Poly 139 - Mars / Avril 2011

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N ° 1 3 9 – M a r s /Av r i l 11 – w w w. p o l y. f r

QUINZAINE CULTURELLE IRANIENNE // DANIEL BUREN À BADEN-BADEN // HANA NO MICHI & TRANS(E) À MULHOUSE COMPAGNIE MEMBROS, GIBOULÉES DE LA MARIONNETTE & ARTEFACTS À STRASBOURG // DOSSIER : VITRA


om Juan

8 mars > 17 avril Création avec les comédiens de la troupe du TNS

De Molière Mise en scène Julie Brochen

03 88 24 88 24 • www.tns.fr Direction Julie Brochen


À pied, à table, dans le tram ou chez vous, la culture “Vite fait, mais bien fait !”

Cendrillon à l’envers

Du 3 mars au 2 avril, la compagnie La Mesnie H. joue Ruys Blas de Victor Hugo au Théâtre de la Boîte Noire à StrasbourgKoenigshoffen. L’histoire de l’humble laquais sauvé par la reine est mise en scène par Jacques Bachelier. www.lamesnieh.com

Made in India

DELL’ARTE

La commedia dell’arte L’Amour médecin de Molière, mise en scène par Boutros El Amari, est une comédie clownesque et burlesque, une farce satirique pour petits personnages (dès 8 ans), présentée samedi 12 mars, au PréO d’Oberhausbergen. www.le-preo.fr

Organisée conjointement par les services culturels, socioculturels et éducatifs de la Ville de Haguenau, le festival Sur les routes de l’Inde nous invite à découvrir l’histoire, les traditions, les couleurs et les saveurs de l’Inde d’hier et d’aujourd’hui. Du 7 au 9 mars, 25 manifestations (pour la plupart gratuites) seront proposées : expositions d’artisanat ou de photographies (Regards sur l’Inde à la Médiathèque…), spectacles (ne manquez pas l’envoûtante Susheela Raman mardi 8 mars et le sublime danseur Raghunath Manet le 15, au Théâtre de Haguenau), ateliers d’initiation au yoga, à la musique, à la danse ou à la cuisine, conférences, projections de films…

© Tiziana et Gianni Baldizzone - Esprit Nomade

www.ville-haguenau.fr

RASSEMBLÉS

Susheela Raman

Tout pour la photo

À Strasbourg, Accélérateur de particules accueille (du 27 au 30 avril), Une exposition en quatre actes, résultat du séminaire Exposer / Créer à l’Ésad, interrogeant la pratique de l’exposition. Les treize artistes apportent une réponse (en quatre temps) à cette problématique : l’exposition peut-elle faire œuvre d’expérience ? www.accelerateurdeparticules.net

PREMIER

Vente de matériel neuf et d’occasion, rencontres, ateliers, expos, conférences… La 24e édition du Salon international de la Photo est placée sous le signe de la photographie humaniste et engagée, avec en invités d’honneur, les photographes Françoise Huguier, Tiziana et Gianni Baldizzone et Jean-Jacques Delattre. Ça se passe à Riedisheim, du 12 au 20 mars. www.spr-photo.fr

Enchantements symphoniques

DJ Premier, ex-membre de Gang Starr, collaborateur des meilleurs rappeurs US, se produira au Nouma de Mulhouse vendredi 8 avril. Scratches légendaires seront au programme. www.noumatrouff.com

HANTÉ

Du 1er au 26 mars, en avant-première, le festival Basse-Zorn’Live (du 21 au 23 mai à Hoerdt) s’installe à la médiathèque Tomi Ungerer de Vendenheim. Au programme : expos, ateliers et concerts. En clôture : le show solo du génial Matt Elliott, musicien hanté par le folk balkanique. www.bassezornlive.com

ÉTONNÉ

L’Ensemble Amalgammes (un collectif de musiciens issus de l’Orchestre philharmonique de Strasbourg et du SWR Sinfonieorchester Baden-Baden und Freiburg) accueille le prestigieux Trio Wanderer pour un attendu Triple Concerto de Beethoven placé sous la direction de Vahan Mardirossian. Cela se passe dimanche 20 mars (à 17h) au Palais de la musique et des congrès de Strasbourg (Salle Schweitzer). Également au programme une Symphonie de Mozart et des miniatures arméniennes signées Komitas, Babadjanian et Khatchaturian. Les bénéfices du concert seront partagés à parts égales entre l’association Themis et l’internat arménien de Vardachen. www.francebillet.com

En bref

Quand le jazz rencontre la poésie, on obtient Sois patient car le loup, projet musical signé Catherine Delaunay (avec notamment John Greaves) d’après un texte de l'écrivain Malcolm Lowry. À découvrir mardi 12 avril à Pôle Sud (Strasbourg). www.pole-sud.fr

Trio Wanderer

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Schaulager présente

dans la maison bourgeoise “Haus zum Kirschgarten” Elisabethenstrasse 27, Basel du 12 mars au 28 august 2011

Mardi, Mercredi, Vendredi 10 –18 heures; Jeudi 10 –19 heures Samedi, 13 –17 heures; Dimanche 10 –17 heures www.schaulager.org Fondation Laurenz


À pied, à table, dans le tram ou chez vous, la culture “Vite fait, mais bien fait !”

Electroaïeuls

Mélodie : toujours l’art des autres, au CEAAC de Strasbourg (du 12 mars au 22 mai), rassemble l’électronicien Jan Jelinek et le plasticien Nick Laessing. Le premier nous présentera Ursula Bogner, musicienne des 1970’s et le second, de drôles de machines / instruments. www.ceaac.org

Du vice au Théâtre de l’Écrou Le Théâtre la Coupole et la Ville de Saint-Louis accueillent, place de l’Hôtel Ville, la Tour vagabonde, réplique du Globe Theatre de Londres du grand Shakespeare. Du 31 mars au 9 avril, s’y succéderont le Théâtre de l’Écrou avec un Songe d’une nuit d’été endiablé, fantasque et joyeux à souhait mais aussi une pièce plus contemporaine : Gueules d’automne de Jean-Marie Meshaka (jeudi 7 avril). Dans ce lieu atypique, la chanteuse Clarika (lundi 4 avril) nous emmènera dans ses textes mêlés à ceux de ses auteurs préférés et un concert afro-jazz créera un pont entre Kinshasa et le Haut-Rhin (samedi 9 avril). www.lacoupole.fr – www.saint-louis.fr

Pop it up !

Dans la forêt du paresseux d’Anouck Boisrobert et Louis Rigaud

Ça fait “pop” quand on l’ouvre… Une bouteille de champ’ ? Non, un pop-up, vous savez, ces livres illustrés qui se déplient. Le Centre de l’illustration de la Médiathèque Malraux (Strasbourg) a décidé, jusqu’au 30 avril, de dévoiler tous les secrets des livres animés avec l’exposition Pop-Up - Le volume. Livres carrousels, images coulissantes ou en relief… Découvrons les différentes techniques avec des exemples – en 3D ! – ainsi que d’étonnants ouvrages concoctés par des élèves de l’Ésad. L’expo sera accompagnée d’une conférence de Jacques Desse (vendredi 4 mars à 18h30), ainsi que d’ateliers de fabrication. www.mediatheques-cus.fr

Sauve qui pneu ! Young Michelin (groupe chouchouté par Les Inrocks qui l’a déclaré vainqueur de son prix CQFD en 2010) est une formation certes très influencée par la pop anglo-saxonne (The Drums, etc.), mais qui pratique un rock évoquant également Taxi Girl, certes en beaucoup moins écorché. Jeudi 24 mars, à la galerie Stimultania (Strasbourg), puis le lendemain au Colisée (Colmar), ces cinq gaillards bizarrement engoncés dans des pulls rayés seront précédés des colmariens Manson’s Child. www.komakino.org – www.myspace.com/parkliferecords

En bref FANTASTIQUE

Les 15, 20 et 21 mars, le cinéma strasbourgeois L’Odyssée ouvre sa salle à David Cronenberg. Trois de ses films – La Mouche, Faux-semblants et A History of Violence – y seront projetés, puis commentés lors de débats animés par des journalistes. www.cinemaodyssee.com

FOLk US

L’Américain Josh T. Pearson, exleader barbu de Lift to Experience, poursuit sa (brillante mais confidentielle) carrière solo. À voir en concert mardi 19 avril au cinéma Le Colisée de Colmar. www.hiero.fr

FOU DE BD

La Fnac Strasbourg accueille Baru pour une dédicace exceptionnelle samedi 12 mars à 15h30. Rencontrez le président du Festival international de la bande dessinée d’Angoulême 2011 qui sort deux albums, Fais péter les basses, Bruno ! (Futuropolis) et Villerupt, 1966 (Les Rêveurs). Un séduisant univers popu, made in Lorraine. www.fnac.com

FRAGMENTÉ

À Colmar, les peintures de Sébastien Osswald peuplent L’Espace d’Art contemporain André Malraux, jusqu’au 27 mars. Avec ses toiles évoquant des photographies numériques pixellisées, le jeune diplômé des Arts déco de Strasbourg évoque un univers sensible, celui de Madagascar où il a passé deux ans à travailler dans une ONG. www.colmar.fr

FÉÉRIQUE

Suite et fin du cycle Mahler de l’Orchestre symphonique de Mulhouse : Daniel Klajner propose deux séries de Lieder avec le baryton Scott Hendricks. Vendredi 18 et samedi 19 mars, La Filature résonnera en effet des splendeurs des Lieder eines fahrenden Gesellen et des Kindertotenlieder. Également au programme, Tod und Verklärung de Richard Strauss. www.orchestre-mulhouse.fr

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alene t i p Ca éen p

euro

Orchestre

PHILHARMONIQUE dE STRASBOURG ORcHESTRE NATIONAL

AVRIL 2011

cONcEPTION REYMANN cOMMUNIcATION // MONTAGE BKN.FR // © SHUTTERSTOcK // LIcENcES d’ENTREPRENEURS dE SPEcTAcLES N° 2 : 1006168 ET N°3 : 10066169

jeudi 7

PMC - SALLE ÉRASME 20H30

• Marc Albrecht direction • François-Frédéric Guy piano

Beethoven

Concerto pour piano et orchestre n° 1 en ut majeur op.15

StrauSS

Eine Alpensinfonie (Une Symphonie alpestre) op.64

jeudi 14 vendredi 15

PMC - SALLE ÉRASME 20H30

• ludovic Morlot direction • hae-Sun KAnG violon • christiane Œlze soprano • Sara MinGArdo alto • Kurt Streit tenor • Georg zeppenFeld basse • chœur de l’opS catherine bolzinGer chef de chœur

jeudi 21

Manoury

Synapse, concerto pour violon et orchestre Première française

Beethoven

Symphonie n° 9 avec un chœur final sur l’Ode à la joie de Schiller en ré mineur op.125

PMC - SALLE ÉRASME 20H30

• Kristjan Järvi direction Gluz • Vadim GluzMAn violon

nielSen Aladdin, suite op.34

Prokofiev Concerto n° 2 pour violon et orchestre en sol mineur op.63

GrieG Peer Gynt (extraits)

SAISON 2010

>2011

Renseignements : 03 69 06 37 06 / www.philharmonique.strasbourg.eu Billetterie : caisse OPS entrée Schweitzer du lundi au vendredi de 10h à 18h Boutique culture, 10 place de la cathédrale du mardi au samedi de 12h à 19h

experts-comptables


“Psychohero”, The Fallen Empire

Le street-artist, graphiste et writer strasbourgeois Jaek El Diablo expose, du 2 au 30 mars, à l’Hôtel Bel Ami. En plein Saint-Germain-des-Prés, il livre ses dernières toiles, cocktails pop et subversifs inspirés des comics US. www.jaekeldiablo.com

En bref

Colloque À l’occasion des Giboulées de la marionnette (voir p. 34), le département des Arts du spectacle de l’Université de Strasbourg et le TJP organisent le colloque Espace scénique, espace marionnettique : enjeux d’une interaction (du 17 au 19 mars), réunissant chercheurs, praticiens et public afin de se saisir des enjeux de la création marionnettique. Comment se construit l’espace autour de la marionnette ? Comment celle-ci envahit et influence son espace ? Autant de questions posées aux différents participants. Rendez-vous à l’inauguration des Giboulées, qui aura lieu dans ce cadre, au Palais Universitaire, vendredi 18 mars à 17h. www.theatre-jeune-public.com

Comme l’oiseau… Patricia Simsa, artiste française née à Paris en 1961, aime les formes douces et les couleurs généreuses. À la galerie strasbourgeoise Pascale Frœssel, elle expose (jusqu’au 19 mars) ses sculptures (des exemplaires uniques) de métal peint et travaillé grâce à une résine patinée, autant de personnages poétiques : des p’tits gars sympas, des fillettes à trottinette, des dames vêtues de robes fleuries… Bien souvent, ils sont en compagnie d’oiseaux, comme si ces êtres rêvaient secrètement – à la manière des créatures de Folon – de prendre leur envol. www.galerie-pascale-froessel

L’actu des Taps Présentée par la comédienne Laure Werckmann et le metteur en scène Cyril Pointurier, artistes associés aux Taps, la 12e édition d’Actuelles se déroulera du 17 au 19 mars au Taps gare. Le principe de la manifestation strasbourgeoise n’a pas changé : chaque soir, une lecture d’un texte mis en musique est proposée pour le public et son auteur qui la découvrent en même temps, avant de dialoguer tous ensemble (comédiens, musiciens, spectateurs, écrivain…) autour des mets concoctés par Alain Chausson. www.taps.strasbourg.eu

GRATTER

Y es-tu ? © Elisabeth Carecchio

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À pied, à table, dans le tram ou chez vous, la culture “Vite fait, mais bien fait !”

D’Odessa ou de Banja Luka, Andrea Diefenbach a ramené des clichés qui, en substance, racontent les déchirements, la maladie, les fléaux dont est victime l’Est européen. Selon la photographe allemande : « Un regard attentif suffit pour aller au-delà de la surface et voir tout ce qui est caché. » Human Cities : une série saisissante présentée du 4 au 30 mars à Apollonia (Strasbourg) dans le cadre du projet e.cité. www.apollonia-art-exchanges.com www.accelerateurdeparticules.net

BIEN LUNÉ

L’engagement poétique plutôt que politique : tel fut le choix de Jean Todrani et de Stig Dagerma, auteurs du XXe siècle auxquels Anne Somot (comédienne) et Christophe Imbs (musicien) rendent hommage avec L’Inachevé, vendredi 18 mars au Théâtre du Marché aux grains de Bouxwiller. Dans le cadre des soirées Poésie, pleine lune. 03 88 70 94 08

COSTUMÉ

Une date : dimanche 20 mars. Une heure (précise) : 14h11. Un lieu de départ, quai du Maréchal Koenig, et d’arrivée, place Kléber. Un mot d’ordre : Expression libre. Le Carnaval de Strasbourg, c’est un cortège de 1 500 carnavaliers, 13 chars et 39 groupes pour un événement déluré et déguisé ! www.strasbourg.eu

(PAS) LIMITÉ

Peter Weibel, artiste un temps proche des actionnistes viennois, directeur du ZKM, pratique un art ouvert sur les nouveaux médias. Il expose No Limits à Strasbourg (du 4 mars au 2 juillet) à l’espace Apollonia, mais aussi la Médiathèque Malraux, la salle des fêtes du Palais du Rhin et l’Auditorium du MAMCS. www.apollonia-art-exchanges.com

DÉjANTÉ

De la musique version hors-pistes, samedi 12 mars à Stimultania (Strasbourg), avec Cannibales et Vahinés, quatuor de rock gonflé, et We Don’t Care About Music Anyway, groupe tokyoïte déjanté. www.komakino.org` Poly 139 - Mars //Avril Avril 11 _ 7


62 _ Carte blanche à Éric Genetet 64 _ Une ville vue par une artiste Dobet Gnahoré / Abidjan

12 _ Édito 14 _ Livres BD CD DVD 16 _ Cinq questions à…

66 _ Artistes associés

18 _ Architecture

69 _ Galerie

20 _ Grand entretien

70 _ Musées insolites

24 _ Quinzaine culturelle iranienne

72 _ Les Hommes de l’ombre

Olivier Chapelet, directeur des Taps Le projet Danube Armand Gatti, poète et dramaturge Interview de Serge Michel

Olga Mesa au Frac Alsace

68 _ L’illustrateur Michaël Husser

L’Édicule à Strasbourg Le Musée de la Mine à Ensisheim Frédéric Solunto, audiodescripteur à Pisteurs d’étoiles

28 _ Élisabeth Bourdon & le Week-end 73 _ Ailleurs de l’art contemporain Notre sélection d’événements chez nos voisins 30 _ Le festival des Artefacts 82 _ Culture scientifique L’Année internationale de la Chimie 32 _ Variations Antigone À l’Espace Grün et au Triangle 84 _ Promenade La Tête des Faux 34 _ Les Giboulées de la marionnette 88 _ Gastronomie 36 _ OPS François-Frédéric Guy joue Beethoven

Au Crocodile à Strasbourg

38 _ La Compagnie Membros

90 _ Dossier

40 _ Portrait

94 _ Design

44 _ Le festival TRANS(E) 46 _ Dom Juan

96 _ Tendances

À Pôle Sud et au Maillon

Daniel Buren, artiste insatiable

au TNS

48 _ Samuel Buri & Carlo Aloë

Dans les coulisses de Vitra à Weil am Rhein Le Fou du Roi Le bureau version modulable

98 _ Last but not least Sandrine Kiberlain

À l’Espace d’art contemporain Fernet-Branca

50 _ Portfolio

Sherlock Holmes : les photos du tournage à Strasbourg

54 _ Anselm Kiefer

Dans la collection du Musée Würth

56 _ Hana no Michi À la Filature

58 _ Le Printemps des Bretelles À Illkirch

60 _ Sylvie Lander

25 ans de peinture

COUVERTURE Paolo Woods a pris cette photo le 13 juin 2009, à Téhéran, sur l’avenue Vali-Asr, à la hauteur de la rue Zartocht. Des partisans du candidat de l’opposition Mir-Hossein Moussavi protestent, malgré la violence de la répression contre les résultats de la présidentielle et demandent où est passé leur vote. La force de la foule verte est d’avoir puisé dans l’âme de l’Iran des trésors de poésie et d’humour. « Si je me lève / Si tu te lèves / Tout le monde se lèvera / Si je m’assois / Si tu t’assois / Qui se lèvera ? » pouvait-on lire sur des pancartes.



PasCaL BastiEn (né En 1970) Libération, Télérama, Le Monde… et Poly : Pascal Bastien est un fidèle de notre magazine. Il alterne commandes pour la presse et travaux personnels, menant notamment une réflexion photographique sur les zones frontalières en Alsace.

Ours :

Liste des collaborateurs d’un journal, d’une revue (Petit Robert)

m www.pascalbastien.com Photo : Pascal Bastien

GEOffrOy KrEmPP (né En 1969) Photographe autodidacte qui regrette l’ère argentique, il a bien d’autres cordes à son arc… Le Strasbourgeois ne se promène jamais sans son appareil et réalise une photo par jour qu’il intègre dans son Mac, dans l’attente d’en faire quelque chose d’autre. Mais quoi ? Ben… « Rien ». Crédit photo : Geoffroy Krempp

Un nouvel ours marseillais, été 2010 Photo : Emmanuel Dosda

www.poly.fr RÉDACTION / GRAPHISME > redaction@poly.fr - 03 90 22 93 49

Au pays de Michaël, on aime les rencontres qui donnent des envies d’ailleurs. Il travaille avec ratures au Bic, sur des carnets de petit format – comme ceux de Pignon-Ernest ayant suscité sa vocation – dans lesquels des feuilles volantes s’agrippent au scotch. m www.michael-husser.com

BEnOît LinDEr (né en 1969) Cet habitué des scènes de théâtre et des plateaux de cinéma poursuit un travail d’auteur qui oscille entre temps suspendus et grands nulles parts modernes. m www.frenchco.eu/benoitlinder Photo : Chloé Parisot

stéPhanE LOUis (né en 1973) Son regard sur les choses est un de celui qui nous touche le plus et les images de celui qui s’est déjà vu consacrer un livre monographique (chez Arthénon) nous entraînent dans un étrange ailleurs. On lui doit aussi un passionnant ouvrage, Portraits, Acteurs du cinéma français (textes de Romain Sublon). m www.stephanelouis.com

Responsable de la rédaction : Hervé Lévy / herve.levy@poly.fr Secrétaire de rédaction : Nathalie Martin / nathalie.martin@poly.fr Rédacteurs : Emmanuel Dosda / emmanuel.dosda@poly.fr Thomas Flagel / thomas.flagel@poly.fr Ont participé à ce numéro : Geneviève Charras, Lulu Garcia, Éric Genetet, Mélanie Goerke, Marie-Aude Hemmerlé, Catherine Jordy, Geoffroy Krempp, Dorothée Lachmann, Paul Mauricey, Pierre Reichert, Irina Schrag, Lisa Vallin, Daniel Vogel, Raphaël Zimmermann Graphistes : Pierre Muller / pierre.muller@bkn.fr Anaïs Guillon / anais.guillon@bkn.fr © Poly 2011. Les manuscrits et documents publiés ne sont pas renvoyés. Tous droits de reproduction réservés. Le contenu des articles n’engage que leurs auteurs.

ADMINISTRATION ET PubLICITÉ Directeur de la publication : Julien Schick / julien.schick@bkn.fr Co-fondateur : Vincent Nebois / vincent.nebois@bkn.fr Administration, gestion, diffusion, abonnements : Gwenaëlle Lecointe / 03 90 22 93 38 / gwenaelle.lecointe@bkn.fr Publicité : Julien Schick / 03 90 22 93 36 / julien.schick@bkn.fr Catherine Prompicai / 03 90 22 93 36 / catherine.prompicai@bkn.fr Vincent Nebois / vincent.nebois@bkn.fr Mallory blanchard / 03 90 22 93 45 / mallory.blanchard@bkn.fr Magazine bimestriel édité par bKN / 03 90 22 93 30 S.à.R.L. au capital de 100.000 e 16 rue Édouard Teutsch - 67000 STRASbOuRG Dépôt légal : mars 2011 - SIRET : 402 074 678 000 44 – ISSN 1956-9130 Impression : CE

COMMuNICATION bKN Éditeur / bKN Studio - www.bkn.fr

D’après l’affiche créée par BLITZ STUDIO - Illustration inspirée d’un dessin original de Vigdis Flaten

miChaëL hUssEr (né En 1983)

Photo : Pascal Bastien

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≥ LE FESTIVAL DE LA VILLE D’ILLKIRCH-GRAFFENSTADEN

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Les Têtes Raides 17 Hippies

Jean Corti - Tram des Balkans Fawzy Al-Aiedy - Renato Borghetti Binobin - The New Rope String Band Tartine Reverdy - Chloé Lacan Le Bringuebal - Courir les rues Cabaret Désemboîté - Beoga DéBaTailles - Zakouska

L’ILLIADE DU 18 AU 27 MARS 2011 + d’infos / réservations > www.illiade.com - Tél. 03 88 65 31 06


© Maxime Stange

Strasbourg, capitale européenne de l’optimisme

L

a nouvelle devait tomber le 4 mars. Elle a fuité dans la presse, notamment dans les Dernières nouvelles d’Alsace, le 22 février. Strasbourg et la CUS se sont dotées d’une marque destinée à véhiculer leur image dans le monde entier, participant ainsi à un mouvement marketing qui a fait naître Only Lyon, Be Berlin ou I Amsterdam pour ne citer que trois des plus réussies. Sans oublier la récente création de la Marque Alsace que Philippe Richert, Président de la Région et Ministre en charge des Collectivités territoriales, définissait dans nos colonnes, le mois passé, comme une « image qui puisse être portée par tous, pour que les efforts faits entre collectivités, industriels, associations, universitaires, élus… reviennent à l’Alsace. Il faut faire un travail de décantation : qu’est-ce qui identifie l’Alsace par rapport à d’autres régions ? » Déposée à l’Institut National de la Propriété Industrielle, la marque strasbourgeoise est le fruit de longues et complexes cogitations. Son nom : Strasbourg l’Europtimiste. Une appellation qui n’est pas sans rappeler la dénomination choisie, entre 1973 et 1975, par un hebdomadaire destiné aux lecteurs de 7 à 77 ans : Tintin l’Hebdoptimiste. Revival seventies sur les bords de l’Ill ? Même si, pour l’instant, il est impossible de savoir à quoi elle servira exactement et quelle réalité elle

recouvrira, il est néanmoins envisageable de tirer quelques enseignements sémantiques. Le premier est tautologique : Strasbourg est une ville optimiste. Avouons en effet que Strasbourg l’Europessimiste aurait fait désordre. Le second est d’ordre plus politique : il est nécessaire que cet optimisme ne demeure pas béat. On sait ce qu’on pense généralement du ravi de la crèche… Choisir un marqueur comme Strasbourg l’Europtimiste implique donc, implicitement, de tout faire pour défendre la vocation européenne d’une ville dans une Europe qui s’éloigne de plus en plus de sa pierre angulaire originelle, la réconciliation franco-allemande, de tout tenter pour rapprocher les citoyens d’une idée qu’ils associent volontiers à une hyperclasse détachée du réel, de faire exister l’Europe comme réalité quotidienne… Liste non exhaustive. Il y a du boulot, surtout lorsqu’on se souvient qu’en 2008 le cinquantième anniversaire du Parlement européen avait été fêté dans l’indifférence la plus totale à Strasbourg. Ou presque… Souvenonsnous en effet d’une séance solennelle avec discours de circonstance et présence de l’Orchestre des Jeunes de l’Union Européenne dans l’Hémicycle. Le mémorable communiqué de presse était un modèle du genre : « Les élèves d’une école de Karlsruhe ont entonné un “Joyeux Anniversaire” multilingue devant le Président

du Parlement et quelques autres invités. Ils lui ont ensuite offert une peinture représentant le Parlement européen, la “maison aux multiples couleurs”. » Voilà qui est fédérateur et populaire. On a dû célébrer de la même manière l’anniversaire du kolkhoze Patrice Lumumba de Durrës (Albanie) en 1972… Ajoutons que la septième édition du festival Premières, initialement prévue du 2 au 5 juin, a été déprogrammée puisque « la contraction depuis quatre ans des financements des Théâtres Nationaux, qui restent confrontés aux inéluctables augmentations de leurs coûts de fonctionnement, conduit la direction du TNS à ne plus pouvoir participer » à la manifestation comme le stipule la déclaration conjointe des directeurs des deux structures organisatrices, Le Maillon et le TNS. Rideau baissé sur le seul événement existant dédié aux jeunes metteurs en scène européens. Bien évidemment, n’est évoqué qu’un “report” et l’annonce d’une édition 2012 redéployée, également en direction de l’Allemagne. Ah, l’Allemagne… C’est presque l’Europe. Ce serait en tout cas un signe fort, un moyen, parmi d’autres, de contribuer à donner un réel contenu à une marque en forme de slogan dont on ne peut qu’espérer qu’elle aura le même succès que Strasbourg Capitale de Noël. Hervé Lévy

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HISTOIRE & ALÉAS DE L’IDENTITÉ ALSACIENNE Ancien Doyen de la Faculté de théologie protestante de Strasbourg, Marc Lienhard s’interroge sur l’identité alsacienne. Existe-t-elle encore ? Religion, langue, art de vivre… Quels sont les “marqueurs” essentiels de notre région ? L’auteur livre une passionnante histoire du sentiment identitaire et analyse ses composantes aujourd’hui, mettant clairement en évidence qu’il est multiple et parfois conflictuel. Pour l’Alsace monolithique et paisible, on repassera. L’intérêt de cet ouvrage est de faire voler les clichés en éclats, d’éclairer l’identité alsacienne à la lumière de l’histoire et de la sociologie, une démarche qui permet de jeter les bases d’une réflexion sur l’avenir afin de trouver une nouvelle voie, entre repli passéiste et sourire béat face aux sirènes de la mondialisation. (P.R.) m Paru aux éditions de La Nuée Bleue (20 €) – www.nueebleue.com

ELECTRIC SUICIDE CLUB Ils sont jeunes et fougueux. Aussi énergiques qu’imprévisibles. Les Electric Suicide Club sortent leurs riffs sur un premier EP incisif. Power pop façon Weezer, rock speed et énervé à la Hives, ils balancent illico presto un maxi six titres bouillant, incluant le tubesque Wait a minute. N’attendez pas une seconde pour les découvrir sur disque ou sur scène. (E.D.) m Deaf Rock Records – www.deafrockrecords.com En concert à Mulhouse, au Noumatrouff, vendredi 11 mars, et dans le cadre du festival des Artefacts (voir page 30), à La Laiterie, samedi 2 avril www.myspace.com/electricsuicideclub

CAPTIFS Si vous avez manqué sa sortie en salles le 6 octobre dernier, vous pouvez désormais acquérir le DVD (ou le Blu-Ray) du premier long-métrage de Yann Gozlan. Intégralement tourné en Alsace à l’été 2009 – les communes de Balbronn, Windstein, Hunspach, Weyersheim et Achenheim ont servi de décors –, la production avait même investi l’ancien centre de tri postal de Schiltigheim, reconverti en studio pour l’occasion. Sombrero film avait reçu le soutien à la production de la Région Alsace et de la CUS pour ce film haletant et angoissant racontant la prise d’otages d’une équipe humanitaire au Kosovo. La belle Zoé Félix et ses compagnons d’infortune se retrouvent enfermés dans des geôles, suspendus aux commandes d’organes de leurs ravisseurs. Une fiction qui ne dépasse malheureusement pas la réalité puisque tombaient, en même temps que la sortie du film, des accusations de trafic similaire mettant en cause l’UCK (armée de libération du Kosovo) et l’actuel Premier ministre kosovar, Hashim Thaçi. (T.F.) m En DVD et Blu-Ray (19,99 € et 24,99 €) www.bacfilms.com

ENSEMBLE LINEA PLAyS PETER EöTVöS Créations, concerts monographiques, premières françaises… L’amitié qui lie les Strasbourgeois de l’Ensemble Linea (fondé en 1998) au compositeur hongrois Peter Eötvös est ancienne. Ce disque rassemblant onze pièces (dont une majorité de premiers enregistrements) en constitue une belle illustration. Jean-Philippe Wurtz et ses musiciens y dressent un intéressant portrait du créateur de Love and Other Demons que l’on avait pu découvrir en ouverture de saison à l’Opéra national du Rhin. Entre jazz, influences

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classiques – la Sonata per Sei (2006) est un évident hommage à Bartók et à sa Sonate pour deux pianos et deux percussions – et références littéraires, l’auditeur est entraîné dans un univers fascinant et cohérent, profondément marqué par le théâtre… avec une immense tendresse pour Octet plus (Linea en avait assuré la création mondiale en 2008) qui oscille entre tragique et comique, sur un texte de Samuel Beckett. (H.L.) m Paru chez BMC Records (15,99 €) www.ensemble-linea.com


PHILIPPE POIRIER Apprécie-t-on tout particulièrement la science (des rêves ?) dans la famille Poirier ? Peu de temps après Vecteurs & forces du groupe de son fiston (ici présent à la guitare), Romeo & Sarah, voici Les Triangles allongés, nouvel album de Philippe Poirier, également sorti sur Herzfeld, label généralement anglophile qui signe ainsi son premier disque dans la langue de Françoiz Breut. Sur des accords de guitares, quelques notes de synthés ou de sax, les effets et autres samples dont est friand le musicien strasbourgeois, l’ex-Kat Onoma décrit un univers aquatique (« Je m’enfonce doucement vers le fond des océans… »), entre songe et réalité (« Je marche les yeux fermés sur le fil du décor… »), Gainsbourg et Tarwater, poésie et géométrie. (E.D.) m Les Triangles allongés – Herzfeld – www.hrzfld.com / www.philippepoirier.com

De l’anglais “s’écarter de”, le groupe réunit depuis 2008 quatre musiciens issus de la scène strasbourgeoise autour d’une chanteuse irlandaise. Mélangeant les genres (rock, pop et funk), le groupe sillonne les salles et les cafés concert du Grand Est avant de remporter le tremplin NRJ / FFBDE 2009. L’occasion pour eux de gagner leurs galons de jeunes talents en devenir et de se produire au Showcase, célèbre salle de la capitale. La sortie de 7,5 lbs, EP de quatre titres, préfigure un album pour l’an prochain. (D.V.)

SwERVE

m 7,5 lbs, EP 4 titres (3 €) – www.swerveofficial.com En concert au tremplin du festival Décibulles, le 5 mars, au festival Ares’Idiv le 12 mars et le 26 mars au Kobus de Marlenheim avec les JFK’s

HÉRITAGES On connaissait surtout Stéphanie Hans pour sa collaboration avec Marvel (pour qui elle dessine des couvertures, voir Poly n°134). Elle publie une nouvelle bande dessinée avec la scénariste Bénédicte Gourdon. Un “one shot” narrant la curieuse destinée d’une sorcière capable de guérir les autres par imposition des mains. Entre glamour et réalisme – la référence aux comics est clairement assumée – le trait de la Strasbourgeoise fait merveille pour narrer l’intrusion du surnaturel dans l’existence d’une jeune femme du XXIe siècle qu’on croit tout à fait normale… du moins au début. Ce thriller fantastique entraîne le lecteur dans les arcanes de la lutte pour le pouvoir chez les sorciers. Loin, très loin de l’ambiance de Harry Potter. (H.L.) m Paru aux éditions Dupuis (13,95 €) www.dupuis.com

COMME DES TRAINS DANS LA NUIT Anne Percin, native d’Épinal qui a grandi à Strasbourg, nous avait déjà gratifiés d’un roman diablement drôle et bien écrit au mois de novembre : Comment (bien) rater ses vacances ou l’été délirant d’un ado inventif. Voilà qu’elle double la mise avec Comme des trains dans la nuit. Ce recueil de nouvelles nous plonge dans quatre amitiés et amours qui dépoussière un genre, le roman pour adolescents, souvent bien trop propre sur lui. La langue est imagée, inventive, ciselée. Les rythmes varient, ne rechignant jamais dans les descriptions, ne se cachant pas plus aux moments d’aborder ce qui nous meut tous, petits et grands : les sentiments. De la puissance et la griserie de deux jeunes un poil désœuvrés, cramant des granges à la campagne, jusqu’à

l’histoire d’amour improbable – et pour finir aussi belle que les rayons de l’aurore se reflétant dans une bulle de rosée – qui unit Naïma et Tony (son timide et banal ami d’enfance) dans un parc, l’on se délecte de petits récits fort bien menés. Justes dans le ton, audacieux dans le fond. Des grungeux désenchantés, adulant Kurt Cobain comme un frère de leur nuit noire, qui découvrent la liberté de la création dans les furieux orages d’un tableau des Beaux-Arts, et c’est tout un horizon qui se dégage. La littérature révèle toute sa force, celle de renverser les valeurs tout en charriant jusqu’au vertige les sentiments les plus forts. (T.F.) m Paru au Rouergue, collection doAdo (9,50 €) Également disponible, Comment (bien) rater ses vacances (11,50 €) — www.lerouergue.com

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Cinq questions à…

Olivier Chapelet Le directeur des Taps met sobrement en scène Le Gardien des âmes1 de Pierre Kretz. L’histoire d’une Alsace schizophrène narrée par un homme terré dans sa cave, devenant “atelier de fabrication” de la mémoire des malgré-nous, des âmes perdues… Je résume le récit : le narrateur est caché au fond de la cave familiale d’Heimsdorf, là où, avec ses parents, ils s’étaient réfugiés lors de bombardements en 1944. Il devient alors le “Gardien des âmes”, songeant à son père mort sur le front et à tous les soldats disparus en “Russlànd”, à sa mère, devenue folle et décédée en internement à Rouffach, et aux veuves de guerre… À l’origine, je voulais monter, et traduire en dialecte alsacien, Requiem des Innocents de Calaferte, roman autobiographique sur son enfance, un texte dur mais à la puissance fédératrice. J’ai découvert Le Gardien des âmes par l’intermédiaire du comédien Francis Freyburger. Il m’a fait rencontrer Pierre Kretz qui a suivi mon adaptation du texte et a travaillé sur la traduction pour la version en alsacien, une langue orale, concrète, dans le corps… Francis a retravaillé les mots de Pierre en fonction de son ressenti, de sa propre perception.

l’ancienne directrice du Centre Dramatique Régional de Lorraine : Naître coupable, naître victime, sur les paroles d’enfants de déportés et de SS. C’est difficile pour les uns comme pour les autres. Le narrateur du roman de Pierre Kretz est redescendu dans la cave pour se débarrasser de ses fantômes, se libérer de sa culpabilité, gratter le sol, voir d’où il vient. Est-il Français ou Allemand ? Au dernier chapitre, il évoque le suicide, mais a peur de mourir en lâche…

« J’aimerais bien me débarrasser de la honte qui me colle à la peau depuis l’enfance. Je sais bien que ce n’est ni ma faute, ni la sienne, si mon père est mort en Russlànd comme soldat allemand » : le narrateur souffre d’un insupportable sentiment de culpabilité… À la fin de la guerre, il y eut de réelles fractures au sein des familles comme celle du fils de cet homme mort sous un uniforme qui n’est pas celui de son pays. Il s’accuse aussi d’une forme de lâcheté, n’ayant ni fait son service militaire, ni la guerre. Il pense ne pas être un homme, donc inapte à avoir une relation avec une femme. Il y a quelque temps, j’ai vu une pièce de Peter Sichrovsky mise en scène par Stéphanie Loïk,

En tant qu’Alsacien adoptif, pourquoi vous êtes-vous intéressé à l’histoire de la région ? L’intrigue a lieu dans l’Alsace rurale et dialectophone. Le directeur des Taps que vous êtes a-t-il la volonté d’aller vers un public moins “urbain” 2 ? C’est notre préoccupation permanente de participer aux migrations des populations à travers la ville et au-delà, mais mon but principal est ici de permettre à la langue alsacienne de vivre dans une forme artistique différente de celle où elle est attendue en général… Quand je suis arrivé dans la région en 1996, j’ai tout de suite été frappé par cette identité si forte. À moitié Basque et connaissant un peu la Bretagne, je n’ai jamais ressenti un tel particularisme. J’éprouve

de la tendresse pour l’Alsace, hier au centre des tourments et aujourd’hui au cœur d’une Europe qu’on est en train de faire. Comme la vague qui efface les traces sur le sable, le temps gomme l’histoire et c’est important de ne pas oublier.

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Comment le percevez-vous : un “inadapté” cherchant à échapper à la lumière ou un ermite qui choisit le recueillement ? Un saint ? Non, c’est avant tout un marginal dont l’originalité vient d’un traumatisme en lui. Dans le spectacle, cet homme sera à la fois un “vivant”, incarné, physique, qui parle, et une “ombre”, une “figure” portant les mots de tous ces fils qui ont vécu la même chose. Avec Francis, on ne veut surtout pas en faire un fou.

Est-ce un défi que de mettre en scène un long monologue ? Sur le plateau, il y aura des projections vidéos : des images mentales du narrateur ? Un monologue n’est en effet pas “évidemment” théâtral. Le pari est de rendre “nécessaire”, par notre travail, l’expression scénique du texte. Ici, c’est un soliloque, car le comédien “parle à son bonnet” comme dirait Molière. Contrairement au roman, il ne s’adressera pas au public qui fera son propre choix de savoir si le narrateur est vivant ou mort, si c’est un corps ou une âme. Est-ce de la chair ou du vent ? Il y aura un plateau presque nu et des vidéos projetées sur un écran en tulle afin de passer du réel au virtuel, du personnage à son image fantasmatique. 1 Roman édité par la Nuée Bleue en février 2009 Lire aussi, du même auteur et aux mêmes éditions, Quand j’étais petit, j’étais catholique (récemment traduit en Allemand par Klöpfler & Meyer) – www.nueebleue.com 2 Le spectacle tournera à l’Espace Rohan de Saverne le 5 mai, à Schweighouse-sur-Moder le 14 mai, à Bühl (en Allemagne) en septembre (version dialectale surtitrée), à l’Espace Culturel de Vendenheim et à la MAC de Bischwiller en novembre

Propos recueillis par Emmanuel Dosda Photo : Benoît Linder pour Poly

m À Strasbourg, au Taps Scala, mardi 8, jeudi 10 et samedi 12 mars en version française & mercredi 9, vendredi 11 et dimanche 13 mars en version alsacienne 03 88 34 10 36 – www.taps.strasbourg.eu m Les 10 et 11 mars, à 19h, le Taps Scala invite l’atelier linguistique théâtral alsacien Verzehl m’r nix, Les m’r ebs à présenter des lectures "multilangues" de textes de Pierre Kretz et d’autres auteurs alsaciens


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m

e

Architecture

a Maison européenne de l’architecture – Rhin supérieur Europäisches Architekturhaus – Oberrhein

Le bio Danube bleu Le futur écoquartier Danube, situé entre ville et port, l’Esplanade et le Neudorf, est conçu dans le respect de l’histoire du lieu et de sa biodiversité. Une jachère industrielle aujourd’hui, un labo pour la cité de demain, privilégiant l’implication citoyenne.

L

e projet Danube participe au déplacement du centre de gravité de Strasbourg vers l’Est. Ainsi, ce futur “morceau de ville” s’implantera dans la continuité de la médiathèque Malraux et de l’UGC. Un peu moins de sept hectares de surface et neuf îlots rassemblant 2 000 habitants répartis sur 650 logements, dont 50 % de sociaux afin de favoriser la mixité sociale. Début de livraison des bâtiments : 2013. Ce projet urbain de la CUS (le maître d’ouvrage) et de la Sers* est au cœur d’une politique consistant à ouvrir la ville et ses modes de construction aux citadins. Dès 2008, des ateliers concernant le secteur et son aménagement possible réunissent associations, conseils de quartiers, urbanistes ou archis afin de définir les orientations. L’écoquartier

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en préparation est aujourd’hui entre les mains de l’équipe pluridisciplinaire retenue qui regroupe Devillers & Associés (architectes, urbanistes et paysagistes parisiens, mandataires du projet), les Strasbourgeois de l’agence Richter Architectes, les bureaux d’étude Coteba et Sogreah (développement durable, mobilité, environnement…), Les Éclairagistes Associés ainsi que le botaniste Philippe Obliger.

Performant énergétiquement, mais pas seulement… Gestion de l’eau, de l’énergie, des déplacements : pour la réalisation de l’écoquartier, ce “collectif” tiendra bien évidemment compte des exigences environnementales (par exemple en installant des capteurs photo-thermiques

sur les immeubles les plus hauts afin d’assurer l’approvisionnement en eau chaude), mais il les dépassera largement. Selon Magali Volkwein (Devillers & Associés), « ces données font partie de la palette d’outils de base de la conception. C’est une évidence en 2011 ! » Comment aller au-delà ? Notamment en accordant une place importante à la protection de la biodiversité du site, comme l’explique Philippe Obliger : « Nous sommes en présence d’un écosystème propre aux zones portuaires, une faune et une flore particulières aux friches industrielles, avec par exemple 470 espèces de plantes rudérales. » Le quartier sera traversé par le long Jardin portuaire, lieu de vie, de rassemblement, où la végétation, mais aussi l’eau seront très présents.


Le grand jardin, ainsi que les bassins de stockage temporaires des eaux pluviales permettront de réduire les îlots de chaleur, de « corriger la minéralité de la ville ».

Innovant et surtout vivant

De part et d’autre de cet espace central verdoyant se déploieront les bâtiments qui, par leurs matériaux, rappelleront l’identité du site. Un cahier de prescriptions laissé aux bailleurs sociaux, pro-

« Dans un tissu haussmannien classique, pour voir le ciel, il faut lever les yeux tandis que sur cette zone, où il y a des volumes isolés à des échelles très variées, on l’a à hauteur d’homme. C’est un des éléments du projet. » Pascale Richter

moteurs ou autopromoteurs (regroupements de particuliers autour d’un projet immobilier, ici à hauteur de 10 %), offre un panel restreint de matières (béton, briques ou bois) qui se patineront avec le temps. Autre particularité du site : la lumière. Pascale Richter : « Dans un tissu haussmannien classique, pour voir le ciel, il faut lever les yeux tandis que sur cette zone, où il y a des volumes isolés à des échelles très variées, on l’a à hauteur d’homme. C’est un des éléments du projet. » L’équipe a une idée précise du quartier, mais n’impose pas de “plan-masse” figé. Magali Volkwein aimerait « susciter le maximum de créativité et d’appropriation de la part des constructeurs, architectes et habitants. » Ceux-ci devront cependant « répondre à quelques règles pour garder un caractère unitaire assez fort », malgré les différentes typologies de logements. Un cahier des charges strict s’impose sur certains

points : des surfaces partagées extérieures, mais aussi dans tous les bâtiments d’habitation (terrasses, ateliers, buanderies ou locaux de répétition). Les architectes demandent également à ce que les espaces de distribution des immeubles soient dimensionnés de manière à ce que l’on puisse emmener son vélo chez soi. À proximité de la ligne du tram (mais aussi de la RN4), le quartier accorde peu de place à la voiture (0,5 place de stationnement par logement). Si l’automobile est quasi persona non grata (grâce à une circulation réduite), le Danube favorisera l’utilisation des modes de transport dits “doux”, notamment en mettant en place, aux deux extrémités du quartier, des bouquets de services rassemblant des points Auto’trement et Vélhop, mais aussi des commerces de proximité ou cafés… Outre les logements, le quartier comptera jusqu’à 20 000 m2 de surface de bureaux, du

tertiaire à l’artisanat. Il y aura une école maternelle, peut-être une maison de la petite enfance… Tout ceci participant à « garantir un quartier vivant ». Selon Alain Jund, adjoint au Maire en charge de l’urbanisme, « si nous voulons répondre à certains défis énergétiques, climatiques ou de déplacements, nous avons le devoir d’expérimenter de nouvelles manières de vivre dans la ville. » Ainsi, le projet Danube devrait servir de modèle aux futurs autres écoquartiers (sur l’ancien site de la Brasserie Kronenbourg, à Vendenheim, à Illkirch…), voire inspirer l’ensemble de la cité. Société d’aménagement et d’équipement de la région de Strasbourg – www.sers.eu

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Texte : Emmanuel Dosda

m www.agencedevillers.com www.richterarchitectes.com

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GRAND ENTRETIEN

Le lion, sa cage et ses ailes Banni de l’institution depuis décembre 1968 – La Passion du général Franco est interdite au Théâtre national Populaire par de Gaulle, cédant aux injonctions espagnoles – Armand Gatti est le dernier grand lion de la poésie et du théâtre engagé. En novembre dernier, le TNS invitait cette conscience de 86 ans pour un atelier avec les élèves de l’École autour d’Un Homme seul, méditation sur la solitude d’un militant défait lors d’une bataille de La Longue Marche.

D

ans un début de siècle dénué de toute démesure, ce poète à l’œuvre-fleuve composé sur tous les continents (de la Chine maoïste à l’Irlande du Nord de Bobby Sands) fait du langage la dernière arme pour s’approprier le monde. Armand Gatti, c’est une vie d’aventurier tendue vers la révolte. Le théâtre ? Il l’a découvert dans le camp de concentration dont il se dit, parfois, qu’il n’est pas encore sorti. Des juifs lituaniens et polonais entamaient une longue litanie, scandant en transe des « Ich bin » symboles de reconquête d’humanité au bout de l’horreur. Ich bin – je suis, malgré le camp et les nazis, instant fondateur… En 1954, ce fils d’immigrés italiens qui a grandi dans le bidonville du Tonkin (Monaco), reçoit le prix Albert Londres1. Celui qui écrira plus de pièces qu’il ne peut en compter a, alors, 30 ans. Dans cette époque épique, il a déjà été résistant de la première heure, arrêté, condamné à mort puis gracié en raison de son jeune âge, déporté en camp de travail. Il s’en évade, devient parachutiste dans les SAS et participe à la libération de Limoges. Après guerre, son chemin le fait croiser Mao durant un reportage en Chine, « le médecin argentin » Ernesto Guevara dans un taxi en pleine guérilla guatémaltèque, Ulrike Meinhof, journaliste pré-RAF pas encore « suicidée » ou encore le cinéaste Chris Marker dans le transsibérien. De ces

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rencontres, il créera des pièces et des films témoignant d’une résistance au monde, d’une solidarité jamais démentie et d’une recherche par le mot juste de l’abolition des représentations habituelles, d’une

« Je n’arrive pas à considérer le théâtre comme un moyen d’amuser, de distraire. Je préfère le concevoir comme un perpétuel moyen de libération – non seulement toute soumission et enfermement, entremêlant les histoires de chacun à son de préjugés, d’injustices propre souffle. Rencontre avec un vieux (…) mais aussi du lion, les ailes toujours déployées. conformisme et de certaines Du quotidien, la poésie façons de penser qui, « Je viens d’une famille très pauvre. Deux de mes oncles anarchistes ont été pendus arrêtées, deviennent à Chicago, le 1er mai. Mon père, dans son cercueils. » exil, a échoué à Monaco, ne réussissant Armand Gatti parole errante libératrice. Depuis longtemps les comédiens professionnels ont laissé place à des volontaires (étudiants, ouvriers, prisonniers) avec lesquels Gatti part en quête d’un langage affranchi de

pas à franchir la frontière vers le Piémont. Il était balayeur. La poésie est née du quotidien. Les jours où il n’y avait rien à manger à la maison, nous mettions les assiettes, même celle du chien. À table, mon père demandait à ma mère de réciter le bénédicité. Et il égrenait le repas : de la morue, des tomates, des olives cuites,


dans un langage entre le Piémontais et le Monégasque… Jambon, Pastasciutta… on le disait mais il n’y avait rien sur la table. Que des mots. Ça reste un élément très fort. Pour moi, le langage s’est organisé à partir de là. »

entre le spectateur et l’acteur. Donc si on veut monter une pièce, il faut qu’au premier jour des répétitions, les spectateurs soient là, car ce sont eux la pièce. Pas besoin d’argent là-dedans. »

L’aventure poétique plutôt que la logique commerciale

« Comment les comédiens vont-ils s’exprimer ? Le langage est mis sous bonne garde, engoncé dans des déterminismes fabriqués par l’homme, croyant par là se dire alors que c’était s’annuler ! Je fais appel à deux langages : celui, physique, du corps et celui de l’esprit. Et comment les représenter ? Du côté des acteurs, le kungfu, retrouvant ainsi le trait créateur du Tao qui est la base de toute pensée orientale. Les spectateurs ont le Tai-chi et je me

« Nous sommes en pleine société spectaculaire et marchande qui a ceci de particulier que, pour faire exister les choses, ce n’est plus la pensée qui évalue, mais un bout de papier. Aujourd’hui, le créateur est le billet de banque. Mais qu’est-ce que ça peut bien prouver un morceau de papier ? In God we trust ! J’emprunte un autre chemin. Le théâtre est la rencontre

Réinventer le langage

retrouve en plein Livre des mutations (le Yi-King, NDLR) pour écrire une pièce. Cet été, à Neuvic2, en Corrèze, nous avons trouvé comment passer d’un langage à un autre en introduisant l’idéogramme dans notre façon de dire le théâtre : ce qui a toujours manqué aux langues occidentales, c’est ce qu’en chinois on appelle “souffle médian”. »

Le cadeau de Mao « La grande découverte de ce langage s’est faite en Chine. Journaliste, j’ai refait le trajet de La Longue Marche passant sur le célèbre pont de la rivière Dadu, épisode glorieux de la Révolution chinoise où, plutôt que d’employer les armes, les partisans de Mao ont fait diversion avec

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GRAND ENTRETIEN

Pour Nicole. Mais j’étais contre les armes. Ils ont cru que je venais me faire nourrir. On était quatre au début mais, au même endroit, 50 000 à la libération. Juste avant qu’on nous arrête tous les quatre, j’ai quand même réussi à donner un sens au maquis. Je leur ai fait admettre que, justement, avec toutes les histoires de repas faits de mots de mon père, il n’y a qu’une seule façon de résister, comme Gramsci3, par la parole. Dire des choses qui sont un combat et avec lesquelles on doit se battre. Nous lisions aux arbres les lettres que Gramsci a écrites à ses enfants. »

Badge sur veste noire

une pièce pour passer la rivière. Dieu le père, qui ne sait plus trop ce qu’il dit, y était promené par son fils dans la cathédrale de Shanghai pour qu’il ait une discussion avec Karl Marx. Toute la pièce parlait de cette rencontre avec beaucoup d’humour. Elle s’est faite anéantir, complètement.

« La résistance ? Lorsque le verbe être annule le verbe avoir. » Armand Gatti

Mais le reste des troupes de Mao a encerclé les troupes du Kuomintang. La Révolution chinoise a alors pu avancer. Y déjeunant avec Mao, il me dit : « Le peuple chinois veut vous faire un cadeau : l’idéogramme. Lorsque vous écrivez, ayez-le présent. » Je lui réponds : « Que puis-je en faire, je ne lis pas le chinois ! » Il s’est durci : « Ce n’est pas une traduction que je vous demande, c’est une prise de conscience. Vous avez un trait qui veut dire quelque chose, un autre fait allusion à autre chose… Et le tout est porteur d’un sens encore différent. » Notre langage occidental était jeté à bas. Comment dans

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la langue française, ma bien-aimée, faire exister l’idéogramme ? Je n’ai réussi que dernièrement, à un âge assez canonique, à Neuvic. Finalement, qu’est ce qui pourrait être le symétrique de l’idéogramme en français ? La phrase ! “Je vous parle” est un idéogramme pour nous. - “je” va chercher sa vérité dans le monde pronominal qui est en rapport avec moi. - “vous”, appartient au même, mais s’écrit différemment et désigne autre chose que le moi personnel. - “parle” cherche sa vérité dans le monde verbal. Tous ces ajouts forment l’idéogramme. Je peux ainsi essayer d’entrer dans l’aventure du langage et du mot, à partir de la phrase. »

Résistance « Tout a commencé avec Nicole, la fille d’un bijoutier de Monaco. La lutte de classe, zéro ! La fille du bijoutier ne discute pas avec celui du balayeur. Elle était formidable, Nicole, et il y avait un point sur lequel on s’attrapait tout le temps, Nietzsche. Pour moi, c’était quelqu’un de droite, plutôt facho et pour elle, « le seul qui défendait les juifs ». Elle l’était, juive. Ça a été mon premier amour. Un jour j’apprends à la bibliothèque où l’on se donnait rendez-vous que toute sa famille avait été déportée. C’est pour ça que je suis parti en Corrèze, dans le maquis.

« Le badge que je porte représente Buenaventura Durruti, leader anarchiste durant la guerre d’Espagne, mort sur une barricade à Madrid, d’une balle dont on ne sait officiellement si elle était fasciste ou stalinienne. Mais on sait que les communistes, se disant alliés des anarchistes, avaient reçu l’ordre de le zigouiller. Alors que je créais La Colonne Durruti ou Les Parapluies de la Colonne I.A.D à Bruxelles, Cipriano Mera4 est arrivé avec cette veste noire que je ne quitte plus. Il m’a dit : « Voilà, elle t’appartient. Buenaventura l’a oubliée à Paris lorsque les événements ont éclaté. » Il se trouve que des ouvriers parisiens ont monté cette pièce dans les rues de Paris et fabriqué des badges avec son portrait qu’ils donnaient au public. Quand les flics arrivaient à cause de l’attroupement, ils allaient vers eux et leur donnaient ça… » 1 Prix prestigieux distinguant, en France, le meilleur Grand Reporter de la presse écrite 2 Il s’agit de la dernière création de Gatti : Sciences et Résistance battant des ailes pour donner aux femmes en noir de Tarnac un destin d’oiseau des altitudes 3 Antonio Gramsci (1891-1937), écrivain et membre fondateur du Parti communiste italien 4 Cipriano Mera (1897-1975), dirigeant anarcho-syndicaliste espagnol

Propos recueillis par Thomas Flagel avec l’aide d’Olivier Neveux Photos : Benoît Linder pour Poly

m À paraître : La traversée des langages, courant 2011 et Les Cahiers d’Armand Gatti : Les cinémas de Gatti, revue annuelle, n°2, Éditeur La Parole errante, au mois de mai


ENTRÉE LIBRE AVEC LE PASS MUSÉES

ARMAN

16/02/2011-15/05/2011 AU MUSÉE TINGUELY, BÂLE

www.passmusees.com


QUINZAINE IRANIENNE – STRASBOURG

L’écume de la révolution Profitant de la Quinzaine culturelle iranienne (voir encadré), nous interrogeons le journaliste Serge Michel. Auteur avec le photographe Paolo Woods de l’excellent ouvrage Marche sur mes yeux1, il livre un portrait inédit de l’Iran où il a séjourné à plusieurs reprises, de 1998 à 2009. Interview.

Un vendeur du bazar de Téhéran présente un modèle particulier, pour clients avertis, qu’une autre boutique a mis discrètement à sa disposition. En laine sur une trame de soie, il compte 90 nœuds asymétriques au cm2 et vaut 2 000 €. Photo : Paolo Woods

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QUINZAINE IRANIENNE – STRASBOURG

Comment expliquez-vous le traitement médiatique de ce pays dont vous dites qu’il est « réduit depuis la Révolution islamique de 1979 à des clichés, noirs comme une femme voilée, comme une théocratie ténébreuse » ? Je pense que l’impact de la Révolution a été énorme dans les médias. L’image de Khomeiny – barbe blanche, regard noir et turban – a surpris. Jusqu’en 1979, l’Iran évoquait le Shah et ses magnificences, un pays touristique exceptionnel, la Perse antique, etc. Tout d’un coup, on se retrouve avec une théocratie choquant, encore aujourd’hui, l’imaginaire européen. Ensuite, les événements comme la prise d’otages de l’ambassade américaine ont fait peur au monde. La guerre Iran-Irak (19801988) où l’on considérait Saddam Hussein comme le “good guy” contre les méchants iraniens n’a rien arrangé. La question des femmes est aussi très émotionnelle. Imposer le voile est apparu comme le comble de la dictature. Et l’on en est resté là car, évidemment, on pouvait toujours faire frissonner les lecteurs avec des sujets sur les femmes opprimées… On sent bien à la lecture de votre livre, notamment la longue introduction, que vous vous êtes heurté à la difficulté de passer outre les clichés… J’en avais plein la tête parce que tout ce qu’on a vu et lu va dans le même sens : un pays du mal. Mais on découvre qu’il est plutôt plaisant. Les gens sont intéressants et ont, malgré tout, une certaine liberté de parole. Ce n’est pas la Corée du Nord ! Et puis l’enthousiasme que l’on ressent au début est tempéré avec le temps par des formes plus subtiles de pressions. Avec Paolo Woods, vous donnez à voir et à lire une cinquantaine de portraits d’Iraniens, comme autant de paradoxes entre carcan religieux et espaces de liberté sociale insoupçonnés : par exemple le “sigheh” (contrat de mariage temporaire) et les taxis-proxénètes de Mashad… Ce pays est très déroutant. Il faut imaginer qu’il est fait de multiples couches : une couche pré-islamique zoroastrienne qui existe encore par le biais de fêtes

datant d’avant l’Islam, une autre sunnite2 lorsque le pays a été envahi par les arabes, la couche chiite à partir du XVe siècle, la couche moderniste du Shah qui voulait faire de son pays une sorte de Singapour du Moyen-Orient, une couche révolutionnaire, une autre communiste car les mouvements de gauche étaient très forts au moment de la Révolution et aujourd’hui celle des réformateurs qui sont écrasés. Tout cela s’additionne sans se remplacer. Selon l’endroit de ce mille-feuille où vous creusez, vous obtenez autant de paradoxes avec lesquels composer. L’autre élément perturbant est qu’au fond les Iraniens ont une habitude de la dictature qui remonte à 3 000 ans de régimes forts, voire totalitaires. Du coup, ils développent toute une culture de l’évitement, de l’accommodement avec le régime. Ces stratégies se font aussi face à l’Islam. Certains ont une vie parallèle, comme ces proxénètes : ils mènent une vie religieuse très pieuse et respectueuse, tout en ayant des activités totalement illicites. Ils vivent dans une contradiction permanente et ne s’en rendent plus compte. Un autre exemple est frappant, celui des deux frères vivant sous le même toit : l’un fait partie des bassidjis3 et l’autre soutient Moussavi4, figure de l’opposition au régime… Nous avons découvert que les divisions politiques vont jusque dans les familles. C’est une réalité : l’Iran a beaucoup de facettes et deux frères comme eux peuvent grandir avec des vues totalement opposées l’une de l’autre, tout en partageant la même chambre, le même ordinateur et devoir se parler tous les jours. Vous comparez les jeunes étudiants des événements de 1999 avec les « faux insoumis », sortes de « rebelles à l’occidentale » des années 2000. Vous étiez surpris par le réveil de cette jeunesse, autour de l’élection de 2009, qui a nourri la vague verte lors du passage en force d’Ahmadinejad ? J’avais vu sous Khatami, président de 1997 à 2005, des gens un peu lassés par les promesses non tenues. Une vague réformiste de jeunes s’engageait et prenait des risques. J’ai observé ce mouvement se fatiguer et se dire que, n’arrivant pas à

changer les choses, il valait mieux s’aménager une bonne existence, se marier, avoir une maison et une voiture. Il a bien fallu constater en 2009, à l’occasion des élections, qu’il ne l’était pas. Une braise sous la cendre s’est remise à brûler d’un coup ! Même si leur histoire diverge et que les Iraniens sont perses et pas arabes, le parallèle avec les récentes révolutions tunisiennes et égyptiennes s’impose. L’Iran n’est pas passé loin, à l’été 2009, d’un même destin. Pourquoi ont-ils échoué ? La répression était plus forte ? Je pense qu’il y a deux facteurs à cet échec : le premier est un savoir-faire répressif indéniable. Le régime contrôle beaucoup mieux les choses que Ben Ali. Il sait empêcher les rassemblements, arrêter les gens au préalable, ne pas aller trop loin. Il ne fait pas trop de morts et s’il y en a, les fait disparaître pour empêcher les enterrements et les célébrations (traditionnellement 3 jours, 7 jours et 40 jours après le décès, NDLR), autant d’occasions de nouveaux rassemblements. Le régime iranien sait ménager des soupapes de liberté personnelle. On dit toujours que c’est très surveillé mais il y a de nombreuses fêtes où les gens s’amusent et dansent. Le pouvoir laisse faire sachant que s’il éteignait tout, il se prendrait le retour du balancier. Le second facteur est qu’il n’y a pas la même situation de désespoir qu’en Tunisie. On a l’impression que làbas, ils n’avaient rien à perdre. Le jeune homme qui s’est immolé, déclenchant par ce geste la révolte, n’a pas d’équivalent en Iran. Pas mal d’argent circule dans le pays grâce au cours actuel du pétrole et les Iraniens semblent s’être accommodés de la situation. La place et l’influence du Guide Suprême, qui tire toutes les ficelles en coulisses, n’est-elle pas un troisième facteur ? Les Iraniens n’ont pas réussi à chasser Ahmadinejad car il leur aurait alors fallu s’élever contre l’ayatollah Khamenei qui l’a soutenu ? Ce facteur religieux est en effet un piège bien orchestré. Il est difficile de s’élever contre un système organisant et utilisant

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QUINZAINE IRANIENNE – STRASBOURG

votre croyance. Je pense que ce piège s’est refermé sur les gens, pour les empêcher d’aller jusqu’au bout. Une dizaine de grands ayatollahs iraniens (le stade suprême de la hiérarchie chiite) est en vie. Huit d’entre eux sont contre le système en place, estimant qu’il faudrait séparer la politique et la religion. Mais ils n’arrivent pas à s’exprimer suffisamment pour créer un mouvement qui pourrait être religieusement légitimé. Les célébrations, le 11 février, de l’anniversaire de la Révolution semblent s’être déroulées dans le calme. Le régime conservateur tente de tourner à son avantage les événements d’Égypte… Bien sûr, même si ce n’est pas encore fait ! Ils espèrent récupérer les révolutions tunisiennes et égyptiennes en les faisant passer pour des mouvements religieux qui essaient de se débarrasser de ce qu’ils présentent comme des dictateurs pro-occidentaux, anti-islamiques et corrompus. Mais les images qui sont parvenues en Iran ont dû donner des idées au mouvement vert. La possibilité physique de manifester en Iran est très faible. Le

régime essaie de tourner cela à son avantage mais doit être inquiet de voir ce qui s’est passé là-bas. Où en sont Moussavi et l’opposition ? À ma connaissance, ils sont libres, c’està-dire pas arrêtés, mais surveillés comme jamais. Ils ne peuvent sortir de chez eux. Une expression en persan dit : « Trancher la gorge avec du fil de coton ». On ne vous coupe pas la gorge avec une guillotine en public, mais avec un petit fil de coton, en frottant doucement sur le cou, en permanence, si bien qu’on arrive à leur couper la tête. Ils sont dans cette situation d’être étouffés, mais sans que ce soit une mesure radicale comme une arrestation ou un enfermement qui aurait peut-être provoqué une révolte. Ils sont coincés et ne peuvent plus bouger ni s’organiser. Au niveau culturel, nous savons peu de choses du foisonnement artistique iranien, mis à part quelques cinéastes et artistes contemporains comme Abbas Kiarostami ou Khosrow Hassanzadeh. Pourtant, on relate un nombre im-

portant de galeries, de groupes et de lieux underground destinés à la musique, notamment dans les grandes villes. Qu’en est-il ? Effectivement, on observe ce contrepoint à un système autoritaire qui provoque une certaine effervescence artistique avec d’excellents peintres, des écrivains, des poètes… La censure a l’avantage de pousser les artistes dans certains retranchements. La scène artistique de Téhéran est réelle et importante. Il y a d’excellents

« Marche sur mes yeux est une formule de politesse, signifiant “bienvenue chez moi”, à dire lorsqu'on reçoit des invités. Nous l'avons choisie pour titre car elle accueille avec la douceur de la poésie tout en contenant une certaine violence qu'on peut lire comme celle du régime envers les opposants. » cinéastes comme Kiarostami, qui est l’un des plus connus même s’il n’en est pas le plus représentatif aujourd’hui. Beaucoup d’Iraniens estiment qu’il produit des films pour l’Occident en y mettant une certaine poésie orientale. D’autres cinéastes sont plus combatifs.

Deux frères et trois amies, dans la villa des parents de l’une d’entre elles, quartier de Saadat Abad, à Téhéran. La piscine reste vide car il est interdit de se montrer en maillot de bain à ses voisins. Photo : Paolo Woods 26 _ Poly 139 - Mars / Avril 11

C’est le cas de Jafar Panahi, invité sans succès à participer aux jurys du Festival de Cannes et de la Mostra de Venise 2010 mais aussi de la Berlinale, en février 2011. Le réalisateur iranien est toujours assigné à résidence après avoir été enfermé. Pensez-vous que ce traitement des artistes pourra encore durer longtemps ? Kiarostami a fait de très beaux films mais a décidé de se dépolitiser, conservant la possibilité de travailler, d’aller et venir. D’autres ont été plus radicaux comme Panahi5. Ils subissent une répression forte. Le régime, malgré ce qu’on peut en espé-


QUINZAINE IRANIENNE – STRASBOURG

rer, est solidement en place. La prochaine élection présidentielle aura lieu en 2013. Je me réjouis de voir comment le régime va devoir trouver une solution pour organiser la continuité d’Ahmadinejad qui ne pourra pas se représenter une troisième fois. L’ancien président Mohammad Khatami était ministre de la culture dans les années 1980. Il a favorisé l’éclosion artistique à cette époque. Qu’en est-il de la culture étrangère et de sa censure ? La culture étrangère telle qu’on peut la voir au cinéma est extrêmement limitée. Les films qui passent à la télé ou dans les cinémas sont amputés d’une scène sur deux car, dès qu’il y a une personne un tant soi peu dénudée à l’écran, les ciseaux de la censure se mettent à l’œuvre. Par contre, de nombreuses traductions de livres existent en persan. Khatami a libéralisé les choses lorsqu’il était président. Au Salon du livre de Téhéran, il y avait énormément de livres étrangers. On pouvait y acheter plein de romans américains, français… Aujourd’hui cela est de nouveau très limité mais la culture underground importe massivement. Par exemple, les films américains sont filmés par des Iraniens à leur sortie en salles aux États-Unis et, une semaine plus tard, on sonne à votre porte avec un bac de DVDs . Ce n’est pas maîtrisable par le régime, comme les antennes satellites sur les toits des maisons. Par ce biais, la pénétration de la culture étrangère est assez forte. Votre livre existe-t-il là-bas ? Non. Nous travaillons sur une traduction en persan que nous mettrons gratuitement à disposition sur Internet. 1 Marche sur mes yeux – Portrait de l’Iran aujourd’hui, éditions Grasset, 2010 (22 €) – www.grasset.fr 2 Branche majoritaire de l’Islam (85 % des croyants dans le monde) mais minoritaire en Iran, dominé par le chiisme 3 Milices islamiques 4 Mir Hossein Moussavi est, avec Mehdi Karoubi, l’un des leaders de l’opposition iranienne, à la tête de la vague verte contre Ahmadinejad

L'Iranien Asghar Farhadi a reçu l'Ours d'or, à Berlin, du meilleur film pour Nader et Simin, une séparation

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Propos recueillis par Thomas Flagel

m Rencontre avec Serge Michel, samedi 19 mars, à la Librairie Kléber http://marchesurmesyeux.fr

Sanaz, 32 ans, est devenue dentiste à Téhéran, poussée par ses parents. Elle a un mari mais pas encore d’enfants, parce qu’elle voulait se donner le temps de démarrer sa carrière et de voyager un peu. Photo : Paolo Woods

Deux fois plus sinon rien

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our sa seconde édition, la Semaine iranienne s’est muée en… Quinzaine iranienne ! Deux fois plus de temps donc pour découvrir les différentes facettes de cet immense pays du Moyen-Orient. Les cinémas Star et Star Saint-Ex proposent quelques perles comme les avant-premières de Women without men et Lonely tune of Tehran ou encore le poignant brûlot The Hunter et le sociétal Sang et or signé Jafar Panahi. Il sera question de théâtre à l’Aubette (le 26 mars à 20h) avec Où je l’ai vu pour la dernière fois ?, pièce relatant la rencontre de trois immigrées (iranienne, irakienne et bulgare) dans une laverie française, sur fond de vies occultées et de passé oublié. Payam Mofidi projettera son court-métrage d'animation Poeticide (du 14 au 27 mars, à l'Aubette). Un

cauchemard étouffant, dessiné au trait, qui évoque l'absence de perspective d'avenir. Majid Rahnema, ancien ministre et ambassadeur, donnera une conférence dans ce même lieu (le 16 mars à 17h30) tandis qu’à la Cité de la musique et de la danse résonnera le blues de Rana Farhan accompagnée par quatre musiciens alsaciens (le 17 mars à 20h30). Enfin, ne manquez pas les festivités du Nouvel An iranien, le 15 mars dans la salle du Baggersee, où vous découvrirez la fête du feu sur fond de musique traditionnelle et de mets iraniens, bien entendu. m À Strasbourg, dans divers lieux, du 14 au 27 mars www.semaineiranienne.eu

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ART CONTEMPORAIN – ALSACE

Au-delà du carré Avec Partir de loin… le Musée des Beaux-Arts de Mulhouse nous invite à découvrir l’œuvre d’Élisabeth Bourdon. Marquées par une forme géométrique élémentaire, le carré, ses peintures fascinent.

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ans la grammaire stylistique de la Mulhousienne Élisabeth Bourdon, le carré occupe une place centrale : il est l’unité géométrique de base d’un alphabet plastique complexe. Ses toiles – carrées – en regroupent des milliers mais ne sont pas un assemblage froid de cette seule figure qui n’est jamais traitée comme un invariant rigide. L’association des quadrilatères rappelle parfois certaines compositions de François Morellet, même si on ne sent ici aucun caractère sériel et répétitif. Les tableaux exposés invitent au voyage et permettent de provoquer un « frémissement » revendiqué par une artiste qui ne cesse d’interroger les sens du spectateur. Comment alors ne pas penser à Vasarely qui aimait lui aussi créer des effets vibratoires ? Le second aspect essentiel de l’œuvre d’Élisabeth Bourdon est le rapport puissant qu’elle entretient avec les couleurs. Formes géométriques simples et colorées créent un intense effet de pure poésie. Texte : Raphaël Zimmermann

m À Mulhouse, au Musée des Beaux-Arts, jusqu’au 27 mars 03 89 33 78 11 – www.musees-mulhouse.fr www.elisabeth.bourdon.fr Élisabeth Bourdon, Vingt-huit avril

Expos, ça tourne ! L Lors du Week-end de l’art contemporain en Alsace, parcours arty dans tout le réseau Trans Rhein Art, les expos ne sont pas itinérantes, mais les visiteurs, si.

a Chaufferie ou La Chambre à Strasbourg, le Frac Alsace à Sélestat, La Kunsthalle de Mulhouse, la FABRIKculture à Hégenheim… Le Week-end de l’art contemporain propose gratuitement un circuit reliant tous les espaces participant à cette opération rythmée par des visites et des rencontres. Des trajets en bus seront gracieusement mis en place, dimanche 20 mars. Profitons de cette manifestation pour (re)voir les expos présentées en Alsace : musicale (Mélodie : toujours l’art des autres au CEAAC), humaine (Human Cities à Apollonia), glamour (Knapp, ça tourne ! à Stimultania), ténébreuse (AfterDark à La Filature dans le cadre du festival TRANS(E)), lumineuse (2 éclats blancs toutes les 10 secondes (suite) d’Ann Veronica Janssens et Aurélie Godard au Crac), métaphorique (La grande ours de Nicolas Herubel à La Chaufferie), rétrospective (Mini Golf d’Éric Tabuchi à La Chambre) ou collective (Agnès Rosse et Laissez-les faire au Syndicat Potentiel). Notons qu’un fil rouge artistique sera tissé par le chorégraphe Fabrice Lambert qui offre un Abécédaire (A comme Abstraction à La Filature, L comme Lumière au Crac, etc.) en six étapes. Texte : Emmanuel Dosda

© Bianca Brunner

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m Partout en Alsace, samedi 19 et dimanche 20 mars 03 88 58 87 55 – www.artenalsace.org


Conférences* «projets d’architecture internationaux»

[UNStudio

(Amsterdam)

mardi 15 mars avec Ben van Berken

[BIG

(Copenhague)

lundi 28 mars avec Kai-Uwe Bergmann

avec le soutien de l’Ambassade du Danemark

[MVRDV

(Rotterdam)

mardi 17 mai avec Winy Maas

20h à l’auditorium de France 3 Alsace place de Bordeaux Entrée libre communication@strasbourg.archi.fr www.strasbourg.archi.fr * conférences en anglais

]

Anne-Sophie Tschiegg

Sensible, normée, écologique, sculpturale, orgueilleuse... l’architecture est irréductible


FESTIVAL – STRASBOURG, ILLKIRCH & SCHILTIGHEIM

Melissmell Like Teen Spirit

L’ado ébouriffée sur la pochette de votre album, c’est vous ? La poupée de chiffon avec des boutons sur les yeux ? Oui, c’est une sorte de portrait. Elle me ressemble.

Melissmell, chanteuse à la voix rauque inspirée par Arthur Rimbaud comme par Mano Solo, a fait ses armes à Strasbourg où elle revient le temps d’un concert au festival des Artefacts. Questions à une artiste qui aime « faire sonner les mots ».

Vous l’avez dessinée ? Non, j’ai fait appel à un graphiste. Pourtant, vous êtes également plasticienne. J’ai fait quinze métiers avant de devenir “officiellement” chanteuse. Mon activité me permettra de tout mélanger – la musique, la peinture, le théâtre – sur une même scène. Avec votre disque, on passe de Ferré à Nirvana, de ballade paisible ou chan-

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FESTIVAL – STRASBOURG, ILLKIRCH & SCHILTIGHEIM

son réaliste, à rock énervé. L’album reflète votre tempérament ? Complètement. J’ai des côtés très colériques et d’autres beaucoup plus doux, romantiques même. Chaque facette de mon personnage est présente. J’avais envie de mélanger mes influences : chanson, classique, rock ou blues. C’est un panel de ce que j’aime, de ce que je suis. Au regard des événements récents, une chanson comme Aux armes qui ouvre votre album* prend une dimension toute particulière. Vous aviez flairé quelque chose ? J’ai écrit cette chanson en mai 2008 : je ne m’attendais pas à ce qu’il y ait une révolte en Tunisie et en Égypte au moment de la sortie du disque. Ça m’a fait le même effet que lorsque Noir Désir a sorti Le Grand incendie, le 11 septembre 2001… En réalité, j’ai fait Aux armes, mariant La Marseillaise à L’Internationale, en réponse aux propos de Nicolas Sarkozy qui disait vouloir liquider l’héritage de mai 1968. J’habitais à Strasbourg à ce moment-là, la ville où a été écrite La Marseillaise et où Gainsbourg l’a chantée, provoquant le scandale que l’on sait… Dans Les Enfants de la crise, vous chantez que “le monde est à refaire”. Si vous en aviez le pouvoir, que changeriez-vous ? J’aimerais que le vent de révolution traverse la Méditerranée. Je ne dis pas qu’il faut balancer des pavés, mais que chacun se remette en question. Si on pouvait arrêter de se comporter comme des moutons bêlants ! Votre nom vient de mélisse, comme la plante. Vous semblez très “nature”… D’ailleurs, j’ai lu dans une interview que vous ne vous laviez qu’une fois par semaine. C’est un peu crade, non ? N’importe quoi ! Ça devait être une boutade… Par contre, c’est vrai que je suis très proche de la nature. Je suis née dans les collines ardéchoises. La terre me donne des leçons et je suis à l’écoute des moindres expressions qu’elle peut m’envoyer. *

Écoute s’il pleut, Discograph – www.discograph.com Propos recueillis par Emmanuel Dosda Photo : Yann Orhan

m En concert, jeudi 7 avril, à la Salle des Fêtes de Schiltigheim www.myspace.com/melissmell

Architecture in Helsinki

Festival des Artefacts 2011

O

n ne reviendra pas sur le principe de ce festival conviant bon nombre d’artistes qu’on ne présente plus. Citons Ben l’Oncle Soul, Asa, Soprano, Stromae, tous nominés ou “oscarisés” par les Victoires de la musique 2011. Plus à notre goût : le folk “fait à partir de vieux instruments” de Moriarty, le rock musclé (et produit par un Justice) de Jamaica, les rythmes et scratches de Beat Torrent et Scratch Bandits Crew ou encore la pop atmosphérique de Syd Matters. Il n’y a pas que des artistes hexagonaux lors du festival des Artefacts. Nos favoris ? Architecture In Helsinki (pop décomplexée), Morcheeba (trip-hop enfumé) ou encore Rainbow Arabia. La musique electro-rock disjonctée du duo américain, dansante (le groupe est signé sur le label techno Kompakt) et voyageuse (écoutez Holiday in Congo) emprunte autant aux sonorités discoïdes de Giorgio Moroder qu’au rock des Slits. Les Californiens doivent aux musiques du monde comme aux productions de Diplo. Comme le veut la tradition “artefactienne”, les artistes “d’ici” ne sont pas en reste. Romeo & Sarah (voir Poly n°137), Grand March (idem), Lyre le Temps (qui a récemment sorti un vinyle très “club”, Crossworlds, en collaboration avec Colt Silvers), Mouse DTC (electro olé-olé) ou encore Manuel Etienne (l’ex-Toxic Kiss en solo)… Notre cœur balance du côté de See You Colette. Chanteuse colmarienne encore mineure, mais qui joue déjà dans la cour des grandes (Cat Power…) et collectionne les jolies vignettes intimistes et fragiles. Ses reprises – de Stooges ou de Pixies – et ses escapades électroniques (écoutez The Promise sur son MySpace) sont irrésistibles. See You Colette est-elle le pendant alsacien d’Au Revoir Simone ? Réponse samedi 2 avril à l’occasion de Scènes d’ici. m À Strasbourg, du 15 au 17 avril au Zénith (NOFX, Morcheeba, Soprano…), du 2 au 10 avril à La Laiterie (Jamaica, Goose, Scratch Bandits Crew, Architecture in Helsinki, Festival scène d’ici…) www.zenith-strasbourg.fr – www.laiterie.artefact.org m À Schiltigheim, jeudi 7 et mardi 12 avril, à La Salle des Fêtes (Les Ogres de Barback, Cali…) – www.ville-schiltigheim.fr m À Illkirch-Graffenstaden, mercredi 13 avril, à L’Illiade (Moriarty, Syd Matters…) – www.illiade.com 03 88 237 237 – www.festival.artefact.org

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THÉÂTRE – HUNINGUE & CERNAY

Le devoir de désobéissance 2 500 ans après Sophocle, Antigone continue de se dresser, seule contre tous, les mains nues. Mise en scène par Philippe Flahaut et portée par des comédiens “différents”, cette version du mythe, toute en poésie, brûle d’une vérité poignante.

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n long poème, d’un seul souffle. Une voix intérieure. Celle d’Antigone et de ses terribles origines, celle d’un destin tragique et inéluctable. Un texte comme un songe que fait l’héroïne à l’ultime jour de sa vie. Commandée par le metteur en scène Philippe Flahaut au dramaturge Eugène Durif, cette adaptation du mythe plonge loin dans les blessures de l’enfance. Œdipe aux yeux crevés, Jocaste sa mère-épouse suicidée, Tirésias dégustant ce sang, Créon, Ismène, ils sont tous là, porteurs de la tragédie depuis la nuit des temps. « Il y a quelque chose de profondément trouble et troublant quand ce qu’il y a de plus archaïque fait écho en nous à ce qu’il y a de plus intime », confie Eugène Durif. Antigone, en se libérant du poids de sa naissance, s’apprête à quitter le jour pour l’obscurité. Sur scène, ombres et lumières dessinent subtilement ce voyage intérieur. Portée par la grâce du piano, une voix de cristal pleure, chante, s’envole. Celle d’une femme qui va vers la mort. Et pour dire le courage de la liberté individuelle face à l’arbitraire du pouvoir, le devoir de désobéissance à la loi quand elle est injuste et inhumaine, ils sont treize artistes. Depuis 30 ans, Philippe Flahaut travaille avec des comédiens handicapés mentaux, créant à Millau le Centre d’art dramatique pour comédiens différents. Après L’Enfant sans nom, déjà écrit par Eugène Durif, autour du mythe d’Œdipe, ces Variations Antigone ne sont certes pas un hasard. « Quand je fais appel à ces comédiens, c’est parce qu’ils ont quelque chose à dire sur le texte », explique le metteur en scène. « Le père d’Antigone est banni de la société, il boîte, on se moque de lui. C’est une famille bancale, handicapée, qui essaye de conjurer le sort. Nous avons discuté de longues semaines avec eux sur la fatalité, sur ce qu’ils doivent porter jour et nuit, dans leur quotidien. Ils ont rapidement compris combien ces Labdacides leur ressemblaient. Ils sont là également pour montrer que l’on peut se lever, et que leur revendication face à une société pas franchement agréable avec eux peut s’assimiler à la révolte d’Antigone. » Quant à l’apport artistique et dramatique de ces comédiens, il est évident pour Philippe Flahaut : « C’est sans aucun doute leur corps. L’esthétique. Le mouvement de ces corps différents. La justesse de ces mouvements. C’est parfois de la danse. Et puis des codes autres, une façon directe de regarder sans détour l’autre comédien et le public. Sans eux, la compagnie serait ordinaire. Je les aime pour leur humilité en tant que comédiens, leur humanité en tant que personnes et parce qu’ils vont directement et pleinement à l’essentiel. » Antigone se lève, et c’est toute l’humanité qui s’élève… Texte : Lisa Vallin Photo : Hugues Roualdes

m À Huningue, au Triangle, mardi 22 mars 03 89 89 98 20 – www.ville-huningue.fr m À Cernay, à l’Espace Grün, vendredi 25 mars 03 89 75 74 88 – www.espace-grun.net

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Actuelles XII l’écriture de théâtre sur le devant de la scène Soirées présentées par Cyril Pointurier et Laure Werckmann, artistes associés aux Taps Textes de Pierre Astrié, Rayhana et Marie-Laure Boggio mis en lecture par Jean-Marc Eder, Jean-Luc Falbriard et

Photo Raoul Gilibert, conception graphique Polo

Cyril Pointurier

Taps Gare (Laiterie) en mars jeudi 17, vendredi 18 et samedi 19 à 20h30

Les Taps, théâtre actuel info. 03 88 34 10 36 www.taps.strasbourg.eu


FESTIVAL JEUNE PUBLIC – BAS RHIN

Passage de témoin Pour leur 22 édition, Les Giboulées de la marionnette s’ouvrent à la pluralité de la création française et internationale : marionnettes à fil, à gaine, théâtre de papier, d’ombres ou d’objets... tout en offrant la part belle aux compagnies alsaciennes (TohuBohu, Alice Laloy et sa compagnie S’appelle reviens, le Théâtre de la Fringale). e

L

es dénicheurs du Théâtre Jeune Public de Strasbourg nous proposent de découvrir les dernières réalisations de grands noms de la marionnette comme Alain Lecuq (Mansarde à Paris), Neville Tranter (Punch et Judy en Afghanistan) ou Massimo Schuster (Western). Plus d’une vingtaine de spectacles sont présentés, pas moins de douze créations, dans dix lieux différents. Plus que jamais, le festival est le lieu d’une fabrique du monde en miniature, un condensé poétique de vie. L’occasion de faire retour sur l’Histoire (la guerre d’Espagne, la Belle Époque, la Révolution chinoise), de s’emparer du temps présent (le conflit en Afghanistan, le sort des exclus), sans jamais se départir de l’humour et de la tendresse (Grumeaux, Et Cependant). La marionnette continue ainsi à raconter des histoires, contes souvent cruels, et s’ancre, avec énergie, dans le décloisonnement du spectacle vivant en invitant la BD, la vidéo, la danse ou la musique classique à participer à cette réflexion sur l’état du monde.

Comme l’explique Grégoire Callies, directeur du TJP, « ces 22e Giboulées tricotent en fait une société qui se réfugie dans le virtuel pour fuir sa violence, sa radicalité, mais qui face à la scène, espace peuplé de gestes, d’images et de cris, se laisse rattraper par l’émotion ». Cette confrontation au réel se traduit par la réunion de deux générations de marionnettistes : celle des aînés qui ont su s’emparer de la tradition théâtrale et la détourner pour la transmettre de manière innovante et celle des plus jeunes qui a fait sienne cette liberté pour jouer avec les illusions de la scène. Deux spectacles illustrent ce passage de témoin : Hand Stories de Yeung Faï (du 25 mars au 1er avril au TJP Petite scène), maître de la marionnette à gaine chinoise, qui revient sur son histoire, celle de son père et de la Révolution de l’empire du milieu. Une histoire de mains, de manipulation et de transmission. Avec Mon père, ma guerre (les 24 et 25 mars au Théâtre de Hautepierre), la mutation du paysage marionnettique se trouve dans la liberté des outils et techniques mis en scène. Marionnettes, acteurs, musiciens de flamenco convergent sur scène et mettent l’accent sur le regard porté par la compagnie Tro-héol sur la guerre d’Espagne. Texte : Marie-Aude Hemmerlé Photo : Hand Stories © Yoann Pencolé

m À Strasbourg, Schiltigheim et Oberhausbergen, dans divers lieux (TJP, TNS, Pôle Sud, PréO, Cheval blanc…), du 18 au 26 mars – 03 88 35 70 10

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FESTIVAL JEUNE PUBLIC – BAS RHIN

Échos de création avec Grégoire Callies Comment avez-vous choisi une forme ambulante pour ce spectacle ? Nous nous sommes rendu compte, il y a un an ou deux, qu’il fallait être encore plus présents et visibles dans la ville. Vraiment visibles. Parce que je pense que le théâtre n’aurait jamais dû quitter la rue. C’est une aspiration à laisser Internet pendant une heure, son téléphone portable aussi, afin de se dire qu’on est bien sur le pavé. On peut s’y asseoir pour écouter des musiciens, pour regarder du théâtre, de la danse, un cracheur de feu... et pour assister à un spectacle de marionnettes ! Pourquoi vous être intéressé aux Pieds Nickelés ? Je suis revenu aux Pieds Nickelés l’année dernière en me disant au début de l’affaire Woerth : « Ils ne sont pas possible, ces politiques, ils ressemblent

tellement à la bande dessinée Les Pieds Nickelés ministres. » Je m’en suis souvenu parce que j’avais imaginé, en 1990, un spectacle sur Les Pieds Nickelés. Aujourd’hui, on le monte avec trois femmes, et c’est très drôle de les voir se “dégoiser” – parce que c’est le langage des faubourgs, l’argot parisien du début du XXe siècle – et ça décape bien. La Belle Époque n’est pas belle pour tout le monde... Et Forton nous donne vraiment les moyens d’en parler. Comment pourriez-vous en décrire l’ambiance ? Ce sont les chansons du faubourg, les premières révolutions techniques très fortes, un chamboulement incroyable. C’est la montée d’un nationalisme qui nous amène à la Première Guerre mondiale et à des extrémismes. Mais là je n’en suis pas encore au point où je sais tout ce qu’on va pouvoir glis-

ser de l’actualité politique. Au premier abord, ce n’est d’ailleurs pas forcément l’objectif, même si nous ne nous priverons pas. Pour l’instant on pose la structure, le canevas de base, et ensuite on verra pour les improvisations. La marionnette pourrait fonctionner un peu comme le jazz et sa partition : on fait la grille et on pourra toujours s’y retrouver, retomber sur nos pieds. J’aime bien l’idée qu’on ait un objet non identifié : cette camionnette et ces trois femmes racontant une parole d’hommes du début du XXe. Propos recueillis par Mélanie Goerke Photo : Jean-Baptiste Manessier

m Les Pieds Nickelés ministres, pour l’inauguration du festival, vendredi 18 mars à 17h devant le Palais Universitaire, et place Kléber les 19, 20, 23 et 26 mars – 03 88 35 70 10 www.theatre-jeune-public.com

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MUSIQUE CLASSIQUE – STRASBOURG

Beethovenomaniaque Le pianiste français François-Frédéric Guy considère Beethoven comme « l’alpha et l’oméga » de son répertoire. Démonstration avec l’Orchestre philharmonique de Strasbourg dirigé par Marc Albrecht.

L

orsqu’on rencontre FrançoisFrédéric Guy, ce qui marque en en premier c’est son regard : un vert translucide et transperçant en harmonie avec sa manière d’appréhender le clavier que nous avons découverte pour la première fois en live, quelques minutes plus tôt. Cela se passait au Festspielhaus de Baden-Baden1 : ce matin-là, il avait ébloui le public avec des interprétations d’anthologie de quelques “tubes” de la sonate pour piano beethovénienne, Pastorale, Clair de lune, Pathétique… Il est devenu un vrai “spécialiste” du compositeur allemand. La révélation ? Sans doute le concours pour l’entrée en cycle de perfectionnement au Conservatoire national supérieur de Musique de Paris, fin 1988, où le programme imposé comprenait la fugue Sonate pour piano nº29

“Hammerklavier”. Depuis, FFG l’a jouée plus de 70 fois en récital et enregistrée à deux reprises : le compositeur « parle à mon oreille sur le ton de la confidence », explique-t-il. Pour le virtuose, « l’action de cette pièce est pire que celle d’une drogue : pas de désintoxication possible. Une fois qu’on a commencé on doit toujours y revenir ! » Mais tout Beethoven le passionne, du répertoire pour violoncelle et piano2 aux fameuses 32 Sonates qui comptent « 101 mouvements et 620 pages de la même musique qui ne fait qu’évoluer et s’amplifier au fil du temps pour ressembler à une fascinante autobiographie ». Le jeune quadra les joue régulièrement en intégrale, en quelques jours, pour faire vivre au public une expérience musicale unique et a

commencé à les enregistrer à L’Arsenal de Metz3. Pour les Concertos, le pianiste avoue « n’avoir aucune préférence dans les cinq ». Le Premier, qu’il va jouer à Strasbourg (il sera suivi par Eine Alpensinfonie de Strauss) « est moins fréquenté que les autres, mais il est très fréquentable ! En fait le Concerto n°1 est faussement numéroté, puisqu’il est le deuxième qu’écrivit Beethoven. Son rayonnement solaire est ainsi bien plus important que le Concerto n°2. Même si l’on y sent encore, puissantes, les influences de Haydn ou de Mozart, tout Beethoven est déjà présent dans la partition », conclut-il. Et si on lui annonçait que, pour le restant de ses jours, il ne pourrait plus jouer que des œuvres du “géant de Bonn” ? FFG « signerait immédiatement »… avant d’ajouter : « Plus sérieusement, j’ai aussi une fascination pour Brahms, son “successeur”, et pour Liszt… sans parler de la musique d’aujourd’hui. Une des raisons pour lesquelles j’aime tant Beethoven est qu’il a écrit l’Histoire en cassant tous les codes… et c’est ce regard vers l’avenir qui m’intéresse chez des créateurs contemporains comme Hugues Dufourt, Marc Monnet ou Bruno Mantovani. » Concert du dimanche 30 janvier 2011, à 11h www.festspielhaus.de 2 Il a gravé une belle intégrale des Sonates pour violoncelle et piano de Beethoven avec Anne Gastinel – www.naive.fr 3 Premier volet de cette intégrale annoncé à l’automne 2011 chez Zig-Zag Outhere – www.outhere-music.com 1

Texte : Hervé Lévy Photo : Benjamin de Diesbach

m À Strasbourg, au Palais de la musique et des congrès, jeudi 7 avril – 03 69 06 37 06 www.philharmonique.strasbourg.eu www.ffguy.net m À Metz, à l'Arsenal (Sonates de Beethoven), mardi 19 et mercredi 20 avril 03 87 74 16 16 – www.arsenal-metz.fr

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Samuel Buri Carlo Aloë

16 janvier > 8 mai 2011

Galerie Pascale FROESSEL vous présente quinze sculptures de Simsa en taille réelle, métal peint et résine modelée. Chacune est un exemplaire unique. Février - Mars 2011 14 rue des Dentelles 67000 STRASBOURG Tél. 03 88 32 74 48 Fax : 03 88 75 55 31 www.galerie-pascale-froessel.fr

ESPACE D’ART CONTEMPORAIN FERNET-BRANCA 2 rue du Ballon - 68300 Saint-Louis - T +33 3 89 69 10 77

SAINT-LOUIS / ALSACE www.museefernetbranca.org


DANSE – STRASBOURG

Jour et nuit j’ai mal à la vie En accueillant les Brésiliens de la Membros Companhia de Dança pour deux pièces et une performance de rue, Le Maillon et Pôle Sud invitent à la découverte d’un travail social et politique de la danse hip-hop, cristallisé autour de la violence et des processus d’exclusion.

I

ls sont sept. Jeunes danseurs aux muscles bandés, débordant d’une énergie survitaminée. Look urbain, survêtements larges, tatouages imposants. Installés au nord-est de l’État de Rio de Janeiro dans la ville de Macaé, ils présentent à Strasbourg les deux premiers volets (Raio X créé en 2005 et Febre en 2007) d’une trilogie sur la violence et ses conséquences : exclusion, meurtres, emprisonnement, etc. Menés par deux trentenaires, la chorégraphe Taís Vieira et le maître en politiques sociales Paulo Azevedo, ils utilisent l’art, et notamment le hip-hop, comme une « forme de contestation, un moyen de provoquer la réflexion sur la question du sens d’une société ».

Jeunes loups en cage « Nous ne pouvons pas soigner les douleurs du monde, nous avons décidé de les danser », avance, comme un manifeste, le duo. Dans une société brésilienne ultraviolente, ils dirigent leurs premiers pas vers l’univers carcéral qu’ils radiographient dans Raio X. Sur fond de classique (Haendel, Chopin…) et de rap brésilien accrocheur, ils mêlent la fulgurance et l’intensité de la danse hip-hop à la sensibilité poétique et évocatrice de la danse contemporaine. Les corps contraints par l’enfermement se projettent sur les murs (élément clé des scénographies de la compagnie) de geôles imaginaires et contre des corps tendus. La tension nerveuse et la furie des enchaînements de pass-pass* débouchent sur des évocations de révoltes, les sauts à l’horizontale suivis de chutes brutales au sol rappellent les passages à tabac et les meurtres récurrents dans ces prisons surpeuplées. Les lusophones entendront même, par bribes, des extraits

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poétiques de véritables textes de prisonniers tirés de la Littérature marginale ayant inspiré, à Taís Vieira, le spectacle.

Fureur de vivre Febre (littéralement “la fièvre”) nous plonge dans l’enfer des favelas cariocas. Dans un espace immaculé et neutre, des personnages se succèdent dans de courtes scènes, sur un rythme effréné. Brutalité d’une vie qui les consume, les interprètes campent tour à tour des dealers, membres de gang encagoulés avec leur t-shirt, couples se déchirant, alcoolo titubant, femme se prostituant, gosses des rues… Tous sont réunis dans un même affrontement avec le réel, une société inégalitaire qui les rejette dans une tension du quotidien subie et entretenue. Dans des chorégraphies extrêmement précises et concises – éloignées au possible de la débauche habituelle de technicité froide du hip-hop –, ils multiplient les effets de miroirs, de corps qui se touchent, s’affrontent, s’appréhendent. La décomposition des mouvements, la sensibilité et l’intensité des regards et des postures s’accompagnent de rires et de sourires inquiétants, troublants de désespoir. Sur le fil d’un rasoir, ils flirtent avec la lame, racontant les trajectoires de ces êtres incapables de stopper la folie du rythme d’une vie de faits divers. La multiplication des projections au sol, contre le mur du fond, et des chutes sourdes évoquent les morts brutales. De tournoiements en chocs, même leurs courses tournent en rond, révélant un monde dont ils ne semblent pouvoir s’échapper. Éclairés par des halos de lumière semblables à des lampadaires dans la nuit,

les chairs se heurtent et se dénudent sans voyeurisme. Dans ces corps à corps, même la tendresse est agressive. Ils hurlent en silence sur un prélude de Bach, au piano, bouche ouverte comme des poissons hors de l’eau. L’intensité de l’interprétation mais aussi des contrastes musicaux (rap, classique, bossa…), lumineux (noirs, lumière vive et rasante) et gestuels (danse contemporaine, hiphop, jeu théâtral silencieux) dévoilent la complexité de leurs tiraillements intérieurs. Fils du bitume, ils y tournoient avec frénésie, condamnés à être ballotés par le rouleau de la vie, plaqués au sol dans les bas-fonds par la vague anonyme de la pauvreté et de la mise à l’écart. La fièvre comme symptôme d’un état des lieux insoutenable. La danse comme moyen d’expression face à l’inacceptable. Mouvements répétitifs effectués mains au sol où les jambes évoluent autour du corps du danseur

*

Texte : Thomas Flagel Photos : Dominik Fricker

m Raio X, à Strasbourg, à Pôle Sud (en collaboration avec Le Maillon), mardi 5 et mercredi 6 avril 03 88 39 23 40 – www.pole-sud.fr m Meio Fio, performance de rue à Strasbourg, sur la Presqu’île André Malraux, jeudi 7 avril à 19h (suivi d’une rencontre avec la Compagnie à la Cité de la musique et de la Danse) m Febre, à Strasbourg, au Maillon (en collaboration avec Pôle Sud), vendredi 8 et samedi 9 avril 03 88 27 61 81 – www.le-maillon.com m Training ouvert avec les Compagnies Mistral Est et Membros, à Pôle Sud, samedi 9 avril de 14h à 17h www.membros.info


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Portrait

Pourquoi tant de Buren ? Artiste français omniprésent, adulé ou décrié à travers le monde, célèbre pour ses rayures comme les réactions qu’il suscite. Et si Daniel Buren avait ouvert la voie à l’art urbain, au développement de la commande publique ou même aux événements de mai 68 ? Rencontre lors du montage de son exposition, Allegro Vivace, à Baden-Baden.

«J

e suis à vous dans cinq minutes », nous répète Daniel Buren, entouré de son armée d’assistants, chaque fois qu’on s’approche en trépignant avec insistance. Pas facile de détourner l’artiste – les mains peinturlurées et un double mètre pliant sous le bras – de ses pinceaux, crayons, plans, mesures et calculs. Enfin à l’écart de son chantier, Buren prévient : « Rien sur ma vie privée ! » Quant au reste… Né à Boulogne-Billancourt en 1938, il s’intéresse très tôt à tout ce qui touche aux arts plastiques et, au moment de

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la post-adolescence, à la littérature, au cinéma. Vers 17 ans, Buren mène une étude sur les peintres ayant travaillé dans le Sud de la France, de Cézanne à Picasso, qu’il rencontre à cette occasion. Il entre à l’École des Métiers d’Art en 1957 puis, après un passage éclair aux Beaux-Arts, fait de la vidéo avant de se concentrer sur la peinture, réalisant des toiles qui « n’intéressaient pas grand monde », s’amuset-il aujourd’hui. En 1965, alors qu’il cherche à réaliser une forme « la plus nulle, la plus distanciée et mécanisée possible », loin de tout affect, il “trouve” ses fameuses bandes verticales de

8,7 cm de largeur, sur des stores. « Je me suis rendu compte qu’elle existait dans le commerce. » Il n’avait plus qu’à l’utiliser telle quelle. Par le choix de travailler avec cet “outil visuel”, il affirme une remise en question de la peinture telle qu’on la connaissait jusqu’alors qui « devait s’arrêter », rien de moins. Sens de la provoc’, volonté de « faire table rase ». Une radicalité partagée avec Olivier Mosset, Michel Parmentier et Niele Toroni, fondateurs de BMPT, regroupement éphémère (de 1966 à 1967) des quatre artistes. Punks avant l’heure (« on était véritablement des sauvages »), ils créent un manifeste,


La Staatliche Kunsthalle en plein chantier

affirmant par exemple que « puisque peindre c’est illustrer l’intériorité, nous ne sommes pas peintres ». Un pied de nez aux créateurs plan-plan et académiques qui sévissaient à l’époque. Un bras d’honneur à la France pré-68. Une période « horrible », nous rappelle Buren : « Chape de plomb, censure, fin calamiteuse des guerres d’Indochine et d’Algérie, de Gaulle finissant… » Rétroactivement, les positions de BMPT, qui paraissaient extrêmes et parfois fantaisistes, prennent, après les événements de mai 1968, dans lesquels le plasticien s’impliqua activement, « une toute autre résonance ».

Rayé & barré

1967. Daniel Buren fait imprimer du papier rayé. Il quitte le chevalet, colle ses bandes dans les rues parisiennes. By night, in situ, bien avant l’explosion des graffeurs armés de bombes aérosols. « À l’époque, à part dans les pis-

sotières, il n’y avait pas de graffitis. » Cette activité plastique, peu coûteuse, « non financée par qui que ce soit », loin des institutions, lui permet de sortir d’un atelier trop exigu et de toucher un large public en s’accaparant les panneaux d’affichage, habitués aux publicités et messages politiques, jamais aux œuvres artistiques. Une action « anonyme, brute de décoffrage » qui interpelle les passants noctambules et les patrouilles de police. Les agents, le considérant comme « un tapé » ne l’importunaient pas bien longtemps. « Je me suis alors mis à travailler de jour, en risquant de me faire attaquer par les publicitaires, car je m’en prenais directement à la pub, mais ça n’est jamais arrivé. » Il s’empare de la ville par nécessité, prenant ainsi « de l’avance sur tous les autres artistes qui interviendront dans l’espace public ». Dès que la commande publique « qui n’existait plus depuis plus de 100 ans, a été relancée en

France au début des années 1980 », Daniel Buren commence à gagner beaucoup de concours, étant capable de répondre aux problématiques de la cité et l’urbanisme. « Mon expérience m’a donné une connaissance, d’abord intuitive, sur le fonctionnement d’une ville, ses points stratégiques. J’ai pu répondre plus “justement” aux commandes. » La liste de ses œuvres installées à travers le monde est actuellement longue comme quatre bras (citons D’un Cercle à l’Autre : le paysage emprunté, ensemble de panneaux de bois percés installés dans la ville de Luxembourg). Il propose des interventions qui entrent dans l’espace et « jouent avec le contexte, quitte à le perturber. Mon travail n’est pas autonome ! », affirmet-il, brisant le mythe de l’autonomie de l’œuvre d’art.

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Les “Colonnes” & autres scandales

Ses bandes, ses carrés colorés et ses jeux de miroirs (comme ceux qui recouvrent les murs de la Kunsthalle de Baden-Baden) sont autant d’éléments qui permettent de souligner un lieu, une architecture, un paysage, de changer le regard qu’on leur porte. Parfois,

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ses installations sont perçues comme iconoclastes. Ce fut le cas en 1971, au Guggenheim Museum de New York au milieu duquel il suspend une vaste pièce de tissu rayé, attisant la colère de Donald Judd et Dan Flavin. « Une fois le tissu tendu dans le bâtiment de Frank Lloyd Wright, Judd et Flavin, artistes très influents à l’époque, ont dit

que si “cette merde” n’était pas enlevée, ils partiraient. Je ne faisais pas le poids. On m’a mis dehors alors que je n’avais pas dans l’idée de “renverser” le musée. » Un épisode qui, selon Buren, prouve notamment qu’il n’y a plus d’artistes / ouvriers sous le joug des musées / patrons. « Depuis les années 1960, les institutions ont volé en


Portrait

éclats, elles ont changé afin de suivre certains artistes qui sont les véritables décideurs. » Daniel Buren poussera l’expérience du Guggenheim en réalisant, à partir de 1975, ses “cabanes éclatées” et autres compositions architecturales. Ce glissement se fait petit à petit, de manière empirique, en fonction des invitations des villes ou musées (et toujours

Témoin de l’émulsion artistique des années 1960, Buren fréquente assidûment la Cinémathèque et salue la Nouvelle Vague. À la sortie d’À bout de souffle de Godard, il se dit « enfin un film qui me concerne ! » hors de tout atelier). L’artiste débute une série de « constructions dans des constructions. Plutôt que de simplement m’incorporer dans l’architecture, j’ai cherché à la cacher, la rendre invisible. » Un camouflage, comme à Paris, à l’ARC, où, en 1983, il construisit un grand corridor en zigzag, annulant « les caractéristiques physiques du lieu ». Dans le hall du Mudam, il a recréé à l’échelle le pavillon (et sa verrière) attenant au musée luxembourgeois. Vertigineux jeu d’emboîtement, de poupées russes… En 1986, année où l’artiste se voit décerner le Lion d’or à la Biennale de Venise, il inaugure Les deux plateaux dans la cour d’honneur du Palais Royal à Paris. Buren se souvient très bien de la polémique qui sévit alors, allant même jusqu’à exposer, en 2002, de manière ironique, les palissades de l’époque – inscriptions injurieuses comprises, « afin de réintroduire un échos des réactions » – dans sa grande exposition Le Musée qui n’existait pas au Centre Pompidou. « Certaines personnes ne

tolèrent pas que des œuvres d’aujourd’hui viennent dépareiller les lieux historiques comme le Palais Royal », oubliant l’atroce parking qui occupait l’espace avant les colonnes… « C’est une question que l’on peut poser, mais elle a les pieds courts car il ne s’agissait pas, du moins dans un premier temps, d’une remise en cause du travail artistique réalisé », nous dit-il, qualifiant cette controverse de « superficielle ».

Foutre le feu & lancer le débat

Bien plus tard, en 2007, Daniel Buren menace d’enlever ses colonnes alors en très mauvais état (elles seront restaurées en 2010). « On a laissé à l’abandon une pièce de cette taille, sous les yeux du ministre en charge de la conservation du patrimoine : ça en dit long sur le sort de toute la commande publique en général », s’insurge l’artiste, évoquant aussi sa réalisation, en délabrement, place des Terreaux à Lyon. « Je vais foutre le feu un de ces jours. On permet à des artistes de faire quelque chose pour la cité, mais sans

suivi. Cette situation est risquée car elle met en péril l’idée même d’intervention artistique dans l’espace public ! » Depuis les années 1960, Buren parvient, parfois malgré lui, à poser des questions, créer le débat, susciter les passions, s’attirer les foudres de beaucoup et bouleverser l’ordre des choses. Une simple feuille de papier zébré peut lui suffire. Texte : Emmanuel Dosda Photos : Stéphane Louis pour Poly

m À Baden-Baden, à la Staatliche Kunsthalle (et dans la ville où sont accrochées des bannières), jusqu’au 22 mai, +49 72 21 300 76 444 www.kunsthalle-baden-baden.de Et aussi : m Daniel Buren, Architecture, Contre-Architecture : Transposition. Travail in situ, au Mudam Luxembourg, jusqu’au 22 mai +35 24 53 78 51 – www.mudam.lu m Daniel Buren, Échos, travail in situ, au Centre Pompidou Metz, à partir du 16 mai 03 87 15 39 39 – www.centrepompidou-metz.fr

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Never stop Première française de Don Giovanni. Keine Pause de David Marton dans le cadre du festival TRANS(E), un opéra “d’après Mozart” qui revisite l’œuvre originale en proposant une vision ultra contemporaine du personnage de Don Juan.

E

n s’emparant d’un des standards joué par une femme ». Aucune volonté de de l’opéra, David Marton (né en choquer dans cette option, « simplement 1975) imagine un objet musical le choix d’une chanteuse de jazz qui se et théâtral original. Créé en 2008 à la coule particulièrement bien dans cette Sophiensaele (Berlin), ce Don Giovanni. musique ». D’autres modifications ? « Il Keine Pause consiste en une réinterpré- s’agit d’une version plus courte arrangée pour trois instruments, tation radicale du chefviolon, piano et guitare. d’œuvre de Mozart. Le Mozart outragé, En outre Leporello est metteur en scène, qui double, puisqu’il est fut l’assistant de Frank Mozart violenté, une incarCastorf et de Chrismais Mozart retrouvé également nation symbolique du toph Marthaler, donne Marquis de Sade. » une version abrégée de Don Giovanni « avec une musique qui Mozart outragé, Mozart violenté, mais est principalement celle de Mozart, à Mozart retrouvé. Le titre, s’il « indique de laquelle a été ajoutée des passages pop manière pragmatique qu’il n’y a pas d’enet jazzy ». Mais le plus singulier est sans tracte » est en effet un retour aux sources doute que « le personnage principal est du Don Juan “original”, « lui qui ne cesse

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de tromper, de séduire, qui est sans arrêt en mouvement, sans pouvoir trouver le repos ». Par cette frénésie revendiquée, il s’agit donc d’une vision à la fois très actuelle de Don Giovanni et d’un point de vue que Mozart, qui, lui aussi, était pris d’une inextinguible fièvre, n’aurait sans doute pas renié. Texte : Hervé Lévy Photo : David Baltzer

m À Mulhouse, à La Filature, jeudi 10 et vendredi 11 mars 03 89 36 28 29 – www.lafilature.org


FESTIVAL – MULHOUSE ET ALENTOURS

Hypnose

TRANS(E)

La Filature et Les Dominicains de Haute-Alsace ont orchestré une nouvelle édition de la Nuit Hypnotique. Le but : concilier les amateurs d’Arvo Pärt et de trans-goa, de beats et de zen.

L

a Nuit Hypnotique, concept mis au point par Les Dominicains de Guebwiller, invite régulièrement mélomanes et fêtards à se laisser porter par la musique répétitive et entêtante de compositeurs contemporains et musiciens électroniques. Parfaite symbiose entre choristes et DJ’s, solistes et bidouilleurs techno, propositions acoustiques ou assistées par ordinateur, cette manifestation a, par le passé, convié les auditeurs à se délecter du Music for 18 musicians interprété par l’ensemble Linea ou de The Desert Music par l’Orchestre de la Hochschule für Musik Freiburg im Breisgau. Deux compositions envoû-

Se laisser porter par la musique répétitive et entêtante de compositeurs contemporains et musiciens électroniques

des compos de Bach, Mahler ou Pärt. Le programme audacieux de cette quatrième Nuit associera ces œuvres “classiques” au travail mêlant électronique et voix de Solar Fields & Krister Linder, au pingpong electroïde opposant Tajmahal & Aes Dana (alias Vincent Villius) ou encore aux bols tibétains, gongs, didgeridoos et percussions de Benjamin Schwettmann. Belle clôture de festival. Texte : Emmanuel Dosda Photo : Sébastien Jordini

m À Mulhouse, à La Filature, samedi 12 mars de 21h à 4h (en coréalisation avec Les Dominicains de Haute-Alsace www.les-dominicains.com) www.lafilature.org

L

es incontournables ? La performance Les Habitants, cinq tableaux sonores concoctés par Valéry Warnotte et Charlie Windelschmidt. Megalopolis, spectacle de danse d’inspiration cosmopolite de Constanza Macras. SOS (Save Our Souls), performance théâtrale de Yan Duyvendak et Nicole Borgeat. Matin Brun, pièce de Pavloff mise en scène par Christophe Greilsammer (voir Poly n°138). Don Giovanni. Keine Pause (lire article), opéra “pop” de David Marton. L’installation Miniatures de Cécile Babiole (visible durant l’événement). Afterdark (du 4 mars au 21 avril), expo de photos d’artistes (Bianca Brunner, Simon Tanner…) fascinés par la nuit, le clair-obscur, les scènes nocturnes. TRANS(E), comme son nom l’indique, mixe des propositions artistiques (allemandes, françaises et suisses), explorant théâtre, musique, arts plastiques, danse… d’avantgarde. m À Mulhouse, à La Filature, (mais aussi à Cernay, à Kingersheim…), du 4 au 12 mars – www.lafilature.org

tantes de Steve Reich à découvrir dans un cadre (la nef du couvent) redessiné par des architectes de lumière et autres vidéastes. Cette année, Philippe Dolfus (directeur des Dominicains et amateur de rave parties) et Vincent Villius (compositeur, sound designer, etc.), maîtres de cérémonie, ont métamorphosé les différents espaces (nommés Atlas, Pronaos, Hypno ou Morpheus Lounge) de La Filature en un vaste ensemble dédié à la musique cosmique et aux images narcotiques. Ainsi, La Forlane, choeur de Guebwiller, nous interprétera Magnificat d’Arvo Pärt, tandis que Les Favorites et le Vocalensemble Rastatt (en compagnie des vidéos élaborées par la plasticienne en résidence, Ramona Poenaru), joueront

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THÉÂTRE – STRASBOURG

À bout de souffle La directrice du Théâtre national de Strasbourg, Julie Brochen, réunit les comédiens permanents de sa troupe et des élèves de l’École* dans sa nouvelle création : un Dom Juan provocateur, insolent et séducteur.

J

ulie Brochen a choisi de « gravir un des sommets » qui la « tourmente » : le Dom Juan de Molière. Malgré la censure subie un an auparavant avec Tartuffe, le grand dramaturge français ne se démonte pas et livre en 1665 un pamphlet sur la liberté, pourfendant les mœurs de l’époque (mariage, noblesse…), le respect et la domination du clergé. Les censeurs ne s’y trompèrent d’ailleurs pas, coupant dans le texte dès les premières représentations. Paradoxalement, ce n’est pas la figure de séducteur invétéré et libertaire de Dom Juan qui excite la metteuse en scène strasbourgeoise, mais celle d’Elvire, l’une de ses conquêtes qu’il enlève du couvent dans lequel ses parents l’ont placée. Il lui promet mariage et amour avant de l’abandonner sans ménagement, comme les autres. « Elvire est dans ma chair, comme une blessure enfantine et orgueilleuse à laquelle je devais revenir », confie-t-elle. « Elle est très intelligente mais dans un embarras d’éducation. Son couvent lui met une ceinture de chasteté en métal qui l’empêche d’accéder à la sensation, à l’intelligence de l’émotion. » L’attitude de Dom Juan à son égard entraînera le courroux des frères de la belle qui se lanceront à sa poursuite, bien décidés à laver cet affront. Ce rôle clé, Julie Brochen le confie à Muriel Inès-Amat, comédienne permanente de la troupe du TNS. À elle d’incarner cette figure totalement tragique qui peut, selon Louis Jouvet, être une représentation de la Vierge Marie. « Difficile de l’imaginer comme une sainte » pour Julie qui voit plutôt une « jeune fille socialement excisée ». La comédienne puise quant à elle dans une palette de sentiments très intenses car « Elvire n’est que dans l’amour, de Dieu ou de Dom Juan, et elle découvre brutalement le désespoir et l’humiliation par la faute de ce dernier. »

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« Grand seigneur méchant homme » Dans l’espace Klaus Michael Grüber, le public est placé des deux côtés du plateau devenu une sorte d’arène. Dom Juan est un homme traqué, insaisissable, qui court au devant de sa propre perte avec brio et éloquence, ne se dérobant à aucune provocation, aucun duel. La mise en scène épurée – un damier recouvert pour partie de terre et des box d’écurie – fait la part belle à deux superbes chevaux en fer forgé, posés sur des socles et déplacés sur des rails.

« Molière réunit les genres comme Brecht : fable, drame, pastorale, comédie musicale… Les faisant se rencontrer comme Mondrian en peinture. » Pour la première fois depuis bien longtemps, la distribution mélange élèves de l’École, comédiens permanents et fidèles des créations de Julie Brochen, offrant des grands écarts incroyables : Mexianu Medenou (Dom Juan), actuellement en dernière année avec le groupe 39, donne ainsi la réplique à André Pomarat (Dom Louis, son père), issu de la première promotion de l’École (entrée en 1954). Pour souder cette équipe, les répétitions ont commencé par une semaine de chant : le Requiem de Mozart accompagné au piano, ou encore Monteverdi. Une manière de soutenir la tension émotionnelle provoquée par les déflagrations du « poison que Dom Juan sème chez les gens qui l’entourent ». Et Julie de poursuivre : « Si son fidèle Sganarelle est obligé de le suivre,

Dom Juan brouille les cartes. C’est un Jacques Dutronc puissance mille ! Pas un gentleman cambrioleur ou un “j’aime les filles” un peu dandy, mais quelqu’un qui retourne sa veste ostensiblement, en le disant droit dans les yeux ! » Dans notre époque proscrivant toute irrévérence, elle rappelle que « le fou du roi n’a jamais été aussi important. Or, Molière vivait dans une censure totalement sarkozienne. Et le Molière d’aujourd’hui, qui est-ce ? » * Cinq comédiens et deux élèves des sections mise en scène et dramaturgie du Groupe 39 de l’École, actuellement en troisième et dernière année Texte : Thomas Flagel Photo : Benoît Linder pour Poly

À Strasbourg, à l’Espace Klaus Michael Grüber, du 8 mars au 17 avril 03 88 24 88 24 – www.tns.fr


Dom Juan (Mexianu Medenou) entoure sa conquête Elvire (Muriel Inès-Amat) sur le flanc d’un cheval en fer forgé, au cours des répétitions

Trois questions à Mexianu Medenou, élève du groupe 39 de l’École du TNS qui interprète Dom Juan Comment avez-vous mené votre questionnement sur le background de Dom Juan ? J’ai du mal à le trouver, je tâtonne. On se demande pourquoi il se comporte ainsi. Sa mère, par exemple, n’est pas dans la pièce. Pour moi, elle est morte, même si on ne le sait pas, et son rapport à elle fait qu’il en est là aujourd’hui. Je m’invente des pistes. Je suis aussi pris par ce que j’ai déjà vu et entendu sur Dom Juan. J’amène une noblesse de jeu malgré moi, alors que j’aimerais être plus détaché du romantisme. Le rendre plus concret, plus moderne.

La perception populaire du personnage est celle d’un séducteur libertin alors qu’il est tout autant un impertinent provocateur renversant les codes sociaux… Il choisit la liberté, sans se soucier des autres. Peu lui importent les répercussions. Il est fidèle à lui-même, infidèle aux autres. Ce n’est pas tant un séducteur, mais il est à l’affût. Il cherche à s’amuser, provocant Sganarelle comme on embête son petit frère. Lui vit libre, se joue de tous car il se sait condamné. Il croque la vie à pleines dents. Il aime la beauté qui se dégage des femmes au moment où elles

s’abandonnent. Ce moment l’excite. Une fois obtenu, il les délaisse, ce n’est pas Casanova. Dom Juan est poursuivi par les frères d’Elvire. Vous travaillez sur la traque, l’urgence de vivre et d’échapper : à lui-même, au monde, à Dieu ? Oui, comme aux questions métaphysiques qu’il a dû se poser avant de les mettre de côté. Il a tué le Commandeur au cours d’un duel pour l’honneur. Il ne se défile jamais et en même temps, en le tuant, il a peut-être perdu quelque chose de lui.

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EXPOSITION – SAINT-LOUIS

C’

Couleurs distillées

est à une plongée dans la couleur que nous invite le musée Fernet-Branca, dans un lieu à la fois ample et cosy, tout spécialement aménagé pour y laisser vivre et respirer les œuvres. Celles du moment sont de format conséquent et sont signées Samuel Buri et Carlo Aloë.

L’Espace d’art contemporain FernetBranca nous invite à la rencontre de deux univers picturaux différents et complémentaires à la fois, ceux de deux artistes bâlois dont les toiles éclatent de couleurs printanières, voire estivales, Samuel Buri et Carlo Aloë.

Grille-Soleil de Samuel Buri, 1966

Absorptions multiples

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Né en 1935, Samuel Buri est un artiste de réputation internationale qui, depuis les années 1960, expose un peu partout, entre autres au Salon d’automne de Paris ou encore à New York. Largement influencé par les tendances tant américaines qu’européennes des années 1950, son art oscille d’abord entre expressionnisme abstrait, tachisme et art informel, avec une tendance croissante vers l’abstraction. Cependant, depuis les origines, la couleur occupe une place essentielle et l’artiste la manie avec maîtrise et virtuosité. L’exposition présente une sélection d’œuvres des années 1960 mêlées à d’autres, plus récentes, voire tout juste créées par l’artiste. Si les couleurs s’exaltent jusqu’à fusionner dans des ambiances florales et dansantes, vibrants reflets et transpositions sensorielles informelles à ses débuts – les titres sont évocateurs : Paysage aux fleurs de lys, Papillon trèfle et autres Clématite ou Reflet… –, la production actuelle est devenue figurative, hyperréaliste presque, mais la couleur y chante d’autant plus gaiement. Un peu comme si le rouge-gorge s’était métamorphosé en un oiseau de paradis. Par ailleurs, Samuel Buri dialogue ouvertement avec les grands maîtres du passé, soit par le biais de références directes (La Famille Monet, impressionniste) soit par des correspondances plus diffuses : ses découpages et structures en paravent ou diptyques évoquent aussi bien le japonisme que Vuillard, Warhol ou l’école mexicaine. Un formidable mixage qui ne retire rien à sa forte personnalité. L’énergie créatrice du peintre n’a d’égale que les tailles formidables de ses œuvres, atteignant allègrement les six mètres de long pour la plus imposante. De l’art baroque aux tendances les plus récentes, le travail de Samuel Buri est une synthèse bourrée de vitalité de l’art occidental, dont le point culminant consiste peut-être en cet intéressant Autoportrait double


Esquisses de paysage de Carlo Aloë, 1991

au chapeau (2010), qui nous présente en positif / négatif un “peintre-somme” constitué des apparences de Cézanne, Van Gogh, Matisse et bien d’autres. Réflexion sur les grands noms de l’art, les techniques et notamment le travail de la perspective et les autres moyens de faire voir la profondeur, l’artiste suisse interroge et inspire.

Vision double Le cas de Carlo Aloë (né en 1939) est tout autre, même si son œuvre urbain convoque lui aussi largement la couleur, tout en insistant peut-être davantage sur la ligne et des superpositions visibles plutôt que fusionnées. Aussi citadin que Buri peut être campagnard, bien plus minéral que végétal, il cisèle des travaux variés, huiles ou sérigraphies. On pense immédiatement à l’influence new-yorkaise au vu des scènes de rue peuplées de personnages divers, de bâtiments, voitures et autres bicyclettes, mais il y a chez Carlo Aloë

quelque chose de très éloigné d’un quotidien capté à Brooklyn, dans le Bronx ou à Manhattan. Ses œuvres sont stylisées, avec un graphisme qui évoque tout autant l’univers d’un Crumb que celui de Valse avec Bachir. De fait, on perçoit dans le réseau de lignes interpénétrées des chars, des soldats, au même titre que des jeunes filles en bikini ou une cigarette proche d’un obélisque / obus.

Les œuvres d'Aloë sont stylisées, avec un graphisme qui évoque tout autant l’univers d’un Crumb que celui de Valse avec Bachir

plus infime détail. Ce monde de transparents superposés est très cinématographique, mêlant plans larges et zooms au plus près de nos zones secrètes. Les grands formats se transforment dès lors en visions rapprochées qui exigent du spectateur un regard similaire à celui qu’on aurait devant une gravure dont il convient d’explorer chaque trait. Le travail initial, chez l’artiste, consiste à mélanger esquisses mais aussi fonds d’images agrandies à l’envi par un projecteur pour obtenir une « réaction sensible, parfois impuissante, à la réalité quotidienne globale submergée par les médias », nous indique le critique Oliver Wick. Autrement dit, un voyage dans notre imaginaire commun, mondialisé, globalisé. Texte : Catherine Jordy

Les visions sont familières ou dérangeantes, communes ou menaçantes. Aloë s’infiltre dans un univers vaste et peuplé, prospectant la surface aussi bien que le

m À Saint-Louis, à l’Espace d’art contemporain Fernet-Branca, jusqu’au 8 mai – 03 89 69 10 77 www.museefernetbranca.fr

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Portfolio

Inside Sherlock Strasbourg a servi de décor au deuxième volet du Sherlock Holmes de Guy Ritchie. Retour en images, avec le photographe Benoît Linder, sur un tournage pharaonique qui s’est déroulé entre le 2 et le 4 février.

2

50 figurants, 260 techniciens anglais, 90 locaux (et 60 venus de Paris), 3 000 nuitées d’hôtel, 1,8 million d’euros dépensés, 15 chevaux utilisés… Des chiffres qui donnent le vertige pour trois jours de tournage (qui ont nécessité six semaines de préparation en amont) ayant impliqué une trentaine de services de la Ville et de la CUS. Mais le deuxième volet de Sherlock Holmes, produit par la War-

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ner, est un véritable événement cinématographique. Des semaines durant, Strasbourg a bruissé de rumeurs sur la présence de stars comme Jude Law (qui n’était pas là) et Robert Downey Jr. (simplement venu profiter des charmes de la capitale alsacienne). Le tournage a été le centre de toutes les discussions… Qu’est-ce qui va se passer dans la Boutique Culture ? Pourquoi la place de la Cathédrale a-t-elle été méta-

morphosée, lui redonnant la semblance de la fin du XIXe siècle avec enseignes en allemand ? Qu’est-ce donc que cet attentat ? Quelle sera la suite de l’histoire après cette scène d’ouverture strasbourgeoise ? Réponses précises à la sortie de Sherlock Holmes : a Game of Shadows, en 2012. Texte : Geoffroy Krempp Photos : Benoît Linder / CUS


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EXPOSITION – ERSTEIN

L’efflorescence de l’heure défleurie À Erstein, une quarantaine d’œuvres, majoritairement issues de la Collection Würth, dressent un fascinant portrait d’un des artistes les plus importants d’aujourd’hui, Anselm Kiefer. De ses débuts politico-polémiques à la fin des années 1960, aux paysages cosmogoniques du XXIe siècle.

L

orsqu’Anselm Kiefer voir le jour, le 8 mars 1945 à Donaueschingen, l’Allemagne ressemble à une plaie purulente à ciel ouvert. Le Troisième Reich s’effondre dans un maelström d’acier, de feu et de sang et le nazisme jette ses derniers feux maléfiques. Ces événements qu’il n’a pas vécus seront la matrice de son œuvre à venir. En 1969, il présente son travail de fin d’études à Karlsruhe : au cours de l’été, il a arpenté l’Europe, se faisant photographier dans

divers lieux, le bras droit tendu dans un martial salut hitlérien. Réunis dans un livre, ces clichés composent la série appelée Besetzung (Occupation). Ils créent le scandale. La volonté de l’artiste n’est pourtant pas de choquer mais de réfléchir sur le passé de l’Allemagne, de comprendre « d’où [il] vien[t] » en se raccrochant à son « antériorité la plus proche », le nazisme et en se confrontant avec violence à la culpabilité. Cette démarche ne passe pas dans la RFA de la fin des années

1960, mais pose néanmoins une question fondamentale : comment survivre alors qu’on n’est pas un survivant ?

Allemagne, année zéro Par la suite, Anselm Kiefer continuera à interroger l’histoire, la mémoire devenant le cœur de son travail. Prolongeant les Occupations, la série appelée Heroische Sinnbilder (Symboles héroïques), extrêmement bien représentée à Erstein, rassemble des tableaux, des autoportraits

Les batailles navales de Velimir Chlebnikov, 2005, Collection Würth, Inv. 9166. Photo : Charles Duprat

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EXPOSITION – ERSTEIN

Les femmes de l’Antiquité – Les Érinyes, 1995-1998, Collection Würth, Inv. 6361. Photo : Philip Schönborn, München

maladroits où l’artiste est représenté le bras tendu dans des décors variés, parfois accompagné des statues hiératiques d’Arno Breker, le sculpteur préféré du Führer. Suivront, dans les années 1970, les Hölzerne Innenräume (Intérieurs de bois) évoquant un univers mythologique et héroïque, ou les oppressants Steinerne Hallen und Höfe (Salles et cours de pierre) qui ont parfois la semblance de l’architecture fasciste. L’histoire reste au cœur de la démarche d’un créateur choisissant pour “sujets” la figure de Mao ou les poèmes de Velimir Khlebnikov qui avait élaboré une théorie visant à prouver que les dates des guerres passées avaient le pouvoir de prévoir celles à venir dans un système mathématique circulaire et… absurde. Comme si l’artiste portait en permanence en lui l’immense poids de la mémoire du XXe siècle et le balançait sur la toile en de sourdes volutes de peintures et de matières mêlées, qui évoquent parfois les ruines cyclopéennes et inquiétantes d’une civilisation oubliée. Mais pour Anselm Kiefer, « les ruines ne sont pas seulement une fin, elles sont aussi un commencement, (…) comme la floraison d’une plante, l’apogée rayonnant d’un

métabolisme imperturbable, les prémices d’une renaissance. Et plus l’on diffère le remplissage des espaces vides, plus le passé qui s’avance tel un reflet du futur peut s’accomplir en totalité et avec force. Il n’y a pas de degré zéro. Le vide porte toujours en lui son contraire », affirme-til en 2008 dans le discours prononcé en recevant le Prix de la Paix à Francfort1.

Si loin, si proche Tout un pan de l’œuvre d’Anselm Kiefer est cependant éloigné des soubresauts de l’histoire humaine. En partant de la mythologie grecque ou nordique, il pose la question de la place de l’homme dans le cosmos, en tentant d’associer le microcosme et le macrocosme : « Cela n’est pas possible dans les théories physiques. Les lois valables dans la théorie de la relativité ne le sont pas dans celle des quantas, parce qu’on n’a pas encore trouvé la formule pour unifier les deux » explique-t-il avant d’ajouter que « Robert Fludd, un des Grands Maîtres des Rose-Croix2 au XVIIe siècle avait proposé une solution. Il disait, par exemple, que chaque plante sur la terre possède son étoile correspondante au ciel. » C’est cette vision cosmogonique

que l’on retrouve dans bien des immenses tableaux à l’onirique poésie souvent inspirée de Paul Celan – auquel cet article emprunte son titre – ou d’Ingeborg Bachmann, où l’œil se perd dans un espace des plus pascaliens, entre l’infiniment grand et l’infiniment petit. Finalement, Anselm Kiefer ressemble à un alchimiste qui transforme la peinture et la matière (dont sont emplis ses tableaux : graines de tournesol, paille, textile, sable…) en art, en essence mystique. Il n’est donc pas surprenant qu’un de ses “ingrédients” de prédilection soit le plomb (dont il dispose à foison puisqu’il en a récupéré une impressionnante quantité lors de la rénovation de la Cathédrale de Cologne), un métal essentiel dans le processus de purification alchimique : le plomb, l’argent, puis l’or. Le Friedenspreis des Deutschen Buchhandels est décerné chaque année lors de la prestigieuse Foire du livre de Francfort 2 Un ordre hermétiste dont les membres apparaissent souvent comme les héritiers des chevaliers du Graal et des Templiers 1

Texte : Hervé Lévy

m À Erstein, au Musée Würth, jusqu’au 25 septembre 03 88 64 74 84 – www.musee-wurth.fr

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THÉÂTRE – MULHOUSE & FORBACH

Au sud de la frontière, à l’ouest du soleil En pleine recréation française d’Hana no Michi ou Le Sentier des fleurs*, Yan Allegret évoque la ligne de faille intime qu’il a croisée au pays du soleil levant, donnant naissance à ce spectacle ou la poésie prend corps. Entretien.

Écrivain et metteur en scène, vous pratiquez aussi l’aïkido de manière assidue. La recherche d’équilibre intérieur et de plénitude nourritelle votre écriture ? Pour moi c’est un cadre, un point de repère, comme lorsqu’on vit avec quelqu’un : il y a des moments où l’on est éloignés, d’autres proches, mais le lien ne se rompt pas. Celui avec le dojo est devenu un des centres de ma vie. Je suis autodidacte et me construis dans l’écriture, la mise en scène, le jeu et dans le rapport à cette voie martiale qui nourrit tout, même si bien souvent on fantasme la notion d’équilibre intérieur. Je la conçois comme la capacité d’accueillir pleinement une joie comme une douleur. Vous avez beaucoup voyagé : Taiwan, Burkina Faso, Russie, Laos, Turquie… et Japon, en 2006. Pays clé, carrefour des possibles ? Dans la vie, il y a des failles qui ne sont ni mauvaises ni bonnes, dans lesquelles on doit tomber. Le Japon en a été une pour moi. C’est un voyage que j’attendais depuis un moment sans savoir qu’il serait un tremblement de tout. Un moment de remise en question de chaque pan de ma vie : professionnelle, artistique, personnelle, spirituelle, etc. Vous y avez débuté Hana no Michi en partant de vos propres rêves et de la solitude de l’écrivain… Je me considère comme un gibier de l’écriture. Mon imagination étant assez limitée, je construis très souvent mon écriture sur ma propre expérience. Au Japon, ce socle a été ma confrontation au pays,

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THÉÂTRE – MULHOUSE & FORBACH

ce qu’elle a remis en question. J’ai eu besoin d’aller au bout de ça en m’isolant dans une chambre d’hôtel vide de Nagoya. J’étais attentif aux moindres sensations. La notion de rêve me fascinait, cet envers de nous qui nous relie tous, tout en étant très secret. J’ai filmé mon sommeil, décrit des rêves avant d’en inventer. C’était le point de départ. La première version de ce spectacle, en 2008 au Japon, réunissait sept acteurs. Aujourd’hui, Redjep Mitrovitsa est seul, accompagné par des effets sonores de répétition, par une voix-off (la sienne). Nous cheminons à la recherche de sa voie ? Oui, je pense. Je vais reprendre la métaphore du rêve, très éclairante. Lorsqu’on rêve, on est seul mais à l’intérieur de nos rêves, on peut être une multitude de figures. Que l’on connaît, ou pas. Dans ce schéma, nous avons l’unité (le rêveur) et la multitude (les figures rêvées). Au Japon, les acteurs étaient à la fois le narrateur et les figures rêvées qui elles, pouvaient être, chacune, le rêve de l’autre. En France, je reviens à une solitude initiale, celle du paysage de ce texte. En le confiant à Redjep Mitrovitsa, j’ai envie de creuser cette dimension : comment une seule personne peut être à la fois le labyrinthe, la personne qui s’y perd – voire le Minotaure qui dévore l’égaré – et le fil d’Ariane ? C’est là toute la richesse et la beauté de la nature humaine. Peut-on dire que c’est une réflexion sur l’existence ? Le mot réflexion appelle un rapport à la vie basé sur le cérébral. Donc, en ce sens, non. C’est plutôt le cheminement d’une perception ou d’une sensation de l’existence dans laquelle la réflexion n’a plus le même poids qu’avant. Nous vivons dans une représentation de la réalité où nous utilisons, parfois, la fonction cérébrale où elle ne peut avoir prise. Une grande partie de la philosophie occidentale peut expliquer que l’esprit a 8 ou 12 catégories mais ne peut répondre à la question : comment être heureux ? Dans la pièce originelle, le rapport à la matière (eau, encre, murs de papier) était très fort. Parlez-nous

de ce point de rendez-vous entre matières, comédien et spectateurs… Ce n’est pas le singulier de cette expérience qui m’intéresse mais ce qui est commun au questionnement sur l’amour, sa propre solitude, la transmission, la séparation, le renoncement, la chute, la création… Effectivement, dans le trajet de cet homme isolé, il y a le cheminement de Redjep dans la parole. Mais il y a aussi le silence, la matière. Je ne veux pas que ça se passe uniquement dans un espace mental. Tout ça n’est pas qu’un rêve. Peut-être pas un rêve du tout. À un moment le narrateur fait face aux portes de la mort. Que tirezvous de cette rencontre entre la mort et la vie ? Le questionnement de la mort fait forcément partie de celui de la vie. On sépare des choses et on s’empêche souvent de les relier. La séquence du passage auquel vous faites référence est ma version de l’origine du monde. Lorsque l’homme se retrouve face aux portes ouvertes de la mort, il ne pleure pas, il ne geint pas.

Il chante, simplement. Ça me renvoie à l’écrivain Haruki Murakami qui fait dire à un de ses personnages : « Finalement, danse. Même si tu es fatigué, même si tu as l’impression que ça ne va pas et que tout te tourne le dos, danse, danse. » C’est ma manière de danser. Le modèle narratif n’est pas celui du théâtre classique avec des unités de temps, de lieux et de personnages. Sa trame fonctionnelle est hybride. Mais est-ce si grave que ça de ne pas avoir tous les points de repères ? La vie n’estelle pas ainsi faite ? Hana no Michi ou Le Sentier des fleurs, paru aux Éditions Espaces 34 (bilingue français-japonais), en 2008, 14,80 € www.editions-espaces34.fr

*

Propos recueillis par Thomas Flagel

m À Mulhouse, à La Filature, mercredi 23 (rencontre après le spectacle avec les artistes) et jeudi 24 mars 03 89 36 28 28 – www.lafilature.org m À Forbach (57), au Carreau, jeudi 26 et vendredi 27 mai – 03 87 84 64 34 www.carreau-forbach.com www.soweiter.net

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MUSIQUE – ILLKIRCH-GRAFFENSTADEN

Au bonheur du souffle Pendant dix jours, Illkirch-Graffenstaden va vibrer au son de l’accordéon, le “piano du pauvre” qui, depuis treize ans, grâce au Printemps des Bretelles, fait peau neuve et revêt les atours d’un instrument acoustique, contemporain, brillant et chaleureux.

D

e la joie, du punch et de la qualité : voilà les traits distinctifs d’une manifestation qui revendique, année après année, une place de plus en plus grande dans le cœur des habitants de la cité et sur le carnet de bal des aficionados de cet instrument populaire, dont l’image de marque à l’heure actuelle ne cesse de grimper sur le marché de la création musicale. Jamais à bout de souffle, l’accordéon se taille la part belle et reprend des galons chez les férus de la musique traditionnelle, revisitée par les talents contemporains de grosses pointures du jazz, de la chanson, du rock. Et si “souffler” c’est “jouer”, alors le festival gagne chaque année à souffler ses bougies avec enthousiasme (treize pour cette édition exceptionnellement riche) lors d’une profusion de propositions, allant du concert au bal, du lever de rideau pour se faire connaître à la consécration de têtes d'affiche.

Accordéon pluriel Au croisement des cultures, de la Russie à l’Europe de l’Est, en Amérique du Sud et du Nord, en passant par le Maghreb… Rock français, pop-rock, jazz, musique classique ou styles contemporains concourent à nous faire déguster les nouvelles saveurs liées à une petite cuisine musicale pimentée par l’accordéon, en liant de sauce à savourer sans modération. Et il essaimera, malicieux, en tous lieux de la ville, de la grande salle de L’Illiade, en passant par la place du marché ou au sein du Magic Mirror, ce chapiteau dressé le temps du festival pour accueillir le grand public. De mémoire de festivalier, on a pu y voir et entendre des Galliano, Azzola, Perrone, l’Orchestre national de Barbès, etc. À l’affiche cette année, on retiendra la participation des Têtes Raides… en compagnie de Jean Corti, l’accordéoniste

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mythique de Jacques Brel : après avoir accompagné quelques belles années de bal et de swing dans des brasseries, dont L’Aubette et La République à Strasbourg, il est embauché par Brel en 1960. Six ans de chansons dont Madeleine, Les Vieux, Les Bourgeois, Titine. Il croise plus tard le parcours de Brassens, Barbara, Petrucciani, Bashung, Rita Mitsouko et rencontre les mômes des Têtes Raides. Christian Grégoire et les autres font grincer la chansonnette et décapent le genre de la “boîte à frisson” pour en faire un terreau fertile d’inventions acoustiques inédites.

Accordéon métissé De la musique brésilienne aussi avec Renato Borghetti, des sonorités orientales avec Fawzy Al-Aiedy (voir Poly n°138) et pourquoi pas les musiques traditionnelles d’Europe de Broga Zakouska ? Du cirque contemporain aussi avec le Cabaret Désemboîté et en ouverture, histoire de guincher, le Bringuebal pour se déhancher savamment en toute convivialité ! Ne pas oublier de porter les plus belles bretelles pour aller y swinguer à l’œil sans se les faire redresser par les sergents majors de service ! Une évasion hip-hop avec DéBaTailles vous tente ? Depuis ses débuts, le travail de Denis Plassard se nourrit du décalage et n’hésite pas à utiliser le ressort de la dérision et de l’humour. À chaque nouvelle création, il s’amuse à se confronter à d’autres esthétiques. De Bizet à Labiche, des planches à la piste, les idées se bousculent et les genres s’entrechoquent. Dans ce nouveau spectacle en forme de défis, deux équipes de danseurs s’affrontent sur un terrain de jeu incongru. Inspiré des battles hip-hop, des danses traditionnelles et des compétitions de danse sportive, DéBaTailles se déroule comme un vrai concours. Délirantes ou tendrement cruelles, les joutes

physiques s’enchaînent. Un petit orchestre – accordéon, guitare, percussions – accompagne sur scène les duels dansés. La bizarrerie, le plaisir et la virtuosité sont les clés de la victoire. Tel un débat politique, féroce comme une cour de récré, stricte comme une partie de catch, telle une salle des marchés, l’arène est un espace de confrontation dansée où deux équipes s’écharpent : les blonds contre les bruns. La musique sollicite les prouesses dansées, les aiguillonne. Accordéon et danse font bon ménage. Citons encore les Na Na Na Na, un quatuor féminin en devenir, formation strasbourgeoise émergeante, dotée d’un répertoire éclectique où violon, violoncelle, piano et flûte se mêlent aux voix des ces quatre nanas dans le vent. Un joyeux périple sonore… Alors, surtout ne tirez par sur le pianiste à bretelles et notez sur votre carnet de bal ou de “petit bal perdu” qu’au son de l’accordéon, toute une ville va vibrer dix jours durant, jusqu’au charivari final qui vous entraînera dans une valse à mille temps, au cœur de l’univers des guinguettes, des bals balloches et autres divertissements endiablés. Texte : Geneviève Charras

m À Illkirch-Graffenstaden, à L’Illiade et dans toute la ville, du 18 au 27 mars – 03 88 65 31 00 www.printempsdesbretelles.fr www.illiade.com


Renato Borghetti

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LIVRE D’ART & MUSIQUE – STRASBOURG

Un ange passe Sobrement intitulé Lux, un livre célèbre les 25 ans de peinture de l’artiste strasbourgeoise Sylvie Lander qui collabore à nouveau avec l’OPS. Anges, Merveilles, Disques célestes… Toute une mystique lumineuse se déploie avec fastes.

S

ylvie Lander est surtout connue pour ses anges : de l’exposition fondatrice de 1992 à Saint-Pierrele-Jeune, Le Souffle des anges, à leurs avatars d’aujourd’hui en passant par La Légion des anges (en 1999, à L’Aubette) où l’artiste en avait peint un par jour durant un an, ils l’accompagnent fidèlement. Pour elle, ces créatures célestes « sont des figures tutélaires que l’on porte en soi sous une forme ou une autre, une ouverture sur le monde du rêve, un souffle positif qui vous tire vers le haut. L’ange peut être un gardien ou un compagnon, il peut aussi être considéré comme la part de mystère que nous possédons tous en nous. Pas la peine d’être croyant. » Avec des évanescences de peinture, elle nous entraîne dans une zone improbable, “outreciel” pour employer un néologisme inspiré par Pierre Soulages. Une auréole

dorée ceint un visage à peine esquissé : voilà exprimé avec éclats le mystère d’une divinité détachée de toute religion. Ce livre narre une trajectoire picturale, des Nageurs des origines aux plus récentes expérimentations, où Sylvie Lander tente de décrypter – avec ses pigments ou des travaux menés avec les potiers de Betschdorf – l’histoire du monde et sa cosmogonie. Stellaires ou Nocturnes constituent des voyages dans l’infini des étoiles. L’artiste continue inlassablement à questionner l’univers et cherche à « exprimer le mystère cosmique avec des moyens très simples, un pinceau et des couleurs » qu’elle fabrique elle-même. Il n’est ainsi guère étonnant que ces problématiques rejoignent celles de la musique. Sylvie Lander a ainsi mené plusieurs collaborations avec l’Orchestre

philharmonique de Strasbourg à Orschwiller, en 2007, avec l’Octuor à cordes et à vents de l’OPS, puis, l’année suivante, à l’occasion d’un concert du New London Consort, un féérique Oratorio de Pâques de Bach. Chaque fois, ses anges peuplaient la scène. Pour une soirée de cinéconcert où l’on entendra Les Planètes de Holst accompagnées d’un film scientificoonirique en forme de voyage dans l’espace (réalisé par la Cité de l’Espace), il était bien naturel d’inviter les œuvres de Sylvie Lander à accueillir les spectateurs au PMC, afin que peinture et musique entrent à nouveau en résonance. Elles contribueront sans nul doute à nous faire pénétrer dans une autre dimension : « À la fin du concert d’Orschwiller, quelqu’un est venu me voir, affirmant avoir aperçu des contours d’anges s’échapper et flotter… qui n’existaient que dans l’abstraction des formes et de la couleur ! Cette expérience de synesthésie, cette perception simultanée du son et de la couleur a été une découverte », raconte Sylvie Lander. Texte : Hervé Lévy Photo : Pascal Bastien

m Lux est paru aux éditions Ponte Vecchio (29 €) – www.sylvie-lander.fr m Concert de l'OPS, à Strasbourg, au Palais de la musique et des congrès, jeudi 31 mars et vendredi 1er avril 03 69 06 37 06 www.philharmonique.strasbourg.eu

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Carte blanche à Éric Genetet

Papillon grandiloquent

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Redevenons sérieux. Je vous l’affirme, nous avons échappé au pire. Cindy Sander ne sera pas le “produit” de notre région. C’est un vrai soulagement non ? Avec un album pareil, Pierre Bardet et ses Vitrines l’auraient certainement invitée à inaugurer les Lumières de Strasbourg avec Nicoletta, au mois de décembre. On avait déjà assez de problèmes avec les churros… Même si, sur ce point, les avis divergent, et « dix verges c’est énorme » comme disait Pierre Desproges et le confirmera la future-ancienne (ou l’inverse) Nouvelle Star à son retour des States. Non ! L’Alsace ne sera pas associée à cet indigne coup médiatique, Cindy Sander n’aura pas sa statue Place Kléber… Ou alors… J’y pense soudain ! Mais oui, bien sûr ! On pourrait l’installer à la place du grand sapin de Noël, les touristes n’y verraient que du feu, si elle se casse la voix, d’ici là.

St

Je vous écris tout ça, car nous l’avons échappé belle. L’article du journal cité plus haut (datant du 9 février) évoquait la collaboration avortée entre la chanteuse et deux Alsaciens qui n’ont peur de rien et surtout pas du ridicule. Devinant certainement un incroyable talent à cette star pas académique, ils avaient trouvé l’idée géniale de lui faire des chansons pop-rock aux petits

oignons. Ils ont travaillé huit mois pour leur vedette potentielle, jour et nuit, comme des forcenés, rêvant d’un destin interstellaire. Mais patatras, Cindy les a « plaqués pour Hollywood ». Terrible. L’un des auteurs-compositeurs de l’album qui ne verra jamais le jour, se dit « blessé », l’autre avait pourtant « tout fait pour que ça marche ». En résumé, ils se sont fait avoir. Néanmoins, mais cerveaux en plus, ils pensent que certains morceaux pourraient se retrouver sur le prochain disque de Sander. Sans commentaire. Cela dit, il faut être clair : Hollywood, c’est mieux pour son grand talent.

©

C

onnaissez-vous Cindy Sander ? Vous savez, cette fille maquillée comme un sapin de Noël, qui chante Papillon de lumière, sous les projecteurs depuis son renvoi immédiat d’une émission de M6. Papillon de lumière ? Ce truc sans saveur qui ressemble à une chanson des années 1980 et que personne n’aurait osé programmer à l’époque. Aucune radio digne de ce nom ne l’a diffusé en boucle, tellement ça fait mal aux oreilles. Pour écouter ce titre, il faut posséder un sonotone défaillant ou un moral solide. Et pourtant, cette candidate malheureuse de la Nouvelle Star a engendré un réel buzz sur Internet. Pour découvrir un phénomène de foire ou en raison de la qualité de sa musique ? Comme la France entière s’est moquée d’elle dans de nombreuses émissions de télévision, j’avais un vague souvenir de cette jeune femme qui a dépassé la trentaine et les limites du grotesque. Alors, après la lecture d’un article dans les DNA, j’ai tenté une expérience qui hisse un homme vers une forme définitive de spiritualité et de glamour : taper “Cindy Sander” sur Dailymotion. Surprise, il y a une flopée de pages aussi insignifiantes les unes que les autres. J’ai vu, par exemple, “l’artiste”, en tenue légère dans Newlook où elle déclare : « Je me sens sexy ». Formidable ! Soit son estime d’elle-même a atteint son zénith alors qu’elle n’est pas près de remplir le nôtre, soit elle nous fait le coup de la fille bien dans ses bottes de sept lieues qui ne l’emmèneront pas plus loin que la Moselle, qu’elle n’aurait jamais dû quitter.


Visuel Raoul Gilibert et Kathleen Rousset, conception graphique Polo

Opus Null d’après les œuvres de Jean Hans Arp Mise en scène Christian Rätz Voix Point Comme, Strasbourg – Création 2010 Avec Sébastien Dubourg, Xavier Fassion, Jean Lorrain, Antje Schur, Marie-Noëlle Vidal, Régine Westenhoeffer Lumière Alexandre Rätz Son Sébastien Bauer

Taps Scala en avril mardi 5, mercredi 6, jeudi 7 à 20h30 vendredi 8, samedi 9 à 20h30 et dimanche 10 à 17h

Les Taps, théâtre actuel info. 03 88 34 10 36 www.taps.strasbourg.eu


Une ville vue par une artiste

Dobet Gnahoré /Abidjan Il y a des gens comme ça, pour lesquels l’art est un engagement. C’est le cas de Dobet Gnahoré, chanteuse ivoirienne aujourd’hui installée en France et prochainement en concert à la Salle du Cercle de Bischheim. Tout a commencé à Abidjan…

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© Michel de Bock

ès l’âge de cinq ou six ans, Dobet, fille de Boni Gnahoré, maître percussionniste, rêve d’intégrer le village Ki-Yi, sorte de communauté panafricaine d’une centaine d’artistes. Un magnifique recoin du quartier de Cocody, à Abidjan, totalement dédié à l’art et rassemblant des personnes de tout le continent, apprenant à chanter dans différentes langues, à pratiquer de nombreuses danses d’Afrique. Formations, créations de spectacles (amenés parfois à tourner dans le monde entier), apprentissage du théâtre, de la musique, des arts plastiques… Avec ce but : en sortir polyvalent, car « quand on est artiste, il faut savoir tout faire. Telle est la devise du village », insiste Dobet Gnahoré. À douze ans, son père crée expressément un module pour les enfants, une compagnie composée de gamins. Sa fille intègre la communauté. Elle quitte l’école, mais pas pour se retrouver dans une cour de récré. « C’était presque l’armée : on travaillait douze heures par jour ! Regarder, écouter et apprendre… On se levait à cinq heure du matin en ne pensant qu’à évoluer. » Une discipline de fer. Une période néanmoins idyllique : « Les bons moments de la Côte d’Ivoire, avant la crise économique et sociale du début des années 2000. Les artistes vivaient de leur art, il y avait des clubs partout dans la capitale. » L’Ensemble Ki-Yi M’Bock et le Koteba, deux compagnies théâtrales, rayonnaient à l’étranger et beaucoup voulaient s’en inspirer. La méthode ? « Le boulot, le boulot, le boulot, le boulot ! »

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Ivoirité…

Un guitariste français, Colin Laroche de Féline, débarque au village en 1996. Une rencontre artistique et amoureuse. Trois ans plus tard, Dobet


et Colin quittent le continent et s’installent en France. Ils fondent le duo Ano Neko – “créons ensemble” – et livrent un album éponyme faisant le lien musical entre l’Afrique et l’Europe. Sortiront ensuite Na Afriki (2007) et Djekpa La You (2010) sous le nom de Dobet Gnahoré qui chante en langue bété, baoulé, malinké, mina, bambara ou wolof tandis que le son mélange influences mandingues, congolaises, ghanéennes, zouloues et ivoiriennes. Sa musique parle de toute l’Afrique, « dans sa diversité ». Alors, lorsqu’on évoque les conflits interethniques qui grondent aujourd’hui dans l’ancienne colonie française multiculturelle, Dobet pique une colère : « C’est politique. C’est diviser pour mieux régner. L’appât des richesses mène à tenir ces discourslà. Quand Félix Houphouët-Boigny était au pouvoir, la Côte d’Ivoire a vécu avec différentes ethnies en son sein. Pourquoi parler d’ivoirité alors que personne n’est à 100% ivoirien ? Nous sommes tous métis. La balle est dans leur camp… », conclut Dobet, renvoyant dos à dos tous les responsables politiques, Gbagbo comme Ouattara. Sa vision n’est pas très optimiste quant à l’avenir de son pays… qu’elle adore toutefois, y retournant au moins une fois par an pour s’y produire parfois, s’y ressourcer, y voir sa famille (« c’est elle qui me donne du courage »), puiser son inspiration, même si, culturellement, la Côte d’Ivoire est en perte de vitesse selon l’intéressée. Les petites salles de concert ont fermé au détriment des plus grandes à la programmation volontiers commerciale. « Moins de lives, plus de play-back… Il y a bien le coupé-décalé, danse créée durant les événements de 2002, mais l’idée était surtout de se changer les idées, de se détourner de la guerre politique. » La culture s’écrit avec un “c” minuscule, la distraction ayant pris le pas sur la création. « Je souhaite que mon pays retrouve sa stabilité, que la population arrête enfin de souffrir. » Aujourd’hui, c’est ubuesque de voir « Gbagbo, là-bas, dans son palais, et Ouattara dans son hôtel, mais ça fait dix ans que politiquement, la situation est très fragile. Il faut que

© Dirk Leunis

et coupé-décalé

la Côte d’Ivoire reprenne le devant, que le peuple puisse vivre à nouveau, que mes enfants et moi puissions y retourner durant quelques années », dit amèrement Dobet, sans pour autant baisser les bras, car portée par cette « rage » qui la rend si énergique. « Ma famille est pauvre. J’ai envie de la sortir de cette misère, de lui donner de

quoi manger, un toit pour dormir. J’ai la volonté de continuer à faire de beaux albums et être encore meilleure sur scène. Tout ça me stimule. » Texte : Emmanuel Dosda

m À Bischheim, à la Salle du Cercle, vendredi 18 mars 03 88 33 36 68 – www.salleducercle.fr

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Artistes associés

La femme à la caméra Danseuse, chorégraphe et artiste visuelle, Olga Mesa est initiatrice de projets qui sortent des sentiers battus. Elle inaugure une forme de résidence originale au sein d’une institution dédiée aux arts plastiques, le Frac Alsace.

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e sa première expérience avec le Frac Lorraine (Metz) en 2007, où elle fut commissaire d’une exposition, l’artiste d’origine espagnole prolonge ici son projet expérimental de film. La caméra y traduit la relation du corps au monde, à la réalité et à la fiction, au visible et à l’invisible, à la mémoire individuelle et à la mémoire collective. « Depuis toujours, la caméra fait partie de mon processus de création et sa place a de plus en plus d’importance pour mon travail visuel sur la place du corps. LabOfilm reprend cette démarche, l’approfondit, l’éparpille. C’est un chemin qui s’ouvre pour ce projet important, dans sa complexité et la richesse de sa matière » explique Olga Mesa. Les données de base, à savoir les questions sur les différentes formes scéniques possibles, seront à l’origine de ses résidences, à Pôle Sud dès 2005, puis en Espagne et au Portugal. « Cette résidence au Frac Alsace sera le lieu de la prolongation de ces expériences avec mon équipe. Le mon-

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tage est un procédé quasi obsessionnel dans mes pièces précédentes et voici l’occasion unique de me pencher exclusivement sur ce propos. Découvrir ainsi l’éventail des possibilités offertes par ce médium et le faire partager, étape par étape au public, sous une forme très ouverte. Partager les moments de rencontres et de discussion à Sélestat, à Strasbourg aussi avec les partenaires choisis et engagés dans ce soutient à la création. » Ici, la danse n’est pas une écriture du corps dans l’espace mais plutôt la performance d’un corps devenu opérateur. El lamento de Blancanieves est le premier volet du projet initié qui sera créé à l’été 2011 dans le cadre de sa résidence d’artiste. Pour Olivier Grasser, directeur du Frac Alsace, « accueillir une résidence en guise d’exposition, c’est suivre une démarche de création en cheminement, plutôt que présenter une œuvre achevée. C’est encourager le public à une démarche active plus

que contemplative : le corps y est le vocabulaire d’un langage cinématographique et labyrinthique singulier, propre à cette artiste atypique, à la lisière des disciplines. C’est rendre compte du travail de l’artiste avec honnêteté, sans mascarade, ni spectacle, ni instrumentalisation. » À projet spécial, dispositif spécial. Le public sera convié à des moments de rencontre et d’incursion dans la création, ainsi qu’à un programme spécial conçu avec Olga Mesa : un dispositif Web sera accessible tout au long de la résidence pour regarder ces nouveaux espaces de l’intérieur ! Une avant-première aura lieu au Frac le 22 mai dans le cadre du festival DansePerformance Festival Nouvelles (du 18 au 28 mai) organisé par Pôle Sud et coproduit par le Frac Alsace. Texte : Geneviève Charras Photo : Susana Paiva

m À Sélestat, au Frac Alsace, du 21 mars au 21 mai 03 88 58 87 58 – www.culture-alsace.org


Où trouver

Prochaine parution de Poly le 28 avril 2011

Les lieux référents (plus de 120 exemplaires) Bas-Rhin

Strasbourg La Boutique Culture, Cg67, Cinéma Odyssée, Graphigro, Restaurant la Victoire, CUS, Région Alsace, Pôle Sud Oberausbergen PréO Haguenau Médiathèque, Théâtre, Mairie Sélestat FRAC Alsace, Mairie Schilthigheim Mairie, l’École de Musique, le Cheval Blanc Illkirch L’Illiade Bischwiller MAC

Haut-Rhin

Colmar Le Poussin Vert, Cg68, Cinéma Colisée Kingersheim Espace Tival Mulhouse Cinéma Bel Air, Mairie Saint Louis Mairie, Musée Fernet Branca

Franche-Comté

Belfort Centre chorégraphique Montbéliard l’allan

Les lieux de diffusion ++ Bas-Rhin

Bischheim Mairie / Centre Culturel / Salle du Cercle, Bibliothèque – Cour des Bœcklin Bischwiller MAC Haguenau École de Musique, Musée Historique, Relais Culturel Hœnheim Mairie Illkirch Mairie Lingolsheim Mairie Obernai Espace Athic Ostwald Mairie, Château de l'Île, Le Point d'Eau Sélestat ACA Saverne Rohan Schilthigheim ferme Linck Strasbourg ARTE, CIRDD, Espace Insight, FEC, La Choucrouterie, L'Artichaut, Le Kafteur, LISAA, La Maison des Associations, Stimultania, France 3 Strasbourg Événements, 3 magasins BEMAC Mésange, Neuhof & St Nicolas, Café Broglie, Snack Michel, Trolleybus, Archives de la Ville de Strasbourg et de la CUS, CEAAC, CRDP, Restaurant Chez Yvonne, Cinéma Star St Éxupéry, IUFM, AFGES, ES, MAMCS, TJP Petite Scène et grande Scène, Bibliothèque de L'ULP, CCI de Strasbourg, La Laiterie, les TAPS Gare et Scala, Pôle Sud, Le Vaisseau, l'École d'Architecture de Strasbourg, FNAC, BNU, Bibliothèques du Neudorf, Hautepierre, Kuhn, Meinau & de Cronenbourg, CREPS Cube Noir, Le Maillon, L'Opéra National du Rhin, l'ESADS Vendenheim Mairie

Haut-Rhin

Altkirch CRAC Alsace Cernay Espace Grün Colmar Hiéro Colmar, Lézard, CIVA, École de musique, Conseil Général, Bibliothèque Municipale, Mairie, Médiathèque Départementale, Musée d'Unterlinden, FNAC, Comédie de l'Est, École d'Arts Plastiques, CCI, Cinéma Odyssée Guebwiller Les Dominicains de Haute-Alsace, IEAC Huningue Triangle, Mairie Illzach Espace 110 Kingersheim CRÉA Mulhouse Société Industrielle, Maison du Technopole, La Filature, Bibliothèque Médiathèque, Bibliothèque FLSH, Musée des Beaux Arts, École Le Quai, CCI, Kunsthalle, Théâtre de la Sinne, hôtel du Parc, l'Entrepôt, Musée de l'Impression sur Étoffes, Office du Tourisme, Kintz Collections, Café Leffe, Old School, Bibliothèque Universitaire Ribeauvillé Salle du Parc Rixheim La Passerelle Saint-Louis Théâtre de la Coupôle, Médiathèque, Hôtel Ibis Thann Relais Culturel Village Neuf Rives Rhin

Franche-Comté

Belfort Mairie, le Granit, Médiathèque Montbéliard le 10neuf, Médiathèque, PMA, Mairie Et dans plus de 100 autres lieux : bars, restaurants, magasins…

Les lieux de lecture en Alsace c Les salles d’attente des Hôpitaux Universitaires

de Strasbourg c 70 bars c 50 restaurants c 60 salons de coiffure c 40 cabinets médicaux et dentaires

Si vous souhaitez vous aussi devenir un lieu de diffusion pour Poly, n’hésitez pas à nous en faire la demande. Contact : gwenaelle.lecointe@bkn.fr

Focus référents Boutique Culture à Strasbourg

Créée par la Ville de Strasbourg pour promouvoir les activités culturelles de la Ville et de sa Communauté urbaine, la Boutique Culture est aussi un espace de billetterie centralisé pour l’achat de places de spectacles. www.strasbourg.eu

Espace Tival à Kingersheim

Installée dans une ancienne usine, cette salle de spectacles accueille notamment la programmation du Créa, une partie du festival jeune public Momix ou le festival Roots qui a fêté ses 10 ans en 2010. tival.ville-kingersheim.fr

Focus ++ Mac de Bischwiller

La Maison des Associations et de la Culture est un lieu de diffusion du spectacle vivant, un espace de création et de culture artistique. Elle accueille tout au long de l’année concerts, spectacles, conférences, expositions, salons… www.mac-bischwiller.fr

Stimultania à Strasbourg

Lieu de diffusion de photographies (et de musiques improvisées et expérimentales), Stimultania propose cinq expositions annuelles (en ce moment, Peter Knapp) et des apérosconcerts mensuels. www.stimultania.org

La Kunsthalle de Mulhouse

La Kunsthalle, c’est un espace d’exposition de 700 m² dédié à la création artistique émergente situé en plein cœur de la Fonderie, un bâtiment industriel réhabilité. Le centre invite chaque année un commissaire pour y monter trois expositions. www.kunsthallemulhouse.com

16 rue Édouard Teutsch – 67000 Strasbourg – tél. 03 90 22 93 30 – fax 03 90 22 93 37


L’illustrateur

Michaël Husser Au pays de Michaël, on aime les rencontres. Celles qui donnent des envies d’ailleurs, jusqu’en Australie. Au pays de Michaël, les frontières se traversent sans regard en arrière. L’illustrateur de 27 ans a longtemps patienté derrière le menuisier en herbe. L’art s’est nourri de l’artisanat, l’attirant de l’objet au “design produit”. Au pays de Michaël on travaille avec ratures au Bic, sur des carnets de petit format – comme ceux d’Ernest Pignon-Ernest ayant suscités sa vocation – dans lesquels des feuilles volantes s’agrippent au scotch. Au pays de Michaël, la musique post-rock énervée devient folk lorsque le perfectionnisme du graphiste reprend ses droits. www.michael-husser.com

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Social Network Neurosis


Galerie

Piss paintings Péage au Moyen Âge, toilettes publiques à la réputation sulfureuse il y a une vingtaine d’années, L’Édicule situé quai Finkmatt à Strasbourg est récemment devenu un “Lieu d’Intégration Visuel”. Ici, pas de dame pipi, mais des expos qui interrogent la mémoire du quartier.

D

avid Hurstel, directeur artistique du Parlement des Arts1, association porteuse du projet, nous fait visiter l’édifice récemment refait à neuf. Deux ou trois secondes suffisent à faire le tour des quelques mètres carrés de surface, visibles de l’extérieur (le spectateur n’y pénètre pas) par une porte vitrée. David nous informe d’ailleurs que « des gens ont cru y voir la Vierge, la nuit ». Son nom vient du terme qui, dans l’Antiquité, désignait une petite construction autonome où l’on plaçait des statuettes de dieux. Zone d’octroi durant le Moyen Âge, chalet d’aisance pendant longtemps, puis simple espace d’affichage, cette bâtisse en briques est restée en friche durant une ving-

taine d’années. Au moment des travaux de réfection de la rue du faubourg de Pierre, il y a environ un an, le Parlement des Arts s’invite aux débats. Son idée d’utiliser cette petite structure architecturale à l’abandon, de la restaurer afin d’en faire un espace d’exposition, un Lieu d’Intégration Visuelle2 permettant de « créer du lien social », séduit vite élus3 et habitants. « Dans ce quartier populaire, il est important de faire circuler la parole », explique David.

« Ré-enchanter la ville »

Afin de révéler « l’histoire sensible de l’endroit », le Parlement est allé à la rencontre des riverains. Récolte de témoignages (un violoncelliste allemand s’y

serait fait agressé, un homicide y aurait eu lieu…), prise de photos (pour le vernissage, des portraits ont été accrochés sur L’Édicule et la colonne Morris attenante), réalisation de micros-trottoirs qui serviront peut-être de matière première à des élèves du TNS pour une pièce qui y sera présentée. L’Édicule est aujourd’hui prêt à accueillir des projets artistiques intégrant souvent des « problématiques sociales ». Il y aura des micro-événements (du théâtre d’objets à partir de biens appartenants aux habitants…) et autres rendez-vous, comme des installations proposées en partenariat avec les voisins (Apollonia ou Accélérateur de particules). Silvi Simon, plasticienne qui travaille « sur le mouvement et la lumière », est passée, ce jour-là, visiter l’espace. S’intéressant à l’intégration d’œuvres in situ, son intervention tiendra forcément compte de son environnement, pourquoi pas de son passé. L’urinoir de Duchamp, Manzoni et sa Merda d’Artista mise en boîte, Warhol et ses Piss paintings… L’ancienne pissotière saura sans aucun doute inspirer les plasticiens invités. 1 Le Parlement des Arts cherche, depuis 2003, à « créer et soutenir différents projets artistiques en synergie avec les habitants d’un quartier ou d’une commune » 2 L’asso souhaiterait créer de nouveaux LIV, dans d’autres « éléments urbains en jachère » 3 Début février, à l’heure où nous écrivons ces lignes, le Parlement des Arts est toujours dans l’attente de la signature d’une convention avec la Ville

Texte : Emmanuel Dosda

m L’Édicule, à Strasbourg, quai Finkmatt, au niveau du pont du faubourg de Pierre www.parlementdesarts.org

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Musées insolites

Dans l’enfer rose Chaleur suffocante, travail épuisant, risques liés au grisou… En Alsace, l’exploitation de la potasse était harassante. Depuis 1987, le Musée du mineur restitue une belle aventure humaine.

S

i le Musée de la Régence est connu internationalement, il le doit à une énorme météorite tombée en 1492, dont Sébastien Brant relata la chute. Elle est conservée dans la section historique de l’établissement. Une autre est dédiée à l’archéologie, tandis que la troisième est consacrée à l’épopée de la potasse en Alsace. Depuis le début du XXe siècle et la découverte d’Amélie Zurcher (qui cherchait du charbon) et jusqu’en 2002, le chlorure de potassium (de couleur rose) 1 a été extrait afin de fabriquer des engrais. Notre guide, Jean-Michel Schmitt, mineur entre 1969 et 2001, explique que le puits d’Ensisheim était le plus dur : « À plus de 1 000 mètres de profondeur, la température dépassait allègrement les 50°. » Ajoutez à cela les dangers liés au grisou (un gaz fait d’un mélange de méthane et de dioxyde de carbone), les risques d’éboulements et un travail exténuant puisqu’il fallait pelleter chaque jour quelque 7 m3 de potasse. Dans ce musée d’une incroyable

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richesse, le visiteur découvre à la fois les modes d’extraction et les conditions de vie des mineurs qui, « au début, descendaient sans casque. Les premiers, en carton ou en cuir, sont seulement apparus dans les années 1920. » Nous voilà plongés au plus profond d’un univers envoûtant, placés sous la protection de Sainte Barbe2, entourés d’objets étranges comme le cuffat, « un grand tonneau de fer pouvant contenir quatre personnes – mais parfois plus – qui servait aux mineurs à descendre dans le puits pour réaliser des travaux d’entretien ». Lampes, wagonnets, perceuses pneumatiques, marteauxpiqueurs, “savates polonaises” (en toile récupérée sur des bandes de roulement utilisées dans la mine), masques protecteurs, pendus, appareils de sauvetage… Le visiteur pénètre dans un cabinet de curiosités dont une des plus belles pièces est une maquette de chevalement réalisée par Robert Bischoff en 1997. Le musée reflète les 1001

facettes d’une profession désormais disparue en Alsace. De cette aventure de près d’un siècle ne subsiste désormais presque rien, même si près de 570 millions de tonnes de potasse ont été extraites du sous-sol. Fernand, Anna, Théodore, Alex, Amélie, Rodolphe… Tous ces puits appartiennent à un passé que ce lieu fait revivre avec une grande intelligence. 1 La potasse est formée d’une alternance de couches roses (des cristaux de sylvine, le chlorure de potassium) et grises-blanches (des cristaux de sel, le chlorure de sodium) 2 Sainte patronne des mineurs

Texte : Hervé Lévy Photos : Stéphane Louis pour Poly

m Le Musée du mineur est situé dans le Musée de la Régence, 6 place de l’Église, à Ensisheim. Il est ouvert tous les jours de 14h à 18h (sauf le mardi, fermeture un week-end sur deux d’octobre à avril) 03 89 26 49 54 www.ville-ensisheim.fr



Les hommes de l’ombre

Il est leurs yeux Le comédien Frédéric Solunto collabore pour la cinquième fois avec l’Espace Athic d’Obernai dans le cadre de Pisteurs d’étoiles. Sa mission ? Décrire en direct un spectacle de nouveau cirque aux malvoyants.

A

u théâtre, on comprend bien en quoi peut consister une audiodescription : les aveugles, un casque sur la tête, écoutent un comédien qui dépeint les éléments de la mise en scène, costumes, décors, gestuelle… « La colonne vertébrale demeure le texte » explique Frédéric Solunto, mais dans le cadre de Pisteurs d’étoiles, c’est une autre paire de manches, même si tous les malvoyants ont reçu un texte en braille avant le spectacle. En 2011, il relèvera, pour la cinquième fois, un défi qui lui semblait « complètement fou au départ ». L’année passée, par exemple, il a fallu faire partager la folie des artistes du CirColombia : sauts périlleux, acrobaties, exercices de bascule… Comment procéder pour

intéresser les malvoyants ? « Ce qui importe est de les immerger aussi intensément dans le spectacle que les autres, sans les saouler de paroles. Mon rôle est de trouver le juste dosage entre les silences et les mots. Il est aussi primordial de les accompagner avant et après la représentation en leur faisant, par exemple, toucher le matériel utilisé, mat chinois, trampoline, corde, cerceau… » Dans sa cabine, au bord de la piste, “the voice” se livre à un exercice complexe qui s’apparente à la fois au commentaire sportif et à la recherche permanente d’empathie. Le secret de cet ancien du Cours Florent est peut-être sa voix, la raison pour laquelle Adan Sandoval, directeur général de l’Espace Athic, l’a choisi au départ. Mélodieuse et douce, elle envoûte, emporte les auditeurs dans des contrées oniriques. À près de cinquante ans, l’acteur est également un grand professionnel qui arpente bien des continents artistiques, du théâtre (on le vit à Bussang ou au Maillon dans une mémorable mise en scène de la pièce de Brecht, Dans la jungle des villes, signée Pierre Diependaële) au chant, en passant par la trompette, le doublage de films, le cinéma, l’enseignement, la danse… Liste non exhaustive. Ce boulimique avoue du reste « avoir été fasciné par des artistes comme Gene Kelly et Fred Astaire, qui savaient tout faire : chanter, danser… » Il aime donner de son métier la définition de Fabrice Lucchini : « Le comédien se construit sur le désir de l’autre. » Une phrase qui va comme un gant à celui qui a su séduire bien des publics, dont celui des malvoyants d’Obernai. Si l’action initiée par l’Espace Athic (en partenariat avec Électricité de Strasbourg) avait attiré six ou sept personnes la première année, ils étaient en effet une quarantaine sous le chapiteau de Pisteurs d’étoiles en 2010. Texte : Hervé Lévy Photo : Benoît Linder pour Poly

m La 16e édition de Pisteurs d’étoiles se déroule du 29 avril au 7 mai, à Obernai, sous chapiteau (situé sur le parking des Remparts) 03 88 95 68 19 – www.pisteursdetoiles.com m On pourra aussi découvrir Frédéric Solunto à Colmar, à la Comédie de l’Est du 6 au 8 avril dans Le Chemin des passes dangereuses 03 89 24 31 78 – www.comedie-est.com

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Temps suspendu Dans le cadre de l’année du Mexique en France, le Frac Lorraine questionne l’avenir avec l’exposition Geste serpentine et autres prophéties.

À

l’image de Pratchaya Phinthong, qui relaye à l’encre sympathique (s’effaçant au fil de l’expo) l’affirmation répandue sur la blogosphère de l’explosion de la terre en 2017, une dizaine d’artistes est réunie dans cette exposition sur le temps, le mouvement et sa suspension. Se dévoile un questionnement sur le regard dans l’installation faite de bandes de scotch noir signée Monika Grzymala (Polyeder/Polyhedron [Polyèdre], 2011). Le déplacement du spectateur révélera le volume de cette forme tridimensionnelle. Il faudra aussi pénétrer dans Firmament III (2009) d’Anthony Gormley, constellation de tiges métalliques réunies par des nœuds sphériques, pour vous retrouver au centre d’une représentation gigantesque du corps humain en position fœtale. Le rapport à la finitude des choses est également présent dans l’installation phare de l’expo, Grow de Pierre-Étienne Morelle. À partir de chambres à air enroulées, il obtient une sphère approchant la tonne, installée au milieu de la cour du Frac, entourée de lamelles prêtes à accroître la dimension de cette sculpture très sisyphienne. Aussi absurde qu’existentielle. Texte : Irina Schrag

m À Metz (57), à 49 Nord 6 Est – Frac Lorraine, jusqu’au 1er mai 03 87 74 20 02 – www.fraclorraine.org

Pierre-Étienne Morelle, Grow, 2008-2010. Photo : Rémi Villaggi

Fragments de folie Première française d’un opéra et découverte d’un compositeur soviétique peu connu sont au programme du Portrait de Mieczyslaw Weinberg à l’Opéra national de Lorraine.

C

onnaissez-vous Mieczyslaw Weinberg (1919-1996) ? Sans doute pas… et pourtant, cet ami de Chostakovitch fut un compositeur soviétique prolixe qui écrivit plus de 500 œuvres, dont sept opéras et 22 symphonies. La première date de 1943 et a été dédiée à l’Armée Rouge. Créé en 1983 à Brno, Le Portrait est adapté de la nouvelle éponyme de Gogol où un jeune artiste désargenté achète, chez un brocanteur, une ancienne peinture aux pouvoirs magiques. Le voilà rapidement riche et reconnu, portraiturant au kilomètre hommes et femmes issus de la haute société. Les magnifiant, évidemment. Comme dans tout pacte faustien cependant, l’issue ne peut être que tragique. Nous sommes au cœur du délire d’Ubu-Staline Roi : trahisons, liens troubles entre le pouvoir et l’art, perversion du second par le premier… La conséquence ? Une étrange schizophrénie chez un créateur qui a le “choix” de finir en prison (Weinberg fut embastillé pour “activités sionistes” en 1953) ou de plonger dans la folie. Texte : Hervé Lévy

m À Nancy (54), à l’Opéra national de Lorraine, du 5 au 14 avril 03 83 85 33 11 – www.opera-national-lorraine.fr

Dan Potra (croquis de costumes)

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Home Sweet Home Nouvelles stars scandinaves de l’art contemporain, Elmgreen & Dragset exposent au ZKM. Double installation, impressionnante superproduction, Celebrity – The One & the Many crée le trouble chez le visiteur.

rires, dans la pièce adjacente. Errant alors dans ce salon quasiment vide, nous remarquons un gamin (de cire), recroquevillé dans un coin, lui aussi refoulé du gala…

F

ace au hall d’entrée tagué du volumineux immeuble construit dans le musée par le duo de plasticiens Elmgreen & Dragset, la curiosité nous pousserait presque à appuyer sur une des sonnettes afin de pénétrer dans la glaciale bâtisse de béton gris… Sauf qu’on sait pertinemment que personne n’ouvrira. Il faut se contenter de faire le tour de l’imposant bâtiment, passant de fenêtre en fenêtre, essayant de percevoir quelque chose lorsque les rideaux sont entrouverts. On observe les étages supérieurs en empruntant les escaliers et coursives du ZKM, se munissant de jumelles pour épier dans les appartements, poussant notre voyeurisme à son paroxysme. Les pièces, tristement exiguës, sont étrangement sans vie : le seul habitant “réel” (un mannequin de cire hyperréaliste) est un ado visiblement défoncé (ou pire),

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© ONUK

gisant parmi ses instruments (un poster indique qu’il est adepte de heavy metal) et vieilles Converse. On “lit” l’intérieur de l’ensemble des logements, tentant de dresser le portrait des locataires à partir de la déco et autres éléments présents, imaginant tous les scénarios (catastrophe) possibles. Car où sont passés le fan de foot amateur de bière, l’asiatique chanteuse occasionnelle de karaoké et l’étudiante qui a laissé les futures “nouvelles stars” beugler à la télé ? Autre espace, autre installation, autre récit. Un lustre fastueux domine une vaste salle de banquet. Il y a bien des servantes (métalliques) et un majordome (statique, même si en chair et en os), mais personne pour nous convier à la réception, qu’on devine grâce aux ombres chinoises des hôtes et à leurs

Le Danois Michael Elmgreen et le Norvégien Ingar Dragset sont connus pour leur fausse échoppe Prada (2005) installée au beau milieu du désert texan ou les deux spectaculaires pavillons, danois et nordique (qui regroupe plusieurs pays scandinaves), réalisés lors de la Biennale de Venise 2009. Ces artistes phares de la scène contemporaine (nés respectivement en 1961 et 1969) ont le sens de la mise en scène. Le spectateur évolue ici dans une étrange narration évoquant Hitchcock et Lynch, Fenêtre sur cour et Lost Highway. Après avoir épié les petites gens qui – victimes de notre époque où « l’instantanéité supplante l’éternité », dixit Paul Virilio – rêvent de plus beaux lendemains via la petite lucarne (ou de leur quart d’heure de gloire), nous considérons les silhouettes des nantis, des “Celebrities”. Malaise : le visiteur, à la fois exclu et partie prenante de ce petit monde, se questionne quant à sa place dans cette microsociété plus vraie que nature. Avant de disparaître de son studio, le buveur de canettes du HLM a accroché un cadre au mur. En lieu et place du traditionnel “Home Sweet Home” est inscrit “Home Is The Place You Left”. Texte : Emmanuel Dosda

m À Karlsruhe (Allemagne), au ZKM, Museum für Neue Kunst, jusqu’au 27 mars + 49 721 810 00 – www.zkm.de


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Contrebande Thionville consacre la deuxième édition du festival des Frontières et des Hommes à “l’Afrique de l’Ouest, entre fleuves et désert”. Des rencontres culturelles et artistiques dans toute la vile.

a notion de frontière est souvent brûlante. L’Alsace et la Lorraine le savent plus qu’ailleurs. La ville de Thionville a décidé d’utiliser cet héritage afin d’en appréhender les multiples facettes (politiques, sociologiques, historiques, artistiques, identitaires) par le biais d’un festival rayonnant dans toute la cité. Sur la place Malraux s’installera un Magic Mirror (salon du livre le premier week-end, spectacles et conférences durant la semaine), le centre culturel Jacques Brel proposera des expositions, parmi lesquelles une performance live de Baye Gallo et les Récup’art de Saliou Traoré, Burkinabé travaillant avec des matériaux de récupération. De nombreuses tables-rondes réuniront des spécialistes de l’Afrique (sociologues, anciens ministres ou encore artistes) tandis que le Nord Est Théâtre (NEST) organisera Contrebande, temps consacré à des mises en espaces de textes (Citoyens de Daniel Keene…) mais aussi des spectacles de danse venus du Mali avec Le Cri des chiens et Le Grin des Dogmen G (samedi 26 mars, au Théâtre en Bois, à 20h30 – voir photo). Texte : Irina Schrag

m À Thionville, dans toute la ville et au NEST, du 25 mars au 2 avril www.desfrontieresetdeshommes.eu www.nest-theatre.fr

La passe de sept Dramaturge phare de la scène allemande, Dea Loher revisite le conte de Perrault dans Barbe-Bleue, espoir des femmes.

S’

inspirant du travail théorique et pratique d’Edward Bond, les Belges de l’XK Theater Group s’emparent du regard drôle, cruel et toujours impertinent de Dea Loher pour conter le destin de cet homme qui assassina sept femmes. Barbe-Bleue, modeste vendeur de chaussures a été aimé par une belle. Afin de lui prouver ses sentiments, elle s’est suicidée dans ses bras. Au contraire d’un Don Juan se jouant du sexe féminin, le voilà victime de l’attente de toutes les femmes qui, depuis, placent en lui de vains espoirs. Comme l’explique le metteur en scène René Georges, « son unique porte de sortie est le meurtre. Comme une mère euthanasie son enfant pour abréger ses souffrances. Comme un fils tue sa mère parce que trop envahissante. » Malheur chronique des rapports homme-femme, cette pièce respire le XXIe siècle dans une mise en scène où sept portes conduiront un homme perdu dans le quotidien d’un appartement, d’un aéroport, d’une cage d’escalier… fuyant tout romantisme, jusque dans l’irréparable. Texte : Irina Schrag

m À Forbach (57), au Carreau, jeudi 31 mars et vendredi 1er avril 03 87 84 64 34 – www.carreau-forbach.com www.xktheatergroup.be

© Xavier Istasse

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Morte, la mer ?

Démocratique

Du 4 mars au 30 mai, le Musée des Beaux-Arts de Nancy (54) revient, avec L’Estampe, un art pour tous : des Suites Prisunic à Catherine Putman, sur une entreprise de démocratisation de l’art contemporain. Dans les années 1970, on pouvait acheter des lithos pas chères chez Prisu’… Une aventure que Jacques Putman et son épouse poursuivirent jusqu’en 2008. www.mban.nancy.fr

Mythique

Œuvre testamentaire de Wagner en forme de méditation symbolique, Parsifal est sans doute l’opéra qui reflète le plus profondément la philosophie du “maître de Bayreuth”. Pour lui, comme pour Schopenhauer, le monde n’est que la vaste prison des illusions humaines. À méditer au Theater Basel (Suisse) du 3 avril au 19 juin, dans une mise en scène de Benedikt von Peter. www.theater-basel.ch

Néolithique

Passionnante exposition sur la civilisation du Michaelsberg au Badisches Landesmuseum de Karlsruhe (Allemagne), jusqu’au 15 mai. Histoire de mieux connaître les mutations riches de conséquences survenues il y a 6 000 ans au moment du passage du Paléolithique au Néolithique. www.landesmuseum.de

Électronique

We can be Heroes est univers complet : exposition, performances, concerts et ateliers / conférences autour de la réappropriation et du détournement de l’univers des jeux vidéo dans l’art contemporain. Aujourd’hui, cette esthétique a été utilisée par nombre d’artistes, entièrement dégagée de sa finalité ludique première. Cette passionnante réflexion se déploie à l’Espace multimédia Gantner de Belfort (90), du 26 mars au 25 juin 2011. www.espacemultimediagantner.cg90. net

Antique

On parle beaucoup du pays des pharaons ces temps-ci… Du 25 mars au 31 juillet, l’Antikenmuseum und Sammlung Ludwig de Bâle (Suisse), propose L’Égypte, le Proche-Orient et le Modernisme suisse, un parcours à travers la collection Rudolf Schmidt (1900-1970). Une belle confrontation entre des œuvres d’art antiques et des modernes helvètes. www.antikenmuseumbasel.ch

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Avec La Femme de Loth, projet présenté, jusqu’au 30 avril, à la Synagogue de Delme (57), Édith Dekyndt dont les œuvres se nourrissent de matières impalpables – lumière, vent, ondes magnétiques… – propose une nouvelle installation vidéo qui Edith Dekyndt, Eternal Landscape still video, 2010 plonge ses racines dans la Mer Morte. Les eaux se métamorphosent en paysage sous-marin abstrait puisque la plasticienne explore le vide et l’absence. Dans Dead Sea drawings, l’artiste filme la surface aquatique, sous laquelle elle dispose une feuille de papier blanc pour que l’ombre des minéraux en suspension forme d’infinies arabesques. Eternal Landscape est le paysage d’une rive de la Mer filmé depuis la Jordanie… L’immobilité se fait alors politique. www.cac-synagoguedelme.org

Bartholdissime Dès le samedi 12 mars ouvriront six nouvelles salles (d’une surface de 240 m2) au Musée d’Histoire de la Citadelle de Belfort (90) : elles sont consacrées à Bartholdi (18341904), célèbre sculpteur du Lion qui orne la cité franc-comtoise et, évidemment, de la Statue de la Liberté. Le week-end d’ouverture sera prétexte à de nombreuses manifestations : visites guidées, concert baroque de l’Ensemble Holone (samedi à 15h30, Batteries Haxo Hautes) ou encore L’Englouti d’Amérique, un spectacle narrant, à travers ses lettres, le voyage du sculpteur outre-Atlantique (dimanche à 17h30, même lieu). www.mairie-belfort.com

Le Monument des trois sièges. Photo : Régis Antoine

Des hommes et des (jeunes) dieux Vieux, les Young Gods ? Peut-être… mais le groupe helvète fondé en 1985 est toujours là et bien là, même si, de la formation originelle, ne demeure plus que le chanteur Franz Treichler. Les immortels auteurs de L’Amourir (1988) sont partis pour une tournée 2011 haletante qui fait escale trois fois dans le coin, à La Rodia de Besançon (25) tout d’abord (jeudi 3 mars). Ensuite ce seront Die Kaserne à Bâle (Suisse), vendredi 18 mars, puis Le 112 de Terville (57), vendredi 25 mars. Impossible donc de manquer ces pionniers de l’indus’ expérimentale qui, peu à peu, ont évolué vers une ambient bien léchée. Ils la développent dans Everybody knows (2010) aux sonorités électroniques qui, parfois, se rapprochent de l’electronic body music des origines… même s’il n’y a là aucuns relents passéistes. Forever Young ! www.larodia.com – www.kaserne-basel.ch – www.le-112.fr



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Accumulateur & casseur

a déclaration constitutive du groupe des Nouveaux Réalistes est adoptée, le 27 octobre 1960, dans l’atelier d’Yves Klein. Outre Martial Raysse et Jacques Villeglé, figurent parmi ses signataires les plus célèbres Jean Tinguely et Arman. Pas surprenant donc de retrouver le second “chez” le premier. Leur but ? Un retour au réel en réaction à l’expressionnisme abstrait alors dominant, mais sans passer par la case “figuration”. Auteur des trois Manifestes du groupe, le critique Pierre Restany y prône « la passionnante aventure du réel perçu en soi ». Écho chez Arman qui affirme : « L’expression des détritus, des objets, possède sa valeur en soi, directement, sans volonté d’agencement esthétique les oblitérant et les rendant pareils aux couleurs d’une palette. En outre, j’introduis le sens du geste global sans rémission ni remords. » Objet (manufacturé) et geste (répétitif) : les deux éléments constitutifs de sa grammaire stylistique sont déjà clairement posés dans cette assertion de 1960. Arman, Colère de Mandoline, 1961. zerschlagene Mandoline auf Holzplatte, Sammlung Rira, Köln. © 2011 Pro Litteris, Zürich.

En collaboration avec le Centre Pompidou, le Musée Tinguely accueille une vaste rétrospective dédiée à Arman (1928-2005) qui rassemble quelque 80 pièces. Violons éclatés, accumulation de manomètres ou cascade de tubes de couleurs pressés : l’artiste a placé l’objet au cœur de son œuvre.

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L’objet

Dès le début de la carrière d’Arman, dans les années 1950, ces deux fondements sont présents, que ce soit dans la série des Cachets (toiles recouvertes de milliers de coups de tampon évoquant une écriture automatique d’essence industrielle) ou des Allures d’objets directement inspirées de la musique concrète que son fondateur, Pierre Schaeffer, définissait comme « un collage et un assemblage sur bande magnétique de sons préenregistrés à partir de matériaux sonores variés et concrets ». Voilà bien ce que fait Arman en jetant notamment sur la toile des violons – déjà – plongés dans la couleur. Le résultat ? Des “tableaux” ressemblant à des photogrammes picturaux. Le nouveau réalisme est déjà présent en germe. Le début des années 1960 voit la création des Poubelles, fascinant avatar du ready-made imaginé par Duchamp : dans des boîtes transparentes sont rassemblés des déchets qui dressent un portrait du lieu où ils ont été ramassés. Que trouve-t-on dans la poubelle de l’artiste pop Jim Dine ? Une boîte de dentifrice, un tube de crème


« L’expression des détritus, des objets, possède sa valeur en soi, directement, sans volonté d’agencement esthétique les oblitérant et les rendant pareils aux couleurs d’une palette » Arman, 1960

Le geste

L’étape suivante ? Elle est logique : après avoir stocké, empilé, accumulé, Arman dézingue à tout va. Dans ses Colères, mandolines, violoncelles, pianos – une vraie prédilection pour les instruments de musique –, tables, réveils, télévisions… volent en éclats, comme s’il voulait mettre en lambeaux les éléments du confort bourgeois. D’où, sans doute, le tropisme pour les instruments de musique considérés comme archétypaux. Le film Conscious Vandalism est symptomatique de cette vision du monde : en 1975, à la John Gibson Gallery de New York, l’artiste fracasse un intérieur à la hache et à la masse. Les restes de cette action – il détestait le mot “performance” – sont

Arman, La Colère monte, 1961. Accumulation von Manometern in Kasten aus Holz und Plexiglas. Collection Sylvio Perlstein © 2011 Pro Litteris, Zürich

solaire, du coton souillé… Les accumulations d’objets (usagés) arrivent à la même époque : des dizaines de dentiers (une œuvre spirituellement intitulée La Vie à pleines dents), de rasoirs électriques (pour lesquels Arman ose Malheur aux barbus) ou de poupées de porcelaine abîmées (Le Massacre des innocents). Si tout cela ne manque guère d’humour, on peut néanmoins y lire une violente critique d’une société où l’homme est devenu unidimensionnel – pour reprendre le titre d’un essai d’Herbert Marcuse – puisqu’il est réduit à n’être que consommateur. La démarche de l’artiste culmine à la Galerie Iris Clert, dont les salles, en 1960, sont remplies jusqu’au plafond de détritus et d’objets usuels.

présentés au Musée Tinguely. Suite (et pas fin) de la destruction avec les Combustions où des objets calcinés, comme un prie-Dieu, sont figés pour l’éternité. Arman casse tout… mais adore les objets qu’il magnifie, les coulant dans la résine après les avoir explosés et créant des œuvres qui ont la semblance d’une archéologie du XXe siècle. D’un côté, il fustige le “tout jetable”, érigé en dogme économique et sociétal, de l’autre il sacralise les choses. Dans les compositions produites en collaboration avec Renault à la fin des années 1960 (accumulations de câbles, d’éléments de carrosserie…) ou les créations des années 1990 bien léchées – un peu trop – on sent une réelle tendresse pour elles. Matérialiste, Arman ? Évidemment,

puisqu’il a failli se griller en déclinant à l’infini ses pièces en éditions limitées à destination des salons (petit) bourgeois, développant un maniérisme insupportable que l’exposition passe sous silence. Il aurait pourtant été intéressant d’entrevoir ce versant de son œuvre qui pourrait être considéré comme son plus beau pied de nez au conformisme. Un geste d’autodestruction artistique. Texte : Hervé Lévy

m À Bâle (Suisse), au Musée Tinguely, jusqu’au 15 mai + 41 61 681 93 20 – www.tinguely.ch

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Sous le charme du violon Profond, incandescent, inspiré… L’archet de la très glamour Julia Fischer sait épouser les multiples plis de la partition. Le Festspielhaus consacre un portrait en trois parties à la violoniste allemande.

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lle n’a pas encore trente ans, vient d’enregistrer une version de référence des 24 Caprices de Niccolò Paganini (parue chez Decca), critique et public la considèrent comme une des meilleures violonistes de la planète. Vérification prévue à Baden-Baden avec trois concerts… Le premier (vendredi 1er avril) est dédié à l’orchestre : avec le Tonhalle Orchester de Zürich (sous la baguette de David Zinman), elle nous entraînera sur les chemins croisés de Mozart et de Brahms (avec un attendu Double Concerto en compagnie du violoncelliste Daniel MüllerSchott). Suite des réjouissances le lendemain, où nous attend un récital à la tonalité très francophone, puisque Ysaÿe y côtoiera Franck (mais aussi Beethoven avec sa Sonate n°10). Le dernier jour, la virtuose invite quelques amis pour un parcours chambriste, où l’on découvrira qu’elle est également une pianiste de très haut niveau dans le très exigeant Adagio et Allegro pour violoncelle et piano, opus 70 de Schumann. Texte : Hervé Lévy

m À Baden-Baden (Allemagne), au Festspielhaus, du 1er au 3 avril +49 72 21 30 13 101 – www.festspielhaus.de Photo : Uwe Arens / Decca

Acrobaties des relations humaines É

largissant la technique du main à main, cette pièce met en jeu la relation humaine de deux êtres, confrontant leurs corps, leur volonté et le lien même qui les unit. Les deux circassiens savent tout faire et mêlent habilement danse, acrobaties, prouesses physiques et jeu avec le son, l’autre et le public sans jamais tomber dans la démesure où la simple démonstration physique. Leur échauffement constitue le début d’un spectacle dans lequel le son des pas, des coups, des tapes et des corps s’entrechoquant indiquent au spectateur le degré d’acuité nécessaire à la juste réception de la pièce. Tout ici est minutieux, intime, sensible. Réunis par leurs sweat-shirts noués l’un avec l’autre, les voilà s’enlaçant, se séparant et se retrouvant en volutes de mouvements, défiant parfois la gravité, souvent le convenu, toujours l’imagination. Les yeux bandés, la narration gestuelle reprend de plus belle, preuve s’il en fallait de la symbiose des deux interprètes qui semblent réellement s’être Appris par corps, s’aidant, se soutenant, se retenant, même lorsqu’ils s’agrippent et se déchirent.

Appris par corps réunit un porteur et un voltigeur, Alexandre Fray et Frédéric Arsenault. Un premier spectacle poétique.

Texte : Paul Mauricey

m À Bethoncourt (25), à L’Arche en co-accueil avec L’Allan Montbéliard (dès 8 ans), du 15 au 18 mars – www.scjp-larche.org – www.lallan.fr

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Photo : Riccardo Musacchio


Vous n’êtes plus là, vous êtes sur

Duke @Corbis/Getty images

toute l’actualité culturelle de votre région 40 ans d’évasion

92.3 fipradio.com

Mélodie : toujours l’art des autres Nick Laessing Ursula Bogner présentée par Jan Jelinek

12 mars 2011 22 mai 2011

Vernissage le vendredi 11 mars à 18h 30 et à 20h Schleusen, performance de Jan Jelinek d’après une partition d’Ursula Bogner Dans le cadre du Week-end de l’art contemporain : Voice Figures, performance de Nick Laessing, le samedi 19 mars à 18h 30 CEAAC, Centre Européen d’Actions Artistiques Contemporaines 7, rue de l’Abreuvoir, 67000 Strasbourg

www.ceaac.org/curator Le CEAAC est membre de TRANS RHEIN ART réseau art contemporain Alsace www.artenalsace.org

photo : Ursula Bogner, 1978


Culture scientifique

Tout, tout, tout sur la chimie L’Unesco a décidé que 2011 serait l’Année internationale de la chimie dans le monde. Rencontres, expositions, conférences, publications… De nombreux événements vont rythmer cette manifestation en Alsace.

P

ourquoi est-il essentiel de parler de la chimie en 2011 ? « Parce qu’elle irrigue tous les secteurs de notre existence et a permis de nombreux progrès dans l’histoire de l’homme, mais qu’elle souffre aujourd’hui, à la fois d’une méconnaissance et d’une image injustement ternie » affirme Jean-Marc Planeix, Doyen de la Faculté de Chimie de l’Université de Strasbourg et coordinateur régional de cette Année internationale. Il est vrai que les sixties ont associé chimie et progrès : hausse des rendements agricoles grâce aux engrais, production en masse de nouvelles matières comme le plastique… Progressivement, les préoccupations environnementales et différentes catastrophes – Seveso en 1976, Bhopal en 1984 ou, plus

près de nous, des rejets accidentels de Sandoz dans le Rhin, en 1986 – sont venues tempérer cet optimisme. « Désormais, le grand public pense que la chimie est dangereuse et s’en méfie, alors qu’elle s’engage en faveur d’un développement durable. On parle aujourd’hui d’une chimie verte » explique Jean-Marc Planeix qui escompte que les manifestations de 2011 contribueront à mieux informer et prouver que cette science « est au service de l’humanité, puisqu’elle concerne tous les enjeux vitaux pour l’avenir de la planète : énergie, nutrition, santé… » Des exemples ? L’universitaire en cite à foison : « Prenez la fin annoncée du pétrole. Des recherches sont aujourd’hui menées sur les biopolymères obtenus à partir de la biomasse. Dans l’avenir, ils pourront

être utilisés pour remplacer certains plastiques issus de la pétrochimie. » C’est toute la diversité d’une « science née dans l’Antiquité avec Démocrite – le premier à émettre la théorie selon laquelle l’univers était fait d’atomes et de vide » – que l’Année internationale de la chimie se fixe pour objectif d’explorer. En Alsace, elle sera lancée en fanfare par une conférence du Prix Nobel de chimie 1987, le natif de Rosheim Jean-Marie Lehn. Les manifestations s’enchaîneront ensuite. Mentionnons par exemple une exposition d’objets patrimoniaux (à la Galerie d’Actualité Scientifique du Jardin des Sciences de l’Université de Strasbourg dès le 7 mars) : colonne à distiller, cornue, extracteur de Soxhlet… Tous ces appareils aux formes fascinantes ont contribué au mystère de la discipline et en ont parfois véhiculé une image sulfureuse (dans “alchimie”, il y a “chimie”, ne l’oublions pas). En découvrant leurs rôles respectifs, on comprendra mieux le fonctionnement d’un laboratoire. Certaines initiatives sont plus surprenantes comme un Café des sciences consacré à la cuisine moléculaire (mardi 17 mai à 20h à I’Auberge de l’Étoile de Riedisheim) où sont conviés les aficionados de Thierry Marx et Ferran Adrià. Toutes les facettes d’une science qui en compte beaucoup seront décidément explorées. Texte : Pierre Reichert

m Ouverture alsacienne de l’Année internationale de la chimie, dimanche 6 mars à 17h par une conférence du Prix Nobel Jean-Marie Lehn à Strasbourg, à la Cité de la musique et de la danse (retransmission en direct à Mulhouse, à l’ENSISA) – 03 68 85 05 35 www.science-ouverte.unistra.fr http://chimie2011.unistra.fr © ECPM

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Promenade

Orages d’acier Barbelés, chevaux de frise, tranchées encore apparentes… Près d’un siècle après, le paysage demeure marqué par les violents combats qui se déroulèrent à la Tête des Faux au cours de la Première Guerre mondiale. Une randonnée sur les traces de l’Histoire.

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«P

ourquoi partir du Bonhomme et pas du Gîte de l’Étang du Devin auquel on peut accéder en voiture ? » me demande un ami – sans doute un peu fainéant – lorsque je lui dévoile l’itinéraire de notre prochaine promenade. La question mérite d’être posée tant la montée est abrupte et interminable. L’éviter peut paraître intelligent. Sauf que… Cette longue introduction à travers les pâturages permet au randonneur de laisser, peu à peu, derrière lui le calme de la vallée. Au fur et à mesure que les constructions s’espacent, nous entrons dans un univers différent. C’est alors que la nécessité de cette marche d’approche créant une transition mentale se fait évidente. Après le gîte, nous tombons, surpris, sur un cimetière allemand abandonné : quelques plaques gravées dans la pierre, des murets branlants… Les corps ont été transférés ailleurs depuis belle lurette. Au fil des pas, les vestiges se font plus prégnants : fils téléphoniques jaillissant, incongrus, du sol, maçonneries à demi écroulées, abris éboulés… L’Étang du Devin appa-

raît. Étang ? Une vaste tourbière plutôt, blottie au fond d’un cirque glaciaire, autour de laquelle se trouvaient les lignes arrières allemandes. Nous voici arrivés au pied de la Tête des Faux.

Le Bruit et la fureur

Moins connue que le Linge ou le Vieil Armand, la Tête des Faux (qui a fait bien moins de victimes) est pourtant une des batailles les plus violentes du début de la Première Guerre mondiale dans les Vosges. Considéré comme stratégique, le sommet est occupé par des observateurs allemands dès août 1914. Depuis ce lieu d’où la vue est imprenable, puisque dégagée à 360°, ils peuvent notamment diriger l’artillerie qui pilonne le Col du Bonhomme, point de passage vital pour descendre vers Colmar par la vallée de la Weiss. L’état-major français décide de se lancer à l’assaut : le 2 décembre, le 28e Bataillon de Chasseurs alpins passe à l’offensive et prend le sommet. Malgré plusieurs contre-attaques, les hommes du 12e Bayerische Landwehr Infanterie Regiment se replient. Les

Français tiennent la position, mais le 24 décembre, vers 22h30, dans une atmosphère polaire, alors que la neige est tombée en abondance, l’ennemi se rue sur les tranchées. Les combats sont d’une violence extrême. Au petit matin, les hommes du 30e BCA – qui avaient relevé ceux du 28e le 18 décembre – sont victorieux. Le sommet demeure aux mains des Chasseurs presque dans sa totalité. Près de 140 Français et plus de 500 Allemands ont été tués ce soir-là. Joyeux Noël. Malgré quelques autres escarmouches, rien ne changera : les tranchées se feront face tout au long de la guerre, séparées d’une dizaine de mètres et des ouvrages impressionnants seront bâtis – essentiellement du côté allemand – qui poussent les réalisations de la guerre de positions à un point de perfection rarement égalé. Des vestiges d’un téléphérique ou d’une salle des machines (avec groupe électrogène et pompe à eau) en témoignent, tout comme le Rocher du Corbeau, métamorphosé en véritable forteresse.

Le cimetière Duchesne

L

oin de tout, perdu au milieu des sapins, ce cimetière dégage une impression étrange où se mêlent chagrin et sérénité. Il porte le nom d’un Commandant tombé pour la patrie, le 2 décembre 1914, lors de l’assaut victorieux des troupes françaises sur la Tête des Faux et comprend 294 tombes et un ossuaire qui renferme les restes de 116 soldats. Des croix où l’on peut lire des prénoms de l’ancien temps (qui reviennent à la mode en ce début de XXIe siècle), des jeunes hommes – majoritairement de simples soldats – reposent dans ce qui est une des huit Nécropoles nationales d’Alsace (avec Cernay, Gueb willer, le Linge, Metzeral, Moosch, Sondernach et le Vieil-Armand). Au total, elles renferment les corps de 13 350 militaires tombés au cours des deux conflits mondiaux (11 860 Français et 78 alliés pour 1914-1918).

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La Guerre et la paix

Au fil de la montée, les traces se multiplient et l’on a parfois le sentiment de marcher au milieu d’une jungle de fer où les rouleaux de barbelés rouillés s’enchevêtrent avec des tiges tordues et des fragments de rails figés dans le béton. Comment ne pas penser aux mots de Joffre au début du conflit, à Thann, en novembre 1914 ? « Notre retour est définitif. Je suis la France, vous êtes l’Alsace. Je vous apporte le baiser de la France. » Quelle connerie la guerre… Sur ces pentes rendues à la nature, c’est le baiser de la mort qui a étreint des centaines de jeunes hommes. Comme pour alourdir l’ambiance, la neige se met à tomber. Drue. Le brouillard nous enveloppe sur les pentes de la Tête. Soudain, un vague rayon de soleil. Quelques minutes durant, le ciel est dégagé. Arrivés à quelques mètres du sommet (1209 mètres, tout de même), l’éclaircie permet d’avoir une vue ébouriffante sur les derniers contreforts des Vosges qui embrassent la Forêt Noire. Dans le lointain, se déploient, majestueuses, les

Gastronomie des sommets

A

u Col du Calvaire (1 144 mètres d’altitude) se trouve une adresse des plus agréables où manger des mets roboratifs, de ceux qui requinquent le marcheur (ou le skieur) arrivant hagard sur le seuil de la bien nommée Auberge des Crêtes. Parmi une abondante carte, remarquons une Planchette de lard paysan (6 €) ou des Spaghettis bolognaise (9 €) qui convaincront estomacs affamés et papilles. Le décor est un brin “kitsch montagnard”, mais l’accueil est très souriant. On peut aussi se laisser tenter par l’achat d’un munster, spécialité (presque) locale, ou par l’apéritif star de la maison : le Lac blanc impérial, un verre de crémant délicatement accompagné de crème de mûre (4 €). Que demande le peuple ? m L’Auberge des Crêtes (ouverte toute l’année sauf en avril et en novembre) est située au Col du Calvaire 03 89 71 31 31

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Promenade

Alpes. Soudain, la guerre semble tellement loin… Elle se rappelle malheureusement à nous dans la descente à travers les lignes françaises : les abris sont ici plus précaires, le béton moins utilisé et le “luxe” des fortifications allemandes (pourvues de systèmes d’aération) est complètement absent. Les Chasseurs alpins tenaient le sommet “à la dure” ! La marche se poursuit, passant par le bucolique et mélancolique cimetière Duchesne. Les trous d’obus sont encore présents. Partout. Ils criblent la forêt de leurs rotondités presque parfaites et tellement tristes.

« Notre retour est définitif. Je suis la France, vous êtes l’Alsace. Je vous apporte le baiser de la France. » Général Joseph Joffre, Commandant en chef des opérations. Thann, novembre 1914

La Tête des Faux Retour par la Tête des Immerlins, le Col du Calvaire où nous croisons des skieurs indifférents, en train de s’équiper pour aller explorer le domaine du Lac Blanc, et la Chaume Thiriet en contournant la Tête des Faux qui se dresse au-dessus de nous, vaguement menaçante. Un de nous demande : « Mais pourquoi ce nom ? À cause de la faux de la mort qui a fait un sacré boulot là-haut ? » Ça se tient. Mais non. À l’origine l’endroit était peuplé d’une profonde forêt de hêtres. Des faux en ancien français. Aujourd’hui, les arbres ont de drôles de formes et leurs complexions étranges, parfois déchiquetées, sont le plus beau témoignage d’une vie qui tente de reprendre le dessus sur l’horreur. Parfois en vain. Texte : Hervé Lévy Photos : Stéphane Louis pour Poly

Départ Le Bonhomme (26 km de Colmar) Distance 13 km Temps estimé 4h30 Dénivelé 310 m

NORD

Départ D Le Bonhomme

Tête des faux (1208 m)

Étang du Devin (926 m) Rocher du Corbeau

Cimetière Duchesne Tête des Immerlins Petite Tête des Immerlins

Col du Calvaire (1144 m)

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Gastronomie

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Le Croco’ est de retour

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Distingué par le Pudlo Alsace comme “Chef de l’année 2011”, le nouveau maître du Crocodile, Philippe Bohrer y propose une épopée gastronomique très excitante. Visite.

Texte : Hervé Lévy

m Restaurant Au Crocodile, 10 rue de l’Outre à Strasbourg. Ouvert du mardi au samedi, midi et soir. Menus de 35 € (uniquement au déjeuner) à 140 € 03 88 32 13 02 – www.au-crocodile.com

Buck Danny dans les vignes Exposées au sud-est, les vignes du Grand Cru Sonnenglanz (littéralement “éclat de soleil”) de Beblenheim bénéficient d’un microclimat favorable, à la faible pluviométrie. Le Riesling du Domaine Mauler, à la robe dorée, propose, pour son millésime 2007, une amusante étiquette commandée au dessinateur Francis Bergèse. Debout dans les vignes, Buck Danny salue deux chasseurs F-18 (sans doute pilotés par Sonny Tuckson et Jerry Tumbler) en levant son verre à leur passage. Le vin se révèle très fruité avec un nez où la pêche blanche se mêle aux agrumes. Quant à la passion de M. Mauler pour la bande dessinée, elle se déploie dans de multiples directions : la maison participera ainsi à la deuxième édition du salon des vins et de la BD, De Bulle en raisin, à la Salle des Fêtes de Beblenheim, samedi 26 et dimanche 27 mars. Au menu, dédicaces et dégustations. (H.L.) m Grand Cru Sonnenglanz, Riesling 2007 (12 €) Domaine André Mauler, 3 rue Jean Macé à Beblenheim 03 89 47 90 50 www.domaine-mauler.fr

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cONcEPTION REYMANN cOMMUNIcATION // MONTAGE BKN.FR // © SHUTTERSTOcK // LIcENcES d’ENTREPRENEURS dE SPEcTAcLES N° 2 : 1006168 ET N°3 : 10066169

à canard, aperçue, il y a longtemps, sur une photo. Elle était remisée à la cave. Nous l’avons ressortie pour un plat qui a désormais un succès fou. » Quant à l’innovation, elle passe par la case Mitteleuropa – avec des ingrédients comme le raifort, la betterave… – dont l’Alsace est si proche culinairement : c’est en injectant de la contemporanéité dans des mets ancestraux, parfois venus de la cuisine juive, que Philippe Bohrer nous séduit. Il atteint, par exemple, une réelle plénitude avec son Mignon de veau aux herbes fraîches, truffe noire, cannelloni d’oignons à la sauge, sauce “Albuféra” (68 €). Aujourd’hui, le Croco’ est distingué par un Macaron au Guide Michelin : il devrait rapidement passer à l’échelon supérieur.

L'abus d'alcool est dangereux pour la santé. À consommer avec modération

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oins de deux ans. C’est ce qu’il aura fallu à Philippe Bohrer – qui gère de multiples établissements dans la région – pour que le Crocodile retrouve son lustre. Il l’avoue lui-même : « Reprendre une telle enseigne était un coup de folie. » Marqué par Émile Jung, aux commandes du lieu de 1971 à 2009, le restaurant, fondé en 1894, était devenu un élément fondamental du patrimoine gastronomique alsacien. Le chef de 48 ans est arrivé avec la volonté de trouver le « juste équilibre ». Il a ainsi imaginé une partition où préservation du mythe et nécessaire innovation se marient harmonieusement, une vision dont la rénovation de la salle et du décor, toute en délicatesse, constitue un des plus beaux symboles. Pour la tradition, on mentionnera la redécouverte d’un des classiques de la cuisine française Le Suprême de canard au sang, mousseline de racines, pastilla de ses béatilles (65 €). Le chef avait le souvenir « d’une presse

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Orchestre

PHILHARMONIQUE dE STRASBOURG

cONcEPTION REYMANN cOMMUNIcATION // MONTAGE BKN.FR // © SHUTTERSTOcK // LIcENcES d’ENTREPRENEURS dE SPEcTAcLES N° 2 : 1006168 ET N°3 : 10066169

ORcHESTRE NATIONAL

MARS/AVRIL 2011

jeudi 17 vendredi

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PMC - SALLE ÉRASME 20H30

• Marc Albrecht direction

Gubaïdulina

• Gidon KreMer violon

In Tempus Praesens

Mahler Symphonie n°6 en la mineur « Tragique »

jeudi 31 mars vend 1er avril

PMC - SALLE ÉRASME 20H30

• hans GrAf direction • Chœur de femmes de l’OPS • Chœur de femmes du Conservatoire • Catherine BOLZINGER chef des chœurs

SAISON 2010

>2011

reSPiGhi Les Pins de Rome, poème symphonique

holSt Les Planètes, suite pour orchestre op.32 Projection sur grand écran d’un film conçu et réalisé par la Cité de l’Espace // Toulouse

Renseignements : 03 69 06 37 06 / www.philharmonique.strasbourg.eu Billetterie : caisse OPS entrée Schweitzer du lundi au vendredi de 10h à 18h Boutique culture, 10 place de la cathédrale du mardi au samedi de 12h à 19h

experts-comptables


DOSSIER : LES DESSOUS DE VITRA

Vitrines du design Il est une entreprise familiale qui ne connaît pas la crise. Les Suisses de Vitra – éditeur, collectionneur et producteur de design depuis 1950 – ont installé leur unité de production principale en Allemagne, à Weil am Rhein. Entre dessein architectural, rééditions d’épures iconiques signées Eames ou Panton et création contemporaine, découvrons l’autoproclamé “Project Vitra”.

E

n 1934, Willi Fehlbaum reprend une entreprise spécialisée dans l’aménagement de vitrines de magasins puis de production de mobilier de bureau, à Bâle. En 1950, suite à un voyage aux États-Unis, où il tombe sous le charme d’une chaise en bois rouge (la Plywood) signée Charles Eames, il fonde Vitra avec l’ambition de « s’appuyer sur le passé pour mieux appréhender l’avenir ». Très vite, il obtient des designers les licences pour exploiter (produire et vendre) leurs créations en Europe. Viendront ensuite l’Asie et le Moyen-Orient. L’entreprise familiale – le fils, Rolf Fehlbaum, prend

la succession du père en 1976 – noue des liens avec les grands noms du design et de l’architecture, s’appuyant sur un flair incroyable. Car au-delà des rééditions des “masterpieces” conçues par Charles et Ray Eames, George Nelson ou Jean Prouvé qui leur assurent un succès jamais démenti et un prestige inégalé, Vitra s’est patiemment positionnée comme un développeur.

Un parc architectural Si le site de production (Vitra Campus) demeure à Weil am Rhein (Allemagne), le siège social se situe à Birsfelden, près

de Bâle (Suisse). Ravagé par un incendie en 1981, le Campus connaît, tel le Phénix, une seconde jeunesse sous l’impulsion de Rolf Fehlbaum. Pas question pour lui de simplement reconstruire. Le grand patron se sert de ce coup du sort pour agrandir l’entreprise et en faire une vitrine incontournable de l’art, créant une rencontre inédite entre design et architecture. Les nouveaux halls de production sont créés, tout en rondeurs, en collaboration avec Nicholas Grimshaw (1981). Frank Gehry réalise ses premiers bâtiments en Europe, agrandissant le Vitra Campus d’un espace de production et du Vitra Design Museum

VitraHaus, Architecture Herzog & de Meuron, 2010. Photo : Iwan Baan, © Vitra

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DOSSIER : LES DESSOUS DE VITRA

VitraHaus, Architecture Herzog & de Meuron, 2010. Photo : Iwan Baan © Vitra

en 1989. Puis, ce seront Tadao Ando avec un sublime Pavillon de conférences à moitié enterré (1993), Zaha Hadid (Caserne de pompiers aux lignes fuyantes et aux murs tout sauf droits) et enfin Herzog & de Meuron avec le VitraHaus, en 2010. Autant de lauréats du plus prestigieux prix d’architecture, le Pritzker, bien souvent obtenu après leur réalisation avec Vitra.

VitraHaus Intriguant avec son enchevêtrement de trois tuyaux de 40 mètres par 10, conçus en un seul bloc de 14 000 tonnes, le VitraHaus donne sur les trois frontières (Allemagne, Suisse et France). Il interpelle par sa superbe, depuis l’autoroute voisine. À l’intérieur, treize lofts changeant une fois par an, comme autant d’ambiances créées pour mettre en valeur quelques-unes des 6 000 références de Vitra qui possède l’une des plus grandes collections de design mobilier mondial. Un endroit surtout où tester chaises, bureaux, fauteuils et canapés à l’envi. Dans cette incroyable caverne d’Ali Baba, les plus audacieux (ou fortunés) se délecteront des bornes interactives jalonnant les différents espaces, qui permettent de découvrir toutes les combinaisons possibles de couleurs, bois, tailles et autres… voire de passer commande et repartir avec, en fin de jour-

née ! Cette incroyable vitrine a permis, en moins d’un an, de multiplier par trois le nombre de visiteurs du site, dépassant aujourd’hui les 300 000 visiteurs annuels.

Le culte du secret Aujourd’hui, l’ex-petite entreprise – environ 900 personnes travaillent sur le site de production de Weil am Rhein, chiffre “ultra sensible”, lâché du bout des lèvres par un(e) indiscret(e) – s’est développée à Neuenburg (Allemagne), Zhuhai (Chine) et Allentown (États-Unis) où sont fabriqués des produits pour les marchés régionaux. Elle compte également de nombreuses filiales… mais n’aime guère communiquer sur d’autres sujets que la beauté des lignes des objets et leur histoire. Nos interlocuteurs respectent la consigne maison. Ainsi, Susanne Hoffmann, chargée des relations publiques, répond-elle à nos questions empressées – Combien de Lounge Chairs sont produites chaque année ? Quel est le chiffre d’affaires de Vitra ? Combien l’entreprise compte-t-elle de salariés ? – par un charmant et souriant : « Désolée, nous ne donnons pas de chiffres. » La phrase que l’on entendra le plus… Les seuls que nous obtiendrons – ou presque – sont ceux du laboratoire où Vitra teste ses produits.

Quelques dates 1934 : création de Vitra, spécialisée dans l’aménagement de vitrines 1950 : Vitra se spécialise dans la production et installe des usines de mobilier sur le site actuel, en Allemagne 1958 : fabrication sous licence des premiers modèles des designers Eames et George Nelson 1967 : première chaise en plastique, la Panton Chair de Verner Panton 1981 : suite à un incendie, Vitra débute des collaborations architecturales audacieuses (Zaha Hadid, Nicholas Grimshaw, Tadao Ando…) 1989 : ouverture du Vitra Design Museum, première réalisation européenne signée Frank O. Gehry 2002 : lancement de la Vitra Home Collection consacrée à l’habitat 2010 : ouverture du VitraHaus, bâtiment signé Herzog & de Meuron

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DOSSIER : LES DESSOUS DE VITRA

Panton Chair Classic Design Verner Panton, 1959 / 60. Photo : Hans Hansen

Lounge Chair, Design Charles & Ray Eames, 1956. Photo : Hans Hansen © Vitra Collections AG 2429

Gehry chez Gehry

L

e Vitra Design Museum accueille les maquettes et dessins originaux des onze projets emblématiques réalisés, depuis 1997, par le créateur des lieux, Frank O. Gehry. Des premières esquisses énigmatiques au feutre noir du Guggenheim de Bilbao jusqu’à celles de son homologue d’Abu Dhabi prévu pour 2015, nous découvrons les inspirations et évolutions d’un architecte qui replie d’immenses toits comme une conserve (Jay Pritzker Pavilion de Chicago), fait onduler les façades (Der Neue Zollhof à Dusseldorf ou le Beekman Street Housing de New

York) et n’hésite pas à implanter une tête de cheval immense dans une banque (DZ Bank de Berlin). Des constructions « comme des robots dansant ayant trop bu » (MIT de Cambridge) ou des coquillages transparents et vitrés pour la future Fondation Louis Vuitton bordant le Bois de Boulogne et le Jardin d’acclimatation. Amazing, comme on dit chez lui ! m À Weil am Rhein, au Vitra Design Museum, jusqu’au 13 mars +49 76 21 702 32 00 www.design-museum.de

Vitra Design Museum, Architecte Frank Gehry. Photo : Thomas Dix

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Harold Gerwig, responsable du département technique, nous explique que « les tests de Vitra sont beaucoup plus exigeants que ce que les normes requièrent ». Action de la lumière, résistance à la torsion ou aux chocs, étude des conséquences des frottements… Les meubles sont mis à rude épreuve dans ce qui ressemble à une chambre des tortures. Ainsi une innocente chaise se prend-elle, dans un appareil complexe, une traction de 1 400 Newtons (équivalente à un poids de 140 kg) effectuée 400 000 fois. Soit 15 ans d’utilisation à raison de huit heures par jour ! Des tests draconiens qui se font également sur les grands anciens de la maison comme le fauteuil Lounge Chair de Charles et Ray Eames (1956). Il est vrai qu’à plus de 6 200 € (avec son repose-pieds appelé Ottoman), on peut attendre une fiabilité maximale. Verdict ? Elle commence à avoir des problèmes « après l’équivalent de 300 ans d’utilisation ». Héritier d’une « dynastie travaillant dans le meuble », le Français Emmanuel Flambard, un des trois chefs de production, est chargé de superviser le montage de différents produits, dont la Lounge Chair. Il ne sera guère plus disert que ses camarades, nous expliquant simplement les différentes étapes d’assemblage, ajoutant qu’existe, depuis peu, « une nouvelle version du fauteuil. Adaptée à l’évolution des morphologies, elle compte 4 cm de plus de large. » Alléluia, un chiffre. Vissage et collage (avec une recette ultra-secrète nécessitant 12h de séchage), le produit de luxe est assemblé en moins d’une heure par des ouvriers hautement qualifiés. La couture des peaux (une vache norvégienne par chaise), le traitement du bois, la création du pied… sont en effet faits ailleurs.


DOSSIER : LES DESSOUS DE VITRA

15 ans de route commune

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VitraHaus, Architecture Herzog & de Meuron, 2010. Photo : Iwan Baan, © Vitra

L’original La hantise de Vitra ? Les faux qui pullulent, même si l’entreprise suisse fait un clin d’œil, sur son site, à son homonyme turc qui produit des carrelages et des articles sanitaires en céramique. Pour remédier au problème des contrefaçons, elle possède une armée d’avocats sans cesse en alerte puisque les faussaires copient même les créations les plus récentes. Depuis 1987, existent les Vitra Éditons – exclusives et limitées – avec notamment Moreover, une chaise signée Ron Arad ou Chair, imaginée par Naoto Fukasawa. En 2005 a aussi été relancée la collection Vitra Home qui marque « une volonté de retourner vers le résidentiel » souligne

Eckart Maise, Chief Design Officer, qui a pour responsabilité le développement des nouveaux produits, entre cinq et huit par année, présentés au Salon de Milan (du 12 au 17 avril). Ici, on « travaille sur le long terme pour trouver, non pas de nouveaux styles, mais des solutions pour les fonctions, formes et évolutions des produits et des besoins ». Voir plus loin, encore et toujours… Dossier réalisé par Hervé Lévy & Thomas Flagel

m Vitra Design Museum & Vitra Campus, Charles Eames Strasse, Weil am Rhein (Allemagne) – www.vitra.com

hierry Hodel (à droite), l’un des créateurs du Fou du Roi à Strasbourg (voir p. 94), vient de disparaître, à 40 ans. Ce designer était lié à notre magazine puisqu’il figurait sur la couverture du premier numéro de Polystyrène. Ce génie des matériaux inventait, malaxait, profilait, dessinait des formes à dessein. Deux grands groupes locaux ne s’y étaient pas trompés et avaient réussi à embaucher cet esprit créatif en constant mouvement. Tout d’abord Jet Aviation qui lui avait demandé de travailler sur l’aménagement d’avions luxueux pour des clientèles aux quatre coins du monde, mais aussi le Vitra Design Museum pour lequel il a monté des scénographies d’expositions avec et pour les plus grands designers de la planète. Il venait de se lancer à son compte, continuant de fructueuses collaborations avec VDM et les Fous du Roi, Édith Wildy et Régis Vogel, qu’il n’avait jamais vraiment quittés, ainsi qu’une nouvelle aventure avec la designer parisienne Coco Hellein et l’ébéniste allemand Karl F. Benischke avec lesquels il envisageait de sortir une gamme d’objets domestique à compte d’auteur, dans les prochains mois.

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Design

Petit éloge de la folie Certes le Fou du Roi a pour mission de faire rire. Mais il est aussi un miroir, un révélateur. Autoproclamés bouffons de sa majesté, Édith Wildy et Régis Vogel remplissent ces deux fonctions avec un talent et une conviction rare.

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A

rchitectes d’intérieur ou designers ? La question visiblement n’intéresse pas. « Joker ! » répondent Édith et Régis, comme s’ils invoquaient en chœur celui qui donne son nom à leur aventure commune. Qu’on se le dise, Le Fou du Roi est libre et ne se laisse pas enfermer dans des définitions trop étroites, vite périmées (le diplôme d’architecture d’intérieur d’Édith a depuis longtemps disparu des formations de l’École des Arts déco). Sur l’essentiel, rien ne semble donc séparer les deux larrons de la rue du Faisan.

Philosophie au long cours

Pourtant, au début des années 1990, Édith ne partage pas les lubies baroques de Régis et de son compère Thierry Hodel. Créateurs du Fou du Roi, les deux jeunes strasbourgeois surfent alors sur la vague initiée par les “Nouveaux Barbares”. Entre Trône et Chaise baronne, ils participent à ce qui apparaît comme un renouveau tout en flamboyance du design français. En revanche, elle est intriguée par les ambiguïtés d’une frontière qui, déjà, ne sépare plus vraiment art et design. Travaillant essentiellement avec des architectes, ses intérêts vont vers des pièces uniques ou produites en très petites séries, imaginées par le duo. Surtout, elle apprécie dès le début leur esprit ludique qui, de meuble Caneloni en portemanteaux Farfale, propose autant de jeux à leurs utilisateurs. Partageant leur atelier, la voilà peu à peu associée au label au gré de journées portes ouvertes dans les ateliers d’artistes qui les conduiront à présenter des pièces chez Daniel Depoutot ou Pascal Henri Poirot. Le pacte est scellé en 1997 lorsque le trio décide d’ouvrir une “galerie boutique” doublée d’un atelier. Dans un paysage strasbourgeois conservateur où les seules expressions du design contemporain sont réservées aux productions industrielles déjà classiques, le lieu tranche par une marginalité revendiquée et sans dogmatisme. Les trois compères y livrent leur univers dont la cohérence se construit autour des choix personnels de ses protagonistes. Faisant foin de toute étude de marché, le Fou du Roi propose de joyeux cock-

tails d’objets dont la force d’expression n’est jamais altérée par leur utilité et sollicite l’imaginaire, cultivant une certaine proximité avec la sculpture. Au gré des projets d’aménagement intérieur, ils déclinent des univers où la couleur tient une place de choix : « c’est la vitamine, l’énergie du projet » pour Édith qui regrette au passage qu’elle soit si peu prise en compte par les designers « à quelques exceptions près comme India Mahdavi ou Matali Crasset ». « Volontiers féminins » selon Régis, les aménagements dessinés font la part belle à la ligne courbe qui « permet souvent d’insérer en douceur une intervention contemporaine dans un cadre existant ».

État des lieux

Complété par des expositions (souvent en collaboration avec Vitra), le lieu connaît d’emblée un succès qui ne se dément pas depuis son ouverture. Une belle réussite due au seul bouche à oreille. Un parcours riche qui offre aussi l’occasion d’un bilan sur la situation du design, qui demeure fragile puisqu’il manque toujours de reconnaissance. Pour nos Fous du Roi – désormais deux après la tragique disparition de Thierry Hodel au début de l’année – qui se sont toujours refusés à quitter l’Alsace, la région, en dépit d’une identité forte, peine toujours à se doter « d’interprétations contemporaines» alors que la mission du designer est précisément « de proposer des formes nouvelles. Même si la commande publique, qui a un rôle essentiel à jouer, a beaucoup

progressé en intégrant des démarches qui relèvent du design, trop de projets en restent dépourvus », déplore Édith. Convaincu de longue date de « la capacité du design à faire évoluer les modes de consommation » mais aussi « de redonner une nouvelle vie à des savoirsfaire traditionnels en leur offrant de nouveaux modes d’expression », le Fou du Roi s’est montré, à bien des égards, précurseur du développement durable. En diffusant par exemple avec succès les pièces d’une PME bretonne, Drugeot Labo, autrefois spécialisée dans la copie de meubles traditionnels, il multiplie les démonstrations de l’intérêt de telles actions. Dans le coin, « Meisenthal est un bon exemple, mais cela reste trop embryonnaire » pour Édith qui déplore tout autant le manque de volonté politique que les travers du travail créatif « souvent trop solitaire » pour donner à un secteur riche de potentialités la visibilité qu’il mérite. Oublié de fait des Assises de la Culture, le design n’apparaît pas non plus dans les documents de stratégie économique qui placent pourtant les “activités créatives” parmi les quatre secteurs prioritaires de l’économie strasbourgeoise. Le Roi saura-t-il entendre ses fous qui, c’est bien connu, et depuis fort longtemps, sont souvent les seuls à lui rappeler quelques vérités bonnes à entendre ? Texte : Lulu Garcia Portrait : Pascal Bastien pour Poly

m Le Fou du Roi, 4 rue du Faisan à Strasbourg 03 88 24 09 09 – www.fouduroi.org

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tendance design

The Office 1 2

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1 Avec leurs tables individuellement réglables en hauteur, Ronan et Erwan Bouroullec proposent, en collaboration avec Vitra, Playns (2008) : un « Netting & Nesting », espace privilégié pour la communication et la concentration. Le réassemblage permet de créer aisément des tables de réunion sans quitter son poste de travail. Prix sur demande // www.fouduroi.org 2 Avec son assise en forme de selle de cheval, idéale pour une position confortable, l’Amazone est réglable en hauteur, avec les pieds ! 385 € H.T. // www.ergonomia.pro 3 Ce bureau CM 141 créé par Pierre Paulin (1954-2008) se compose d’un piètement acier laqué noir, d’un plateau mélaminé et d’un bloc deux tiroirs en placage de frêne. Issu de l’héritage du Bauhaus, il est réédité par Ligne Roset sous le nom de Tanis. À partir de 1621 € // www.ligneroset.fr 4 Level 34 est un système de meubles de bureau modulables proposant aussi bien des solutions pour le travail d’équipe que des postes individuels. Créé par Werner Aisslinger avec Vitra en 2004, sa banquette constitue la plateforme de gestion des câbles et vous permet de placer les modules tels que les armoires, les étagères, les tables, les sièges et les bacs à plantes où vous le souhaitez. Prix sur demande // www.fouduroi.org 5 Le système de réunion media:scape (et ses sièges de collaboration i2i) sont une solution unique pour rendre les équipes plus productives et créatives, optimiser les m² d’espace collaboratif et offrir un accès fluide et instantané aux technologies et aux informations. Une avancée de plus pour Steelcase dont les usines et le savoir-faire sont toujours en Alsace. // www.steelcase.fr

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le bureau version modul able 7

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6 Dernière création du designer René Holten, le Pinq Lounge est diffusé par les alsaciens de Tri’Act. Presque sculptural avec une tête en forme d’œuf, agrémenté d’un confort tout à fait inattendu, combiné à des lignes souples et fluides, des ailes qui vous enveloppent et vous protègent, installé dans l’assise profonde. Prix sur demande // www.triact.fr 7 SAYL, siège éco-conçu de manière à obtenir un impact minimal sur l’environnement. Preuve que design et éthique vont de pair ! 478 € // Chez MB2 gallery, 34 rue du jeu des enfants, à Strasbourg - 03 88 10 92 10 8 Le fauteuil avec bascule de direction Wing est recouvert de cuir épais. La partie extérieure du dossier et des accoudoirs est en noyer d’Amérique. Design et classe ! Prix sur demande // www.magade.fr 9 Le Younico pro 3476, siège synchrone, réglable en profondeur et en inclinaison d’assise est doté d’un dossier en maille. À partir de 375 € // www.aldiffusion.fr 10 Joyn est plus qu’un meuble de bureau, c’est un outil de management pour une culture de travail en évolution. Cette plateforme, imaginée par Ronan et Erwan Bouroullec en 2002 pour Vitra, incite à des méthodes innovantes et productives basées sur la communication et la coopération, la mobilité et la modularité. Prix sur demande // www.fouduroi.org

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V

Last but not least

Sandrine Kiberlain, comédienne et chanteuse Dernière fois que vous vous êtes dit “manquait plus qu’ça”. Au moment de la sortie de mon album Manquait plus qu’ça… Je le disais à tout va en chantant. Je n’ai pas de disque de prévu pour l’instant, c’est l’époque des films. Dernière fois que vous avez eu envie de faire “cracher quelqu’un au bassinet”. Il y a longtemps, à cause d’un mec, j’ai coupé une mèche de cheveux à une fille pour lui enlever sa force. Aujourd’hui, si ça se représentait, je lui ferais cracher au bassinet !

Dernière cuite. Je bois beaucoup dans Les Femmes du 6e étage, mais pas en vrai. La leçon tirée d’une mauvaise cuite avec une copine d’enfance… De toute façon, je peux avoir l’air très cuitée sans l’être. Dernière fois que vous vous êtes dit “ils vivent au-dessus de nos têtes, mais nous ne savons rien d’eux”. [Sandrine Kiberlain s’adresse alors à une femme, à la table d’à côté, parce qu’elle tend son portable vers nous : « Mais vous enregistrez tout ce qu’on dit ? Ah, vous attendez un coup de

fil… Pardon, je suis un peu parano. » ] Je me dis ça tous les jours, étant très observatrice. J’ai même fait une chanson là-dessus, À tous les étages. Dernier exil au sixième étage. Je me sens bien dans ma solitude, dans ma maison à l’île de Ré ou simplement chez moi. Je peux même m’isoler sans en avoir l’air. Dernier héros très discret croisé. C’est très récent : mon héros anonyme. Dernière crise de jalousie. Dans le film, je le suis, en effet. J’adore jouer ce que je ne suis pas. Dernier déjeuné avec Carla. Je n’ai jamais mangé avec elle, mais je l’ai contactée au moment de la chanson qui parle d’elle. Carla a été très élégante. Dernier Perfect Day. Hier : il faisait beau et j’étais avec mon héros anonyme. Dernier moment kafkaïen. On m’a retiré mon permis de conduire alors que j’ai tous mes points. Ça fait deux ans et demi…

W

Dernière “personne normale qui n’a rien d’exceptionnel” rencontrée. Le fameux héros anonyme. Je suis attachée à un certain “non-égocentrisme“ et c’est très rare dans mon métier. Dernier film. Les Femmes du 6e étage. Propos recueillis par Emmanuel Dosda Photo : Stéphane Louis pour Poly

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VOS PROCHAINS RENDEZ-VOUS! CHANTAL GOYA

LA BANDE À MICKEY

MOZART, L’OPÉRA ROCK

SYMPHONIE ÉQUESTRE

SA 12 MARS

DI 13 MARS

SA 19 et DI 20 MARS

ME 23 MARS

MICHEL SARDOU

JOAN BAEZ

EDDY MITCHELL

ANDREA BERG

JE 24 MARS

VE 25 MARS

SA 26 MARS

DI 27 MARS

LA TOURNÉE DES ANNÉES 90

Dora l’exploratrice et la cité des jouets perdus

KATIE MELUA

FESTIVAL ARTEFACTS

SA 2 AVRIL

DI 3 AVRIL

LU 11 AVRIL

VE 15, SA 16 et DI 17 AVRIL

WWE presents Wrestlemania Revenge Tour

HOLIDAY ON ICE

JAMEL DEBBOUZE

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JE 21 AVRIL

du ME 4 MAI au DI 8 MAI

SA 14 MAI

SA 21 MAI

ÉGALEMENT À L’AFFICHE : SAMEDI 28 MAI : ELTON JOHN & RAY COOPER SAMEDI 25 JUIN : JEAN-LOUIS AUBERT VENDREDI 14 OCTOBRE : CHARLES AZNAVOUR SAMEDI 5 NOVEMBRE : ÂGE TENDRE ET TÊTES DE BOIS JEUDI 24 NOVEMBRE : CARMINA BURANA

INFOS ET RENSEIGNEMENTS PRATIQUES 24h/24

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