
8 minute read
INTOUCHABLES
À la poursuite du globe de cristal
MARCO ODERMATT et LOÏC MEILLARD sont rivaux sur les pistes, et amis dans la vie. L’un est un esprit libre et sauvage à l’oreille fine, alors que l’autre est introverti et a la précision d’un pilote automobile. Avec eux, le rêve d’une victoire suisse au classement général de la Coupe du monde se rapproche enfin.
Texte CHRISTOF GERTSCH

Marco Odermatt
Le jeune homme de 24 ans, ici à Saas-Fee, est décrit par son entraîneur comme un «fonceur sans complexe».
Loïc Meillard
Selon son entraîneur, le jeune homme de 25 ans, ici en Autriche, est «le meilleur au monde en termes de technique».
A
lors que la saison vient de commencer, le temps des larmes paraît encore loin, si loin que Loïc Meillard et Marco Odermatt seraient tentés de croire qu’il ne reviendra pas… Pourtant, tous deux savent que chaque saison entraîne avec elle son lot de souffrance, de bleus et de larmes.
Les skieurs savent déjà qu’un beau matin, à la fn de l’hiver, ils se réveilleront dans une chambre d’hôtel au milieu de sommets enneigés, le corps endolori et dans un état d’épuisement tel qu’ils penseront jouer ce jour-là la dernière saison de leur carrière. Ils se lèveront, le regard vide et les jambes lourdes, en ne souhaitant qu’une chose: ne plus jamais remettre les pieds dans des chaussures de ski.
Mais ils fniront par enfler leur équipement et sortiront de leur hôtel pour affronter un destin qu’ils se forgent depuis des années, et qui les a conduits au sommet du ski alpin. Loïc Meillard, Valaisan de 25 ans, et Marco Odermatt, Nidwaldien de 24 ans, sont amis. Deux jeunes Suisses qui risquent de partager de plus en plus souvent les marches des mêmes podiums car ils sont classés parmi les meilleurs skieurs au monde.
Depuis leurs débuts en Coupe du monde, en 2015/16 pour Meillard et 2016/17 pour Odermatt, ils suivent la même progression, une ascension si régulière qu’on ne peut avoir de doute sur sa suite logique: la première place. Comment pourrait-il en être autrement, si l’on regarde le chemin parcouru par ces deux
athlètes en quelques années? Passé successivement par les places 104, 80, 27, 15 puis 10, Loïc a terminé 4e en 2021, ratant d’un cheveu une place sur le podium. Quant à Marco, il a grimpé des rangs 114, 76, 24 puis 17 avant de se hisser à la deuxième place l’année dernière.
À eux deux, Meillard et Odermatt ravivent tous les espoirs du ski suisse chez les hommes: un renouveau attendu depuis les exploits de Carlo Janka en 2009/10, avant que l’arrivée d’un certain Marcel Hirscher ne change la donne pendant toute une décennie. Aujourd’hui, une victoire suisse en CM est un rêve à portée de main. Pour l’atteindre, il faudra user de patience afn d’assurer une saison parfaite, d’octobre à mars. Il faudra serrer les dents et sortir ses plus gros atouts.
Et des atouts, Marco et Loïc en ont un paquet. Si le premier jouit d’une capacité d’apprentissage extraordinaire, son acolyte est un athlète dont le dynamisme force le respect. Un point commun: leur grande polyvalence. Et ce diagnostic ne vient pas de n’importe qui: Helmut Krug, leur entraîneur. En trente-cinq ans de carrière dans l’entraînement, l’Autrichien sait de quoi il parle.
«Ces gars-là sont capables de tout faire.» Loïc excelle en slalom, en slalom géant et en super-G, et sait aussi se défendre en combiné et en parallèle. Quant à Marco, ses disciplines de prédilection sont le slalom géant, le super-G et la descente, mais il a fait ses preuves dans d’autres disciplines, comme on l’a vu en 2018 lors des championnats du monde junior: il avait alors rafé cinq médailles d’or sur six, un palmarès jamais réalisé avant lui.
En tant qu’entraîneur de l’équipe de slalom géant auprès de la fédération suisse, Helmut Krug fait partie du cercle proche de Loïc Meillard et Marco Odermatt: lui qui passe plus de la moitié de l’année avec eux – cinq mois pendant la saison d’hiver et les 30 à 50 jours que dure l’entraînement sur neige l’été – en parle en termes si élogieux qu’on ne peut s’empêcher d’y fairer un soupçon d’admiration ou de surprise. «Loïc est un mec équilibré, proche de la nature, avec une sensibilité pour l’environnement qui inspire vraiment les gens autour de lui. Alors que Marco a un côté rigolard et fonceur, le genre de mec qui ne se prend pas la tête et qui a besoin de s’éclater avec ses potes de temps en temps. Ce que j’aime chez eux, c’est que leurs caractère respectifs se refètent dans leur façon de skier.»
Helmut Krug raconte une anecdote de la saison passée, lorsque Loïc a fait ses débuts en super-G à Kitzbühel, dans le Tyrol autrichien. Là-bas, la «Streif» est l’une des descentes les plus connues de la planète et le cauchemar des meilleurs skieurs. Comme il n’avait pu obtenir de place pour s’entraîner sur cette piste avant la compétition, Loïc a pris le départ sans vraiment la connaître. Et pourtant, vers la fn de la descente, c’est lui qui a skié le plus vite. «Normalement, personne ne peut réussir un pareil exploit, conclut l’entraîneur. Mais avec lui, c’est possible.»
Selon lui, le jeune Valaisan est un des meilleurs au monde côté technique: il le compare à un pilote de course qui serait aussi à l’aise sur un rallye de campagne qu’au volant d’une F1. «Loïc peut très bien s’entraîner trois semaines d’afflée pour

Loïc Meillard lors de la première course de la saison à Sölden, en Autriche.
«À ski, Marco ne réfléchit pas trop. Il est intuitif, libre et sauvage. J’aimerais bien être comme ça.» Loïc Meillard
le slalom géant et réaliser tout à coup le meilleur temps lors d’un entraînement en super-G.» Pour ce vieux loup des neiges, cette polyvalence est due au fait que Loïc Meillard ne s’éloigne jamais de son objectif: «Il observe la piste, il visualise sa trajectoire et à partir de là, une fois lancé, il n’en dévie pas d’un millimètre.»
C’est aussi lui qui semble avoir la plus grande éthique au travail: tous ceux qui bossent avec lui louent son incroyable discipline, et son pote Marco le confrme: «On se donne tous à fond, mais lui en fait encore plus que tous les autres.»
La même obsession de perfection dans son autre passion Autodidacte, Loïc dévore manuels et tutoriels de photographie, possède un drone et plusieurs appareils et objectifs. Ses sujets de prédilection sont évidemment les magnifques paysages qu’il arpente avec ses skis lors de ses pérégrinations sportives: les plus beaux clichés, Loïc en fait profter le monde extérieur grâce à son site Internet.
Parmi ceux-ci, une photo montrant un lac enneigé avec, en arrière-plan, une forêt de sapins transpercée par les rayons du soleil levant. «C’était en Suède, lors d’un camp d’entraînement. On ne bossait pas ce jour-là, mais je m’étais levé très tôt et j’étais parti me promener si loin que quand je suis rentré, j’avais les pieds trempés et gelés.»
Marco Odermatt, contrairement à son ami Loïc (qui a remporté deux fois le bronze en 2021), n’a pas encore obtenu de médaille aux championnats du monde. Ce qui n’en fait pas moins le plus récompensé des deux. Marco comptabilise en effet treize podiums mondiaux (contre huit pour Loïc), dont quatre sur la première marche (contre un pour Loïc).
Marco a très vite été considéré comme l’enfant prodige du ski suisse: une attention précoce des médias qui a culminé début 2019, le jour où Marcel Hirscher a déclaré à la télévision: «Il peut devenir champion du monde au classement général ou champion olympique – tout ce qu’il veut.» Des louanges qui n’ont pas été forcément bien reçues par Walter, le père du jeune homme: «Ce n’est pas très intelligent de dire ça quand on sait à quel point les chances sont minces. Il peut se passer tellement de choses.» Deux mois plus tard, son fls parvient pourtant à se hisser pour la première fois en haut d’un podium de coupe du monde.
«Beau n’est pas rapide» : un call Zoom avec des athlètes d’exception Marco ne semble pas se laisser impressionner par les compliments, même s’ils ne le mettent pas toujours à l’aise. Ce qu’il ne veut pas, en revanche, c’est donner l’impression que le succès lui est tombé tout cuit dans la main. Selon lui, il a tout simplement la chance de ne pas être paralysé par la pression environnante mais au contraire de s’en nourrir. «Pendant les entraînements, je suis souvent moins rapide que Loïc, mais pendant les courses, je peux rajouter facilement 10 à 15% de performance.»
Lors de l’interview réalisée par Zoom avec nos deux sportifs, Loïc ajoute que c’est ce qui l’impressionne le plus chez Marco: «Il a cette manière intuitive, sauvage et libre de skier – j’aimerais bien être comme ça aussi. Lui ne réféchit pas trop, il freine moins.»
Un compliment que Marco lui retourne: «Loïc ne peut pas encore bien le montrer en compétition, mais d’un point de vue technique, quand je l’observe à l’entraînement, dans trois ou quatre disciplines, il est vraiment le meilleur skieur du monde selon moi.»
«Ça fait plaisir d’entendre ça, répond l’intéressé, mais ça ne fait pas de moi le plus rapide!»
Marco le rassure: «Tu verras bien!»
Et les deux éclatent de rire.
«Loïc, d’un point de vue technique, est vraiment le meilleur skieur au monde.» Marco Odermatt
