La Puce 110

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LA PUCE à L’OREILLE Publication du MFPF 34 - N°110 - 2ème trimestre 2012

Sommaire P.2 Actualités nationales et internationales Le titre 1 sauvé !

P.6 Actualités locales Assises de la contraception Une nouvelle déléguée Assemblée générale Programme Prodas

P.8 Débat La prostitution

P.10 Culture Regards croisés sur Elles Interview de Fanny Rudelle

P.12 Bulletin d’abonnement

Droits des femmes : parlons-en ! L’A IR EST PLU S LÉGER d e p u i s l e 6 m a i 2 0 1 2 . L a q u e sti o n d e s d r o i ts d e s fe m m e s se r a sa n s a u cu n d o u te b i e n m i e u x p r i se e n co m p te d a n s u n co n te xte é c o n o m i q u e , s o c i a l e t p o l i ti q u e e xtr ê m e m e n t te n d u q u i to u c h e e n p r e m i e r l i e u l e s fe m m e s ( ch ô m a g e , p r é ca r i té , r e c u l d e l ’ a p p r o c h e é g a l i ta i r e fe m m e s/h o m m e s…) . Po u r l a p r e m i è r e fo i s, u n g o u v e r n e m e n t p a r i ta i r e a é té n o m m é : 1 7 fe m m e s e t 1 7 h o m m e s , u n se u l mi n i stè re ré g a l i e n (l a j u sti ce ) a ttri b u é à u n e fe m me ma i s d e s n o mi n a ti o n s i m p o rta n te s (a ffa i r e s so ci a l e s e t sa n té , cu l tu re , é co l o g i e …) e t u n e ré p a rti ti o n é g a l i ta i re su r l e s p o s te s d e mi n i stre s e t d e mi n i str e s d é l é g u é s. C ’ e st u n s i g n e fo rt ! N o u s p o u v o n s a u ssi n o u s fé l i ci te r d e l a cré a ti o n d ’ u n Mi n i stè re d e s D r o i ts d e s fe mme s a ve c à sa tê te N a j a t Va l l a u d -Be l ka ce m, b e n j a mi n e d u g o u v e rn e me n t, à q u i n o u s a d re sso n s to u s n o s e n co u ra g e me n ts ca r b e a u co u p e st à fa i re . L a p ro p o si ti o n d ’ u n n o u ve a u te xte su r l e h a rc è l e me n t se xu e l d a n s l e s se ma i n e s q u i o n t su i vi l ’ a b ro g a ti o n d e l a l o i d é b u t ma i p a r l e co n se i l co n s ti tu ti o n n e l p e rme t d e re tro u ve r l a co n fi a n ce . É ch a n g e o n s, re tro u vo n s- n o u s p o u r a l l e r p l u s l o i n , p o u r fa i re p re n d r e co n sci e n ce q u e l e s i n j o n cti o n s fa i te s a u x fe mme s e t a u x h o m me s so n t à l ’ o ri g i n e d e to u te s l e s i n é g a l i té s, fa i so n s to mb e r l e s i d é e s r e çu e s. Fatima Bellaredj, présidente du Planning 34 LA PUCE à L’OREILLE n 2e trimestre 2012


Actualités nationales & internationales

Titre 1: encore une attaque contrée! L’État a «retrouvé» en mars les 500 000 euros de financement pour l’information et l’éducation à la sexualité « disparus » en début d’année.

EN BREF Je vais bien, merci ! Mettre en avant des témoignages positifs et résolument décomplexés sur l’avortement, tel était l’ambition du blog (blog.jevaisbienmerci.net) lancé par le collectif Les Filles des 343, en avril 2011.  Ces paroles de femmes, loin des discours culpabilisateurs, ont été rassemblées dans un livre, publié aux éditions La ville brûle. Une lecture salutaire et revigorante pour «le droit d’avorter la tête haute ». J’ai avorté et je vais bien, merci, La ville brûle, 8 euros, dans toutes les bonnes librairies.

En 2009, le Planning 34 mobilisé pour le maintien du financement par l’État des activités dites de « titre 1 ».

2009, PREMIÈRE ALERTE : L’État menace de priver de financement les établissements d’information et de conseil conjugal et familial (EICCF), créés par la loi Neuwirth de 1967 (le fameux « titre 1») et de se désengager ainsi de sa responsabilité sur ces questions. Après une très forte mobilisation et une pétition qui recueille plusieurs milliers de signatures, l’État s’engage sur un protocole garantissant pour trois ans à l’ensemble des EICCF du territoire un financement de 2,6 millions d’euros. Somme qui reste insuffisante puisqu’elle ne couvre qu’un tiers du coût réel de fonctionnement de ces activités. 2012, deuxième alerte. Cette ligne, pourtant inscrite dans la loi de finances, se voit amputer de 500 000 euros, alors que les besoins se font toujours cruellement sentir dans un contexte social de précarité accrue. Tous les textes (rapports, circulaires…) soulignent la nécessité de la diffusion de l’information et de l’éducation à la sexualité dans les écoles, collèges et lycées, l’enjeu de la prévention des grossesses non désirées, des infections sexuellement transmissibles et du Sida et le manque de moyens dévolus à ces missions… Le Planning s’est donc de nouveau mobilisé en saisissant l’ensemble des dé-

puté(e)s sur ce sujet et en lançant une nouvelle pétition en février. Nouveau sursis : l’État a «retrouvé» les 500 000 euros de financements. Le Planning rappelle cependant qu’il ne s’agit que de la mise en œuvre de la Loi de finances adoptée fin 2011 par les parlementaires. Il déplore aussi le peu de considération dont fait preuve l’État par ces aléas budgétaires alors que : la loi de 2001 qui prévoit trois séances d’éducation à la sexualité par an du CP à la terminale est très loin d’être appliquée ; tous les acteurs soulignent l’inadéquation entre les moyens et les besoins, au regard des enjeux. Le Planning Familial rappelle que l’accueil, l’information, l’orientation et l’éducation sur les questions relatives à la fécondité, la contraception, les sexualités et la prévention des IST/VIH sont et doivent rester une priorité des politiques éducatives et de santé des jeunes. L'évolution de la société et les changements de mentalité passent par la possibilité de chacune et de chacun à se construire à travers une approche globale et positive de la sexualité, pour peu qu'on lui en donne les moyens : l'information et l'éducation en sont la condition. n Marion Danton

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Harcèlement sexuel Le 4 mai 2012, le Conseil constitutionnel abrogeait la loi sur le harcèlement sexuel, votée en 2002. Une décision à effet immédiat qui avait suscité la colère des associations. Comme il s’y était engagé, le nouveau gouvernement a déposé un nouveau projet de loi le 13 juin. Il devrait être examiné en séance publique en juillet. À suivre... Congrès Le Congrès national du Planning se tiendra à Marseille les 19, 20 et 21 octobre 2012. Stérilisation volontaire Le Planning avait saisi la Halde en janvier 2011 pour contester la décision de l’Union nationale des Caisses primaires d’assurance maladie (UNCAM) du 26 mai 2010 portant sur le non remboursement d’un dispositif de contraception définitive pour une femme de moins de quarante ans, estimant qu’il s’agissait d’une discrimination à raison de l’âge. Le 13 mars 2012, le défenseur des droits (qui a remplacé la défunte Halde) a recommandé au secrétaire d’État à la santé de « supprimer la condition d’âge exigée pour bénéficier de la prise en charge du dispositif et de la pose d’Essure ».


Actualités locales

Pass’: passera, passera pas? La Fédération régionale du Planning et le Conseil régional Languedoc Roussillon ont organisé les premières assises de la contraception en mars. La promesse d’un engagement fort pour l’accès des jeunes à la contraception. UN SUCCÈS ! Se sont réjouis le Conseil régional LanguedocRoussillon et la fédération régionale du Planning, co-organisateurs des premières Assises de la contraception dans la région qui se sont tenues à Montpellier le 6 mars, peu de temps avant la Journée internationale des femmes. Dresser l'état des lieux de l'accès aux moyens de contraception pour les jeunes et entamer une réflexion avec les professionnels et les acteurs des territoires (élus, infirmières scolaires, médecins, parents d'élèves, syndicats étudiants...), telle était l'ambition de cette manifestation. Sur notre territoire, on constate un manque de structures d'accueil gratuit et confidentiel avec des horaires adaptés aux disponibilités des jeunes, notamment en milieu rural. Le Languedoc-Roussillon est une des régions de France où le nombre d'Interruption volontaire de grossesse (IVG) est le plus élevé. Davantage que le recours à l'avortement, qui est un droit à faire respecter, c'est la question des grossesses non désirées qui se pose car bien souvent, les jeunes filles, comme les femmes, qui pratiquent une IVG sont sous contraceptif. Ce qui interroge donc la pertinence et l'observance du moyen de contraception utilisé. D'où la nécessité de mieux former les médecins à l'éventail des méthodes et de permettre aux utilisatrices se les approprier, en diffusant une meilleure information et en assurant une plus grande diffusion. Or « la sexualité des jeunes est encore un tabou, a rappelé Marylin Martinez, conseillère régionale en charge de la santé, et il est difficile de faire passer l'information, de sortir des discours normatifs. » Carine Favier, présidente nationale du Planning, confirme que «parler de sexualité ne s’apprend pas dans la société d’aujourd’hui ». « On est plus sur des politiques de prévention des risques que sur

Pas besoin de l’autorisation des parents pour aller au planning. Certes, encore faut-il qu’il y en ait un pas loin de chez soi et ouvert à des horaires accessibles...

l’éducation à la sexualité », a admis Dominique Keller, directeur de l’Agence régionale de santé (ARS) qui a dressé un «diagnostic contrasté» de la situation en région, où il appelle à un « travail de fond ». Parmi les pistes envisagées pour améliorer la couverture et l'efficacité contraceptives, la mise en place d'un pass'contraception, comme l'ont expérimenté les régions Poitou-Charente, Ile-deFrance et Rhônes-Alpes, venues présenter leur dispositif. Outil perçu non comme une solution miracle, mais comme complémentaire à l'éducation à la sexualité dans les établissements scolaires, aux centres de planification, à la ligne régionale d'écoute... Le travail en réseau avec les différents acteurs semble être la clé pour améliorer l'accès à la contraception des jeunes sur l'ensemble des territoires. Reste à le construire ensemble. n Marion Danton

Une nouvelle déléguée générale au Planning 34 « NÉE MILITANTE », Anne Millot, après des études de droit et de commerce, a travaillé plusieurs années dans le logement social en région parisienne, avant de rejoindre le 15 avril le Planning familial de l'Héraut, où elle remplace Françoise Imbert comme déléguée générale de l'association. Un choix politique assumé. Celle qui n'a « jamais pris de carte nulle part », se dit convaincue par les débats portés par le féminisme, et notamment sa capacité à questionner la nation et la pratique du pouvoir. Parce que le débat, elle aime ça, Anne. Être bousculée dans ses idées, fuir les réponses-types. Tout en cheminant vers le consensus, avec la bienveillance propre à l'éducation populaire. « Dès qu'on devient trop dogmatique, c'est qu'on a

perdu. Ce qui ne veut pas dire qu'on doit renoncer à ses principes. » La pratique nourrit et légitime le discours politique et c'est ce qui la motive dans la mission qui lui a été confiée. À la tête du Planning 34, Anne se voit comme une administrative au service du combat politique et revendique un positionnement militant. « Je colore tout de politique ». Un axe fort ? « Impliquer et recruter des bénévoles ». n MD

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Actualités locales

Assemblée générale Moment fort de la vie de l’association, l’assemblée générale s’est tenue lundi 14 mai dans les locaux du 48 boulevard Rabelais. L’occasion de faire le point sur nos activités et de tracer des perspectives pour l’année à venir. APRÈS UN PREMIER TEMPS consacré aux statuts de l'association qui n'avaient pas été revisités depuis de nombreuses années, la présidente Fatima Bellaredj a tenu à rendre hommage à Dani Mas, décédée en avril dernier. Dani a assuré une permanence d’écoute auprès des femmes séropositives et participait à la commission confédérale sur le VIH. Fatima a également proposé une motion de soutien aux femmes de Tunisie, de Libye et de Syrie qui se battent pour la démocratie. La présidente est également revenue sur la suppression de nos permanences dans les hauts cantons, suite au désengagement de notre partenaire, le Conseil général. La situation est d’autant plus regrettable qu’elle laisse un vide dans ces territoires ruraux de plus en plus désertifiés où les jeunes ont du mal à avoir accès à l’information et à la prescription anonyme d’une contraception. Le rapport détaillant les activités et le rapport financier ont été validés. La trésorière, Josette Sainte-Marie, a souligné que l'année a été dure financièrement et a confié ses inquiétudes pour les années à venir. La baisse des subventions, les contraintes des appels d'offre, les objectifs contradictoires des différents partenaires durcissent les conditions d'exercice de nos activités. Elle a fait appel à la capacité d'innovation et de mobilisation des membres.

un conseil d’administration renouvelé C'est à un conseil d'administration bien renouvelé que reviendra la charge pleine d'ambition et d'enthousiasme de mettre en œuvre ces orientations politiques. En effet, l'introduction dans les nouveaux statuts d'un durée maximale de présence au conseil d'administration a eu un effet collatéral inattendu : sept administratrices de longue date n'ont pas souhaité représenter leur candidature. n Marianne Loupiac et Anne Millot

objectifs pour 2013 Les objectifs fixés par l'assemblée générale pour cette année sont ambitieux : cette année sera celle de la mobilisation citoyenne. Les combats et les interrogations du Planning doivent être portés sur la place publique... Il s'agit de lutter contre les inégalités de genre et faire entendre la voix de celles et ceux qui en sont privés. Le Planning 34 doit devenir une force politique pour infléchir les décisions localement : plus d'adhérent-e-s, des espaces de paroles ouverts sur la cité, des événements...

Le rapport d'activité est consultable sur le site internet du Planning : www.leplanning34.org * Composition du nouveau conseil d'administration : Fatima Bellaredj, Fanny Chaze, Marion Danton, Thierry Ducouret, Marie Greco, Assia Kouidrat ,Françoise Lepers, Lucie Mailho, Aurélie Mexandeau, Nicole Monsterlet, Naouel Nefissi, Marie-Christine Vion-Leclerc.

Le Planning 34 en quelques chiffres t 5 588 personnes reçues au centre de planification t 4 176 personnes reçues en entretiens individuels

L'équipe au 31/12/2011 : t 14 administratrices t 20 bénévoles actif-ve-s t 25 salarié-e-s, dont 13 médecins

t 5 420 jeunes de moins de 25 ans rencontré-e-s lors des

animations t 1 216 personnes de plus de 25 ans rencontré-e-s lors des animations t 459 professionnel-le-s t 189 personnes « formées » LA PUCE à L’OREILLE n 2ème trimestre 2012

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Actualités locales

À l’école du développement affectif Le Planning mène depuis 2009 un programme pilote de développement affectif et social dans deux écoles élémentaires de Montpellier. Présentation.

DEPUIS 2009, LE PLANNING FAMILIAL s’est engagé dans la mise en œuvre d'un programme pilote dans deux établissements scolaires. Cette expérience – évaluée par l'Observatoire régional de la santé – est arrivée à terme et une restitution a eu lieu le 11 janvier 2012. Le Prodas à Montpellier (largement inspiré du Programme québécois de développement affectif et social, conçu initialement au cours des années 80 par des enseignants et des chercheurs en psychopédagogie, psychologie clinique et sociale) vise à développer et/ou améliorer la prise en compte des aspects socioaffectifs dans les apprentissages scolaires en favorisant une amélioration de l’estime de soi, de la confiance en soi des enfants ainsi que de leurs compétences relationnelles… À travers différentes activités fondées sur la parole, l’expression de soi et de ses ressentis – et organisées sous forme de modules en relation avec les facteurs du développement humain (conscience de soi, réalisation de soi, interactions sociales) - il s’agit non seulement d’apprendre à mieux communiquer et à gérer ses conflits sans violence, mais également à s’enrichir des réflexions et expériences des autres, apprendre à s’affirmer, à argumenter, à s’exprimer en groupe etc. Les enseignants et personnels de l’établissement en tirent eux-mêmes un immense profit à tous les niveaux : avec la classe bénéficiaire du programme, mais aussi avec les autres enfants, puisqu’ils ont alors l’occasion (à travers une formation initiale mais aussi grâce à l’accompagnement par un-e animateur-trice et aux temps d'analyse de la pratique) de découvrir de nombreux outils pédagogiques et de travailler à leurs propres attitudes d’écoute et d’acceptation. L’école devient ainsi un lieu de socialisation qui tient compte du vécu personnel des enfants et des enseignants, en partant de leurs expériences pour les amener à échanger et réfléchir dans une perspective d’apprentissage et de lutte

contre le mal-être et les violences. Les enseignant-e-s impliqué-e-s dans le programme ont pu témoigner de son impact : dans l'ambiance de la classe et pendant les temps de récréation entre les enfants, dans l'amélioration et/ou la facilitation des relations enfants/enseignants ; dans les Deux établissements scolaires montpelliérains ont participé apprentissages scolaires. pendant deux ans au programme pilote de développement Les progrès concernent la affectif et social, proposé par le Planning. maîtrise de la langue, l'apprentissage des mots de vocabulaire, l'exEN BREF pression orale, l'esprit critique, la capacité d'argumentation, etc. Foire aux associations L’Antigone des associations se Les enfants eux-mêmes ont apprécié ce tienda le dimanche 9 septembre, temps consacré au Prodas et y ont touà Montpellier: l’occasion de rejours participé de manière active et entrouver le Planning sur son stand. thousiaste. implication des équipes Au-delà du travail en école primaire, plusieurs initiatives d'intervention ont été prises par le Planning familial des Bouches-du-Rhône, inspirées du Prodas dans les lycées et collèges. Le Planning de l'Hérault a lui-même testé les interventions dans un collège (collège Las Cazes), et a noté l'intérêt que les jeunes adolescents portent à la mise en œuvre par des enseignant(e)s d'un espace d'échange et d'écoute. Cependant, le succès du programme dépend de l’implication des équipes éducatives, puisqu’il nécessite un travail de longue durée avec les enfants (même si la forme que peut prendre l'action est adaptable en fonction du contexte de l'établissement). À terme, l'élargissement du projet à tous les niveaux de classe, du primaire au lycée, permettrait d'élaborer un programme adapté au contexte de l’Éducation Nationale en France et couvrant l'ensemble de la scolarité des jeunes. n Pierre Colombani

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Ligne téléphonique Depuis le 1er janvier, la ligne d’écoute sur la contraception et l’IVG répond de nouveau ! Interrompues en juillet 2011, suite à l’arrêt des financements de l’Agence régionale de santé (ARS), les permanences téléphoniques assurées par la Fédération régionale Languedoc Roussillon ont pu reprendre grâce au soutien du Conseil régional.

Nouveau Bureau Le conseil d’administration du Planning 34 a élu son nouveau Bureau le 4 juin: Présidente: Fatima Bellaredj Trésorière: Marion Danton Secrétaire: Nicole Monsterlet Secrétaire adjointe: Marie Greco

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Débat

Prostitution: punir, interdire ou accompagner? La question de la prostitution, ce n’est pas nouveau, fait débat. La conférence qui s’est tenue en mars à Montpellier donne l’occasion de faire le point sur la législation et sur les différents points de vue. LE RAPPORT DE LA MISSION PARLEMENTAIRE d’information sur la prostitution en France, remis au gouvernement en avril 2011, tentait un état des lieux de la prostitution en France. Il a été suivi d’une proposition de loi pour pénaliser le client déposée le 7 décembre 2011. C’est dans ce contexte de relance du débat sur la prostitution, que s’est tenue à Montpellier le 19 mars une conférence sur le thème « l’abolition de la prostitution est-elle une condition de l’égalité hommes femmes ? ».

femmes. Ce « paquet de lois », approuvé en 1999, s’appuie sur la Convention de l’Organisation des Nations Unies (ONU) de 1993 sur l’élimination de toutes formes de discriminations à l’égard des femmes, considérant que « la prostitution est incompatible avec la dignité humaine ». Pour la Suède, il n’est pas acceptable de pénaliser les victimes de la prostitution, comme le fait la loi sur le racolage en France. Il s’agit de reconnaître que la violence à l’égard des femmes traduit des rapports de force historiquement inégaux entre hommes et femmes. Lorsque l’on diminue la demande, on diminue l’offre. Chaque fois qu’un homme va voir une prostituée, il pérennise le système en achetant du sexe. Par cette loi, toutes les formes d’achat d’un service sexuel sont punissables, où qu’elles se produisent, à l’intérieur ou à l’extérieur, dans la rue ou ailleurs. Toutes les tentatives sont punissables, du courriel envoyé à des sites au fait de demander « combien ? » pour un acte sexuel… En juillet 2010 un rapport sur les effets de la loi a été remis au gouvernement : la prostitution de rue a chuté de 50% en 10 ans sans s’être déplacée vers d’autres sphères. Même la prostitution apparue sur internet est en nombre bien moindre que dans nnn

l’exemple de la Suède Gunilla Ekberg, juriste, experte auprès du gouvernement Suédois sur la prostitution qui a travaillé plus de 14 ans avec des femmes ayant subi des violences et sur le terrain avec des femmes prostituées, explique la conception de la loi qui punit les clients. Ce sont les associations d’aide aux femmes battues qui ont demandé une loi contre les violences faites aux femmes, y compris les femmes prostituées. Ainsi, en Suède, la loi pénalisant les hommes qui achètent du sexe - les clients - fait partie des mesures prises pour lutter contre toutes les violences faites aux

Rappel : la loi en France La prostitution a évolué en France en fonction de la conception qu'en a eue la population, entre tolérance souvent accompagnée de stigmatisation vis-à-vis des personnes prostituées, dénonciation de la prostitution comme une atteinte à la dignité des personnes, ou interdiction. La prostitution est définie par un décret du 5 novembre 1947 comme « l'activité d'une personne qui consent habituellement à des rapports sexuels avec un nombre indéterminé d'individus moyennant rémunération ». La prostitution n'est pas en soi un délit car il repose sur le droit de disposer de son corps (mais pas celui de vendre son sang ou un organe) et le droit d'entretenir des relations sexuelles relève strictement du droit au respect de la vie privée. Le proxénétisme est défini par l'exploitation de la prostitution par un tiers.

La prostitution est dans une situation légale intermédiaire : elle n'est pas sanctionnée par la loi pénale, mais les délits de proxénétisme et le racolage actif puis passif sont interdits par la loi. En ratifiant en 1960 la convention pour la répression de la traite des êtres humains et de l'exploitation de la prostitution d'autrui de 1949, la France s'est engagée, au niveau international, à reconnaître que la prostitution est « incompatible avec la dignité et la valeur de la personne humaine ». Cette convention implique de ne pas inquiéter les personnes prostituées, mais au contraire de les protéger. Il subsiste pourtant en France des formes de répression des personnes prostituées : - La loi sur la sécurité intérieure de 2003 punit le racolage dit passif de deux mois d'emprisonnement et de 3750 euros d'amende. Un amendement prévoit de

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placer les prostitués dans des centres d'hébergement de droit commun afin de faciliter leur réinsertion. - la loi du 4 mars 2002 permet de poursuivre les clients de prostitués de moins de 15 ans. - le 13 avril 2011, la Mission d'information sur la prostitution de l'Assemblée nationale a publié un rapport qui réaffirme l'engagement abolitionniste de la France. Il y est notamment proposé la pénalisation des clients de la prostitution et un renforcement de la lutte contre le proxénétisme. S’en est suivi le dépôt d’une proposition de loi le 7 décembre 2011, « visant à responsabiliser les clients de la prostitution et à renforcer la protection des victimes de la traite des êtres humains et du proxénétisme ». La principale mesure de cette proposition prévoir d’infliger une amende et deux mois d’emprisonnement aux clients. n


Débat

les pays voisins. Quant aux clients, ils sont passés de 13,6% en 1996, à 7,8% en 2008, soit une diminution de 30%. Enfin, selon Mme Ekberg, cette loi a servi de barrière efficace contre les trafiquants et proxénètes en Suède. nnn

rapport de la mission parlementaire Danielle Bousquet, députée du parti socialiste et présidente de la mission parlementaire d’information sur la prostitution en France, indique l’état des lieux : La prostitution reste dans son immense majorité féminine. Exercée dans les villes à 80 % par des personnes étrangères, elle concernerait 200 000 personnes.Ces chiffres sont difficiles à vérifier. On peut noter l’augmentation dans de nombreux pays, notamment en Europe, du nombre de prostituées migrantes donc étrangères, essentiellement issues des pays de l’Est et de l’Afrique. Leur présence en France est souvent la conséquence de l’existence de réseaux mafieux dans leur pays d’origine. Certains affirment qu’il existe une prostitution volontaire, libre et choisie. Danielle Bousquet, elle, nuance : « les prostituées ne peuvent pas dire autre chose : ce serait trop violent mais notre travail a montré que ce n’est pas exact : seules 3% des personnes le revendiquent comme un choix ». La plupart y ont été contraintes, d’une façon ou d’une autre. Parfois c’est une situation socio-économique qui aura favorisé le passage à la prostitution ou un besoin d’argent important lié à une addiction par exemple. D’autres fois, c’est la manipulation affective et/ou la force ou les menaces sur la personne elle-même ou sur son entourage. La mission s’est interrogée sur la légitimité de la prostitution dans la société actuelle, au regard des principes républicains d’égalité entre les sexes et de dignité de la personne. Le système prostitutionnel autorise des hommes à considérer qu’ils peuvent s’approprier le corps de femmes à chaque fois qu’ils en ont besoin. Elle rappelle la position abolitionniste de la France : protéger les personnes prostituées et décourager l’activité prostitutionnelle. « Le texte de loi sur le racolage a eu des effets pervers, même les policiers le reconnaissent. Ce texte est amené à disparaître en France.» La mission propose une série de mesures. La première vise à pénaliser les clients, qui risquent 3 750 euros d’amende et deux mois d’emprisonnement. Elle constitue l’une des propositions majeures de la mission, qui s’est inspirée de la législation suédoise. Il s’agit en fait de faire prendre conscience aux clients de ce qu’est la réalité de la prostitution, et plus largement de décourager le recours à la prostitution, en rappelant que « la nonmarchandisation du corps est un principe non négociable. (…) La prostitution est un asservissement, une violence, principalement une violence faite aux femmes, une violence de genre. La prostitution fait obstacle au principe constitutionnel d’égalité entre les hommes et les femmes ». L’objectif n’est pas en soi de punir, mais de faire changer les mentalités, d’éduquer notre société à l’égalité des sexes. « Nous voulons pouvoir affirmer que l’on doit avoir la liberté de disposer de son corps, pas de celui de l’autre. » Il s’agit de sensibiliser le client

prostitueur sur son rôle de pourvoyeur des réseaux de prostitution. En matière de traite des êtres humains, il n’y a pas d’offre sans demande. La deuxième propose d’aider les personnes prostituées à s’en sortir en les orientant vers la réinsertion sociale : aide au logement, à la formation professionnelle, à la régularisation pour les prostituées sans papiers. Enfin, la troisième souhaite renforcer la lutte contre le proxénétisme. Suite à cette mission, une proposition de loi « visant à responsabiliser les clients de la prostitution et à renforcer la protection des victimes de la traite des êtres humains et du proxénétisme » a été déposée le 7 décembre 2011. le point de vue du Mouvement du Nid À cette même conférence, Anne-Lise Barral, responsable du Mouvement du Nid (association d’accompagnement des personnes prostituées) à Montpellier, plaide elle aussi pour la pénalisation des clients. Selon elle, « la prostitution reste sous domination masculine et s’alimente de l’inégalité entre femmes et hommes et laisse penser que le corps des femmes est une marchandise comme les autres ». Elle fait remarquer que ces « maisons closes catalanes, à une heure trente de Montpellier, sont fréquentées presque exclusivement par des jeunes français, et que le risque est de construire un modèle de sexualité complètement machiste ». Selon elle, « c’est un mensonge de croire que les filles/femmes sont libres de faire ce qu’elles veulent de leur corps et de se prostituer : la prostitution est quasiment toujours subie. Une loi peut dire et doit inscrire que la prostitution est indigne de la condition humaine, et interdire tout achat sexuel ». le point de vue de Zéro macho Le mouvement Zéro macho rassemble des hommes qui disent non au machisme, et en particulier non à la prostitution. Représentant du mouvement, Jean Louis Bévélacqua considère qu’un acte sexuel non désiré est une violence : « Libre de se prostituer, entend-on dire mais qui choisit d’avoir chaque jour plusieurs actes sexuels non désirés avec des inconnus ? » La liberté que revendiquent des personnes prostituées est illusoire, car elle est contrainte par des proxénètes, par la drogue, par nnn

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Débat

des violences. Tout homme peut s’affirmer sans nier l’autre et s’assumer sans dominer. « En application du principe de l’égalité femmes-hommes, nous demandons aux pouvoirs publics de : cesser de pénaliser les personnes prostituées ; de réprimer le proxénétisme ; d’instaurer ou renforcer dès l’école une éducation sexuelle et affective non-sexiste ; d’instituer contre les clientsprostitueurs une sanction pénale graduée, comme en Suède, où cette politique a démontré son efficacité. »

nitaires et sécuritaires. Le syndicat est contre cette pénalisation qui entraînera irrémédiablement une « invisibilité » de la prostitution. Autrement dit, les prostitués se cacheront pour éviter que leurs clients se fassent arrêter, et s’éloigneront ainsi des structures de prévention et de soins. La clandestinité poussera notamment les prostituées à se mettre sous la coupe d’un proxénète, qui pourra leur apporter des clients plus facilement, et les protéger. Derrière la pénalisation du client, se cache donc la dégradation des conditions de travail des prostituées. « Pour celles qui continueraient à exercer sans proxénète, la diminution de clients les encouragera à négocier des pratiques dangereuses et des tarifs réduits », explique Manon, interviewée par le journal Atlantico. L’association Act-Up, qui plaide pour la reconnaissance d’un statut et de droits pour les travailleurs du sexe, dénonce les « conséquences sanitaires » d’une éventuelle pénalisation des clients de prostitué-e-s. Elle estime en outre que, comme pour toutes luttes, « c’est aux personnes concernées de définir les moyens, les outils et de forger les discours qui vont conduire à leur émancipation, c’est aux travailleurs et travailleuses sexuels de dire quelle est leur conception de la dignité dans le travail qu’ils et elles exercent. Il serait anti-féministe d’imposer des valeurs comme la dignité à un groupe de femmes actuellement opprimées en leur disant que leurs conditions de travail et de vie vont être dégradées, mais pour leur plus grand bien. » n Françoise Michel

nnn

d’autres avis Les membres du STRASS (syndicat du travail sexuel) militent pour l’amélioration de leurs conditions de travail et pour obtenir des statuts légaux clairs permettant de lutter contre la prostitution contrainte et les réseaux de traite, et de réduire les risques sa-

Ce qu’en dit le Planning Le conseil d’administration confédéral du Planning du 23 septembre 2001 a adopté un texte par lequel il s’engage à : * Dénoncer les conditions d’injustice économique croissante, et spécifiquement les écarts entre riches et pauvres, nord et sud, qui ont un impact désastreux sur les conditions de vie des femmes, toujours en première ligne, la prostitution étant un des aspects de cette injustice économique. * Exiger une réelle politique de démantèlement des réseaux mafieux là où ils sont identifiés. * Dénoncer les effets pervers des politiques répressives et demander l’abrogation de la loi LSI (art22510-1). * Refuser la pénalisation des personnes en situation de prostitution et la criminalisation de l’activité et des clients. * Refuser la discrimination envers les personnes prostituées quant à l’application des lois en matière de violences sexuelles, d’agression, de voies de fait et harcèlement. * Revendiquer pour les personnes en situation de prostitution, l’accès aux droits sociaux qui devraient être communs à toutes et tous. * Lutter pour que l'Etat mette en place une aide réelle pour celles qui veulent sortir du système prostitutionnel. * Proposer des recherches actions avec des associations de terrain sur les questions des violences et de la santé sexuelle pour améliorer nos connaissances et nos interventions tant sur le terrain qu'au niveau politique. LA PUCE à L’OREILLE n 2ème trimestre 2012

Sources : encyclopédie wikipedia - www.sos.femmes.com - www.prostitutionetsociete.fr (Mouvement du Nid) - l’hebdomadaire Marianne - www.zeromacho.eu - www.atlantico.fr

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Culture

Elles: où sont les hommes? Regards croisés sur un film La prostitution de jeunes étudiantes : sujet d’actualité et sujet d’un film sorti en février et qui n’a pas convaincu nos deux spectacteurs.

DÈS LE GÉNÉRIQUE DU FILM, nous entrons en voyeurs dans une chambre dont on aurait poussé la porte par erreur et assistons à une fellation, dont les protagonistes sont anonymes. Puis on passe au personnage d’Anne, journaliste enquêtant sur la prostitution en milieu étudiant. Elle rencontre pour son enquête deux jeunes filles Alicja, d’origine polonaise, et Charlotte. La narration du film se construit sur trois plans : les interviews, les scènes de sexe des jeunes filles avec des quinquagénaires (majoritairement) plus ou moins louches, et une journée de la vie quotidienne d’Anne, préoccupée par son adolescent fumant des pétards, son mari négligent et son plus jeune fils pas encore consommateur de film porno… Alicja et Charlotte disent qu’elles se prostituent par besoin d’argent: elles veulent pouvoir s’acheter des chaussures de luxe, comme Anne peut le faire. La réalisatrice, Malgoska Szumowska, se demande quel regard poser sur ces jeunes femmes, elle se sert du personnage d’Anne pour provoquer une prise de conscience. Mais à force de neutralité, de ne pas vouloir blâmer, ni porter de jugement moral, on se demande quel est le message ou l’objet du film, on se demande quels sentiments animent Alicja et Charlotte dans leur vie quotidienne. La succession mécanique de scènes de sexe sans amour, parfois humiliantes et violentes, entrecoupées d’une minute de dialogue et d’une minute de vie dans le bel appartement de la journaliste, devient vite lassante et absurde. Le malaise grandit au fur et à mesure, car finalement, il nous convainc que tout est ressenti, tout est personnel : les émotions débordent y compris entre les jeunes filles et leurs clients et ce jusqu’à la brutalité anonyme. Finalement, on sort de ce film un peu dérouté et personnellement, je ne pouvais me projeter dans aucun des personnages, car on ignore tout de leur vie. J’ai été plus que gênée par les points suivants :

- le dégoût de Charlotte pour la banlieue d’où elle vient, pour la condition de ses parents, ce qui ditelle, la pousse à se prostituer : cela nous révèle quelque chose de terrible sur la consommation, le désir de consommation, les clivages sociaux et le mépris de la pauvreté par notre société; - l’absence de remise en question d’une certaine demande de sexe par des Juliette Binoche incarne Anne, journaliste pour un magazine féminin, qui prépare un dossier sur la prostitution eshommes, visiblement tudiantine. peu perturbés (sauf un) de voir des jeunes filles aussi encaisser au travers de ses parents. répondre à leurs envies plus ou moins En d’autres termes, Arcan démontre que glauques; nos obsessions, manies, misères et ter- ce qu’on devine des répercussions de reurs sexuelles ne tombent pas du ciel cette prostitution sur la sexualité et les mais poussent dans le terreau de l’ensentiments d’Alicja et Charlotte; fance. « Mais qui croyez-vous que je sois, - l’absence de questionnement de la réa- demande Arcan à ses clients, je suis la fille lisatrice sur ce qui, un jour, pousse des d’un père comme n’importe quel père, et jeunes filles à se prostituer. que faites-vous ici dans cette chambre à Parallèlement, j’ai relu un article de Nancy me jeter du sperme au visage alors que Huston, paru dans Libération en 2011, sur vous ne voudriez pas que votre fille en rele suicide en 2009 de Nelly Arcan*, écri- çoive à son tour, alors que devant elle, vaine et prostituée. Nelly Arcan dit que vous parlez votre sale discours d’hommes dans la prostitution, il est fortement ques- d’affaires. » n tion de l’inceste père-fille et que si les femmes mettent tant de souplesse à se Marie-Christine Vion-Leclerc soumettre aux exigences des hommes, c’est qu’elles ont appris petites. L’homme, * Auteure de Putain, Burqua de chair client, maquereau ou violeur, a pu lui

Un autre point de vue... d’homme. Que dire d’ « Elles » ? ou plutôt pourquoi ne pas parler d’ « Eux » ? Tout ce que les deux femmes témoins dans l’enquête menée par Juliette Binoche (Anne) peuvent dire avec plus ou moins de conviction sur le peu d’impact intime qu’auraient leurs activités tarifées, tout cela part en fumée quant on sait, quand on voit la réalité de la domination souvent humiliante qui leur est infligée. Et le ton qui se veut léger, pour paraître en sortir indemne, ne fait guère illusion. Alors dans cette histoire (dans ce film comme dans la vraie vie), « eux » ne feraient que de la figuration face à « elles », femmes dérangeantes ? Et l’enquêtrice, même si elle reste parfois dans une certaine distance professionnelle, ne peut qu’être profondément bousculée et remise en cause. Dominique Vion

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Culture

Une femme indépendante À l’occasion de la création de la pièce Conseils pour une jeune épouse au théâtre Jean Vilar, rencontre avec Fanny Rudelle, comédienne montpelliéraine.

La Puce : Quelle femme es-tu Fanny ? Fanny Rudelle : J’ai 40 ans, deux enfants, je suis comédienne, metteur en scène et professeur de théâtre. Il me semble aujourd’hui que je tente de défendre ce en quoi je crois au quotidien dans ma vie privée et professionnelle : le partage, l’écoute, la curiosité, le désir. J’aimerais transmettre la confiance en soi, c’est encore une route à traverser… Transmettre l’idée que tout reste à accomplir, l’idée que c’est possible. Je ne suis pas engagée syndicalement, ni dans une association, ni un parti politique ; cependant l’engagement politique me semble une question importante pour les artistes. Doit-on avoir un lien fort avec un parti pour être engagé ? Garde-t-on son indépendance lorsque l’on est lié à un parti ? Peut-être, je ne sais pas encore…

La Puce : Est-ce plus difficile pour une femme d’être comédienne ou artiste ? FR : Je n’ai pas ressenti de difficulté pour l’instant liée au fait d’être comédienne dans la recherche de travail, même si le fait est avéré que, pour chaque distribution, il y a plus de rôles d’hommes que de femmes. Que les visions des metteurs en scène des rôles féminins sont souvent pauvres. Mais dans un univers contemporain, cela change complètement. Il y a de moins en moins de clivage dans les rôles, la notion d’emploi disparaît et c’est à chacun de construire, le rôle, la pièce. Pour une femme, être actrice est lié à la notion d’indépendance. Être indépendante, c’est avoir « une chambre à soi », avoir « le temps de lire un journal » comme l’ont dit Virginia Woolf et Marguerite Duras.

La Puce : Comment exerces-tu ton métier ? FR : Pour moi, le projet, les gens, la place que l’on nous demande de tenir dans l’élaboration du spectacle me donnent envie et énergie. J’aime faire partie de l’élaboration du projet. J’ai du mal à dissocier travail et vie privée. J’aime travailler en famille. J’ai souvent fait le choix du travail en troupe ou bien j’ai fait de longs parcours avec des équipes. La Puce : Comment concilies-tu vie personnelle et vie professionnelle ? FR : Au jour le jour… J’ai en fait réussi à déculpabiliser assez vite sur cette idée que « oh là là , ces pauvres enfants qui ne voient pas leur mère tous les jours » puisque tournées, jeu sur scène le soir... Mes enfants n’ont pas connu d’autres façons de vivre. Nous avons des moments libres, hors temps du plus grand nombre. Mes enfants viennent avec moi en tournée ; ils rencontrent des gens qui, par leur travail, tentent de donner quelques réponses à certains évènements et comportements humains. Ensuite, il y a des choses, des projets que je réfléchis en fonction d’eux, des rencontres que je ne fais pas, des spectacles que je ne vois pas. Beaucoup. Mais j’ai voulu grandir avec eux et ne pas vivre trop longtemps sans eux. Je vis avec un homme qui est aussi acteur et metteur en scène. C’est important que nous partagions les mêmes problématiques, les mêmes engagements. Nous nous soutenons beaucoup. LA PUCE à L’OREILLE n 2ème trimestre 2012

La Puce : Quel regard portes-tu plus globalement sur la place des femmes dans le monde de la culture ? FR : Nous devons absolument transmettre le fait que créer est un acte naturel pour les femmes et pas un évènement, une chose extraordinaire. Que l’on cesse avec cette différenciation. La Puce : Quelle parité possible dans les actes ? FR : J’appartiens à un collectif Hommes Femmes qui lutte pour la parité dans le monde culturel. Je pense qu’il faut, dans un premier temps, lutter encore pour imposer cette réalité. Obliger, s’il le faut, les partenaires et les institutions à plus de parité. Ainsi, peu à peu, nous aurons accès aux mêmes places en même nombre. Notre vision du monde, des relations humaines doit absolument trouver sa juste place. En finir avec « ah ! une femme ! un spectacle féministe ! » La Puce : Dirais-tu comme Olympe de Gouges, citée dans l’exposition de Fabienne Forel consacrée à la Déclaration des droits universels de la femme qu’ « avec l’actualisation de tous ses droits, la femme retrouve sa puissance et vit selon son humanité et ses désirs ? » FR : Je suis absolument d’accord, bien évidemment. Mais pourquoi avoir tant besoin d’inscrire ces droits comme différents de ceux des hommes ? C’est un état de fait incroyable encore aujourd’hui et pourtant, c’est une réalité. Nous combattons encore partout dans le monde pour le

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Culture

respect de la femme. Pour dire que nous avons les mêmes droits que les hommes. C’est vraiment incroyable ! Nous allons mettre encore des décennies afin que cela entre dans nos consciences, dans notre quotidien, dans nos sociétés et dans celles où la religion est encore prégnante dans la vie citoyenne. Nous sommes effectivement nous-mêmes enclavées, rivées à des archaïsmes. Les mères elles-mêmes reproduisent ces schémas… Il y a beaucoup de femmes, et de jeunes femmes, dans le gouvernement de Jean-Marc Ayrault et je trouve que c’est un signe fort pour les jeunes femmes d’aujourd’hui. Et il faut saluer la réouverture du ministère des Droits des femmes : d’Olympe de Gouges à Fabienne Forel à Najat Belkacem… La Puce : Est-ce une des raisons pour lesquelles tu t’es engagée dans la pièce signée Marion Aubert, Conseils pour une jeune épouse ? FR : Oui, c’était en quelque sorte une de- Patty Hannock et Fanny Rudelle interprètent deux dames qui dispensent de sages conseils aux jeunes vierges pour une vie conjugale épanouie... mande faite à un , une auteure sur un thème bien précis, celui de la défense des droits des femmes. Ma- La Puce : Fanny, quels sont tes projets ? rion est très active dans sa vie et dans ces textes sur ces FR : Je vais jouer, continuer à faire mon travail, poursuivre les cours de théâtre, créer des projets . questions là. L’historique des Conseils est le croisement entre le Kama- Je veux monter Les Epiphanies de Henri Pichette : pièce Sutra et l’Encyclopédie de la femme des années cinquante. sur la place de l’artiste dans le monde. Pièce sur l’amour (voir encadré). Insidieux combat d’actualité… Tel le film La et notre déshumanisation. Il y aura là aussi une création musicale… n Domination masculine. Propos recueillis par Dominique Sarrazy

Conseils pour une jeune épouse / Advice to a young bride « Un texte bilingue pour une pseudo préparation collective à la vie conjugale qui dynamite les sages préceptes de l’Encyclopédie de la Femme de 1950 avec des extraits drôlement choisis du Kama Sutra. Un désir : parler des codes dans lesquels nous nous construisons. En mêlant texte et musique, nous souhaitons parler de la place finalement toujours très réglementée, codifiée dans laquelle les hommes tiennent à nous enfermer ou dans laquelle nous nous enfermons (…) Ne sommes- nous pas libres de penser, de ressentir, d’aimer, de haïr, de jouir, de pleurer, de tout détruire, de tout vouloir ? » (extraits des notes préliminaires des deux comédiennes) « Ce qui me plaît dans cette pièce, ce sont ces diverses façons d’aborder un même sujet : la femme changée en épouse (…) Voir coexister des textes de l’Inde ancienne, des règles de savoir-vivre des années 50, des aperçus des violences conjugales d’aujourd’hui, des chansons, des moments musicaux de pure beauté (…) C’est voir se côtoyer l’humour, la futilité, la dénonciation de l’horreur. C’est voir ces conseillères pour épouses modèles et soumises, tout en percevant, comme en surimpression, ce qui se cache derrière leur sourire, leur parfaite lucidité. » (extraits d’une note du metteur en scène Philippe Fretun) Conseils pour une jeune épouse de Marion Aubert, mise en scène de Philippe Fretun, avec Patty Hannock et Fanny Rudelle (comédiennes et chant), Ghislain Hervet (clarinette) et Anne Lepape (violon). Jusqu’au 25 juillet à Villeneuve Lez Avignon dans le cadre du festival Villeneuve en Scène, www.villeneuve-en-scene.com

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Soutenir nos actions

l Le Mouvement français pour le planning familial (M.F.P.F) est un mouvement d’éducation populaire. Il lutte pour le droit à l’information et à l’éducation permanente et pour créer les conditions d’une sexualité vécue sans répression ni dépendance, dans le resLA PUCE à L’OREILLE est une revue éditée par l’association départementale du M.F.P.F de l’Hérault.

pect des différences, de la responsabilité et de la liberté des personnes. l Le M.F.P.F inscrit ses objectifs dans le combat

Directrice de publication Fatima Bellaredj Comité de rédaction Marion Danton, Marianne Loupiac, Françoise Michel, Dominique Sarrazy, Marie-Christine Vion-Leclerc

contre les inégalités sociales et les oppressions et agit pour le changement des mentalités et des comportements. l Il entend développer les conditions d’une prise de conscience individuelle et collective pour que l’éga-

Maquette

Marion Danton

lité des droits et des chances soit garantie à toutes et tous.

Imprimerie La Souris verte 15, rue de Belfort 34000 Montpellier

l Il défend le droit à la contraception et à l’avortement.

M.F.P.F 34 48, boulevard Rabelais 34000 Montpellier Tél. 04 67 64 62 19

m-f-p-f.montpellier@wanadoo.fr www.leplanning34.org

l Il lutte contre l’oppression spécifique des femmes, contre toutes les formes de discriminations et de violences, notamment sexuelles, dont elles sont l’objet. En cela, le M.F.P.F est un mouvement féministe. Extrait des statuts de l’association départementale du M.F.P.F de l’Hérault

ABONNEMENT NOM................................................................................................................................................ PRENOM......................................................................................................................................... ADRESSE........................................................................................................................................ .........................................................................................................................................................

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désire adhérer au M.F.P.F et s’abonner à la Puce à l’oreille : 20 € désire s’abonner à la Puce à l’oreille (2 à 4 numéros par an) : 8 € Merci de découper ce bulletin et de le renvoyer, accompagné de votre réglement, au M.F.PF 34 : 48 bd Rabelais 34000 Montpellier

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