n° 118 - 02.23/03.23 Les nouveaux horizons de LâEXPLORATION SPATIALE Hors-sĂ©rie numĂ©ro 118 POUR LA SCIENCE HORS-SĂRIE Ădition française de Scientific American - BEL./LUX. : 11,40 ⏠- CH : 17,10 FS - CAN. : 16,99 $CA - PORT. CONT. : 11,40 ⏠L 13264118 HF: 9,90 âŹRD Les nouveaux horizons de LâEXPLORATION SPATIALE « Nous vivons une Ă©poque digne des grands explorateurs, les Colomb et les Magellan » Athena Coustenis Astrophysicienne au CNRS et Ă lâESA Le meilleur du tĂ©lescope « James-Webb » Mission « Dart » : la Terre contre-attaque Comment se soigner sur Mars ? « Artemis » : on va remarcher sur la Lune
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Ground control to Major Tom
par Loïc Mangin Rédacteur en chef adjoint à Pour la Science
Space Oddity, The Rise and Fall of Ziggy Stardust and the Spiders from Mars⊠David Bowie est le chantre de la conquĂȘte spatiale. MĂȘme The Man Who Sold the World serait inspirĂ© du roman LâHomme qui vendit la Lune, de Robert Heinlein, paru en 1950. Lâhistoire ? Au dĂ©but des annĂ©es 1970, un AmĂ©ricain trĂšs riche se propose dâorganiser le premier voyage sur la LuneâŠ
Un scĂ©nario qui semble familier tant il rĂ©sonne avec les projets dâun certain Elon Musk. Partenaire incontournable de la Nasa, il dĂ©veloppe aussi pour son propre compte des projets dâexploration spatiale vers la Lune et vers Mars. La Terre est devenue trop petite pour son ambition dĂ©mesurĂ©e.
En tout cas, elle est minuscule au regard de ce que montrent les deux autres piliers de lâexploration spatiale, des tĂ©lescopes toujours plus puissants et des robots et sondes envoyĂ©s par dizaines aux confins du SystĂšme solaire. Ce quâils rĂ©vĂšlent, et que vous trouverez dans ce Hors-SĂ©rie, nâest rien de moins que notre passĂ© et notre futur. Alors, parĂ©s Ă lâembarquement ? « Take your protein pills and put your helmet on/ Three, two, one⊠lift-off ! »
Ont contribué à ce numéro
Xavier Barcons
Astronome, directeur gĂ©nĂ©ral de lâObservatoire europĂ©en austral (ESO), organisme en charge de la construction de lâExtremely Large Telescope (ELT).
Athena Coustenis
Astrophysicienne spĂ©cialisĂ©e en planĂ©tologie et directrice de recherches au Laboratoire dâĂ©tudes spatiales et dâinstrumentation en astrophysique (Lesia) du CNRS.
Adrianos Golemis
MĂ©decin des astronautes auprĂšs de lâESA, Ă Cologne, et membre du Medes-Institut de mĂ©decine et de physiologie spatiales, Ă Toulouse.
Joshua N. Winn
Astrophysicien Ă lâuniversitĂ© de Princeton, aux Ătats-Unis, et coresponsable de la mission spatiale Tess, un tĂ©lescope spatial consacrĂ© Ă la traque des exoplanĂštes.
02.23/03.23
www.pourlascience.fr
HORS-SĂRIE
Les nouveaux horizons de lâexploration spatiale
p. 6 Grand témoin Athena Coustenis
Quand le Soleil deviendra une géante rouge, les mondes glacés du SystÚme solaire seront de possibles refuges
01Voir lâinfini et au-delĂ
p. 12 Un trou noir en pleine lumiĂšre
Seth Fletcher
On a tiré le portrait de Sagittarius A*, notre trou noir.
p. 20 « James-Webb », le surdoué Olivier Voizeux
⊠ou les plus beaux clichĂ©s dâun tĂ©lescope spatial dâexception. p. 28 Le tĂ©lescope de tous les superlatifs J. C. GonzĂĄlez Herrera, A. SĂĄnchez Lavega et X. Barcons Extremely large : le futur ELT annonce la couleur sans dĂ©tour. p. 36 « GAIA », la Voie lactĂ©e en HD
Carme Jordi et Eduard Masana PrĂšs de 2 milliards dâĂ©toiles dĂ©jĂ Ă©pinglĂ©es par le satellite de lâEsa.
p. 44 Sortir les exoplanĂštes de lâombre
Joshua N. Winn
Des planĂštes hors de notre SystĂšme solaire ? Il y en a plein.
4 SOMMAIRE
Pour la Science Hors-Série n°118 / Février-mars 2023
02 03
LâĂąge dâor des robots
p. 54 Des « Voyager » au long cours Tim Folger
Lancées dans les années 1970, les vétérantes gardent la forme.
p. 64 Deux ans de « Perseverance » Nadia Drake
Pas vraiment rose, la vie dâun rover sur la PlanĂšte rouge⊠p. 72 Une flottille interplanĂ©taire
Quelles missions vers quelles planĂštes ? Le point.
p. 74 La chasse aux astéroïdes est ouverte !
Jonathan OâCallaghan
Les Terriens sâĂ©quipent dâune DCA contre les corps baladeurs.
Les enfants dâIcare ?
p. 82 Le cerveau, maillon faible du voyage spatial Charles Limoli
Gare aux rayons cosmiques, vrais tueurs de neurones !
p. 90 Urgences en apesanteur
S. Thierry, M. Komorowski, A. Golemis et L. André-Boyet Incendie, dépressurisation, contamination : mortel trio.
p. 98 « Artemis », on va remarcher sur la Lune Nadia Drake
La Nasa a franchi la premiÚre étape de son come back
p. 104 Ăa se bouscule au portillon lunaire John Pickrell
AprĂšs des dĂ©cennies de dĂ©dain, câest la ruĂ©e !
p. 109 Rendez-vous 110 En image 112 Rebondissements 116 Infographie 118 Incontournables
5
Hors-Série 02.23/03.23
Pour la Science Hors-Série n°118 / Février-mars 2023
En couverture : © NASA/Johns Hopkins APL/Steve Gribben
« Nous sommes en mesure de âtoucherâ presque tous les objets du SystĂšme solaire »
Athena Coustenis est directrice de recherches au CNRS et prĂ©sidente du Conseil scientifique consultatif sur lâexploration et le vol spatial de lâAgence spatiale europĂ©enne (ESA).
6
Pour la Science Hors-Série n°118 / Février-mars 2023
Vivons-nous un « Ăąge dâor » de lâexploration spatiale ?
On entend cette expression dans les confĂ©rences scientifiques. Pourquoiâ? Parce que, dĂ©sormais, nous sommes en mesure de «âtoucherâ» presque tous les objets du SystĂšme solaire, et mĂȘme au-delĂ avec les exoplanĂštes. Jâaime le parallĂšle avec lâĂ©poque des grands explorateurs, les Colomb et les Magellan. Une premiĂšre visite avec une flotte rĂ©duite rĂ©vĂšle que tout est beaucoup plus complexe (et tant mieux) quâon ne lâimaginait. Et les questions qui sont soulevĂ©es sont encore plus importantes.
Aujourdâhui, dans ce domaine, quelle place prend la recherche de la vie ?
En astrophysique, on ne cherche pas forcĂ©ment une vie qui aurait encore coursâ: on Ă©tudie les conditions dâhabitabilitĂ© dans le SystĂšme solaire pour savoir si, en un lieu donnĂ©, la vie a Ă©mergĂ© par le passĂ© ou serait en mesure de le faire dans le futur. Les astronomes ont dĂ©fini trois critĂšres. Dâabord la prĂ©sence dâeau liquide, comme câest le cas sur Terre. Ensuite, la disponibilitĂ© en molĂ©cules organiques, celles qui composent notre corps et ce quâon mange. Enfin, lâexistence de sources dâĂ©nergie. Longtemps, on a considĂ©rĂ© que la zone dâhabitabilitĂ© dans notre SystĂšme solaire Ă©tait confinĂ©e
de possibles refuges
© Athena Coustenis 7
Grand témoin Pour la Science Hors-Série n°118 / Février-mars 2023
Quand notre Soleil deviendra une géante rouge, la Terre ne subsistera pas. Les mondes glacés seront
Voir lâinfini et au-delĂ
Pas besoin de grandes jambes pour voyager loin, de gros yeux suffisent. Câest la rĂšgle au pays des tĂ©lescopes. Depuis GalilĂ©e, pour dĂ©busquer les astres les plus Ă©loignĂ©s, ces instruments emblĂ©matiques de lâastronomie nâont cessĂ© de grossir, au point quâavec son miroir de presque 40 mĂštres le futur ELT europĂ©en fera figure de Gulliver. DĂ©sormais propulsĂ©s en orbite pour sâaffranchir des turbulences, les tĂ©lescopes semblent nâavoir plus dâautres limites que celles de leurs financeurs : les trous noirs ne leur rĂ©sistent pas, et peut-ĂȘtre un jour pousseront-ils lâindiscrĂ©tion jusqu'Ă traquer la signature dâĂȘtres vivants dans lâatmosphĂšre des exoplanĂštes.
Pour la Science Hors-Série n°118 / Février-mars 2023
Ă force de courir aprĂšs son ombre, on a fini par attraper Sagittarius A*.
Pour la premiĂšre fois, le consortium « EHT » a capturĂ© une image de ce trou noir supermassif tapi au cĆur de notre galaxie.
Un trou noir en pleine lumiĂšre
Seth Fletcher
12 © EHT Collaboration
Pour la Science Hors-SĂ©rie n°118 / FĂ©vrier-mars 2023 VOIR LâINFINI ET AU-DELĂ
Premier portrait du trou noir Sagittarius A* : dix jours de prises de vues et cinq annĂ©es dâanalyse dâimages ont Ă©tĂ© nĂ©cessaires pour lâobtenir. La tache noire floue, au centre, correspond Ă lâhorizon des Ă©vĂ©nements, et le disque orangĂ©, aux gaz stellaires surchauffĂ©s qui sâeffondrent sur le trou noir.
13
Pour la Science Hors-Série n°118 / Février-mars 2023
> Un trou noir supermassif occupe le centre de notre galaxie, la Voie lactée. AprÚs une série de mesures indirectes, les astrophysiciens sont enfin parvenus à le « voir ».
En bref
> Cette performance, rendue publique en 2022, est lâĆuvre de lâEvent Horizon Telescope (EHT), une collaboration basĂ©e sur la mise en commun dâinstruments afin de former lâĂ©quivalent dâun tĂ©lescope de la taille de la Terre.
> La premiĂšre image de cet astre nommĂ© Sagittarius A* a confirmĂ© ses mensurations et sa masse. Ă lâavenir, lâEHT devrait permettre de connaĂźtre sa vitesse de rotation et son Ă©volution dans le temps.
14
Au cĆur de la Voie lactĂ©e, autour dâun centre galactique en apparence vide, des Ă©toiles orbitent dans le vide intersidĂ©ral Ă une vitesse anormalement folle. Quelle mouche les piqueâ? Les scientifiques ont longtemps pensĂ© que seul un trou noir supermassif expliquait ces observations, mais, il y a peu encore, ils hĂ©sitaient Ă lâaffirmer catĂ©goriquement. Ainsi, lorsque les astronomes Reinhard Genzel et Andrea Ghez se sont partagĂ© une partie du prix Nobel de physique 2020, lâannonce prĂ©cisait quâils Ă©taient rĂ©compensĂ©s pour «âla dĂ©couverte dâun objet compact supermassif au centre de notre galaxieâ», et non pour la rĂ©vĂ©lation dâun «âtrou noirâ». Lâobjet en question est connu sous le nom de Sagittarius A*, quâon prononcera «âSagittarius A Ă©toileâ».
Au printemps 2022, cependant, les astronomes derriĂšre le consortium international Event Horizon Telescope (EHT) ont clos le dĂ©bat en dĂ©voilant la premiĂšre image dâun trou noir supermassif au centre de la Voie lactĂ©e. Stricto sensu, ce nâĂ©tait pas une premiĂšre puisquâen avril 2019 avait dĂ©jĂ Ă©tĂ© rĂ©vĂ©lĂ©e celle de M87*, trou noir de la galaxie Messier 87. Mais câĂ©tait clairement la plus attendue. Car Sagittarius A* nâest rien dâautre que notre propre trou noir supermassif, autour duquel toute notre galaxie tournoie.
Comme ces astres avalent tout ce qui passe Ă proximitĂ©, y compris la lumiĂšre, ils sont par essence invisibles. Toutefois, ils dĂ©forment tellement lâespace-temps quâils sâentourent dâun halo brillant Ă©manant de la matiĂšre dĂ©chiquetĂ©e sous leur propre influence gravitationnelle, sur lequel ils apparaissent en ombre chinoise. Cette ombre
est environ deux fois et demie plus grande que lâhorizon des Ă©vĂ©nements dâun trou noir, câest-Ă dire le contour de lâastre dont rien ne sâĂ©chappe.
COMME UNE BALLE DE FUSIL EN PLEIN VOL
LâEHT a capturĂ© des images de ces tĂ©nĂšbres Ă lâaide dâune technique dite «âdâinterfĂ©romĂ©trie Ă trĂšs longue baseâ» (VLBI), qui combine les instruments de radio-observatoires rĂ©partis sur plusieurs continents pour former un supertĂ©lescope virtuel de la taille de la Terre et dotĂ© dâune rĂ©solution sans Ă©gale. En avril 2017, la collaboration EHT a passĂ© plusieurs nuits Ă pointer cet Ă©quipement dispersĂ© vers Sagittarius A* et dâautres trous noirs supermassifs. Les scientifiques ont ensuite passĂ© des annĂ©es Ă analyser les donnĂ©es brutes pour obtenir une image.
La pandĂ©mie de Covid a sa part de responsabilitĂ© dans ce dĂ©lai. Mais le plus grand dĂ©fi rencontrĂ© Ă©tait que Sagittarius A* est en constante Ă©volution. Le trou noir M87*, la cible prĂ©cĂ©dente du consortium, est si gros que la matiĂšre qui gravite autour met plusieurs heures pour faire le tour dâune orbite. En pratique, cela signifie quâun tĂ©lescope peut le fixer longuement sans quâil Ă©volue, ce qui autorise des temps dâexposition Ă rallonge sans que la photo soit floue. Au contraire, Sagittarius A*, au moins mille fois moins massif, voit son apparence varier Ă une cadence mille fois plus rapide, car la matiĂšre se dĂ©place en orbites plus serrĂ©es et accĂ©lĂ©rĂ©es. Comme lâa dĂ©clarĂ© Katie Bouman, de lâinstitut de technologie de
/ FĂ©vrier-mars 2023 VOIR LâINFINI ET AU-DELĂ
Pour la Science Hors-Série n°118
« James-Webb »le surdoué
EnvoyĂ© Ă 1,5 million de kilomĂštres de la Terre pour ouvrir une nouvelle fenĂȘtre sur le cosmos, le tĂ©lescope spatial « James-Webb » nâa pas déçu. Chacune de ses images surpasse les attentes des scientifiques.
Voizeux
Suaires et poussiĂšres
â Ces spectres ne sortent pas dâune nouvelle de Lovecraft, mais de lâinstrument Miri du James-Webb. Conçu pour capter lâinfrarouge moyen, ou thermique, il saisit parfaitement les nuages de gaz et de poussiĂšres constitutifs des Piliers de la CrĂ©ation dans la nĂ©buleuse de lâAigle. Les Ă©toiles, pourtant trĂšs nombreuses Ă naĂźtre dans cette rĂ©gion, nâĂ©mettent pas dans ces longueurs dâonde et restent invisibles.
20
©
NASA, ESA, CSA, STScI
Pour la Science Hors-SĂ©rie n°118 / FĂ©vrier-mars 2023 VOIR LâINFINI ET AU-DELĂ
Olivier
LancĂ© le 25 dĂ©cembre 2021, le tĂ©lescope spatial « JamesWebb » fut un vrai cadeau pour les spĂ©cialistes de lâUnivers.
Ă chaque image envoyĂ©e, câest NoĂ«l dans les labos !
« Hubble » dépassé
â Ce champ profond montre un petit coin dâunivers, pas plus grand dans le ciel quâun grain de sable tenu Ă bout de bras, tel quâil Ă©tait 100 millions dâannĂ©es seulement aprĂšs le Big Bang. Le JamesWebb lâa photographiĂ© dans lâinfrarouge moyen (Ă gauche avec Miri, instrument qui doit beaucoup Ă la contribution française) et proche (Ă droite). Il nâa fallu quâune journĂ©e pour obtenir ces images, lĂ oĂč Hubble avait eu besoin de plusieurs semaines pour produire lâĂ©quivalent.
PremiĂšre Glass
âPresque un record : Glass-z13 est la plus ancienne galaxie dĂ©couverte par le James-Webb et lâune des plus lointaines jamais observĂ©es. Nous la voyons telle quâelle Ă©tait 350 millions dâannĂ©es aprĂšs le Big Bang, il y a plus de 13 milliards dâannĂ©es.
© NASA, ESA, CSA, STScI, Webb ERO Production Team (en haut)
NASA/STScI/GLASS-JWST Program (en bas)
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Pour
Science
n°118 / FĂ©vrier-mars 2023 VOIR LâINFINI ET AU-DELĂ
la
Hors-Série
Du SystĂšme solaire aux premiĂšres Ă©toiles de lâUnivers, le « TĂ©lescope gĂ©ant europĂ©en », ou « ELT », observera dĂšs 2027 le cosmos avec un luxe de dĂ©tails sans prĂ©cĂ©dent.
Le télescope de tous les superlatifs
28 © ESO/L. Calçada
Juan Carlos GonzĂĄlez Herrera, AgustĂn SĂĄnchez Lavega et Xavier Barcons
Pour la Science Hors-SĂ©rie n°118 / FĂ©vrier-mars 2023 VOIR L'INFINI ET AU-DELĂ
LâELT disposera de huit lasers grĂące auxquels il corrigera en temps rĂ©el les distorsions des images dues aux turbulences atmosphĂ©riques.
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Pour la Science Hors-Série n°118 / Février-mars 2023
Plus de 1,8 milliard dâĂ©toiles de notre galaxie cartographiĂ©es avec une prĂ©cision inĂ©dite : cet exploit de la mission « Gaia » transforme la vision de notre histoire cosmique.
« GAIA » la Voie lactée en HD
Carme Jordi et Eduard Masana
36 © Gabriel Pérez
DĂaz, SMM (IAC).
Pour la Science Hors-SĂ©rie n°118 / FĂ©vrier-mars 2023 VOIR LâINFINI ET AU-DELĂ
> Tout au long de lâhistoire cosmique, la Voie lactĂ©e a grandi par lâaccrĂ©tion de galaxies de plus petite taille. Ces interactions ont laissĂ© une trace dans les propriĂ©tĂ©s, les positions et les trajectoires des Ă©toiles.
En bref
> Pour les Ă©tudier, lâAgence spatiale europĂ©enne a lancĂ© le satellite Gaia Ă intervalles rĂ©guliers, la mission publie des catalogues stellaires les plus complets de lâhistoire de lâastronomie.
> Dans le dernier, paru en juin 2022, des donnĂ©es, en nombre et en prĂ©cision sans prĂ©cĂ©dent, portent sur plus de 1,8 milliard dâĂ©toiles ainsi que sur 156 000 astĂ©roĂŻdes.
> Elles ont dĂ©jĂ rĂ©vĂ©lĂ© certains Ă©pisodes du passĂ© de la Voie lactĂ©e et prĂ©cisĂ© nos connaissances sur lâĂ©volution stellaire. Elles commencent Ă transformer diffĂ©rents domaines de lâastrophysique et de la cosmologie.
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Comment la Voie lactĂ©e sâest-elle formĂ©eâ? DâoĂč viennent ses Ă©toilesâ? Quelles sont ses propriĂ©tĂ©sâ?
Câest pour rĂ©pondre Ă ces questions que lâESA, lâAgence spatiale europĂ©enne, a lancĂ© fin 2013 le satellite Gaia, lâune des missions astronomiques rĂ©centes les plus ambitieuses. Ă intervalles rĂ©guliers, le consortium Gaia publie un catalogue indiquant la position, la parallaxe, le mouvement, la couleur et lâĂ©clat dâun certain nombre dâĂ©toiles. Le dernier en date, dont la version finale est parue en juin 2022, rĂ©pertorie 1,8 milliard d'Ă©toiles !
Ce nombre gigantesque â sans Ă©quivalent dans lâhistoire de lâastronomie â et lâexquise prĂ©cision des mesures remettent en cause une bonne part de ce que nous croyions savoir sur notre galaxie, ainsi que sur les mĂ©canismes dâĂ©volution stellaire.
On admet gĂ©nĂ©ralement que la formation des galaxies suit un scĂ©nario hiĂ©rarchiqueâ: les galaxies petites fusionnent peu Ă peu en de plus grandes. Ce mĂ©canisme dâagrĂ©gation peut sâĂ©taler sur des millions dâannĂ©es, et lâon sait aujourdâhui le reconstituer en Ă©tudiant les orbites et les propriĂ©tĂ©s des Ă©toiles dâune galaxie donnĂ©e. Ainsi, le meilleur moyen de reconstituer le passĂ© de la Voie lactĂ©e consiste Ă cartographier avec le maximum de prĂ©cision le mouvement, la distance, lâĂąge et la composition chimique dâautant dâĂ©toiles que possible. Tel est bien lâobjectif de la mission Gaia.
Lâanalyse de ces donnĂ©es a dĂ©jĂ produit son lot de surprises. Nous avons par exemple appris quâil y a 10 milliards dâannĂ©es, la Voie lactĂ©e est entrĂ©e en collision et a fusionnĂ© avec une autre galaxie environ quatre fois plus petite quâelle. De mĂȘme, il semble quâĂ une Ă©poque bien plus
rĂ©cente, le passage rapprochĂ© dâune autre galaxie naine a dĂ©clenchĂ© une sĂ©rie de perturbations des orbites des Ă©toiles du disque de la Voie lactĂ©e, perturbations observĂ©es encore aujourdâhui.
LâĂ©norme quantitĂ© de donnĂ©es et leur prĂ©cision rĂ©vĂšlent les mĂ©canismes dâĂ©volution stellaire comme jamais auparavant. Ainsi, on a dĂ©couvert des populations dâĂ©toiles inattendues et prouvĂ© par lâobservation des phĂ©nomĂšnes jusque-lĂ hypothĂ©tiques. Au-delĂ du voisinage galactique immĂ©diat, Gaia met en Ă©vidence la dynamique du halo sphĂ©rique et diffus dâĂ©toiles qui entoure le disque galactique, ainsi que celle des galaxies naines satellites qui gravitent autour de son centre. Cette manne dâinformations est loin dâĂȘtre Ă©puisĂ©e.
70 MILLIONS DâĂTOILES PAR JOUR
Le satellite Gaia a Ă©tĂ© lancĂ© en dĂ©cembre 2013 et a rejoint le point de Lagrange L2 du SystĂšme solaire (Ă 1,5 million de kilomĂštres de la Terre dans la direction opposĂ©e au Soleil). En ce type de point, un petit objet reste stable par rapport Ă deux autres, en lâoccurrence la Terre et le Soleil. Le tĂ©lescope James-Webb a dâailleurs rĂ©cemment rejoint Gaia. Celui-ci tourne en six heures sur son axe, lequel suit lui-mĂȘme un mouvement de prĂ©cession autour de la direction Terre-Soleil avec une pĂ©riode de 63 jours. Par ces deux mouvements, alliĂ©s Ă son dĂ©placement autour du Soleil en mĂȘme temps que la Terre (en un an, donc), Gaia et ses capteurs couvrent lâensemble du ciel en six mois environ.
GrĂące Ă ce balayage de la voĂ»te cĂ©leste, Gaia inspecte en moyenne 70 millions dâĂ©toiles par
Pour la Science Hors-SĂ©rie n°118 / FĂ©vrier-mars 2023 VOIR LâINFINI ET AU-DELĂ
En moins de trente ans, les astrophysiciens ont découvert des milliers de planÚtes extrasolaires. De nouveaux télescopes spatiaux vont bientÎt amplifier la moisson.
Sortir les exoplanĂštes de lâombre
Joshua N. Winn
44 © Ron Miller
Pour la Science Hors-SĂ©rie n°118 / FĂ©vrier-mars 2023 VOIR LâINFINI ET AU-DELĂ
Les 5 270 exoplanĂštes
Ă ce jour dĂ©tectĂ©es ne reprĂ©sentent quâune infime fraction de la multitude dâexoplanĂštes que contient vraisemblablement la Voie lactĂ©e. On estime en effet que notre galaxie abriterait quelque 100 milliards dâexoplanĂštes. Et parmi elles, 8,8 milliards seraient semblables Ă la TerreâŠ
Le 21 aoĂ»t 2017 a Ă©tĂ© un grand jour pour tous les amoureux du ciel, dont je suis, car certains ont eu la chance de voir une Ă©clipse totale du Soleil. Combien de vocations dâastronomes ce rare spectacle a-t-il suscitĂ©esâ? Sans doute beaucoup, tant les Ă©clipses ont longtemps Ă©tĂ© des sources de fascination et de savoir⊠et elles le sont encore. Dâailleurs, mes propres travaux reposent sur des Ă©clipses, non pas de Soleil, mais dâĂ©toiles bien plus lointaines. En effet, je mâintĂ©resse aux «âtransitsâ» dâexoplanĂštesâ: Ă lâaide de tĂ©lescopes, je traque lâinfime baisse de luminositĂ© qui survient lorsquâune exoplanĂšte occulte une partie du rayonnement de lâastre autour duquel elle orbite. Câest la preuve que ce monde existe bel et bien.
La premiĂšre exoplanĂšte jamais identifiĂ©e avec certitude lâa Ă©tĂ©, avec une autre mĂ©thode que celle du transit, en 1995 par Michel Mayor et Didier Queloz, de lâObservatoire de GenĂšve, en Suisse, tous deux rĂ©compensĂ©s par le prix Nobel en 2019. En 1999, les Ă©quipes de David Charbonneau, de lâuniversitĂ© Harvard, et de Gregory Henry, de lâuniversitĂ© dâĂtat du Tennessee, repĂ©raient pour la premiĂšre fois une exoplanĂšte (HD 209458 b) grĂące Ă son transit.
On en compte dĂ©sormais 5270 confirmĂ©es (au 13 novembre 2022)â: la majoritĂ© ont Ă©tĂ© dĂ©couvertes par le tĂ©lescope spatial Kepler, dont la mission sâest achevĂ©e le 30 octobre 2018. Si la mĂ©thode
> Le satellite Kepler de la Nasa a Ă©tĂ© un chasseur dâexoplanĂštes trĂšs efficace. Sa mission sâest achevĂ©e en 2018, mais plusieurs projets prennent la relĂšve.
> Les satellites Tess et Cheops lancĂ©s respectivement en 2018 et 2019 utilisent comme Kepler la mĂ©thode du transit : lorsquâune planĂšte passe devant son Ă©toile, elle bloque une partie de sa lumiĂšre, et cette baisse de luminositĂ© est mesurable.
> Avec dâautres missions, notamment le tĂ©lescope spatial James-Webb et lâobservatoire spatial Plato, les astrophysiciens devraient recueillir un grand nombre de donnĂ©es sur les exoplanĂštes.
du transit, celle de Kepler, est aujourdâhui la technique la plus efficace, dâautres ont mis au jour pas moins de 700 exoplanĂštes. Cette impressionnante moisson a rĂ©vĂ©lĂ© une grande diversitĂ© de mondes, diversitĂ© que les thĂ©ories de formation des planĂštes sont encore loin dâexpliquer.
La relĂšve de Kepler est assurĂ©e grĂące Ă deux missions de la Nasa et de lâAgence spatiale europĂ©enne (ESA). Chacune de ces agences spatiales a envoyĂ© dans lâespace un tĂ©lescope consacrĂ© Ă la recherche dâexoplanĂštes par la mĂ©thode du transitâ: respectivement Tess (pour Transiting Exoplanet Survey Satellite), lancĂ© le 18 avril 2018, et Cheops (Characterising Exoplanets Satellite), mis en orbite le 18 dĂ©cembre 2019. Tous deux sont un prĂ©ambule Ă lâultrapuissant tĂ©lescope spatial chasseur dâexoplanĂštes, Plato, que lâESA prĂ©voit de lancer en 2026.
LES SUCCĂS DE « KEPLER »
Quel bilan pour Keplerâ? Une grande part de nos connaissances dans le domaine des exoplanĂštes est Ă mettre Ă son crĂ©dit. LancĂ© en 2009, ce tĂ©lescope a observĂ© une petite rĂ©gion du ciel sâĂ©tendant entre les constellations du Cygne et de la Lyre. Il y a scrutĂ© la luminositĂ© dâenviron 530â500 étoiles, malgrĂ© la panne de deux de ses roues de rĂ©action en 2013.
46
â En bref
Pour la Science Hors-SĂ©rie n°118 / FĂ©vrier-mars 2023 VOIR LâINFINI ET AU-DELĂ
LâĂąge dâor des robots
La Nasa appelle ça les « sept minutes de terreur » : le temps quâil faut Ă un atterrisseur pour se rapprocher du sol martien et y poser un rover. Les contrĂŽleurs sur Terre sont trop Ă©loignĂ©s pour piloter la manĆuvre, les machines sont livrĂ©es Ă elles-mĂȘmes⊠et ça fonctionne ! Cette pure folie technologique illustre les capacitĂ©s des robots explorateurs Ă affronter ces mondes hostiles, en pulvĂ©risant les records de longĂ©vitĂ©. VĂ©tĂ©rantes absolues : les deux Voyager, lancĂ©es dans les annĂ©es soixante-dix finissantes et qui, parvenues aux limites du SystĂšme solaire, continuent Ă nous envoyer des petits signes.
52 Pour la Science Hors-Série n°118 / Février-mars 2023
53 Pour la Science Hors-Série n°118 / Février-mars 2023 02 © NASA/JPL-Caltech/MSSS
72 NEOWISE COMET INTERCEPTOR (avec ESA) OSIRIS - REX/APEX DART LUCY PSYCHE NEO SURVEYOR JUNO JUICE (avec ESA) PARTENARIAT NASA / AUTRE(S) AGENCE(S) MISSION EN PROJET Saturne Neptune Uranus Pluton Jupiter MISSION EN DĂVELOPPEMENT MISSION ACTIVE (lancĂ©e - la sonde transmet) MISSION ACTIVE PROLONGĂE EUROPA CLIPPER DRAGONFLY NEW HORIZONS MMX (avec JAXA, Japon) ROSALIND FRANKLIN (avec ESA) PERSEVERANCE INSIGHT TGO (avec ESA) MAVEN CURIOSITY MRO MARS EXPRESS (avec ESA) MARS ODYSSEY LUNAR TRAILBLAZER TIANWEN-1 (avec CNSA, Chine) DANURI-KPLO (KARI, CorĂ©e du Sud) SHUKRAYAAN-1 (avec ISRO, Inde) VIPER CLPS (X9) VERITAS DAVINCI BEPICOLOMBO (ESA) Mars Lune VĂ©nus Mercure AstĂ©roĂŻdes proches © NASA l'Ăąge d'or des robots Pour la Science Hors-SĂ©rie n° 118 / FĂ©vrier-mars 2023 d'or des robots
LRO
ENVISION (avec ESA)
Lorsquâaucun nom dâagence spatiale nâapparaĂźt entre parenthĂšses, lâorganisatrice de la mission est la Nasa.
UNE FLOTTILLE INTERPLANĂTAIRE
Vers la Lune et Mars
Vers le SystĂšme solaire
Autour de cette double spirale ont pris place les missions dâexploration, en projet, en dĂ©veloppement ou actives, des principales puissances spatiales Ă destination de planĂštes, lunes et autres corps solides du SystĂšme solaire (hors tĂ©lescopes spatiaux et satellites solaires). JusquâĂ prĂ©sent, Mars Ă©tait la planĂšte la plus visitĂ©e, mais dans les annĂ©es qui viennent les gĂ©antes gazeuses Jupiter et Saturne avec leurs satellites devraient concentrer une bonne partie des efforts (lire lâentretien avec A. Coustenis, page 6). La Lune, aussi, va connaĂźtre une affluence certaine (voir Ăa se bouscule au portillon lunaire, par J. Pickrell, page 104). Deux acteurs du spatial montent en puissance : lâInde et la Chine. Cette derniĂšre, aprĂšs avoir dĂ©posĂ© le rover Yutu 2 sur la face cachĂ©e de la Lune, prĂ©levĂ© des Ă©chantillons lunaires (mission Changâe 5) et dĂ©posĂ© un autre rover, Zhurong, sur le sol martien, ne manque pas dâambitions.
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MSR-SAMPLE RETRIEVER LANDER
MSR-EARTH RETURN ORBITER
CHANGâE 6 (CNSA, Chine)
LUNA H-MAP
Pour la Science Hors-Série n° 118 / Février-mars 2023
La santĂ© des astronautes dans lâespace pose dâinnombrables dĂ©fis.
Ils seront plus difficiles encore Ă relever pour les missions longues et lointaines sur la Lune ou Mars.
Urgences en apesanteur
90 © CNES / Novespace
Séamus Thierry, Matthieu Komorowski, Adrianos Golemis et Laura André-Boyet
Pour la Science Hors-Série n°118 / Février-mars 2023 LES ENFANTS D'ICARE ?
Essai dâintubation sur mannequin en approche dite « au piolet ». Lâapesanteur, ici dans un vol parabolique, exige de modifier lâapproche ergonomique de nombreuses procĂ©dures mĂ©dicales dâurgence. Pour la Science Hors-SĂ©rie n°118 / FĂ©vrier-mars 2023
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â En bref LES ENFANTS D'ICAREÂ ?
Le 24 fĂ©vrier 1997, Ă bord de la station orbitale russe Mir, une cartouche de perchlorate de lithium prend feu lors dâune opĂ©ration de maintenance. Ă plus de 350 kilomĂštres dâaltitude et en apesanteur, la situation est dâemblĂ©e critique. DâĂ©paisses fumĂ©es flottent dans la station tandis que les flammes menacent de percer ses parois et de dĂ©pressuriser lâhabitacle. Les membres dâĂ©quipage enfilent en urgence leurs masques de protection respiratoire, activent les extincteurs et parviennent Ă maĂźtriser lâincendie en quelques minutes. Seules des blessures lĂ©gĂšres sont Ă dĂ©plorer. Le pire est miraculeusement Ă©vitĂ©.
Cet incident critique illustre trois des risques les plus redoutĂ©s Ă bord dâune station spatiale pour la survie des astronautesâ: le feu, la dĂ©pressurisation et la contamination de lâatmosphĂšre de la station. Car, en cas de blessure grave dâun astronaute, les multiples contraintes entourant un vol spatial compliquent considĂ©rablement les possibilitĂ©s de soins mĂ©dicaux lourds en cours de mission.
Or lâassistance et surtout lâĂ©vacuation ne sont pas toujours possibles. Il est dĂšs lors impĂ©ratif de prĂ©venir les risques, plutĂŽt que de les subir, et dâanticiper un grand nombre de scĂ©narios afin de rendre lâĂ©quipage le plus autonome possible face aux diffĂ©rents imprĂ©vus de santĂ©. Si lâorbite terrestre basse est occupĂ©e depuis plus de vingt ans par la Station spatiale internationale (ISS), rĂ©cemment rejointe par la station chinoise, de nouvelles ambitions amĂšnent Ă repenser la gestion du risque mĂ©dical. Les vols touristiques soulĂšvent par exemple la question de la rigueur des critĂšres mĂ©dicaux Ă appliquer aux participants. LâĂ©quilibre
> Lâespace est un milieu hostile. Les astronautes sont exposĂ©s aux rayons cosmiques, au stress, Ă la fatigue, Ă lâapesanteur, etc. Ces diffĂ©rents facteurs ont une influence nĂ©gative sur lâorganisme.
> Les agences spatiales ont développé une stratégie en trois volets : prévention, contremesures et autonomie médicale des astronautes.
correct entre des critĂšres trop stricts ou trop larges nâest pas encore Ă©tabli. Au-delĂ , la conquĂȘte de lâespace dit «âprofondâ», avec lâoccupation du sol lunaire et lâexploration martienne, soulĂšve dâautres interrogations.
UN MILIEU Ă RISQUE
Or, mĂȘme les activitĂ©s quotidiennes dans lâISS sont parfois dangereuses. Comme Ă bord dâun sous-marin, les astronautes Ă©voluent pendant plusieurs mois dans un lieu confinĂ© et bruyant, au milieu de cĂąbles Ă©lectriques, panneaux de contrĂŽle, systĂšmes de refroidissement, autant de risques dâĂ©lectrisation, de brĂ»lures, dâexposition Ă des produits irritantsâŠ
Autre spĂ©cificitĂ© du mĂ©tier, certaines opĂ©rations imposent des sorties «âextravĂ©hiculairesâ», hors de la station, particuliĂšrement Ă risque et physiquement Ă©prouvantes. Elles durent souvent plusieurs heures et requiĂšrent un haut niveau de concentration. Les combinaisons spatiales utilisĂ©es lors de ces missions sont de ministations individuelles qui contiennent tous les Ă©quipements indispensables au support des fonctions vitales. Ă lâintĂ©rieur, les astronautes Ă©voluent dans une atmosphĂšre hypobare (0,3 bar) qui amĂ©liore la souplesse de la combinaison, nĂ©cessaire Ă la motricitĂ©. Cette transition entre lâatmosphĂšre de la station et celle de la combinaison est contrĂŽlĂ©e et prĂ©parĂ©e au sein dâun sas de dĂ©pressurisation, en vue de protĂ©ger du risque de maladie de dĂ©compression, similaire Ă celle des plongeurs. Enfin, il existe une menace
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> LâĂ©mergence du tourisme spatial et les projets dâexploration de la Lune ou de Mars rendent plus aiguĂ« encore la question de lâautonomie mĂ©dicale des astronautes. Ăquipements avancĂ©s dâaide au diagnostic et simulations en laboratoire esquissent des rĂ©ponses. Pour la Science Hors-SĂ©rie n°118 / FĂ©vrier-mars 2023
importante de collision avec des débris spatiaux ou des micrométéorites, qui circulent à plusieurs kilomÚtres par seconde.
Autre contrainte environnementale, et non des moindresâ: lâapesanteur. Sur Terre, notre physiologie est adaptĂ©e Ă la pesanteur de notre planĂšte. Nos organes ont Ă©voluĂ© depuis des millions dâannĂ©es en prĂ©sence de cette force. Cependant, Ă 400 kilomĂštres dâaltitude, les astronautes sont en chute libre. Chaque systĂšme physiologique de lâorganisme tente de retrouver une nouvelle homĂ©ostasie, câest-Ă -dire un nouveau point dâĂ©quilibre fonctionnel, mais ces adaptations ont des limites. Lâabsence de contrainte⊠devient une contrainte (voir la figure ci-dessous)
VIEILLISSEMENT ACCĂLĂRĂ
Globalement, cette apesanteur entraĂźne un ensemble de symptĂŽmes similaires Ă ceux du vieillissement ou dâun long alitement, ce qui prĂ©dispose Ă la survenue de certaines pathologies et rĂ©duit la rĂ©serve physiologique en cas dâaffections. MĂȘme la rĂ©gulation et lâexpression gĂ©nique sont modifiĂ©es, comme cela a Ă©tĂ© montrĂ© lors de la remarquable twins study (voir la figure page suivante).
Pour protĂ©ger la santĂ© des astronautes dans cet environnement exceptionnel, les agences spatiales et leurs dĂ©partements mĂ©dicaux ont mis en place une stratĂ©gie de rĂ©duction des risques reposant sur trois piliersâ: la prĂ©vention, les contre-mesures et lâautonomie mĂ©dicale Ă bord.
Parmi les mesures prĂ©ventives, la sĂ©lection drastique de sujets jeunes en excellente forme physique et mentale exclut certains risques de dĂ©compensation, câest-Ă -dire la dĂ©gradation, dâun Ă©tat pathologique chronique cachĂ© lors de la mission (comme une Ă©pilepsie, un asthmeâŠ).
AprĂšs le recrutement, une Ă©quipe mĂ©dicale suit les astronautes pendant la phase de prĂ©paration qui prĂ©cĂšde leur mission. Les protocoles sont standardisĂ©s, et incluent des tests dâeffort, un contrĂŽle de densitĂ© osseuse, des examens ophtalmologiques et audiomĂ©triques. Ils garantissent lâabsence de pathologie avant le dĂ©part et serviront de donnĂ©es de rĂ©fĂ©rence pour la surveillance au retour.
Un confinement de quatorze jours avant le dĂ©collage rĂ©duit le risque dâimporter dans la station une pathologie infectieuse en phase dâincubation. Tout symptĂŽme suspect entraĂźne lâexclusion de lâastronaute par prĂ©caution pour sa santĂ© et celles de ses collĂšgues. Un cas cĂ©lĂšbre est celui de Ken Mattingly, Ă©cartĂ© de la mission
Diminution des réflexes
âą ĆdĂšme du nerf optique
âą Cataracte radio-induite
âą Syndrome neuro-ophtalmique des vols spatiaux
Perte
Risque
Diminution
âą AltĂ©ration de la perception et du sens de lâorientation
⹠Hypertension intracrùnienne par redistribution des flux sanguins et liquide céphalorachidien
âą Effets nocifs des rayons ionisants sur les neurones (voir lâarticle page 82)
âą
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© Marie Marty, 2022
Baisse de la production de globules rouges (Ă©rythropoĂŻĂšse), risque dâanĂ©mie Les rayons cosmiques augmentent les risques de cancer SystĂšme immunitaire affaibli Augmentation du risque de calculs rĂ©naux
Perte de densité osseuse
Atteinte de lâarchitecture de lâos spongieux
de dorsalgies ou lombalgies par étirement
du disque intervertébral
de lâĂ©lasticitĂ© de la paroi des vaisseaux
Perturbation de lâoreille interne (mal de lâespace)
de masse musculaire
Pour la Science Hors-Série n°118 / Février-mars 2023 Urgences en apesanteur
Le premier vol réussi de la fusée la plus puissante du monde préfigure le retour des humains sur la Lune. Mais pour quoi faire ?
« Artemis » on va remarcher sur la Lune
Nadia Drake
98 © Jason Roberts-NASA
Pour la Science Hors-SĂ©rie n°118 / FĂ©vrier-mars 2023 LES ENFANTS DâICARE ?
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7 h 47 (heure de Paris) le 16 novembre 2022. Soudain, la nuit sâembrase du feu des moteurs dâune Ă©norme fusĂ©e qui sâĂ©lance en faisant trembler le sol de cap Canaveral. Plus grand que la statue de la LibertĂ©, avec ses 100 mĂštres de hauteur, lâengin de plus de 2 600 tonnes emporte une capsule spatiale, sans Ă©quipage, et plusieurs appareils scientifiques. Mais son chargement le plus prĂ©cieux est une part du «ârĂȘve amĂ©ricainâ», la promesse que, au moins dans le domaine des vols spatiaux, les Ătats-Unis restent Ă lâavant-garde, avec des prouesses encore inĂ©galĂ©es.
Le lancement rĂ©ussi aurait dĂ» ĂȘtre un triomphe, mais Ă certains Ă©gards il ne lâa Ă©tĂ© que partiellement, tant il conclut une campagne Ă©prouvante pour faire dĂ©coller une fusĂ©e contestĂ©e. MalgrĂ© tout, des milliers de spectateurs ont encombrĂ© les abords du centre spatial Kennedy pour assister Ă ce qui reste lâun des plus grands spectacles de lâhistoire contemporaineâ: la premiĂšre Ă©tape de la mission Artemis I de la Nasa, et plus prĂ©cisĂ©ment le vol inaugural du lanceur spatial super-lourd SLS (Space Launch System) et du vaisseau Orion quâil emporte. La «âSpace Coastâ» reste lâĂ©picentre historique des vols spatiaux, dâoĂč les astronautes dâApollo se sont envolĂ©s pour la derniĂšre fois vers la Lune il y a un demi-siĂšcle. «âEh bien, pour une fois, je vais rester sans voixâ», a⊠clamĂ© Charlie Blackwell-Thompson, directrice du lancement, Ă son Ă©quipe.
PrÚs de trois mois se sont écoulés depuis les deux premiÚres tentatives (le 29 août et le 3 septembre), annulées en raison de difficultés avec les gigantesques réservoirs de carburant. Fin
â En bref
> AprĂšs plusieurs reports, la fusĂ©e SLS de la mission Artemis de la Nasa sâest envolĂ©e : elle doit permettre au vaisseau Orion de se mettre en orbite autour de la Lune.
> Câest la premiĂšre Ă©tape dâun projet visant Ă conduire de nouveau des humains sur notre satellite et dây Ă©difier une installation permanente.
> Les rĂ©elles motivations de ce projet au budget faramineux restent floues et alimentent des dĂ©bats. La Nasa espĂšre quâun succĂšs complet fera taire les critiques.
septembre, câest lâouragan Ian qui a bousculĂ© le programme en obligeant le retour de la fusĂ©e dans le bĂątiment dâassemblage des vĂ©hicules (le VAB, pour vehicle assembly building). Et dĂ©but novembre, lorsque le lanceur est revenu sur le pas de tir, lâouragan Nicole a soufflĂ© avant que lâagence ne puisse le remettre Ă lâabri.
DE REPORT EN REPORT
«âAucun de nous nâaurait voulu ĂȘtre dehors par ce tempsâ», a dĂ©clarĂ© Jim Free, administrateur associĂ© de la Nasa. «âDans ce genre de situation, le meilleur endroit pour la fusĂ©e est le VAB, mais il Ă©tait impossible dây retourner, alors nous avons croisĂ© les doigts.â» La tempĂȘte a frappĂ© le SLS avec des vents Ă 160 kilomĂštres par heure, arrachant les joints dâĂ©tanchĂ©itĂ© et plaçant les responsables de la mission devant un cas de conscienceâ: peut-on lancer en toute sĂ©curitĂ© une fusĂ©e et un vaisseau spatial de 4,1 milliards de dollars venant dâessuyer une tempĂȘte de catĂ©gorie 1â? En fin de compte, il a Ă©tĂ© dĂ©cidĂ© dâaller de lâavant⊠et le dĂ©collage sâest bien passĂ©. Si la mission Artemis I est menĂ©e Ă son terme, elle marquera le premier pas vers le retour des humains sur la surface lunaire.
«âIl sâagit dâun moment de vĂ©ritĂ© pour la Nasaâ», explique Jordan Bimm, historien de lâespace Ă lâuniversitĂ© de Chicago. «âLâagence est-elle encore en mesure dâorganiser des vols spatiaux habitĂ©s onze ans aprĂšs lâarrĂȘt du programme de navette spatialeâ? Qui plus est avec un systĂšme entiĂšrement nouveau et particuliĂšrement long Ă dĂ©velopper.â»
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Pour la Science Hors-SĂ©rie n° 118/FĂ©vrier-Mars 2023 109 RENDEZ-VOUS P. 112 REBONDISSEMENTS DES ACTUALITĂS SUR LES THĂMES DES HORS-SĂRIES PRĂCĂDENTS P. 118 LES INCONTOURNABLES DES LIVRES, DES EXPOSITIONS, DES PODCASTS⊠à NE PAS MANQUER P. 116 INFOGRAPHIE UN BON SCHĂMA VAUT MIEUX QU'UN LONG DISCOURS P. 110 EN IMAGE UNE IMAGE QUI A RĂCEMMENT FAIT LâACTUALITà © CDP-MCC © Yousun Koh © Dr. Gal Eyal © CherylRamalho/Shutterstock
La ta ca ta ca tac tac tic-tac du corail
Beaucoup dâorganismes sont dotĂ©s dâune horloge biologique grĂące Ă laquelle ils adaptent leur mĂ©tabolisme Ă lâalternance du jour et de la nuit. Dans le cas de symbioses, les deux espĂšces associĂ©es se doivent de synchroniser leurs horloges de façon Ă optimiser et coordonner leur partenariat. Câest le cas des coraux qui cohabitent avec des algues. Que se passe-t-il quand, sous lâeffet du rĂ©chauffement des eaux marines, les coraux blanchissent, câest-Ă -dire perdent leurs algues symbiotiques ?
Une Ă©quipe de lâuniversitĂ© de Bar-Ilan, en IsraĂ«l, a montrĂ© quâune espĂšce particuliĂšre de corail, Euphyllia paradivisa, que lâon
trouve dans les eaux de la mer Rouge, subsistait Ă la disparition de son hĂŽte grĂące au maintien dâune horloge biologique nĂ©cessaire Ă la survivance dâun mĂ©tabolisme de base essentiel : lâanimal passe dâun rythme de douze heures imposĂ© par lâalgue Ă un rythme de vingt-quatre heures. Selon les auteurs de lâĂ©tude, ces rĂ©sultats offrent une lueur dâespoir face aux Ă©pisodes de blanchiment qui frappent de nombreux rĂ©cifs coraliens Ă travers le monde.
M. Rinsky et al., Temporal gene expression patterns in the coral Euphyllia paradivisa reveal the complexity of biological clocks in the cnidarianalgal symbiosis, Science Advances, 2022.
110 © blue-sea.cz/ShutterstockDr Gal Eyal (en médaillon) Pour la Science Hors-Série n° 118/Février-mars 2023 En image