Poly 151 - Septembre 2012

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Un peu comme dans les ateliers de la Renaissance… Je cherche à m’épater moi-même à chaque instant en utilisant – et j’insiste là-dessus – des techniques ancestrales. L’artisanat est une aventure, il ne faut pas en avoir honte. Il y en a assez des artistes en costume noir, il importe d’aller au-delà de la taxinomie 3. Au petit déjeuner, s’il y a, sur la table, une boite de céréales Kellogg’s, je ne cesse d’étudier les images, les couleurs et les

Votre tentative de définition n’estelle pas paradoxale ? Vous êtes un des acteurs majeurs de ce marché de l’art… Vous savez, je n’ai rien contre le système, mais j’ai envie de devenir plus grand que le monde de l’art, car le monde de l’art contemporain est tout petit : le premier fait une œuvre, le deuxième dit qu’elle est bien – vous êtes dans ce rôle – et le troisième le croit et l’achète. Je suis ravi de cet univers qui semble avoir été créé pour moi, mais ces dernières années je souhaite expérimenter, sortir du cadre et travailler sur le long terme. J’en ai assez de l’arrogance de certains artistes qui ne savent rien faire. Comme employeur, lorsque je cherche un assistant, il est impossible de recruter quelqu’un qui vienne d’une école d’art… Elles forment des incapables !

d’artistes, aujourd’hui, collectionnent les œuvres du passé comme Jeff Koons, Damien Hirst ou Richard Prince. J’ai très peu de moyens en comparaison avec eux. Pour l’art contemporain, le travail pour vendre et distribuer est essentiellement récompensé : cela induit que le “produit” est nul, que son coût est marginal… Avec les voitures au moins, il est impossible de tricher, elles doivent rouler ! L’art contemporain, c’est le rêve ultime du capitalisme, le marché gone wild, comme un énorme abcès qui va péter. Quand la bulle de l’art contemporain va-t-elle exploser ? Encore une année… Dans douze mois, on va se rencontrer à Bâle, ici même, vous et moi. Je souhaite que votre revue fête alors son seizième anniversaire, mais la bulle aura explosé, tout aura

© 2012 Musée du Louvre / Olivier Ouadah © ADAGP

temps une œuvre met-elle à naître ? C’est un travail de délégation à des équipes, à des gens différents, mais en même temps je suis toujours présent. La création d’une œuvre dure entre six mois et deux ans… Il faut donc mener de multiples chantiers de front pour sortir quelque chose chaque mois.

« L’art contemporain, c’est le rêve ultime du capitalisme, le marché gone wild, comme un énorme abcès qui va péter. » Kashan, tapis de soie indienne sur un moule en polyester (tapisdermie)

textes. J’adore les boîtes Kellogg’s, elles sont pleines de choses à voir. Mes premières œuvres étaient des choses très kitsch : j’utilisais cette iconographie pour éviter toute taxinomie. Pensez-vous que le monde de l’art contemporain soit trop fermé ? Aujourd’hui, il ressemble à une matrice où les foires durent cinq jours et montrent des œuvres faites en moins de cinq jours. L’art contemporain est fait par un petit nombre, des “élus” qui disent à la masse : « Nous sommes déjà dans le XXIe siècle, vous êtes restés au XXe. » J’essaie de ne pas être discriminant, de sortir cet “art VIP” du carcan où on l'enferme. 52

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L’art contemporain est-il fini ? Pour moi, ce qui est fini c’est l’art occidental. Le meilleur est derrière nous, c’est l’art ancien : les Chinois et les Hindous qui ont repris le flambeau, dans l’avenir, vont nous apprécier pour les cathédrales, le style gothique, les dessins de Dürer… Quand la bulle de l’art contemporain va éclater, il y aura une chute énorme. Vos œuvres seront entrainées dans cette chute… J’espère qu’elles ne vont pas trop descendre, mais tout va baisser. Peut-être vais-je mieux sauver ma peau que d’autres. Mais en tout cas ma collection d’art ancien va se maintenir. Beaucoup

changé et vous me direz : « Waouh, Wim, vous aviez raison ». Par Hervé Lévy Photo de Stéphane Louis pour Poly

Le Louvre a invité Wim Delvoye à intervenir dans divers espaces du musée jusqu’au 17 septembre 01 40 20 53 17 – www.louvre.fr www.wimdelvoye.be

1 Auteur de L’Hiver de la culture, Flammarion, collection Café Voltaire, 2011 (12 €). Lire notre interview de Jean Clair page 54 – www.editions.flammarion.com 2 Critique d’art australien dont les prises de position sur l’art contemporain sont violentes 3 Science dont l’objet est de décrire les organismes vivants, de les regrouper, de les nommer et de les classer


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