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David MousquĂŠ ______________________________

Medhi et les chevaliers blancs :

La lĂŠgende des Sans Peur

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Je dois cette aventure de Mehdi et les chevaliers blancs à deux personnes : A Sandrine, ma compagne, grâce à qui, sans aucun doute, un jour, j’ai osé prendre la plume. Et à ma mère, Jacqueline, qui aurait pu être cette Momy et qui, par son amour, m’a si bien tenu la main sur ce chemin périlleux de l’écriture. Elles ont toutes deux été constamment présentes durant ces mois nécessaires à l’écriture et à la réécriture de La légende des Sans peur, m’apportant leurs lumières et leurs regards. Rien sans elles n’aurait vu le jour ! Merci à vous deux ! Je remercie aussi sincèrement tous ceux qui par leurs lectures, leurs remarques, leurs témoignages, leurs encouragements ont offert leurs pierres aux murs de cette belle maison de Pont-du-loup : Lucile, Estelle, Pierre, Laure, Zia, Myriam, Julien, Guilhem, Aude, Zoé, Pascal, Marie-Josée, … Merci également à tous les autres lecteurs passés et futurs. Je vous suis chaleureusement reconnaissant de l’intérêt que vous portez à Mehdi et à Elisabeth. Bien sûr, pour finir, cette histoire va à ceux qui en sont les héros : les enfants. A tous les enfants que mes expériences professionnelles m’ont permis de rencontrer et de connaître. A mes enfants, aussi et surtout, Valentine, Anna, Maël et Adam. Je forme le vœu que l’espoir et la persévérance de Mehdi vous aide à trouver sur cette Terre le chemin d’un monde meilleur…



— La maison dans les bois à Pont-du-loup, Momy ? — Hum… — C’était un rêve ou c’était vrai, dis ? — C’était vrai, enfin … je crois.

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UN Le roi des ogres

C

E n’était qu’un peu après la Toussaint mais cela aurait pu être déjà la Noël. La proposition de Monsieur Julain, c’était comme un cadeau tombant du ciel. Anton était ravi. Une maison. Une maison à louer ! — Une vraie maison avec un jardin, des bois pour courir, Mehdi ! Qu’est-ce que tu en penses ? — Mwouai … Elle est où cette maison ? — Ce n’est pas très loin, tu verras ; ça te plaira ! Bien sûr, abandonner ses copains de la cité des oliviers, Medhi, ça ne l’enchantait pas du tout. Se passer des quêtes des chevaliers blancs n’aurait rien dit à personne. Il fallait les voir le mercredi, ses copains et lui. Il y avait Aïssa, le capitaine des créatures maléfiques, Jean-Christophe, expert en art du combat, Bouba, le gardien des secrets et des trésors et Mehdi, l’ambassadeur des forces alliées. Et le mercredi, pas un n’oubliait d’enfiler son costume de chevalier blanc pour se rendre au rendez-vous sous l’arbre aux trois pendus. Ce jour-là, c’était à Aïssa de lancer la quête : — Les gars, Ciroze, le roi des ogres se paie nos têtes ! Lorsque Aïssa plantait le décor, les garçons savaient que l’aventure allait être vraiment chouette. — Ciroze a déposé le trésor qu’il nous doit de l’autre côté du passage des elfes, annonça Aïssa, laissant ses copains impatients de connaître la suite. Jean-Christophe exagéra, afin d’engager Aïssa à -9-


poursuivre : — Et bien, ça ne va pas être bien compliqué d’aller le récupérer ! — Pas si facile ! Mira m’a prévenu : Ciroze a passé un pacte avec les elfes. Ces traîtres ont promis de nous empêcher de traverser le pont… lâcha finalement le capitaine des créatures maléfiques. — Mais c’est le seul moyen de passer le gouffre du géant ! s’affola Bouba. Aïssa réussit parfaitement son effet. Ses trois copains demeuraient silencieux, à la fois transportés par l’aventure d’Aïssa, à la fois heurtés de plein fouet par la ruse de Ciroze. Jean-Christophe reprit la parole : — Bon, et bien, voyons notre plan de bataille. Bouba plongea sa main dans sa sacoche et en ressortit la carte du royaume des oliviers. C’était une pièce de tissu jaune pâle ayant autrefois servi de maillot de corps et sur laquelle chaque site du royaume trouvait place : l’arbre aux trois pendus, le gouffre du géant, la rivière noire qui prend sa source dans la montagne invisible, domaine des ogres, le passage des elfes, le château des blancs, le pont suspendu, la cascade des eaux perdues, … Tous se penchèrent afin d’étudier la stratégie. Cette fois-ci, Aïssa avait fait très fort et les garçons s’apprêtaient à une rude bataille contre les ogres et leurs alliés les elfes. — Prenons les elfes à revers. En contournant la forêt enchantée par l’Est, on peut les surprendre ! proposa Bouba. — Oui, nous ferons deux groupes et nous les attaquerons aussi par la cascade des eaux perdues ! ajouta Aïssa. Lui, c’était le plus expérimenté de l’équipe et le plus âgé des quatre garçons. - 10 -


Jean-Christophe distribua l’armement nécessaire à la quête : la sarbacane et les flèches empoisonnées pour Aïssa, les pierres de feu à Bouba, c’était une arme très précieuse que le sorcier bleu leur avait donné en signe de reconnaissance lors d’une précédente quête. Lui prit l’épée de lumière, arme redoutable face aux ogres, et il tendit l’appeau magique à Mehdi. — Non, c’est sans moi aujourd’hui, chevaliers, répondit Mehdi. — Qu’est-ce que tu racontes ! lui reprocha Aïssa, désolé de voir filer l’ambiance qu’il avait savamment cultivée. — Je dois préparer mes affaires. Anton a trouvé une baraque à louer. On déménage demain matin, expliqua Mehdi. Après un instant de silence, Bouba fut le premier à se réveiller de la torpeur qu’avait causé la nouvelle. — Quoi ! Tu pars ? Et les quêtes ? dit-il bêtement. — Ben, je sais pas. Anton a dit qu’on viendrait des fois pour voir Momy. Tiens, prends l’appeau… Bon, ben salut ! Sans laisser le temps à ses trois copains de réagir, Mehdi avait quitté en courant l’arbre aux trois pendus. Il avait bien trop peur que les chevaliers blancs voient l’un d’entre eux laisser des larmes couler sur ses joues. Le chemin descendait en suivant la courbe douce de la colline située derrière le bâtiment D, celui de Mehdi. Au bas de la butte, suffisamment éloigné de ses copains, Mehdi arrêta sa course et se retourna. Il força un sourire en direction des chevaliers blancs qui continuaient, consternés, à le regarder et il leur cria : — Arrivés à la forêt enchantée, passez voir le sorcier bleu. Il pourra sans doute vous montrer un chemin sûr, il nous doit bien ça !

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Anton et Mehdi habitaient au bâtiment D de la cité des oliviers. Seuls deux appartements étaient encore occupés dans cet immeuble car la municipalité avait décidé de le faire disparaître. Quelques mois plus tôt, le maire s’était déplacé dans le quartier pour expliquer aux habitants toutes ses bonnes raisons : l’immeuble était trop vieux, on ne pourrait pas le rénover, on attribuerait aux habitants de bien plus jolis logements…. Beaucoup d’entre eux s’étaient laissés convaincre et avaient été recasés dans d’autres quartiers de la ville. Il ne restait plus que Mehdi avec Anton au premier étage et, au deuxième, Elisabeth qui vivait là avec ses parents et ses deux frères. Mehdi entra dans la tour abandonnée et stoppa lentement sa course en bas de l’escalier. Son regard fixa encore un moment l’extérieur. D’ici, on ne voyait plus la colline coiffée de l’arbre aux trois pendus. Mais, juste devant, après la haie d’aubépines, en suivant l’unique bande de terre, on pouvait apercevoir le haut d’un vieux toboggan bleu délavé. C’était ce que voyaient la plupart des gens. En réalité, pour les chevaliers, c’était la cascade des eaux perdues. Le garçon songea que la bataille se jouerait peut-être là. A ce moment il enrageait. Non pas de lâcher ses frères d’armes. Il savait bien que, même sans lui, ils mettraient une dérouillée à Ciroze le roi des ogres et à ses alliés les elfes. Mais rater l’aventure, ça, ça l’indignait. Il détourna les yeux du royaume des oliviers et se mit à grimper deux à deux les marches de l’immeuble.

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Dans l’appartement, Anton était occupé à rassembler dans un carton les dernières provisions encore sur les étagères de la cuisine. — Tu n’as pas rangé mes céréales, j’espère ! accusa Mehdi, toujours contrarié d’avoir abandonné la bataille contre Ciroze. — Non, non. Ne t’inquiète pas, elles sont sur la table, répondit calmement Anton. — Tu n’as pas l’air content, Mehdi ? dit Momy en sortant de la chambre. — Momy, qu’est-ce que tu fais là ? s’exclama Mehdi en se jetant dans les bras de sa grand-mère. — Je suis venue vous donner un coup de main. J’ai commencé à ranger ta valise. Momy prit la tête du garçon entre ses bras et lui frotta affectueusement sa tignasse. — Qui t’a prévenu que nous partions ? — C’est ton père. Il m’a demandé de te raccompagner demain à la sortie du collège. Anton ferma le carton et le posa sur le dessus d’une haute pile de paquets assez penchée pour ne rien envier à la célèbre tour de Pise. — Je fais le dernier voyage pendant que tu es au collège et je reste à la nouvelle maison. Je vais commencer à tout installer. A la fin des cours Momy te montera à Pont-du-loup, confirma Anton. Il voyait bien que son fils était inquiet de tout ce remueménage et il cherchait à le rassurer. Pourtant le ton d’Anton déplut à Medhi. Celui-ci s’écarta de sa grand-mère et rétorqua : — Pourquoi faut-il partir si vite, Anton ? Tu aurais pu attendre la Noël pour faire le déménagement ! Le reproche agaça Anton, il répondit nerveusement : — C’était cela ou accepter le logement provisoire à l’hôtel - 13 -


que la mairie nous proposait, tu le sais bien. Momy sentit venir la querelle, elle l’évita en prenant la main de Medhi et en l’entraînant dans la chambre : — Tu verras, cette maison va te plaire…. Tiens viens me dire dans quel carton ranger tes BD, lui dit-elle, sans trop y croire. Mehdi se laissa traîner jusqu’à la chambre à coucher. C’était l’unique de l’appartement. Anton et Mehdi la partageaient. C’était un appartement vétuste où, depuis longtemps, l’humidité avait rongé les peintures et les papiers peints. Les sols laissaient apparaître ça et là des bosses et des creux sans qu’il y ait de logique à cela. La couleur d’origine du revêtement de sol ne se voyait plus sous la pellicule entre le marron et le gris déposée par le temps. L’état des bois des fenêtres approchait de la moisissure et les fils électriques pendaient régulièrement le long des murs à la manière de grandes guirlandes de Noël. A la mort accidentelle de sa femme, Anton, détruit, avait cessé de travailler. Rapidement, il ne parvint plus à rembourser le crédit de la maison. Lui et Medhi durent alors déménager et ce logement fut tout ce que le service social de la ville réussit à leur dégoter. — Momy, c’est nul d’aller là-bas ! Je connais personne moi là-bas ! dit doucement Mehdi à sa grand-mère en s’asseyant sur le lit. — Ne dis pas cela, c’est toujours dur de quitter un endroit que l’on aime. Mais quel bonheur de découvrir d’autres lieux et d’autres gens… — Arrête, Momy ! Ne t’y mets pas ! De toute façon, je ne te crois pas ! grogna Mehdi en se relevant d’un bond. - 14 -


C’est vrai que Momy n’y croyait pas trop non plus au bonheur de son petit fils si loin de la cité des oliviers. Mais la tristesse du garçon la poussait à trouver des aspects positifs à ce déménagement. Elle désirait tant que Medhi et Anton retrouvent la joie de vivre… — D’accord, j’arrête. Mais sois gentil avec ton père. Tu sais bien qu’il est encore fragile. Mehdi se tut. — Et puis arrête de l’appeler Anton. Enfin c’est ridicule ! ajouta-t-elle. D’un sourire charmeur, Mehdi se leva et lui fit comprendre que la conversation se terminait. Il la raccompagna jusqu’à la porte de la chambre et la ferma derrière elle.

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DEUX Adieu les oliviers

A

u réveil, Mehdi trouva un mot sur la table de la cuisine. Anton était déjà parti faire un voyage avec la tour de cartons concurrente de celle de Pise. Curieusement, Mehdi n’était pas de mauvaise humeur. Et, en prenant son petit déjeuner, le nez au dessus de ses céréales, il pensait à tous ses copains de la cité, se disant qu’il les quittait heureux des belles choses vécues avec eux. Il se rappelait de quelques bonnes rigolades quand il reçu le signal. René, le chien du gardien du bâtiment D, aboyait à s’époumoner. Un caillou venait de le surprendre : C’était le moment de rejoindre Elisabeth pour partir au collège. Ces deux oiseaux s’étaient inventé cette façon de s’avertir l’un l’autre. René aboyait lorsque le caillou envoyé du deuxième par Elisabeth rebondissait sur le toit en tôle de sa niche. Le bruit de l’impact provoquait chez René deux ou trois minutes d’affolement. Et lorsque Elisabeth et Mehdi se retrouvaient au bas de l’immeuble, le pauvre animal était encore la truffe au vent à gueuler sa surprise. Mehdi et Elisabeth se connaissaient depuis l’école maternelle mais c’était depuis la mort de la mère de Mehdi qu’ils s’étaient rapprochés. Le jour de l’enterrement, elle avait trouvé Mehdi en pleurs sur le toit du HLM et avait trouvé les mots pour lui réchauffer le cœur. Ce jour là, Elisabeth, pourtant assez distante jusque là, - 17 -


s’était accroupie devant Mehdi assis contre le muret de protection. Elle lui avait pris les mains et lui avait dit doucement : — Ta mère est toujours là. En tenant son doigt pointé bien droit, sans quitter des yeux le front baissé de Mehdi, elle lui montra son cœur. — Elle est un peu ici… Puis montra le sien : — Et ici aussi… Il faudra rester ensemble pour toujours la faire vivre. Mehdi n’avait rien dit mais les paroles d’Elisabeth avaient chassé d’un coup la torpeur qui le mortifiait. Dès ce moment, il sut qu’il avait gagné une amie et retrouvé une part de sa mère. Depuis Elisabeth et lui ne s’étaient plus quittés et avaient grandi ensemble. La jeune fille attendait en bas des escaliers. Par le grillage, elle donnait une friandise à René pour s’excuser de cette farce matinale. A voir comme sa queue remuait, René paraissait fort bien s’en consoler. — T’en as mis du temps ! — Oui, excuse-moi. On passe par où ? — Ma mère m’a donné une lettre à envoyer. Prenons par la Poste, d’accord ? proposa Elisabeth. En signe de consentement, Mehdi ramassa le sac de sa voisine d’immeuble et lui emboîta le pas en direction de la rue des fleurets. — C’est une lettre pour la mairie. Mes parents se sont décidés : ils acceptent de quitter le bâtiment, continua - 18 -


Elisabeth. — Ah wouais ! L’appartement du B ! Mais vous n’en vouliez pas ! s’étonna Mehdi. — Non, il y a un appart’ qui se libère au bâtiment G. La mairie nous donne la priorité. Dans sa salopette blanche, Elisabeth resplendissait du plaisir d’apprendre cela à son ami. C’était une bonne nouvelle et tout en marchant, elle s’amusait à balancer ses bras comme le font les soldats lors des défilés. Mehdi, lui, n’arrivait pas à éprouver de satisfaction. Il avançait sur le trottoir, le visage figé, regardant droit devant lui. Le déménagement de son amie lui rappelait le sien. Sa mauvaise humeur de la veille resurgissait. Le pauvre garçon ressentait le désir de se confier à son amie, de lui dire à quel point il lui coûtait de les quitter elle et les autres compagnons des oliviers mais il s’en voulait de lui parler de cela ainsi, le dernier jour et de ternir le bonheur qu’éprouvait Elisabeth. Alors il s’abstint de lui révéler son départ soudain. Elisabeth remarqua sa gêne. Elle pensait avoir blessé son ami en lui annonçant la nouvelle. La mairie ne proposait pas de vrai relogement à Anton et, même s’il n’en disait rien, Medhi en était très affecté. Ils se turent donc tous les deux et continuèrent le chemin en silence.

En arrivant au collège, Mehdi avait complètement perdu l’humeur joyeuse connue au réveil. Le courage lui manquait maintenant pour affronter les questions d’Elisabeth et celles de ses copains des oliviers. Heureusement la matinée se déroula sans qu’ils se voient, Mehdi s’étant même arrangé pour être retenu à la récréation par Madame Roque, la prof de bio. - 19 -


A midi, au réfectoire, il fallut bien que les regards se croisent. Mehdi tenait compagnie à des haricots verts qui restaient invariablement froids dans son assiette quand Elisabeth vint s’asseoir avec Suzie et Madeleine à une table voisine inoccupée. L’échange fut bref et Mehdi crut y voir un œil accusateur. Il se dit qu’Elisabeth avait dû apprendre la nouvelle de son départ et que, maintenant, elle devait lui en vouloir de ne pas l’avoir dit le matin. Au comble du désespoir, il prit son plateau et quitta tristement la salle à manger. Du coup, l’après-midi fut aussi froid que les haricots verts de la cantine. Et ce ne sont pas les chevaliers blancs, à la pause de 15 heures, expliquant la façon dont ils avaient triomphé de Ciroze qui purent réchauffer le cœur de Mehdi. Alors, à la fin de l’après-midi, après le cours de sport, le garçon se rhabilla et sortit au plus vite de l’enceinte du collège pour rejoindre le parking des cars où Momy devait le prendre. Elisabeth l’attendait adossée à l’abribus. Une publicité y vantait les bienfaits de la calculatrice C23. Elle améliorait, semblait-il, considérablement les résultats en mathématiques de son heureux propriétaire. Sur l’image, le garçon affichait une mine autant réjouie qu’étonnée du résultat. Il tenait dans la main une copie portant un magnifique 20 sur 20 souligné de rouge. Le professeur avait ponctué par un point d’exclamation droit et fier. — Tu pars sans dire au revoir ? — Tu es au courant ? répondit Mehdi, surpris et sûr de se faire houspiller par cette calme mais bouillonnante jeune fille. — Oui, c’est Bouba ! Comme gardien des secrets, on fait mieux ! dit-elle en souriant. Abasourdi par la tournure que prenait sa fuite, le garçon - 20 -


ne sut que répondre. Elisabeth fit un pas vers lui. Elle lui prit la main. — Oui, je suis fâchée …Mais je t’aime trop pour te faire la tête. Je garde cela pour Suzie et Madeleine ! Mais ne t’inquiète pas, je te ferai payer ta traîtrise ! — Tu sais… Mehdi allait tout lui confier, trop heureux de voir Elisabeth, en fait totalement décontractée. Mais elle ne lui en laissa pas le temps : — Je me suis arrangée pour venir te voir dimanche. Momy m’amènera. Je t’aiderai à ranger tes affaires et tu me feras visiter le palace. Tu veux ? C’est à ce moment que la voiture de Momy déboula dans le parking en s’annonçant d’un bon vieux tut tut de 4L. Mehdi était resté immobile. Son étonnement égalait celui du garçon à la calculatrice, et l’annonce de la visite de son amie le réjouissait plus que n’aurait su le faire un suprême 20/20. La grand-mère lui ouvrit la porte et le tira vers l’intérieur. En chemin, Mehdi se remit de ses émotions et demanda des explications à Momy. Il était bien légitime qu’elle lui en fournisse : c’était bien Bouba qui avait vendu la mèche. Désespérée de ce départ, la jeune fille, à midi, avait appelé Momy qui, elle, s’était arrangée avec les parents d’Elisabeth. Momy, c’était une petite femme volontaire et dynamique. Elle n’avait jamais froid aux yeux et était prête à tout pour Anton et Medhi, surtout depuis le décès d’Anissa… Elisabeth et elle s’étaient toujours entendues à merveille surtout lorsqu’il fallait jouer aux anges protecteurs.

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Maçon. Anton l’aimait son métier. Anton avait 35 ans, grand et robuste, ce job lui allait à merveille. Il était un des ouvriers les plus anciens de l’entreprise Julain et fils. Courageux et endurant, il aimait le travail bien fait. Aussi Mr Julain n’avait-il jamais rien à redire. Mr. Julain l’avait embauché 12 ans plus tôt, dans les premières années de l’entreprise. Il avait toujours été un patron correct avec lui, surtout au moment du décès de la mère de Mehdi. Anton avait alors passé plusieurs semaines au fond du trou, multipliant les retards, les absences, les erreurs. Le jour où Anton, au plus profond de sa déprime, lui apportait sa lettre de démission, Monsieur Julain père se fâcha et menaça son employé de démissionner lui aussi et d’être ainsi coupable de la faillite de la société… Ils quittèrent donc tous les deux l’entreprise… Mais juste une après-midi. Monsieur Julain emmena Anton marcher dans les bois. Ils discutèrent beaucoup. Enfin, c’est surtout le patron qui discuta. Celui-ci maintint un ton ferme qui ne supportait pas de contradiction. Cependant il sut rassurer Anton. Il lui dit que lorsqu’un arbre meurt, il reste ses fruits. Et que ses fruits bien amenés en terre, bien protégés, portent en eux toute la force et toute l’âme de l’arbre dont ils sont nés. Aussi, il lui fit comprendre combien la vie pouvait et devait continuer sans sa femme, pour Mehdi surtout. Ce n’était pas un vaccin, cela ne sauva pas Anton immédiatement. Il connut encore des moments durs. Mais c’est à partir de ce jour qu’Anton commença à réagir. Petit à petit, la force lui revint. Pas de celle nécessaire pour refaire sa - 22 -


vie, non. Seulement celle suffisante pour avancer chaque jour, aller au travail, manger… Monsieur Julain l’épaulait, le protégeait, le supportait. Son enfant, Mehdi, l’obligeait à regarder devant. Alors, la vie reprit pour Anton. Rien, pourtant, n’eut raison du gris profond logé dans l’esprit du pauvre homme. Malgré cette marche en avant, Anton garda son habit de tristesse, plus rien ni personne, même pas Mehdi, vint le faire sourire.

30 minutes suffisaient pour rejoindre Pont-du-loup. C’était un minuscule hameau oublié de la civilisation au milieu de trois morceaux de montagnes. En bas, une petite route quittait la départementale et serpentait entre les pentes herbeuses du massif. Après quelques virages, un chemin caillouteux montait vers l’unique lieu habité, Pont-du-loup. Des forêts de châtaigniers et de chênes s’étalaient sur les flancs des collines. Quelques prairies aux herbes jaunes lézardaient en compagnie de bosquets d’arbrisseaux aux couleurs chatoyantes : le soleil d’automne avait posé sur ce petit bout de terre toute la chaleur de ses derniers rayons. Monsieur Julain arriva à 11 heures, il apportait une bouteille de vin rouge de Bourgogne pour le repas et un cadeau pour Mehdi. Sa voiture, un break rouge, se gara au milieu de l’allée, sur le côté de la maison. Il descendit et se dirigea vers l’entrée. Anton l’aperçut par la fenêtre de sa chambre. C’était un petit homme aux cheveux grisonnants. Son visage aux joues généreuses pétillait toujours de bonne - 23 -


humeur. Il aimait les gens et la compagnie l’exaltait. Chez lui, tout était long : les cheveux qu’il tenait dans la nuque avec une queue de cheval, les sourcils dont les poils pendaient pardessus les yeux, la moustache qui remontait avec légèreté vers les oreilles, le nez droit comme un tremplin de saut à ski, les doigts grands et épais qui avaient si souvent porté les parpaings et tenu les outils. Monsieur Julain n’était pas devenu patron comme ces fils à papa qui héritent sans effort du patrimoine obtenu à la sueur par leurs aînés. Venant d’une famille fort modeste, il avait commencé tâcheron à 16 ans chez différents patrons. Puis, doucement, grâce à une vraie agilité et à sa ténacité, il réussit à gravir les échelons du métier. Pour finir, il monta sa propre petite affaire de maçonnerie. A force de travail, la société Julain et fils était devenue une entreprise reconnue et prospère. — Bonjour, Monsieur Julain ! — Comment va ? répondit Mr. Julain, vous vous êtes bien installés ? Anton posa le tournevis avec lequel il s’occupait à remonter une étagère et fit le tour afin d’accueillir son patron. Il le retrouva sur le seuil de la maison. — Voici un petit vin dont tu me diras des nouvelles. Et là, c’est un cadeau pour Mehdi, annonça Mr. Julain tout en brandissant ses présents. — Merci, il ne fallait pas. Avec tout ce que vous avez déjà fait. Mehdi est encore au lit. Je crois qu’il a eu du mal à trouver le sommeil hier soir. Ils entrèrent dans la cuisine. Mr. Julain posa un regard d’enfant sur la pièce et sur la grande cheminée qui trônait face à la fenêtre. — C’est là que ma grand-mère me balançait sur son - 24 -


rocking-chair… Il parlait sans s’adresser vraiment à quiconque, comme s’il s’adressait à lui-même, comme s’il était seul dans la pièce avec sa grand-mère se balançant sous la cheminée. — C’est très gentil à vous de me permettre d’habiter votre maison de famille, vous savez comme ça m'arrange, même si Mehdi ne paraît pas très content. — Sang bleu ! (il disait toujours cela.) Arrête ton char, Anton ! Depuis plus de 10 ans que nous nous connaissons. Si je ne peux pas te louer ma maison ! Et puis à qui servirait-elle sinon ? Ce n’est pas Arnaud qui y vivra, Il a horreur de cet endroit ... Et puis cesse de me dire vous ! — Je n’y arrive pas ! J’ai trop de respect pour vous. Et puis les gars au boulot ne comprendraient pas… — Ils savent bien que je te considère comme quelqu’un de ma famille, coupa Mr. Julain. Tu me dis que ton fils n’est pas content ? — Il est très déçu de ne plus habiter à côté de ses copains et puis la campagne ça ne lui dit rien, à son âge. — Sang bleu, il s’y habituera bien ! Moi, ici, gamin, j’ai vécu les plus belles aventures de ma vie. C’est à ce moment que Mehdi apparut à la porte du cellier. — Bonjour fils. Tu as bien dormi ? Je t’ai entendu te lever hier soir. — J’ai eu du mal à m’endormir, je suis allé boire un verre de lait. — Ici, je dormais comme un bébé. Faut dire qu’à galoper toute la journée dans les bois, le soir je n’en menais pas large ! se rappela tout haut Mr. Julain. Anton tendit le paquet à Mehdi. — Monsieur Julain t’a amené un cadeau, Mehdi. Le garçon remercia le patron d’Anton. Il attrapa le petit - 25 -


emballage en kraft entouré de ficelle et l’ouvrit tout en s’asseyant à la table et en versant des céréales dans son bol. C’était un appeau en bois. Ça le fit sourire. Lui qui avait rendu son appeau à Bouba, voilà l’objet qui le retrouvait à Pont-du-loup. — Je l’ai fabriqué avec mon grand-père. Le pauvre, je ne l’ai pas beaucoup connu. J’avais 6 ans lorsqu’il est mort. Je me servais de l’appeau ici lorsque je venais en vacances. Avec lui, tu pourras t’apercevoir à quel point cette forêt est extraordinaire ! Mr. Julain avait dit cela en laissant planer un air de mystère. Un sourire qui sortait de sous sa moustache accompagnait ses derniers mots. Son visage s’était étonnement coloré alors que dans ses yeux brillait une petite lueur bleue. Mr. Julain posa sa main sur l’épaule de Mehdi et la serra doucement pour lui signifier sans doute quelle importance il apportait à tout cela. Il se tourna vers Anton. — Bon, on va voir le domaine ! proposa-t-il en rigolant. — Volontiers, patron !

Le repas et l’après midi parurent interminables à Mehdi. Il passa le temps en rangeant quelques affaires, puis il partit repérer l’extérieur. Son chemin le conduisit non loin, derrière la maison, dans une clairière à l’orée de la forêt. Le garçon resta un long moment allongé sur un rocher aplati. En haut du caillou, il pensait à ses amis, aux oliviers, au magicien bleu… Mehdi avait l’idée, pour une prochaine quête, de faire entrer les elfes en conflit avec le magicien bleu… Les chevaliers blancs seraient là alors encore pour le soutenir. Il était devenu un allié - 26 -


fidèle. Le temps n’était guère clément et immobile sur ce caillou, le froid fit perdre à Mehdi le fil de son aventure. Il eut envie de se remuer mais que pouvait-il faire là au milieu de toute cette nature remplie de rien ? Il lança quelques cailloux sur l’arbre le plus proche, ne le toucha pas. Alors, lentement, il reprit le chemin de la maison s’arrêtant ça et là, continuant de ramasser des cailloux et de les lancer aux pauvres arbres qui longeaient le chemin. L’après-midi touchait à sa fin lorsque le garçon arriva. Mr. Julain était sur le départ, assis au volant de son break. Anton lui parlait par la fenêtre. Mehdi fit un geste d’au revoir et s’engouffra rapidement dans la maison. Le garçon ne s’amusa pas davantage le soir. Anton et lui partagèrent le repas en parlant peu. Ni l’un ni l’autre ne souhaitait risquer une dispute en reparlant du choix de vivre à Pont-du-loup. — Demain matin, je descendrai au village chercher de quoi faire le repas. Momy m’a dit qu’elle venait avec Elisabeth ? osa finalement Anton. — D’accord, se contenta de répondre Mehdi. — Monsieur Julain pense que cet endroit devrait te plaire… risqua Anton. — Il n’y a que des arbres ! coupa Mehdi. — Bah ! Il dit qu’ici, il a connu ses plus grandes aventures. Tu sais, c’est sa grand-mère qui habitait là. Il y venait souvent enfant. Quand sa grand-mère est morte, il est venu habiter là quelques temps. Mais son travail l’a forcé à retourner en ville. — Comment tu fais pour payer une maison ! déclara Mehdi, plus pour l’accuser de quelques méfaits que pour le questionner. - 27 -


— Monsieur Julain me fait payer un petit loyer et me demande de faire quelques travaux d’entretien et de rénovation. Tu m’aideras si tu veux... Allez, souris un peu. On va être bien ici. Et puis la ville n’est pas loin. Lundi, je te déposerai… Le soir Anton finit de lessiver la maison et, dans sa chambre, Mehdi chercha dans ses cartons le réconfort de quelques bonnes bandes dessinées. Cette nuit-là, accompagné des hululements d’une chouette voisine, il dormit bien.

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