la vicechampionne LĂ©na BĂŒhler, entreront au championnat dâEurope de Formule RĂ©gionale (FREC).
Dans le meilleur des scĂ©narios, les pilotes en herbe pourront passer Ă lâĂ©tape supĂ©rieure en intĂ©grant la F3. Dâautres, enfin, peuvent carrĂ©ment quitter la F3, Ă lâinstar de la double championne des W Series Jamie Chadwick, qui participe depuis deux ans aux championnats dâIndy NXT.
La F1 Academy fait partie de ces projets qui Ćuvrent Ă crĂ©er du changement.
UNE PRESSION ĂNORME
Alors que la F1 devient de plus en plus ouvertement lâobjectif Ă atteindre Ă long terme pour de nombreuses femmes pilotes, la question qui se pose dĂ©sormais est de savoir si la voie vers la discipline reine existe aussi pour elles. La F1 Academy apporte sa contribution en aidant les femmes Ă gagner les points nĂ©cessaires pour la Super Licence, indispensable pour rouler en F1 â une condition que jusquâĂ prĂ©sent, seule la pilote britannique Katherine Legge a pu atteindre, mĂȘme si ses points ont expirĂ© en 2019. Lucide, Amna concĂšde : « Tout le monde se demande quand est-ce quâon verra une femme rouler en F1, mais le jour oĂč nous en verrons une, les gens se demanderont ce quâelle fait lĂ . Moi, ce jour-lĂ , je serai tellement heureuse ! Peu importe ce qui se passe, elle y sera arrivĂ©e, elle aura mĂ©ritĂ© sa place en F1. » Ătant donnĂ© lâattention inĂ©vitable que cet Ă©vĂ©nement suscitera, la prochaine femme qui accĂšdera Ă la F1 aura sans doute lâimpression dâĂȘtre la toute premiĂšre, bien que la vĂ©ritable pionniĂšre ait fait ses dĂ©buts il y a 65 ans : au cours des saisons 1958 et 1959, lâItalienne Maria Teresa de Filippis a reprĂ©sentĂ© Maserati et Behra-Porsche (durant cinq courses), ouvrant la voie Ă sa compatriote Lella Lombardi qui est devenue la premiĂšre â et jusquâĂ prĂ©sent la seule â femme Ă marquer des points au championnat de F1, avec une sixiĂšme place au Grand Prix dâEspagne en 1975 dans sa March-Ford. Dans une interview donnĂ©e en 2006 au magazine The Observer, De Filippis se souvient avoir Ă©tĂ© refusĂ©e Ă lâentrĂ©e du Grand Prix de France par un directeur de course : « Il mâa dit que le seul endroit oĂč une femme devrait porter un casque, câest chez le coiffeur, se souvient-elle. Ă part cela, je ne pense pas avoir rencontrĂ© de prĂ©jugĂ©s â seulement de la surprise face Ă mon succĂšs. »
Seules quatre autres pilotes ont participĂ© Ă un week-end de course depuis le rĂ©sultat historique de Lombardi Ă Madrid â la plus rĂ©cente est lâactuelle directrice de la F1 Academy Susie Wolff, qui a participĂ© aux essais pour Williams au Grand Prix de Grande-Bretagne en 2014. « La
pression sur les femmes est Ă©norme, souligne Southwell. Imaginez que vous soyez la seule fille au dĂ©part, dans une voiture mĂ©diocre, et que vous couriez le risque de condamner toutes les autres femmes si vous ne roulez pas comme Ayrton Senna : câest une invitation Ă lâĂ©chec. »
Southwell se souvient de lâexpĂ©rience quâa vĂ©cue Chadwick, la triple championne des W Series, alors que sa popularitĂ© explosait : « Elle Ă©tait parfaitement consciente du fait que chacune de ses courses allait bien au-delĂ des performances individuelles : elle Ă©tait devenue un modĂšle pour toutes les filles qui auraient un jour envie de lâimiter. De savoir tous ces espoirs braquĂ©s sur vous, ça vous met une Ă©norme pression. »
Toutes celles et ceux qui travaillent Ă favoriser la place des femmes dans ce sport sâaccordent sur une chose : il nâest pas trĂšs utile dâessayer de prĂ©dire le jour oĂč lâon verra des femmes en F1 â mĂȘme si les prĂ©visions les plus optimistes tablent sur quelques annĂ©es. « Jusquâici, aucune femme nâa rĂ©ussi Ă rentrer en F1 pour y rester suffisamment longtemps, explique Coulthard. Mais cela a Ă©tĂ© plus difficile pour elles, alors si nous leur donnons les mĂȘmes chances que celles donnĂ©es aux hommes, les choses vont commencer Ă bouger, pas forcĂ©ment dans les prochaines annĂ©es... mais peut-ĂȘtre dans la prochaine dĂ©cennie. »
La F1 Academy fait justement partie de ces projets qui Ćuvrent Ă crĂ©er du changement. Lors des championnats Extreme E â oĂč 50 % du peloton Ă©tait fĂ©minin â et EY, on a ainsi observĂ© que lâĂ©cart de vitesse entre hommes et femmes sâest rĂ©duit de 51 % entre la premiĂšre et la troisiĂšme saison, grĂące des temps de piste et dâentraĂźnement plus Ă©quitables. « Cela ne me surprend pas, commente Hamda. Lors de ma deuxiĂšme saison dans le championnat italien de F4 en 2021, quand je suis devenue la premiĂšre femme Ă obtenir une place sur le podium de la compĂ©tition, en terminant troisiĂšme, jâavais fait beaucoup plus dâessais dans la prĂ©-saison â autant que mes coĂ©quipiers masculins. RĂ©sultat : contrairement Ă lâannĂ©e prĂ©cĂ©dente, jâai fait aussi bien quâeux cette annĂ©e-lĂ . Les femmes peuvent rouler aussi bien que les hommes, pour peu quâon leur donne les mĂȘmes chances. » Et Emely de Heus de conclure : « Chaque fois que jâai participĂ© Ă une course et que jâai regardĂ© autour de moi qui Ă©taient mes concurrents, je nâai jamais vu un garçon ou une fille â juste un autre pilote sous son casque. Et câest comme ça que ça devrait ĂȘtre. »
«âSi le sport automobile Ă©tait aussi accessible que le football, la grille de F1 ne ressemblerait pas Ă ce quâelle est aujourdâhui.â»
Sous les couleurs de Campos Racing, il est le pilote de F2 Ă ne pas lĂącher du regard â si toutefois vous arrivez Ă le suivre. IntĂ©grĂ© au programme Red Bull Junior Team, Isack Hadjar grimpe les Ă©chelons du sport auto, lucide sur le travail Ă accomplir et avec la volontĂ© de voir son sport changer de visage.
ISACK HADJAR
Ne le cherchez pas ! Sympa et accessible, Isack Hadjar, 19 ans, nâen est pas moins un pilote coriace et engagĂ©.
«âQuand
tu es jeune
et que tu te fais laminer en karting par manque de moyens, câest compliquĂ©.â»
que je sais que si je ne fais pas dâerreur, il ne peut pas me coller 5 secondes, pas possible. Ă ce moment-lĂ , jâĂ©tais un peu en difficultĂ© parce que je mâĂ©tais battu avec Victor (Martins, un pote dâIsack, ndlr) et jâavais un peu pourri mes pneus, et derriĂšre, jâavais Zane Maloney qui mâa mis la pression pendant beaucoup de tours. Jâai maintenu le gap, mais câĂ©tait vraiment chaud avec lui. Donc cette pĂ©nalitĂ© nâa pas du tout changĂ© ma situation, en fait, jâĂ©tais en train de dĂ©fendre ma premiĂšre place. Jâai ignorĂ© Crawford, je savais que jâallais gagner avec sa pĂ©nalitĂ©, par contre il fallait prĂ©server cette premiĂšre place avec ce mec derriĂšre qui me collait au cul.
19 ans et tellement de promesses associĂ©es Ă son nom. Isack Hadjar a dĂ©butĂ© dans le karting avant de passer aux championnats de Formule 4 et de Formule 3, oĂč il sâest rapidement distinguĂ© par ses performances impressionnantes. Membre du Red Bull Junior Team depuis 2021, il bĂ©nĂ©ficie dâun soutien crucial pour sa progression dans les catĂ©gories supĂ©rieures du sport automobile, renforçant son objectif de devenir un pilote de Formule 1. Nous le rencontrons quelques jours aprĂšs une victoire sur le mythique circuit anglais de Silverstone, qui lui vaut de prendre la tĂȘte du classement de la saison de F2. Ă lâapproche de notre entretien, les mĂ©dias F1 Ă©voquent une possible montĂ©e de ce Franco-AlgĂ©rien en F1, au sein de lâĂ©curie Visa Cash APP RB. Pas de quoi mettre le jeune pilote en surchauffe, il dĂ©barque serein et accessible. Rapidement, son caractĂšre bien trempĂ© se fait sentir. Nous voilĂ partis pour une heure avec un passionnĂ© de pilotage franchement agrĂ©able, Ă lâobjectif clair. Et conscient quâil ne lâatteindra que dâune seule maniĂšre.
the red bulletin : Nous Ă©tions devant nos Ă©crans dimanche matin pour savourer ta victoire Ă Silverstone. Vu dâun canapĂ©, on se dit : « Câest top, Isack prend la tĂȘte du championnat, il doit ĂȘtre dingue ! » CâĂ©tait aussi excitant de ton cĂŽtĂ© ?
isack hadjar : Quand je gagne, je ne suis pas au courant du classement du championnat. On sait en F2 Ă quel point ça va vite, ça fait yoyo dans le classement. Ăa fait plaisir de voir son nom affichĂ© en haut, on est premier du championnat Ă©quipe, câest cool. Je suis content de ma victoire, du taf que jâai fait, et ça me rassure pour la suite, ça me donne plus de confiance, mais honnĂȘtement, tant que le championnat nâest pas pliĂ©, le classement, je nâen fais pas grand-chose. Câest sĂ©ance par sĂ©ance.
Durant la course, au tour 19⊠Alors moi, je ne suis pas calĂ© lĂ -dessus, le tour 12, tout ça, je ne sais pas ce que jâai fait⊠(sourire) Le tour 19, quâest-ce que jâai fait ?
Eh bien, Ă ce tour 19, câest passĂ© en mode bagarre, le pilote amĂ©ricain Jak Crawford, en tĂȘte, prend une pĂ©nalitĂ© de 5 secondes, ce qui te propulse en premiĂšre place⊠âCrawford has a penalty?! â, tu poses la question Ă ton gars Ă la radio, et il te dit « reste calme, reste calme ! »⊠On sent une espĂšce dâĂ©quilibre entre la fougue, la hargne, pour y arriver, ĂȘtre en tĂȘte, et un selfcontrol⊠Comment tu maintiens cet Ă©quilibre, ĂȘtre explosif mais dans la maĂźtrise ?
Quand il y a eu lâinfo quâil a eu la pĂ©na, je nâai plus du tout calculĂ© le leader, parce
Tu parles Ă la radio, tu gĂšres lâinfo de la pĂ©nalitĂ©, ce mec derriĂšre⊠On a lâimpression que vous pouvez faire mille trucs au volant, Ă prĂšs de 300 km/h, pas « juste » piloter⊠Ăa sâapprend ?
En fait, je maĂźtrise tellement mon milieu que je sais exactement ce que je dois faire, sur quoi je dois me concentrer⊠Dans la voiture, tu as beau ĂȘtre dans ton cockpit, tu arrives Ă te faire une image de la course et du schĂ©ma de la course. Je pense que câest lĂ oĂč je suis fort le dimanche : je sais ce qui se passe autour de moi, Ă quel tour le mec a pitĂ©, est-ce quâil a de meilleurs pneus que moi, je sais sâil est en train dâĂ©conomiser, je sais si lâautre est sur une stratĂ©gie dĂ©calĂ©e...
Tout ça, je le sais parce que je maßtrise mon sujet.
Parce quâon te passe les infos ou parce que tu as une perception, un genre de troisiĂšme Ćil dans la nuque ?
Il y a de ça, oui⊠(rires) Et la communication avec lâingĂ© qui me donne les bonnes infos, je lui casse les co**lles.
Comment il sâappelle ? Jose, mais on lâappelle Pepe.
Comment devient-on « Pepe » ? Mon Pepe Ă moi, câest un ingĂ©nieur, qui a fait des Ă©tudes, qui aime le sport auto, il a commencĂ© dans de plus petites catĂ©gories, et il est arrivĂ© en F2 en tant quâingĂ©nieur de pistes, Ă lâĂ©poque, câĂ©tait la GP2⊠Il a vu beaucoup de trĂšs bons pilotes passer, il a fait pas mal dâĂ©quipes, il a jouĂ© pas mal de titresâŠ
Câest un genre de pote ou quelquâun qui doit te pousser en permanence pour rester au max et rester focus ?
Il y a un Ă©cart dâĂąge qui fait que ça ne peut pas ĂȘtre mon « pote », il y a ce respect, il pourrait ĂȘtre mon pĂšre. On a la mĂȘme
approche du travail, du coup on se fout beaucoup sur la gueule⊠(rires)
Quelle est votre approche, du coup ? On aime creuser, chercher les dĂ©tails pour aller chercher la performance. Jâadore lui poser des questions auxquelles il ne peut pas rĂ©pondre, chacun essaie de mettre lâautre en difficultĂ©. Je prends lâexemple de la qualif de Silverstone, il ne mâa pas dit que jâavais fait du bon boulot, il mâa juste dit : « Câest bien. (sourire) Tu aurais pu passer plus fort ici, on a mal gĂ©rĂ© ça, okay, okay⊠» Il y a toujours cette recherche de perfo. Ă la radio, il peut en prendre plein la gueule, mais on se connaĂźt et il le prend bien, ce sont les mĂ©dias qui sont plus touchĂ©s que luiâŠ
Quâest-ce que ça peut vous foutre, les gars ? (rires)
Vous ĂȘtes tellement engagĂ©s pour pousser la performance que tu ne vas pas prendre de filtre pour lui dire les chosesâŠ
Exactement. On est dans une position oĂč on joue le titre, on joue devant Ă toutes les courses, et il y a donc un respect : il me donne la voiture qui peut me permettre de jouer devant, et je suis le pilote qui peut le faire gagner. Je fais ce quâil faut pour ça, donc on peut se parler comme ça.
Tu as fait ta premiĂšre pole position en F2 vendredi dernier, mais tu es dĂ©jĂ perçu comme un pilote solide, quoi quâil arrive, pole position ou pas. Les trois derniĂšres annĂ©es, jâai fait deux poles, mais jâai gagnĂ© plusieurs courses, et sur la plupart de mes victoires, ça sâest fait en partant de derriĂšre, dans des championnats oĂč ce nâest pas Ă©vident de doubler, et oĂč souvent on gagne en partant de la pole. Du coup, jâai cette image du gars qui joue souvent devant, câest sympa, je prends.
Ăvoquons Ă prĂ©sent tes dĂ©buts, tes pemiers coups de cĆur avec les bagnoles, celles que tu vois au cinĂ©ma, le film dâanimation Cars⊠Tu essaies le karting vers tes 6 ans, Ă Porte de la Chapelle, Ă lâentrĂ©e de Paris⊠Chez S-Kart. Grosse dĂ©dicace Ă eux.
Toutefois, la Chapelle, ce nâest pas Silverstone ou la Red Bull Energy Station Ă Monaco⊠(Isack Ă©clate de rire.) Câest sĂ»r.
La symbolique est intĂ©ressante, car il nây a pas trente ans entre ces deux rĂ©alitĂ©s, mais un temps assez court :
«âLe seul truc que je peux faire, câest de me montrer tous les week-ends et de les Ă©teindre.â»
treize ans seulement te séparent de ce sport de karting en Seine-Saint-Denis.
Tu tây revois ?
Je ne me rappelle pas de ce que je pensais du sport auto Ă ce moment-lĂ . En fait, je ne sais pas si jâai toujours voulu aller en F1 ou pas, si je faisais ça pour mâamuser ou non. Je nâarrive pas Ă me rappeler quand câest devenu sĂ©rieux. Et ça, câest dommage.
Tu le regrettes ? Mais est-ce que ça nâest pas aussi un bon moyen dâavancer, cette espĂšce de dĂ©tachement ?
La Formule 1, ça a toujours Ă©tĂ© Ă©vident, donc je nây ai jamais vraiment pensĂ©, je nâai jamais eu ce genre de dĂ©clic, car câĂ©tait naturel. Pour moi, ça a toujours Ă©tĂ© normal dâavoir un volant entre les mains et dây aller. Ă cette Ă©poque, je regardais Ă peine la F1, jâĂ©tais fan de Cars, en effetâŠ
Vraiment fan, avec parure de lit et tout ? Je regardais le film tous les jours, et jâai toujours mon doudou Cars Ă la maison. JâĂ©tais fan de bagnoles, et plus tard jâai vu le documentaire sur Ayrton Senna. Et lĂ , gros coup de cĆur pour la personne, le charisme quâil dĂ©gageait. Quand tu le vois dans sa voiture avec le casque jaune, et chaque fois quâil Ă©tait en piste, il Ă©tait spectaculaire comparĂ© aux autres pilotes. Il mâa marquĂ©.
Dix ans plus tard Ă peu prĂšs, tu as 16 ans, interview pour un mĂ©dia en ligne, tu sembles dĂ©jĂ hyper cash, lucide, notamment Ă propos du financement dâune carriĂšre de pilote. Tu Ă©voques le soutien de ta mĂšre pour dĂ©crocher des financements. Pierre Gasly Ă©voquait lui aussi cette quĂȘte de financement dans lesquelles sâimpliquaient ses parents. On a eu les mĂȘmes problĂ©matiques. DĂšs le karting, les prix sont exorbitants, et depuis la gĂ©nĂ©ration de Pierre Gasly, les prix dans la compĂ©tition automobile ont explosĂ©. En karting, je nâai jamais Ă©tĂ© dans les bonnes conditions, câest toujours mon pĂšre qui a fait ma mĂ©canique, pendant trĂšs longtemps, alors que dâautres pilotes avaient des Ă©quipes privĂ©es. Je nâai
jamais pu faire le calendrier en entier, toutes les courses, avoir le meilleur moteur, etc. Jâai toujours dĂ» compenser, câĂ©tait frustrant quand je rentrais dâune course, le lendemain je devais retourner Ă lâĂ©cole tandis que des mecs allaient rouler, tester parce quâils faisaient lâĂ©cole Ă la maison. Je nâai pas eu droit Ă ce parcourslà ⊠Je nâai pas de trĂšs bons souvenirs du karting.
Pour autant, tu Ă©tais toujours dâattaque Ă la prochaine course. Parce que tu voyais tes parents sâinvestir ?
Parce que jâadorais ça. On nâa jamais couru aprĂšs les titres en karting. Mon pĂšre a toujours eu cette approche : « Tu es lĂ pour te former, ce nâest pas parce que tu vas avoir des titres en karting que tu vas ĂȘtre champion du monde de F1. » Quand tu es gamin, tu as forcĂ©ment du mal Ă comprendre ça, tu es en mode : « Donne-moi le moteur, donne-moi les jours de roulage et je vais les dĂ©monter ! » Tu as du mal Ă te rendre compte de ce qui est vraiment important. En fait, le karting, câest important pour apprendre les bases, mais tous les mecs que je suis en train dâexploser en F2 et que jâai Ă©clatĂ©s en F3 aussi, ce sont des mecs qui me mettaient la misĂšre en karting.
Tu roulais avec eux en karting ?
Oui, on a tous grandi ensemble, on se connaĂźt tous depuis ces annĂ©es-lĂ . Câest maintenant que je comprends, mais quand tu es jeune et que tu te fais laminer en karting par manque de moyens, câest compliquĂ©. Par contre, ça te pousse Ă dĂ©velopper une autre approche : comment je peux compenser ? Comment je mâarrache pour rester prĂ©sent et performer ?
Ăa donne envie dâaider de jeunes gars ?
Tout ça, câest mal fait⊠Si le sport automobile Ă©tait aussi accessible que le football, la grille de F1 ne ressemblerait pas Ă ce quâelle est aujourdâhui.
Il y aurait plus de Français ?
Il y aurait plus de tout. Surtout des meilleurs pilotes. On ne maximise pas le talent de la grille en F1.
Est-ce quâun pilote comme Hamilton est la preuve quâun autre type de pilote de F1 a sa place sur la grille ? Il a Ă©tĂ© le premier signal du changement ?
Non, câest juste lui qui est hors du commun et qui a fait la diffĂ©rence dans un systĂšme qui est mauvais, câest tout. Je pense que câest ça, la force de ce mec. Câest un bon gars, ça se voit.
Sâil faut avoir certains moyens pour progresser en F1, naturellement, au dĂ©part, on va se priver de beaucoup de talents.
Exactement. DĂ©jĂ , le prix du karting Ă©limine une bonne partie des bons pilotes potentiels. Lâexemple du Rallye Jeunes, câest gĂ©nial...
Quel est le concept ?
Tu mets vingt balles, tu as des Ă©preuves, une dĂ©tection, et celui qui gagne a une carriĂšre soutenue. (Les pilotes de rallye SĂ©bastien Ogier, SĂ©bastien Loeb et Adrien Fourmaux sont passĂ©s par lĂ , ndlr.) Il faut aider les gamins Ă ne pas rencontrer de difficultĂ©s ou voir leurs rĂȘves se briser parce quâils nâont pas les tunes. (AgacĂ©.) Ăa me rend ouf.
Il y a aussi lâexemple de la GT Academy qui permettait Ă des fans du jeu Gran Turismo de devenir dâauthentiques pilotes.
Une simple dĂ©tection sur simulateur serait un super outil. Je pense quâil y a des gens qui commencent Ă travailler lĂ dessus et que ça va changer, parce que ça nâest pas possible.
Tes guides, tes mentors, ceux qui tâont aidĂ©, qui sont-ils ou elles ?
Il y a beaucoup de personnes qui mâont filĂ© des coups de main, Ă leur niveau, mais câest dur de les citer personnellement, Ă part mes parents. Ma mĂšre sâest battue pour aller chercher les sponsors et les budgets, câest avec mon pĂšre que jâai fait des milliers de kilomĂštres, qui mâa fait la mĂ©canique pendant des annĂ©es en karting, et qui mâa toujours donnĂ© cette perspective et cette mĂ©thode de travail. Jâai eu du mal Ă la comprendre, mais quand je vois oĂč jâen suis, avec les moyens quâon a eus⊠Avec un autre pĂšre, je nâaurais pas tenu longtemps.
Du soutien, tu en as aussi reçu en intégrant le Red Bull Junior Team. Alors là , on entre dans une autre dimension !
Pourquoi ?
(Il prend son temps.) Ce que jâai aimĂ© dans ce moment-lĂ , intĂ©grer le programme Red Bull Junior Team, câest cette notion du « enfin ! » : si jâai les rĂ©sultats, que je gagne et que lâon voit que je performe, jâirai lĂ oĂč je veux. Câest certain, câest Ă©crit noir sur blanc. Câest ça le plus important, cette sĂ©curitĂ© et cette perspective. Pendant des annĂ©es, tu navigues dans un dĂ©sert, tu ne sais pas vraiment oĂč tu vas, et quand Red Bull te signe, si tu
performes en F3 et en F2, tu sais oĂč tu arrives, et ça nâa pas de prix. Câest le plus rassurant pour un pilote, pour un sportif. Quand ça ne dĂ©pend plus que de toi, il nây a rien de mieux. Il nây a pas que ça, bien sĂ»r, il faut aussi aller dans la bonne Ă©quipe, bien rouler et tout peut arriver, mais tu as une vraie perspective.
Dans la F1, Red Bull fait Ă©voluer deux Ă©curies, Red Bull Racing et Visa Cash APP RB, et sâappuie sur un personnage trĂšs important, Helmut Marko, expilote automobile autrichien, notamment responsable de la filiĂšre des jeunes pilotes. Tu as une connexion directe avec lui ? Tu as son tĂ©l ? Ouais. Je lâappelle, parfois.
Il répond ?
Toujours, et sâil ne rĂ©pond pas, il te rappelle. Je mâentends bien avec lui, et quand je lâappelle, ça nâest pas pour parler de conneries. (rires) Parfois, quand tu fais de la merde, câest mieux de lâanticiper et de lâappeler, avant quâil ne tâappelle. Je lâai appris, il apprĂ©cie, il est plus cool.
En regardant ton actu avant notre entretien, jâai vu des choses apparaĂźtre du genre « Isack Hadjar en F1 lâan prochain chez Visa Cash APP RB ». Quâen dis-tu ?
Pour commencer, je nâen sais rien. Mais si le Junior Team et le team B (Visa Cash APP RB, ndlr) existent, câest pour une raison.
«âJe bouge plus vite que vous.â»
Et puis on voit trĂšs bien ce qui se passe en ce moment, le driver market bouge beaucoup. Mais le seul truc que je peux faire, câest de me montrer tous les week-ends et de les Ă©teindre. Il faut quâon parle de moi, il faut que dans la conversation on pense Ă Isack qui est en train de les dĂ©gommer. Il nây a que ça que je peux faire, et ça me va.
Sans transition mais en restant dans le pilotage, jâai pu voir que tu avais pris les airs avec des pilotes dâavions de voltige français, Guillaume Calmes et LoĂŻc Lovicourt. Quâest-ce qui tâintĂ©resse dans leur monde ?
Je me suis rendu compte Ă quel point ils Ă©taient dans une autre dimension. On y est allĂ©s fort, vraiment fort, et ce sont des machines, de vrais pilotes. Quand jâai senti que ma tĂȘte allait exploser et que jâai failli mâĂ©vanouir, câĂ©tait impressionnant. Je nâai pas vu de similitudes avec le sport auto tellement câĂ©tait violent. MĂȘme quand je pilote une F1, ça ne se rapproche mĂȘme pas de ce que ces mecs subissent. Jâai du mal Ă en tirer quelque chose Ă part que câĂ©tait extrĂȘmement violent. (Il sourit.)
Ă propos du pilote F2 britannique
Oliver Bearman qui a remplacĂ© Carlos Sainz Jr. en F1 lors du Grand Prix dâArabie saoudite en mars, tu as dit : « Il nâĂ©tait pas prĂȘt physiquement. » Ă quoi faut-il se prĂ©parer quand on va piloter une F1 ?
Toute ta carriĂšre, en tant que jeune pilote, idĂ©alement, tu tâadaptes aux diffĂ©rentes catĂ©gories, par paliers. Tu amĂ©liores au fur et Ă mesure cette capacitĂ© dâadaptation, et tous les ans, tu tâhabitues Ă avoir plus de grip, que ce soit en karting ou en
«âUne
F1, ça nâest plus une voiture de course, câest un vaisseau spatialâ!â»
monoplace. Plus de grip, plus de puissance, plus de grip, plus de puissance, et ainsi de suite. Tu arrives en F4, tu passes en F3, F2, les steps sont assez similaires, et ça passe bien, avec toujours un premier choc. Mais F2 vers F1, câest comme si tu passais de la F4 Ă la F2, câest un step. Les F1 vont vraiment vite et les F2 sont assez loin. Quand je dis que tu nâes pas prĂȘt, tu nâes pas prĂȘt. Quand je monte dans une F1 pour les FP1 (Free Practice 1, essais, ndlr), les premiers tours, ça nâa vraiment rien Ă voir avec la F2. Tout ce que jâai appris en F2, je le mets Ă la poubelle ? Ăa nâest plus une voiture de course, câest un vaisseau spatial !
Du coup, monter en F1 doit ĂȘtre une perspective stressante ? Ou bien, en parlant Ă des pilotes passĂ©s par lĂ , on sait que ça sera rapidement gĂ©rable ?
Tu le sais, mais tu as toujours ce doute. Mais pour aller tĂąter les limites de la voiture, il faut faire pas mal de kilomĂštres. En quelques tours en FP1, je sais dĂ©jĂ exactement oĂč jâai Ă©tĂ© bon et oĂč jâai Ă©normĂ©ment de marge (Ă trois reprises, Isack a effectuĂ© des essais libres en F1, ndlr). Si tu me laisses des tours, je vais mây habituer.
En combattant. Et, des sports de combat, tu en suis pas mal sur les rĂ©seaux : boxe, MMA⊠Quâest-ce qui te botte lĂ -dedans ?
Jâai toujours aimĂ© la boxe, Rocky⊠Le MMA est plus nouveau pour moi. Le fameux combat Mayweather contre McGregor en 2017, je me suis levĂ© Ă 4 heures du matin pour le regarder, je devais avoir 12 piges. Jâai toujours suivi les gros combats, et ce truc de MMA, câest grĂące Ă Conor [McGregor], il a lancĂ© le sport dans une autre dimension, avec son trash talk et le showman quâil est, ça mâa poussĂ© Ă aller dĂ©couvrir la discipline. Gros respect.
Conor McGregor nâest peut-ĂȘtre pas le meilleur exemple, mais ces combattants sont souvent trĂšs calmes, concentrĂ©s, en dehors du combat. Tu as toi-mĂȘme un parler vrai, une vraie fougue et Ă©nergie, mais tu sembles aussi trĂšs posĂ©. Du genre sympa mais quâil ne faut pas chercher. Est-ce que tu as Ă©tĂ© un gamin sanguin qui a appris Ă se poser ? Je suis trĂšs sanguin en effet, sâil faut pĂ©ter un cĂąble, je vais pĂ©ter un cĂąble. On mâa entendu Ă la radio, et ça ne fait pas plaisir. Mais quand il faut ĂȘtre calme, jâen suis capable, je sais faire la diffĂ©rence. Je pense que dans les moments les plus critiques, les plus importants, je serai le mec le plus calme, et pour les conneries, je
«âSi je prends la radio pour gueuler, ça me fait du bien, ça nâest pas mĂ©chant.â»
suis capable de mâĂ©nerver en deux secondes. Je suis trĂšs Ă©motif, jâai besoin de faire sortir, et si je prends la radio pour gueuler, ça me fait du bien, ça nâest pas mĂ©chant. Jâaime bien gueuler⊠(rires)
Cette pression du pilotage, tu lâĂ©vacues Ă quel moment ? Dans ta vie perso ? Câest quand je gagne ou que je fais une pole que je respire. Les moments off oĂč je rĂ©cupĂšre physiquement, ce sont les moments que je dĂ©teste le plus. Quand je vais Ă la salle, en famille et avec les potes, câest cool, bien sĂ»r, mais ce que jâaime le plus, câest les week-ends de course et ĂȘtre dans la voiture. Quand tu gagnes⊠(Il souffle.) Les pĂ©riodes de pause, câest la salle dâattente.
Tu Ă©voquais la salle, quelle est ta routine fitness ?
Pendant la saison, câest trĂšs dur de mâorganiser, car je ne suis jamais chez moi. Mais les semaines comme celle-ci (Isack dispose de deux semaines entre deux courses, ndlr), jâai mon prĂ©parateur physique, et je vais dans sa salle de boxe, oĂč il a des athlĂštes qui font du MMA, un peu de tout, pour une prĂ©pa spĂ©cifique Ă mon sport. Il nâest pas spĂ©cialisĂ© dans le sport auto, mais ses connaissances lui permettent de sâadapter Ă mon profil, il sait ce dont jâai besoin.
Quelle va ĂȘtre cette prĂ©paration spĂ©cifique ?
Beaucoup de haut du corps, de force bassin, ĂȘtre gainĂ© au niveau des abdos, Ă©paule, nuque, et cardio.
Le cardio prend cher en course ? Ăa nâest pas le plus important, câest le haut du corps, et le bas du dos. Câest extrĂȘmement spĂ©cifique, je ne fais pas beaucoup de force. Et parfois, Ă la fin de la sĂ©ance, je boxe, câest mon petit plaisir, pour me finir au cardio. La boxe est un bon moyen de faire ma prĂ©pa physique et de mâamuser en mĂȘme temps. Jây Ă©tais hier, jây Ă©tais aujourdâhui, jâirai demain. De temps en temps, je fais des sĂ©ances de kinĂ©, pour me rĂ©parer un peu, afin que je sois le plus souple et le plus dĂ©tendu possible avant de rentrer dans la voiture.
Parlons de tes rĂ©flexes ! Qui nâa pas vu cette fameuse sĂ©ance oĂč tu Ă©vites de maniĂšre magistrale une collision avec le pilote japonais Ritomo Miyata, dans le Tunnel, dans un virage Ă lâaveugle du Grand Prix de Monaco en mai dernier ? AprĂšs cette sĂ©quence, tu as rĂ©coltĂ© plus de 10 000 followers sur InstagramâŠ
Cette vidĂ©o, mĂȘme les mecs qui ne suivent pas le sport auto lâont vue.
Comment atteint-on un tel niveau de réflexes ?
Quand tu es dans un kart dĂšs lâĂąge de 6 ans, et que tu ne fais que rouler, chercher les dĂ©tails sur la piste, les cordes, ton environnement bouge Ă des vitesses⊠En soi, je bouge plus vite que vous⊠Je suis habituĂ© Ă Ă©voluer dans un milieu qui va extrĂȘmement vite, et mes rĂ©flexes de base sont extrĂȘmement affĂ»tĂ©s du fait que je pilote depuis que je suis gamin. Les vitesses augmentent de plus en plus, en F2 on se dĂ©place Ă des vitesses pas mal.
Tu roules Ă combien quand tu Ă©vites Miyata ?
Je suis Ă 250, 240⊠Sâil avait Ă©tĂ© un peu plus derriĂšre, ça aurait Ă©tĂ©. Mais jâavais un peu de marge, quand je lâĂ©vite on le voit, je passe à ça de lui (Isack fait un Ă©cart avec ses mains, 30 cm environ, ndlr). Ăa, câest une margeâŠ
Câest une marge ?
Oui. Et je suis à ça du mur Ă gauche (mĂȘme Ă©cart avec les mains, ndlr)
Tâes large !
(Il rigole.) Oui, il y avait un demi-dixiĂšme de marge.
Et une fois que tu as passé ça ?
Câest bon, câest fini, qualifs ! Je suis sorti de la voiture et câest lĂ quâon mâen a parlĂ© : « Le tunnel, câĂ©tait chaud ! » Et moi : «De quoi ? » Quand jâai vu les images, lĂ , jâai rĂ©alisĂ© que câĂ©tait chaud.
Sur tes posts Instagram, tu mets un emoji ninja, pourquoi ?
Jâaime bien le ninja. Il ne fait pas beaucoup de bruit et il est efficace.
Ăa te reprĂ©sente ?
Je reste simple, je fais court dans mes rĂ©ponses. Jâaime bien lâemoji ninja.
Le leader
Alors quâil sâapprĂȘte Ă engager lâĂ©quipe dâOracle Red Bull Racing dans une nouvelle phase de son histoire, Christian Horner sait quâil peut compter sur sa longue expĂ©rience Ă la tĂȘte de lâĂ©curie autrichienne, quâil dirige dâune main de maĂźtre depuis vingt ans.
Texte Justin Hynes
Christian Horner caresse machinalement sa barbe poivre et sel, en rĂ©flĂ©chissant Ă lâavenir qui se dessine devant lui : « Il se passe beaucoup de choses en ce moment », rĂ©sume le patron dâOracle Red Bull Racing pour dĂ©crire la phase de transition que traverse lâĂ©curie autrichienne, quâil a mis des annĂ©es Ă dĂ©velopper et qui est en train de passer Ă la construction de chĂąssis et de moteurs. Une Ăšre de grands changements, tant dans le domaine aĂ©rodynamique que financier, mais Ă©galement sur le marchĂ© des pilotes, alors que les meilleurs dâentre eux seront tentĂ©s de chercher oĂč aller pour avoir les meilleures chances de gagner.
« Il sâagit dâun vĂ©ritable bouleversement, mais ça ne sert Ă rien dâavoir peur, insiste-t-il. Câest normal dâavoir une certaine apprĂ©hension, mais je pense quâil faut accueillir cette nouvelle situation, il faut affronter nos peurs, apprendre Ă les gĂ©rer. »
« GĂ©rer » lâĂ©curie Oracle Red Bull Racing : câest ce que Christian Horner fait depuis vingt ans, depuis la fondation de lâĂ©quipe. Suite aux succĂšs quâil rencontre en Formule 3000, il est repĂ©rĂ© par Dietrich Mateschitz, fondateur de Red Bull, et Helmut Marko, consultant de Red Bull en F1, pour concrĂ©tiser les ambitions de la marque dans la F1.
Depuis son entrĂ©e dans le projet Red Bull Racing â quelques jours avant NoĂ«l 2004 â, Horner a menĂ© de front toutes les phases de dĂ©veloppement de cette Ă©curie sur deux dĂ©cennies. Toujours prĂ©sent sur les stands â le trĂ©pignement saccadĂ© de ses jambes trahissait souvent lâintensitĂ© de lâaction sur la piste â,
377 courses, 6 couronnes mondiales des constructeurs,
7 titres de champion du monde des pilotes
CHRISTIAN HORNER
célÚbrent
et le
le 2 mars 2024 : une
de la
30 septembre 2022 : Horner supervise les opĂ©rations aux stands lors dâun entraĂźnement avant la course nocturne du GP de Singapour, sur le circuit de Marina Bay Street, le 30 septembre 2022.
Horner a Ă©tĂ© pour Oracle Red Bull Racing plus quâun patron ou quâun acteur dĂ©cisif du monde de la F1 : il a Ă©tĂ© un dirigeant, un nĂ©gociateur politique, un combattant acharnĂ© â pendant prĂšs de 400 courses. Il y a vingt ans, alors que Red Bull vient de racheter Jaguar, Horner est chargĂ©, Ă tout juste 31 ans, de reprendre en main cette petite Ă©quipe installĂ©e en Angleterre, dans les hangars de Milton Keynes. Objectif : gagner en efficacitĂ© et en puissance. Aujourdâhui, lâĂ©curie Oracle Red Bull Racing est un ensemble regroupant des sociĂ©tĂ©s de course et de technologie, employant plus dâun millier de
personnes, elles-mĂȘmes rĂ©parties sur un campus en constante expansion â et qui peut se vanter dâavoir Ă son actif treize titres de champion du monde.
Alors que lâĂ©curie est en plein forme pour attaquer sa vingtiĂšme saison et que les trois derniĂšres annĂ©es ont, elles aussi, Ă©tĂ© particuliĂšrement rĂ©ussies, on peut dire quâOracle Red Bull Racing est Ă lâapogĂ©e de sa gloire. Pour autant, la phase qui sâannonce est remplie dâincertitudes, avec en 2025 le dĂ©part dâAdrian Newey, qui a Ă©tĂ© le designeur star de lâĂ©curie pendant deux dĂ©cennies. LâannĂ©e suivante, Red Bull relĂšvera peut-ĂȘtre le plus grand dĂ©fi de son histoire en F1,
en ayant son propre moteur rĂ©pondant aux nouvelles rĂ©glementations. Celles concernant le chĂąssis changeront Ă©galement en 2026 â des bouleversements qui pourraient ĂȘtre dĂ©cisifs pour lâavenir de lâĂ©curie autrichienne, mais qui ne font pas peur Ă Christian Horner, habituĂ© Ă relever ce genre de dĂ©fis. Quâil sâagisse de bĂątir toute une Ă©curie en partant quasiment de zĂ©ro, de servir de mĂ©diateur Ă des pilotes qui se font la guerre, de repartir de plus belle aprĂšs avoir frisĂ© lâabandon total du projet, ou quâil sâagisse enfin de faire Ă©merger une caste de champions parmi les plus atypiques de la F1, le patron dâOracle Red Bull
«âCâest notre ADNâ: nous avons toujours fait les choses diffĂ©remment.â»
Racing est convaincu quâil a les Ă©paules et lâexpĂ©rience nĂ©cessaires pour emmener toute son Ă©quipe dans cette nouvelle Ăšre de compĂ©tition.
the red bulletin : La place dâOracle Red Bull Racing au sommet de la Formule 1 semble presque acquise aujourdâhui, mais que dire des premiĂšres annĂ©es ? Quâavez-vous appris Ă ce moment-lĂ sur la maniĂšre de mettre sur pied une excellente Ă©quipe de F1 ?
christian horner : La clĂ©, Ă cette Ă©poque, Ă©tait de sâassurer que nous investissions dans les bons outils, ceux quâAdrian [Newey] nous demandait : mettre Ă niveau la soufflerie, avoir un cluster CFD (modĂ©lisation de flux des fluides, ndlr)⊠des choses qui paraissent Ă©videntes de nos jours, mais qui demandaient un investissement massif en capital. Heureusement, Dietrich [Mateschitz] a Ă©tĂ© fantastique et son soutien total : nous avons donc fait un excellent dĂ©but en 2005, mais lâannĂ©e suivante a Ă©tĂ© difficile. Adrian a trĂšs tĂŽt cessĂ© tout dĂ©veloppement sur la RB2 â dĂšs la troisiĂšme course â pour pouvoir consacrer tout son temps Ă la soufflerie, ce qui a Ă©tĂ© trĂšs mal accueilli Ă lâĂ©poque. Mais vous nâengagez pas Adrian Newey pour ensuite lui dire : « Vous aurez la moitiĂ© du temps en soufflerie. » Pour moi, il sâagissait de poser des jalons pour lâavenir, de mettre en place des mĂ©thodes de travail. Jâai toujours pensĂ© que le sport automobile est un jeu de processus, que vous mettez des systĂšmes en place et que câest tout cela qui finit par vous apporter le succĂšs. Il sâagissait donc de bien faire les choses, puis de trouver les bonnes personnes â des acteurs clĂ©s qui sauraient faire fonctionner ces systĂšmes.
Le succĂšs nâa pas Ă©tĂ© immĂ©diat pour lâĂ©quipe : il y a eu trois saisons, de 2006 Ă 2008, oĂč les rĂ©sultats Ă©taient encore difficiles Ă obtenir. Quels Ă©taient les problĂšmes Ă cette Ă©poque ?
Quand Adrian est arrivĂ©, nous nâĂ©tions pas du tout Ă son niveau : câĂ©tait un extraterrestre pour nous ! Nous avions le meilleur designeur de F1 dans la poche, mais aucune des installations nĂ©cessaires pour faire le job. CâĂ©tait comme avoir un chef dâorchestre, sans orchestre ; ou alors quelques bons musiciens ne sachant jouer que de la cymbale et du triangle. Petit Ă petit, nous avons pourtant rĂ©ussi Ă assembler un groupe et Ă produire une musique de plus en plus belleâŠ
JusquâĂ lâarrivĂ©e de notre chanteur vedette, Sebastian [Vettel], qui nous a emmenĂ©s en tĂȘte des charts.
LâarrivĂ©e de Sebastian Vettel faisait-elle partie de votre stratĂ©gie ?
Il semblait y avoir une synergie quasi divine dans lâarrivĂ©e dâAdrian Newey et la montĂ©e de notre Ă©curie, coĂŻncidant avec la progression de Vettel dans les rangs juniors et la retraite de David Coulthard, survenant au
bon moment pour permettre Ă Seb de briller⊠Mais tout cela nâĂ©tait pas du tout prĂ©vu. Ăvidemment, il avait Ă©tĂ© un junior chez Red Bull, mais on le partageait avec BMW â pour qui il avait notamment remplacĂ© Robert Kubica (au Grand Prix des Ătats-Unis 2007, ndlr). Je me souviens que Mario Theissen (le directeur de lâĂ©quipe BMW Sauber, ndlr) nâĂ©tait pas convaincu par Sebastian : il y avait mĂȘme un dĂ©bat pour savoir si nous devions le prendre chez Toro Rosso. Gerhard (Berger, patron de Toro Rosso en 2007, ndlr) nâĂ©tait pas sĂ»r non plus parce quâil y avait aussi Vitantonio Liuzzi et Scott Speed, alors que lui prĂ©fĂ©rait SĂ©bastien Bourdais. Il y avait donc une certaine rĂ©ticence. Je me souviens de cette rĂ©union pendant laquelle Dietrich [Mateschitz] nous a dit de donner une chance au gamin : Vettel a Ă©tĂ© pris chez Toro Rosso en Hongrie⊠et le reste appartient Ă lâhistoire.
Lâimpact de Vettel a Ă©tĂ© presque immĂ©diat : deux courses hĂ©sitantes au dĂ©but de 2009, puis la pole position et la victoire en Chine. Son arrivĂ©e a dĂ©clenchĂ© un sursaut remarquable pour lâĂ©quipe au cours des saisons suivantes, mais ce ne fut pas toujours facile, notamment Ă cause de la rivalitĂ© entre Vettel et son coĂ©quipier Mark Webber. Ă quel point cela a-t-il Ă©tĂ© difficile Ă gĂ©rer et quâavez-vous appris de ce conflit ? Oui, en 2011 et 2012, les relations entre les deux pilotes Ă©taient tendues, surtout en 2012. On apprend toujours au cours dâune vie, et ce fut effectivement une expĂ©rience trĂšs utile de devoir gĂ©rer cette guerre entre deux mĂąles alpha, oĂč lâun gagnait et lâautre non : alors mĂȘme que nous dominions les compĂ©titions, je recevais rĂ©guliĂšrement des lettres dâavocats venant des managers des deux pilotes, ou dâautres personnes. Quant Ă cet incident « Multi-21 » de 2013 survenu en Malaisie, ça sâest corsé⊠Bref, Mark ne nous a mĂȘme pas dit quâil allait partir Ă la fin de la saison : il lâa juste annoncĂ© Ă Silverstone. Il a convoquĂ© sa propre confĂ©rence de presse pour y annoncer quâil prenait sa retraite. Nos relations nâĂ©taient pas au beau fixe Ă ce moment-lĂ . Câest difficile Ă gĂ©rer en tant que dynamique. Vous voulez que tout aille bien, mais ce nâest pas possible, parce que vous avez un gars qui gagne tout et un autre qui en souffre. En 2013, Mark nâa pas gagnĂ© une seule course, alors que Sebastian en a gagnĂ© treize. Mais je ne veux pas dire du mal de Mark, il Ă©tait juste dans une position difficile. Ă prĂ©sent, il voit les choses de maniĂšre beaucoup plus sereine.
Et pourtant, tout a une fin, mĂȘme les phases de victoires : ça a Ă©tĂ© le cas pour Red Bull Racing aprĂšs lâarrivĂ©e des moteurs hybrides : de treize victoires en 2013, lâĂ©curie est passĂ©e Ă seulement trois en 2014. Le vent tournait ?
«âJâai dĂ» retourner chez Renault en mâexcusant.
Sans quoi nous aurions Ă©tĂ© hors course.â»
Jâavais passĂ© les deux annĂ©es prĂ©cĂ©dentes Ă alerter Carlos Ghosn (lâancien PDG de lâalliance NissanRenault, ndlr) sur ce problĂšme de moteur et sur le fait que Mercedes y avait investi des sommes colossales, mais on mâavait rĂ©torquĂ© que Renault fabriquait les meilleurs moteurs turbo de toute lâhistoire de la F1. Sauf quâils ont oubliĂ© quâil y avait aussi un Ă©lĂ©ment hybride... En un mot : je pense quâau cours des tests de prĂ©-saison, nous avons rĂ©ussi Ă faire seulement cinq tours sans que la voiture ne prenne feu⊠Bref, le moteur Ă©tait un dĂ©sastre, mais Daniel (Ricciardo, qui a remplacĂ© Webber, ndlr) Ă©tait exceptionnel : il a remportĂ© les trois courses pour nous cette annĂ©e-lĂ . Ce qui est drĂŽle, câest que le seul doute que nous avions sur Daniel⊠Ce nâĂ©tait pas vis-Ă vis de ses performances en vitesse, elles Ă©taient clairement lĂ . Le seul point dâinterrogation, câĂ©tait que personne ne lâavait jamais vu dĂ©passer lors dâune course, parce que chez Toro Rosso, les pilotes avaient tendance Ă bien se qualifier puis Ă reculer. Donc, nous ne lâavions jamais vu dĂ©passer une voiture sur un circuit. Mais, dĂšs quâil est arrivĂ© chez nous, il nâa jamais cessĂ© de dĂ©passer ses adversaires... Et câĂ©tait magnifique Ă voir.
Quel a été le moment le plus difficile de cette période ?
Je pense que la pire annĂ©e a probablement Ă©tĂ© 2015 : Adrian Ă©tait dĂ©couragĂ©, Sebastian Ă©tait parti, il y avait des rumeurs de vente au groupe VW, mĂȘme
Melbourne, 18 mars 2012 : le directeur de lâĂ©curie discute avec Sebastian Vettel alors que celui-ci sâapprĂȘte Ă disputer le GP dâAustralie.
Horner et son team aprĂšs avoir remportĂ© le championnat des constructeurs au Grand Prix des Ătats-Unis Ă Austin (Texas), le 23 octobre 2022.
Dietrich [Mateschitz] se demandait si ça valait la peine de continuer, parce que câĂ©tait tout simplement sans espoir sans un bon moteur. Nous avons tout fait pour obtenir un moteur Mercedes, avec au bout du compte un accord conclu par une poignĂ©e de mains entre Niki [Lauda] et Dietrich, avec la promesse dâavoir des moteurs Mercedes en 2016. Sur la base de cette poignĂ©e de mains, on mâa dit dâannuler le contrat avec Renault ainsi quâun parrainage avec Infiniti qui avait encore un an devant lui. Mais lâaccord avec Mercedes a Ă©tĂ© torpillĂ© par Toto (Wolff, directeur de lâĂ©curie Mercedes, ndlr), qui nous considĂ©rait comme son concurrent le plus dangereux. Jâai finalement dĂ» retourner chez Renault en mâexcusant. Sans quoi nous aurions Ă©tĂ© hors course.
Avez-vous alors pensé à démissionner ?
Non. Jâai reçu quelques offres pendant cette pĂ©riode, mais je nâai jamais Ă©tĂ© tentĂ©. Et puis jâavais envie de rester loyal envers mon Ă©quipe, les gens, les actionnaires. Jâavais embarquĂ© des gens avec moi, alors quitter lâĂ©curie ne mâaurait pas semblĂ© correct. Quand vous avez pris un engagement, tout ce que vous pouvez vous dire, câest : « Je dois redresser la situation. »
Justement, quand est-ce que la situation a commencé à se redresser ?
En 2016, nous avons déjà pu démontrer que nous avions un excellent chùssis. Max [Verstappen] est
«âNous faisons face au plus grand dĂ©fi de notre histoire.â»
arrivĂ© et a immĂ©diatement gagnĂ© en Espagne, puis nous avons eu un doublĂ© en Malaisie Ă la fin de lâannĂ©e, avant de terminer deuxiĂšme aux championnats du monde. Quand la rĂšglementation a changĂ© en 2017, nous avons accusĂ© au dĂ©but un retard de performances, mais que nous avons rĂ©ussi Ă rattraper assez rapidement. Câest lĂ que nous avons vraiment commencĂ© Ă voir Max monter en puissance. Il y a eu ensuite cette chance dâallier Honda et Toro Rosso pour 2018, avec en perspective lâopportunitĂ© de prendre ce moteur pour aller Ă MontrĂ©al â tout en continuant Ă dialoguer avec tous les autres. Et en mai 2018, nous avions des designs de moteur de chez Renault, Ferrari et Honda ! Nous en avions mĂȘme un de Mercedes â bien que je pense quâils se moquaient de nous une fois de plus. Mais on savait que Honda sâamĂ©liorait, et lorsquâĂ MontrĂ©al, ils ont montrĂ© de quoi ils Ă©taient capables, le rĂ©sultat Ă©tait lĂ©gĂšrement supĂ©rieur Ă Renault. On sâest dit : « Ces gars sont sur la bonne voie : allons-y ! »
Avez-vous eu lâimpression de prendre un risque, compte tenu des enjeux et du fait que Honda nâavait pas encore fait entiĂšrement ses preuves ?
Le mantra de Dietrich a toujours Ă©tĂ© âno risk, no funâ. Câest ce quâil me disait toujours. Il y avait donc une part de risque, mais câĂ©tait Ă©videmment calculĂ©, et ça doit lâĂȘtre : on ne peut pas se permettre dâĂȘtre imprudent. Avec Renault, nous recevions chaque annĂ©e des tableurs dĂ©crivant tous les objectifs quâils allaient atteindre et comment ils allaient rattraper Mercedes â mais ils ne lâont jamais fait. Nous avons donc estimĂ© quâun changement Ă©tait nĂ©cessaire, et lorsque nous avons terminĂ© sur le podium en Australie en 2019, nous Ă©tions de retour dans le jeu.
Ces deux derniĂšres dĂ©cennies mouvementĂ©es vous rendent-elles confiant face Ă lâavenir, avec lâarrivĂ©e imminente des nouveaux moteurs Powertrains de Red Bull ?
Je ne me fais pas dâillusion : ces premiers moteurs produits par Red Bull constituent le plus grand dĂ©fi de notre histoire en F1. Il fallait du courage pour se lancer dans ce projet et câest lâun des derniers que Dietrich a approuvĂ© avant de dĂ©cĂ©der. Mais si les vingt derniĂšres annĂ©es ont prouvĂ© quelque chose, câest que Red Bull en est capable. Personne ne pensait que la filiale dâune entreprise de boissons gazeuses pourrait venir et battre Ferrari, McLaren et Mercedes et gagner treize championnats du monde. Donc, il nây a aucune raison de douter de nos capacitĂ©s avec ces moteurs. Câest notre ADN : nous avons toujours fait les choses diffĂ©remment. Nous nâavons jamais Ă©tĂ© la marionnette de personne. Bien sĂ»r, nous nâavons jamais manquĂ© de rebondissements en vingt ans, mais câest Red Bull, câest ce que nous sommes. Comme lâa toujours dit Dietrich : âno risk, no funâ.
LâĂ©quipage
Alinghi Red Bull Racing au large de Barcelone. Les hydrofoils du bateau BoatOne lui permettent de voler au-dessus de lâeau Ă deux fois la vitesse du vent.
Cap vers le progrĂšs
Que se passe-t-il lorsquâune des plus grandes Ă©quipes de voile de lâhistoire sâassocie aux champions du monde en titre de F1 pour prendre part Ă la plus prestigieuse course de voiliers au mondeâ? Bienvenue dans les coulisses dâune aventure inĂ©diteâ: la quĂȘte dâAlinghi Red Bull Racing pour remporter lâAmericaâs Cup.
Se mettre Ă niveau : en tant que nouvelle Ă©quipe, et avec les rĂšgles exigeant que les marins soient issus du pays que lâĂ©quipe reprĂ©sente, lâĂ©quipage Alinghi Red Bull Racing nâa jamais participĂ© Ă une Americaâs Cup auparavant. Ils ont dĂ» apprendre rapidement.
Nous sommes en fĂ©vrier 2003 et la 31e Americaâs Cup se dĂ©roule au large des cĂŽtes de la Nouvelle-ZĂ©lande, dans le golfe dâHauraki. ProtĂ©gĂ©e par des pĂ©ninsules, cette Ă©tendue dans lâocĂ©an Pacifique est parfaite pour une compĂ©tition qui, depuis plus dâun siĂšcle et demi, est la rĂ©fĂ©rence mondiale des rĂ©gates de voiliers de pointe.
LâĂ©quipe de Nouvelle-ZĂ©lande est double championne en titre. Selon les rĂšgles anciennes, câest au dĂ©fenseur de la Coupe dâorganiser la compĂ©tition et de dĂ©cider du protocole, une tradition qui confĂšre aux champions kiwis un avantage considĂ©rable face Ă Â un nouvel outsider, Alinghi, venu dâun pays sans accĂšs maritime : la Suisse.
Lâaffrontement entre ces deux voiliers de 24 mĂštres de long connaĂźt quelques rebondissements : dĂšs la premiĂšre course, le bateau nĂ©o-zĂ©landais subit diverses pannes techniques et son cockpit se remplit dâeau. Puis câest au tour de la mĂ©tĂ©o de devenir capricieuse : mer agitĂ©e, trop de vent, puis pas assez. Pendant neuf jours, les bateaux restent Ă quai, attendant une fenĂȘtre mĂ©tĂ©o favorable. Quand elle arrive, câest lâavarie de trop pour les Kiwis : leur mĂąt se casse. Les challengers suisses scellent leur victoire, devenant les premiers champions venant dâun pays enclavĂ© â et les seuls Ă remporter la course lors dâune toute premiĂšre participation.
Arnaud Psarofaghis se souvient de ce moment. Il avait 14 ans Ă lâĂ©poque, vivait Ă 200 mĂštres du lac LĂ©man. La Suisse nâa peut-ĂȘtre pas de frontiĂšres maritimes, mais elle possĂšde de nombreux lacs. « Les gens
«âVoir tout le pays en liesse, câest comme si la Suisse avait gagnĂ© la Coupe du Monde.â»
apprĂ©cient les lacs en Ă©tĂ© autant que les montagnes en hiver, souligne-t-il. Et contrairement Ă la mer, un lac est plat, ce qui permet dây dĂ©velopper des bateaux plus performants. »
Il a commencĂ© Ă naviguer dĂšs son plus jeune Ăąge. Câest au bord du lac LĂ©man que se trouve la SociĂ©tĂ© Nautique de GenĂšve, sous les couleurs de laquelle Alinghi a pris part Ă la Coupe en 2003. Psarofaghis Ă©tait lĂ lorsque lâĂ©quipe a ramenĂ© la lĂ©gendaire Auld Mug, la Vieille AiguiĂšre qui sert de trophĂ©e Ă lâAmericaâs Cup et qui fut accueillie par plus de de 40 000 personnes venues braver le froid pour cĂ©lĂ©brer le retour de leurs hĂ©ros. « De voir tout le pays en liesse, mĂȘme les gens qui ne sâintĂ©ressaient pas Ă la voile, nous a montrĂ© lâimportance que cet Ă©vĂ©nement avait : câĂ©tait comme si la Suisse avait gagnĂ© la Coupe du Monde, se souvient-il. Cela mâa donnĂ© un objectif â rejoindre un jour cette Ă©quipe. » En 2016, lorsque Psarofaghis rentre finalement chez Alinghi comme Ă©quipier, les ambitions de lâĂ©quipe suisse ont changĂ©. En 2007, Alinghi avait dĂ©fendu son titre, contre lâĂ©quipe nouvellement rebaptisĂ©e Emirates Team New Zealand (ETNZ). Puis, en 2010, ils avaient perdu face Ă la Oracle Team USA du milliardaire amĂ©ricain Larry Ellison dans une bataille controversĂ©e autant sur lâeau quâau tribunal, en raison de dĂ©saccords sur les rĂšgles. DĂ©goĂ»tĂ©e par cette expĂ©rience, lâĂ©quipe suisse sâĂ©tait retirĂ©e de la compĂ©tition.
LâAmericaâs Cup a de nombreuses lĂ©gendes. Il y a dâabord celle dâune goĂ©lette amĂ©ricaine nommĂ©e America, arrivant sur les cĂŽtes britanniques en 1851 pour remporter une coupe de 100 guinĂ©es du Royal Yacht Squadron, donnant naissance Ă la plus ancienne compĂ©tition sportive internationale. Ou celle de Sir Thomas Lipton, lâempereur du thĂ©, qui a passĂ© trois dĂ©cennies et dĂ©pensĂ© une fortune pour tenter â en vain â de ramener la Auld Mug en GrandeBretagne. Il y a encore celle dâAlan Bond, homme dâaffaires australien dont le voilier, Australia II, a finalement brisĂ© en 1983 un cycle de 132 ans de victoires des AmĂ©ricains, exploit qui lui a valu lâOrdre dâAustralie, avant dâen ĂȘtre dĂ©chu et emprisonnĂ© pour dĂ©tournement de fonds, quatorze ans plus tard.
Aujourdâhui, peut-ĂȘtre que la plus grande lĂ©gende de lâAmericaâs Cup est en train de sâĂ©crire. En 2021, onze ans aprĂšs sâĂȘtre retirĂ©, Alinghi annonce son retour dans la compĂ©tition. Devant la presse, le fondateur Ernesto Bertarelli, qui avait participĂ© aux derniĂšres courses de lâĂ©quipe, dĂ©clare que lâĂ©quipe a lâintention de « faire quelque chose de totalement nouveau » : le partenariat avec Red Bull est alors
dĂ©voilĂ©, avec pour objectif la formation dâune nouvelle Ă©quipe combinant les expertises en F1 et en voile. Son nom : Alinghi Red Bull Racing â un nouveau challenger vient de rentrer dans le jeu.
Barcelone est une ville qui a une longue et riche histoire avec la mer et la voile. En 2023, de nouveaux hangars Ă bateaux sont venus complĂ©ter ceux, dĂ©jĂ trĂšs nombreux, qui bordent le Port Vell de la citĂ© catalane : ces hangars accueillent aujourdâhui les Ă©quipes concourant pour la 37e Americaâs Cup.
Lorsque ETNZ a remportĂ© la coupe en 2021, ils ont pu choisir le lieu de la prochaine compĂ©tition et, chose trĂšs rare, ont renoncĂ© Ă lâavantage de « jouer Ă domicile » en dĂ©cidant de lâorganiser dans la citĂ© catalane en octobre 2024. Leur base est aujourdâhui entourĂ©e de celles des cinq challengers, et parmi elles, le bĂątiment dâAlinghi Red Bull Racing se distingue, avec ses couleurs rouge et bleu qui rappellent celles de lâĂ©quipe de F1. Des passants curieux sâaventurent parfois jusquâĂ lâentrĂ©e, espĂ©rant apercevoir quelque secret cachĂ© â mais câest loin des regards indiscrets que la vĂ©ritable magie opĂšre.
Devant le hangar, en cale sĂšche, se trouve un bateau aux couleurs dâAlinghi Red Bull Racing : un AC75 â la catĂ©gorie de monocoque de 20,5 mĂštres de long que toutes les Ă©quipes vont utiliser. Son esthĂ©tique de canoĂ« intrigue les touristes, qui le prennent en photo. NommĂ© BoatZero par les Suisses qui lâont achetĂ© comme navire dâentraĂźnement, il fut lâun des bateaux de ETNZ lors de la derniĂšre compĂ©tition. Cet objectif dĂ©sormais atteint, sa coque a Ă©tĂ© dĂ©pouillĂ©e
de son mĂąt et de ses voiles, lâĂ©quipe ayant dĂ©veloppĂ© un BoatOne supĂ©rieur et infiniment plus secret.
« ComparĂ© Ă notre BoatZero, câest le jour et la nuit, nous explique Silvio Arrivabene, co-directeur gĂ©nĂ©ral de lâĂ©quipe, en parlant du nouveau BoatOne. La coque, les appendices, tout est complĂštement diffĂ©rent. »
Le navigateur et architecte naval italien faisait partie de lâĂ©quipe de construction dâAlinghi lorsque celle-ci a concouru en 2010. En 2017, il a rejoint American Magic â lâĂ©quipe reprĂ©sentant le plus ancien syndicat du sport, le New York Yacht Club âtravaillant sur son bateau pour la course de 2021. Avant mĂȘme que cette compĂ©tition ne soit terminĂ©e, Arrivabene a reçu un appel de Bertarelli : « Ernesto avait envie de revenir dans la course et mâa demandĂ© si jâĂ©tais intĂ©ressĂ©, se souvient-il. Il nâa pas fallu grand-chose pour me convaincre â juste ce simple coup de tĂ©lĂ©phone. »
Si lâexpĂ©rience dâArrivabene avec lâĂ©quipe de 2010 pesait Ă©videmment dans la balance, celle quâil avait acquise lors de lâĂ©dition 2021 Ă©tait encore plus prĂ©cieuse, compte tenu de la rĂ©volution technologique qui avait bouleversĂ© le monde du sport nautique quelques annĂ©es auparavant.
En 2012, lâhydrofoil â lâutilisation de structures en forme dâaileron pour soulever un bateau hors de lâeau, rĂ©duisant la traĂźnĂ©e â nâĂ©tait pas inconnu. Populaire en kitesurf, il avait Ă©tĂ© adoptĂ© par une plus petite classe de monocoques appelĂ©s Moths. Mais câest ETNZ, cette fois dĂ©fiant les dĂ©fenseurs Oracle Team USA, qui a envisagĂ© pour la premiĂšre fois de les utiliser sur des supports plus grands ânotamment les catamarans quâils allaient inscrire Ă lâAmericaâs Cup de lâannĂ©e suivante. Lorsquâune photo (floue) de leur prototype volant au-dessus de lâeau a Ă©tĂ© divulguĂ©e, on a dâabord pensĂ© Ă un fake, une illusion dâoptique. Mais la graine avait Ă©tĂ© plantĂ©e, et les Ă©quipes se sont immĂ©diatement mobilisĂ©es pour se surpasser. RĂ©sultat : la Coupe de 2013 sâest dĂ©roulĂ©e sur des catamarans qui ne faisaient pas que naviguer, mais qui volaient au-dessus de lâeau Ă plus du double de leur vitesse normale. « Ce fut un moment dĂ©terminant, explique Arrivabene. Jusquâen 2013, les bateaux de lâAmericaâs Cup Ă©taient encore en contact avec lâeau. Ă prĂ©sent, vous nâavez plus besoin de lest ni de quille, il nây a plus de gĂźte (inclinaison du bateau, ndlr), la voile est semblable Ă une lame. Quant Ă la vitesse... »
Ce que dĂ©crit Arrivabene est un passage de lâhydrodynamique â la physique du mouvement dans les fluides â Ă lâaĂ©rodynamique â le dĂ©placement dans lâair. Câest lĂ que la seconde partie de la configuration dâAlinghi Red Bull Racing entre en jeu.
«âPlus besoin de lest ni de quille. La voile est une lame.â»
PrĂȘt : avant que BoatOne ne file en mer, marins et ingĂ©nieurs vĂ©rifient les systĂšmes.
BoatOne ressemble plus Ă la Batmobile quâĂ un bateau.
Couture vitale : (ci-dessus) un ouvrier voilier travaille sur une machine Ă coudre gĂ©ante dans lâatelier de voiles Alinghi Red Bull Racing, qui doit rester impeccable ; (ci-dessous) le bateau BoatOne est soulevĂ© du quai et mis Ă lâeau.
LâAC en chiffres
8
Le nombre de membres dâĂ©quipageâ: quatre cyclors, deux barreurs et deux rĂ©gleurs de grand-voile/ contrĂŽleurs de vol.
20,5
La longueur du bateau en mĂštres.
50
La vitesse en nĆuds que BoatOne peut dĂ©passer en vol.
26,5
La hauteur réglementaire du mùt en mÚtres.
15 000
La pression en tonnes exercée à certains endroits de la grand-voile quand le bateau est à pleine vitesse.
6
Le nombre de voiles principales autorisées pour toute la compétition. Quinze focs (la plus petite voile) sont autorisées.
Milton Keynes nâest pas aussi glamour que Barcelone : la ville britannique, cĂ©lĂšbre pour le nombre de ses ronds-points (130 ou plus au total), a mĂȘme Ă©tĂ© qualifiĂ©e dâennuyeuse par les gens du coin. Il y a pourtant une catĂ©gorie de personnes que ce nom fait vibrer : les fans de F1. Et pour cause : cette ville abrite la base de Red Bull Racing.
Juste en face de la base, on trouve Red Bull Advanced Technologies (RBAT), dont les avancĂ©es scientifiques (qui ont aidĂ© Ă remporter sept championnats des pilotes de F1 et six championnats des constructeurs) sont appliquĂ©es Ă dâautres projets â dâune voiture Ă hydrogĂšne pour les 24 Heures du Mans Ă une rampe de BMX assez lĂ©gĂšre pour ĂȘtre accrochĂ©e Ă une montgolfiĂšre. Depuis 2021, on y planche aussi sur des voiliers capables de voler.
« Avec les hydrofoils, vous devez gĂ©nĂ©rer suffisamment de portance pour dĂ©placer six tonnes et demi, explique Dan Smith, ingĂ©nieur en aĂ©rodynamique chez RBAT. Ă pleine vitesse, la pression devient si faible que lâeau entre en Ă©bullition Ă 23 °C et se transforme en air. Lâhydrofoil nâest plus soutenu par lâeau et vous perdez toute portance â câest ce quâon appelle la cavitation. »
Si les notions dâhydrodynamique sont Ă©videmment maĂźtrisĂ©es par les ingĂ©nieurs de RBAT, il y a un domaine dans lequel ils sont spĂ©cialisĂ©s : « Nous avons Ă©tĂ© surpris de voir Ă quel point lâAmericaâs Cup se joue autour de lâaĂ©rodynamique, dĂ©clare le directeur technique Rob Gray. On leur a dit : âVous ĂȘtes les experts sur lâeau, mais nous avons cette technologie â comment pouvons-nous vous aider ?â »
« La science des matĂ©riaux de ces bateaux est trĂšs similaire Ă celle de la F1, explique Adolfo Carrau, coordinateur de la conception chez Alinghi Red Bull Racing. Nous utilisons de la fibre de carbone et du titane, mais nous devons ĂȘtre stricts quant Ă la rĂ©partition du poids. Si un dĂ©partement me dit quâil a besoin de trois kilos, je leur rĂ©ponds : âEn termes de gain de vitesse, combien allez-vous pouvoir me donner ?â »
« Les experts en aĂ©rodynamique nous aident Ă rĂ©duire la taille des composants, explique Ed Collings, responsable des composites et de lâanalyse structurelle chez RBAT. Des matĂ©riaux plus lourds avec une section transversale plus fine â dans le safran, par exemple â rĂ©duisent la traĂźnĂ©e. RĂ©duisez encore ce poids et vous pouvez transporter plus de systĂšmes de contrĂŽle, ce qui est positif en termes de performance. »
Comme on peut sây attendre sur un monocoque volant, le monde de lâhydrodynamique croise parfois celui de lâaĂ©rodynamique. « Le plus flagrant, câest pour la coque, qui touche Ă la fois lâeau et lâair avant le dĂ©collage, explique Carrau. Il est tentant de faire une forme 100 % aĂ©rodynamique, mais si elle est trop traĂźnante dans lâeau â surtout Ă Barcelone, oĂč il y a de grosses vagues â elle ne dĂ©collera pas. »
Carrau Ă©tait marin avant dâĂȘtre concepteur chez Alinghi Red Bull Racing. Une expĂ©rience qui, selon lui, est essentielle dans une Ă©quipe de lâAmericaâs Cup, oĂč les dĂ©partements de conception sont rĂ©duits et doivent donc connaĂźtre plusieurs domaines. « Les
«âLe bateau suiveur ne pouvait pas nous suivre, alors nous avons doublĂ© ses moteurs.â»
Ă©quipes de F1 peuvent avoir des centaines de concepteurs, poursuit-il. Ils passent toute leur carriĂšre Ă dĂ©velopper un seul composant, comme lâaileron avant ou la suspension. »
Lâun des composants essentiels dâun AC75, câest notamment le systĂšme qui dĂ©place la grand-voile. Les voiles sont le moteur dâun voilier, le vent Ă©tant le carburant â mais les hydrauliques utilisĂ©s pour rĂ©gler les voiles sont actionnĂ©s par la force humaine. On utilisait autrefois des winches : en 2024, tout se fera Ă la force des jambes â quatre membres dâĂ©quipage, appelĂ©s « cyclors », chevauchant des pĂ©daliers montĂ©s sur le pont. « Toute rĂ©duction de friction, câest de lâĂ©nergie en plus que lâon peut utiliser ailleurs, explique Collings. Nous avons conçu lâensemble du systĂšme de rail de grand-voile Ă partir de zĂ©ro. » Gray nous cite une phrase que Silvio Arrivabene lui avait dit un jour : « Rob, nous sommes les bĂ»cherons, vous ĂȘtes les horlogers. » LâItalien sâen souvient trĂšs bien : « LâexpĂ©rience de Red Bull Advanced Technologies dans le domaine de la micro-optimisation est un Ă©norme avantage », dĂ©clare-t-il.
« Quand vous fabriquez une voiture de course, câest un travail trĂšs fin et prĂ©cis, mais dans un hangar Ă bateaux, vous avez besoin de gros outils, il y a de la poussiĂšre et du bruit. Le monde de la voile est rude. »
Le terme de « bĂ»cheron » nâest pas forcĂ©ment ce qui vient Ă lâesprit en entrant dans la base dâAlinghi Red Bull Racing. Surplombant le front de mer, on trouve le salon des invitĂ©s, restaurĂ© par le chef local Ă©toilĂ© Romain Fornell. Plus loin, une salle de sport de 250 mÂČ Ă©quipĂ©e de vĂ©los dâexercice et de rameurs. Si certains des cyclors viennent justement du cyclisme, la plupart sont des rameurs, un sport qui demande 60 % de travail des jambes.
Sur le quai se trouvent trois hangars. Le premier est la voilerie (sail loft). Son sol est semblable Ă une immense table destinĂ©e Ă Ă©taler des pans de textile haute technologie â un composite de fibre de carbone qui peut supporter jusquâĂ 15 tonnes de pression Ă pleine vitesse. Lâanalogie la plus proche de la F1, ce sont les pneus â les voiles deviennent moins efficaces Ă mesure quâelles sâusent. Chaque Ă©quipe est autorisĂ©e Ă avoir six grand-voiles pendant toute la compĂ©tition.
Un ouvrier voilier utilise une machine Ă coudre surdimensionnĂ©e. On nous dit que toute la zone a Ă©tĂ© « nettoyĂ©e » pour notre visite, ce qui signifie que tout ce qui est secret a Ă©tĂ© retirĂ© de la vue. Mais la piĂšce elle-mĂȘme est Ă©galement propre au sens littĂ©ral â des
extracteurs aspirent chaque particule de poussiĂšre. En passant par une porte dans la salle suivante â lâatelier de grĂ©ement â, on aperçoit une Ă©norme lance bleue. « Vous ne devriez pas voir cela », note notre guide. Câest le mĂąt de lâAC75.
Le dernier hangar est le plus grand de tous â le hangar Ă bateaux. DerriĂšre un voile opaque, Ă lâabri des regards, le fameux BoatOne de lâĂ©quipe suisse. Des endroits comme celui-ci, classĂ©s top secret, il y en a encore quelques-uns sur la base, mais inutile de chercher une soufflerie ou un bassin Ă vagues : le rĂšglement exige que les bateaux soient testĂ©s exclusivement en mer, avec des photographes indĂ©pendants, dits « de reconnaissance », qui doivent partager ce quâils voient avec toutes les Ă©quipes. Cela rend les tests extrĂȘmement difficiles. Contrairement Ă la F1, oĂč une voiture peut Ă©voluer au cours dâune saison, le BoatOne ne verra pas une course avant la derniĂšre prĂ©-rĂ©gate en aoĂ»t, deux mois avant lâAmricaâs Cup. Mais lâĂ©quipage a une autre façon de tuer le temps â un simulateur.
LâaccĂšs Ă la salle du simulateur est limitĂ© au personnel autorisĂ© â dont ne fait pas partie The Red Bulletin. Heureusement, le responsable Ozanne est lĂ pour rĂ©pondre Ă nos questions. Lorsquâon lui demande ce quâil y a dans ce simulateur, sa rĂ©ponse est lapidaire : « Câest une rĂ©plique du bateau. »
On pense immĂ©diatement aux simulateurs utilisĂ©s en F1 â un chĂąssis mobile avec un Ă©cran. Joseph Ozanne corrige cette supposition : « En F1, le pilote nâa pas besoin de bouger la tĂȘte grĂące Ă ses rĂ©troviseurs. Sur un bateau de course, comme les membres de lâĂ©quipage ne peuvent pas voir ce que font les autres, on nâa pas dâĂ©cran mais une rĂ©alitĂ© virtuelle dans laquelle on peut voir ses mains. »
Pendant que les cyclors sâentraĂźnent dans la salle de sport, les quatre membres du driving group â deux barreurs, et deux contrĂŽleurs de vol et rĂ©gleurs de voiles (qui opĂšrent les foils) â passent jusquâĂ cinq heures par jour dans le simulateur. Au dĂ©but, câĂ©tait juste pour apprendre Ă faire fonctionner le bateau. Les Ă©quipiers doivent ĂȘtre des citoyens du pays quâils reprĂ©sentent et, comme lâĂ©quipe suisse est nouvelle, aucun nâavait pilotĂ© un AC75 auparavant. « La premiĂšre annĂ©e, ils ont fait lâĂ©quivalent de deux tours du monde, raconte Ozanne. Maintenant, ils se concentrent sur un autre aspect crucial : la course. Ils construisent tout un manuel dans le monde virtuel avant de faire face Ă un adversaire. »
Le simulateur a Ă©galement Ă©tĂ© essentiel pour dĂ©velopper chaque aspect du BoatOne. Ozanne prĂ©cise : « Nous nâutilisons aucun Ă©lĂ©ment sans le tester dâabord dans le simulateur. » Une fois la construction du yacht terminĂ©e, ses concepteurs sont devenus des analystes de performances, observant lâAC75 et rĂ©injectant ces donnĂ©es dans le simulateur ; et pour en optimiser le processus, on utilise lâIA : « Le simulateur peut fonctionner tout seul. Quand je pars le soir, jâappuie sur un bouton et le lendemain matin, jâai des heures de simulation. Mais câest vraiment pour rĂ©duire lâĂ©cart entre la conception, lâoptimisation et le monde rĂ©el. Parce quâau bout du compte, câest un Ă©quipage de voile qui va sur lâeau, pas un ordinateur. »
Il est Ă peine 9 heures, mais une partie de lâĂ©quipe suisse sâaffaire dĂ©jĂ sur le quai depuis quelques heures : câest une journĂ©e dâexercice en mer pour le BoatOne. Lorsquâil sort du hangar, on se rend compte Ă quel point il est diffĂ©rent du BoatZero. La proue arbore une rainure, comme une bouche. Le pont et les flancs ont Ă©tĂ© redessinĂ©s. Plus spectaculaire encore, les parois de la poupe ont Ă©tĂ© dĂ©coupĂ©es pour rĂ©vĂ©ler un tableau arriĂšre plongeant. Il ressemble plus Ă la Batmobile quâĂ un bateau. Le mĂąt de 26,50 mĂštres est levĂ© par une grue puis fixĂ© sur le pont du bateau.
Alors que BoatOne est mis Ă lâeau, lâĂ©quipe de reconnaissance prend des photos. Un bateau suiveur, avec Ă son bord des ingĂ©nieurs et leurs ordinateurs portables, est lancĂ© Ă sa poursuite, un autre est rempli de bouĂ©es Ă larguer en mer pour marquer le parcours.
« Nous avons toujours des bateaux suiveurs, dĂ©clare BarnabĂ© Delarze, lâun des cyclors et ancien rameur olympique. Ă tout moment, il y a des gens qui surveillent ce qui se passe sur lâAC75, sautant Ă bord entre les sessions pour vĂ©rifier que tout fonctionne. En cas de besoin, ils peuvent nous remorquer. Nous sommes Ă©galement remorquĂ©s en mer â on ne peut pas hisser les voiles Ă quai, car si le vent souffle, cela peut trĂšs vite mal tourner. » Le plus puissant des bateaux suiveurs a une puissance de 1 800 chevaux.
«âAucun Ă©lĂ©ment nâest utilisĂ© sans le tester dans le simulateur.â»
«âAlinghi Red Bull Racing est neuf, notre Ă©quipage jeune.â»
« Il est nĂ©cessaire de suivre lâAC75, qui atteint jusquâĂ 50 nĆuds [92 km/h], dit Delarze. Le plus petit a 900 chevaux mais il ne pouvait pas nous suivre, alors nous avons doublĂ© les moteurs. »
Pendant quâon attache les voiles, des contrĂŽles sont effectuĂ©s sur les systĂšmes logistique, Ă©lectronique et hydraulique. Les cyclors, quant Ă eux, testent leur Ă©quipement. « Nous avons des voiles pour diffĂ©rentes conditions de vent, explique Carrau. Le responsable mĂ©tĂ©o doit ĂȘtre prĂ©cis dans ses prĂ©visions : si vous ĂȘtes coincĂ© avec la mauvaise grand-voile, vous ĂȘtes foutu. »
Le groupe de pilotage arrive : leurs casques de protection sont Ă©quipĂ©s dâappareils de communication Ă©tanches. Psarofaghis est parmi eux, ses ambitions dâenfance dĂ©sormais alignĂ©es avec lâĂ©quipe quâil a toujours rĂȘvĂ© dâintĂ©grer. Mais pour le barreur de 35 ans, il reste encore beaucoup Ă faire. Lors de leurs deux premiĂšres prĂ©-rĂ©gates â Ă proximitĂ© de Vilanova i la GeltrĂș en septembre dernier et Ă Djeddah en dĂ©cembre â ils sont arrivĂ©s cinquiĂšmes, puis troisiĂšmes.
RĂ©vĂ©lation : la coque de BoatOne doit fonctionner dans lâeau et dans lâair. Une grande partie de ces tests a Ă©tĂ© effectuĂ©e dans un simulateur, mais chaque fois quâAlinghi Red Bull Racing le sort, les autres Ă©quipes peuvent espionner ce quâil a accompli.
« La premiĂšre course, vous nâavez pas dâattentes ; la seconde, vous savez ce que vous voulez. Ă Djeddah, nous aurions pu faire mieux, dit-il. Mais cela nous a permis dâidentifier nos points faibles. » Dans les deux rĂ©gates, lâĂ©quipe a utilisĂ© un AC40 â une rĂ©plique de lâAC75, mais deux fois plus petite, sans cyclors en raison des hydrauliques motorisĂ©es. Courir en AC40 nâest pas vraiment formateur pour lâAC75 », admet Arrivabene, qui souhaite multiplier les opportunitĂ©s de piloter le grand monocoque en rĂ©duisant lâĂ©cart entre les compĂ©titions Ă seulement deux ans â au lieu de trois ou quatre actuellement. « Vous avez tout cet Ă©lan, puis plus rien. Câest frustrant. Câest pourquoi nous voulons remporter cette Coupe pour changer tout cela. »
Cette vision de changement inclut autre chose â des navigatrices Ă bord. LâAmericaâs Cup nâa pas de restrictions de genre, mais en 173 ans dâhistoire, une seule femme a fait partie dâun Ă©quipage vainqueur â la navigatrice amĂ©ricaine Dawn Riley, en 1992. « Les hommes sont physiquement plus forts, dit Coraline Jonet, responsable du projet Youth & Womenâs Americaâs Cup dâAlinghi Red Bull Racing. Mais il y a des rĂŽles Ă bord qui ne nĂ©cessitent pas de force physique. Les capacitĂ©s cognitives des femmes sont les mĂȘmes que celles des hommes, il faut juste de lâexpĂ©rience. » Jonet parle en connaissance de cause : la navigatrice de 42 ans a remportĂ© sept championnats sur des monocoques D35 plus petits, sur le lac
LĂ©man. Ă prĂ©sent, elle supervise une nouvelle gĂ©nĂ©ration : la Youth Americaâs Cup â destinĂ©e aux jeunes 18 Ă 25 ans â existe depuis quelques annĂ©es, mais câest cette annĂ©e, en 2024, que dĂ©butera la premiĂšre Womenâs Americaâs Cup. Les deux suivent le mĂȘme format â douze Ă©quipes sur des AC40. « Câest un support parfait pour une compĂ©tition, Ă©claire-t-elle. Ce bateau va trĂšs vite â 40 nĆuds âet lâon peut sâessayer Ă tous les postes. »
LâĂ©quipe a ouvert les candidatures Ă tous les navigateurs suisses, sĂ©lectionnant six femmes et six hommes. « Trois des femmes correspondent aux critĂšres dâĂąge des jeunes, nous dit Jonet, ce qui signifie quâelles pourraient concourir dans les deux Coupes. Cela leur donnerait une Ă©norme expĂ©rience. » Et de la visibilitĂ©, puisque la finale de la Womenâs Cup a lieu durant lâĂ©vĂ©nement principal, plus mĂ©diatisĂ©. « En voyant des femmes participer Ă la course, les jeunes spectatrices pourront se dire : âJe veux faire ça. Je peux faire ça, moi aussi.â »
Quand verra-t-on des femmes sur un AC75 ?
« Peut-ĂȘtre lors de la prochaine Coupe », rĂ©pond Coraline Jonet, souriante. Elle-mĂȘme aimerait en faire partie : « Je navigue depuis lâĂąge de sept ans. Ce serait parfait. »
La plage de la Barceloneta est aujourdâhui bondĂ©e de familles et de personnes venant se baigner, mais la plupart sont trop occupĂ©es pour prĂȘter attention aux bateaux qui sâaffrontent au large, sur les eaux des BalĂ©ares. Des monocoques impressionnants qui fendent lâair Ă une vitesse vertigineuse.
The Red Bulletin a embarquĂ© dans le bateau suiveur de 900 chevaux, juste derriĂšre BoatOne. En dĂ©pit des capacitĂ©s indĂ©niables de Luis, notre barreur, le bateau volant nous distance. Câest une chose de savoir comment fonctionne un AC75, câen est une autre de le voir â aucune partie du monocoque ne touche lâeau, si ce nâest le safran et lâun des foils. Alors quâil vire, le bateau ne sâincline pas. IrĂ©el.
« Je sors sur le bateau suiveur tous les jours, nous raconte Arrivabene, et mon Ćil est maintenant habituĂ© Ă voir un bateau Ă la verticale et des ailerons bougeant de haut en bas. Nous ne pouvons pas imaginer revenir Ă la voile traditionnelle. »
Y a-t-il quelque chose de plus traditionnel quâune compĂ©tition de voile qui dure depuis 173 ans ? Pourtant, câest une autre tradition qui dĂ©finit lâAmericaâs Cup : la quĂȘte du progrĂšs â et peut-ĂȘtre que cette annĂ©e, le progrĂšs aura les couleurs de lâĂ©quipe suisse.
« Alinghi Red Bull Racing est nouveau dans la course, notre Ă©quipage est jeune, avec des membres qui nâont jamais participĂ© Ă la Coupe. Les autres Ă©quipes ont probablement pensĂ© en nous voyant, âCes gars ont encore beaucoup Ă apprendreâ, nous confie Arrivabene. Mais vous savez ce que je pense, moi ? Nous sommes prĂȘts. »
Les Louis Vuitton Cup Challenger Selection Series commencent le 29 août.
La 37 e Americaâs Cup commencera le 12 octobre 2024. alinghiredbullracing.com
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Expédition à VTT dans le Colorado
VOYAGE/ COLORADO
«ââSi je freine trop tard, je bascule dans un ravin de 30 mĂštres de hautââ; si je survis, je serai rĂ©compensĂ© par une section connue sous le nom dâHospital Hill.ââ»
Au terme dâune ascension abrupte et rocailleuse dans lâouest du Colorado, le manque dâair irrite mes bronches. Mais plus que lâaltitude, câest la vue sur les blocs de Grand Junction, dans la vallĂ©e en contrebas, qui me coupe le souffle. Entre la ville et moi, un sentier appelĂ© Wineglass, descente de 1,5 kilomĂštre depuis un large triangle de roche lisse vers une section de single trail mince comme un fil. Câest lâune des premiĂšres difficultĂ©s du Ribbon Trail, un parcours de descente en VTT de 4,5 km (niveau diamant noir) qui fait partie des Lunch Loops, rĂ©seau de sentiers encerclant la ville. Guide local et photographe, Devon Balet me met en gardeââ: ici, on atteint vite les100 km/h et un freinage trop sec peut transformer la surface de grĂšs sous mes roues en une vĂ©ritable patinoire. Ce terrain intransigeant sera le dernier dĂ©fi de mes cinq jours dâodyssĂ©e en VTT dans le Colorado. Originaire de Londres, je suis passionnĂ© de vĂ©lo de route, de gravel et de VTT et jâai dĂ©jĂ pas mal de sentiers et de routes au Royaume-Uni et en Europe Ă mon actif. Aussi pouvais-je difficilement refuser cette opportunitĂ© de dĂ©couvrir enfin le cĆur spirituel du VTT. Ces single trails en granite, ces montĂ©es et descentes alpines enneigĂ©es et ces paysages dĂ©sertiques lunaires typiques du Colorado sont un condensĂ© de tout ce que les Ătats-Unis peuvent offrir aux amoureux du VTT. PremiĂšre Ă©tape obligĂ©eââ: la commune de Fort Collins, au nord de Denver, ainsi que les sentiers Ă lâouest du Horsetooth Reservoir. Depuis le dĂ©part au bord de lâeau, je me laisse bercer par un faux sentiment de sĂ©curitĂ© au cours de lâascension dâune soixantaine de minutes, un peu ardue mais assez gĂ©rable.
La section finale, trĂšs accidentĂ©e et jonchĂ©e de trous, me force Ă pousser mon vĂ©lo. Mais la beautĂ© du paysage Ă lâouest des sommets du Front Range des Rocheuses attĂ©nuent la douleur. Câest dans la descente du Wathen, pente de 2 km classĂ©e diamant noir parsemĂ©e de rochers de quartz scintillants et de virages Ă©levĂ©s et ondulants que tout sâĂ©croule, littĂ©rale-
DESCENTES AU GALOP
Charlie Allenby nĂ©gociant lâun passage technique du Horsetooth Reservoir (ci-contre) ; affrontant les piĂšges de la face nord du single trail Ramble On dans le Powderhorn Bike Park (Ă droite).
Ă FLANC DE ROCHER Allenby admire la vue au dĂ©part du Ribbon Trail ; (page dâouverture) descente extrĂȘme sur le Palisade Plunge.
ment. Je fais deux chutes coup sur coup Ă cause des leviers de frein inversĂ©s (ce que je croyais ĂȘtre mon frein arriĂšre Ă©tait en fait mon frein avant) et des racines glissantes. Jâen sors sans bobos, mais ma confiance en a pris un sacrĂ© coup. Je finis la descente Ă©troite et sinueuse en redoublant de prudence, le souffle court, le cĆur battant Ă tout rompre.
Je finis par atteindre sain et sauf la vallĂ©e. Pas possible dâĂȘtre raide comme un piquet pour bien nĂ©gocier les bosses et les virages dâun sentier tout-terrain. Je dois me dĂ©tendre et retrouver une certaine fluiditĂ© dans le rythme. Le reste de la journĂ©e se passe sans accroc, jâai enfin rĂ©ussi Ă rentrer dans un flow. AĂ©rien, impassible, jâenchaĂźne les descentes de rochers en grĂšs rouge de cette doubletrack. Les jours suivants, je traverse la ligne de partage des eaux et continue vers lâouest Ă travers le Colorado, rĂ©compensĂ© par une profusion de paysages magni-
UN BON BOL DE PANORAMA Allenby fait une pause pour contempler les vignobles et les vergers de Palisade.
fiques. MĂȘme sâil est difficile de se dĂ©barrasser totalement de lâapprĂ©hension Ă lâapproche de terrains inconnus, je sens ma confiance renaĂźtre.
Si le village alpin de Snowmass est moins connu que la cĂ©lĂšbre station de ski dâAspen, ses sentiers cyclistes surpassent ceux de son illustre voisine, avec des montĂ©es raides en lacet Ă travers des forĂȘts de peupliers aux troncs blancs, des parties sur les crĂȘtes exposĂ©es, et des descentes aussi fluides que grisantes. Sur le Deadline Trail, spĂ©cialement creusĂ© pour les vĂ©tĂ©tistes, je respire un bon coup et franchis les sauts Ă fond la caisse, la descente quasi verticale du West Government Trail me permet enfin de surmonter cette peur des racines et des rochers que je traĂźnais depuis Fort Collins.
Je poursuis mes pĂ©rĂ©grinations le long de la riviĂšre Colorado qui descend en grondant vers lâouest, alimentĂ©e par la neige fondue. Difficile de croire que ce torrent furieux se termine en un mince filet dâeau au Mexique. Lâhorizon changeââ: les pics pointus laissent place aux sommets plats et Ă©tendus, la vĂ©gĂ©tation verdoyante Ă un paysage dĂ©sertique et aride. Tel un mirage, les vergers et les vignobles de
LE CLUB DU MILE HIGH
Avec une altitude moyenne de 2 074 mĂštres, le Colorado est lâĂtat le plus Ă©levĂ© des ĂtatsUnis. Denver, la capitale du Colorado, culmine Ă 1 609 mĂštres et est surnommĂ©e Mile High City. Pour se dĂ©placer facilement, mieux vaut louer une voiture, mĂȘme sâil est Ă©galement possible de prendre des vols de correspondance depuis lâaĂ©roport international de Denver vers des aĂ©roports situĂ©s non loin de Fort Collins, Snowmass Village et Grand Junction. colorado.com
Palisade apparaissent Ă lâhorizon, mais toute mon attention est fixĂ©e sur le sommet au sud de la modeste bourgade. Culminant Ă 3ââ454 mĂštres au niveau du Crater Peak, son point le plus Ă©levĂ©, et avec une superficie totale lĂ©gĂšrement infĂ©rieure Ă celle des Brecon Beacons au pays de Galles, la Grand Mesa est la plus haute montagne Ă sommet plat au monde. Elle abrite Ă©galement le Powderhorn Bike Park, station accessible en remontĂ©e mĂ©canique avec six sentiers de descente dont lâimpressionnante Palisade Plunge, longue de 51 km et rĂ©servĂ©e aux experts.
Jâen teste les derniers 2,5 km trĂšs techniques sous une chaleur Ă©crasante. Câest la premiĂšre fois que je roule sur du grĂšs et ça nâest pas une mince affaire. Austin Roberts, mon guide, qui travaille Ă Palisade Cycle & Shuttle, me recommande de garder la roue avant en mouvement. Il mâindique la meilleure ligne Ă suivre sur une bande de roche fissurĂ©e de 4 mĂštres de haut et la maniĂšre dâĂ©viter une dalle en surplomb sur une terrible section de roche sĂ©dimentaire tortueuse. Ă chaque nouveau dĂ©fi surmontĂ©, je sens une grosse montĂ©e dâadrĂ©naline et mes chutes Ă Fort Collins se conjuguent peu Ă peu au passĂ©.
Pourtant, le dernier jour, alors que je mâapprĂȘte Ă mâĂ©lancer du sommet du Wineglass de Grand Junction, je nâen mĂšne pas large. Si je freine trop tard, je bascule dans un ravin de 30 mĂštres de hautââ; si je survis Ă cette descente sur lâimmense dalle rocheuse, je serai rĂ©compensĂ© par une section connue sous le nom dâHospital Hill. Peu pressĂ© de me retrouver aux urgences, je dĂ©cide de parcourir ce secteur Ă pied.
Les mains agrippĂ©es au guidon, les doigts effleurant les freins, je laisse la gravitĂ© prendre les rĂȘnes. La surface lunaire crevassĂ©e tente de me dĂ©sarçonner, je dois faire appel Ă tout ce que jâai appris dans le Colorado. Ăpaules dĂ©tendues, genoux flĂ©chis, je laisse le vĂ©lo bringuebaler sous moi, la suspension absorbe le pire des chocs. Je nâose regarder la vitesse sur mon GPS, mais Ă en juger par la force du vent qui me fouette le visage, je file comme une fusĂ©e. Ă mesure que le sentier se rĂ©trĂ©cit, je freine lĂ©gĂšrement pour Ă©viter un arrĂȘt trop brutal.
Lors des derniers mĂštres du Ribbon Trail, je suis parcouru par un frisson de plaisir. En surmontant les obstacles posĂ©s sur ma route par le Colorado, jâai dĂ» sortir de ma zone de confort et suis convaincu que je pourrais utiliser cette expĂ©rience et la mĂ©moire musculaire acquise ici pour affronter nâimporte quel sentier.
IGââ: @charlie.allenby
LE RAP GAME.
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SURF/ SWELL INTĂRIEUR
Envie de surfer mais vous habitez trop loin de lâocĂ©anââ?
Alors laissez vous tenter par les vagues indoor. Focus sur le City Surf Park, proche de Lyon.
Quand Aymeric DĂ©sert, 34 ans â dont vingt de take-off sur la cĂŽte Altantique âa crĂ©Ă© la premiĂšre vague (et le plus grand surf-park dâEurope) en 2020, câĂ©tait avant tout pour partager une passion et la rendre accessible. «ââLe surf est le sport le plus dur qui soit, dâautant que tout le monde nâhabite pas prĂšs du littoral pour sây entraĂźner, bref, il faut des annĂ©es avant de pouvoir sâĂ©clater. Je me suis dit que la solution pourrait ĂȘtre une vague en bas de chez soi.ââ» Aymeric donne cinq raisons de succomber au swell intra-muros.
1. Câest toute lâannĂ©e
«ââPour 95ââ% des gens, le surf est une chimĂšre. Trop loin, trop dur, trop cher. LâidĂ©e de cette vague, câest garantir des bonnes sensations de glisse en toutes saisons, Ă un public qui a envie de se mettre au surf mais habite dans des
BIEN SE METTRE DANS LE BAIN INDOOR
LES 3 TIPS DE YOAN, WAVEMAN
CHEZ CITY SURF PARK
1. Ne vous laissez pas impressionner par le bruit, par les chutes, il nây a aucun dangerââ: plus on se dĂ©contracte sur la vague, plus les premiers passages seront fluides. On est lĂ pour vous donner des conseils et on analyse leur application en temps rĂ©el, ce qui permet de gagner du temps dâapprentissage.
2. CĂŽtĂ© dĂ©butants, le b.a.-ba de la technique pour garder lâĂ©quilibre sur le board est assez basiqueââ: il ne faut pas hĂ©siter Ă jouer avec le haut du corps en pensant Ă verrouiller le bassin, les jambes flĂ©chies, le pied arriĂšre bien en appui sur la planche pour ne pas planter lâavant, et avoir le regard droit devant.
3. MĂȘme si on a lâhabitude de surfer dans lâocĂ©an, ne pas avoir peur de repartir de zĂ©roââ: le sport a beau ĂȘtre le mĂȘme, la pratique est diffĂ©rente. Il y a une phase de transition, sachant que sur notre vague, Ă la diffĂ©rence de la glisse en extĂ©rieur, on passe beaucoup plus du pied avant au pied arriĂšre.
grandes mĂ©tropoles, Ă plusieurs heures de route de la mer ou de lâocĂ©an. En trois ans, on a organisĂ© 60ââ000 sessions de surf et 90ââ% de notre clientĂšle vient pour la dĂ©couverte.ââ»
2. On progresse trĂšs vite
«ââNotre technologie de vague statique en eau profonde permet de crĂ©er une vague Ă taille modulable de 80 Ă 150 cm sur une longueur de 10 m, soit un flux dâeau instantanĂ© en fonction du niveau du pratiquant. Sur une heure de session, on a 40 min de coaching, avec des wavemen ou women qui enseignent les gestes, mais aussi les valeurs du surf. Câest le seul outil qui permet de travailler sans fin une figure. Ce nâest pas un manĂšge. On essaie de tirer notre sport vers le haut.ââ»
3. Pas de danger
«ââSous le pied de la vague, il y aura toujours minimum 40 cm dâeau, impossible de toucher le fond en tombant. On nâa jamais eu dâaccident, de crĂąne ouvert, dâailerons qui finissent dans la cuisse, etc. Pas de collisions non plus. Il nây a pas de localisme en indoor, pas dâagressivitĂ© au line-up, la session est collective, mais on passe Ă tour de rĂŽle, aucun risque de se faire griller la prioritĂ©ââ!ââ»
4. Ăcolo et Ă©conomique
«ââNotre technologie est trĂšs peu consommatrice dâeau. On a 450 mÂł dâeau en cycle fermĂ©, soit lâĂ©quivalent de la conso de treize mĂ©nages français. On est sur du 300 kilowatts, lâĂ©quivalent du moteur de la derniĂšre Tesla Ă©lectrique. Et lâeau est chauffĂ©e Ă 28 degrĂ©s toute lâannĂ©e par un systĂšme de rĂ©cupĂ©ration thermique. Dâautre part, un surf trip nâest jamais neutre en termes dâempreinte carbone et pas toujours trĂšs rentable question qualitĂ©-prix, surtout si les conditions ne sont pas au rendez-vous. Chez nous, Ă partir de 49 euros, matĂ©riel inclus, on a 5 Ă 6 min de ride rĂ©el sur la vagueââ: câest Ă©norme comparĂ© au temps passĂ© sur une session de glisse sur lâocĂ©an, entre la barre Ă passer, la vague Ă lire, etc.ââ»
5. On socialise
«ââOn se revendique spot de surf, lieu de vie. Tout le monde se parle, et sur la vague, le fait dâĂȘtre en indoor favorise clairement le relationnel, les Ă©changes de conseils. On peut aussi sâinspirer en regardant les 10ââ% de forts riders qui viennent sâentrainer chez nous. Ă la sortie, tout le monde a le smileââ!ââ»
City Surf Park, 2 av. Simone Veil, 69150 DĂ©cines-Charpieuââ; city-surf-park.com
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