Poly 139 - Mars / Avril 2011

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THÉÂTRE – HUNINGUE & CERNAY

Le devoir de désobéissance 2 500 ans après Sophocle, Antigone continue de se dresser, seule contre tous, les mains nues. Mise en scène par Philippe Flahaut et portée par des comédiens “différents”, cette version du mythe, toute en poésie, brûle d’une vérité poignante.

U

n long poème, d’un seul souffle. Une voix intérieure. Celle d’Antigone et de ses terribles origines, celle d’un destin tragique et inéluctable. Un texte comme un songe que fait l’héroïne à l’ultime jour de sa vie. Commandée par le metteur en scène Philippe Flahaut au dramaturge Eugène Durif, cette adaptation du mythe plonge loin dans les blessures de l’enfance. Œdipe aux yeux crevés, Jocaste sa mère-épouse suicidée, Tirésias dégustant ce sang, Créon, Ismène, ils sont tous là, porteurs de la tragédie depuis la nuit des temps. « Il y a quelque chose de profondément trouble et troublant quand ce qu’il y a de plus archaïque fait écho en nous à ce qu’il y a de plus intime », confie Eugène Durif. Antigone, en se libérant du poids de sa naissance, s’apprête à quitter le jour pour l’obscurité. Sur scène, ombres et lumières dessinent subtilement ce voyage intérieur. Portée par la grâce du piano, une voix de cristal pleure, chante, s’envole. Celle d’une femme qui va vers la mort. Et pour dire le courage de la liberté individuelle face à l’arbitraire du pouvoir, le devoir de désobéissance à la loi quand elle est injuste et inhumaine, ils sont treize artistes. Depuis 30 ans, Philippe Flahaut travaille avec des comédiens handicapés mentaux, créant à Millau le Centre d’art dramatique pour comédiens différents. Après L’Enfant sans nom, déjà écrit par Eugène Durif, autour du mythe d’Œdipe, ces Variations Antigone ne sont certes pas un hasard. « Quand je fais appel à ces comédiens, c’est parce qu’ils ont quelque chose à dire sur le texte », explique le metteur en scène. « Le père d’Antigone est banni de la société, il boîte, on se moque de lui. C’est une famille bancale, handicapée, qui essaye de conjurer le sort. Nous avons discuté de longues semaines avec eux sur la fatalité, sur ce qu’ils doivent porter jour et nuit, dans leur quotidien. Ils ont rapidement compris combien ces Labdacides leur ressemblaient. Ils sont là également pour montrer que l’on peut se lever, et que leur revendication face à une société pas franchement agréable avec eux peut s’assimiler à la révolte d’Antigone. » Quant à l’apport artistique et dramatique de ces comédiens, il est évident pour Philippe Flahaut : « C’est sans aucun doute leur corps. L’esthétique. Le mouvement de ces corps différents. La justesse de ces mouvements. C’est parfois de la danse. Et puis des codes autres, une façon directe de regarder sans détour l’autre comédien et le public. Sans eux, la compagnie serait ordinaire. Je les aime pour leur humilité en tant que comédiens, leur humanité en tant que personnes et parce qu’ils vont directement et pleinement à l’essentiel. » Antigone se lève, et c’est toute l’humanité qui s’élève… Texte : Lisa Vallin Photo : Hugues Roualdes

m À Huningue, au Triangle, mardi 22 mars 03 89 89 98 20 – www.ville-huningue.fr m À Cernay, à l’Espace Grün, vendredi 25 mars 03 89 75 74 88 – www.espace-grun.net

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