Pharmaceutiques-324

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POLITIQUE, ÉCONOMIE, INNOVATION EN SANTÉ

Pharmaceutiques

MÉDICO-ÉCONOMIE

UN POTENTIEL INEXPLOITÉ

ENTRETIEN

FRANÇOIS WOHRER, DIRECTEUR DE L’INVESTISSEMENT DE LA BANQUE DES TERRITOIRES

RENCONTRE

BANA JABRI, DIRECTRICE DE L’INSTITUT IMAGINE

5. ÉDITORIAL

ALLÔ, DOCTEUR ?

7. ACTU

7 ENTRETIEN : François Wohrer, directeur de l’investissement de la Banque des Territoires

10 EN MOUVEMENT

12 POLITIQUE

13 ÉCONOMIE

14 T RIBUNE : Margaux Tellier-Poulain, responsable de projets santé et protection sociale à l’Institut Montaigne

15 DÉBAT : faut-il supprimer la voie commune aux études de santé ?

16 E-SANTÉ

18 INDUSTRIE

19. INTERNATIONAL : l’IA, une réponse aux défis des systèmes de santé

20 AGENDA

21 . INFOGRAPHIE : des soins de qualité, des points à améliorer

22 . INITIATIVES

25. ANALYSE

25. ENQUÊTE : officine, la menace des déserts pharmaceutiques

30. EN COUVERTURE Médico-économie : un potentiel inexploité

41. PROSPECTIVE

41 ENQUÊTE : biosimilaires, une décision partagée, des économies pour tous

46 EN BREF

48 INNOVATION : exposome, modéliser l’exposition d’une vie

50 EN VUE : Apmonia Therapeutics et HEPHAISTOS-Pharma

52 ENQUÊTE : Bourse, les big biotech au sommet de la cote

54. LOISIRS

56. L’INFO CONTINUE

58. RENCONTRE : Bana Jabri, directrice de l’Institut Imagine

Succession effrénée de ministres de la Santé, PLFSS en séance de rattrapage, épée de Damoclès de la censure, équation impossible pour financer l’Ondam, erreurs de la DSS dans le calcul du déficit, insincérité des estimations macroéconomiques… La litanie des récents couacs interroge : y a-t-il un pilote dans l’avion ? La crise politique a bon dos. En réalité, derrière le prétexte d’une Assemblée nationale ingérable, c’est une vraie stratégie pour la santé qui fait défaut. Depuis le début du second quinquennat, le thème n’a quasiment pas été abordé par le président de la République. Et François Bayrou l’a évoqué en trois minutes à la fin de son discours de politique générale ! A part la relève surprise de l’Ondam, aucune doctrine ambitieuse n’aura été affichée par le Premier ministre. Et encore… Le demi-point supplémentaire du budget 2025 correspond à des dépenses de fonctionnement pour tenter d’alléger un peu la dette des hôpitaux et la souffrance au travail des soignants. A défaut de recettes simples, comme le recul sur la hausse du ticket modérateur ou de la taxe sur les complémentaires santé, il est à parier que ce sont toujours les mêmes – industriels en tête –qui passeront à la caisse.

Que dire des ambitions « systémiques » portées au sortir de la crise sanitaire ? Le développement de la prévention devait être le grand œuvre du second quinquennat. Il se résume aux trois consultations aux âges clés de la vie… Un maigre bilan, quand le directeur général de la santé lui-même admettait, mi-décembre, lors de l’anniversaire de l’Agence de l’innovation en santé, qu’il n’y a pas de modèle économique attractif. Et que penser de la Stratégie nationale

ALLÔ, DOCTEUR ?

de santé, dont l’élaboration est totalement passée sous les radars, alors qu’elle devait, en théorie, être rendue publique… en 2023 ? Et 2023, c’est aussi l’année du rapport de la mission Borne, resté lettre morte malgré la qualité du diagnostic et la force des propositions.

Face aux déserts médicaux, le désert des idées s’éternise. Deux cents parlementaires appellent à la coercition en restreignant la liberté d’installation. Qui peut croire que l’on attirera ainsi les étudiants vers la médecine de ville ? La médecine salariée progresse, pourquoi pas ? Mais le salariat implique les 35 heures, et donc la réduction du temps médical disponible. Les nouveaux modes d’organisation territoriale se multiplient (MSP, ESP, ESS, CPTS…), mais sans qu’aucun suivi sérieux, en termes d’impact, ne soit proposé. La Cnam se félicite que la courbe des patients en ALD sans médecin traitant s’inverse… mais elle stagne à un niveau dramatiquement préoccupant, dont il faudrait documenter les conséquences en termes de perte de chance.

Bref, ce lent déclin du « meilleur système de santé du monde » (l’OMS en 2000 !) s’explique d’abord par une faute collective : le défaut de prospective. Aucune analyse des besoins sur vingt ans en matière de démographie médicale, faible anticipation des conséquences sanitaires de la transition épidémiologique, incapacité à prévoir les effets budgétaires de l’accélération de l’innovation en santé… Il est temps de renverser la table, sous peine de menacer les fondements de la santé pour tous.

hrequillart@pharmaceutiques.com

@H_Requillart

© Eric Durand

LRecherche, innovation, accès aux soins, politiques publiques… Le numérique bouleverse en profondeur le champ de la santé

LUNETTES AUDITIVES

EssilorLuxottica rachète Pulse Audition

GAËL LE BOHEC et SÉBASTIEN VALENTINI, fondateurs de

Hopinnov numérise les protocoles

sert à la préparation du matériel nécessaire aux interventions. Déjà à la tête d’Optilog Santé, cabinet de conseil en logistique hospitalière, Gaël Le Bohec a créé en 2022, avec Sébastien Valentini, Hopinnov, SAS au capital de 100 avoir découvert que tous les protocoles et fiches d’intervention des blocs opératoires étaient encore au format papier. « des préparations chirurgicales sont non conformes parce qu’il manque du matériel ou qu’il y en a en trop », affirme Gaël Le Bohec, DG d’Hopinnov. L’outil permet de numériser chaque protocole : « Poc & Pick s’interface avec le logiciel des stocks et aide les infirmières de blocs, équipées d’une tablette ou d’un smartphone, à trouver la liste du matériel nécessaire à chaque intervention et son emplacement dans le stock. » La solution contribue à améliorer la conformité des préparations (de 60 à 90 %), à gagner du temps, mais aussi à réduire les pertes et les produits périmés. « Poc & Pick fait gagner 5 000 à 10 euros par an aux blocs », affirme Gaël Le Bohec. Aujourd’hui, Hopinnov compte quatre salariés et équipe huit établissements du Grand Ouest. Et l’entreprise entend gagner d’autres marchés en France, où un millier d’établissements de santé disposent d’un bloc opératoire.

EssilorLuxottica a annoncé avoir acquis Pulse Audition pour exploiter dans ses lunettes auditives la solution embarquée élaborée par la start-up française. Avec cette technologie, qui réduit le bruit ambiant et réhausse la voix grâce à l’IA, les personnes malentendantes peuvent mieux entendre dans un environnement bruyant. Cette opération intervient alors que Samsung, Google, Xiaomi ou encore Meta travailleraient sur des projets de lunettes connectées.

«Omnia est un ange gardien silencieux, capable de prédétecter les maladies et de créer une alerte pour mettre en relation avec le corps médical. A travers un miroir connecté, cette solution va analyser l’évolution sur le long terme de données de santé issues de nos produits, le pèse-personne, le capteur de sommeil ou une montre connectée. Omnia aidera à détecter la maladie le plus tôt possible au moment où elle est réversible. »

ÉRIC CARREEL, président de Withings, aux Voix de la Tech, lors du CES 2025

TECHNOLOGIE D’ASSISTANCE VOCALE

Whispp redonne la parole

En chiffres

C’est la levée de fonds réalisée par Innovaccer, société américaine axée sur les données de santé et l’IA, annoncée lors de la dernière conférence J.P. Morgan Healthcare. millions de dollars

start-up françaises de la e-santé et de la healthtech étaient présentes au CES de Las Vegas, le plus grand salon technologique au monde, du 7 au 10 janvier 2025.

auréate d’un Innovation Award au CES 2024, la start-up néerlandaise Whispp a présenté en janvier à Las Vegas les nouvelles fonctionnalités de son appli éponyme. Disponible en France sur iOS et Android, elle permet aux personnes dont la voix est altérée (cancer de la gorge, dysphonie...) ou qui souffrent d’un bégaiement sévère de la convertir grâce à l’IA depuis un smartphone en une voix plus naturelle.

solutions sur 10 réutilisant des données de santé ont une composante d’IA, selon un panorama des éditeurs de logiciels de l’Anap et du HDH.

© Hopinnov
Pulse Audition
Whispp
Hopinnov.

Pour une IA transparente en santé mentale

Parce que l’IA est riche en promesses pour la santé mentale, le collectif MentalTech formule dix recommandations pour garantir la conception de solutions éthiques évitant le risque de dérives.

> Avis de l’expert

ARNAUD BRESSOT, CONSULTANT IA EN SANTÉ MENTALE

“Il est crucial de créer une numéricovigilance”

Pourquoi le collectif MentalTech a-t-il rédigé ce rapport ?

L’IA est devenue omniprésente avec ChatGPT mais il n’y a aujourd’hui pas de cadre d’application de l’IA en santé mentale. Il existe des règlementations (IA Act, règlement des DM, RGPD…) mais elles ne tiennent pas suffisamment compte de la notion de cas d’usage. Il est crucial de créer une “numéricovigilance” pour encadrer l’utilisation de l’IA en santé mentale. Nous proposons que dans les sociétés, un comité pluridisciplinaire indépendant porte la responsabilité de l’usage éthique des algorithmes.

Dans quels domaines de la santé mentale l’IA peut-elle apporter des avancées ?

IA et santé mentale sont imbriquées depuis longtemps. La première IA appliquée au champ de la psychologie, le chatbot ELIZA, écrit par Joseph Weizenbaum pour reformuler les questions des patients, remonte à 1964. Il existe aujourd’hui de nombreuses solutions de santé mentale : Quit Sense pour arrêter de fumer, Emobot pour étudier les émotions… L’IA a un grand potentiel : elle peut aider à recommander des ressources pertinentes, contribuer à affiner le diagnostic ou la décision, synthétiser les conclusions des professionnels de santé ou prédire le risque de rechute.

Quels sont les dangers d’une mauvaise utilisation de l’IA en santé mentale ?

Si l’algorithme va à l’encontre du bien du patient, il faut mesurer quel peut être son impact. Si une personne a une dépression et que l’algorithme suggère des outils inutiles ou qui aggravent son cas, nous devons en être alertés. Il faut aussi veiller à la sécurité des données dans un domaine aussi sensible que la santé mentale. Enfin, il importe de les protéger vis-à-vis de l’étranger. Les données de ChatGPT, par exemple, sont stockées aux EtatsUnis dans des serveurs sur lesquels nous n’avons aucun contrôle.

Deux hommes se sont suicidés en Belgique et aux Etats-Unis après des heures d’échange avec un robot conversationnel. N’y a-t-il pas urgence à agir ? Ces évènements montrent que les IA générales ne sont pas adaptées pour gérer la psychologie et la psychiatrie. C’est pour cela qu’il importe de bien cadrer les algorithmes développés en santé mentale afin qu’ils ne puissent pas causer de tort aux patients. Les comités scientifiques pluridisciplinaires mis en place dans les entreprises (avec un médecin, un expert en IA, un éthicien…) pourraient identifier tous les risques auxquels s’exposent leurs solutions et mettre en place les garde-fous pour les éviter.

DATES CLÉS

2020 : master 2 en IA et informatique à l’université Claude-Bernard Lyon 1 2021-2023 : datascientist chez Capgemini

Depuis juillet 2023 : développeur IA en santé mentale chez MentalTechMaker

Octobre 2024 : co-auteur du rapport de MentalTech « IA et santé mentale » avec Alexia Adda, Geoffrey Post et Sabine Allouchery

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Notre analyse

Le collectif MentalTech veut garantir une utilisation responsable et transparente des solutions numériques et d’IA, appelées à jouer un rôle important en santé mentale, grande cause nationale en 2025.

Les troubles psychiques (dépression, anxiété, stress…) touchent un Français sur cinq et constituent le premier poste de dépenses de l’Assurance Maladie. Et s’il est un domaine où l’intelligence artificielle ouvre des perspectives, c’est bien la santé mentale. « L’IA en santé mentale permet de rendre le soutien plus personnalisé, accessible et orienté vers la prévention, observe le collectif MentalTech, qui fédère plus d’une trentaine d’acteurs du secteur (institutionnels, start-up et professionnels de santé) dans un récent rapport sur l’IA et la santé mentale. Cependant son utilisation n’est pas toujours appropriée ni optimale, selon le collectif.

Face à la prolifération des outils l’IA et à leur intégration croissante dans le secteur de la santé mentale, MentalTech réclame la définition de cadres clairs et robustes pour « garantir la sécurité des patients et détecter rapidement les dérives potentielles des dispositifs d’IA, tout en préservant un équilibre entre innovation technologique et respect des principes éthiques fondamentaux ». Dans son rapport remis au Premier ministre et aux ministres en charge du Numérique et de la Santé, le collectif formule dix propositions. Il préconise notamment de former le personnel soignant à l’IA, d’utiliser l’IA de manière transparente et de documenter le processus qui a conduit à toute décision. Les métriques d’utilisation de l’IA doivent pouvoir être paramétrées par rapport aux cas d’usage de la solution, et cette dernière doit être personnalisable en fonction du profil des utilisateurs. Une notice d’information expliquant le dispositif d’IA devrait leur être adressée. Selon le collectif, il est nécessaire de s’assurer de l’absence de conflits d’intérêts entre l’instance qui dépiste les troubles et celle qui les traite. Et que les algorithmes puissent être entraînés sur des populations appropriées afin de disposer d’une représentation des données pertinentes pour les patients cibles.

L’AGENCE WAT PILOTE LA COMMUNICATION DE L’OPCO SANTÉ

Ses missions incluent les campagnes grand public de l’organisme de formation pour attirer jeunes et professionnels en reconversion vers les métiers du social et de la santé, la communication B to B avec les adhérents et la communication interne et institutionnelle auprès des partenaires clés, comme le ministère de la Santé et France Travail. Selon Céline Thillet, directrice du planning stratégique du groupe We are together, qui rassemble également les entités All Contents et The Social Republic, l’objectif est de valoriser la marque et les métiers du secteur dans un contexte de transformation du recrutement et de la formation professionnelle. Le groupe compte aussi parmi ses clients l’Ordre national des pharmaciens, l’INCa, le groupe SOS et la Ligue contre le cancer.

LE GROUPE EQUASENS ACQUIERT

La reprise du spécialiste des logiciels SaaS pour les médecins et chirurgiens libéraux renforce la position d’Equasens sur le marché des logiciels de gestion de cabinet (LGC) 100 % cloud en France, avec les solutions Calimed pour les chirurgiens, intégrant des fonctionnalités avancées comme le suivi pré-, per- et postopératoire, et Easy-care, un LGC ergonomique et certifié Ségur pour les médecins généralistes et spécialistes. Avec près de 4 000 utilisateurs actifs et une forte croissance, Calimed rejoint la division Medical Solutions d’Equasens et complète son offre auprès des professions médicales et paramédicales (MédiStory, Medilink, Infipratik, Kinépratik), totalisant ainsi plus de 25 000 utilisateurs. L’acquisition permettra notamment d’intégrer des innovations comme la messagerie PandaLab Pro et l’assistant vocal IA Loquii.

APlcimed propose une série de services sur mesure en solutions digitales et IA destinée aux acteurs des sciences de la vie (pharmaceutiques, dispositifs médicaux, biotechnologies). Fondée sur ses expertises en santé et innovation, cette activité réunit une équipe spécialisée en sciences de la vie et data science pour répondre à trois besoins principaux : accroître les connaissances et accélérer l’investigation grâce au data mining et au machine learning, améliorer l’analyse et le partage d’information via la GenAI et la visualisation des données, automatiser les flux de travail et renforcer les équipes grâce à des solutions digitales personnalisées et des modules d’IA. Nautilus.ai s’appuie sur un large écosystème de partenaires et des technologies modulables pour répondre aux besoins spécifiques de ses clients.

harmaLex, membre du groupe Cencora, lance une nouvelle offre de Clinical Services (CLS). La solution complète allie soutien au développement clinique, analyse avancée des données et gestion optimisée des Trial Master Files (TMF) via le système PhlexTMF, réduisant les risques d’inspection. Accompagnant les projets depuis les premières études jusqu’à la commercialisation et au développement post-AMM, PharmaLex fournit des stratégies robustes pour maximiser la valeur des actifs. En transformant les données en insights précieux, CLS aide les entreprises pharmaceutiques et biotechnologiques à relever les défis complexes du développement clinique et règlementaire.

UNE ÉTUDE CLINIQUE

COMPLICATIONS OBSTÉTRICALES

Mumming initie PeriFlex, la première étude mondiale sur l’impact de l’assouplissement du périnée, avec Emagina, un dispositif combinant ballon vaginal connecté et application mobile. Appuyée par un partenariat stratégique avec la société libheros, qui mobilise ses 1 000 sages-femmes, l’étude inclura 88 primipares dans 14 centres en France, sous la coordination du Dr David Desseauve, obstétricien au CHU de Grenoble. Elle vise à réduire les déchirures périnéales et épisiotomies, tout en collectant des données inédites pour améliorer la prévention des complications obstétricales et l’expérience des femmes lors de l’accouchement. Les résultats sont attendus à l’automne 2025.

DIX TENDANCES SOCIAL MEDIA À SURVEILLER SELON RCA FACTORY

En 2025, les réseaux sociaux vont continuer à jouer un rôle clé dans les stratégies de communication. L’IA générative va s’imposer dans la création de contenus personnalisés, avec l’avènement des premiers clones numériques de médecins sous forme d’avatars interactifs. La data et les expériences multiplateformes permettront d’optimiser les campagnes à 360° pour un ciblage et un impact maximaux. La différenciation passera aussi par une identité visuelle forte, avec la vidéo courte comme levier phare. Les KOLs deviendront essentiels pour mobiliser professionnels et patients, soutenus par des directions médicales actives, en passant par une montée en puissance de TikTok, Facebook et un retour de X (ex-Twitter) dans la communication institutionnelle. L’incarnation via les individus (DOLs ou social CEOs) va renforcer l’authenticité des messages. « En 2025, les acteurs santé et pharma devront allier innovation, éthique et patient-centricité », estime David Reguer, président de RCA Factory.

MÉDICO-ÉCONOMIE

UN POTENTIEL INEXPLOITÉ

MAJORITAIREMENT UTILISÉES EN FRANCE POUR ÉVALUER

L’EFFICIENCE DES PRODUITS DE SANTÉ ET LEUR IMPACT BUDGÉTAIRE, LES ANALYSES MÉDICO-ÉCONOMIQUES

CONSTITUENT UNE MINE D’INFORMATIONS SOUS-EXPLOITÉES, QUI PERMETTRAIENT DE MIEUX HIÉRARCHISER LES INTERVENTIONS DE SANTÉ, D’ANTICIPER LES BOULEVERSEMENTS ORGANISATIONNELS DU SYSTÈME DE SANTÉ APPORTÉS PAR CES INNOVATIONS ET D’APPRÉHENDER LEUR UTILITÉ SOCIÉTALE.

Alors que des réflexions sont en cours pour élargir le périmètre des produits éligibles et faire un meilleur usage des avis d’efficience par les décideurs, d’autres pistes sont à explorer pour faire de la médico-économie un véritable outil de transformation du système de santé. L’enjeu est d’optimiser les trajectoires de soins, de réduire les inégalités et d’améliorer l’accès aux solutions de santé.

Par Julie Wierzbicki, Hervé Réquillart et Fabien Nizon

Médecin chercheuse

Ayant fait dialoguer la médecine et la recherche tout au long de sa carrière, Bana Jabri partage pleinement la vision de l’Institut Imagine, dont elle vient de prendre la direction. S’inspirant de l’état d’esprit américain, elle veut donner aux jeunes chercheurs les moyens de briller.

«Un retour aux sources

Après plus de 25 ans d’une brillante car rière aux Etats-Unis, Bana Jabri revient en France comme directrice de l’institut hospi talo-universitaire Imagine, adossé à l’hôpital Necker-Enfants malades où elle a débuté sa carrière de médecin… et de chercheuse. Lors de son premier stage d’internat en gastroentérologie, elle assiste à une présentation des travaux de Delphine Guy-Grand sur le marquage des cellules immunitaires chez la souris. Elle envisage d’utiliser la même ap proche chez les enfants de son service souf frant de diarrhées sévères pour comprendre les ressorts immunologiques de leur mala die. Elle soumet l’idée au Pr Claude Gris celli, alors chef du service d’immunologie pédiatrique et futur fondateur de l’Institut Imagine. « Au lieu de renvoyer la toute jeune interne que j’étais, il m’a encouragée et m’a mise en contact avec les chercheurs de son unité », raconte-t-elle. « Dans nos générations, elle a été de ceux qui ont utilisé le plus vite et le plus tôt la possibilité de tester en laboratoire des hypothèses nées des observations cliniques », se souvient avec admiration le Pr Stanislas Lyonnet, précédent directeur d’Imagine, également interne à Necker à cette époque. « C’est quelqu’un de visionnaire, renchérit son amie Yasmine Belkaid, directrice générale de l’Institut Pasteur. Elle possède une compréhension profonde, assez unique, à la fois des enjeux de la biologie et de la médecine. »

Cette conviction que la recherche doit accompagner la médecine pour améliorer les pratiques, Bana Jabri l’a acquise très tôt, dès son externat, au début des années 1980, confrontée aux premiers patients atteints du VIH. Sa vocation de médecin lui est venue plut tôt encore, dès l’âge de 6 ans, même si l’histoire et la philosophie l’ont également attirée. Née à Alep d’un père syrien et d’une mère arménienne, élevée en Allemagne puis en France où elle est arrivée à 12 ans, elle en conserve une forte capacité d’adaptation et « une reconnaissance des spécificités de chaque culture et des valeurs humaines qui les transcendent » – un atout dans une carrière

FONCTION /

Bana Jabri, 64 ans, directrice de l’Institut Imagine

DATES CLÉS /

1985 : premier stage d’internat à l’hôpital Necker-Enfants malades à Paris

1994 : cheffe de clinique à Necker 2011 : professeure titulaire à l’université de Chicago

2018 : prend la direction de la chaire d’immunologie et de médecine

“Sara et Harold Lincoln Thompson” de l’université de Chicago

CÔTÉ COULISSES / Un loisir : la randonnée

Un compositeur : Maurice Ravel, Erik Satie… : « Je préfère les musiques relaxantes aux grandes symphonies. »

Une citation : « Il faut encore avoir le chaos en soi pour pouvoir donner naissance à une étoile dansante »

(Friedrich Nietzsche, Ainsi parlait Zarathoustra)

où elle côtoie des chercheurs de multiples nationalités. Elle possède aussi une capacité de travail peu commune lorsqu’elle doit mener de front son internat de médecine – durant lequel elle donne naissance à son premier enfant – et son retour sur les bancs de l’université pour obtenir une maîtrise, sésame indispensable à un DEA, puis un doctorat en sciences. Cette expérience la sensibilise particulièrement au frein que représente encore aujourd’hui la maternité pour les jeunes chercheuses. Son diplôme en poche, elle effectue un premier séjour aux Etats-Unis, au NIH, pour « apprendre la recherche en bénéficiant de leur avance technologique ». Elle y rencontre celui qui deviendra son second mari, Albert Bendelac, également immunologiste, avec lequel elle cosignera plusieurs publications. Revenue en France le temps d’un clinicat à Necker, c’est finalement outre-Atlantique qu’elle construira sa carrière à partir de 1999, d’abord à Princeton puis à Chicago. « J’ai dû repartir de zéro, sans mentor ni subvention. Mais l’état d’esprit me convenait beaucoup mieux ! » Les reconnaissances s’enchaînent, jusqu’à l’apogée il y a deux ans : l’obtention d’un financement de 12 millions de dollars pour conduire ses recherches sur la compréhension des mécanismes de la destruction tissulaire ou de la cicatrisation dans la maladie cœliaque. Un projet qu’elle compte bien continuer à gérer à distance, en parallèle de la direction d’Imagine. Au sommet de sa carrière américaine et souhaitant épauler son mari face à la maladie (il décédera en août 2023), elle hésite quand le Pr Alain Fischer – premier directeur de l’IHU – lui propose de candidater à la succession de Stanislas Lyonnet. Elle se laisse finalement convaincre, enthousiasmée par l’approche interdisciplinaire de l’institut. En tête de liste, elle peut imposer ses conditions, notamment la création de chaires de professeurs juniors. « Avoir réussi à recruter quelqu’un comme elle est un tour de force et une chance exceptionnelle pour Imagine », salue Yasmine Belkaid. Au regard de son expérience américaine, Bana Jabri reconnaît le potentiel du système français. Les équipes de l’IHU peuvent compter sur elle pour le révéler. l

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