Le marchand espagnol

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Patricia Sanchez ______________________________

Le marchand espagnol

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Ecrits sur le Sable, Isabelle Eberhardt, p 113, un « taleb », jeune étudiant musulman, définit ainsi l’origine du rêve : « L’âme est une substance lumineuse qui exhale des rayons dès qu’elle est délivrée des entraves de la chair. Alors, suivant que ces rayons tombent dans le monde visible, sur la terre, ou qu’ils se dirigent dans l’au-delà, le dormeur voit les villes, les pays, les arbres, les fleurs, les hommes, les prophètes et les armées qui peuplent la terre…Dans l’audelà, il perçoit quelquefois des parcelles de l’inconnu d’après la mort… Puis les rayons s’éteignent et l’âme rentre dans son obscure prison charnelle… »


A mon grand-père andalou


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Partie I Le Prince Andalou

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Lorsque Mohammed Abou Abhal s’éveilla, il faisait encore nuit noire. L’herbe rase et épaisse où il avait dormi était humide et froide. Il se trouvait au commencement de la province de Jaén, loin de la cité de Grenade, et près du village de Baeza. Aux montagnes décharnées par la sécheresse avait succédé une vallée fraîche et bruissante, creusée de plusieurs cours d’eau où la végétation s’épanouissait dans un climat printanier et odorant. La tête lourde et douloureuse, il se souvint des événements tragiques qui l’avaient mené en ce lieu : la fuite loin du palais de son père envahi par les flammes. Il se souvint des hommes armés du grand Inquisiteur Gonzalves De la Cruz, déferlant dans les escaliers somptueux, souillant les précieux tapis de velours grenat, hurlant leur cruauté implacable, et neutralisant sans merci tous ceux qu’ils trouvaient dans les chambres, dans les salons, dans les cuisines. Il entendait encore les cris des domestiques violemment repoussés par les hommes de main du cruel Gonzalves. Ils viendraient augmenter le nombre des innocents torturés et jetés dans les geôles, ou condamnés aux galères avant même d’être jugés. Par miracle, il avait pu emprunter un passage secret qui menait de sa chambre aux portes des remparts par un très long tunnel. C’est ainsi qu’il avait échappé aux soldats. Il avait couru sans se retourner pendant de longues heures à travers les collines arides et les vallées boisées, parcourant les terres cultivées irriguées par le grand fleuve, le Wad Alkabir, et l’esprit toujours hanté par les cris et le crépitement de l’incendie. -9-


Il savait que son père était sauvé, sans doute déjà arrivé par mer à Alger où il retrouverait ses fidèles compatriotes exilés depuis plus de trois ans. La plupart des Seigneurs maures, refusant de se laisser convertir au catholicisme, avaient choisi l’exil. C’était après la chute du royaume en 1492, soumis par la puissance des armées catholiques. Mais le Seigneur Abhal, père d’Abou, avait refusé la capitulation et la fuite. S’il était malgré tout parti pour l’Afrique dans le but de veiller à la bonne installation de ses cousins, anciens ministres du royaume d’Al Andalus, c’était avec la conviction de revenir très vite rejoindre son fils. Le Seigneur Abhal tenait à poursuivre la lutte humaniste et pacifique qu’il avait menée toute sa vie afin que les hommes de sa religion puissent vivre en paix avec les Espagnols. Cet homme épris de tolérance croyait encore qu’Arabes, Juifs et Catholiques trouveraient un compromis de vie commune. À présent, de tels projets semblaient si peu réalisables qu’Abou songea à la déception de son père quand il apprendrait l’occupation du palais. Sa mère, par bonheur, ne verrait pas la débâcle. Depuis douze années, elle reposait en paix dans la partie la plus paisible des jardins du château – pourvu que ces sauvages épargnent sa tombe, songea-t-il avec rage en essuyant du revers de la main ses larmes mêlées de terre. Jamais il n’avait pensé quitter ce pays, lui, le fils d’un des derniers grands seigneurs Maures d’Andalousie, maîtres des lieux depuis cinq siècles. Or, il venait de fuir, seul, sans aucun moyen de lutter, ne songeant qu’à sauver sa vie pour la consacrer à la vengeance des siens. Lui dont l’éducation si soignée, donnée par un père passionné de justice et de liberté, s’était passée dans la douceur et le respect d’autrui. Lui, le doux jeune homme érudit, se découvrait habité d’un puissant - 10 -


sentiment de haine et de rancune. Il tenait dans sa paume serrée son cher poignard, offert un an plus tôt par son père pour ses quinze ans. Il le portait toujours sur lui comme un talisman, une sorte d’ange gardien qui le protégeait. Le manche de bronze avait été sculpté spécialement pour lui par l’orfèvre personnel de son père venu de Tolède. La sculpture représentait le symbole de sa famille, le blason ancestral : le serpent à l’œil rouge sang, que les Espagnols prenaient pour un dragon malveillant et diabolique mais que les Maures de sa caste considéraient au contraire comme l’emblème de la bravoure et de l’indépendance. Il revit un bref instant le palais de ses ancêtres, puis sombra brutalement dans une nostalgie violente du paradis désormais perdu de son enfance. Il voyait encore les vénérables murs ocre bâtis solidement depuis deux siècles et les deux tours crénelées de cette forteresse surplombant fièrement la vallée d’oliviers. Et les flammes s’échappaient des ouvertures en une dernière danse cruelle, et la fumée envahissait tout et brouillait la vue. Là-haut, de la fenêtre de sa chambre, il avait aimé observer les allées et venues des villageois le matin, et le somptueux coucher de soleil du soir en hiver. Il sentait à nouveau le parfum entêtant des roses qui embaumaient les jardins privés de son père en contrebas des tours et il entendait avec désespérance le bruissement des fontaines dans les deux patios, havres de paix et de fraîcheur abandonnés à jamais. Soudain, un léger bruit de feuilles le fit tressaillir. Il se trouvait peut-être déjà à plus d’une vingtaine de kilomètres du château, à l’abri du danger pensait-il, au beau milieu des oliveraies, sur une terrasse légèrement surélevée d’où il pouvait - 11 -


observer les alentours. Le soleil finissait de se lever doucement à l’horizon dans un ciel couleur d’ambre. Il s’immobilisa et attendit : un bruissement diffus mais étrange se fit à nouveau entendre. Il saisit son poignard, prêt à bondir et à se battre, lorsqu’une voix grave et douce l’appela. — Seigneur Mohammed ! entendit-il dans un murmure. C’est moi, Maria ! Une des jeunes filles chargées de l’entretien du château sortit alors d’une haie de buissons épais et s’avança vers lui. Ses yeux de jais brillaient étrangement dans la lumière douce et mystérieuse de l’aube. Tout en lui parlant espagnol de sa voix rauque, elle jetait des regards craintifs autour d’eux, ses gestes étaient saccadés, guidés par une émotion extrême et une peur profonde. Elle avait pu fuir car elle se trouvait dans les écuries au moment de l’intrusion des hommes de Gonzalves De la Cruz dans le palais. Elle avait eu beaucoup de chance. Tel était donc son destin. Depuis sa petite enfance, son père, le palefrenier du Seigneur Abhal, lui avait appris à chevaucher comme un homme. Cette nuit-là, son père s’étant rendu très tôt au marché aux bêtes, elle soignait les chevaux avant de prendre son service dans les chambres. Lorsqu’elle avait commencé à entendre les cris sauvages des hommes armés et ceux, horribles, des gens de la maison surpris dans leur sommeil, elle était montée sans réfléchir sur un des pur-sang arabes, et avait galopé dans la nuit jusqu’ici. Arrivée bien avant lui, elle avait erré dans la campagne sans savoir où aller, attirée par ce village de Baeza où vivait une partie de sa famille éloignée, mais sans oser finalement se montrer à ceux qui ne la reconnaîtraient même pas, ne l’ayant jamais vue ; elle n’avait pas dormi et semblait épuisée. — Il faut trouver un refuge avant que les hommes de De - 12 -


La Cruz ne nous retrouvent, parvint à dire Abou après de longues minutes de silence. Elle acquiesça d’un mouvement de tête lent et déterminé. Le trouble d’Abou grandissait tandis qu’il observait la jeune fille, ne sachant plus comment calmer en lui les tourments du malheur et de la joie si étroitement mêlés : une telle splendeur dans un moment si triste. Comme il aurait préféré la découvrir là-bas, chez lui, alors qu’elle faisait partie de sa maisonnée, mais il ne se souvenait pas de l’avoir jamais rencontrée au palais. Maria retrouva peu à peu un souffle régulier et son corsage de lin, finement bordée de fleurs et de gazelles se soulevait plus calmement sur sa poitrine. Abou pensa alors qu’ils étaient tous deux totalement perdus, sans aucun allié : la plupart des amis du père d’Abou ne vivaient plus au pays et ceux qui avaient bravé les ordres du Roi étaient sans doute déjà emprisonnés ou en fuite. Les bateaux en partance d’Alméria pour l’Afrique allaient être à présent tous fouillés, les clandestins maures essayant de quitter le pays seraient arrêtés. Abou ne pourrait plus rejoindre son père, ni reprendre courage auprès d’un cœur ami. — Pourquoi rester avec moi ? N’as-tu pas une famille chez qui te cacher le temps que les Catholiques abandonnent les recherches des compagnons de mon père ? — Je n’ai personne, ma famille de Baeza ne m’a jamais vue, Seigneur Mohammed, mon père rentrait peut-être au château juste au moment de l’attaque, il est sans doute prisonnier des hommes du Grand Inquisiteur, annonça-t-elle et sa voix s’interrompit dans les larmes retenues, par fierté, par désespoir, par colère. — À moins qu’il ait pu s’enfuir lui aussi, répondit Abou en - 13 -


essayant de rassurer la jeune fille. — Pas sans moi, dit-elle dans un souffle alors que les larmes envahissaient à nouveau ses yeux brûlants. Abou fut profondément touché par la douleur simple et vive de Maria. Il fixa de son regard doux et sûr les yeux de la jeune Espagnole dont il découvrait en ce jour funeste l’infinie beauté : une tresse de cheveux épais d’un noir lumineux caressait son visage à la peau brune ; il effleura timidement cette joue où les pleurs avaient laissé des sillons de souffrance. La présence inattendue de la jeune femme lui procurait à la fois un soutien précieux sur la route de l’exil à venir, et dans le même temps, le bouleversait. Il avait vécu pendant des années sous le même toit que Maria sans jamais la remarquer, préoccupé uniquement par ses études scientifiques, linguistiques et philosophiques et par l’art des armes blanches auquel son père tenait à le faire initier. Peut-être l’avait-il parfois croisée mais sans en conserver le moindre souvenir, alors qu’en cet instant, il avait la certitude qu’elle l’accompagnerait toujours. Il lui prit la main et lui montra la vallée : — Nous devons nous diriger vers la côte, et surtout nous éloigner de Grenade. Où est ton cheval ? — Là-bas, derrière cette rangée d’oliviers, près d’une petite rivière, il boit. — Il nous faut aussi trouver d’autres vêtements, ajouta Abou qui commençait à retrouver son esprit d’initiative. Je dois me débarrasser de mon kaftan et de mon tarbouch avant que nous soyons repérés. Il faut que tu trouves une auberge et un costume pour moi pendant que je t’attendrai ici. — D’accord, Seigneur Mohammed, je ferai selon vos désirs, dit la jeune fille ne pouvant contrôler la chaleur juvénile - 14 -


qui chauffait ses joues, si peu accoutumée qu’elle était de parler face à face avec un homme. — Et cesse de m’appeler Seigneur Mohammed, s’il te plaît. Dorénavant, je serai pour toi Abou l’exilé sans patrie ni famille et tu seras pour moi, si tu le souhaites, Maria, ma compagne et mon seul horizon. Veux-tu bien de moi, Maria ? Pour toute réponse, elle lui prit la main et le conduisit vers les buissons d’où elle était apparue. Ils rejoignirent le pur-sang, magnifique, à la robe grise, fier et fougueux comme tous ceux de sa race. Elle prit doucement Abou dans ses bras et ils restèrent ainsi serrés l’un contre l’autre pendant de longues minutes. Puis Maria s’écarta et, avec une rare vivacité, expliqua à Abou le plan qu’elle venait d’imaginer. Elle irait au village en faisant croire que son époux et elle-même avaient été détroussés par des bandits qui leur avaient dérobé tous leurs vêtements ; elle déchira le haut de sa robe et une de ses manches et partit pour Baeza avec une assurance qui surprit et fascina Abou. Le jeune homme se tint caché près de l’étalon pendant l’absence de Maria qui ne fut pas longue à dénicher quelques habits de bourgeois espagnol. Lorsqu’elle revint, victorieuse, elle tendit les vêtements avec un regard fier. Abou ôta à regret son costume arabe et enfila le manteau sans ceinture, à larges manches et à capuchon, puis les bottes de cuir moins confortables que ses chaussures de laine et de chanvre. Enfin, ils montèrent ensemble le superbe cheval, dernier souvenir du palais, et se mirent à galoper en direction de Baeza. Il leur faudrait contourner les montagnes par l’est avant de trouver refuge près de la Sierra de la Estancia, le but d’Abou étant de rejoindre Carthagène.

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Maria Rodriguez et Mohammed Abou Abhal arrivèrent à Carthagène le 4 janvier 1496 après une année de pérégrinations sur les routes de l’Andalousie et de la Murcie, où ils avaient cherché et trouvé protection dans les villages cachés des Sierras. Cazorla les accueillit d’abord au creux de ses montagnes et au lieu même de naissance du Guadalquivir. Là, ils vécurent chez une aubergiste discrète et chaleureuse qui les prenait pour deux jeunes mariés en route pour visiter leur famille. Abou, vêtu de l’habit modeste et traditionnel des hommes andalous, semblait un parfait Espagnol, et Maria s’empressait chaque jour de combler tous ses désirs avec la joie légère d’une jeune épouse. Une attirance mutuelle immédiate les avait unis tout naturellement. Ils se laissèrent envahir par cette passion qui les abreuva de tout l’amour qu’ils n’avaient plus. Au même rythme et dans les mêmes conditions, chacun d’eux accepta progressivement de vivre en exilé, loin de sa famille et de son lieu de naissance. Ils apprirent ainsi à se suffire l’un à l’autre et les différences sociales et culturelles, qui auraient pu les éloigner, spontanément s’effacèrent. Un amour sans limite les tenait à jamais attachés l’un à l’autre pour le meilleur et pour le pire. Ils se jurèrent fidélité dans un serment fait solennellement devant Dieu dans la petite église de Cazorla et devant Allah dont Abou chanta les louanges au milieu des oliviers. Au cœur de l’été et dans une chaleur insupportable, ils avaient ensuite rejoint Mula, minuscule village tout aussi discret, où un vieux berger les avait hébergés avec une grande amabilité. À tant de reprises, ils avaient rencontré des personnes non seulement bienveillantes mais d’un accueil - 16 -


protecteur étonnant. Ils ressentirent même parfois l’impression étrange d’être attendus et qu’on cherchait à assurer en secret leur sécurité. Enfin, après avoir contourné Lorca où les troupes de Gonzalves De la Cruz étaient nombreuses et rassemblées au pied de la forteresse, ils avaient rejoint à la fin de l’hiver la ville de Murcia. Là, leurs habitudes de clandestins furent perturbées car la cité était grande et très peuplée. La peur d’être arrêtés par les hommes du Grand Inquisiteur qui sillonnaient les rues dès la nuit tombée ne les quitta plus. Ils risquaient à tout moment d’être faits prisonniers. Leur asile, cette fois, était une hôtellerie modeste que le vieux berger de Mula leur avait conseillée : ils la trouvèrent sans difficulté dans une ruelle de la vieille ville, un ancien palais en pierres de taille transformé en plusieurs appartements situés aux étages. Ils gouttèrent avec délices le charme d’une chambre propre et accueillante où les mena une jeune fille brune, une des gracieuses filles de la propriétaire et, comme elle, d’un abord simple et chaleureux. La pièce avait un plafond blanchi à la chaux, garni d’une rosace de verre colorée, et les rayons du soleil renvoyaient une myriade de couleurs sur les quelques meubles au bois ciré et bien entretenu. Dans le patio que surplombait la chambre, on entendait les jets d’eau d’un bassin creusé au milieu de la cour et que Maria admira longuement lorsque leur jeune guide se fut éclipsée. Elle leva les yeux et découvrit alors avec émerveillement le paysage environnant la ville : les champs de citronniers s’étendaient dans une vallée charmante entourée, selon un contraste étonnant, de collines désertiques bientôt rongées par la poussière de l’été. Plus près de Maria, les toits de tuiles brunes des maisons de Murcia semblaient les embrasser tous deux dans une atmosphère nouvelle, aimante et apaisée. - 17 -


La propriétaire vint bientôt frapper doucement à leur porte et entra sans faire de bruit en refermant soigneusement derrière elle : — La chambre vous convient-elle, mes amis ? J’espère que votre séjour ici sera une source de repos dans votre parcours mouvementé. Maria regarda Abou et ils partagèrent brusquement la même angoisse : comment connaissait-elle leur histoire ? — Je m’appelle Isabel. Je dirige cet hôtel depuis la mort de mon époux il y a trois ans, paix et amour à son âme ! Le regard de la matrone se troubla quelques secondes en prononçant ces mots puis elle se reprit : — Mes enfants et moi accueillons ici des voyageurs de toutes origines y compris - et elle baissa la voix - ceux qui se cachent à cause de leur appartenance religieuse. Je suis convaincue que Maures et Espagnols devraient vivre en paix sans toutes ces larmes et tout ce sang versé sans raison. J’appartiens à la Communauté secrète créée par les morisques il y a un an, continua-t-elle, qui se charge de protéger, dans toutes les villes où ils se réfugient, vos compatriotes non convertis. Celui qui a fondé la Communauté est un homme de bien, un ancien médecin arabe connu des partisans de Gonzalves De la Cruz, mais qui se trouve à l’abri du danger. Comme tous les morisques, il a feint la conversion à la religion catholique tout en continuant de pratiquer en secret les rites de sa famille arabe. On l’appelle Luis-le-sage, c’est un savant et un philosophe qui refuse la violence. Il n’entrera jamais dans les projets de révolte des jeunes gens de la noblesse maure qui accompagnent votre père, Abou. Mais il lutte à sa façon pour la paix des hommes. Le jeune homme buvait les paroles d’Isabel d’autant plus - 18 -


qu’il n’avait plus aucune nouvelle des siens depuis sa fuite du château familial. Il ressentait à présent une confiance spontanée et totale en cette femme qu’il lui semblait connaître depuis toujours. — Un complot est en vue, continua-t-elle en baissant encore la voix. Un cercle de rebelles s’est constitué à Oran avec l’intention d’attaquer bientôt les troupes de De la Cruz. Mais j’ignore le détail de leur plan. Comme Luis-le-sage, je préfère me tenir à distance des actions violentes. Ah, j’oubliais, le berger qui vous a envoyés ici ainsi que l’aubergiste de Cazorla sont des nôtres. Maria et Abou découvraient l’existence de la Communauté avec une surprise mêlée de soulagement : ils n’étaient plus seuls dans un pays hostile, et ils sentirent tous deux, pour la première fois depuis bien longtemps, le réconfort d’être soutenus par plus expérimentés qu’eux. Toute la force mentale où ils avaient puisé pendant ces longs mois, alors qu’ils apprenaient à ne jamais attendre aucune aide de personne, à se méfier de tous, à vivre sur la défensive en permanence. Toute cette force les quitta subitement, les laissant démunis comme des enfants qui attendent que leurs aînés les guident avec amour et bienveillance. Maria pleurait. — Comment vous remercier, Isabel, que devons-nous faire pour vous rendre grâce de votre soutien ? demanda la jeune Espagnole. — Devons-nous continuer notre voyage vers Carthagène et poursuivre notre but qui était de rejoindre Oran, questionna à son tour Abou, la gorge serrée. Le Seigneur andalou, descendant des Princes maures, soudain mystérieusement débarrassé d’une haine violente et vengeresse, s’en remettait à la réponse d’Isabel, l’aubergiste - 19 -


espagnole. — Oui, vous devez construire votre vie hors d’Espagne, je ne crois pas que cette traque acharnée s’arrêtera et que De la Cruz renoncera à vous trouver. Il est particulièrement obsédé par ta famille, Abou, dont l’ancien pouvoir lui est insupportable. Il continuera de vous harceler tant qu’il ne te verra pas mort ou mourant dans une geôle. Il serait bon cependant que vous rencontriez Luis-le-sage avant de nous quitter. Il a des informations à vous communiquer. Maria et Abou acquiescèrent d’un même mouvement de tête et rendez-vous fut pris pour le lendemain matin.

Peu après le lever du soleil, Abou et Maria, qui avaient tous deux mal dormi, préoccupés par leur découverte de la Communauté secrète, descendirent dans la salle des repas où Isabel les attendait avec son bon sourire maternel. Elle leur servit immédiatement deux grands bols de café bien chaud que les jeunes gens burent d’un trait, mais il leur fut impossible d’avaler les énormes tartines de pain beurré et de miel que la matrone leur avait préparées. L’impatience leur tiraillait l’estomac et ils poussèrent un soupir de soulagement lorsqu’enfin Isabel les appela pour préparer leurs montures. Le pur-sang emmené par Maria dans la débâcle de l’attaque du château l’année précédente, était un magnifique cheval dont l’endurance étonnait encore Abou. Aujourd’hui, il était accompagné d’une jument grise achetée à Cazorla et qui égalait en beauté et en vigueur le superbe étalon. Ils sellèrent leurs montures et Isabel les rejoignit, montée elle aussi sur un pur-sang arabe à la robe noire dont le poil ras et chatoyant - 20 -


soulignait les muscles puissants. Maria lança à Abou un regard étonné et complice devant la présence d’une bête aussi magnifique dans les écuries d’une modeste hôtellerie de ville. Le soutien de la Communauté leur apparaissait plus clairement à présent. Isabel les guida jusqu’aux portes de la ville où les gardes ne surveillaient que de loin les allées et venues de la population leur vigilance devenait beaucoup plus rigoureuse à la tombée de la nuit. Comme la veille, Maria et Abou passèrent sans encombre. Ils s’éloignèrent sans parler et chevauchèrent pendant près d’une heure vers le Sud. Tous trois, très bons cavaliers, ne ressentaient aucune fatigue lorsqu’ils arrivèrent devant les contreforts boisés de la Sierra de Espuña. Ils s’enfoncèrent dans la forêt de pins qui recouvrait la montagne. Ils avançaient au pas entre les branches touffues et odorantes qui les entouraient. Bientôt Isabel leur fit signe de la main. Le chemin en pente où ils avaient enduré la chaleur, la soif et les éboulis de pierres sans broncher, aboutissait enfin à une petite clairière puis continuait son ascension face à eux dans la montagne aride. Une maison de paysan se trouvait près d’un immense mélèze : son toit de chaume clair et ses murs de terre recouverts de lierre inspiraient un sentiment de calme et de plénitude qu’Abou et Maria n’avaient pas ressenti depuis très longtemps. — C’est ici, leur indiqua Isabel en tirant ses rênes avec vigueur. Vous pouvez mettre pied à terre. Elle sauta avec aisance au bas de sa monture et se dirigea, suivie des deux jeunes gens intimidés, vers la demeure de Luis-le-Sage. Un homme à la stature imposante, grand et mince, âgé - 21 -


d’une cinquantaine d’années leur ouvrit la porte. Ses cheveux grisonnaient et il les portait longs, rassemblés par un ruban noir sur sa nuque. Sa barbe descendait jusqu’au milieu de sa poitrine et un sourire honnête et étrangement timide éclairait son visage. Il prit Isabel dans ses bras pour une brève accolade puis posa sur Abou son regard plein de bonté, celui d’un homme attentif à tous ceux qu’il rencontrait. Il lui serra la main et prit ensuite celle de Maria dans la sienne en murmurant : — Vous avez beaucoup souffert, et vous êtes si jeunes… Luis-le-sage les fit entrer, gardant leurs mains dans les siennes, puis il se mit à évoquer le long voyage des jeunes gens depuis leur fuite et sa connaissance des événements de leur vie était troublante. Il demanda cependant à Maria de lui raconter ce qu’il ignorait encore. De sa voix rauque et émue, elle reprit en détail le récit de leur périple. Abou les écoutait tout en observant machinalement la pièce où vivait l’ermite. Très peu de meubles : une table, deux chaises au centre de la chambre. Au fond à droite, il aperçut une couche à même le sol dont toute une partie était cachée par un rideau sombre. Un feu de cheminée baignait l’ensemble dans une clarté veloutée et harmonieuse. Mais ce qui le fascina surtout, ce furent les murs recouverts d’étagères remplies de livres de toutes sortes. Des livres de médecine, de botanique, d’autres dont Abou reconnaissait les titres pour avoir vu les mêmes ouvrages dans la bibliothèque de son père : des ouvrages d’histoire, de philosophie, et puis toute la littérature andalouse des dernières années y compris les livres interdits dont tous les exemplaires avaient été brûlés par les armées de Gonzalves de la Cruz. Sur l’unique table, Abou observa tous les instruments que Luis devait utiliser pour écrire ses manuscrits : quelques - 22 -


plumes jonchaient les dizaines de feuillets épars dont plusieurs étaient recouverts d’une écriture fine et régulière. Luis se tourna vers Abou : — Tu ne te doutais pas que dans cette Sierra, au milieu des pins, se trouvait une bibliothèque ? Et un vieux barbon qui tente de mieux comprendre les hommes sans les juger ? Dit-il en souriant, et ses yeux brillaient de malice. — C’est… Cela me rappelle… C’est comme chez mon père… parvint à balbutier Abou. — Ici tous les trésors de la pensée humaine sont, j’espère, en sécurité, répondit calmement le vieil homme. Il regarda à nouveau Abou très attentivement puis reprit : — J’ai bien connu ton père, Abou, avant ta naissance et alors qu’il n’avait pas encore épousé ta mère, la très belle et généreuse Violetta, qui a dû tant te manquer ces dernières années. Abou pouvait difficilement contenir son émotion, sa bouche se crispa de douleur et les larmes envahirent sa gorge, il écoutait les paroles de Luis. — Nous avons étudié ensemble, sur les bancs de l’université de Grenade, à l’époque où le Royaume andalou s’épanouissait et bien avant que la folie des hommes, de tous les hommes, ne les pousse à verser le sang de leurs frères et à se chasser mutuellement. — Viens t’asseoir, tu es si pâle, continua Luis en interrompant son récit. Maria s’approcha d’Abou et lui tint doucement les épaules. Ce contact sembla ranimer le garçon qui put rester debout. Luis continua : — Je connais ton histoire et si je t’ai fait venir ici, c’est pour te mettre en garde et te conseiller. Tu comprendras peut- 23 -


être plus tard le sens exact de mes paroles, pour l’instant il te faut les retenir avec attention : — Tout d’abord, apprends à te servir du poignard offert par ton père. Il détient des pouvoirs que tu ignores encore et que tu dois découvrir par toi-même. Mais ne cède jamais à la tentation d’une vengeance sauvage qui n’apporte que la mort et le désespoir. Quant à toi Maria, tu seras bientôt initiée à de nouveaux savoirs : reçois ces connaissances sans les juger et accepte-les. Votre vie est une lutte, mes enfants : je sais que vous trouverez, en vous, le courage d’accomplir votre destin. Vous n’avez pas le choix. Le visage de Luis parut subitement exténué, il se mit alors à chanter d’une voix légèrement vacillante une vieille prière arabe qu’Abou avait entendue dans son enfance, une prière de protection que sa mère lui chantait parfois le soir. La mélopée les entoura de ses volutes mystérieuses et fascinantes. Et Abou et Maria se laissaient bercer sans réfléchir, avec le sentiment confus mais sûr d’avoir enfin trouvé leur chemin. Après plusieurs semaines passées dans le calme et la chaleur de l’hôtellerie d’Isabel à Murcia, Maria et Abou reprirent leur route. Chacun d’eux savait, sans se l’avouer ouvertement encore, à quel point leur vie avait changé depuis leur rencontre avec Luis. Ils se sentaient tous deux chargés d’une étrange mission : trouver pourquoi ils étaient nés, découvrir ce qu’ils devaient accomplir en restant fidèles à euxmêmes, dans le tourbillon vertigineux qui les emportait loin des leurs. Certes, ils seraient soutenus par les Morisques, membres de la Communauté secrète, mais ils devraient faire face aux multiples dangers qui les menaçaient, en particulier, la véritable chasse enragée que Gonzalves De la Cruz avait - 24 -


engagée contre eux. Enfin, ce fut Carthagène. Toujours à pied et à cheval, Maria et Abou parcoururent les derniers kilomètres qui les séparaient de la côte avec une grande émotion. Peut-être allaient-ils bientôt pouvoir quitter ce pays et commencer une nouvelle vie. À l’approche de la ville, le vent de la mer se mit à les caresser comme un air de liberté. L’aubergiste de Cazorla dont ils avaient parlé à Isabel, leur avait indiqué l’adresse d’un cousin perdu de vue depuis longtemps mais qui les logerait volontiers et sans trop de frais. Ils trouvèrent la maison et descendirent de cheval en silence comme à leur habitude. Depuis le début de leur périple, ils parlaient en public le moins possible afin d’éviter tout propos suspect aux oreilles des hommes de l’Inquisition qui les recherchaient. Le propriétaire de l’hôtellerie était un homme corpulent et jovial à la parole facile et amicale. Un tablier couvert de tâches sombres et douteuses couvrait son ventre proéminent de gros mangeur et ses larges joues flasques étaient surmontées de deux petits yeux excessivement malins. Il les mena à travers un vieux couloir dans une chambre étroite et sale où Maria s’empressa d’ouvrir tout grand la fenêtre tant l’odeur de renfermé et de cuisine rance était intolérable. Les repas se prenaient dans la salle de l’auberge où les deux amants continuèrent de jouer parfaitement leur rôle de jeunes mariés en voyage. Isabel les avait prévenus de se méfier tout de même de cet homme qui n’appartenait pas à la Communauté ou du moins pas à sa connaissance. C’est pourquoi, au bout de quelques jours, les attentions trop nombreuses et l’affabilité obséquieuse de l’aubergiste les troublèrent. L’homme, qui ne les connaissait pas, et leur - 25 -


souriait sans discontinuer en les questionnant sur leur itinéraire et leurs connaissances, les avait déjà pris de court à plusieurs reprises. Dans les longues discussions dont il prenait toujours l’initiative et où lui seul menait la conversation, ils avaient remarqué ses tentatives pour les faire parler d’eux et de leurs projets. C’est alors qu’un soir, ils virent entrer, dans la salle, deux gardes vêtus de noir et appartenant aux troupes de l’Inquisition. Les deux soldats s’attablèrent et commandèrent à manger en échangeant avec l’aubergiste des sourires mauvais et des plaisanteries complices. À partir de ce jour, la méfiance d’Abou et Maria devint plus vive mais ils ne souhaitèrent pas quitter l’auberge sur le champ de peur d’éveiller les soupçons. Leur projet fut donc de rester encore quelques jours, mais Abou reprit en secret son entraînement. Il comprenait maintenant pourquoi son père avait tant insisté pour qu’il apprenne à manier la dague. Abou pratiquait seul l’entraînement du combat à l’arme blanche, suivant son instinct, qui toujours le poussait vers la perfection du geste et de la technique, sans pour autant lui donner à comprendre les mystères de sa dague. Peut-être les pouvoirs magiques n’existaient-ils qu’à partir du moment où le propriétaire légitime du poignard les découvrait par lui-même comme l’avait laissé entendre Luis-leSage. Dans sa chambre, chaque matin, lorsque l’aubergiste, sa femme et leur servante étaient tous affairés aux cuisines, il exerçait son corps, comme le lui avaient appris ses maîtres dans la demeure familiale. Maria le regardait et apprenait, elle aussi, à se servir de l’arme à tête de serpent. Elle dansait ensuite pour son amant en chantant les airs lents que les - 26 -


femmes espagnoles de sa famille proche, mère et tantes, lui avaient enseignés dès son plus jeune âge. Quand sa voix rauque et suave s’élevait dans la chambre, Abou, fasciné, s’arrêtait et se laissait envoûter, goûtant cette musique de toute son âme, ému jusqu’aux larmes par les paroles tragiques de ces chants qui racontaient souvent une histoire d’amants exilés, semblable à leur destin. Un matin, lors d’une de ces séances de préparation, Maria annonça avec un air mystérieux : — Abou, mon amour, je crois que j’ai découvert une chose inouïe. Il s’arrêta en sueur, sa dague dans la main droite. Vêtu d’une simple culotte longue qui lui descendait aux genoux, il était torse nu et ses muscles se dessinaient sous sa peau brune, évoquant la puissance et le courage de sa caste. Les rayons du soleil matinal entraient dans la chambre par l’étroite fenêtre et de la poussière blanche voltigeait dans leurs faisceaux. Il regarda Maria. — J’ai peut-être un autre moyen que les armes pour nous protéger. Écoute-moi : pendant les mois qui ont précédé sa mort, et alors que la maladie doucement la rongeait, ma mère me raconta des choses étranges qui me reviennent précisément en mémoire depuis quelques jours. J’avais huit ans et ce souvenir s’impose aujourd’hui à moi très clairement : des recettes, c’étaient comme des recettes, des incantations. Trois, très simples, permettant, à l’aide de plantes et de denrées plus étranges dont je me souviens mal, de fabriquer des sortes de potions. Je n’ai jamais vu l’intérêt de ces formules mais maintenant, je crois que je comprends. C’étaient des poisons, comprends-tu, Abou, des recettes de poisons, pour me permettre de me protéger seule et de lutter contre mes ennemis. Comme si elle savait, qu’un jour… - 27 -


— Tu ne m’as jamais parlé de cela ! S’écria Abou, tout excité. Pourquoi ne t’en es-tu pas souvenu plus tôt ? — Tous les souvenirs liés à la mort de ma mère se sont effacés de ma mémoire après son enterrement. J’ignore pourquoi. Et j’ai passé toutes ces années sans plus y songer car c’était trop de douleur. Mais à présent que je suis adulte et seule, je sens combien les forces de ma mère m’habitent. Elle confectionnait des tisanes magiques, j’en suis sûre, et je suis sans doute capable d’en composer moi aussi à mon tour. Les yeux de Maria brillaient d’un éclat nouveau lorsqu’elle murmura ces mots de sa voix grave. Abou avait bien pressenti le mystère de la jeune femme dès leur première rencontre mais sans cerner exactement ce qui, en elle, dégageait cette force inconnue. C’est comme en connaissance de cause qu’il reçut la révélation des pouvoirs surnaturels de Maria, bien moins surpris qu’il ne l’aurait imaginé.

Il leur fallut d’abord transcrire les mots des messages sibyllins qui affluaient à la mémoire de Maria : certains poétiques et métaphoriques, d’autres totalement incompréhensibles. Avec une partie de l’argent que leur avait donné Isabel, Maria et Abou achetèrent une plume, de l’encre et quelques feuillets de parchemin. Chaque soir, tandis que Maria fermait les yeux et rassemblait ses esprits en une sorte de méditation profonde semblable à celle d’un médium en transe, son amant transcrivait avec soin chaque mot prononcé par la jeune femme. Lorsqu’elle émergeait de son étrange état - 28 -


d’endormissement, Maria manifestait toujours sa surprise de ne jamais se souvenir des paroles bénéfiques qu’elle venait de prononcer en récitant la liste d’ingrédients à rassembler pour composer des mets délicieux. Elle gardait uniquement en mémoire les mots mystérieux et effrayants des préparations dangereuses pour la santé. — Ma mère si douce et si bonne, dont les caresses m’accompagnent depuis toutes ces années, comment est-il possible qu’elle ait connu de telles formules. Quel héritage est donc le mien ? On dit bien que les sorcières se transmettent leurs savoirs magiques de mère en fille, cela signifie que je suis une sorcière, Abou ! Dis-moi ! Suis-je une sorcière ? s’inquiétait la jeune femme, prise d’angoisses. — C’est absurde, tu es l’être le plus naïf et le plus dépourvu de méchanceté que j’ai jamais rencontré, la rassurait Abou en la prenant doucement dans ses bras. Tu ne ferais pas de mal à une mouche. Si tu reçois, malgré toi et pour ton bien, cet étrange legs, c’est pour l’utiliser à bon escient et dans un souci de justice. Abou continuait de sa belle voix grave, la serrant toujours contre lui avec tendresse : — Ta mère était sûre que tu ne t’en servirais pas pour faire le mal, mais seulement pour te défendre. Ce que je ne comprends pas c’est comment elle savait que tu en aurais un jour besoin. Comme si elle avait pu lire les lignes de ton destin. — Je suis convaincue à présent qu’elle était devineresse, répondit Maria d’un ton assuré en se dégageant doucement de leur étreinte. Je suis sûre qu’elle appartenait à une famille de femmes aux pouvoirs surnaturels, sorcières ou non, comme on voudra, peu m’importe, mais des femmes à la conscience exceptionnelle. Après une semaine à effectuer ce travail d’écriture, ils se - 29 -


mirent ensuite en quête des ingrédients nécessaires à la fabrication de deux drogues qu’ils avaient sélectionnées après une longue discussion : une eau à base de grenade et de citron qui leur permettrait peut-être de modifier leur couleur de peau et ainsi d’éviter les gardes en cas de risque d’arrestation. Mais surtout un alcool mortel, composé de gentiane, de lierre et d’ortie, à faire ingurgiter aux hommes du Grand Inquisiteur s’ils les arrêtaient. Le goût de la potion étant bien celui d’une liqueur agréable et sucrée qu’il serait aisé de leur faire boire. Abou décida enfin de transcrire en langue arabe les mots de Maria, ce qui en faisait des écrits interdits mais empêchait également que les hommes de L’Inquisition ne les comprennent s’ils s’en saisissaient. Pour préparer les drogues, les deux faux époux parcoururent la ville pendant plusieurs jours, s’arrêtant chez les botanistes, nombreux dans ce port où les navires en provenance des pays africains apportaient de nombreuses variétés d’épices et de plantes inconnues. Un matin, alors que le soleil se levait majestueusement dans un ciel azur, ils se rendirent chez un apothicaire dont Isabel leur avait donné l’adresse en cas de besoin. Ils devaient trouver de l’extrait de gentiane, mis à macérer depuis au moins trois ans, la gentiane fraîche qu’ils s’étaient procurée sur le port ne faisant donc pas l’affaire. Les rayons du soleil se reflétaient sur la porte vitrée et poussiéreuse qu’ils ouvrirent en actionnant ainsi malgré eux une clochette au son aigre. À l’intérieur, derrière un comptoir sombre, des dizaines d’étagères supportaient un assemblage hétéroclite de fioles et de bocaux en tous genres et de toutes couleurs, aux étiquettes chargées d’écriture et dont les couvercles ou les bouchons mal refermés de certains - 30 -


diffusaient une forte odeur de camphre et de menthol poivré. L’apothicaire dont Isabel ne leur avait donné que le surnom : Marco-le-Borgne, apparut soudain devant eux, en train de refermer le rideau de velours qui séparait la boutique de son officine. Il était petit et d’un âge indéterminé et portait un bandeau pour dissimuler son œil droit. L’autre œil très noir et très vif les observa avec perspicacité. — Que puis-je vous servir, jeunes gens ? — Nous venons de la part d’Isabel de Murcia. Le regard de l’œil unique de Marco se fit plus doux, mais le personnage restait très distant. — Nous cherchons de l’extrait de gentiane, pour… Euh… Pour soigner une maladie de peau de mon épouse. Marco-le-borgne les regarda, l’air narquois, mais sans faire de commentaire, et se tourna lentement vers les étagères. Il prit une échelle qui lui permit d’atteindre la plus haute des rangées où se trouvaient les flacons de simples les plus poussiéreux. — Voici un extrait que j’ai préparé il y a cinq années. C’est bizarre, personne ne m’en demande jamais, s’interrogea-t-il en scrutant leur visage avec malice. Abou et Maria le payèrent rapidement et sortirent sans s’attarder de la boutique qui les oppressait. — Ouf, j’ai bien cru qu’il allait nous questionner davantage avant de nous vendre sa satanée gentiane, dit Abou, soulagé. — Heureusement qu’Isabel nous a recommandé ce Marco, reprit Maria, sinon je me poserais bien des questions sur les sentiments de cet homme vis-à-vis des proscrits arabes. Finalement, comment peut-on être sûr des membres de la Communauté ? Quel est leur intérêt à nous aider s’ils sont Espagnols ? — Allons, la méfiance nous étourdit l’esprit, lui répondit - 31 -


Abou en l’entraînant par la main. Rentrons et préparons ces potions. Puis il sera temps également de commencer à préparer notre départ pour Oran. En revenant à l’auberge, Abou et Maria traversèrent encore une fois les rues animées de Carthagène dans l’effervescence matinale. Ils passèrent près de l’Arsenal nouvellement construit où s’affairait une foule d’ouvriers et de soldats du Roi. Cependant Maria ne ressentait plus aucune crainte, ils étaient un couple comme tous les autres et elle goûtait cet anonymat. Sa taille souple était prise dans une robe sobre et noire, dessinant avec noblesse une silhouette parfaite. Elle avançait, légère et confiante, la tête haute, balançant à chaque pas le voile sombre qui lui couvrait les cheveux, sans jamais cesser de tenir le bras vigoureux d’Abou dont le visage doré lui souriait. Peut-être enfin allaient-ils pouvoir vivre libres et heureux de l’autre côté de la Méditerranée ! Cette perspective réjouissait aussi vivement le jeune homme : lui qui maniait si bien les armes souhaitait ardemment, au fond de son cœur, oublier la guerre menée contre son peuple, oublier la colère et la soif de vengeance, et vivre enfin dans la paix. En arrivant, ils s’empressèrent de monter dans leur chambre afin de terminer les potions qu’ils cachèrent ensuite soigneusement dans une malle remplie de vêtements ordinaires. Mais, vers midi, un vacarme soudain se fit entendre dans les escaliers qui menaient aux chambres. Abou pensa tout d’abord qu’il s’agissait de clients particulièrement bruyants qui se querellaient dans le couloir. Bientôt il entendit plusieurs portes s’ouvrir après que des coups aient été frappés avec violence. Les clients répondaient d’une voix polie et retenue à - 32 -


ceux qui les dérangeaient aussi brutalement. Maria le regarda les yeux écarquillés de frayeur et ils comprirent sans se parler qu’ils devaient se préparer au pire : affronter les gardes de l’Inquisition. Trois coups frappés fort, la porte qui s’abat sur le mur, sans même que l’un ou l’autre des deux jeunes gens n’ait eu le temps de faire un pas pour ouvrir. La voix brutale des soldats aboyant les mêmes questions qu’aux autres clients de l’hôtel, mais avec une lueur sadique dans le regard qui ne trompe pas : ils savent. Maria s’est jetée dans les bras de son amant pendant que ce dernier essaie encore une fois de décliner leur fausse identité de jeunes mariés. Un des gardes prononce alors solennellement : — Mohammed Abou Abhal et vous, Maria Rodriguez, vous êtes recherchés par notre Grand Inquisiteur depuis une année. Nous avons pour mission de vous emmener. En quelques secondes, Abou se ressaisit par miracle tandis que Maria tremblait toujours dans ses bras. En même temps qu’il retrouvait son aplomb, il sentit le poignard dans sa poche. Un désir violent de tuer ces individus arrogants s’empara de tout son être et il ne put contenir un frémissement de rage. Il se jeta sur le premier des soldats, et avant que ce dernier ait eu la possibilité de réagir, Abou lui enfonça la dague dans la poitrine en poussant un cri sourd venu des profondeurs de son ventre. Il appuya de toutes ses forces et vit le regard du garde noyé par la surprise, puis par la douleur, puis envahi par le néant de l’homme qui s’effondre. Après quelques secondes de stupéfaction, le deuxième soldat, un gaillard gigantesque aux bras énormes, souleva Abou dans les airs et le jeta violemment contre le mur de la chambre. Abou tomba évanoui sans que le hurlement de Maria ne puisse le ranimer. Le garde s’empara alors violemment de la - 33 -


jeune femme, broyant ses mains qu’il attacha derrière son dos, et appela un troisième homme qui se trouvait dans la salle des repas avec l’aubergiste délateur. Le poignard fut ôté de la poitrine du garde mourant et Maria allait être emmenée, lorsqu'Abou recouvra ses esprits. Il se releva au moment où les deux gardes se préparaient dans la précipitation à évacuer leur compagnon et à emmener Maria. Abou aperçut alors sa dague qui avait glissé sous une commode, jetée nerveusement par le garde quelques secondes plus tôt. Une luminosité étrange semblait se dégager de l’arme à la tête de serpent, un halo de lumière rougeoyante l’entourait. Abou sut alors que rien ne pourrait l’empêcher de ressaisir sa dague et de tuer ces hommes. Il sauta silencieusement sur ses pieds en restant accroupi comme un félin en chasse, fit un pas pour attraper l’arme. Un sentiment de puissance invincible l’envahissait en même temps qu’il ressentait une chaleur dans tout le bras. Les deux gardes qui le croyaient assommé et avaient prévu de remonter le ligoter, se retournèrent au bruit du frottement du couteau sur le plancher. Mais il était trop tard : déjà Abou se tenait agrippé au dos du garde le plus proche et lui tranchait la gorge avant de se ruer sur le second qui venait de poser au sol le premier soldat mortellement blessé. Ils s’affrontèrent de face. Le soldat parvint presque à immobiliser pendant quelques secondes la main d’Abou portant le poignard, mais dans un dernier effort, le jeune Maure se dégagea et frappa le soldat avec une violence inouïe. Toute la scène s’était déroulée en quelques fragments de secondes et dans un silence profond. Le visage ensanglanté et les yeux encore emplis de ce désir incontrôlable de tuer, Abou rejoignit Maria qui s’était réfugiée dans un coin sombre du couloir. Elle était presque sans - 34 -


connaissance, les yeux mi-clos, appuyée sur le mur et prête à tomber. Abou lui libéra les mains que l’abominable soldat avait blessées en les serrant dans des cordes épaisses. La soutenant avec précaution, il la fit asseoir en lui murmurant : — Maria, il faut que tu marches, je rassemble nos parchemins et nous partons : nous pouvons encore fuir par les toits, l’aubergiste est dans la salle, il n’a pas dû nous entendre, il faut faire vite. Ainsi fut fait, et les deux malheureux proscrits quittèrent l’auberge. Maria ouvrait à présent les yeux en faisant un effort surhumain pour se tenir debout afin de suivre son amant. Il la porta dans ses bras pour passer la fenêtre. Par chance, le toit de l’hôtel était praticable, composé d’une terrasse blanchie à la chaux où les servantes étendaient le linge de maison. Ils purent emprunter sans trop de risque l’escalier de pierre qui menait de la terrasse à une ruelle perpendiculaire à celle de l’entrée de l’auberge. Cependant les marques du combat étaient trop visibles sur le visage et les vêtements d’Abou pour qu’ils envisagent d’utiliser les rues passantes. Maria perdait tout espoir : — Où pouvons-nous aller ? Abou, nous ne pouvons pas sortir de la ville, nous sommes perdus. Abou ne répondit pas, il écoutait. Soudain, il souleva Maria par le bras et l’entraînant à courir, il s’écria : — Ils arrivent, ils ont dû découvrir les trois corps, ne réfléchis pas, cours devant toi sans t’arrêter. Il rajouta dans un souffle : — N’oublie jamais combien je t’aime.

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Journal de La Prisonnière La voix grave et démente de Maria s’élevait lentement comme chaque matin dans le cachot de la prison des femmes hérétiques de Tolède :

Mon amour est parti, il est mort je le vis Tomber, son corps beau et fort, perdu à jamais Mais son amour me réchauffe chaque jour Il est là près de moi, je le sens Mon Amour, as-tu bien dormi ? Qu’allons-nous faire aujourd’hui ? Nous promener dans le patio Près des roses si parfumées et des orangers si frais, Nous sommes beaux, nous aussi, et jeunes et fiers Voilà une pêche douce pour ta bouche affamée Mange, mon amour, mon aimé. Les ténébreuses compagnes de Maria avaient fini par aimer ce chant de folie et de désespoir qui touchait chaque jour leurs cœurs blessés en mal d’amour. Chacune de ces femmes était accusée d’impiété, de sorcellerie, de magie noire et démoniaque ou jugée illuminée, aucune ne sortirait vivante de ces cachots puants et obscurs. Toutes connaissaient l’histoire funeste de la petite Espagnole et de son amant Maure et elles affectionnaient particulièrement Maria. Des femmes au cœur endurci par la vie austère de la prison ne pouvaient lutter contre l’attendrissement que suscitait le destin tragique de la jeune fille. Depuis bientôt une année, elles voyaient peu à peu - 37 -


s’éteindre la vie dans ce corps de vingt ans, déjà devenu vieux. Maria était muette. Jamais une parole normale. Jamais une ébauche de conversation. Aucun mot ne sortait de sa bouche excepté dans ses chants bouleversants, où sa voix se transformait en cris longs et rauques pour dire son histoire et son amour infini. Ce n’est qu’après son exécution en décembre 1496, après que les flammes eurent enfin délivré son esprit torturé, que sa voisine de dortoir trouva dans la cellule obscure un cahier incomplet de feuilles de parchemin usées et presque toutes moisies. Ne sachant pas lire, la prisonnière confia le journal à une gardienne qui elle-même dut le donner à la mère supérieure dirigeant la prison des femmes. La vieille femme catholique lut le journal mais le dissimula. Il fut retrouvé après sa mort par une de ses sœurs. Jeudi 3 juillet 1496 : J’ai bien cru hier qu’on allait trouver ma plume et mes feuilles et j’ai dû cacher une partie de ce journal dans la cour sous les pierres près du mur. Mon Dieu, faites que personne ne les trouve. Que ce journal me fait de bien ! Personne n’en connaît l’existence et tous me croient totalement dépourvue de raison. Je suis folle peut-être, perdue sans doute, mais je sais encore que j’existe et que bientôt je rejoindrai mon amant. Je me souviens : son sang coulant à flots sur la terre ; ils l’ont pris par surprise, des dizaines de soldats sont sorties des maisons et se sont jetées sur nous comme des sauvages. Abou, tu t’es battu comme un lion, comme un vrai prince. Combien as-tu tué d’hommes avant de tomber ? Ils ont eu beau s’emparer de ton poignard après t’avoir frappé, le premier qui le toucha s’est fait une telle entaille en attrapant le couteau - 38 -


qu’il l’a lâché avec violence en jurant. La dague à tête de serpent ne répond qu’à son maître. J’ai tant crié lorsqu’ils m’ont emmenée, crié pour te ramener à la vie, pour que tu te relèves et les massacres tous… Puis plus rien, le vide, et plus jamais la résonance des mots dans ma bouche. Parler me ferait vomir. Mardi 8 juillet : Où suis-je donc ? Quelle est cette ville où l’on juge et où l’on tue, où les prêtres sont des criminels ? Tolède, le seul visage que je connaîtrai de toi, c’est ce tribunal où l’on me jugea, où je fus condamnée à attendre la mort. Et cette prison sordide où même les chiens ne pourraient pas survivre, sans lumière et sans air ! C’est la silhouette de ce monstre qui me réveille la nuit, celui qui décida de mon transfert depuis Carthagène jusqu’à cette ville où le roi a installé son tribunal. Son visage que je n’ai jamais pu voir et que je ne verrai jamais sans doute, toujours dans la pénombre. Un être sans expression humaine, dont je n’ai vu bouger fébrilement que l’étoffe de sa robe noire aux larges manches qui engloutissent les derniers espoirs des prisonniers terrifiés. J’entends résonner sa voix sans corps, glaciale comme un râle venu du fond de l’Enfer : Gonzalves De la Cruz, Archevêque de Tolède, toi qui te fais nommer Grand Inquisiteur, le juge suprême, celui qui décide de la vie ou de la mort, c’est toi le Diable, le fantôme en noir, et ma haine pour toi est plus forte que ma peur.

17 juillet : - 39 -


La salle du jugement où Gonzalves seul parla, une salle tendue de longues étoffes noires, sans aucune lumière du jour, des flambeaux sur un autel et le crucifix derrière. Pauvre Jésus ! Que lui ont-ils donc fait ? Mes cheveux enfuis qui caressent mes épaules en me quittant, « Il faut la raser ! ». Et puis mon beau costume : la robe de toile noire, ma belle tunique de sanbénit, mes pieds nus sur le sol froid de la cellule. 3 août 1496 Est-ce vraiment du courage ? Si j’acceptais de parler, de me repentir pour avoir aimé un Infidèle, pour avoir préparé des tisanes maléfiques, si j’acceptais de renier les pouvoirs magiques de ma mère, je sortirais peut-être de ce lieu infâme. Aujourd’hui un prêtre a essayé de me convaincre, je lui ai craché à la figure et les gardiennes m’ont emmenée en secouant la tête en signe d’incompréhension. 10 août Je sens la raison me quitter de jour en jour davantage. Cette prison est un immense secret : personne à l’extérieur ne sait que je suis là, j’ignore ce qui se trame contre moi. J’ai l’esprit emmuré et ma pensée est envahie d’images qui s’imposent à moi sans qu’il me soit possible de les effacer pour faire place à la réalité : je mange, je dors et je vois. Ils me croient tous folle et j’aime céder à ma folie. Je suis Maria Rodriguez et je vais mourir sans regret. Mon enfant, c’est grâce à lui qu’ils ne m’ont pas torturée, mon fils, ils me l’ont pris. Je sais qu’il est heureux dans une famille qui le chérira sans lui dire qui il est vraiment. Ils ont bien fait de me le prendre, ici il fait trop noir, ça sent la pourriture, ça sent la mort. Mon enfant va vivre au dehors et Abou vivra à travers - 40 -


lui. 18 août L’Autodafé, comme ils disent, est pour bientôt, peut-être demain. 19 août Mon Dieu, c’était merveilleux, ma mère m’a visitée ce soir : elle était là, assise sur ma couche, sa silhouette jeune et dynamique, celle d’avant sa maladie, mais son corps était étrangement transparent. Elle m’a caressé le visage et m’a dit : « Tu n’as pas eu le temps de mener à bien ta découverte des pouvoirs magiques qui sont les tiens, prends ce pendentif, ma fille, il représente une lyre magique qui te protégera des flammes, ta chair sera détruite mais tu ne souffriras pas et ton âme restera en vie à jamais. Sache que tu retrouveras ton amant pour l’éternité au moment où vos âmes seront réunies par-delà la mort. » 20 août Je n’ai jamais eu peur de cet homme : Gonzalves, il sent cela et ne peut le supporter. Le peuple est terrorisé par l’Inquisition, l’idée de la torture les épouvante tous. Moi je n’ai jamais peur et quand je chante je suis même heureuse. Ils disent que je suis une folle, une sorcière, que mes chants sont des blasphèmes et me conduiront en Enfer, ils ont même essayé ce matin de me faire taire en me menaçant, mais les gardiennes qui me connaissent les ont dissuadés, leur expliquant que rien n’y ferait. Ils disent que je suis une illuminée mahométane et que je mérite la mort. Ils disent aussi que je vais servir d’exemple et que toutes les - 41 -


femmes espagnoles seront édifiées par ma condamnation qui leur ôtera le désir de fréquenter les Maures. Je ne comprends même plus ce qu’ils racontent.

Le journal s’interrompait ainsi et les pages suivantes étaient déchirées. Personne ne découvrit jamais les derniers écrits de Maria l’hérétique, accusée de sorcellerie et de pratique illicite de la religion arabe avec un Maure banni, condamnée au bûcher lors de l’Autodafé de Tolède le 9 décembre 1496. Personne ne sut si la gardienne qui remit ce cahier à sa supérieure en avait conservé une partie. Certaines gardiennes la soupçonnèrent de quelque sympathie pour la détenue et racontèrent qu’elle avait recherché le fils de Maria et confié la suite du cahier à la famille qui avait recueilli l’enfant.

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