Pour que ce soit la dernière fois qu’on liste les premières fois.
CHERS LECTEURS
Étienne Grass, directeur exécutif Capgemini Invent France
Delphine Robin, directrice des ressources humaines Capgemini Invent France et Europe du Sud
« Le 8 mars c’est toute l’année. » En prévision de la journée internationale des droits des femmes 2025, nous avons voulu cette année envisager un jalon supplémentaire de nos actions. Celui de se confronter à votre parole.
L’enjeu de ce livre est de résorber un hiatus, celui qui existe entre nos intentions, le cadre que nous posons et la réalité vécue par nos collaboratrices et nos collaborateurs. Avec le comité de direction d’Invent France et sous la conduite d’Aure, nous nous sommes dit que le meilleur service à nous rendre serait de se confronter à ce hiatus.
Les témoignages présentés dans ce livre sont donc sans filtre. Certains concernent des événements qui se sont déroulés en dehors de notre entreprise, d’autres chez nous. Parfois le ressenti, l’impression ou
l’inconfort vous paraîtront en écart avec la vision de votre quotidien. Tant mieux. Car c’est précisément ce ressenti, cette impression ou cet inconfort que nous souhaitons faire apparaître. Il n’y a jamais de risque à se confronter au réel et le réel n’est pas seulement fait de règles mais d’interactions humaines. Et le réel mord un peu parfois.
Vous le savez, Capgemini est une entreprise qui a pris les questions d’égalité dans l’entreprise à bras-le-corps. L’ancien directeur de cabinet de la ministre des Droits des femmes que je suis (Étienne) est profondément attaché à cette exemplarité. Ensemble, avec le comité de direction, nous sommes et serons intransigeants.
Cela implique un certain nombre de règles et d’actions, celles de Capgemini sont rappelées à la fin de ce livre.
En complément, les éléments clés du manifeste de Capgemini Invent France pour l’égalité gagnent à être rappelés :
– L’égalité des rémunérations est un intangible ; elle fait partie de nos procédures pour réviser chaque année les augmentations salariales et attributions de bonus et variables de l’ensemble des collaborateurs.
– Les promotions sont décidées sur la base de vos seuls mérites et selon des critères qui sont transparents et équitables, sous la conduite du fairness officer ; oui, nous assumons que pour briser le plafond de verre, nous souhaitons chaque année nous assurer que les femmes représentent une proportion équilibrée de nos promotions ; il ne s’agit pas de quotas mais de garde-fous devenus indispensables.
– Les congés maternité sont considérés comme du temps de carrière pour l’évaluation de la performance et la progression dans la carrière.
– Prendre un congé parental ou aménager son temps de travail pour s’occuper d’un jeune enfant est un droit dans l’entreprise, que chaque manager a la responsabilité de rendre possible ; et cela concerne les parents.
– Les congés paternité sont encouragés : cela veut dire que nous savons nous réorganiser pour les permettre ; et que tous
nos managers sont invités à engager une conversation avec les jeunes papas pour leur demander quand et comment ils souhaitent les prendre.
– Lutter contre les stéréotypes de genre est une prise de conscience sans relâche ; les formations que nous vous proposons sont fortement encouragées et doivent nous permettre à tous d’éviter de nous enfermer dans une pensée paresseuse, celle qui consiste à penser que ces stéréotypes sont réservés aux autres. Ils nous traversent tous.
Grâce à ces règles nous progressons. Les cercles de l’inclusion ont pris toute leur place dans notre entreprise. Ils permettent de faire entendre la parole de chacun et de croiser les regards sur la manière de garder une communauté de travail inclusive, ouverte à toutes et tous. Venez tels que vous êtes, c’est à nous de faire en sorte de créer un collectif qui vous permette d’avoir votre place. Et faites nous savoir, à nous et à vos managers, les écarts aux règles que vous ressentez.
Les témoignages de ce livre nous interpellent. Nous espérons qu’ils vous interpelleront vous aussi. Ils sont là pour ça. Un grand merci à chacune et chacun de nous avoir offert la force de ce récit. Et merci à Aure d’avoir conduit ce travail d’une main de maître.
Bonne lecture !
PRÉFACE
Roshan Soorunsingh Gya, CEO Capgemini Invent et membre du comité exécutif du groupe Capgemini
Bien que l’atteinte de l’égalité des genres soit une nécessité, il subsiste des obstacles souvent invisibles et profondément ancrés : les biais de genre. Ces barrières sont parfois si subtiles qu’elles échappent à l’œil, freinent l’évolution des carrières, impactent l’épanouissement personnel et professionnel, et perpétuent une culture de l’iniquité.
Capgemini Invent a décidé de prendre position pour lutter contre ces biais qui limitent les potentiels et fragmentent nos organisations. Ce livre est né de cette volonté. Il se veut un miroir des expériences vécues, et surtout un plaidoyer pour que la diversité et la mixité deviennent la normalité dans nos entreprises.
Au fil des pages, vous découvrirez les récits puissants de femmes de notre entreprise, de tous âges, à tous niveaux de responsabilité, racontant la première fois où elles ont été confrontées à un biais de genre ou comment elles les ont surmontés. Ces témoignages sont poignants, parfois douloureux, mais aussi porteurs d’espoir et de résilience. En nous confiant leur histoire, elles nous éclairent sur la réalité des biais de genre, sur leur impact concret et sur l’urgence d’agir.
En partageant ces témoignages, notre espoir est de créer les conditions du dialogue pour ne plus taire ces situations, pour sensibiliser et provoquer une prise de conscience, et apprendre et comprendre ces biais pour mieux agir.
En mettant en évidence les principaux biais de genre à l’appui d’études et de chiffres clés, nous avons souhaité faciliter leur reconnaissance et contribuer à la lutte contre les stéréotypes.
Je voudrais remercier chaleureusement Aure Bouchard et toutes les femmes et les hommes qui ont témoigné en nous rappelant l’urgence et la nécessité de faire émerger une véritable culture de l’égalité. Merci d’avoir composé ce livre qui sera sans aucun doute une source d’inspiration pour toutes celles et ceux qui souhaitent contribuer à un monde du travail plus inclusif, plus respectueux et plus équitable.
AVANT-PROPOS
Aure Bouchard, executive vice-présidente Capgemini Invent France
Les inégalités de genre en entreprise sont un sujet qui a suscité ces dernières années de nombreux débats, de nombreuses initiatives et des engagements forts de la part des entreprises. De réels progrès ont été réalisés, tant au niveau de la représentation des femmes dans les équipes de direction que dans l’accès à des rôles clés. La parité a fait un chemin impressionnant, et ces avancées sont le fruit d’un engagement collectif et d’actions concrètes.
À titre d’exemple, le nombre de femmes occupant des postes de direction dans notre entreprise a considérablement augmenté, et plusieurs initiatives de mentorat et de leadership féminin ont été mises en place. La progression de ces chiffres de mixité dans notre organisation témoigne d’un réel changement dans les mentalités et les structures, et montre qu’un certain nombre de barrières ont été franchies.
Cependant, malgré ces progrès notables, la persistance de biais de genre empêche encore une véritable égalité dans les sphères les plus stratégiques de l’entreprise.
Pourquoi, après une décennie de changements positifs, la parité semble-t-elle plafonner ? Pourquoi la progression ne suit-elle plus son rythme passé ?
La réponse à ces questions est complexe et multiforme. Si l’on peut saluer l’accroissement du nombre de femmes en début de carrière, il reste des obstacles sous-jacents qui persistent, liés à des normes sociales, des perceptions inconscientes et des structures de pouvoir qui favorisent encore trop souvent un modèle masculin de leadership. L’inclusion ne se réduit pas à des quotas ou à des politiques de recrutement, mais doit devenir un véritable levier de transformation des pratiques managériales, des processus de décision et des dynamiques de pouvoir.
De nombreuses études démontrent que le dernier obstacle majeur à la parité en entreprise est la persistance des biais de genre. Ce livre vise donc à identifier ces zones d’ombre qui freinent encore une véritable égalité de genre dans le monde de l’entreprise.
Notre objectif est d’apprendre à les reconnaître. Il s’agit aussi de mieux les comprendre pour mieux savoir comment nous pourrons les dépasser. Pour que la parité ne soit plus seulement une aspiration, mais une réalité pleinement vécue à tous les niveaux.
* Biais de genre : opinion généralisée ou préjugé quant aux attributs ou caractéristiques que les femmes et les hommes possèdent ou doivent posséder et aux rôles qu’ils jouent ou doivent jouer. Discrimination indirecte ou subtile, micro-agressions.
LES BIAIS DE GENRE*
Implicites Quasi invisibles, Des barbelés qui écorchent, freinent, peuvent venir à bout des plus téméraires.
À NOS AUTOCENSURÉES
Lors de l’écriture de cet ouvrage, de nombreuses collègues nous ont confié leurs histoires, leur vécu. Parmi elles, certaines ont préféré ne pas voir leur témoignage publié. Par peur des conséquences sur leur carrière. À travers ce texte, nous avons souhaité les mettre en lumière et leur rendre hommage.
Ce sont nos collègues de bureau, ce sont nos voisines d’open-space. Nous ne les nommerons pas, par respect pour leur anonymat. Derrière les sourires et les conversations quotidiennes se cache une vérité trop souvent ignorée : celle des femmes qui n’osent pas parler. Nos collègues qui ont vécu des biais de genre, des humiliations discrètes, des promotions oubliées, des regards de travers, mais qui, par peur de déranger ou de trop bousculer, ont choisi de se taire. À travers ce livre, nous avons donc aussi souhaité mettre en lumière toutes celles qui nous ont raconté leur vécu mais qui ont préféré se rétracter dans leurs témoignages. Aujourd’hui, dans un monde où la parole semble plus libre, trop de femmes choisissent l’ombre plutôt que le risque de se faire entendre. Ce n’est pas dans un monde éloigné, c’est ici, dans notre quotidien. Nos autocensurées sont nos collègues. Elles ont vécu des expériences qui, aujourd’hui encore, continuent de les marquer profondément.
Leurs témoignages se sont heurtés à la peur de l’étiquette, de l’injustice, de la stigmatisation. Elles se sont censurées, après avoir laissé leurs mots s’échapper.
Elles pensent leurs histoires trop douloureuses, trop dérangeantes pour être partagées. Mais surtout, elles craignent de voir ces témoignages leur revenir au visage comme une malédiction professionnelle. Un mot de trop, une plainte qui pourrait être interprétée comme une faiblesse. Et si cela devenait un fardeau pour leur carrière ? Et si cela les faisait passer pour des « victimes » ou des « dérangeantes » à nos yeux ? Cette peur est réelle, ancrée, et elle étouffe certaines paroles. Elles sont trop nombreuses à nous avoir raconté qu’elles ont construit une carapace derrière laquelle elles préfèrent continuer à se cacher.
Elles ont vu des collègues, des amies, être discréditées, mises de côté, voire évincées après avoir parlé. En se retirant, ces femmes ne font pas disparaître leur vécu ; elles l’enterrent simplement.
Chaque témoignage non partagé nous éloigne un peu plus de l’occasion d’impulser le changement. Ce silence n’est bien entendu pas un manque de courage, c’est plutôt souvent le résultat d’une stratégie de survie dans un environnement hostile.
Il est urgent de briser cette peur, de donner aux femmes l’espace nécessaire pour parler sans crainte de représailles, de jugement ou de marginalisation. Tant que des femmes continueront à se taire par peur des conséquences, tant que leurs témoignages ne trouveront pas d’espace pour éclore, l’inégalité persistante dans le monde professionnel demeurera une réalité invisible mais omniprésente. Il est temps de leur offrir ce courage de parler, et d’écouter enfin ce qu’elles ont à dire. Nos autocensurées sont les témoins et actrices silencieuses d’une lutte encore en cours.
À ce titre, nous remercions nos dirigeants de nous avoir permis d’écrire et de publier cet ouvrage, d’accueillir avec beaucoup de bienveillance tous nos témoignages, et de créer un terrain fertile pour libérer toutes les paroles afin de vaincre les biais de genre.
LA PREMIÈRE FOIS
QUE J’AI PRIS
CONSCIENCE
DE MA DIFFÉRENCE
Jeanne Heure, vice-présidente Capgemini Invent France
« Oui, des biais de genre, j’en vois tous les jours et j’en ai aussi. »
Je suis entrée dans cette salle de réunion peuplée d’hommes en costume, bien installés dans leur chaise, bien installés dans leur rôle. Ils m’ont regardée entrer, ils m’ont suivie du regard (« une assistante ? »). Je me suis assise à la table et j’ai pris une grande inspiration. Je dénotais avec mon environnement : pas le même âge, pas le même look, pas le même genre. Je me suis concentrée sur les messages à passer. C’est ça qui m’a toujours guidée dans mes interactions professionnelles : « Se concentrer sur ce que je dis et non pas sur ce que je suis. » Dix ans après, je suis VP et je continue à revivre cette situation. Mais la robustesse professionnelle m’a appris à m’en amuser : d’un pas décidé, je salue, je serre les mains, je me présente, en gardant toujours le même focus : « Concentrez-vous sur ce que je dis et non pas sur ce que je suis ; si vous me ramenez à ce que je suis, je ne vous écouterai pas non plus. »
Oui, des biais de genre, j’en vois tous les jours et j’en ai aussi.
J’ajuste ma tenue en fonction de l’audience : pas de mini-jupe dans un panel masculin.
J’ai déjà dit à une femme de mon équipe d’arrêter de se toucher les cheveux, de minauder – pour projeter plus de maturité.
J’ai déjà dit à des hommes de mon équipe d’arrêter de tout négocier, d’arrêter de ne penser qu’aux cases de performance à cocher, d’invisibiliser leurs équipes. Je souhaite montrer une ligne médiane professionnelle qui leur évitera d’être mis dans une case – de genre justement.
Je suis aussi très attentive aux signaux faibles qui pourraient laisser penser que je suis une femme quota. J’ai besoin de
démontrer en continu que j’ai une valeur ajoutée attendue à ma position, et que je ne suis pas là par privilège mais par mérite. Je suis d’ailleurs extrêmement dérangée par la vulgarisation de ce sujet : « C’est une femme donc elle sera promue. » Un autre exemple : ouverture des people reviews , l’institution nous rappelle qu’il existe des programmes de coaching pour les femmes auxquelles nous pourrons les inscrire. Les hommes n’ont-ils pas besoin de coaching sur leur leadership ? D’accord pour avoir des programmes genrés si les biais sont tels qu’il faut aider les collaborateurs à les maîtriser, mais alors les hommes n’en ontils pas besoin ?
Nous avons aussi un sujet d’identification. La moitié de mon équipe est féminine alors que je travaille en cybersécurité : la présence d’une femme à la tête d’une équipe attire des femmes – mon genre, par essence, donne une grille de lecture différente à la cybersécurité et casse le cliché du hacker à capuche.
L’égalité femmes-hommes relève de la responsabilité des deux genres. Les hommes, autant que les femmes, ont ingéré des codes sociaux dès la naissance, dans leur éducation, dans leur construction, et ils ont besoin de leviers pour prendre conscience et faire bouger les lignes de genre comme les femmes. Ce que mon expérience m’a appris c’est que l’égalité de genre est un travail collectif. Pas au sens où « les hommes doivent soutenir les femmes » mais au sens où c’est avant tout une lutte pour la liberté d’être jugé sur ce que l’on dit et non pas sur ce que l’on est. Hommes, femmes, transgenres, non genrés…

LA PREMIÈRE FOIS OÙ MA POSITION DE FEMME LEADER A SUSCITÉ DE L’HOSTILITÉ
Hélène Chinal, executive vice-présidente, responsable de la transformation Capgemini Europe centrale et du Sud
« Quand on est une femme, il faut démontrer beaucoup plus qu’un homme.»
J’ai intégré Capgemini en 1981. J’ai eu nombre de postes de management dans différentes entités du groupe Capgemini. On m’a souvent demandé si être une femme est un atout et ma réponse est non. Les compétences, l’engagement, la motivation, le courage et la prise de risque sont indépendantes du sexe mais quand on est une femme, il faut le démontrer beaucoup plus qu’un homme. Certaines femmes utilisent la séduction mais je n’aime pas du tout ce registre dont je considère qu’il dessert la cause des femmes dans le monde professionnel.
Je me suis trouvée à la tête d’une entité regroupant des équipes issues de quatre organisations différentes. Les managers étaient des hommes, tous hostiles de façon plus ou moins explicite au fait d’être dirigés par une femme. L’un d’eux m’a dit d’entrée : « C’est moi qui devrais être à ta place ! » J’ai dû renouveler 100 % du management et j’ai réussi à intégrer une femme dans le nouveau comité de direction, ce qui m’a aidée ensuite. Cependant, il m’est arrivé à deux reprises d’avoir une femme comme manager direct et cela a été à chaque fois une mauvaise expérience. J’ai souvent constaté que les femmes managers étaient dures car elles avaient dû se battre pour parvenir à leur position. Je fais clairement partie de cette catégorie.
Quelques autres anecdotes de mon parcours… Lors d’un projet, je me suis trouvée parachutée dans un environnement hostile, avec un management masculin, que ce soit du côté du client ou chez Capgemini. J’ai été accueillie de façon glaciale. Un de mes chefs d’équipe m’a dit sans ambages : « Je ne serai pas dirigé par une femme. » Je suis restée un instant sans voix puis je lui ai répondu que je craignais qu’il n’ait pas le choix. Pendant
cette période où j’ai dirigé des projets, j’ai souvent été confrontée à de la condescendance ou de l’agressivité masculine. J’ai toujours tenu bon. J’ai perdu ma timidité, même s’il m’arrive encore aujourd’hui de rester paralysée face à une agression verbale. Je me suis aussi battue contre moi-même pour prouver qu’une femme peut aussi être un leader, car combien de fois ai-je entendu que les femmes n’ont pas de leadership… Je l’ai même entendu dans un comité de direction par celui qui le présidait, en présence de trois femmes. Aucune de nous n’a réagi.
Un autre obstacle auquel j’ai eu à me confronter est mon peu de ressemblance avec ce qu’on appelle une executive woman. Je ne me maquille pas, je suis peu conformiste sur le plan vestimentaire et je suis loin des critères physiques d’un mannequin. À la suite de remarques, j’ai fourni des efforts pour entrer à peu près dans les codes attendus, au moins dans certaines circonstances professionnelles, comprenant que je n’avais pas vraiment le choix. Heureusement les codes évoluent. Néanmoins les femmes restent majoritairement conformes à ce qu’on attend d’elles en termes d’apparence car c’est aussi comme cela que beaucoup d’hommes continuent à les regarder.
Le combat que j’ai dû mener pour obtenir les postes dont j’avais envie alors qu’on ne m’en accordait pas la légitimité m’a conduit à m’investir dans la création du réseau women@ capgemini. Je l’ai développé pendant dix ans. Je ne suis pas une militante par nature mais il m’a semblé nécessaire de créer plus d’équité entre les hommes et les femmes et de faciliter le parcours de femmes à potentiel au sein de l’entreprise. Mon motto : « Être poil à gratter et force de proposition. »

LA PREMIÈRE FOIS QUE J’AI ARRÊTÉ DE FAIRE DE LA « POÉSIE »
Delphine Robin, directrice des ressources humaines Capgemini Invent France et Europe du Sud
«
Tu peux te déconnecter, on va parler business . »
Il y a les biais liés au genre mais aussi les biais liés aux fonctions. Je cumule les deux. Les femmes DRH, comme beaucoup de femmes en position de pouvoir, subissent la « double contrainte ». Si elles adoptent un style de leadership collaboratif et empathique, elles sont bien souvent perçues comme faibles ou peu assertives. Si à l’inverse elles se montrent directes et fermes, elles risquent d’être jugées comme autoritaires.
C’est une question que je me suis souvent posée, surtout en début de parcours, en essayant de trouver un juste milieu entre positionnement « stratégique », avec une gestion plus rationnelle et efficace de certaines situations, et l’image d’une DRH qui gère les relations humaines et est donc à l’écoute et « naturellement » empathique. Pas simple !
Mon quotidien a souvent été ponctué par des remarques ou réflexions qui me renvoyaient à ces stéréotypes. Quand il m’arrivait de présenter une nouvelle mesure RH pour influer sur le bien-être des collaborateurs, on me répondait : « C’est intéressant cette mesure mais tu as vérifié les coûts pour l’entreprise ? » ou encore « les RH, c’est de la poésie », laissant supposer que nous n’avions ni anticipé le budget ni réfléchi au ROI pour l’entreprise. Ou encore lors de situations conflictuelles, j’ai déjà entendu : « Heureusement que Delphine est là », sous-entendu : « On a une touche féminine pour apaiser les tensions. » Ces commentaires, bien que flatteurs en surface, renforcent l’idée que je suis là pour adoucir les relations mais pas
pour influencer les décisions stratégiques de l’entreprise.
Consciente aussi du fait que la fonction RH peut renvoyer l’image d’une fonction éloignée des enjeux business, j’ai déjà entendu « tu peux te déconnecter, on va parler business », ce qui me laisse toujours un peu perplexe sur le message de fond : « Est-ce qu’on suppose que je n’ai pas la capacité de comprendre les enjeux business ? Est-ce en lien avec mes compétences ? Ferait-on la même réflexion à un financier ? »
Alors, j’ai eu envie de faire changer les choses. D’ailleurs, mon poste de DRH chez Invent m’a beaucoup aidée à m’affirmer et à casser certains stéréotypes. Je voulais m’imposer différemment en cassant cette image de DRH « fonction support », avec plein de petites choses au quotidien comme valoriser les succès RH à impact business mais aussi, dans un contexte de changements rapides, à travers le lancement de grandes transformations. J’ai aussi voulu sortir du cadre traditionnel interne pour jouer un rôle actif directement auprès de certains clients de Capgemini Invent en apportant mon expertise sur la mise en place d’une approche RH différenciante comme levier de performance, ce qui ne peut que renforcer la relation client. J’avance aujourd’hui en portant haut et fort mes convictions, et je suis convaincue que mon rôle a un réel impact sur les résultats de l’entreprise (recrutement, rétention des talents, culture managériale, engagement…). Porter ses convictions est d’autant plus facile que le PDG a une dimension et une compréhension des enjeux associés.

BIAIS DE GENRE ET LÉGITIMITÉ. Dans le monde professionnel, les femmes doivent souvent fournir un effort considérablement plus important que leurs homologues masculins pour être perçues comme légitimes. Cette inégalité de traitement se manifeste à travers plusieurs dimensions, allant de la reconnaissance de leurs compétences à leur accès aux opportunités de promotion. Une étude a révélé que les femmes devaient, en moyenne, accomplir 30 % de travail en plus que les hommes pour obtenir les mêmes résultats dans leurs carrières. Ce phénomène, souvent appelé « double charge », montre que les femmes sont contraintes de prouver leur légitimité à chaque étape de leur parcours professionnel, alors que les hommes bénéficient d’une reconnaissance plus automatique, surtout dans des rôles de leadership.
Les chiffres témoignent également de la difficulté des femmes à accéder à des postes à responsabilité. Selon une autre étude, les femmes doivent démontrer des performances supérieures à celles des hommes pour accéder à des rôles de direction. Par exemple, alors que les hommes sont souvent promus pour leur potentiel, les femmes ne le sont que lorsqu’elles ont déjà prouvé leur compétence par des résultats tangibles. Ce décalage dans l’appréciation de la compétence crée un environnement où les femmes, pour la même reconnaissance, doivent dépasser constamment les attentes.
Les femmes doivent également naviguer dans un environnement où la validation de leur autorité est souvent remise en question. Une étude de la Harvard Business Review a montré que les femmes étaient perçues comme moins légitimes dans des rôles de leadership, ce qui les pousse à travailler davantage pour s’imposer. Un exemple frappant est celui des femmes occupant des postes de direction dans des secteurs traditionnellement dominés par les hommes, comme la technologie ou la finance, où elles doivent non seulement exceller dans leurs tâches, mais aussi prouver qu’elles méritent leur place face à des attentes plus élevées. Cette pression supplémentaire peut créer un stress constant, rendant la conciliation entre vie professionnelle et personnelle encore plus difficile.
LES
FEMMES DOIVENT, EN MOYENNE, ACCOMPLIR 30 % DE TRAVAIL EN PLUS QUE LES HOMMES POUR OBTENIR LA MÊME LÉGITIMITÉ
LA PREMIÈRE FOIS
QUE J’AI RESSENTI LA NÉCESSITÉ DE DÉCONSTRUIRE LES STÉRÉOTYPES
Maud du Limbert, vice-présidente Capgemini Invent France
« Déconstruire les schémas d’enfance pour laisser place à ce que je pense vraiment. »
Les biais de genre se sont manifestés dès mon enfance. Bien que mes parents m’aient offert une éducation bienveillante et aimante, ils ont véhiculé, sans le vouloir, des stéréotypes de genre : « travaille bien », « sois polie et respectueuse », « écoute attentivement », « fais les choses correctement »…
Ces injonctions m’ont aidée à réussir ma scolarité et à renforcer ma confiance en moi.
Dans le monde du conseil, être consciencieuse et respectueuse de la hiérarchie est le combo parfait pour progresser ! Cependant, en accédant à des postes de management, je me suis aperçue que je n’avais peut-être pas appris à « ne pas être d’accord », « me révolter », « exprimer mes pensées », « imposer mes idées ».
Le chemin vers le leadership a été parsemé de doutes : comment exercer un leadership avec des qualités d’écoute et d’empathie ? Comment faire entendre ma voix ? Serai-je capable de m’imposer quand il le faudra ?
La prise de conscience fut rude ! Il a fallu déconstruire des schémas et analyser mes réactions pour comprendre ce qui relevait du désir de « bien faire » et laisser plus de place à « ce que je pense vraiment ». Cela reste un travail quotidien pour me débarrasser de ces biais ancrés depuis si longtemps, mais quelle libération de découvrir qui l’on est réellement !
Lorsque j’ai tenté pour la première fois une promotion au poste de VP, j’ai reçu des encouragements mais aussi des remarques comme : « Je suis sûre que tu vas obtenir ta promotion, tu es super ! Et puis, en plus, tu es une femme, et aujourd’hui, on est obligés de promouvoir des femmes pour recruter des hommes. » Ces propos se voulaient encourageants, mais devinez quoi ? Cette année-là, je n’ai pas été promue…
Pour rebondir, il m’a fallu faire taire la petite voix intérieure qui murmurait « même en étant une femme, tu n’as pas réussi… ». Il m’est aussi arrivé d’être sollicitée pour des réunions clients uniquement en raison de mon genre. Je m’en rends compte juste avant la réunion, lorsque l’équipe se retrouve : « Super que tu sois là Maud, parce qu’on ne pouvait pas n’afficher que des hommes dans cette réunion importante. » Non seulement j’étais intégrée tardivement dans la préparation, limitant l’impact que je pouvais avoir, mais en plus, j’avais l’impression que ma seule valeur résidait dans ma capacité à sourire…
En tant que femme, on se passerait bien de ce genre de situation, mais j’ai appris qu’il faut oser dire lorsqu’une remarque est inappropriée, pour ouvrir le dialogue et permettre à la diversité de s’exprimer.

LA PREMIÈRE FOIS
QUE J’AI DEMANDÉ UN SALAIRE
ÉQUIVALENT À CELUI D’UN HOMME
Angélique Lallouet, managing director Capgemini Engineering France
« Le secret, selon moi, c’est l’équilibre. »
La question des biais de genre est cruciale dans le monde professionnel, particulièrement dans des secteurs comme l’ingénierie où la représentation des femmes reste insuffisante. Dans mes fonctions, il est de mon devoir de contribuer à faire bouger les lignes. Comprendre les biais est essentiel pour mettre en place des stratégies efficaces visant à promouvoir la diversité et l’inclusion. Devenir leader en étant une femme, mariée avec trois enfants, sans se renier est possible ! On peut briser le plafond de verre et c’est à nous, hommes et femmes, par notre prise de conscience et par la mise en place des « petits pas correctifs », de faire la différence !
Un biais me semble majeur. Il relève de l’acceptation de la différence sur la façon de s’exprimer ou de communiquer. Je pourrais dire qu’après 30 ans de carrière c’est derrière moi, mais non. Parce que je crois que l’authenticité et la sincérité sont au cœur des relations humaines, j’assume désormais complètement ma façon de communiquer. Je suis émotive et je peux pleurer. Il ne faut pas prendre peur, je ne vais pas être en burn-out demain matin ! Je n’en suis pas plus faible et je pense que ça ne fait pas de moi un leader moins performant. De la même façon, je suis très engagée et je prends les choses à cœur. Cela peut être perçu négativement, comme de la défense ou de l’attaque, non, c’est de l’engagement !
Un autre sujet d’importance : les réseaux. Si précieux dans le monde professionnel. Dans notre monde, nos clients, collègues et partenaires restent à 70 % des hommes.
Un de mes patrons m’a un jour encouragée à participer davantage aux dîners et cocktails. Mais il m’est très difficile de le faire : trop d’ambiguïté passée (c’est un euphémisme) ! Évidemment on peut toujours remettre les personnes à leur place mais c’est fatigant et ça laisse des traces. Donc, jusqu’à ce que je sois toute ridée, j’évite ces situations où je ne souhaite plus me retrouver mal à l’aise. Toutes les façons de faire ne sont pas transposables d’homme à femme.
Un autre biais énorme auquel j’ai dû faire face : demander une augmentation pour ma performance ! Un art complexe pour moi. J’ai essayé une fois. Nous étions deux pour un poste, un homme et moi. Je voulais le poste, je ne l’ai pas eu, j’ai démissionné. J’ai été rattrapée pour mes compétences. J’ai eu le poste. Quand on m’a demandé mes prétentions, j’ai dit : « Comme l’homme dont je prends le poste », on m’a répondu : « Ça fait beaucoup quand même. » C’est vrai, il était plus grand, plus costaud et moins compétent ! Heureusement mon chemin a été pavé d’hommes et de femmes qui ont perçu ce biais et l’ont pris en compte. Mesdames : osez demander, vous comparer, vous appuyer sur les bonnes personnes qui aideront à récompenser votre travail bien fait ; et messieurs, sur ce thème, devancez la demande !
Les biais sont nombreux mais les moyens de les corriger aussi. Et le secret, selon moi, c’est l’équilibre, l’acceptation de la différence, pas l’égalité à tout prix. Les individus sont imparfaits, les équipes peuvent être parfaites.

TRAVAIL INVISIBLE. Le travail invisible des femmes en entreprise représente une part importante mais souvent non reconnue de leurs responsabilités professionnelles. Ce travail inclut des tâches comme la gestion de projets transversaux, l’organisation de réunions, la coordination d’équipes, ainsi que la prise en charge des tâches émotionnelles et relationnelles qui contribuent au bon fonctionnement de l’entreprise. Bien qu’essentiel, ce travail est souvent sous-évalué et moins visible, ce qui impacte directement la reconnaissance et la progression de carrière des femmes. Ce biais de genre valorise souvent des tâches « dures » ou « techniques » tout en minimisant celles liées à l’organisation et aux relations, nuit à la reconnaissance du travail des femmes. Par conséquent, même si ce travail invisible est crucial pour le bon fonctionnement des équipes, il reste largement ignoré dans les processus de promotion, de rémunération et de reconnaissance professionnelle. Ainsi, une étude révèle que les femmes passent en moyenne 1,5 fois plus de temps que les hommes à accomplir des tâches organisationnelles et de soutien au sein de l’entreprise. Cela inclut des tâches comme la planification, la gestion des relations interpersonnelles et la coordination de projets, souvent jugées moins stratégiques mais tout aussi nécessaires au succès des équipes. Toutefois, ces responsabilités sont rarement prises en compte lors des évaluations de performance et des promotions. Selon un autre rapport, 42 % des femmes déclarent assumer la majeure partie des responsabilités organisationnelles et émotionnelles dans leur équipe, contre seulement 28 % des hommes. Ces tâches, bien qu’elles facilitent le travail des autres, sont souvent considérées comme secondaires et moins valorisées, ce qui contribue à la sous-représentation des femmes dans les rôles de leadership et de décision.
En outre, ce travail invisible n’est pas limité à des tâches administratives : il inclut aussi la gestion des dynamiques sociales et émotionnelles au sein des équipes. Cette même étude montre que les femmes sont plus susceptibles que les hommes de s’investir dans des tâches de médiation, de soutien émotionnel ou de gestion des conflits, ce qui peut entraîner un épuisement professionnel accru. En effet, 60 % des femmes en entreprise affirment que leur rôle inclut régulièrement des responsabilités émotionnelles ou relationnelles, un facteur rarement pris en compte dans l’évaluation de leur performance.
Les entreprises doivent prendre conscience de cette disparité et réévaluer leurs critères de performance et de promotion pour garantir une reconnaissance équitable du travail des femmes.
60 % DES FEMMES EN ENTREPRISE AFFIRMENT QUE
LEUR RÔLE INCLUT RÉGULIÈREMENT
DES RESPONSABILITÉS ÉMOTIONNELLES OU RELATIONNELLESinvisible

Camille Sénéclauze, consultante Capgemini Invent France
« Ce n’est pas un coup brutal, un grand dérapage, mais une succession de petites piqûres quotidiennes. »
La première fois ? Est-il possible de désigner un seul instant, un moment précis où tout a basculé dans la manière dont j’ai perçu la différence ? Ou bien cette « première fois » n’est-elle qu’une illusion, une multitude de petites failles semées tout au long de ma vie, jusqu’à ce qu’elles finissent par se fondre, imperceptibles, dans mon quotidien ?
Quand fut la première fois ? Était-ce ce client qui me confia un jour qu’il « [aimait] quand il y [avait] de belles femmes dans l’équipe » parce que « c’est plus agréable » ? Ou ce jour où mon manager, de 30 ans mon aîné, m’a reproché de le déconcentrer à cause de la robe que je portais ? Était-ce à l’école, à l’époque où j’aurais tout donné pour jouer au foot, mais où l’on m’en empêchait, sous prétexte que j’allais forcément être nulle parce que j’étais une fille ? Ou encore quand, fraîchement recrutée en alternance, j’ai découvert que pour le même poste, le même diplôme, la même expérience, je touchais 200 euros de moins que mon ami, recruté le même jour ? Ou ce professeur, alors que j’avais 12 ans, qui m’a complimentée sur mon décolleté plutôt que sur mes notes ?
Ou peut-être ce moment, bien plus tard, où j’ai réalisé que le sport n’échappait pas à cette réalité, le jour où un athlète m’a félicitée après une victoire en Coupe du monde, en me disant qu’il m’avait « adorée
sur le vélo, surtout de derrière » ? Ou ces conférences de presse où les journalistes ne s’intéressaient qu’aux hommes de l’équipe ?
Ou quand mes coéquipières et moi finissions nos séances avec des douleurs insupportables parce que notre équipement était conçu pour des corps masculins ? Ou quand on m’a dit « si tu n’aimes pas les blagues (entendre : les propos sexistes, homophobes, transphobes), oublie le triathlon » ?
Ou encore toutes ces fois où l’on m’a jugée parce que je courais en culotte, alors que mes collègues hommes s’entraînaient torse nu sans qu’aucun regard ne les dérange ?
Toutes ces petites fois s’accumulent, se banalisent, se taisent, mais restent, indélébiles, dans ma mémoire. N’est-ce pas cela, l’inacceptable ? Ce n’est pas un coup brutal, un grand dérapage, mais une succession de petites piqûres quotidiennes. Chaque jour, nous les accumulons. Nous, c’est moi, c’est ma sœur, mes cousines, mes amies, mes collègues. Ces piqûres on ne les voit presque pas mais leur superposition devient insupportable, fait mal, et est si profondément injuste.
Trop souvent aujourd’hui, on me dit que je m’indigne « pour un rien ». Mais on oublie que ce « rien » est un tout : des milliers de petites aiguilles, invisibles, qui m’ont piquée, moi et nous toutes.
LA PREMIÈRE FOIS
QU’ON M’A PRISE POUR UNE SECRÉTAIRE
Maud Poinsot-Cordier, consultante senior Capgemini Invent France
« Comme si j’étais un simple outil, sans valeur, sans voix. »
Je m’en souviens comme si c’était hier. J’étais en stage dans le cadre de mes études supérieures dans ma précédente entreprise. Je découvrais le monde du conseil, son organisation, ses principaux enjeux, ses codes. J’avais envie d’apprendre, j’étais très motivée, très volontaire. Comme souvent les premiers jours, j’étais déterminée à faire bonne impression. Mais dès le deuxième jour, je me suis heurtée à un mur de préjugés.
Un partner que je n’avais jamais rencontré s’est approché de moi sans même se présenter, comme si j’étais invisible. Aucune entrée en matière, juste cette phrase : « Je suppose que tu n’as pas grand-chose à faire. Viens avec moi, tu vas écouter une réunion, prendre des notes et me faire un compte rendu. » Oui, « me faire ». Comme si j’étais un simple outil, sans valeur, sans voix. Je suis restée muette face à son autorité, sa manière de parler, sa façon de réduire ma présence à une simple formalité. En arrivant dans la salle de réunion, un autre homme était présent. Il m’a scrutée de haut en bas, puis m’a montré d’un geste condescendant où prendre place. Aucune explication, aucun contexte. Juste des ordres qui résonnent dans le flou ambiant : « Note ça », « Ça c’est important ». Par moment, leurs phrases étaient accompagnées
de gestes dédaigneux, qui témoignaient de leur mépris. J’étais là, mais je n’existais pas vraiment. Alors j’ai noté, en essayant de comprendre ce que j’écoutais. Une fois la réunion terminée, je suis retournée à mon bureau, l’esprit confus et abasourdie. Je me souviens de m’être sentie rabaissée, mise à l’épreuve sans raison apparente. J’ai tenté de rédiger un compte rendu, comme si cela pouvait compenser mon absence de reconnaissance. Ils n’ont même pas daigné me répondre.
En y repensant, je ressens encore ce sentiment d’indignation et je m’en veux de n’avoir rien osé dire. Mais je crois que je m’en veux encore plus d’avoir imaginé que ce comportement pouvait, dans cet environnement qui m’était inconnu, être normal et acceptable. Bien sûr que non, ce n’est pas normal. Je ne devrais jamais être réduite à un rôle subalterne, à rester dans l’ombre de ces hommes qui, par leur comportement, affirment que ma voix n’a pas d’importance. Aujourd’hui, je suis déterminée. Je veille à repérer ces comportements biaisés et à les dénoncer. Je m’engage à soutenir les autres femmes, à les aider à reconnaître ces attitudes dévalorisantes. Ensemble, nous ne resterons plus silencieuses. Nous avons une voix, et elle mérite d’être entendue.

SOCIALE POUR CONCILIER CARRIÈRE ET FAMILLE. Il existe une attente implicite selon laquelle les femmes doivent jongler entre leur travail et leurs responsabilités familiales, souvent sans le même soutien que les hommes. Une étude révèle que 40 % des femmes en entreprise estiment que leurs responsabilités familiales sont perçues comme un frein à leur progression professionnelle, contrairement à 24 % des hommes. Environ 20 % des femmes rapportent avoir subi une forme de discrimination après avoir eu des enfants, que ce soit sous forme de réduction des responsabilités ou de désavantages pour les promotions.
Les secteurs comme les cabinets de conseil, où les horaires sont exigeants et la culture du présentéisme dominante, représentent un désavantage spécifique pour les femmes, en particulier les mères. Une autre étude montre que les femmes mères sont 28 % plus susceptibles que les hommes d’être perçues comme moins disponibles pour des missions à haute visibilité ou des déplacements fréquents, éléments essentiels pour la progression de carrière. Les femmes sont parfois jugées négativement si elles prennent un congé parental ou demandent plus de flexibilité pour s’occuper de leur famille. De plus, il existe des stéréotypes selon lesquels les femmes seraient moins « engagées » ou moins disponibles pour des projets à grande responsabilité, car elles auraient d’autres priorités familiales. Enfin, les femmes sont souvent confrontées à une « double journée » : travail et tâches domestiques. Là aussi, des études révèlent que 60 % des femmes consacrent en moyenne deux heures de plus par jour que les hommes aux tâches ménagères et à la gestion de la famille. Cette charge mentale, associée au travail professionnel, peut décourager à viser des postes à plus haute responsabilité, car les femmes accumulent souvent une pression supplémentaire, affectant leur bien-être et leurs ambitions professionnelles.

« Elle est très bien, mais il nous faut un barbu. »
Depuis toute petite, j’ai été cataloguée « garçon manqué », juste à cause de mon goût pour le foot et les sports de combat. Une étiquette qui effaçait ma féminité tout en suggérant l’échec de ne pas avoir réussi à être un garçon. En grandissant, j’ai cru que cette spécificité me permettrait d’échapper au plafond de verre. En réalité, j’ai mis en place un mécanisme de compensation. En plus de me demander une énergie folle, cette situation m’a révélé que je me forçais à être une version de moi-même qui n’était pas naturelle. Je me suis souvent battue pour prouver ma légitimité. Dès mes débuts chez Capgemini, un consultant a insinué que mes bonnes évaluations étaient dues à mon physique et à la relation avec mon manager. Dix ans plus tard, en dirigeant ma propre entreprise (à côté de mon activité Capgemini), on me demande encore si mon « patron » est là pour « parler affaires », comme si j’étais inapte à gérer seule. J’ai appris à jouer ce jeu. J’ai appris à m’affirmer davantage, à quantifier mes réussites pour éviter d’être mise en doute. Mais il y a des moments où l’inconfort reste total, comme lorsque j’ai eu des remarques sur mon physique qui semblait plaire à mon client et qui étaient totalement inappropriées. J’ai choisi de ne rien dire, abattue par ce que j’entendais. Difficile de réagir, une réponse frontale et directe m’aurait probablement valu le reproche de ne pas être drôle, d’avoir mal compris.
Et il y a eu cette autre fois, où un directeur a osé nous dire, à une collègue d’origine asiatique et moi : « Alors les filles, c’est le bar à nems ? Je peux en rouler avec vous ? » Là, j’ai réagi, mais le mal était fait. Ces comportements sont épuisants ; qu’on réagisse ou non, il faut encaisser et chercher à trouver la réponse « socialement correcte ». Je sais
que certains hommes vivent des situations similaires ; la différence, c’est la fréquence à laquelle cela nous arrive, à nous, les femmes.
Je me souviens de cette autre fois. Je proposais une jeune manager en tant que cheffe de projet et une collègue a rétorqué : « Elle est très bien, mais il nous faut un barbu. » Plus j’insistais pour comprendre, plus je me rendais compte qu’il n’y avait rien derrière cette expression, juste une vision réductrice du genre. Et moi-même, j’ai parfois dit des choses du genre « c’est vraiment un truc de nana », ou « je suis ton gars sûr ». À force de côtoyer cet environnement, on finit par se dévaloriser soi-même, parfois sans même s’en rendre compte.
Et puis il y a les compliments maladroits. « T’agis comme un vrai bonhomme » est un compliment qu’on a pu me faire pour mettre en valeur ma capacité à affirmer mes opinions, à savoir dire non même à un client et à assumer mes choix. Mais ces compliments, je n’en veux plus. Les qualités de leadership et de décision ne devraient pas être associées à la masculinité.
Aujourd’hui, je me sens plus forte, plus sereine dans ma féminité. Mais je rêve de réconcilier mes deux facettes, celle qui lutte et celle qui accepte d’être elle-même. Et surtout, je rêve d’un monde professionnel où les femmes n’auront plus à se battre tous les jours contre des préjugés invisibles. Les hommes doivent prendre conscience de leur rôle dans cette dynamique. Ce n’est pas parce qu’ils n’ont jamais harcelé une femme qu’ils ne perpétuent pas des inégalités. Leurs biais inconscients, leur attitude, leur indifférence à certaines petites violences contribuent à maintenir un système qui défavorise les femmes.
LA PREMIÈRE FOIS
QUE J’AI PRIS DES CODES D’HOMME POUR EXISTER
Aure Bouchard, executive vice-présidente Capgemini Invent France
« Je rêve moi aussi de déposer les armes et le costume. »
J’ai été très jeune à des postes de direction. À 23 ans j’étais directrice dans une grande banque. À 27 ans j’ai fait mes premiers pas dans un comité de direction. À chaque étape de ma carrière j’ai rencontré une tempête d’adversité. Parce que j’étais jeune, parce que j’étais femme, parce que j’étais blonde. Parce que la différence faisait autant peur qu’elle faisait des jaloux. J’ai tout entendu : tout d’abord évidemment les rumeurs de promotion canapé battaient son plein, aussi farfelues soient-elles. J’ai même eu droit à des faux comptes sur les réseaux sociaux avec des phrases aguicheuses. Une enquête a permis de lever le voile sur les faussaires : un groupe de collègues masculins qui se pensaient malins. Il y aussi eu les rumeurs du type « c’est la fille de ». Mauvaise pioche, je suis une transfuge sociale, issue d’un milieu peu aisé, peu éduqué. Et puis on cherche toutes les failles, toutes les imperfections pour nous déstabiliser, nous faire trébucher. C’est encore souvent malheureusement le cas.
Je pourrais aussi raconter des centaines d’autres anecdotes vécues : être volontairement oubliée d’une boucle de mail ou d’une réunion pour me laisser dans l’ombre d’un projet, les réflexions sur les tenues, les propos ambigus… Tout au long de ma carrière j’ai dû apprendre à prouver sans cesse ma légitimité. Mais aussi à tout contrôler, à tout maîtriser.
J’ai appris à ce que mes journées comptent double pour que mes résultats comptent triple. Ces résultats m’ont justement permis de continuer à progresser. Et les adversités ont continué à me battre de plein fouet.
Je suis consciente que ce vécu m’a transformée. Aujourd’hui j’ai enfilé un costume d’homme et des codes d’homme. Je me suis endurcie pour me protéger. Par instinct de survie. Une carapace qui pèse, aussi bien au sens propre qu’au sens figuré.
J’aimerais dire que tout cela est derrière moi. Heureusement les choses ont évolué. L’entreprise s’engage, agit et condamne quand c’est nécessaire. Mais de nombreux biais individuels sont encore à surmonter. Lors de ma dernière prise de fonction, j’ai notamment entendu « tu as été embauchée car tu es un femme ». Et donc mon expérience passée ? mes réussites ? mes compétences ? Je suis donc juste là parce que je suis une femme ?
Il y aussi eu ces réflexions d’autres collègues : « Eh bien, à la maison ça ne doit pas être facile pour ton mari, c’est toi qui portes la culotte. » Parce que j’ai de la poigne au travail, je suis un homme à la maison ? Ou bien : « Tu bosses énormément, tu arrives à être une vraie mère ? » Et quand mon mari travaille beaucoup, on se demande s’il arrive à être un vrai père ?
Pour toutes ces raisons, toutes ces expériences, toutes ces réflexions, je rêve d’un monde où les femmes n’aient plus jamais à vivre cela. Je rêve d’un monde professionnel réellement paritaire. Ou plus aucune femme ne soit obligée de se travestir pour réussir. Je rêve moi aussi de déposer les armes et le costume.

UN LEADERSHIP MASCULIN PAR DÉFAUT. Les hommes sont souvent perçus comme plus confiants, autoritaires et compétitifs, tandis que les femmes sont vues comme plus collaboratives et à l’écoute. Plusieurs études montrent que les comportements de leadership identiques sont jugés différemment selon le sexe. Par exemple, les traits autoritaires et compétitifs, valorisés chez les hommes, peuvent être considérés comme excessifs ou agressifs chez les femmes.
Les femmes leaders sont souvent confrontées à des attentes contradictoires : si elles sont assertives, elles risquent d’être perçues négativement, mais si elles sont trop accommodantes, leur compétence est remise en question. Selon une étude, 41 % des femmes en leadership se sentent perçues comme moins compétentes que leurs homologues masculins, notamment pour prendre des décisions difficiles. De plus, 44 % des femmes estiment que leur autorité est souvent remise en cause et leurs décisions moins reconnues que celles des hommes.
Une autre étude révèle que seulement 27 % des femmes en position de leadership se sentent totalement soutenues par leur organisation pour réussir dans leur rôle, comparativement à 43 % des hommes. Ce manque de soutien organisationnel se manifeste par des attentes irréalistes concernant les traits de leadership des femmes et la perception qu’elles sont moins capables de prendre des décisions difficiles.
41 % DES FEMMES EN LEADERSHIP SE SENTENT PERÇUES
COMME
MOINS COMPÉTENTES QUE LEURS HOMOLOGUES MASCULINS

QUE JE SUIS DEVENUE FÉMINISTE
« Mes succès semblaient appartenir autant aux hommes qui m’entouraient qu’à moi-même.»
Jeune consultante, j’étais persuadée que j’évoluais dans un environnement élitiste, égalitaire et paritaire où le mérite était le maître-mot ! Cette certitude a commencé à vaciller à mesure que je gravissais les échelons, devenant manager puis directrice. Je découvrais une pyramide professionnelle de plus en plus masculine, où les femmes se faisaient rares. Pourtant, je persistais à croire que le succès était une affaire de mérite, de travail, de talent, un peu de chance et surtout de compétences individuelles et d’intelligence collective. Après tout, le genre n’est-il pas une égalité parmi d’autres dans une entreprise moderne, disruptive et innovante telle que la nôtre ?
C’est mon parcours vers le grade de vice-présidente qui a été un véritable électrochoc. J’ai pris conscience que mes succès semblaient appartenir autant aux hommes qui m’entouraient qu’à moi-même. Leurs éloges, leurs conseils et leur réseau avaient facilité mon ascension. Pourtant, durant mon parcours de promotion VP, j’ai ressenti que je n’étais plus leur protégée, l’équilibre de certaines de mes relations avait été déstabilisé jusqu’à créer des fossés de compétition. J’ai découvert les dynamiques de pouvoir entre hommes et femmes, surtout quand on est une femme jeune. Les attentes à mon égard étaient élevées, teintées de préjugés sexistes. J’entendais trop souvent : « C’est une machine, mais elle doit encore grandir », « Elle est sensible, ses chefs l’exploitent », « Elle doit nous accompagner à
cette réunion de haut niveau, le client appréciera la présence d’une femme gradée ». Ces comportements ont nourri le syndrome de l’imposteur et la peur d’être ouvertement féministe ; je me cachais derrière ce que j’appelle la méritocratie absolue. Bref ! Je ne suis plus leur petit poussin, j’entre dans l’arène des coqs ! Désormais, je refuse de me cacher derrière l’image de la jeune femme victime de son succès. Je suis fière de ce succès, d’autant plus qu’il m’a ouvert les yeux sur l’impératif de devenir féministe. Ce mot, qui autrefois m’effrayait, je souhaite à présent l’apprivoiser. Quelle féministe suis-je ? La réponse reste encore floue, mais une chose est certaine : je veux apporter ma pierre à l’édifice. Si je reste sceptique face à l’approche des quotas, qui alimentent les discours misogynes et dévalorisent parfois les réussites féminines, je crois en revanche profondément au pouvoir de la solidarité et du mentorat. J’aspire désormais à accompagner et mettre en lumière les femmes, particulièrement celles qui visent l’excellence mais se heurtent à des barrières invisibles.
Ainsi, mon désir est de collaborer avec des femmes intelligentes, solidaires et ambitieuses. Je suis déterminée à les inspirer, à les valoriser, à les aider à s’épanouir et à briser ce plafond de verre. Ensemble, nous réussirons la transformation durable du paysage professionnel pour les femmes de demain.

QUE
L’ON M’A FAIT COMPRENDRE QUE J’ALLAIS DEVOIR PROUVER PLUS
Amal Azzouzi, vice-présidente, responsable groupe du contrôle financier interne
« Ces cercles qui décident, qui font poids, qui influencent et où aucune collègue féminine ne prend part au jeu, sont ceux qui nous tiendront durablement éloignées d’une cible de parité. »
Avant de parler de ma carrière je souhaite planter le décor de mon arrivée en France en tant que jeune diplômée étrangère à la fin des années 1990. Malgré ma formation, toutes les portes se fermaient. Et pourtant, j’étais prête à prendre n’importe quel poste, mais j’ai eu un nombre record de refus. Une femme, une étrangère, un diplôme non reconnu : le combo perdant ! Grâce à l’appui d’une relation que je ne remercierai jamais assez, j’ai réussi à décrocher un CDD puis un CDI chez Capgemini, les astres commençaient enfin à s’aligner ! Cependant, trois années d’enfer ont commencé auprès du CFO de l’époque. Il a tout fait pour que je jette l’éponge, par ses mots et ses actes quotidiens, par l’absence d’augmentation ou de valorisation malgré d’excellents résultats. Tout au long de ma carrière, j’ai vu des sujets que j’ai portés avec succès être réappropriés, utilisés par des hommes pour briller. Une citation qui résume cette situation : « If you want something spoken about ask a man, if you want it done ask a woman. » Il s’agit probablement d’un biais social ou d’éducation ancré, et nous devons savoir l’évaluer, le prendre en compte dans nos appréciations : les hommes et les femmes ne parlent pas de la même manière de leurs exploits, n’ont pas les mêmes codes pour faire leur autopromotion, et n’ont surtout pas la même temporalité pour en parler (avant, pendant – souvent pour un homme – ou après le succès – souvent pour une femme).
Par ailleurs, j’ai pu observer et j’observe encore la mise en place de réseaux informels,
masculins. Un jeune homme brillant est vite pris en charge par un senior, il est entouré, guidé, on lui apprend à décoder les codes invisibles. Il est épaulé. De nombreuses femmes, dont je fais partie, ne bénéficient pas de ces appuis. Sans décodeur, sans mentor, j’ai mis très longtemps à comprendre, et je n’ai pas encore tout compris.
Les hommes créent des occasions en dehors du travail pour se retrouver. Ces moments sont riches d’échanges informels, d’élaboration de stratégies, de partage d’opportunités. Ces cercles qui décident, qui font poids, qui influencent et où aucune collègue féminine ne prend part au jeu, sont ceux qui nous tiendront durablement éloignées d’une cible de parité. Enfin, quand on arrive à comprendre leurs codes et qu’on commence à se comporter comme des hommes, on nous traite de colériques, de dures, de rigides… On ne sait pas gérer notre écosystème. Parce qu’on reflète leur image et ça les dérange.
Toutes les injustices subies tout au long de mon parcours m’ont obligée à me créer une carapace, à apprendre à ne pas me faire démonter, à travailler quatre fois plus que les autres pour être reconnue, à accepter des missions que personne ne voulait. Finalement cette adversité m’a aussi permis de développer ma curiosité, d’être intrépide, de créer. Mon unique ligne conductrice a toujours été le respect de mes valeurs, de mon intégrité, parfois au détriment de mon évolution.
BIAIS DE PERFORMANCE ET ÉVALUATION. Plusieurs études, notamment l’analyse comparative menée par des IA d’évaluation de performance de collaborateurs de grandes entreprises, montrent que les femmes sont souvent jugées plus sévèrement dans les évaluations. Par exemple, les femmes sont fréquemment décrites comme « trop agressives » ou « pas assez sympathiques », des termes rarement appliqués aux hommes. Les termes « puissant » ou encore « poigne » sont trouvés quasi uniquement dans des évaluations d’hommes, quand « elle est douce », lu à plusieurs reprises dans des évaluations de femmes, n’est jamais retrouvé (au masculin) dans des évaluations d’hommes.
Selon une autre étude menée sur 300 entreprises, 27 % des femmes déclarent devoir faire preuve de plus de compétences et de résultats pour être perçues comme des leaders capables, par rapport à leurs collègues masculins. Par ailleurs, les femmes en position de leadership risquent souvent d’être perçues négativement lorsqu’elles adoptent des traits associés à l’autorité ou à la compétitivité. Elles doivent constamment équilibrer ces traits pour éviter d’être jugées comme trop agressives ou « non féminines », ce qui nuit à leur crédibilité.
En ce qui concerne l’impact sur leurs carrières, une étude montre que les femmes en leadership sont plus susceptibles d’être sous-évaluées, même lorsqu’elles atteignent les mêmes objectifs que leurs homologues masculins. Ce phénomène est souvent lié à des biais implicites, les hommes étant jugés plus compétents dans des situations de prise de décision difficile ou de leadership stratégique. Les femmes reçoivent également moins de reconnaissance pour des réussites similaires et sont perçues comme ayant moins d’ambition. De plus, celles qui réclament une promotion ou un salaire plus élevé sont souvent jugées plus sévèrement que les hommes dans des situations similaires.
Les critères d’évaluation des performances, qui privilégient parfois des traits traditionnellement associés aux hommes, comme l’agressivité, la prise de risques ou l’ambition personnelle, désavantagent les femmes.
27 % DES FEMMES DÉCLARENT DEVOIR FAIRE
PREUVE DE PLUS DE COMPÉTENCES ET DE RÉSULTATS POUR ÊTRE
PERÇUES COMME DES LEADERS CAPABLES

QU’ON M’A DEMANDÉ D’ÊTRE PLUS
Marie-Caroline Rougé, directrice projet Frog
« Une étiquette pouvait m’être collée : “agressive” voire “hostile”. »
Je navigue dans le monde de l’entreprise depuis une dizaine d’années. J’ai gravi les échelons avec persévérance et détermination, mais non sans obstacles.
L’un des plus grands défis auxquels j’ai été confrontée est la perception que l’on avait de moi lorsque je faisais preuve de fermeté ou d’autorité.
Si je défendais une idée avec conviction ou m’opposais à une décision, une étiquette pouvait m’être collée : « agressive » voire « hostile ».
Et ces jugements ne venaient pas que des hommes. Certaines de mes collègues femmes me conseillaient d’être plus souriante ou conciliante pour mieux faire passer mes messages. Or, à ma connaissance, jamais on ne demande à un homme de sourire davantage pour gagner en crédibilité.
Un homme qui affirme ses idées est compétent, ambitieux ou charismatique. Un leader naturel qui inspire confiance. Alors que ces mêmes attitudes chez une femme semblent être perçues comme une menace. Comme si une femme qui s’affirme dans le monde de l’entreprise transgressait une norme tacite.
Cela devient alors un véritable exercice d’équilibriste : être ferme, mais pas trop ;
être directe, mais sans froisser ; montrer de l’autorité, mais éviter à tout prix l’autoritarisme. Bref, naviguer entre des injonctions contradictoires mais toujours avec le sourire.
Avec le temps, j’ai appris à mieux gérer ces perceptions biaisées. Cela ne signifie pas que j’accepte ces stéréotypes, mais plutôt que je m’efforce de les contourner. Je crée des alliances, je m’appuie sur des résultats indéniables pour démontrer que l’autorité, quelle que soit la personne qui l’exerce, n’est pas forcément synonyme d’hostilité. Et que le respect en est, quoi qu’il en soit, la clé.
Dans cette société où tout s’accélère et où la stabilité semble fragile, trouver sa place est un défi. Il est donc crucial de mettre en mots ces expériences, pour sensibiliser chacun aux biais cognitifs qui influencent nos jugements et déconstruire les stéréotypes qui nous habitent (qu’ils soient liés au nom, au genre, à l’âge, au physique ou au handicap). Construisons un monde professionnel où les compétences et le leadership d’un individu sont jugés sur leur valeur intrinsèque, et non sur l’apparence ou les caractéristiques personnelles de ceux qui les incarnent.
LA PREMIÈRE FOIS
QU’UNE FEMME M’A DIT QUE
JE N’AVAIS PAS MA PLACE
Mamou Soukouna, consultante senior Capgemini Invent France
« Subir des biais sexistes de la part d’un homme est déjà difficile, mais recevoir ce type de commentaires d’une femme, c’est une double peine.»
Jeune apprentie dans le département CRM d’une société automobile, je venais à peine de commencer ma carrière, avec seulement quelques stages et petits boulots à mon actif. Dès le début, un malaise s’est installé dans cette équipe, où seules trois femmes sur 30 collaborateurs apportaient une perspective féminine. Ce sentiment de décalage m’a rattrapée et, malgré mes efforts pour m’intégrer, j’ai vite compris que les sujets abordés manquaient de défi. Après dix mois éprouvants, j’ai décidé de mettre fin à cette expérience pour me diriger vers les services financiers.
Lorsque j’ai annoncé mon départ, ma supérieure a remis en question mes aspirations professionnelles avec un mépris glaçant. Elle m’a dit que ce milieu n’était pas fait pour moi, que je ne trouverais jamais « ma place », à moins de me contenter d’un rôle d’accueil dans une banque. Ce qui aurait dû être une conversation constructive s’est transformée en une véritable attaque, marquée par des micro-agressions sexistes et même racistes.
Subir des biais sexistes de la part d’un homme est déjà difficile, mais recevoir ce type de commentaires d’une femme, c’est une double peine. C’est réaliser que je ne suis pas seule victime, mais que ces préjugés sont si profondément ancrés qu’ils sont perpétués par celles qui devraient être des alliées. Cette femme, en se soumettant à ces mécanismes, a révélé la dure réalité de la condition féminine dans notre société.
Aujourd’hui, je comprends l’importance de dénoncer, d’écrire, de laisser une trace de ces agressions. Nous devons sensibiliser, hommes et femmes, afin de déchiffrer ces biais et de lutter ensemble contre eux. Cet échange m’a profondément choquée, mais il a aussi réveillé en moi une envie ardente de réussir, de m’affirmer dans mes choix de carrière. Je refuse de rester à ma place, je veux m’imposer là où l’on ne m’attend pas, prouver que ma voix mérite d’être entendue et que ma place est ici, dans les espaces où les décisions se prennent.

MANQUE DE
MODÈLES
FÉMININS. Le manque de modèles féminins dans les postes de direction reste un problème majeur dans de nombreuses industries à travers le monde. Seulement 27 % des postes de direction dans le monde sont occupés par des femmes, un chiffre qui met en lumière l’important déséquilibre entre les sexes au sommet des entreprises. Cette sous-représentation des femmes dans les rôles de leadership a des répercussions profondes, notamment sur la capacité des jeunes femmes à se projeter dans des carrières de direction et à trouver des modèles de réussite auxquels elles peuvent s’identifier. Ainsi, 70 % des femmes en entreprise déclarent qu’il leur est plus difficile de visualiser leur propre réussite professionnelle en l’absence de femmes dans des rôles de leadership. C’est encore plus frappant dans le secteur du conseil, le manque de modèles féminins y créant un environnement où les jeunes consultantes peinent à s’imaginer dans de tels rôles. Une étude montre que 84 % des consultants masculins affirment avoir eu un mentor qui les a guidés tout au long de leur carrière, contre 56 % des femmes. Cela reflète un écart majeur dans le soutien perçu et dans les opportunités d’évolution professionnelle pour les femmes par rapport à leurs homologues masculins. Ce déficit de modèles féminins dans les postes à responsabilité renforce un cycle dans lequel les femmes ont moins d’inspiration pour s’impliquer dans des rôles de leadership, et entretient un terrain fertile à la reproduction des biais de genre. Cette absence de modèles visibles joue également un rôle clé dans l’autoperception des femmes, les amenant à douter de leurs capacités à atteindre des postes de direction, et réduit ainsi leur ambition.
POUR 70 % DES FEMMES IL EST PLUS DIFFICILE DE
VISUALISER LEUR
PROPRE RÉUSSITE
PROFESSIONNELLE
L’ABSENCE DE FEMMES DANS DES RÔLES DE LEADERSHIP

Pastor, vice-présidente Capgemini Invent France
« Je croyais qu’il fallait être forte et ignorer. »
Je me souviens de ce jour comme si c’était hier. Jeune diplômée, j’avais l’ambition, l’enthousiasme, et cette conviction naïve que le monde du conseil fonctionnerait comme je l’avais imaginé. Que mon engagement, mes idées, ma rigueur suffiraient à m’imposer. Le féminisme ? À cette époque, il n’était pas encore une évidence pour moi, mais il allait finir par devenir ma révolte silencieuse. Je suis entrée dans ce cabinet comme on entre dans un rêve, les yeux brillants, le cœur plein d’espoirs. Très vite, cette naïveté s’est heurtée à la réalité, à l’immensité de ce monde que je croyais égalitaire. Je n’étais pas consciente qu’on m’invitait à jouer un rôle qui n’était pas le mien. Je préférerais aujourd’hui ne pas avoir d’exemples à vous raconter, mais ils se bousculent. J’ai choisi les plus anodins, ceux qui se répètent dans l’indifférence et qui me semblent au final les plus difficiles à vaincre.
Je me souviens de ces réunions. Des hommes, des hommes, et encore des hommes. Et moi, là, comme une ombre, bien que mes livrables soient toujours salués. Le moindre de mes déplacements était une occasion pour certains de poser un regard insistant. Je les ressentais, mais je les ignorais, parce que c’était peut-être moi qui avais tort.
Il y a aussi eu ce jour où un homme, un sourire moqueur aux lèvres, m’a demandé : « Tu sais ce que ça veut dire callipyge ? » en fixant mon corps. Je n’ai pas compris tout de suite. Je suis restée figée, incapable de
répondre. Je croyais que je devais accepter. Je croyais qu’il fallait être forte et ignorer.
Je pense à un autre moment, tout aussi révélateur. Alors que je venais présenter un livrable avec le reste de l’équipe à mes côtés, je suis interpellée : « Tu peux aller chercher mon déjeuner ? », d’un ton qui ne laissait aucune place à la discussion. Mon collègue masculin fut alors désigné pour présenter. J’ai obéi. Chaque pas m’éloignait un peu plus de l’image de la jeune diplômée pleine de promesses que j’étais. Ce moment-là, je n’ai pas su comment y faire face. Aujourd’hui, encore, je me sens coupable d’avoir obéi.
Cette gifle de réalité fut une révélation. J’ai compris que l’ambition seule ne suffisait pas, que mes rêves de carrière ne me protégeraient pas d’un système profondément enraciné dans des stéréotypes. J’ai compris qu’en tant que femme, on attendait de moi un compromis pour effacer les humiliations discrètes.
Ce jour-là, quelque chose en moi a changé. Je ne pouvais plus être spectatrice. Aujourd’hui je m’engage à créer un environnement où ces comportements n’ont pas leur place. J’encourage les équipes, surtout les femmes, à refuser l’inacceptable et à revendiquer leur place avec force. Le progrès ne viendra pas d’un ajustement de posture, mais de l’audace de bousculer les attentes et de faire de l’égalité une évidence. Dans l’espace où nous évoluons, respect et égalité doivent être des normes, pas des idéaux.
LA PREMIÈRE FOIS
QUE J’AI PRÉFÉRÉ M’EFFACER
Solène Fila, directrice talent acquisition Capgemini Invent France
« Je dépose les gants. »
Dans ce monde, j’ai appris à être agile. Comme une boxeuse, il faut savoir esquiver, parader, frapper… ou encaisser. Parfois, malgré toute la préparation, on prend le coup de trop et tout s’effondre. Mon premier KO, c’était mon premier stage en entreprise. Je me souviens de mon stage à la direction des antennes d’une chaîne de télévision, censé être enrichissant, où j’étais chargée du lancement d’une émission littéraire. Mais le directeur des antennes, un homme particulier, m’avait assignée à un rôle de secrétaire, malgré mon stage en marketing. Le pire moment ? Entouré de collègues, il m’a regardée de haut en bas et a dit, fort et clairement, devant tout le monde, qu’il pouvait faire ce qu’il voulait de moi quand il le souhaiterait. J’ai pris le coup et je me suis tue. Mais en me relevant, j’ai compris qu’il y avait deux options pour l’avenir : être une victime ou ne plus jamais me laisser faire. J’ai choisi la deuxième. Je suis remontée sur le ring. D’autres combats ont suivi, me rappelant que le monde de l’entreprise peut être impitoyable.
Les plus récents ? Les remarques répétées sur mes tenues. Je portais fréquemment des chaussures à talons. Et à chaque fois, j’avais de petites remarques de la part de collègues masculins. Ces petites réflexions, isolées, sont quasi invisibles, quasi anodines. Mais
la répétition finit par ébranler. J’encaissais, sans réaliser à quel point ces petites piques me touchaient. Et puis, un jour, j’ai décidé que j’en avais assez. Impuissante seule à faire changer les choses, j’ai capitulé et je n’ai plus porté de talons. Ni de tenues jugées « trop féminines », « trop visibles », alors qu’il ne s’agit que de simples jupes ou robes. J’ai fini par opter pour l’uniforme « pantalons, jeans, baskets », pour éviter les remarques. Les critiques. Les regards. Devenir invisible. J’ai réalisé récemment qu’il me fallait de l’aide, pour retrouver confiance en moi. Une styliste m’a aidée à repartir de zéro, à me réapproprier ma silhouette et mes choix. Mais comment en sommes-nous arrivés là ?
Un autre exemple très actuel ? Les remarques répétées sur mes coiffures dans des réunions très formelles où je viens faire une simple présentation. On ne s’adresse pas à moi, on s’adresse à l’assemblée pour commenter ma coiffure. Je ris pour cacher ma gêne et l’incompréhension du moment. Fait-on des remarques aussi fréquentes sur la cravate, la coupe de cheveux ou la tenue des hommes ? Je ne crois pas. Je rêve d’un monde professionnel où chacun puisse se sentir libre d’être qui il veut, sans jugement. Qu’on dépose les gants. Et qu’on vive enfin sans avoir à se battre.

LE MANTERRUPTING. Les hommes interrompent 23 % plus souvent une collègue féminine qu’un collègue masculin. Ce phénomène, appelé manterrupting (contraction de man – « homme » – et interrupting – « interruption »), désigne le fait qu’une femme est coupée par un homme lorsqu’elle parle.
Bien que généralement inconscient, le manterrupting est un biais sexiste, une mauvaise habitude dont il faut se défaire. On le constate fréquemment en politique et en entreprise. Par exemple, des études montrent que les femmes sont interrompues deux fois plus souvent que les hommes lors de réunions professionnelles. De même, dans les conversations mixtes, les hommes sont responsables de 75 % des interruptions. Au global, dans une réunion, les hommes monopolisent 75 % du temps de parole.
Ce biais peut prendre deux formes : consciente ou inconsciente. Quand il est conscient et volontaire, le manterrupting est un acte de mépris et de condescendance. Quand il est inconscient et involontaire, il résulte d’un stéréotype de genre inhérent et installé, tout aussi néfaste. Par exemple, plus de 50 % des femmes déclarent avoir été fréquemment interrompues dans des réunions, par rapport à seulement 34 % des hommes. Les interruptions subies par les femmes sont souvent plus dominantes et moins coopératives. Plusieurs études mettent en exergue le fait que dès leur plus jeune âge, les garçons sont éduqués à se battre pour leurs idées, à s’affirmer et à se confronter aux autres, tandis que les filles sont éduquées à être compréhensives et à l’écoute. Ces différences d’éducation contribuent à la perpétuation des stéréotypes de genre et à des dynamiques de communication inégales en milieu professionnel.
DE PAROLE ET
manterrupting
FEMMES

QU’ON
« Le vrai problème, c’est quand l’apparence prime sur la compétence. »
La première fois où l’on m’a demandé de rentrer chez moi parce que je n’étais pas maquillée, je suis restée interloquée. Mon manager m’a scrutée un instant avant de lâcher, d’un ton aussi tranchant qu’une lame : « Tu as une sale tête aujourd’hui… Tu devrais peut-être rentrer chez toi. » Je suis restée là, hébétée, incapable de réagir sur le moment. Parce que quoi ? Parce que je n’étais pas « présentable » ? Pourtant, ce jour-là, j’étais prête à travailler, tout comme les autres jours. Oui, j’étais un peu fatiguée, mais qui ne l’est pas de temps en temps ? Mais visiblement, ma légitimité à être là, à travailler, dépendait de ce que je portais sur mon visage. Ce jour-là, mon naturel est devenu une transgression. Il m’a fallu du temps pour comprendre que ce n’était pas tant mon visage qui les dérangeait, mais la notion même que je puisse être là, sans fard, sans masque.
Le vrai problème, c’est quand l’apparence prime sur la compétence. Ce n’est pas mon expertise, ma capacité à travailler, à apporter des résultats qui comptent, mais le fait que j’aie l’air « correcte ». Que je rentre dans le moule. Une autre fois, un collègue m’a demandé pourquoi je ne portais pas de jupe. Comme si mes choix vestimentaires avaient quelque chose à voir avec ma capacité à faire mon travail. Ces remarques, parfois déguisées en conseils, perpétuent un système où les femmes sont prisonnières de normes oppressives. Là où les hommes sont jugés sur leurs résultats, les femmes, elles, doivent cumuler performance et esthétique.
Ce qui est encore plus douloureux, c’est lorsque ces remarques viennent d’autres femmes. On nous a dit que, ensemble, nous pourrions tout changer. Et pourtant, ce sont parfois nos consœurs qui nous rappellent ces normes. Ce n’est pas la rivalité naturelle entre femmes qui est à l’œuvre ici, mais bien un conditionnement social.
Ce conditionnement est d’autant plus insidieux quand il touche à l’estime de soi. Les femmes, constamment soumises à ce regard extérieur, se retrouvent souvent à chercher la perfection, à tout contrôler : leur apparence, leur comportement, leurs résultats. Parce que le moindre faux-pas, le moindre écart par rapport à la norme peut signifier la fin de leur crédibilité. Cela engendre des troubles du perfectionnisme, un isolement émotionnel, une distance avec les autres, parce que le risque de ne pas être à la hauteur est omniprésent. On devient plus exigeante envers soi-même, mais aussi plus dure, pour masquer la peur d’être jugée.
Nous devons combattre ces injonctions. Ce regard qui nous renvoie sans cesse à notre apparence plutôt qu’à notre intelligence. Mais cette bataille n’est pas simple. Et je ne cesserai de me battre pour que chaque femme, sans exception, puisse se présenter au travail avec ou sans maquillage, avec ou sans jupe, et qu’elle soit respectée pour ses compétences et non pour ce qu’elle représente visuellement.
LA PREMIÈRE FOIS
DÛ ME CONVAINCRE
QUE JE MÉRITAIS VRAIMENT MA PROMOTION
Charlotte Noël, vice-présidente Capgemini Invent France
« Finalement, il aurait suffi que je me présente en disant : “Bonjour, je suis une femme, et donc je mérite ma promotion.” »
La première graine a été plantée quelques années auparavant, lors de mon oral pour le grade de directrice. Après mon pitch, un partner membre du jury, avec un sourire en coin, m’avait lancé, sur un ton mi-taquin, mi-sérieux : « Mais est-ce que tu sais faire du business sans lui ? », en me désignant le VP autour de la table avec qui je travaillais de près. La question était pertinente et j’avais répondu sur-le-champ, sans hésiter : « Mais c’est lui qui ne sait pas faire du business sans moi ! » Je le pensais sincèrement. Certes, j’avais eu la chance d’avoir un mentor exceptionnel qui m’avait guidée et placée sur les bons projets. Mais j’étais convaincue que, si le succès était là, c’était aussi grâce à moi. Parce qu’au fond, j’avais bossé pour ça.
Quelques années plus tard, alors que je m’apprêtais à entamer un nouveau cycle de promotion, une phrase revenait comme une douce mélodie : « Tu es une femme, la promotion VP pour toi, c’est déjà gagné. » J’ai toujours trouvé cette idée étrange. Moi, je n’ai jamais pensé que ça allait de soi. Bien au contraire. Sérieuse et appliquée, j’ai suivi les neuf mois du processus avec un sérieux absolu, en plein Covid, quand notre cabinet perdait une grande partie de son activité, notamment dans le secteur aéronautique sur lequel j’avais misé.
Et puis, la promotion est arrivée. J’étais bien sûr heureuse mais ma joie n’était pas pure. J’ai commencé à dire autour de moi
que « j’[avais] eu beaucoup de chance », que « j’[avais] été favorisée », qu’« on m’[avait] énormément poussée », que « j’[avais] eu de super mentors », comme si, d’un coup, tout ce que j’avais fait, tout ce pour quoi j’avais bossé, était mis de côté. Comme si je devais tout à cette chance, à ce soutien, pour que personne ne se demande si je le méritais vraiment.
Et moi, là-dedans, j’ai fini par me questionner et oublier les 11 années de boulot acharné : les propositions rédigées jusqu’à pas d’heure, les missions arrachées avec les dents pendant la crise, les discussions sans fin avec les clients pour défendre nos positions, les répétitions de soutenance jusqu’au dernier moment, les rêves peuplés de formules Excel, les heures passées à motiver des équipes épuisées alors que nous avions tous envie de baisser les bras… Comme si tout cela n’avait jamais existé. Comme si c’était facile. J’avais fini par me dire que, finalement, il aurait suffi que je me présente en disant : « Bonjour, je suis une femme, et donc je mérite ma promotion », et tout aurait été réglé. Comme ça.
Puis quelques semaines plus tard, lors d’un entretien de recrutement, je racontais mon parcours, ma promotion. Et là, le candidat m’a répondu : « Oui, enfin, vous le méritez, c’est tout. » Comme si c’était une évidence. J’ai eu un petit déclic. Ah oui, tiens, j’avais oublié… C’est vrai, je l’avais mérité, non ?

EXCLUSION DES RÉSEAUX INFORMELS. Les hommes bénéficient souvent davantage des réseaux informels de décision auxquels les femmes ont moins accès. Ces réseaux informels, souvent basés sur des interactions sociales informelles comme les déjeuners, les événements après le travail, ou des activités sportives par exemple, sont des espaces où se prennent des décisions cruciales pour les carrières. Les femmes, souvent sous-représentées dans ces environnements, se retrouvent exclues de ces opportunités de networking , créant ainsi une inégalité d’accès aux informations et aux soutiens nécessaires pour progresser dans l’entreprise. Une étude montre que 50 % des dirigeants masculins bénéficient de conseils et du soutien de leurs collègues pour progresser vers les postes de direction. En revanche, seulement 15 % des femmes ont accès à un réseau solide offrant le même type de soutien. Ce fossé en termes de mentorat et de parrainage est particulièrement marqué dans certains secteurs. Par exemple, dans les cabinets de conseil, où les réseaux informels jouent un rôle crucial, il est 38 % plus probable que les hommes bénéficient de ces opportunités de mentorat informel que les femmes. Ces réseaux de soutien, souvent non officiels, offrent des informations stratégiques, des opportunités de projets majeurs et des conseils sur la gestion de carrière, des éléments qui sont essentiels pour gravir les échelons hiérarchiques.
Le manque d’accès aux réseaux informels de mentorat et de parrainage pour les femmes se traduit par un nombre réduit d’opportunités de projets de grande envergure ou de responsabilités de gestion. Dans une étude, 63 % des hommes déclarent que leur carrière a été propulsée grâce à des recommandations informelles et des mentors, contre 39 % des femmes. Non seulement cette inégalité d’accès à ces réseaux ralentit la progression des femmes vers des rôles de leadership, mais elle peut également renforcer la perception qu’elles ne sont pas aussi bien connectées ou aptes à diriger. Des événements sociaux informels, comme les dîners après le travail ou les voyages d’affaires, sont souvent des occasions où les hommes peuvent nouer des relations plus solides avec leurs collègues et supérieurs, influençant ainsi la prise de décision. Une étude indique que 47 % des hommes dans des postes de direction affirment que des discussions informelles dans ces contextes ont joué un rôle clé dans leur ascension professionnelle. En revanche, seulement 25 % des femmes partagent cette expérience, ce qui met en évidence l’écart d’accès aux réseaux influents et l’impact de cet écart sur leurs opportunités professionnelles.
Les réseaux informels dans les entreprises favorisent souvent les hommes, leur offrant des opportunités d’avancement que les femmes n’ont pas toujours la chance de saisir. L’exclusion des femmes de ces cercles décisionnels non officiels contribue à ralentir leur progression vers des postes de direction et à maintenir des inégalités de genre au sein des entreprises.
exclusion
63 % DES HOMMES DÉCLARENT QUE LEUR CARRIÈRE A ÉTÉ PROPULSÉE GRÂCE À DES RECOMMANDATIONS INFORMELLES ET DES MENTORS, CONTRE 39 % DES FEMMES exclusion

QUE L’ON M’A QUALIFIÉE DE « BOSSY »
Yasmina Boukhari, executive vice-présidente Capgemini Invent France
« Tu as été promue pour améliorer l’indicateur gender balance du groupe. »
Je me souviens, comme si c’était hier, de la première fois où l’on m’a qualifiée de « bossy » à l’issue d’une réunion tumultueuse. Stupéfaite, je suis restée sans voix et, par réflexe, je me suis remise en question : avais-je été trop directive, autoritaire, voire agressive ? Avais-je manqué de respect aux participants de la réunion ?
Rapidement, la lumière s’est faite en moi : ni directive, autoritaire ou irrespectueuse, j’avais, au contraire, manifesté un leadership certain, permettant ainsi à la réunion d’atteindre ses objectifs.
Comment se fait-il qu’« exercer un leadership » se transforme en « être bossy » lorsqu’il s’agit d’une femme ?
Depuis cette première fois, ce terme de bossy m’a été lancé des centaines de fois. Mais à chaque occurrence, j’offre cette même réponse avec sérénité et une pointe de sarcasme : si j’étais un homme, m’aurait-on traité de « bossy » ou aurait-on vanté mes qualités de leadership ?
Cette réponse surprend et dérange pour plusieurs raisons : je rétorque avec aplomb et conviction. Je demeure sereine, évitant ainsi de paraître « hystérique » – le féminin de « avoir du caractère ». Je mets en lumière un biais de genre flagrant devant toute l’assemblée, qu’il lui est difficile de réfuter.
De plus, mon leadership, avéré et reconnu depuis des années, est mis au service de la réussite collective et non de mon propre intérêt.
Échec et mat !
Quel chemin ardu et semé d’embûches pour en arriver là ! Et même aujourd’hui, de telles remarques me touchent encore, bien que j’aie appris à paraître impassible.
Si seulement ces biais quotidiens se limitaient au mot bossy. Malheureusement, ce n’est pas le cas ! La première fois qu’on m’a dit clairement : « Tu as été promue pour améliorer l’indicateur gender balance du groupe », la qualité de mon travail et mes nombreuses réussites n’ont pas effleuré l’esprit de mes interlocuteurs.
Heureusement, un changement de paradigme se dessine dans le milieu professionnel, et les auteurs de ces actes ne sont plus majoritaires.
À présent, le défi qui nous attend est de convaincre les femmes talentueuses autour de nous d’oser, de se rebeller et de refuser ces biais bien ancrés.
Mesdames, vos réussites et vos résultats parlent pour vous ! Ne laissez personne –pas même votre voix intérieure – vous faire douter de ce que vous pouvez accomplir.

QUE J’AI PRIS CONSCIENCE DU PLAFOND DE VERRE
Alexandre Lapene, directeur senior Capgemini Invent France
« C’est la première fois que je ressentais avec autant d’empathie ce que pouvait être, pour une femme, le “plafond de verre”. »
Il y a quelques années, on m’a proposé d’être mentor au sein du réseau de promotion de la mixité. J’ai saisi cette opportunité, car c’était pour moi un moyen concret d’agir pour accompagner de jeunes femmes dans leur carrière. J’avais cependant une certaine appréhension quant à la posture que je devais adopter. Comment ne pas être encore l’homme qui vient expliquer à une femme ce qu’elle doit faire et ainsi entretenir l’édifice paternaliste ? J’ai été formé, j’ai lu, mais j’ai aussi pris conseil auprès de collègues femmes, elles-mêmes mentors.
Ma première « mentorée » était une collègue brillante, passionnée par son travail et avec déjà un parcours très solide. Nous n’avons pas discuté de blagues lourdes et sexistes qu’elle aurait subies, de manque de considération ou de respect, ou bien de discrimination. C’est pourtant ce à quoi je m’étais préparé. Nous avons « simplement » parlé de ses aspirations de promotion. Elle commençait à s’ennuyer dans son poste et voulait candidater à un poste de manager. Factuellement, elle avait l’expérience et les compétences nécessaires. Elle réalisait d’ailleurs beaucoup de tâches de management sans que cela soit réellement valorisé par sa hiérarchie. Mon rôle s’est presque limité à l’encourager : « Vas-y ! », « Pourquoi ne prends-tu pas un rendez-vous pour discuter du poste ? », « Que risques-tu à essayer ? » Là où un homme avec la moitié de ses qualités et de son expérience aurait déjà survendu son CV pour une demi-douzaine
de postes, elle doutait, ne se sentait pas totalement légitime.
C’est la première fois que je ressentais avec autant d’empathie ce que pouvait être au quotidien, pour une femme, le « plafond de verre », et surtout la complexité de ses racines. On pense souvent aux discriminations, à l’exclusion, aux stéréotypes et préjugés, aux politiques et à la culture d’entreprise, ainsi qu’à la segmentation du marché du travail, qui sont des causes évidentes et assez bien connues aujourd’hui. On pense moins souvent aux biais inconscients, du moins c’était mon cas à ce moment-là. Par exemple, les études montrent que les femmes ont tendance à ne se porter candidates à des postes que si elles remplissent l’ensemble des critères de qualification, alors qu’un homme se contentera de quelques-uns.
Le cerveau humain est une machine formidable qui a su mettre en place des raccourcis cognitifs permettant d’accélérer la prise de décision et le traitement d’importantes quantités d’information. Certains de ces mécanismes cognitifs sont essentiels à la survie. Ils sont construits sur le vécu ou bien véhiculés et entretenus par la société. D’autres sont néfastes et expliquent, en partie, la réaction de ma mentorée. Ces biais inconscients font partie de nous, de la société. Personne n’en est immunisé, et en être conscient est la première étape avant l’action.
ATTRIBUTION DES SUCCÈS. Le biais d’attribution est un phénomène psychologique qui a des implications importantes dans le monde du travail, notamment en ce qui concerne la façon dont les succès des femmes et des hommes sont perçus. En général, les réussites des femmes sont souvent attribuées à des facteurs externes, comme la chance ou l’aide de collègues, tandis que les succès des hommes sont fréquemment interprétés comme le résultat de leur propre compétence ou de leur capacité. Ce biais de genre influence non seulement la manière dont les femmes sont perçues, mais aussi la reconnaissance de leur travail et leurs opportunités professionnelles. Une étude a examiné la manière dont les succès des femmes et des hommes étaient attribués dans un environnement professionnel. Les résultats ont montré que les femmes étaient 45 % plus susceptibles que les hommes de voir leur réussite attribuée à des facteurs externes, comme la chance, le timing ou l’aide d’autrui. En revanche, les hommes étaient perçus comme étant davantage responsables de leurs succès, qui étaient attribués à leurs compétences, leur expertise ou leur leadership. 61 % des femmes déclarent que leurs réussites professionnelles sont souvent minimisées, et que l’on attribue leurs réalisations à des facteurs comme l’aide d’autres personnes, plutôt qu’à leur propre performance. Cette tendance est encore plus marquée dans des secteurs dominés par les hommes, comme la finance ou le secteur technologique, où les femmes sont systématiquement sous-évaluées par rapport à leurs homologues masculins. Le biais d’attribution a des conséquences considérables sur les carrières des femmes. Lorsqu’elles ne sont pas perçues comme étant responsables de leurs succès, elles ont moins de chances d’être reconnues comme des leaders compétents. Ce manque de reconnaissance peut affecter leur motivation, leur perception de leur potentiel et leur ambition professionnelle.
61 % DES FEMMES DÉCLARENT QUE LEURS RÉUSSITES
PROFESSIONNELLES SONT SOUVENT MINIMISÉES reconnaissance
PARCE QUE LES BIAIS DE GENRE EXISTENT PARTOUT, DANS TOUS LES SECTEURS D’ACTIVITÉ ET DANS TOUTES LES ENTREPRISES, NOUS AVONS SOUHAITÉ
DONNER LA PAROLE À NATHALIE BOY DE LA TOUR, AU PARCOURS INSPIRANT ET À LA DÉTERMINATION AFFIRMÉE.
Nathalie Boy de la Tour, ancienne présidente de la Ligue de football professionnel, serial entrepreneuse, board member, co-fondatrice de LeadHers.
J’ai débuté ma carrière professionnelle chez Bossard Consultants (ex-Capgemini Invent) et y ai passé dix années extrêmement riches et formatrices. Promue manager alors que j’étais enceinte et sans que ce soit un sujet, j’y ai rencontré des personnes exceptionnelles (y compris mon mari !), qui m’ont guidée et fait confiance.
À l’arrivée de mon premier fils, j’ai douté fortement de mes capacités à pouvoir concilier vie professionnelle exigeante et vie personnelle : j’ai démissionné. J’aurais eu besoin d’exemples féminins au plus haut niveau. Replaçons-nous 30 ans en arrière : le concept de « charge mentale » était inconnu, les réunions pouvaient être fixées dès 7 h et si vous partiez à 19 h on vous demandait si vous preniez votre demi-journée. Faute d’ordinateurs, d’Internet et de téléphones portables, nous n’avions pas de flexibilité pour nous organiser.
À 30 ans, je prends la direction générale d’une agence digitale de 150 personnes. Le président de l’époque m’accueille chaleureusement tout en me demandant de ne pas tomber enceinte dans les trois prochaines années, et de « faire évoluer ma tenue vestimentaire » (visiblement l’uniforme tailleur noir qui avait été le mien pendant toutes ces années pour asseoir ma légitimité n’était pas le bienvenu dans cet univers ; depuis je m’autorise beaucoup plus de liberté et peux très bien présider une réunion en jean et chaussures à paillettes !).
Je me lance ensuite dans la voie entrepreneuriale, pensant naïvement pouvoir y être davantage maîtresse de mon temps. J’arrive dans le monde du football en créant un salon, le revends et enchaîne en dirigeant le Fondaction du Football. Je suis très bien accueillie dans cet univers historiquement masculin et arrive à y faire ma place, jusqu’à être la première femme élue au conseil d’administration de la Ligue de football professionnel et à en prendre la présidence de 2016 à 2020.
Et c’est à ce poste éminemment exposé et convoité que je prends conscience, pour la première fois, de l’absence de femmes et des difficultés qui sont les nôtres. J’avais tout simplement, durant toutes ces années, intégré et fait miens les codes masculins. Je n’avais pas vu (ou voulu voir ?) que j’avais travaillé plus que la moyenne, enchaîné les doubles journées, encaissé de multiples petites humiliations, qu’il m’était difficile de me faire entendre en réunion sans que l’on me coupe plusieurs fois la parole, que des propos que j’avais énoncés étaient repris par un homme qui s’en attribuait la paternité, que certains médias faisaient preuve d’une misogynie éhontée à mon égard, que les insultes personnelles florissaient sur les réseaux sociaux, que j’avais avalé des couleuvres en matière de rémunération, accepté des remarques désobligeantes voire sexistes… et peut-être le pire, subi la perfidie de la « misogynie bienveillante » de quelques-uns qui accumulent les stéréotypes de genre et vous donnent de bons conseils en vous recommandant de ne pas hausser la voix en réunion sous peine de passer pour une « hystérique » ou une « maîtresse d’école » !
Quand vous êtes la seule femme dans un conseil d’administration de 25 membres, il y a un problème. Quoi qu’on en dise. Vous êtes une exception et votre singularité ne peut être valorisée. Des études scientifiques ont d’ailleurs démontré que pour être entendu, un groupe social doit représenter a minima un tiers des participants. Je crois en l’intelligence collective et en un féminisme revendiqué mais apaisé. Je crois aussi au devoir de transmission. C’est pourquoi aujourd’hui, en plus de siéger dans des conseils d’administration, j’ai co-créé LeadHers, un réseau européen soutenant les femmes dirigeantes. Heureusement, les choses évoluent, et le simple fait de pouvoir réaliser un tel livre en est une belle illustration. Continuons à être vigilants et à avancer sur le chemin de l’égalité.

LA PREMIÈRE FOIS
QU’UNE FEMME M’A DISCRÉDITÉE
EN RAISON DE MON GENRE
Maud Soubelet, directrice Capgemini Invent France
« Comme si la société ne nous accordait le droit d’exercer un poste à responsabilité que pendant une tranche d’âge très réduite. »
Dès le début de ma carrière, j’ai été confrontée à des situations malheureusement encore classiques pour les femmes dans le milieu professionnel. Des biais, du sexisme, des suppositions, des blagues… Ces choses-là s’illustrent de mille manières au travail. Un représentant politique, un client, un partenaire… qui s’adresse spontanément à mon stagiaire (un homme) plutôt qu’à moi. Ou entrer dans une pièce entièrement masculine et être prise pour une secrétaire ou une assistante. Comme si la société ne nous accordait le droit d’exercer un poste à responsabilité que pendant une tranche d’âge très réduite ; avant : impossible, après : inimaginable. J’ai également reçu des commentaires déplacés sous couvert d’humour – j’ai ici le souvenir très vivace de la remarque d’un sénateur entrant dans mon bureau et me trouvant en train d’éponger un verre d’eau tombé au sol : « Eh bien Soubelet, on passe déjà sous le bureau ? »
Pourtant, ce qui m’a le plus marquée en tant que femme, c’est tout ce que nous internalisons comme étant la norme, au point d’en devenir nous-mêmes dépositaires.
Après quelques premières expériences dans le milieu politique, j’ai eu l’occasion de travailler plusieurs fois pour des entreprises de la tech, avec, notamment, des équipes techniques. Je ne possède pas de formation scientifique ou technique, mais plutôt littéraire et politique, cependant j’apprécie de pouvoir connecter le meilleur des deux mondes et j’ai toujours exercé des postes
qui impliquaient d’amener à collaborer des profils très spécialisés, chercheurs, data scientists , développeurs, médecins, juristes, designers… Cela me passionne. À l’époque, je travaillais avec l’un de mes collègues – excellent diplôme d’ingénieur, carrière brillante dans la data , fin de trentaine ; nous pilotions un projet en commun, qui exigeait ce type de complémentarité. Nous le dirigions et en étions responsables à deux, en binôme, et pourtant, la directrice de l’époque ne s’adressait qu’à mon collègue. Lorsqu’elle donnait des consignes par mail, ils lui étaient destinés. Lorsqu’elle demandait un état d’avancement, lorsqu’elle voulait un avis, elle se tournait vers lui. Je n’étais jamais dans les boucles. J’étais plus jeune de quelques années, sans bagage technique et femme.
J’ai dû gérer des politiques acariâtres, des clients agressifs, des cas RH difficiles… et pourtant cela a été l’une de mes expériences les plus compliquées : devoir formuler à une femme – jeune, moderne, inspirante, ellemême ayant souffert d’un milieu de la tech extrêmement masculin – qu’elle agissait avec sexisme. La pire réunion de toute ma carrière…
… et pourtant l’une des plus essentielles ! Si nous souhaitons progresser collectivement sur ces questions, nous devons toutes et tous nous interroger avec humilité sur nos comportements inconscients du quotidien et créer un espace de confiance dans lequel les autres se sentent autorisés à nous en parler.

COMMENTAIRES SUR L’APPARENCE OU LE COMPORTEMENT. Les femmes sont souvent confrontées à des commentaires sur leur apparence physique, leur tenue vestimentaire ou leur comportement, qui détournent l’attention de leurs compétences et de leur expertise.
Ces remarques, qu’elles concernent le maquillage, la coiffure ou la manière de se comporter, sont courantes dans les milieux professionnels et peuvent être perçues comme des distractions par rapport à leur travail. Une étude menée en 2021 a révélé que 46 % des femmes déclaraient être jugées sur leur apparence au travail, ce qui nuit à leur crédibilité. Ce traitement contribue à renforcer des stéréotypes sexistes et à réduire la reconnaissance de leurs compétences. Ce biais de genre a un impact direct sur la carrière des femmes. En étant régulièrement associées à des commentaires superficiels, elles sont parfois considérées comme moins compétentes, mais ces remarques peuvent surtout rapidement les faire douter sur leur considération et ce pour quoi elles sont jugées. Cela peut entraîner du stress et une perte de confiance en soi, entravant ainsi leur progression professionnelle.
Une autre étude a montré que les femmes perçues comme « trop féminines » rencontraient davantage de difficultés à être prises au sérieux dans des postes de direction. Pour contrer ces biais, il est essentiel de sensibiliser les individus aux effets de ces jugements et de promouvoir des environnements où les femmes sont évaluées sur leurs compétences, et non sur leur apparence.
apparence
46 % DES FEMMES DÉCLARENT ÊTRE JUGÉES SUR LEUR APPARENCE AU TRAVAIL

QUE J’AI PRIS CONSCIENCE DU TABOU DU SEXISME EN ENTREPRISE
« Parfois, il suffit de parler, de nommer les choses pour qu’elles cessent d’être invisibles. »
« Tu sais, ça fait un moment que je me dis qu’il y a quelque chose qui me gêne dans l’ambiance de ces réunions, je n’avais jamais osé poser les mots dessus, mais plus j’y pense plus je suis convaincue que c’est de la misogynie. »
Ce fut la réaction de ma manager quand je lui avais confié mon malaise après avoir assisté à quelques comités clients. Avec le recul, je comprends qu’elle m’a fait prendre conscience que le sexisme au travail, c’est un peu comme un tabou, quelque chose dont on n’ose pas parler, même quand il saute aux yeux. Même s’il est bien là, presque omniprésent, à peine caché, comme un mauvais esprit d’un temps révolu, qui revient en permanence sous une forme différente.
Cette expérience m’a ouvert les yeux sur les multiples visages du sexisme dans le milieu professionnel. L’organisation pour laquelle nous intervenions était dirigée par une femme qui, pour affirmer sa légitimité, semblait avoir intégré tous les biais de genre associés au pouvoir. Elle adoptait une posture autoritaire, parfois même cassante, comme pour prouver qu’elle était à la hauteur. Autour d’elle, l’atmosphère devenait celle d’une cour, avec tout ce que cela implique de non-dits.
Témoin privilégié de ces réunions, je vivais chaque semaine ce spectacle sidérant. Un spectacle où en surface tout semblait normal, et pourtant… Il s’y rejouait à chaque fois la même humiliation destructrice envers les femmes de l’assemblée. Parfois
très directe, généralement plus sournoise. Comme ce jour où un secrétaire général a rabaissé une de ses collaboratrices avec une remarque sur son attitude supposée « aguicheuse ». Ce qui m’a vraiment frappé, c’est l’attitude générale qui s’était installée. Un système tacite, mais bien en place. Dans cette ambiance, chaque prise de parole d’une femme était accueillie par des yeux levés au ciel, des sourires condescendants, des interruptions incessantes ou des silences lourds en fin d’intervention. Comme si, par automatisme, les femmes n’avaient pas droit à la même attention, au même respect, à la même écoute.
Petit à petit, cela a créé une compétition entre elles, une sorte de guerre silencieuse pour éviter d’être la cible suivante, pour se protéger, par instinct de survie. Et chez certaines, un mal-être grandissant s’est installé, une perte de confiance qui s’est fait sentir, malgré leur formation, leur expertise et leurs expériences indéniables.
C’est en participant à la fresque du sexisme que j’ai pu mettre des mots sur ce que j’observais. Une première prise de conscience a été de reconnaître ces situations de sexisme pour ce qu’elles sont vraiment. Ce n’est pas toujours facile de ne pas détourner les yeux, de ne pas se dire que ce n’est « qu’un incident », que ça ne vaut pas la peine d’en parler. Mais non, il est important d’identifier ces situations. Et puis, une fois qu’on les reconnaît, il y a un deuxième enjeu : oser agir. Parfois, il suffit de parler, de nommer les choses pour qu’elles cessent d’être invisibles.
COMMUNICATION ET EXPRESSION. Les différences de mode de communication entre les femmes et les hommes en entreprise sont des biais de genre souvent sousestimés, mais qui influencent significativement la manière dont les contributions sont perçues et reconnues. En général, les hommes sont encouragés à adopter une communication assertive, directe, et parfois compétitive, ce qui est souvent vu comme un signe de leadership et de confiance en soi. À l’inverse, les femmes, en raison des attentes sociales et professionnelles qui pèsent sur elles, sont parfois incitées à adopter un ton plus conciliant, coopératif et empathique. Ce biais de genre influence non seulement la façon dont elles s’expriment, mais aussi la façon dont leurs idées sont perçues et évaluées. 68 % des hommes en entreprise considèrent que la communication directe est essentielle à l’efficacité professionnelle, tandis que les femmes sont souvent jugées plus compétentes lorsque leur communication inclut de l’empathie et des nuances. Cependant, ces caractéristiques perçues comme positives peuvent, paradoxalement, limiter leur ascension professionnelle. Par exemple, lorsqu’une femme adopte un ton plus affirmé, son comportement est fréquemment perçu comme « autoritaire » ou « agressif », des termes rarement utilisés pour décrire un homme dans la même situation. Ce phénomène est particulièrement marqué dans les environnements de travail très compétitifs, comme dans le secteur du conseil ou de la finance, où 74 % des femmes affirment que leur style de communication est souvent perçu comme moins adapté aux attentes.
Cette disparité dans les attentes de communication conduit à un phénomène de sous-estimation des contributions des femmes. Lors des réunions, les idées des femmes sont parfois ignorées, puis reprises plus tard par un homme. 42 % des femmes ont déjà vécu une situation où leurs idées ont été reprises après avoir été ignorées lors d’une réunion. Ce biais entraîne une minimisation des contributions féminines et bien souvent les décourage à avoir une participation active dans les réunions. Les femmes sont aussi plus susceptibles de prendre à cœur des sujets et d’exprimer des émotions, ce qui peut parfois être perçu comme un signe de manque de professionnalisme ou de compétence, alors que cela ne diminue en rien leur aptitude à diriger ou à prendre des décisions. 35 % des femmes déclarent avoir été jugées comme moins compétentes ou trop émotionnelles dans des situations où elles ont exprimé leurs sentiments, contre seulement 15 % des hommes. Par ailleurs, lorsque les femmes montrent des signes de vulnérabilité, elles sont souvent qualifiées de « trop sensibles » ou de « pas assez solides » alors que c’est davantage lié à un trait génétique et que cela n’enlève rien à leurs compétences et à leur force de caractère.
LA PREMIÈRE FOIS
QUE JE ME SUIS HEURTÉE À L’INDIFFÉRENCE APRÈS AVOIR OSÉ DÉNONCER
Natacha Rasovic, assistante de direction Capgemini Invent France
« Elle ne peut pas comprendre, elle n’est qu’assistante. »
Je suis assistante depuis 20 ans maintenant, un métier qui me plaît vraiment, tant dans les missions que sur le plan humain.
Cependant, pour commencer, je souhaite partager mon histoire pour rappeler que le harcèlement au travail est un fléau encore existant, qui touche femmes et hommes, et rappeler toute l’importance d’en parler et de ne surtout pas le banaliser.
Avant de rejoindre récemment Capgemini, j’ai réalisé toute ma carrière en ministère, avec beaucoup de bonheur, jusqu’à ce nouveau chef. Les premiers mois se sont bien passés, mais peu à peu, son comportement a changé. De propos dégradants en avances clairement formulées, j’ai pris sur moi et j’ai poliment décliné. Ce refus a marqué le début d’un harcèlement quotidien : des remarques sur mon travail, des reproches sur mon attitude jugée désagréable et peu efficace, etc. J’ai donc décidé d’en parler aux ressources humaines, mais on m’a répondu qu’il était connu pour être difficile et qu’en tant qu’assistante, je devais m’adapter. J’étais abasourdie, blessée, me sentant seule et impuissante. J’ai insisté car j’avais conscience que je ne méritais pas de subir un tel traitement au travail. Bien qu’il ait fini par recevoir un mail de rappel de la DRH, rien n’était mentionné sur ses propos ou son comportement sexiste à mon égard.
La DRH a clôturé par : « Vous avez de la chance d’avoir un beau physique, ne vous en plaignez pas ! Au contraire, soyez flattée. » Cela m’a extrêmement choquée.
Bien que ces cas de harcèlement restent, je l’espère, exceptionnels, les biais de genre du quotidien, eux, persistent bien. Mon métier d’assistante peut être parfois dévalorisé. Et le fait d’être assistante et femme n’est pas toujours le meilleur combo. Lors de conversations, j’entends des remarques du genre « elle ne peut pas comprendre, elle n’est qu’assistante » ou encore « elle est assistante, elle n’a pas fait l’ENA ! », sous-entendu « n’attends pas trop d’elle ». Lors de réunions, mon avis n’est jamais demandé alors que lorsqu’un collègue masculin prend la parole, avec une idée qui aurait été semblable à la mienne, il est écouté plus attentivement et ses propos sont pris au sérieux, comme si son avis comptait plus que le mien. Cela me donne l’impression que mes contributions sont considérées comme secondaires, comme si je n’étais pas capable d’avoir d’autres compétences que celles consistant à organiser et gérer les détails.
Le vécu d’une femme face à cette réalité est souvent marqué par la peur de ne pas être entendue, crue ou même soutenue et je pense qu’il est important de briser le silence et de ne pas avoir honte d’en parler.


QUE J’AI RÉALISÉ QUE LA PARTIE
N’ÉTAIT PAS ENCORE GAGNÉE
Mathilde Testard, directrice senior groupe Capgemini
« Pouvez-vous parler plus fort ? »
J’ai été recrutée par des hommes qui m’ont donné envie de faire ce métier, et ce sont des femmes qui ont influencé la façon dont je le fais. Merci à elles et à eux.
En dix ans de conseil, des situations d’inégalités de genre, j’en ai vues ou vécues cent. Qu’elles soient inconscientes, subtiles ou évidentes. J’ai rencontré ceux qui imaginent que le conseil est un « métier d’hommes », que les femmes savent faire deux choses à la fois (pour un petit peu moins), que la parité bride la courtoisie.
La scène la plus révoltante que j’ai vécue est aussi d’une grande banalité, celle d’un homme qui détourne le regard lorsqu’une femme prend la parole. À chaque fois, je ressens la même sensation, celle que cet homme nous fait tous collectivement faire un bond en arrière, réduisant à néant la modernité des relations hommes-femmes. Et je pense alors à l’énergie qu’il nous faudra à tous déployer pour réparer cet impair et revenir à une situation de parité. Il y a les fois en réunion où combien m’ont dit « pouvez-vous parler plus fort ? ». À l’évidence pas naturellement, mais le système me l’a appris.
Il y a aussi le moment des promotions, où combien m’ont ramenée à mon genre malgré ma performance… La potentielle discrimination positive est bien bruyante, lorsque la discrimination négative est très silencieuse.
Et il y a les demi-tours. Les situations qui me pincent le cœur parce qu’elles empêchent. Les situations où je ne me suis pas sentie légitime. Celles où j’ai vu dans le regard des autres que le genre comptait. Lors de ma première participation au tournoi de tennis annuel des VP(SD), j’ai constaté que j’étais une des deux seules participantes sur 50. Gagner une partie était un acte militant. Ces comportements me paraissent d’autant plus absurdes que notre métier est véritablement tourné vers l’avenir. Nous employons notre énergie à concrétiser des futurs. Et nous savons que la parité est source de performance.
Faire vivre la parité dans des environnements multiculturels est un défi encore plus grand. Ayant vécu et travaillé à l’étranger, je me suis plusieurs fois interrogée sur la réaction de certains hommes. Chaque culture a ses codes et son rapport à l’égalité des genres.
La meilleure défense, c’est… Non ! Je suis convaincue que la meilleure défense est celle qui n’est plus nécessaire. Il est temps que nous nous retrouvions et que notre société s’apaise.
La parité n’est pas seulement un objectif ou une « affaire de femmes », c’est une mélodie que nous composons ensemble, ajustant chaque fausse note jusqu’à ce que l’harmonie résonne.
BIAIS DE GENRE DANS L’ÉDUCATION. Les biais de genre en entreprise ne se forment pas uniquement dans les milieux professionnels, mais trouvent souvent leurs racines dans des influences culturelles et éducatives dès l’enfance. Les stéréotypes sexistes sont transmis de génération en génération à travers la famille, l’éducation et les médias, influençant les attentes sociales vis-à-vis des garçons et des filles. Dès leur plus jeune âge, les enfants sont souvent orientés vers des rôles sociaux préétablis, ce qui impacte leurs aspirations et, à terme, leur positionnement professionnel. Par exemple, une étude a révélé que les filles, dès l’enfance, étaient encouragées à être plus attentives à leur comportement et à être plus conciliantes, tandis que les garçons étaient incités à prendre des risques et à s’affirmer. Cette éducation genrée influence la manière dont les individus se comporteront plus tard dans le monde du travail.
Les médias jouent également un rôle majeur dans la perpétuation de ces biais. Les représentations médiatiques des hommes et des femmes dans des rôles de pouvoir ou d’autorité sont souvent stéréotypés. Dans les films populaires, les hommes occupent 75 % des rôles de leadership et de prise de décision, tandis que les femmes sont souvent cantonnées à des rôles plus secondaires, comme ceux de soutien ou de personnages familiaux. Cette représentation biaisée renforce l’idée que certaines positions et certaines qualités sont intrinsèquement masculines, ce qui crée des barrières supplémentaires pour les femmes dans le monde professionnel.
Les entreprises souffrent des effets de ces stéréotypes culturels et éducatifs. Ces biais sont renforcés par des attentes sociétales qui valorisent les hommes dans des rôles de leadership, tandis que les femmes sont souvent perçues comme plus aptes à des tâches de gestion des relations ou de soutien, mais pas comme des figures d’autorité.
Les biais de genre liés à l’éducation et à la culture sont donc profondément ancrés dans les structures sociales et se répercutent dans le milieu professionnel. Pour les combattre, il est nécessaire de repenser les modèles éducatifs, d’encourager une représentation égalitaire dans les médias et de mettre en place des politiques en entreprise qui favorisent la reconnaissance des compétences sans être influencées par ces stéréotypes.
DÈS LEUR PLUS JEUNE ÂGE, LES ENFANTS
SONT SOUVENT
ORIENTÉS
VERS DES RÔLES SOCIAUX
PRÉÉTABLIS

LA PREMIÈRE FOIS
QUE J’AI OUVERT LES YEUX
SUR LES BIAIS DE GENRE
Maud Picq, directrice Capgemini Invent France
Je vais vous raconter trois expériences qui ont marqué ma carrière. Trois moments où les biais de genre m’ont heurtée, bousculée. Le premier m’a ouvert les yeux, le dernier m’a laissée sans voix. Et entre les deux, un événement a redéfini ma façon de m’imposer au travail.
Tout a commencé il y a presque dix ans. Après mon premier entretien pour un CDI en data science , le CTO d’une startup m’appelle pour me faire une offre. Je suis ravie, je me sens prête. Mais quand je demande un retour sur ma prestation, il me dit : « Vous codez étonnamment bien. » Étonnamment bien ? Coder est la base de mon métier. Je lui demande pourquoi. Il me répond, gêné, qu’il ne m’imaginait pas dans ce rôle de junior data scientist , sans préciser pourquoi. Je n’ose pas lui demander s’il voulait dire « bien pour une fille ». Le doute persiste et quelques jours plus tard, je décline l’offre.
En 2020, je me lance dans le conseil. Lors d’une réunion importante, je présente des résultats à une membre du comité de direction. Un collègue m’accompagne pour les aspects logistiques. La cliente arrive et commence à poser des questions sur le projet, mais c’est vers mon collègue qu’elle
« Le malaise est palpable. »
se tourne, lui demandant son avis sur les travaux. Il me regarde, un peu perdu. Je réponds à sa place. Puis elle s’adresse encore à lui, pensant qu’il est en charge du projet. Le malaise est palpable. Je me présente enfin. J’ai compris ce jour-là qu’on associait encore le rôle de manager à un homme en costard. Depuis, je mentionne toujours mon rôle en même temps que mon nom, pour éviter toute confusion.
Et enfin, il y a un an, après mon congé maternité, je cherche des conseils pour ce nouveau chapitre. Un VP me confie qu’il faut éviter de confier des responsabilités aux jeunes mamans, car elles risquent de « s’effondrer » ou de démissionner, ayant « mieux à faire » que de se concentrer sur leur carrière. Là, je reste sans voix. Je n’avais jamais imaginé devoir choisir entre ma carrière et mon rôle de mère. Et encore moins que quelqu’un d’autre décide pour moi.
Ces trois moments me rappellent à quel point le chemin reste semé d’embûches pour nous, femmes dans des secteurs dominés par des stéréotypes de genre. Mais ils m’ont aussi forgée. Et c’est peut-être dans la lutte contre ces biais qu’on trouve, au bout du compte, notre véritable force.
« Souvent, on remet en question mes propos, j’en viens même à douter de moi alors que j’ai des éléments factuels. »
« C’EST
DANS MON SUCCÈS QUE
J’AI PRIS CONSCIENCE DE LA NÉCESSITÉ D’ÊTRE FÉMINISTE. »
« J’AI
PORTÉ UNE CARAPACE TOUTE MA CARRIÈRE. »
« On associe toujours ma réussite aux hommes qui gravitent autour de moi, “sans lui, tu sais vendre ?” »
« JE NE PENSAIS PAS ÊTRE FÉMINISTE, JUSQU’À CE QUE
MA CONDITION ME REVIENNE EN PLEINE FACE. »
« Le sujet n’est pas d’empêcher les hommes de se retrouver autour d’une partie de golf, mais ces réseaux informels ne doivent pas être les lieux de discussions stratégiques. »
« L’impression d’avoir toutes les tares : étrangère et femme. »
« MON
PHYSIQUE DEVENAIT PLUS IMPORTANT QUE MES COMPÉTENCES.
»
« ON DIRA D’UN HOMME QU’IL EST ASSERTIF, ET D’UNE FEMME QU’ELLE EST HYSTÉRIQUE. »
« La dernière fois que j’ai participé à un dîner informel, je n’avais qu’une envie, c’était de partir. Ils ne parlaient que de foot, je me sentais exclue. »
« INCONSCIEMMENT, J’AI PRIS LES CODES DES HOMMES. »
« AUJOURD’HUI, JE PARLE AVEC UNE VOIX QUI N’EST PAS LA MIENNE, UNE VOIX DE BÛCHERON. »
L’INTELLIGENCE ARTIFICIELLE EST-ELLE SEXISTE ?
L’intelligence artificielle, une promesse d’objectivité et d’efficacité pour améliorer nos vies ? Pourtant, dans le monde de l’entreprise, cette technologie se révèle souvent être une machine sexiste, reproduisant les discriminations de genre qu’elle est censée éradiquer.
Prenons l’exemple des processus de recrutement, qui sont désormais de plus en plus automatisés. Des géants comme Amazon ont utilisé des algorithmes pour trier des milliers de candidatures. Cependant, l’algorithme a montré un biais flagrant en faveur des hommes. En effet, formé sur des données historiques, il a privilégié les profils masculins, car l’entreprise était dominée par des hommes dans les postes de direction. Résultat : les femmes, pourtant tout à fait qualifiées, se sont retrouvées écartées. Ce système ne faisait pas preuve de « neutralité » comme on pourrait le croire. Il répliquait simplement les inégalités existantes, renforçant ainsi les stéréotypes de genre au lieu de les combattre. L’IA, au lieu d’offrir une chance égale à toutes et tous, agissait comme un miroir déformant des biais sociaux.
Ce n’est pas un cas isolé. Des rapports ont montré que des outils de recrutement automatisés utilisés par des entreprises internationales avaient écarté des candidates sur la base de critères aussi banals que l’utilisation de certains mots-clés. Un profil féminin affichant des termes plus doux, moins compétitifs, était jugé moins apte à occuper un poste de direction. Pourtant, ces mêmes qualités seraient saluées chez un homme. Ce phénomène, qui semble presque anodin, a des répercussions pour des milliers de femmes qui voient leur carrière freinée par une machine incapable de dépasser les stéréotypes de genre. L’IA dans ce cas devient une barrière invisible à la parité, plaçant les femmes dans une position de handicap dès leur entrée sur le marché du travail.
Les inégalités de genre se reflètent également dans la façon dont les IA sont programmées pour analyser les performances professionnelles. Dans de nombreuses entreprises, les systèmes de suivi de la performance utilisent des algorithmes pour évaluer les collaborateurs. Ces systèmes se basent souvent sur des critères objectifs, comme le nombre de projets menés à bien ou le chiffre d’affaires généré. Pourtant, ces critères sont loin d’être neutres. Les femmes, en particulier celles qui occupent des postes dans des secteurs dominés par les hommes, comme la finance ou la technologie, sont souvent jugées sur des critères qui ne tiennent pas compte de leur façon particulière de travailler. L’IA, formée sur des données historiques, ignore les discriminations systémiques qu’elles affrontent au quotidien, les jugements biaisés et les obstacles invisibles qui rendent leur travail plus difficile. Le résultat ? Elles sont moins valorisées, moins promues, moins rémunérées.
Un autre exemple concerne les assistants virtuels et autres outils d’IA utilisés au sein des entreprises pour faciliter la communication interne. Nombre de ces systèmes ont une voix féminine. Cette voix, souvent perçue comme « docile », « serviable » ou « bienveillante », est une représentation des femmes dans des rôles subordonnés. Or, ce type de représentation alimente inconsciemment l’idée que les femmes doivent être au service des autres, obéissantes et disponibles.
Ce n’est pas une simple question de voix, mais une manière de renforcer les rôles traditionnels de genre. Dans un monde du travail où les femmes peinent encore à être prises au sérieux, cette normalisation d’une voix de service, même virtuelle, en dit long sur la place qu’elles occupent dans l’imaginaire collectif.
Les conséquences de ces biais sexistes dans l’IA sont bien plus qu’un simple détail technique. Elles ont un impact réel sur la vie des femmes dans le monde de l’entreprise. Elles les enferment dans des rôles, les excluent de certaines opportunités, et les empêchent d’atteindre leur plein potentiel. Et derrière chaque obstacle invisible se cache un système qui, sous couvert d’objectivité, perpétue des inégalités profondément ancrées. Face à cela, il est crucial de se demander : que faire ? La première réponse, bien entendu, réside dans la prise de conscience. L’IA n’est pas un monstre objectif et neutre. Elle est façonnée par des données qui, ellesmêmes, sont influencées par des siècles de préjugés sexistes. Les entreprises doivent donc se doter d’un vrai pouvoir de décision et de responsabilité : vérifier la neutralité de leurs algorithmes, analyser les biais qui peuvent se cacher dans les processus de recrutement, d’évaluation et de promotion. La diversité dans les équipes qui conçoivent ces technologies est essentielle, non seulement pour mieux comprendre les enjeux de genre, mais aussi pour éviter que ces biais ne se propagent à grande échelle.
De plus, il est primordial d’imposer des standards éthiques dans la conception et l’utilisation de l’IA. Cela pourrait passer par la création d’audits réguliers des algorithmes utilisés par les entreprises ou par la mise en place de lois pour garantir l’égalité de traitement entre les sexes dans l’accès à l’emploi, aux promotions et aux rémunérations. L’IA ne doit pas être un outil de reproduction des inégalités. Elle doit être un levier pour créer un monde du travail plus juste. Pour cela, il est impératif de contrôler la manière dont elle est développée et utilisée. Les femmes méritent mieux que de devenir les victimes invisibles d’un système technologique qui, loin d’être neutre, reflète les préjugés de notre société.
LES ENGAGEMENTS DU GROUPE CAPGEMINI
Le groupe Capgemini œuvre pour toujours plus d’inclusion et de parité au sein de l’entreprise et même au-delà.
Façonner un avenir 100 % inclusif pour tous
La politique d’inclusion du groupe Capgemini reflète son engagement et se traduit par des programmes conçus pour bâtir un environnement de travail respectueux et plus inclusif. Les ambitions s’articulent autour de 4 priorités :
- Être une entreprise de choix où tous les talents peuvent s’épanouir
- Proposer un environnement de travail inclusif, garant d’une égalité des chances pour tous
- Renforcer la culture inclusive et impliquer tous les collaborateurs
- Faire de la transformation digitale une opportunité pour les communautés locales et la société.
Un engagement sans faille contre le sexisme, le harcèlement sexuel et les violences
Signataire de la charte #StOpE, Capgemini est engagé dans la lutte contre toutes les manifestations du sexisme au travail (sexisme ordinaire, agissements sexistes, harcèlement sexuel, violences sexistes et sexuelles).
Les remarques déplacées, issues de stéréotypes ou d’un sexisme ordinaire, à l’encontre de tout collaborateur, peuvent également être répertoriées dans le dispositif La Perle.
La ligne d’alerte SPEAK UP, disponible 24h/24h, permet en toute confidentialité de faire remonter et d’instruire des comportements qui ne seraient pas alignés avec le code éthique de Capgemini.
Par ailleurs, conscients de l’ interpénétration entre l’univers personnel et professionnel, a fortiori depuis l’essor du télétravail, Capgemini a mis à disposition de tous les salariés du groupe des modules de formation permettant de détecter les différents types de violence domestique. Le programme d’assistance (EAP) qui se déploie dans le groupe, inclut une ligne d’écoute et de soutien psychologique, et permet d’orienter et de venir en aide aux potentielles victimes.
En soutien de la parité
L’engagement du groupe Capgemini consiste à accroître la représentation des femmes, dans tous ses métiers, avec un objectif de 40 % de femmes dans l’ensemble de ses effectifs et de 30 % au sein des leaders exécutifs du groupe d’ici fin 2025. Les programmes les accompagnent tout au long de la chaîne de valeur des talents et à des moments clés de leur vie :
- dès le recrutement, avec la mise en avant de rôles modèles féminins, des annonces ouvertes à tout type de profils, et une formation aux biais inconscients - dans les programmes de développement avec du mentorat, des actions de sponsorship (EmpowHer), un soutien pour passer des certifications professionnelles - dans les process RH, avec des principes d’« equal promotion rates » et d’« equal pay for equal work »
- dans sa politique sociale, avec le soutien de la parentalité.
Les programmes du groupe Capgemini contribuent également à faire avancer la parité au-delà du groupe :
- Ils sont très engagés, avec « Girls who code » ou « FIRST Robotics », de l’école primaire à l’université, à promouvoir l’accès des jeunes filles aux études de STEM, pour qu’elles puissent s’orienter dans les métiers porteurs d’avenir dans le numérique. Les 50 Digital académies dans plus de 11 pays équipent des jeunes filles de zones rurales et de milieux défavorisés d’un bagage de compétences numériques leur permettant de devenir autonomes.
- Des initiatives, telles que « Captivate » favorisent le retour à l’emploi des femmes ayant interrompu leur carrière pendant plusieurs années.
- Le programme « Women in Rugby » développe le leadership féminin, sur le terrain professionnel et sportif.
De nombreuses actions sont mises en place pour lutter contre les biais de genre et créer un environnement de travail plus inclusif et paritaire, vous pouvez les découvrir sur www.capgemini.com
Pour que ce soit la dernière fois qu’on liste les premières fois.
Remerciements
Ce projet n’aurait jamais vu le jour sans la générosité et le courage des femmes et des hommes qui ont accepté de partager leurs expériences et leurs réflexions sur les biais de genre. À vous, un immense merci : votre sincérité et vos témoignages sont au cœur de cet ouvrage. J’adresse également un remerciement particulier à nos autocensurées ; merci de nous avoir confié vos histoires, nous espérons qu’elles trouveront un écho dans ces pages.
Ma reconnaissance va particulièrement à Étienne Grass qui m’a lancé le défi d’écrire ce livre et à Roshan Soorunsingh Gya pour son sponsoring et son engagement remarquable en faveur de la parité dans notre entreprise. Leur soutien conjoint a été déterminant dans la réalisation de ce projet. Je remercie aussi Virginie Regis pour ses encouragements, pour ses conseils précieux et pour nous permettre de faire rayonner notre ouvrage et notre cause au-delà des frontières de notre entreprise. Enfin un grand merci à tous nos dirigeants d’accueillir avec beaucoup de bienveillance tous nos témoignages, et de créer un terrain fertile pour libérer toutes les paroles afin de vaincre les biais de genre.
Un grand merci à Maud Poinsot-Cordier et Mamou Soukouna qui m’ont accompagnée au quotidien dans la réalisation de ce beau projet, permettant de relever le défi de réaliser ce livre en seulement quelques semaines.
Enfin, je remercie la maison d’édition Porte-plume, et particulièrement Caroline Albou Levinger, pour son accompagnement et son professionnalisme tout au long de cette aventure éditoriale.
Aure Bouchard
Édition
Caroline Albou Levinger
Photographie
Raphaël Dautigny
Direction artistique
Judith Meyerson
Relecture
Thomas Chaumont
Photogravure
Christophe Pete (Janvier)
Achevé d’imprimer à 2 000 exemplaires sur papier Edixion certifié PEFC™ par Chirat, imprimerie française labellisée Imprim’vert et FSC® . Dépôt légal : mars 2025
Porte−plume Éditions
Conception et réalisation de livres sur mesure porteplume.fr
Sources
Rapport LeanIn.org et McKinsey & Company, Women in the Workplace (2018), p. 26, 56 / (2019), p. 44 / (2020), p. 20, 26, 32, 38, 78, 84 / (2021), p. 74
Rapport McKinsey & Company, World Economic Forum et Psychology Today (2021), p. 62
Journal of Human Development and Capabilities, article de Nancy Folbre intitulé
Invisible Labor, Visible Inequality: Gender, Work, and Care by (2014), p. 26
Étude Catalyst, The Impact of COVID-19 on Women in the Workplace (2021), p. 26
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