Littérature - Poésie - Sciences humaines :: avril - juillet 2023 - Serendip & Paon

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Gil Ben Aych

Genre : saga

Troisième tome de La Découverte de l’amour et du passé simple

Format : 12 x 18,5 cm

Pages : 360 Prix : 18 €

ISBN : 978-2-490251-74-2

Né en 1948 à Tlemcen en Algérie, Gil Ben Aych arrive en France à l’âge de sept ans. Après quelques années passées à Paris, il s’installe en banlieue parisienne, à Champigny. Devenu professeur de philosophie, on lui doit notamment Le Chant des êtres (Gallimard), Le Livre d’Étoile (Seuil), Le Voyage de Mémé (École des Loisirs). Son œuvre, largement autobiographique, poursuit le pari ambitieux et admirablement tenu de transformer en littérature la culture essentiellement orale du pays dont il est issu. Il a publié en avril 2021 le premier volume de La Découverte de l’amour et du passé simple : Simon et en avril 2022 le deuxième volume, Simon et Bärble, aux Éditions du Canoë.

Nous sommes en 1965, Simon a 16 ans. Il est en classe de seconde au lycée de Champigny. Son univers familial est endeuillé par la mort de son grand­père. Au fil du récit qui se déploie jusqu’à la fin 1967, le lecteur est immergé dans la vie lycéenne de l’époque, avec les portraits savoureux des profs d’Histoire et de français, d’élèves tels Chettard, actif et excellent organisateur, mais ne supportant pas de perdre, avec les démarcations entre les élèves du lycée technique et ceux du lycée général. Le lecteur y retrouve l’apprentissage de la vie, du jugement qui se fait à travers les rencontres – celui du juif azkhénaze, Itzkovitch, celui du séfarade, Jean­Marc Benhamou, à travers les lectures, les engagements politiques de profs admirés qui amènent Simon à adhérer au grand dam de son père au Parti communiste, les débats intellectuels du moment incarnés par Foucault, Althusser, Garaudy… Bref, une adolescence passionnée qui découvre aussi l’amour, chastement, maladroitement, d’une façon si éloignée de la précocité actuelle. Un merveilleux tableau de la France de la fin des années soixante, juste avant le coup de tonnerre de 1968.

Avril
Contact et libraires : colette.lambrichs@gmail.com Téléphone : 06 60 40 19 16 Diffusion et distribution : Paon diffusion.Serendip Éditions du Canoë 2023

LE TERRAIN VAGUE

Par les baies vitrées du deuxième étage du huit de l’avenue de la République, on pouvait voir facilement toute la partie ouest de Champigny, l’appartement tout entier étant orienté plein-ouest, et un œil exercé, par beau temps, aurait pu aussi bien très nettement distinguer les constructions joinvillaises des vincennoises, voire des parisiennes, tant la vue s’étendait.

Mais ces baies n’étaient honorées que de rideaux de tissus en tergal blanc, par lesquels on protège son chez-soi et qui évitaient aux vis-à-vis situés légèrement à droite de l’appartement d’y avoir accès. Ces «cités blanches », c’était l’expression consacrée dans le quartier, frontales du huit de l’avenue mais décalées donc sur la droite, étaient des H.L.M. qui donnaient par derrière sur une sorte de terrain vague où les jeunes d’alentour pouvaient, savaient, aimaient se retrouver, le plus souvent autour d’un ballon. Des équipes étaient vite organisées et tout un rituel présidait au jeu, avec cette spontanéité incomparable que déploient les enfants quand ils s’amusent vraiment.

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On ne dira alors jamais assez les trésors d’ingéniosité déployés par ces jeunes pour rendre vivable un paysage « urbain » où aucun équipement collectif n’était construit (bien que toujours prévu) pour leurs activités ludiques. On était là au début de l’ère immobilière gaullienne et pompidolienne, et si aujourd’hui cet ex-terrain vague est devenu une patinoire municipale, il faut savoir qu’à l’époque on cassait des branches d’arbres qu’on taillait pour figurer les montants verticaux des buts, on volait chez soi un kilo de farine pour tracer les limites du terrain (et on se disputait sur la distance réelle entre le point de penalty et la ligne du gardien), on essayait tant bien que mal de se trouver des vêtements de mêmes couleurs mais aux tons fatalement disparates pour faire mine d’équipement uni (« faire équipe » était le problème), on se cotisait habilement pour acheter les balles (qu’il fallait souvent renouveler parce que perdues, volées ou abîmées), on se prêtait la seule vraie paire de chaussures de football (une seule pour onze joueurs !) qu’un grand frère avait bien voulu céder au lieu de la jeter (et les autres traçaient sur leurs tennis de faux crampons avec un bouchon noirci au feu, comme on se fait des moustaches), bref on « bricolait » ainsi son football, son terrain, sa balle et ses chaussures, mais on jouait. On jouait au football – comme on doit le faire encore dans plus d’une banlieue… « bricolante » ! (Et la passion du « foot » était telle chez Simon que la première fois qu’il entendit l’expression « enfant de la balle », il crut qu’il s’agissait d’une métaphore usuelle du footballeur, quand

simplement on interviewait à la télévision une trapéziste qui apparaissait dans La piste aux étoiles, l’une de ses émissions favorites, entre autres pour les numéros comiques du clown-Auguste Achille Zavata).

Sur ce terrain vague on allait aussi parce qu’après le jeu et juste avant de rentrer on savait pouvoir faire un tour dans les caves avec celle qui accepterait, vivant dans ces cités et venant « regarder » les joueurs, de se faire toucher les seins et d’être embrassée sur la bouche à condition que ce soit à tour de rôle. Jocelyne était particulièrement friande de ces séances (mais elle n’était pas la seule), et, adossée à une porte en bois qu’elle choisissait (pourquoi ?) différente tous les jours, faisant autoritairement défiler les garçons (elle avait dix centimètres de plus que tous), elle disait au gré de son humeur (et cette surprise était excitante) : « toi oui ! » ou « toi non ! », c’était selon, et l’on touchait ses seins et baisait ses lèvres ou l’on s’en allait penaud, refusé aujourd’hui, mais obéissant toujours. Les injustices dans les tours et les protestations n’étaient pas admises, c’était la règle, et c’était cette règle injuste qui plaisait ; et, quand quelqu’un voulait recommencer, elle vous repoussait en disant : « non, une seule fois ! », la victoire entre sélectionnés étant d’avoir pu deux fois ! De temps en temps, la troupe s’égayait comme une volée de moineaux, à cause d’un bruit jugé inhabituel et parce que le guetteur, vrai ou faux, à tort ou à raison, sérieusement ou pour faire une farce, avait dit « P », signe de danger, d’une présence d’adultes. Si c’était vrai, on ne se revoyait que le lendemain en racontant ses frayeurs

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(fuite à travers les couloirs des caves), et si c’était faux, « il », le guetteur, recevait une fessée déculottée donnée par Jocelyne en personne et devant tout le monde. (En donnant ses coups, elle prononçait alors des phrases comme en disent les parents à leurs enfants, pour les « corriger », comme « tu-vas-me-faire-le-plaisir-d’êtreplus-sérieux-à-l’avenir », martelant ses gestes au rythme de ses paroles, et faisant rire l’entourage pour la vérité de l’imitation ou le faisant taire, grave, sérieux, parce que l’imitation était trop bien réussie ou qu’elle avait fait réellement mal, qu’elle avait raté l’effet comique voulu.)

Or, il fallait bien donner des doubles rideaux à ces baies vitrées, celles du séjour. Aussi Joseph proposat-il à Jeannette d’abord, qui accepta, et à l’un de ses clients bruxellois, décorateur de son métier ensuite, de venir jusqu’à Champigny afin de concevoir lesdits rideaux, les fabriquer et les installer. L’opération dura bien quinze jours. Le décorateur en question se nommait Tsvi Markus, ce prénom avait attiré l’attention de Simon (dans une colonie de vacances juive, plus jeune, un moniteur s’appelait Tsvi – et il avait appris sa mort accidentelle par la suite), et Monsieur Markus en expliqua l’origine hébraïque à table, lors d’un repas algérien qu’il avait commandé à Jeannette, entre deux prises de mesures et autres installations de tringles. La maison, dans ces conditions, était devenue un véritable chantier parce que le décorateur avait pensé un agencement qui nécessitait un travail considérable.

Après la pose des tringles, il était passé à la constitution du coffrage proprement dit, son travail vraiment, et il devait pour ce faire confectionner d’un bois très souple des sortes de lattes disposées d’un bout à l’autre du mur, pièces qui recouvriraient les tringles. Ces lattes étaient elles-mêmes capitonnées de velours rouge-carmin en une première surface, surmontée d’une autre épaisseur de bois en sa moitié, festonnée, recouverte du même velours et faisant effet de volant, mais agrémenté à son extrémité d’un ruban d’or brodé de motifs d’amour.

Le tout était, on s’en doute, long à produire et fort délicat à préparer, car une fois le velours coupé (et il devait l’être aux bonnes mesures d’emblée), il fallait encore savoir le coller savamment. Belle difficulté dont Simon n’avait pas idée, mais il apprit de la bouche de Tsvi le principe de la colle rapide, avec le plaisir qu’éprouvent les enfants quand ils sont enseignés ni par un parent ni par un professeur mais à l’improviste, par un inconnu. Simon suivait ses gestes et buvait ses paroles, conquis.

Aussi bien les trois pièces, la salle à manger, le salon et la cuisine, étaient maintenant occupées par cette activité, révolutionnant l’ordre journalier, quotidien de la maison, et l’on avait transformé tout l’appartement en un véritable petit atelier, avec sa hiérarchie et ses petites mains. Jeannette cousait les rideaux et fixait les rivets permettant de les accrocher aux tringles. Le décorateur coupait et collait le velours et les rubans sur les coffrages. Joseph, qui ordonnait la maisonnée et faisait les courses, achetant notamment ce que le décorateur

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n’avait pu apporter de Belgique par commodité, s’occupait du reste. Et les enfants, qu’on sollicitait un peu, essayaient pendant ce temps de ne pas oublier leurs devoirs scolaires en s’abstenant d’assister en spectateurs désemparés à ces authentiques séances de « tournage » décoratif, à ces projections de « cinéma » technologique, où l’intrigue était connue et décevante et les acteurs moyens, trop attendus. (Mais on aime regarder, même quand on sait ce qui va se passer, surtout les enfants.)

Au cours des interminables repas qui interrompaient le travail et où Tsvi se plaignait parfois, protestation amusée, parce qu’il mangeait et buvait trop bien, Simon fut fort intéressé de l’entendre retracer l’histoire de sa famille telle qu’il avait pu la reconstituer et telle que son père, en fait, la lui avait retransmise.

La famille Markus, tchèque si l’on remonte au début du xixe siècle, s’était déplacée en Allemagne d’abord, en Pologne ensuite, et en Russie finalement au début de notre siècle. Lui-même, Tsvi, appartenait, selon son père, à la branche polonaise, parentèle qui exerçait la profession de décorateur de père en fils depuis longtemps, pour toutes sortes de clients, y compris certaines cours européennes (Tsvi soulignant qu’il avait encore dans ses cartons des certificats de monarques attestant que ses ancêtres avaient agencé telles ou telles demeures aujourd’hui célèbres).

Mais bien que Simon eût ainsi l’impression d’être en face d’un personnage historique, mais dont les livres ne parleraient jamais parce que trop secondaire, pourtant

et malgré cette aura, une fois le travail fini, Simon contempla la chose, perplexe, et réprima son effroi pour éviter de blesser ses parents : il n’aimait pas mais pas du tout, il détestait le « coffrage » (ce mot, répété cent fois, l’exaspérait) qu’avait produit Monsieur Markus. Mais cette réaction, tout épidermique, n’avait pas pour origine l’aspect précisément esthétique de l’œuvre ; non, Simon, Simon lui-même n’aimait pas, sans parvenir encore à formuler consciemment les raisons de son exaspération, car cet attirail de broderie dorée et de velours rouge, et tout ce décor « capitonné » (autre mot détesté viscéralement) lui apparaissait comme mortuaire. Non, Simon refusait cela, d’un refus troublé et troublant, parce que simplement tout cet attirail faisait un peu deuil, « cas-d’obsèques », enterrement même, et qu’il refusait, et pour cause, ce système décoratif thanatocratique infligé à ses parents, avec leur consentement, voire leur fierté.

Le jour où Tsvi s’en alla, Simon fut courtois et le salua (et celui-ci n’avait d’ailleurs que faire de l’avis du fils aîné de son client), et s’assit, songeur, sur l’un des fauteuils du salon, rouge aussi mais d’un ton tout autre que celui des rideaux. Sachant encore que dans la chambre des parents, le même système avait été adopté, à cette différence près (heureusement) que le velours ici au lieu d’être rouge-sang était bleu-roi : et Simon s’interrogeait fébrilement sur la transformation des lieux subie par le passage du décorateur, et ces envies parentales de décorations « capitonnées ».

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Où était-il désormais ? Chez lui ou chez lui ? Simon était-il encore chez Simon ? Et le huit ne lui semblait plus être sa véritable demeure, pire encore Simon eut le désagréable pressentiment, alors qu’on s’installait heureusement dans un nouveau lieu, que quelqu’un, un décorateur, un importun était venu y mettre non pas sa « merde » comme on dit familièrement aujourd’hui, mais sa mort. On va voir pourquoi. (Comme si un ashkénaze était venu dire à des sépharades : « prenez votre part de mort vous aussi ! »).

Effectivement, et effectivement, pendant un des autres repas pris en commun (et Tsvi avait vécu là quinze jours), Monsieur Markus avait signalé, un soir de confidences, au moment du pousse-café (et discrètement parce que la remémoration, on le conçoit, lui en était pénible), Monsieur Markus avait donc raconté sobrement comment une partie non négligeable de sa famille avait été éliminée dans les camps d’extermination par les nazis.

Bien que succinct, presque abrégé, ce récit avait drôlement travaillé Simon et il était maintenant tout empêtré, embarrassé, envoûté dans le halo de mort qui entourait la personne du décorateur-récitant, surtout depuis cette narration intime et éprouvante. (En dépit de cette tête et de cette dignité superbe, intelligente, que n’avait pas quittée l’ami de son père.)

Simon se tenait là, assis, devisant dans le vague, persuadé que ce monsieur, en transformant son univers par un « coffrage », et en ayant laissé cette « histoire-de-mort »

avant de disparaître, avait aussi accroché cette mort ici, la mort en personne, aux tringles de la demeure familiale, tout en en confectionnant ces rideaux, ces objets, ces rideaux qui permettent de fabriquer sa propre intimité, jusqu’à la plus secrète. Et les coffrages des rideaux devenaient des cercueils suspendus, au grand désarroi de Simon, comme des êtres fantomatiques, des personnages d’une pièce où il n’avait pas envie que ses parents jouent. Rideaux, rideaux fermés.

Simon en était là de ses pérégrinations mélancoliques quand il se produisit un fait qui doit survenir deux-trois fois maximum dans une vie et que l’on pourrait qualifier de télescopage morbide. Le téléphone retentit. C’était Michel, propriétaire du « p’tit club », et il annonçait que Claude, son meilleur ami, venait de mourir d’une leucémie foudroyante. Penser la mort, par « rideaux » interposés, quand on vous annonce la mort d’une connaissance, cette coïncidence l’intrigua, mais l’intriguait seulement, probablement parce qu’à l’époque Simon n’avait pas pensé au rapprochement possible entre la mort et un rideau fermé. Simon s’interrogeait certes, mais les questions alors étaient plus nombreuses que les réponses.

Le décorateur, le coffrage et la mort de Claude se mélangèrent dans la tête de Simon et formèrent un salmigondis d’images se heurtant les unes contre les autres. Après un long moment d’hébétude passé sur le fauteuil du salon, Simon s’en alla dans sa chambre où il resta, debout, devant la fenêtre : il vit des voisins dans le

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pavillon mitoyen fêter quelque chose comme un anniversaire, du moins le pensa-t-il à cause des bougies qui brûlaient sur un gâteau, se prit la tête entre les mains et essaya, comme par pression violente, d’en exprimer les visions cauchemardesques qui le harcelaient. Il ouvrit la fenêtre, stationna sur le balcon, et murmura en luimême : « Je ne veux pas que mes parents meurent, ne me faites pas ça ! » D’autres scènes envahirent son imagination, puis il entra de nouveau dans sa chambre, referma la porte, et se mit au lit. Un proverbe arabe dit que lorsqu’on pense à la mort elle vient toujours frapper quelque part, c’était vrai ici pour cet ami. Plus encore, puisque pris d’insomnie, Simon essayait d’imaginer ses réactions dans le cas où on lui aurait annoncé la mort de Peggy. Il s’imaginait seul, marchant infiniment dans un couloir de béton lui-même infini, puis, commençant néanmoins de fermer les yeux, il cria très fort en luimême (au point qu’il crut qu’on l’entendrait, alors qu’il n’avait proféré aucun son) : « Peggy ! », insistant longuement sur le « g » final . Un « Peggy »-muet !

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Gil Ben Aych

Genre : récit

Format : 12 x 18,5 cm

Pages : 320 Prix : 18 €

ISBN : 978-2-490251-60-5

Né en 1948 à Tlemcen en Algérie, Gil Ben Aych arrive en France à l’âge de sept ans. Après quelques années passées à Paris, il s’installe en banlieue parisienne, à Champigny. Devenu professeur de philosophie, on lui doit notamment Le Chant des êtres (Gallimard), Le Livre d’Étoile (Seuil), Le Voyage de Mémé (École des Loisirs). Son œuvre, largement autobiographique, poursuit le pari ambitieux et admirablement tenu de transformer en littérature la culture essentiellement orale du pays dont il est issu. Il a publié en avril 2021 le premier volume de La Découverte de l’amour et du passé simple : Simon, aux Éditions du Canoë.

Dans ce deuxième volume, le héros, Simon, a 13 ans. Il observe la famille au sens large, cousins, cousines proches ou éloignées, leurs parents, avec humour et tendresse. C’est la découverte des filles, des différences sociales. Petit-bourgeois de banlieue populaire, il observe, déchiffre les prises de position des uns et des autres, compare, mesure, s’initie à la politique, au théâtre, découvre le sionisme dans un camp de vacances à Hyères, le travail dans un grand magasin au rayon tissus, et après dans une usine où l’on fabrique des boulons au cours d’un voyage en Allemagne pour des vacances avec son frère Abram. C’est le temps de l’apprentissage, de la rencontre avec Bärble, des lectures, des timidités de l’amour naissant, des gaucheries, de toutes les inquiétudes, des doutes qui caractérisent l’âge incertain de l’adolescence.

Avril
Contact et libraires : colette.lambrichs@gmail.com Téléphone : 06 60 40 19 16 Diffusion et distribution : Paon diffusion.Serendip Éditions du Canoë 2022

Gil Ben Aych

Éditions du Canoë

Genre : récit

Format : 12 x 18,5 cm

Pages : 320 Prix : 18 € ISBN : 978-2-490251-3-91

Né en 1948 à Tlemcen en Algérie, Gil Ben Aych arrive en France avec sa famille à l’âge de 7 ans. Après quelques années passées à Paris, ils s’installent en banlieue parisienne à Champigny. Toute son œuvre, abondante et très populaire, (Voyage de Mémé, L’Essuie-main des pieds, Le livre d’Étoile, Le Chant des Êtres, Au jour le jour ) raconte à travers son expérience et celle de ses proches, l’histoire d’une famille juive en France dans les quartiers tenus à l’époque par le parti communiste. Devenu professeur de philosophie, il poursuit dans le dernier volume de La Découverte de l’amour et du passé simple, intitulé Soixante-huit, le pari ambitieux et admirablement tenu de transformer en littérature, la culture essentiellement orale du pays dont il est issu.

La Découverte de l’amour et du passé simple est une saga en 4 volumes de l’histoire de l’émigration en 1956 d’une famille juive algérienne en France et de sa vie jusqu’à la fin des années soixante – Soixantehuit étant le sujet du dernier volume, à paraître en 2022. Le héros porte le nom de Simon. Il a, comme l’auteur, 7 ans lorsqu’il quitte Tlemcen pour habiter Paris, puis Champigny, la banlieue rouge, dans ces années-là, tenue par le parti communiste. Dans la culture orale dont Simon vient, l’écrit est réservé à Dieu. Dans son appropriation progressive de la culture française, il s’éloigne à mesure de son passé, de ses couleurs, de ses accents. Le premier livre, Simon, paru en 2002 aux Éditions Exils, dévoile un appartement de Champigny, son collège avec ses profs, les commerçants, la nourriture, le porc, la banlieue, ses parents exilés et la conscience encore embryonnaire qu’il pénètre dans un monde autre qu’il faudra faire sien s’il veut transgresser l’interdit implicite de sa culture : écrire. Dans les volumes prochains Simon et Bärble et Simon et Peggy, le lecteur retrouvera la famille au sens large. La série s’achève sur Soixante-huit à paraître ultérieurement qui clôt cette véritable fresque des années soixante qui nous plonge dans un monde disparu dont l’évocation à la fois drôle et tendre arrache souvent des larmes.

Contact et libraires : colette.lambrichs@gmail.com ; tel 06 60 40 19 16

Diffusion-distribution : Paon diffusion.Serendip

2021
9 avril

Hélice Hélas Editeur

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Petites proses éthyliques

Collectif

Petites proses éthyliques est le résultat d’une expérimentation gustative, théâtrale et littéraire. Entre 2021 et 2022, quinze auteur·trice·s ont reçu par la poste tantôt une bouteille de bière, tantôt de vin, ou alors un flacon de spiritueux. Leur impérieuse contrainte : déguster posément, se laisser inspirer par les saveurs, les acidités, les sapidités, les âpretés, se laisser envahir par les textures, les mémoires et les agencements insolites. A partir de cette première expérience, prendre la plume, conserver l’ineffable et le furtif, le remodeler et le distiller, et tels des alchimistes, passer de l’état liquide à l’éthérique, au monde des mots, des idées et des images. Ces textes ont ensuite été mis en voix par Vincent Held et en musique par le pianiste Lucas Buclin dans le cadre de trois soirées thématiques au Théâtre de l’Echandole à Yverdon-les-Bains.

Cet ouvrage recueille ainsi quinze textes sur des bières, des vins et des spiritueux d’artisans et d’artisanes. Si ces derniers ont leur ancrage en Suisse, les différents textes délivrent une clé subtile pour aller à la découverte du travail d’autres artisans que comptent les contrées d’ici ou de là-bas. Ce sont ainsi quinze univers issus de plumes confirmées qui se laissent à leur tour déguster, sans la même modération requise que pour des alcools. Entre découvertes sensorielles, récits d’initiations, récit noir ou d’une longue veillée au coin d’un feu, ces Petites proses éthyliques pourraient bien agir comme des levures pour fermenter vos propres imaginaires et arts de la dégustation.

Sur les auteur·trice·s :

Tous issus des Lettres romandes, les quinze auteur·trice·s de cet ouvrage explorent des genres et des styles qui leur sont propres : du roman social au thriller, de l’anticipation au récit arthurien, de l’autofiction à la philosophie et à la poésie.

Contributions de : Thomas Flahaut, Claire May, Marie-Christine Horn, Jean-Pierre Rochat, Cédric Pignat, Alexandre Grandjean, Corinne Desarzens, Valérie Gilliard, Lolvé Tillmanns, Frédéric Jaccaud, André Ourednik, Florian Eglin, Marie-Jeanne Urech, Raluca Antonescu, Maxime Maillard.

Curation et préface de Thierry Raboud

Collection : Mycélium mi-raisin

Genre : Nouvelles Sujets abordés :

Format 14.5x18.5 cm, 128 pages ISBN : 9782940700332 CHF 22/EUR 14 Parution avril 2022

ARCHÉOLOGIE DU CLUB IMAGINAIRE

Thomas Flahaut

Accords

Nova, Bière blanche, 5.6% Brasserie Mountain View, Villars-Burquin (Vaud)

« We’ve lived in bars and danced on the tables Hotels, trains and ships that sail. » Cat Power

Un ami est venu pour m’aider à écrire ce texte puisque j’étais incapable de l’écrire seul. L’ami, appelons-le Tony. Disons que Tony m’a souvent aidé. Tony a essuyé mes larmes et ma haine souvent, en silence, en ami, ses rires ont nourri les miens. Il ne m’a jamais dit que je me lamentais trop, que j’étais ridicule. Il m’aidait quand je n’étais pas vieux et j’imagine qu’il m’aidera encore quand je serai plus vieux que maintenant. « Maintenant », c’est trente ans et c’est vieux, tout de même, même Tony en convient : j’ai trente ans et je ne bois plus de bière. Pour Tony, pouvoir prendre les décisions d’arrêter de fumer, d’arrêter de boire de la bière c’est déjà être vieux. Je crois qu’il a raison. C’est vrai que je toussais et que mon estomac me brûlait après un demi. Mais tenir compte des douleurs, des symptômes, en parler au médecin et changer un peu de façon de vivre pour y répondre est pour moi plutôt le signe d’un changement de classe que d’un changement d’âge. De mémoire, autour de moi, personne ne s’est jamais inquiété de tout cela. Aucun homme tout du moins. L’exploitation ne se contente pas de nous briser le corps. Elle nous déporte de lui. On le regarde se faire briser. Un jour, il est tout à fait brisé. Alors il s’en va et on s’en va avec lui.

J’ai fait le vœu de ne plus jamais boire de bière et je m’y tiens plutôt bien, donc. Tony me comprend, sans doute, bien que son corps à lui encaisse encore tout. Tony m’aide : il boit à ma place et je le questionne.

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Est-ce qu’elle s’ouvre facilement, cette bouteille ?

Tony ne les ouvre plus avec les dents depuis longtemps. Pour préciser : il ne l’a fait qu’une fois, à ma connaissance. Un bout d’émail a sauté en même temps que la capsule à couronne. J’ai un jour reçu une bourse littéraire d’une fondation créée avec l’argent de la vente de capsules à couronne. Vous avez sans doute déjà bu une bière qui m’a permis, à moi, de m’acheter un paquet de pâtes. Selon Tony, je raconte trop souvent cette histoire. Et bien, cette bière, ça s’ouvre comme une bière.

Quel goût a-t-elle cette bière ?

C’est de la bière. A la fin de la deuxième bouteille, Tony l’assure, c’est encore de la bière. « C’est un bon point, ajoute-t-il. La deuxième c’est souvent de la pisse mais pas celle-là. » Voilà l’analyse de Tony, donc. Il m’a dit beaucoup d’autres choses mais ces choses ne vous regardent pas. Ce qui importe, je crois, c’est ce que Tony a laissé en partant. Ce qui me fait aimer Tony, c’est ce qui me reste après son départ. Ça a été beaucoup de choses pendant beaucoup d’années mais ce soir, c’est une tache de bière sur le formica jaune de la table de ma cuisine. Le briquet a secoué le goulot. La bière a bavé lentement et avant que Tony ait pu laper la mousse, elle s’était glissée sous la bouteille. Pas grand-chose. Quelques gouttes, un rond brillant et poisseux sur le jaune. Un peu marron, un peu orange. Une odeur surtout, celle de la bière renversée et sèche déjà.

Je ne l’ai pas nettoyée et c’est avec cette odeur que j’écris, à l’instant.

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En me laissant seul avec la tache et l’odeur, Tony m’a laissé avec des fantômes. Il les a convoqués comme ça, en rotant, et puis il s’est barré. Merci.

Être seul c’est devenu l’état simple et normal depuis deux ans. Se souvenir de la fête : il y a deux ans, à peu près, je voyais mon dernier concert. C’était mystique et électrique. Un compositeur de musique concrète et un guitariste de metal fabriquaient de longues, lentes et hypnotiques nappes qu’on appelle des drones. Pas ces engins téléguidés qui surveillent et tuent des innocents à Alep mais des qui tracent des chemins que l’on emprunte en soi. Je m’étais habillé en noir comme Tony et tout le public. Je portais un blouson de cuir noir puisque c’est le rituel. Ce concert avait clos malgré moi une époque de ma vie où je tentais d’être le plus assidu possible aux salles de concerts, assidu aux sensations de la musique électrique. Les basses que l’on peut sentir les yeux fermés, en se collant à surface poisseuse du mur, comme me l’avait expliqué une amie sourde. Se perdre en soi comme on se perd en ville passée une certaine heure. Et l’odeur, bien sûr. Celle de la vieille bière. De la bière abandonnée. C’est l’odeur spectrale des soirées passées à s’oublier sagement, dans les limites du club. Comme j’entrais dans l’atelier réinventé en me remémorant l’odeur ferrugineuse et aride de la poussière, j’entre par l’odeur de bière abandonnée dans le club imaginaire. Il y a : battre le goudron en talons cubains, portant un chemisier en soie de femme sous le blouson de cuir noir. Arriver jusqu’à la porte battante, couverte d’autocollants, c’est la même partout, dans le passé fantasmé du Max’s Kansas City ou dans l’ancienne poudrière d’une sous-préfecture franc-comtoise. Il y a le bar sas, tout calme et

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Éditions le Sabot Collection du Seum

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LES GRANDS JOURS

Dans les années 1980, un groupe de cinq ami.e.s étudiant.es en science se passionne pour un physicien italien, disparu sans laisser de traces dans les années 1930, peu de temps avant le lancement du projet Manhattan. Ils partagent leur vingtaine fragile et fâchée, d'études et de débrouille. Certains vont dans les labyrinthes du Louvre la nuit, d'autres volent, tombent amoureu.se.s, ou appellent leurs parents. Les Grands Jours est un collage de journaux, de lettres, de petits mots. Un jour, l'époque les rattrape, et la mort fait irruption dans les chambres à coucher. Alors, ils se mettent à écrire des lettres à des disparu.e.s, à parler de soi au passé et à vivre tant bien que mal avec des fantômes. À trente ans, il reste des miettes de récits pour comprendre ce qui a fait qu'un jour, un nous a été un événement.

L'autrice:

Camille Polet est née en 1991. Flûte traversière, musique classique, premier amour. La fémis, département scénario après des études à Paris8. Deuxième amour : pleurer devant des mélodrames déchirants. CAP coiffure, marre du cinéma et de ses complications financières et institutionnelles. Arrêter le cinéma, maintenant. Devenir coiffeuse. Toucher des crânes, le cheveu : cellules mortes si malléables. Beauté. Le soir, écrire un roman, après le travail pour tout ce que l'on ne sait pas dire de mots doux à celleux qu'on aime. Troisième amour.

à paraître en mai 2023 120 x 185 mm, 130 pages, 12€

Thèmes: roman, années 1980, amitié, apprentissage, physique quantique, sida, jeunesse ISBN : 978-2-492352-12-6

contact.lesabot@gmail.com

LES GRANDS JOURS

Il y a, à l’arrêt de bus, une vieille dame qui a dit. Il avait 47 ans, il est mort. C’était mon fils. Puis elle prend sa tête dans ses mains et reste là, immobile. Et je ne peux pas lui dire ça va aller parce que c’est faux, ça n’ira pas, elle a 80 ans, ou deux cents ans, et elle a perdu un fils.

Alors ça n’ira pas. Elle ressemble à une petite boule de papier froissé. Elle se remet à parler.

Elle va chez la coiffeuse pour que son autre fils, et sa bouche ne dit pas le mot de la même manière pour l’un ou l’autre, elle accentue le mépris à l’égard du second.

Le vivant s’offre au mépris plus que le mort, pour que le fils, le vivant, arrête de croire qu’elle se laisse aller.

Elle dit qu’elle va chez la coiffeuse pour qu’il lui foute la paix. Elle est en colère.

Elle raconte ce que dit la coiffeuse. Il y a beaucoup de femmes qui vont chez le coiffeur avec leur mari, leurs fils, derrière elles. Ils décident de leurs coupes. Le mari dit ne coupez pas trop, le mari dit je paie, faites ceci ou cela. La coiffeuse raconte qu’elle parle à voix basse à la femme, et lui dit et vous. Et vous. La coiffeuse dit que parfois, elle a envie de pleurer parce que les hommes la mettent dans leur camp. La coiffeuse ne veut pas être leur alliée, la coiffeuse est fatiguée. Elle est debout

toute la journée, elle voudrait être alitée. Elle dit que c’est elle qui a les ciseaux, elle dit avec ces ciseaux je pourrais faire tant de choses. Les maris et les fils ont des gorges et la coiffeuse a des ciseaux. La coiffeuse rit et malgré ses cernes, la vieille dame la trouve charmante. La vieille dame a des regrets et la coiffeuse aussi. Tu m’as demandé de couper tes cheveux. Les cheveux sont des cellules mortes et pourtant ils continuent à pousser après la mort. La mort engendre la mort. Estce qu’on se coupe les cheveux pour s’enlever un peu du poids de la mort. Tu m’as demandé de te couper les cheveux mais je ne sais pas le faire. Je vais me renseigner, ça prendra un peu de temps.

I love you baby

J’ai mal au corps. Je suis rentré hier dans la nuit, tard, très tard. C’est le début de l’hiver ou plutôt l’hiver a déjà commencé, les journées sont plus courtes et les mines plus basses. J’étais avec ce garçon qui a des yeux qui rient, Samuel, nous marchions dans ce quartier qui est le nôtre, trop riche, trop propre. C’était la nuit, nous parlions de rien en ayant l’impression de se dire tout. Nous étions rue de Rivoli, pleine d’arcades, de recoins, de cachettes. Nous marchions d’un bon pas pour rentrer chez lui. Nous parlions tant de rien que je n’écoutais plus, c’étaient nos gestes qui disaient tout. Alors je l’ai embrassé sous une arcade. Rapidement. Un baiser pris sur la nuit. Il m’a embrassé en retour. Rapidement aussi je dirais. Mais peut-être que notre perception du temps était faussée par la chaleur de la salive dans l’hiver. Sans que je m’en aperçoive, nous étions encerclés par un groupe d’hommes à mocassins qui avaient trop bu et qui nous insultaient. Ils nous haïssaient. Je les haïssais. J’avais la main de Samuel dans la mienne. Aucun son ne sortait de ma bouche. On suçait des bites voilà ce qu’ils répétaient. C’était vrai. Ils nous humiliaient, des pichenettes, des petits coups. Je voyais Samuel avoir peur et je ne voulais pas qu’il ait peur, je voulais pouvoir le rassurer et aucun son ne sortait de ma bouche. J’avais peur que mon visage lui rappelle, lors de tous ces matins que nous ne vivrons pas, cinq mecs avec des polos qui voulaient casser du pédé et faire des enfants baptisés à leurs femmes qui devaient rêver de mettre de l’arsenic dans le ragoût. Dans les labyrinthes on parle des attaques de fachos, on sait que cela arrive et un jour, ça arrive et on se rend compte qu’on s’absente à soi-même, qu’on n’a jamais donné un coup, qu’on ne va pas

devenir un combattant hors pair mû par la nécessité. L’un a donné une gifle à Samuel, on était des petits pédés, des grosses tapettes alors on nous tapaient, et moi j’étais ailleurs, j’ai pris encore la main de Samuel qu’il avait enlevé de la mienne, le seul geste que je pouvais faire. L’un d’eux a parlé à un autre. Quelques secondes. J’ai dit cours. Il courait. Les mecs nous poursuivaient mais leurs corps étaient engourdis, et surtout ils se sont lassés. On avait eu notre compte. C’était un tout petit compte, on avait eu de la chance, on le savait, on le répétait. J’ai raccompagné Samuel chez lui. Arrivé devant sa porte, il m’a dit monte et j’ai su qu’il me demanderait de descendre avant le matin. Il a préparé un thé. Il avait un appartement d’étudiant en lettres, il buvait du thé après des émotions fortes. Il m’a dit qu’il n’était pas prêt pour ça. Il m’a dit qu’il avait peur parfois de ce qui nous attendait. On s’est regardés. Je lui ai dit que pour la première fois, j’avais envie de chantonner des refrains idiots à mon réveil. Que depuis qu’on s’est croisés à la bibliothèque, que la nuit qu’on avait passé, que. Il a sourit et son visage a repris sa forme. Il était tendre. Il a dit s’il te plaît. Et comme il me plaisait, j’ai dit oui. J’ai pris mon manteau, on s’est donné la main quelques instants et j’ai entendu la porte lentement se refermer.

J’ai couru dans les rues vides. J’ai fait ce thé que je n’avais pas bu. La maison était silencieuse. Tout le monde dormait. Elina est arrivée avec des yeux gonflés. Elle a dit je t’ai enten42 du. Sa voix était rauque du réveil. Elle a regardé mon visage, je ne disais rien, il n’y avait pas de marques sur ma peau. Tu as l’air défait. Et Samuel. Pourquoi tu es là. J’ai dit que j’étais si heureux de la voir.

Je n’ai pas dormi. Elina dort à côté de moi. Elle se réveillera bientôt et me racontera son rêve. J’entends les autres qui préparent du café. Je ne veux pas me lever sans elle. C’est si peu ce qui m’est arrivé. J’ai eu de la chance. J’ai toujours eu de la chance. Je veux juste qu’elle ouvre les yeux. Je lui dirai j’ai fait un cauchemar, je ne veux pas qu’il t’arrive quelque chose. Promets moi, Elina, qu’il ne t’arrivera rien.

Elina Petit mot glissé sous la porte de Marta, 26 novembre 1985, Paris Arthur Journal du 1er décembre 1986, Paris
Éditions le Sabot Collection du Seum
le-sabot.fr 11 rue Gabriel Péri 59370 Mons-en-Baroeul +33 676249059

Igor Grabonstine et le Shining

Attention récit uchronique complètement barré. Nous sommes ici sur le tournage de Shining, mais, Jack Nicholson est remplacé par Igor Grabonstine, un comédien raté de formation russe. Adepte du grand Stanislavski, il en veut à mort au petit Danny Lloyd qui ferait de l’ombre à son génie indiscutable. Evidemment, on croise aussi un Stanley Kubrick planqué derrière son assistant, un Stephen King alcoolique qui reste vissé au bar du mythique hôtel Timberline Lodge. C’est timbré, c’est amoral, mais c’est jouissif.

L’auteur : Mathieu Handfield

Diplômé en théâtre, Mathieu a fait partie de plusieurs productions importantes, autant à la télévision et au cinéma que sur scène. Il réalise maintenant, autre autres, Mouvement Deluxe, série animée (sorte de South Park québécois) dont il est aussi le concepteur. Il a publié plusieurs romans en plus d’avoir participé à de nombreux collectifs, dont Les cicatrisés de Saint-Sauvignac (publié par Bouclard en 2021), qu’il a également dirigé.

Recensions presse

Le Devoir

« Quelque part entre la glose de geeks et l’uchronie parodique, le roman de l’homme de théâtre raconte un tournage avorté, et complètement fabulé. »

Chatelaine

« Dans ce roman, deux acteurs de taille s’affrontent : Igor Grabonstine qui interprète le rôle principal et Danny Lloyd, petit garçon de 6 ans au talent remarquable et qui fait même ombrage au premier. Qui volera la vedette ? »

Bouclard éditions 7 rue de la Gagnerie 44830 Bouaye contact@bouclard-editions.fr 07 86 66 76 18 www.bouclard-editions.fr

Collection 109, parution mai 2023
© Félix Renaud

Igor Grabonstine et le Shining — Mathieu Handfield

« Comment avait-il pu construire une carrière aussi lumineuse, aussi exempte d’échec et aussi enviable pour la voir pulvérisée en quelques minutes par un enfant de six ans ? Il va sans dire que, dans l’état où il était, Grabonstine n’avait certainement pas envie de regagner ses appartements pour les découvrir hantés ; alors, lorsqu’il verrouillait sa porte, ce n’est pas sans une certaine irritation qu’il accueillit les mots « Bonjour, je hante votre chambre », qui lui furent lancés depuis l’obscurité. »

Fiche technique

Format : 176 pages, 12 x 20 cm

Tirage : 750 exemplaires

Prix de vente : 16 €

Diffusion : Serendip

ISBN : 978-2-493311-07-8

Première parution : 2014, Éditions de ta Mère (Canada)

Ce livre reçoit le soutien du CNL et de la Région des Pays de la Loire.

109 pour le youngblood, le sang neuf. 109 pour la Génération Y, la Génération youngblood.

Une collection qui défriche une nouvelle génération de jeunes romanciers/cières. Une collection de petits formats accessibles. Sans contrainte de genre et de style. Des textes courts de fiction.

Des thématiques générationnelles mais sans prendre des grands airs intellectuels. A lire en train sur un Paris-Nantes.

Collection 109, parution mai 2023
Bouclard éditions 7 rue de la Gagnerie 44830 Bouaye contact@bouclard-editions.fr 07 86 66 76 18 www.bouclard-editions.fr 109

La délivrance

PRÉSENTATION

La délivrance retrace la vie d’une femme courageuse qui lutte pour élever seule deux fils, dont l’un est diagnostiqué « anormal ». En tant que directrice d’un pensionnat, elle se trouve responsable d’une quarantaine d’enfants qui lui ont été confiés. Fille d’un intégriste autoritaire, affrontant des épreuves successives qui ne parviendront pas à briser sa volonté, ni sa foi, elle a refusé l’emprise paternelle sans toutefois abandonner ses convictions religieuses. À quatre-vingts ans, alors qu’elle n’est atteinte d’aucune maladie, elle décide de fixer elle-même le jour de sa mort.

Ce récit est une réflexion sur les raisons qui justifient le choix du suicide assisté, ainsi qu'une méditation sur les souffrances que l’intégrisme peut causer dans une fratrie comme dans le monde.

En librairie mai 2023

Format : 14 x 21 cmPages : 80 p.

Reliure : broché, collé rayon : littérature, récit de vie Prix : 12 € / 16 CHF

ISBN 978-2-82900-669-2

La délivrance est un texte littéraire biographique.

AUTEUR

Charles E. Racine a déjà publié

Les Nains bleus, Éditions Campiche, 1990

Hôtel Majestic, Éditions des Lézardes, 1996

DIFFUSION ET DISTRIBUTION SUISSE

Éditions d’en bas Rue des Côtes-de-Montbenon 30 1003 Lausanne 021 323 39 18 contact@enbas.ch / www.enbas.net

DIFFUSION ET DISTRIBUTION FRANCE

Paon diffusion/SERENDIP livres

L'imposture ou La fausse Monnaie, Éditions Antipodes, 1997 Jean d'Enhaut, Antipodes, 1998 Il vit à L’Abergement, au pied du Jura suisse.

Paon diffusion – 44 rue Auguste Poullain – 93200 SAINT-DENIS

SERENDIP livres – 21 bis rue Arnold Géraux 93450 L'Île-St-Denis +33 140.38.18.14 contact@serendip-livres.fr gencod dilicom3019000119404 Tél : 01.43.58.74.11 | Fax : 01.72.71.84.51 | commande@pollen-diffusion.com | Dilicom : 3012410370014

Mère, je sais très mal comme l'on cherche les morts

Quand tout a été fini, il est parti seul dans la forêt derrière les Dailles. Les buis sont maigres, les dalles de calcaire affleurent, les arbres luttent pour leur survie. Elle aimait cette fraîcheur et l’odeur de terre humide.

Tout d’un coup il s’est mis à pleurer, très fort, puis les larmes se sont taries. Il marchait sous les buis comme il l’avait fait tant de fois avec elle…

Revenant aux Dailles, il a vu un break de la gendarmerie garé dans la cour. As-sis sur un banc devant l’immeuble, son frère parlait avec un agent en civil.

Puis une voiture est apparue sur la route de Saint-Loup et s’est arrêtée sous un tilleul. Une jeune femme en est sortie et s’est présentée :

Je suis le médecin légiste. Je prie la famille de bien vouloir se retirer pour que je puisse faire les constatations d’usage. Quand j’aurai terminé, le corps sera déplacé à la morgue en vue de l’autopsie.

Elle a pénétré dans la maison et la porte s’est refermée.

Le Père Samuel se considérait comme un Juste parmi les Justes. Il régnait sur sa famille comme sur ses ouvriers ou les membres de sa secte, paradoxalement puisque dans ces Assemblées aucun membre n ! est plus qualifié qu ! un autre au titre de pasteur, chacun étant habilité à commenter les Ecritures hormis les femmes, cela va sans dire. Elle évoquait parfois les séances dans leur salle de réunion au rez-de-chaussée de cette construction mi-villa, mi-chalet dans laquelle vivait la famille du Patriarche. Chacun à son tour devait prendre la parole filles et femmes incluses pour confesser publiquement ses fautes, vénielles ou gravissimes, et demander le pardon de la communauté Petite fille, elle s’accusait de bagatelles fictives pour satisfaire aux exigences de ce tribunal de la pensée

Elle racontait aussi que jusqu’à son mariage elle n’avait jamais pu aller au cinéma la conscience tranquille : elle était persuadée que l!interdit jeté par le Père entrainerait un incendie qui la punirait de sa Faute…

Samuel était-il réellement le tyran domestique que décrivait sa fille ? Il est difficile d’en juger quand tous les ponts ont été coupés. Un sectaire convaincu sans doute, amené à la foi par un événement peu banal : gravement atteint par la « grippe espagnole » en 1918, il avait promis solennellement : « Si je m ’ en sors, je me convertis » Depuis sa guérison miraculeuse, il évangélisait à tour de bras, dans les trains, les rues, à l’usine Sa première question, toujours, lorsqu’il abordait un inconnu : « Croyez-vous en Jésus-Christ ? » Il était par ailleurs un patron paternaliste, mais capable de se montrer humain… Pendant la grande Crise, la Tavannes Watch travaillant au ralenti, il aurait dû licencier. Or l’éthique des Frères en Christ exige qu ’ on aide son prochain dans le besoin. Il avait donc gardé tous ses ouvriers, perdant de l’argent pendant des années Puis son épouse avait été rappelée par le Seigneur, et comme « Il n’est pas bon que l’homme reste seul » il s’était uni en secondes noces à la fille d’un riche propriétaire du village voisin. La dot avait renfloué l’usine.

MAISON D'ÉDITION MARSEILLE www.heliotropismes.com

Au début de ce siècle, la ville de Marseille ne comptait qu'une petite douzaine d'Africains. Peu à peu, ils sont devenus plus nombreux. Aimant vivre en communauté, on les voyait en groupes sur la place Victor Gélu, dans ce qui fut le vieux quartier, avec ses rues sordides, cellulaires, en cul de sac. La Deuxième Guerre mondiale vit le vieux Marseille à moitié détruit. Quelques uns partirent pour la Grande-Bretagne. Le reste s'enfonça dans la ville? Et lorsque prirent fin les hostilités, leur nombre augmenta; de tous les côtés affluaient des hommes de couleur, poussés par les vicissitudes de la vie et de la navigation... Unis par un esprit de communauté, de solidarité, ils formèrent ce village... La plupart sont des marins accomplis, chacun ayant au moins deux tours du monde dans son sac.

RÉSUMÉ

Marseille, années 1950. Diaw Falla, docker sénégalais, vit à Belsunce, le « petit Harlem marseillais », et travaille sur le port en compagnie de nombreux ouvriers africains. Menant une existence précaire, il rêve d’écrire et de publier son premier roman, Le Dernier voyage du Négrier Sirius. Son existence bascule le jour où il confie son manuscrit à une amie écrivaine.

Publié en 1956, ce premier roman de Sembène Ousmane est un déchirant cri d’amertume qui fait écho aux romans marseillais de Claude McKay dans sa soif de liberté, sa défense des luttes sociales et son refus d’accepter l’étroitesse des préjugés raciaux. Le Docker noir résonne également avec Native son de Richard Wright et L’Étranger d’Albert Camus, dans sa description d’un personnage moins condamné pour son délit que pour ce qu’il représente aux yeux de la société française de l’après-guerre. Cette édition est enrichie d’archives, d’écrits poétiques inédits et de contes écrits par l’auteur à Marseille

L'AUTEUR

Sembène Ousmane est né en Casamance en 1923. Tour à tour mécanicien, maçon et tirailleur dans l’armée coloniale, il débarque clandestinement à Marseille où il devient docker. Son séjour dans la ville (1946-1960) est une étape décisive d’intense activité militante et intellectuelle. Il y écrit ses trois premiers romans et participe activement aux activités de la CGT, du parti communiste, de la FEANF ou du MRAP.

Son retour en Afrique marque le début d’une riche carrière cinématographique et littéraire. Sembène Ousmane est décédé en 2007, laissant derrière lui une œuvre insoumise, au service d’une Afrique libre. .

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S E M B È N E L E M A R S E I L L A I S

En 1946, vingt ans après le passage de Claude mcKay et deux ans avant la mort de ce dernier, Sembène Ousmane débarque clandestinement à Marseille pour n ’ en repartir qu ’ en 1960. Durant ces quatorze années, Sembène travaille comme docker,

découvre le syndicalisme aux côtés de personnalités marseillaises comme Victor Gagnaire et fait son entrée dans le monde de la littérature, grâce notamment à Henri Deluy et à la revue Action Poétique. Il s ' engage dans les milieux militants décolonialistes, ce qui lui vaudra une surveillance rapprochée de la police. Son surgissement sur la scène littéraire avec la publication du Docker noir en septembre 1956 sera le point de départ de cinquante années de récompenses et de prix en Afrique, en Europe et aux Etats-Unis Sembène Ousmane écrira deux autres romans à Marseille : Ô pays, mon beau peuple, en 1957 et Les bouts de bois de Dieu, en 1960

Lors de son séjour, Sembène vivait à Belsunce, un «petit Harlem marseillais» réservé aux marins et aux ouvriers défavorisés du monde entier Très près, on trouvait les locaux du journal La Marseillaise, la fédération du parti communiste, la librairie de la Renaissance, l’Université Nouvelle, les Cahiers du Sud, l’Action poétique et le Théâtre Quotidien de Marseille. Le regard de Sembène Ousmane sur ces lieux permet de comprendre le rapport de Marseille avec les «coloniaux», le mouvement ouvrier, la vie et les luttes du port et des dockers noirs de la Joliette. Sembène Ousmane met en scène les différentes communautés de Belsunce et la formation diasporique et multilocale des identités noires et hybrides, mais aussi leurs cultures et humanités constitutives de la modernité

En dehors de Claude McKay et Sembène Ousmane, rares sont les auteurs qui témoignent au quotidien de cette période racontant la vie des travailleurs coloniaux d’après-guerre et des dockers du port. Entre Marseille, Claude McKay, Sembène Ousmane et leurs héros, se tisse la trame d’un dialogue fécond et créatif. Leur histoire, leur regard et leurs romans, encore trop peu connus, racontent la ville, son développement et sa modernité, et mettent en avant une pensée anticoloniale et antiraciste.

Dossier de surveillance de Sembène par la police

Première édition publiée en 1956 par les éditions Debresse

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Longtemps publié à compte d'auteur aux Nouvelles éditions Debresse, Le Docker noir a été réédité par Présence Africaine en 1971. Livre marginal par excellence (il est le seul dont l'action ne se situe pas en Afrique et relate l'expérience ouvrière de l'auteur en France), il n 'avait jusque là pas fait l'objet d'une étude approfondie.

Après des recherches dans plusieurs fonds d'archives (fonds du PC marseillais aux archives départementales des Bouches du Rhône, fonds méditérranéens de l'Alcazar, MRAP, IHS, etc ), nous avons retrouvé trace du parcours de Sembène Ousmane à Marseille et de son engagement politique et littéraire Cette version, qui sera préfacée par la dernière biographe de l'auteur, Valérie Berty, sera également suivie d'écrits inédits (poèmes et récits) écrits à la même période, ainsi que de documents d'archives.

le centenaire de la naissance de Sembène «Célèbre inconnu», il l’est encore à Marseille où il écrivit ses trois premiers romans. Un collectif que nous avons créé organise à cette occasion une série d’événements et de manifestations, tout d’abord à Marseille, puis dans d’autres villes. Présentations du livre, tables rondes, projections et rencontres croisées cinéma/littérature, lectures musicales, documentaires audio, ateliers scolaires, et autres auront lieu tout au long de l'année entre Paris (rétrospective de l'oeuvre de Sembène à la Cinémathèque française / janvier) et Marseille (grand colloque croisé McKay-Sembène Ousmane au MuceM / novembre)

U N E V E R S I O N A U G M E
N T É E
L E D O C K E R N O I R / S E M B È N E O U S M A N E Editions Héliotropismes Collection : Harlem Shadows n°3 Parution : 5/5/2023 ISBN : 979-10-97210-12-0 Format : 148 x 210 mm Prix : 22 € TTC Préface : Valérie Berty Dessins et graphisme : Carlos Chirivella Lopez Directeur de collection : Armando Coxe 1 9 2 3 - 2 0 2 3 : U N C E N T E N A I R E S E M B È N E O U S M A N E
2023 marque

« Mecque noire », lieu providentiel et sacralisé, chargé d’un symbolisme fécond mais équivoque, le Harlem des années 1920 a cristallisé le rêve d’une ère nouvelle empreinte de liberté, de fierté raciale et de foisonnement culturel Si le mouvement culturel qui y vit le jour se heurta rapidement à d’infranchissables dilemmes (volonté de respectabilité, d’élitisme et par conséquent méfiance des arts populaires) et finit par s ’essouffler, l’ombre de la Renaissance de Harlem, à travers des voix et des talents comme ceux de Langston Hugues, Zora Neale Hurston, Claude McKay, Ann Petry, Aaron Douglas ou Duke Ellington, finira par s’étendre aux mouvements sociaux, politiques et culturels noirs du monde entier Avec cette collection, qui emprunte son nom au recueil de poésie de Claude McKay, Harlem Shadows, nous souhaitons mettre en lumière les voix singulières, les récits perdus ou périphériques qui ont gravité, gravitent et graviteront autour, en marge ou dans l’orbite du New Negro.

Créée en 2017 à Marseille, Héliotropismes est une maison d’édition qui publie de la littérature des marges et s’intéresse aux mémoires sociales qui gravitent en périphérie Elle porte une attention particulière aux récits-frontière qui retracent les expériences de l’exil, des marges sociales ou urbaines, sans aucune concession Qu’ils se situent à l'intersection de plusieurs thématiques sociales, qu’ils soulignent la spécificité de conditions marginales et l’interaction des catégories de différence, les textes que nous défendons ont pour vocation de se situer à la croisée des genres, d’où leur trajectoire éditoriale passée, parfois accidentée. Notre maison d’édition fait le choix, au détriment d’une quelconque « identité » ou « ligne éditoriale » de mettre en avant la porosité, l’hybridité des genres littéraires et des sujets abordés Notre démarche consiste avant tout à se mettre au service d'auteur e s dont nous admirons la seule liberté possible

L A C O L L E C T I O N : H A R L E M S H A D O W
Editions Héliotropismes Collection : Harlem Shadows n°3 Parution : 5/5/2023 ISBN : 979-10-97210-12-0 Format : 148 x 210 mm Prix : 22 € TTC Préface : Valérie
Dessins
Directeur
H É L I O T R O P I S M E S L E D O C K E R N O I R / S E M B È N E O U S M A N E
S
Berty
et graphisme : Carlos Chirivella Lopez
de collection : Armando Coxe

éditions Hourra

genre littérature thèmes réalisme, société, politique

Bourgade,

isbn 978-2-491297-05-3

Lorraine Druon

littérature

fiche technique 80 pages offset noir brochures cousues collées format 11x18 cm prix 16 € parution le 05/05/2023 contact diffusion Paon diffusion paon.diffusion@gmail.com distribution Serendip-livres contact@serendip-livres.fr édition Hourra contact@editions-hourra.net

Bourgade raconte à travers une succession de saynètes la vie dans une petite ville. On est au café, à la poste, on se promène dans l’ordinaire ; et quand les personnages surgissent et que progressivement les rapports se singularisent, une beauté se laisse apercevoir entre ce qui est commun et ce qu’on peut mettre en commun.

Bourgade est le premier livre de Lorraine Druon.

éditions Hourra

Bourgade, Lorraine Druon

isbn 978-2-491297-05-3

le livre

littérature

Bourgade est un presque-roman au réalisme stupéfiant. Une succession de saynètes nous emmène dans une ville petite ou moyenne où nous suivons des amitiés, des décisions politiques, des transformations urbaines, des gens dans leur quotidien. On assiste au déploiement de ces vies avec un enthousiasme certain et une excitation que seul le feuilleton peut procurer.

La narration s’opère par des récits instantanés, sans filtre, comme des prises de vue photographique. La cruauté du réalisme balance le lecteur entre le romantisme et l’ironie, l’écriture est à la fois bienveillante et piquante. C’est juste assez drôle et relevé pour se laisser emporter dans les sentiments contradictoires de la vie.

La vie dans une Bourgade de province, ce sont des situations banales mais il y a parfois de grands feux qui viennent tout mettre en branle. Avec ce livre, Lorraine Druon déploie une géographie narrative de l’ordinaire avec un regard pour le coup bien singulier et une exigence politique qui n’épargne pas la normativité, le racisme ou l’individualisme qui peuvent habiter ce type de ville.

l’autrice

Lorraine Druon, née en 1991, est artiste. Elle participe à plusieurs projets éditoriaux où elle publie principalement de la photographie. Bourgade est son premier roman.

éditions Hourra

Bourgade, Lorraine Druon

isbn 978-2-491297-05-3 littérature

la maison d’édition

— Honneur à celles par qui le scandale arrive ! Hourra : cri de joie, cri de guerre

Les éditions Hourra publient de la poésie et des écrits sur l’art. Créée en 2019 sur la montagne limousine, la maison naît de l’envie de défendre des pratiques d’écritures marginales où se rencontrent le poétique et le politique. Fruit d’amitiés et d’intuitions communes, elle réunit des artistes et des autrices pour qui la révolte fait corps avec la beauté.

éditions Hourra |36, avenue Porte de la Corrèze |19170 Lacelle www.editions-hourra.net

978 2 491297 05 3

Se donner les moyens de refaire une Cité editions-exces net editions-exces@protonmail.com

Fonctions Phatiques

livre de Nadège Momie avec l’artiste Lili Rojas à paraître en mai 2023 Excès, collection Voix publiques

livre format 13x20,5 cm 54 pages poid théorique 70g 500 ex 10€ isbn : 978-2-9581188-6-0

Résumé

La fonction phatique du langage est celle qui ne sert pas à communiquer un message, mais à maintenir le contact entre le locuteur et le destinataire. Elle permet de se parler même quand on n'a rien à dire et ainsi de maintenir un lien quand il est devenu ténu.

Ces Fonctions sont donc Phatiques. Elles parlent du langage.. Ou de ce qui reste du langage quand celui-ci n’est pas ou plus possible. Parfois, elles s’intéressent au minimum qui permet à deux personnes de garder un lien entre elles, et donc avec la vie. Parfois, elles se penchent sur le bavardage qui empêche à une vraie parole de prendre place. (Dans la mesure où une “vraie” parole existerait.) Car la fonction phatique est ambivalente : parfois elle sauve, parfois elle détruit.

Dans une interview, le physicien Richard Feynman évoque la difficulté pour les scientifiques de communiquer entre eux autour des concepts de physique quantique.

Il parle de “La formidable différence de ce qui se passe dans la tête des gens quand ils pensent qu’ils font la même chose.”

Il y a aussi, parfois, une formidable différence dans ce qui passe par la tête de gens qui pensent qu’ils parlent ensemble, ou qu’ils partagent la même émotion, la même expérience.

Les Fonctions Phatiques se situent à l’endroit de ce malentendu-là, cet endroit où le possible est susceptible de se produire (ou pas).

Biographie de l’auteure

NadègeMomieexiste,etn’existepas.NadègevientduslaveNadejda(espérance).Unemomie estuncadavrepréservédelaputréfaction,unfantômeintact.Sonexistencequantiquelui offre la liberté pour cheminer là où ça ne rime plus, dans la joie exigeante des marges.

Biographie de l'artiste

LiliRojasestnéeenColombieoùelleaapprislacoutureauprèsdesamère.Avingtans,elle décidedetissersavieailleursetvientàParis.Elledevientartistebrodeuseetbijoutière.“La broderieestdouce,silencieuse,intimec’estuneformed’introspection.Jebrodelavie,la famille, les organes.

Extraits

Enfin qui vivra verra, et puis crotte. Parce que je suis en taule là avec des petits jeunes, enfin plutôt des vieux croulants qui se comportent comme des jeunes, tu verrais ça.

— Et vous rigolez des fois ? —Ah oui ! Heureusement ! —Tu regardes la télé ? — Non, je suis au lit et je cogite. —Tu as fait ta prière du soir ?

LA TAULE

— Bonjour ! C’est f, ça va ? — Oui.

—Tu as mangé ?

— Oui je viens de finir. Je suis en taule là, avec des petits jeunes, enfin, plutôt des vieux croulants mais qui se comportent comme des petits jeunes.Tu verrais ça. J’ai mangé avec eux.

—Tu as un rendez-vous chez le médecin demain tu sais ? —Tu fais bien de me le dire, comme ça je me laverai, on ne sait jamais.Tu sais ça tourne pas rond dans sa tête à celui-là non plus.

— Certainement ! Et puis celle du matin aussi ! Non mais et puis quoi encore. Et puis crotte. Tu viens quand ? —Vendredi

— Si tu ne me vois pas c’est que je suis partie.

— Ok. Bonne nuit. — Merci de m’avoir appelée. (Elle raccroche)

La première chose qui frappa le jeune fou à son réveil, ce ne fut étonnamment pas la douleur au crâne. La première chose qui frappa le jeune fou à son réveil, ce fut la couleur : le blanc qui l’environnait. Mais ce n’était pas un blanc propre, immaculé et virginal. Celui-ci était plutôt grisâtre, comme suspect « Un blanc qui n ’ a pas les moyens », se dit-il instantanément Ce saisissement l’empêcha même dans un premier temps de questionner ce qu’il faisait dans cet endroit inconnu.

Il y avait les cinquante nuances de mots pour désigner la neige chez les Inuits, ou les cinquante nuances de Grey pour exciter la sensualité des hommes aisés, mais ici, les variations chromatiques qui l’entouraient se déclinaient dans toutes les nuances du terne, du fade, du presque sale. Des draps qui recouvraient son corps allongé, avec leur trop discret liseré anis, jusqu’à la couverture qui semblait hésiter entre le vert tendance fiente de pigeon et le bleu façon ciel de Picardie en automne, en passant par les murs dont la couleur uniforme semblait vouloir rivaliser avec celle du sol de la salle de permanence de son collège, jadis.

« J’en viendrais presque à regretter les murs rouges qui m ’ont amené ici » pensa-t-il Au moins ce rouge-là avait-il été vif,voire sanguin Brutal, mais vivant Sa violence lui avait percuté le crâne, mais au moins celle-ci avait été active, épidermique, musculaire même. Musculaire, cela lui convenait

parfaitement. Musculaire, cela aurait été plus conforme à sa nature rebondissante. Tandis que là, allongé et immobile dans un lit, il lui semblait que même le sang s’était retiré de ses membres pour laisser la place à une espèce de bouillie de cendres trop épaisse pour circuler librement dans son corps, ralentissant ainsi ses mouvements mais aussi son esprit, encombrant la circulation pourtant habituellement fluide de son imagination. Ses membres dissimulés sous les couvertures ne le faisaient pas excessivement souffrir mais tout en lui semblait lourd et un peu douloureux, sans qu’il parvienne à repérer exactement où se nichait l’inconfort. Son

LE JEUNE FOU

crâne était enserré par un pansement, il sentait la pression du tissu contre son front et sa nuque. Mais il ne ressentait pas le tiraillement caractéristique de la plaie sous le tissu Une douleur confuse et fade donc, comme la couleur des murs et de la couverture « Une douleur en forme de découragement » se dit-il. Sans qu’il parvienne à en discerner précisément l’origine.

Ses oreilles engourdies discernèrent une rumeur : un bruit de pas et de discussion

JE SUIS EN COLÈRE

Bonjour ! C’est f, ça va ? Non. Pourquoi ? J’étais en colère. J’ai piqué une crise pour un truc idiot — Ce n’était pas si idiot si ça t’a mise en colère Si. Et je suis en colère. À MORT.

(Elle raccroche)

dans le couloir attenant à ce qui devait être logiquement sa chambre. On frappa énergiquement à la porte, celle-ci s ’ouvrit sans attendre le consentement du jeune fou et un petit troupeau d’individus entra, accompagné de son bourdonnement sonore ordinaire

Alors ! Fit le premier homme du groupe, dont l’importance de la voix se détacha des murmures autour de lui. On est réveillé ? […]

Louis Loup Collet

Finsternis

Sous-titré « carnet de lecture », le recueil de textes de Louis Loup Collet peut se lire en réalité comme le roman d’apprentissage d’un jeune homme de 28 ans dont l’initiation et l’amour – absolu –de la lecture a débuté à l’âge de six ans.

En une centaine de pages, l’auteur nous confie le bréviaire de ses rencontres littéraires, artistiques et philosophiques : première lecture du roman Anna Karénine contrariée par un préfacier sans scrupule, art de l’inutile tel que décliné par Gaston Lagaffe ou par les BLP de l’artiste conceptuel

Richard Artschwager, hit-parade des chansons envoyées par la NASA à ses robots pour les réveiller chaque matin, découverte des mots-poèmes à l’instar de celui qui compose le titre de son recueil, pour ne donner que quelques exemples. La force des textes de Louis Loup Collet réside dans sa manière de rendre intelligibles en quatre pages à peine des réflexions qui peuvent parfois paraître naïves (que fait le chien Top quand il disparaît pendant des chapitres entiers dans L’Île mystérieuse de Jules Verne ?) ou infiniment plus profondes (le concept de fini défini par le non-fini du peintre Roman Opalka). Les onze chapitres de Finsternis déploient subtilement la constellation personnelle d’un artiste dont les étoiles palpitent et se répondent pour éclairer le ciel jamais ennuyeux de la découverte de soi à travers les constructions mentales des autres mais aussi pour comprendre une des réalités culturelles les plus mystérieuses et les plus difficiles à analyser : l’extraordinaire plaisir de lire.

genre carnet de lecture rayon littérature suisse thèmes la lecture, jeux de langage, l’inutile livres connexes Les Miscellanées de Mr Schott de Ben Schott (Allia 2005), Petits traités de Pascal Quignard (Gallimard 1998)

collection ShushLarry format 11 x 17,5 cm, 120 pages, broché isbn 978-2-88964-054-6 prix CHF 14.90 / € 12

PARUTION : 4 JUIN 2023
« La réalité augmentée existe depuis longtemps. Elle existe depuis que les humains se racontent des histoires et vivent avec elles. »
CARNET DE LECTURE art&fiction

Né en 1997, Louis Loup Collet a longtemps été partagé entre l’attrait pour la science et la passion de la littérature. En 2014, il commence à développer le Monde Lectol, travail qui sera exposé cinq ans plus tard à la Maison d’Ailleurs, à Yverdon-les-Bains. C’est finalement vers les arts visuels qu’il s’oriente en commençant, en 2017 des études à l’École Cantonale d’Art de Lausanne (ECAL). Son intérêt pour la science et la fiction est cependant resté bien vivant et se ressent toujours dans sa pratique artistique singulière. Louis Loup Collet est également actif dans le domaine des arts visuels et de l’édition mais aussi dans le théâtre, comme scénographe et comédien.

Publications de l’auteur

Le Monde Lectol, Hélice Hélas, 2020 Dans les rêves d’un village de montagne, Hélice Hélas, 2021

L OUI s L OUP C OLLET | F IN s TERNI s CARNET DE LECTURE
© Alizée Quinche

J’avais six ans. Avec ma classe, on était allés visiter la déchetterie du village. Dans celle-ci, il y avait une benne avec des vieux livres qui allaient être jetés. Ce jour-là, j’ai pris un livre que j’ai ramené chez moi.

C’était mon premier livre.

C’était un livre déjà vieux et usé, publié en 1958. Un livre pour enfants. Un livre dont les premiers lecteurs arrivaient alors gentiment à l’âge de la retraite.

L’auteur était marqué en tout petit sur la couverture ; Léonce Bourliaguet. Le titre, lui, était en capitales :

CE BEAU TEMPS-LÀ

En dessous du titre, un dessin montrait deux enfants souriants qui regardent par-dessus l’épaule de leur grand-père un livre ouvert.

Le garçon a les cheveux bruns, bien coiffés d’une raie de coté, une chemise et un gilet noir.

La fille a deux tresses blondes nouées de rubans rouges, des yeux bleus et repose sa tête légèrement inclinée sur ses mains dans une attitude d’écoute attentive. Le grand-père a des cheveux blancs, une épaisse moustache et des lunettes ovales à monture de fer. Ses yeux semblent fermés et sa tête, inclinée par la lecture du livre, laisse entrevoir un double menton.

Quand j’ai pris ce livre, je savais à peine lire. Je ne l’avais d’ailleurs pas tant pris pour le lire que pour avoir un livre à moi. La lecture est venue dans un deuxième temps. ◊

J’avais dix ans quand je me suis dit pour la première fois que je ne voulais jamais arrêter de lire jusqu’à ma mort.

Je voulais toujours être en train de lire au moins un livre, peu importe lequel. J’avais conscience que ce serait compliqué de respecter cette promesse alors j’ai eu une idée toute simple pour ne plus avoir à m’en préoccuper du tout.

Il suffisait de suspendre la lecture d’un livre. Ainsi, quoi qu’il arrive, je serais toujours en train de lire ce livre.

Le hasard a fait que ce fût Ce beau temps-là.

En fait, je ne peux pas affirmer qu’il s’agisse réellement du hasard. Peut-être même que seule la lecture – enfin – de ce premier livre pouvait faire germer cette idée.

Je me suis vite rendu compte qu’un arrêt pur et simple de la lecture ne convenait pas car ça aurait été une façon de tricher que je ne pouvais pas accepter. Un livre dont on a arrêté la lecture, même avant la fin, c’est un livre qu’on ne lit plus. Il n’y a pas à discuter.

Il me fallait juste trouver un moyen de lire assez lentement pour que le livre me dure jusqu’à ma mort.

À partir du moment où je prenais cette décision, je fis des pauses de plus en plus longues entre les chapitres, puis même entre les paragraphes. De plus, oubliant l’histoire du début, je devais à chaque fois en recommencer la lecture en prenant soin de m’arrêter juste un petit peu plus loin que la fois précédente. Un peu comme les vagues d’une marée montante.

Jusqu’ici je m’y suis tenu.

J’ai 26 ans. Ça fait maintenant environ une année que je n’ai pas avancé dans ma lecture. Je suis à la page 141, au début du chapitre VIII qui est judicieusement intitulé :

QU’EUSSIEZ-VOUS FAIT À SA PLACE ?

Le livre fait 249 pages.

Un simple calcul suffit à établir que, si je continue la lecture du livre à la même vitesse au cours des prochaines années, je devrai mourir à l’âge de 44 ans.

44 ans, c’est un peu jeune à mon goût.

Voilà pourquoi il me faut encore ralentir ma lecture. Je ne suis pas superstitieux mais je prends très au sérieux les jeux d’enfant.

◊ « » L OUI s L OUP C OLLET | F IN s TERNI s CARNET DE LECTURE

Mon avancée dans Ce beau temps-là est uniquement signalée par une page dont le coin supérieur est corné.

Je n’ai jamais utilisé de marquepage dans ce livre ni dans aucun autre. Peut-être même que je n’utilise pas de marque-page parce que, justement, un marque-page ne laisse pas de marque sur la page.

Au contraire des cornes.

Je corne selon des règles simples. Premièrement, les cornes se font toujours sur la page qu’il s’agit de signaler. Les coins supérieurs sont réservés à l’indication de la position dans le livre tandis que les coins inférieurs servent à marquer des passages importants sur lesquels je sais vouloir revenir.

Lorsque je relis un livre, je peux ainsi voir comme les pas de ma précédente lecture. Ce sont de fines lignes diagonales au coin de certaines pages qui forment comme un rythme ou plutôt comme un non-rythme fait des aléas de la lecture.

Les cornes du bas, celles que je fais pour retrouver telle idée dans tel passage jugé important, me laissent en revanche parfois perplexe.

Je n’ai jamais la certitude d’avoir retrouvé dans la page exactement le passage qui m’avait poussé à la corner.

Parfois, même, je ne trouve rien qui me semble d’un grand intérêt. Les cornes du bas ne peuvent alors indiquer plus qu’une chose : qui j’étais lors de ma précédente lecture.

Cette information n’est pas inutile.

Je me souviens même d’une fois où, ayant lu deux exemplaires du même livre – et avant d’en céder un à un ami –j’ai passé une demie-heure à en reporter consciencieusement toutes les cornes dans celui que j’allais conserver.

La corne du bas isole et ancre en quelque sorte une rencontre qui a eu lieu. Chaque corne est la marque d’un présent qui a été vécu intensément.

C’est cette naïveté de vouloir me permettre de renouveler cette rencontre qui me touche maintenant et qui me pousse à les préserver amicalement, bien que ça rate immanquablement.

Erica Baum fait des cornes, dans sa série intitulée Dog Ear (la locution anglaise pour page cornée ), une autre utilisation.

Chez elle, la corne court-circuite le texte pour apondre deux fragments de pages. En résulte un carré de papier au centre duquel se trouve la combinaison des textes et/ou des images autrement séparés.

Ainsi encadrés et délimités, les motifs qui en naissent sont pris en photo et deviennent images.

La corne ici lie.

Erica Baum recompose, détourne et sélectionne par ses photographies ce qui autrement resterait dans l’invu des livres.

On inclut souvent la série des Dog Ears dans le champ de la poésie trouvée. On oublie alors que ces photographies proviennent d’un travail de recherche et d’enquête obstiné de la part de l’artiste. C’est uniquement en passant par ce long travail de compilation et de feuilletage méthodique qu’Erica Baum peut obtenir le matériau duquel surgiront ces poésies qui sont dites trouvées.

Avant d’être de la poésie trouvée, c’est surtout de la poésie cherchée

Depuis 2018 je poursuis moi-même un travail de recherche similaire que j’appelle Pages arrachées. Il s’agit du prélèvement méthodique des pages de garde, de faux-titre et/ou de dédicace dans les livres de seconde main.

La soustraction des pages ne signifie pas la fin des livres eux-même car ceux-ci sont toujours soigneusement remis à leur place et continuent leur vie sans autre trace que l’absence des pages elle-même.

« » L OUI s L OUP C OLLET | F IN s TERNI s CARNET DE LECTURE

Les pages arrachées sont ensuite collectionnées, ordonnées et enfin – lorsque c’est nécessaire – réassemblées dans de nouveaux livres.

Dans ce travail, ce sont les combinaisons impromptues entre le contenu des pages (ou son absence) et leur propre vécu qui, lorsque ça arrive, créent la poésie.

Il ne reste alors plus qu’à la saisir.

« » L OUI s L OUP C OLLET | F IN s TERNI s CARNET DE LECTURE

ditions Burn~Août

C’EST LES VACANCES

Revue collective (dir. Eugénie Zély)

Format : 120*180

Nombre de pages : 140

Prix : 14 euros

ISBN : 9782493534101

Graphisme : Théo Pall

SYNOPSIS : Ce recueil s’adresse aux personnes rongées de colère, aux cœurs brisés par celleux qui les entourent, parce que des rêves avaient été formulés, parce qu’un certain type d’amour devait pouvoir se transformer en une communauté intense et productive et qu’il ne reste que : le souvenir de l’histoire qu’on se racontait et la colère sans objet, brûlante. La nausée nous tenant méconnuexs, nombreuxses à l’intérieur de nos ressentiments. Que la mort soit celle de ceux qui s’activent autour de la nôtre (à défaut de mieux, dans le texte).

C’est les vacances est une revue regroupant des auteurices de plusieurs générations, explorant des littératures poétiques, dramaturgiques, théoriques. Ce premier numéro est articulé autour de la colère : le sentiment et les actes qu’elle motive. La dimension littéraire des textes s’enchevêtre à une dimension militante, notamment autour de manière de voir, de vivre et d’aimer. Les textes explorent le meurtre, l’art, la sexualité, le désir.

La composition de la revue s’est faite à partir d’un appel à texte, auxquelles amiexs et inconnuexs ont participé et dont la sélection s’est faite sur l’articulation entre les textes proposés et le texte de l’appel. « Cet appel s’adresse aux personnes rongées de colère, aux cœurs brisés par celleux qui les entourent, parce que des rêves avaient été formulés, parce qu’un certain type d’amour devait pouvoir se transformer en une communauté intense et productive et qu’il ne reste que : le souvenir de l’histoire qu’on se racontait et la colère sans objet, brûlante. La nausée nous tenant méconnuexs, nombreuxses à l’intérieur de nos ressentiments. Que la mort soit celle de ceux qui s’activent autour de la nôtre (à défaut de mieux, dans le texte) ».

Avec les textes de Rosanna Puyol, Rubi Rogge, Amandine Barreteau, Elise Bmx, Alexandra Dourlet, Liza Maignan, Béatrice Cussol, Anne Sarah Huet, Pj Horny.

ditions Burn~Août

L’ensemble des textes sera enrichi d’une série d’illustrations de Lou Vérant

Cette revue est plus politique que romantique, plus littérale que métaphorique et donne un aperçu d’une scène de création littéraire émargée mais puissante.

Éditions Burn~Août (association Camille Honnête) 46, avenue du président Wilson 93230 Romainville

burnaout@riseup.net http://editionsburnaout.fr/

dernière modification 13 décembre 2022

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ditions Burn~Août

EXTRAIT 1

«on a beau, je disais rigolardement réciproque le foyer juste au-dessous du silence not-in-between agrandissement de l’espace commun (réciproque le foyer)»

EXTRAIT 2

« Question : imaginons qu’un enchantement brise la conscience infinie et réciproque de la common knowledge », imaginons qu’elle soit limitée, disons, à l’ordre deux. Cela revient à remplacer « etc » par « personne ne sait si toustes savent que toustes savent que l’information est connue par touste ». Quelles seraient les conséquences ? Nous pensons que les conséquences seraient dingues, diffuses et imprévisibles. La disproportion serait un cube blanc sans ombre, propre, artificiel. La peinture abstraite serait figurative. Les meme seraient performatifs. Il n’y aurait plus de main character, ni de club exégétique. Il ne resterait plus que les heures miroirs.»

EXTRAIT 3

Les images les plus réconfortantes de ma vie. Un jour en direct à la télévision J-J B (qu’il devienne un personnage pour celles qui ne sauraient pas qui il est) met une balle dans la tête de D. (qu’il reste lui-même, le ministre de l’intérieur), son crâne explose parce que J-J B a tiré à bout portant. BFMTV interrompt la diffusion. J’ai les larmes aux yeux. Ce que je ressens c’est de la joie. Je visite la bourse de commerce, ma fille aime bien jouer avec mon briquet. Ses petits doigts ne parviennent que très rarement à faire apparaître une flamme. Par un enchainement d’évènements étranges et imprévisibles, tout brûle.

Je crois GW, je met une grande baffe dans sa petite gueule (idem un personnage tous vos rivaux sans talent prenant une place qui ne leur appartient que grâce à leur petite queue de connard privilégié) qui arrête l’art pour le bien de toutes, et rentre gentiment dans sa province de merde vendre des légumes.

CC passe son temps à hurler dans ses costumes et il est payé pour ça. Je me lève je lui demande de se taire, il se tait. Par une opération aussi bizarre (fantasmatique) que celle du feu, lui intimant de se masturber devant nous, il s’éxécute. Le public regarde. Tout le monde comprend bien maintenant qu’il doit arrêter l’art, et nous sommes si soulagées de ne plus avoir à nous taper ses formes. Un certain nombre d’hommes le suivent dans sa désertion.

Il (un autre) arrive avec son petit sourire de merde, il se croit beau ou intelligent à ne jamais rien dire, il me dégoûte quand son t-shirt est sorti de son pantalon avec ses petites hanches, toute petite étroite, je pourrais vomir, rentre ton t-shirt dans ton pantalon, je prends sa tête et je l’écrase contre la baie, le sang coule légèrement

Éditions Burn~Août (association Camille Honnête) 46, avenue du président Wilson 93230 Romainville

burnaout@riseup.net http://editionsburnaout.fr/

de ses yeux, de son nom, l’impact l’a tué je crois.

Je monte sur scène et tout le monde applaudit. C’est le stade de France. Me voir leur fait éprouver tellement de joie que je suis réparée, je me pourlèche de leur amour.

Alexandra Dourlet – C’est privé jusqu’à ce que ça intéresse quelqu’un,

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13 décembre 2022
Une illustration de Lou Verrand pour l’affiche du film Légende du Printemps Source : compte Instagram de l’artiste

ditions Burn~Août

Ce recueil s’adresse aux personnes rongées de colère, aux cœurs brisés par celleux qui les entourent, parce que des rêves avaient été formulés, parce qu’un certain type d’amour devait pouvoir se transformer en une communauté intense et productive et qu’il ne reste que : le souvenir de l’histoire qu’on se racontait et la colère sans objet, brûlante. La nausée nous tenant méconnuexs, nombreuxses à l’intérieur de nos ressentiments. Que la mort soit celle de ceux qui s’activent autour de la nôtre (à défaut de mieux, dans le texte).

Burn~Août (Association Camille Honnête) 46, av. du président Wilson 93230 Romainville ISBN : 9782493534101

C'EST LES VACANCES

C'est les vacances ~

(dir. Eugénie Zély)

Amandine Barreteau, Elise Bmx, Béatrice Cussol, Alexandra Dourlet, Azani Ebengou, Anne Sarah Huet, PJ Horny, Liza Maignan, Rosanna Puyol, Rubi Rogge (été 2023 )

Couverture provisoire

Éditions Burn~Août (association Camille Honnête) 46, avenue du président Wilson 93230 Romainville

Appel à textes publié sur nos réseaux sociaux durant l’été 2022

burnaout@riseup.net http://editionsburnaout.fr/ dernière modification 13 décembre 2022

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Burn~Août
~ Eba
–2023 PDV: 666€ Auteurices (*9) 6,66 € Dir.ed. 6,66€ Impression 6,66 € Commercialisation 6,66 € Burn~Août 6,66 €

Claire Fourier

Genre : récit

Avant-propos de Claire Fourier

Format : 12 x 18,5 cm

Pages : 336 Prix : 18 €

ISBN : 978-2-490251-78-0

Née à Ploudalmézeau, dans le Finistère Nord, Claire Fourier est l’auteur d’une vingtaine de livres – romans, récits, haïkus, recueils de pensées – qui nouent finement impertinence, tendresse, mélancolie, résistance et fragilité. Tombeau pour Damiens, la journée sera rude (2018) est parmi les premiers livres publiés par le Canoë qui a réédité également, en 2021, Métro Ciel, la nouvelle érotique qui l’a fait connaître auprès d’un large public. Dans Le Jardin voluptueux paru en 2022, « elle magnifie la sexualité, comme l’écrit M-J Christien dans ArMen, en y ajoutant la sensualité et le plaisir féminin qui ose se dire ».

Paru initialement à L’Atelier des Brisants, maison d’édition créée par Jean-Louis Clavé et Bernard Noël en 2000, d’une façon confidentielle, ce livre tient du chef-d’œuvre. Il illustre l’immense pouvoir de la littérature de donner à voir par les mots. Claire Fourier n’est jamais allée en ex-Indochine et l’on s’y croirait avec une vérité que n’atteint pas Apocalypse now. Elle précise dans son avant-propos que ce n’est pas un livre politique. D’une brève nouvelle projetée à la faveur d’une rencontre, elle a construit son récit : « il a sorti de sa poche poitrine un crayon à bille et tracé sur la nappe de papier une ligne sinueuse entre deux points : Lang Son, Cao Bang. Il souligne, dit les noms à voix haute. Quels noms ! Je les entends pour la première fois (ils vont résonner à mes oreilles pour toujours). Et cette ligne sinueuse ? La RC4. Pour la première fois aussi, j’entends ce sigle. J’interroge. L’homme passe et repasse son crayon sur le trait : c’est la Route Coloniale 4, elle sépare la Chine de l’Indochine, son nom lui a été donné par les colonisateurs français à la fin du xixe siècle, une piste plutôt qu’une route ; il s’est passé là des événements majeurs pendant la guerre. —Plus qu’à Diên Biên Phû ? — À Diên Biên Phû, la guerre était déjà perdue. » À partir de cette rencontre, elle se documente minutieusement dans les archives, au Château de Vincennes, et écrit l’histoire d’un amour plus vraie que vraie, bouleversante, née sur cette route.

Juillet
Contact et libraires : colette.lambrichs@gmail.com Téléphone : 06 60 40 19 16 Diffusion et distribution : Paon diffusion.Serendip Éditions du Canoë 2023

Dans l’enfer vert du Haut-Tonkin, la piste a été taillée à flanc de montagne à la fin du xixe siècle par la Légion étrangère. Elle traverse une région torturée. Gorgée d’humidité. Saturée de vert. Où les hautes falaises déchiquetées de calcaire pâle, les da voï, émergent comme une cité fantomatique d’une fourrure végétale monstrueuse. Pointes menaçantes dans un chevauchement de sombres mamelons géants. Fruits dantesques et blanchis d’une lente, implacable poussée minérale. On songe non à la Cathédrale engloutie, mais à de mythiques cathédrales émergées. (Des notes limpides de Debussy, comme on est loin dans cette suffocante touffeur !) Les murailles plus striées que les façades gothiques vomissent d’épaisses grappes de verdure persistante. Taillés à la hache par quelque Gulliver, les puissants contreforts calcaires et les collines schisto-argileuses s’enchaînent, se chevauchent dans la prolifération tropicale. Trace de plissements, soulèvements, effondrements d’avant l’Histoire. Masses colossales, écrasantes. C’est un déluge minéral et végétal. Tout déborde.

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EXTRAIT N° 1

Les torrents d’eau blanche et verte s’encastrent dans les gorges d’aspect cratériforme. Des rivières s’étalent dans les plaines lacustres hérissées d’énormes pitons coniques.

Les pentes chavirent dans un océan de jade mousseux – que moirent ou lustrent ici et là, d’un vert plus doré, les cimes flexibles et plumeuses des cây tre, bambous serrés en massifs, et les feuilles de lataniers mouchetées de topaze par un furtif rayon de soleil. Hautes graminées, fougères arborescentes mêlées aux chênes, aux cèdres, aux pins, bouquets de racines aériennes nouées aux arbres couvre de vastes étendues inextricables, jamais foulées.

Le sol est spongieux. Ici tout se décompose si vite ! On respire une odeur de moisissure millénaire. C’est la rung nui : la jungle tentaculaire. D’où émane une violence sourde. Rampante. Ravageuse. Des crépuscules violacés endolorissent une beauté insoutenable. Outrancière. Tellement inhumaine. – Où plus qu’ailleurs pourtant, contraint de repousser ses limites, l’humain s’est reconnu. La région est si chaotique qu’aucun relevé topographique ne rend compte avec exactitude de ces lieux propices à la guérilla.

La jungle elle-même semble guetter un drame imminent, un dénouement à trop de nœuds. Le paysage tout entier est comme un sourd appel sanguinaire.

Dans la moiteur opaque, il arrive qu’à midi le jour n’ait plus d’existence. La RC4, sous la voûte de feuillage, est un labyrinthe nocturne. À midi, il est presque

minuit. C’est par intermittence que des lances de lumière percent le flanc de la forêt vierge. Alors, dans les frondaisons noires, flambe un soleil vert. Un halètement indistinct monte de la forêt grasse et qui transpire. Senteurs lourdes. Où l’on distingue parfois les effluves de l’orchidée. Où plus souvent l’on respire l’arôme amer du sang. Le frémissement des aigrettes de bambous se mêle au cri des singes et au feulement des carnassiers la nuit.

Cette débauche de verdure fait peur. Ça palpite. Ça froisse. Ça craque. On s’aventure là dans l’imprévisible.

« Je vis un roman », écrit Francis Dubreuil à sa mère.

La RC4 a moins de quatre mètres de large. Longeant la dépression montagneuse, c’est souvent une route en corniche. D’un côté, l’échine calcaire, truffée de grottes à l’abri desquelles le Viêt Minh, fluide et insaisissable, combine de subtils assauts suivis de replis rapides. De l’autre côté, le moutonnement d’entonnoirs vertigineux et boisés, c’est-à-dire : guère de retrait possible pour les colonnes françaises si les commandos viêts dégringolent des hauteurs. – Sun Tzu écrit : « Battez-vous en descendant, n’attaquez pas en montant. Lorsque l’eau du torrent fait rouler les galets, c’est grâce à son impétuosité. »

(Sun Tzu, premier théoricien de la guérilla. L’antiClausewitz. Son Art de la guerre, écrit en 460 av. J.-C.,

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est le plus ancien traité militaire connu. Insurpassé. Les Occidentaux l’ont traduit en 1776, mais le négligent. Mao Tsé-Toung et Giap le connaissent par cœur. C’est leur Bible. Le Petit Livre de la Guerre.)

La RC4 avance à tâtons dans cette jungle compacte, franchit les seuils de dislocation en défilés et tunnels qui sont une succession de coupe-gorges ; elle serpente en lacet parmi les éboulis, entrecoupée de cours d’eau qu’on passe à gué, ou sur des ponts, des ponceaux.

Conçue pour un trafic léger, hommes à pied, chevaux et mules, chariots et litières, la RC4 tient parfois du sentier de chèvre. Goudronnée par taches, c’est le plus souvent un ruban discontinu de poussière caillouteuse, une chaussée empierrée et défoncée, envahie de coulées de glaise lors des pluies qui la transforment en fondrière. C’est que des crues torrentielles (il tombe deux à trois mètres d’eau par an) accompagnent, à mille mètres d’altitude, les orages de mousson qui alternent avec le crachin glacé de l’hiver. Ici et là, des clairières de rizières, favorisées par ce climat humide, font comme une heureuse respiration.

La RC4, étroite, est une piste à voie unique, facile à couper. Toute manœuvre y est ardue, sinon impossible ; l’avancée des patrouilles, des convois, est forcément très lente. Des épaves de véhicules calcinés jonchent les bas-côtés. La poussière n’a qu’à peine le temps d’absorber les taches d’huile et d’essence, d’autres se répandent ; il en est de même des taches de sang.

La Route Coloniale 4 appelle une orgie de verdure et de sang. Chaque expédition relève du défi à la nature autant qu’à l’ennemi.

De Lang Son à Cao Bang, la piste est très périlleuse. La distance entre les deux villes n’est que de 136 kilomètres. – 136 kilomètres comme une frontière vivante et poreuse, qu’il faut défendre contre des attaques foudroyantes.

Exigeante et maudite, la RC4 est une ogresse. Jamais rassasiée. On meurt pour elle.

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D’un jour l’autre, la différence se calcule au nombre de morts. Le Haut Commandement ne sait plus s’il doit faire partir fréquemment des convois légers ou, au contraire, espacer des convois lourds. Il commence à se diviser sur la conduite à tenir dans la Zone Frontière. Le Viêt Minh le sait. Et sait aussi qu’il ne gagnera la guerre qu’à abuser, égarer, modeler l’adversaire.

Le 2 janvier de cette année 1948, autre convoi. Deux obus piégés éclatent à vingt mètres de la voiture de tête, mais les rebelles sont vite débusqués et faits prisonniers.

Le 5, nouveau guet-apens. Les Français parviennent à grimper sur les pentes plus haut que l’ennemi. De là, ils tirent sur les tireurs. Qui s’éloignent.

Le 6, corvée d’eau à la rivière quand la brume s’est dissipée. Sur la rive opposée, éclate un feu nourri. Il couche, en face, hommes et fougères. Pourtant ce même jour, le poste de Lung Vaï est renforcé. Non sans échange de coups de feu. On capture… des communistes chinois venant de Gia Boc !

Le 8, un détachement quittant Na Cham est

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EXTRAIT N° 2

aussitôt pris sous un tir très vif de mitrailleuses. Sept tués, douze blessés amis. Chez l’ennemi, onze tués, combien de blessés ? On ne sait pas. Les Viêts, secondés par des coolies, ont emmené leurs mourants.

Le 9, la fusillade reprend au même endroit.

Le 19, le groupe de Bazin, bien que prévenu par des Thô (partisans bien singuliers qui font brûler des bâtons d’encens dans le canon de leur fusil !), n’échappe pas à une pluie de balles.

Le 21, on apprend que Giap est à vingt kilomètres de Na Cham. On s’emballe, on part à sa poursuite. On revient bredouille. Chang Yu a écrit : « Impalpable et immatériel, l’expert ne laisse pas de trace. Mystérieux comme une divinité, il est inaudible. C’est ainsi qu’il met l’ennemi à sa merci. »

Le lendemain, 22, avantage aux Français : soixante Viêts tués au poignard dans les trous des rochers.

Et ainsi de suite. Chaque jour, sous le feu, les amis continuent de réparer la route, de compartimenter les itinéraires par l’installation de postes aussitôt harcelés par l’ennemi. C’est en vain qu’ils réclament à Saïgon des lance-flammes pour dégager les bas-côtés, davantage d’armes pour lever davantage de partisans et conquérir la population, « seule muraille valable ».

Chaque jour, les Français roulent. Rapide et méticuleuse, Lily sort sa trousse de secours. Elle distribue les premiers soins aux blessés recueillis dans son ambulance. Elle soupire. Vont-ils cesser d’affluer ? Elle a oublié qu’elle pourrait être ailleurs.

Sur la RC4, des chevaliers luttent avec des manants. Pour la beauté du geste.

Dans les bureaux pleins de paperasses de Saïgon, où les ordres sont donnés de façon incohérente, et dans ceux de Hanoï, où l’exécution des ordres est préparée de façon contradictoire après que la transmission a été douteuse, les états-majors jouent avec des têtes d’épingles en couleur sur des cartes, mènent une guerre d’intrigues, abandonnent aux Viêts le souci de la guerre utile. (À l’hôtel Continental, des journalistes qui ne quittent pas le bar écrivent, entre deux verres d’alcool, leurs papiers dans de profonds fauteuils de cuir.)

Bah ! Tant que les Rois Boiteux auront leurs Perceval…

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7 mai

Claire Fourier

Éditions du Canoë

Genre : récit

Format : 12 x 18,5 cm Pages : 48 Prix : 8 € ISBN : 978 -2-490251-44-5

Née à Ploudalmézeau, dans la Bretagne du Nord, Claire Fourier est l’auteur d’une vingtaine de livres – romans, récits, haïkus, recueils de pensées – qui nouent finement impertinence, tendresse, mélancolie, résistance et fragilité. Tombeau pour Damiens, la journée sera rude (2018) est parmi les premiers livres publiés par Le Canoë. Son dernier ouvrage, paru en 2020, s’intitule Sémaphore en mer d’Iroise

C’est par ce texte incandescent que Claire Fourier s’est fait connaître. Dans le métro, un homme et une femme se regardent et s’attirent irrésistiblement. Rencontre éblouissante, arrachée à la monotonie des jours, nécessairement sans lendemain. Elle est mariée, lui peut-être aussi. Ils s’aiment sans retenue une après-midi entière puis retournent chacun à sa vie d’avant. Moment miraculeux. Grâce.

« J’aurais aimé écrire cela », note Régine Deforges, dans le Monde des Livres de 1996. Je la comprends. Ces lignes n’ont pas pris une ride.

Contact et libraires : colette.lambrichs@gmail.com ; tel 06 60 40 19 16

Diffusion-distribution : Paon diffusion.Serendip

2021

Claire Fourier Mai

Genre : récit

Format : 12 x 18,5 cm

Pages : 160

Prix : 16 €

ISBN : 978-2-490251-62-9

Née à Ploudalmézeau, dans le Finistère du Nord, Claire Fourier est l’auteur d’une vingtaine de livres – romans, récits, haïkus, recueils de pensées – qui nouent finement impertinence, tendresse, mélancolie, résistance et fragilité. Tombeau pour Damiens, la journée sera rude (2018) est parmi les premiers livres publiés par le Canoë qui a réédité également, en 2021, Métro Ciel, la nouvelle érotique qui l’a fait connaître auprès d’un large public.

Clarisse, la poétesse, décide de faire le portrait de Robert, son jardinier. C’est un bel homme, solide, de noblesse un peu abrupte, qui semble venu de la nuit des temps, et qui a une passion : les oiseaux exotiques qu’il élève chez lui dans une immense volière. Le manuel et la cérébrale évoluent dans le jardin depuis des années. Ils s’entendent, chacun trouve à l’autre des qualités qui l’émeuvent. Vont-ils finir par se fondre l’un en l’autre, se confondre ?

Claire Fourier, qui ne laisse d’être émerveillée par la différence homme-femme, et qui explore de livre en livre la bipolarité et la complémentarité des « sexes opposés », signe avec Le Jardin voluptueux, sous-titré Nous sommes de drôles d’oiseaux, un chant d’amour (un de plus) pour le drôle de genre humain.

Contact et libraires : colette.lambrichs@gmail.com Téléphone : 06 60 40 19 16 Diffusion et distribution : Paon diffusion.Serendip Éditions du Canoë 2022

Virgil Gheorghiu

Genre : roman

Format : 13 x 21 cm

Pages : 336

Préface de Thierry Gillyboeuf

Prix : 23 €

ISBN : 978-2-490251-73-5

Un seul livre, La 25e heure, paru en 1948, aura suffi à faire la célébrité de Virgil Gheorghiu. Né le 9 septembre 1916 à Războieni, dans le judeţ de Neamţ, Virgil Gheorghiu est l’aîné de six enfants d’un pope. À douze ans, ne pouvant aller au séminaire faute d’argent, il entre au lycée militaire de Chişinău, où il fait ses premières armes de poète, puis à la Faculté de Lettres et de Philosophie de Bucarest. Il publie plusieurs recueils de poésie, avant de devenir reporter de guerre à partir de 1941. Après l’invasion de la Roumanie par les troupes soviétiques, il choisit l’exil avec sa femme. Arrêté « automatiquement » par les autorités américaines, le couple est balloté de camp en camp pendant près de deux ans. Libérés « automatiquement », ils entrent clandestinement en France, avec le manuscrit de La 25e heure. Dès sa sortie, le livre rencontre un immense succès public et critique qui propulse Gheorghiu au premier rang des écrivains de l’immédiat après-guerre. Mais en 1952, une violente campagne est lancée contre lui par les Lettres françaises qui entachera durablement sa réputation, et nuira à la suite de sa carrière littéraire. Auteur d’une quarantaine d’ouvrages, dont une grande partie de romans, ainsi que quelques essais spirituels, Virgil Gheorghiu est ordonné prêtre de l’église orthodoxe roumaine à Paris, en 1963. En 1986, il entreprend la publication de ses Mémoires, qui devaient compter sept volumes. Après la chute du Mur de Berlin, il s’engage activement dans le combat qui mènera à la chute des Ceauşescu. Il meurt à Paris le 22 juin 1992.

Écrit en 1982, Dracula dans les Carpates est le dernier roman de Virgil Gheorghiu. Inédit en français, le manuscrit en a été retrouvé quinze ans après sa mort. Renouant avec la veine de ses grandes œuvres (La 25e heure, La Seconde Chance, Les Sacrifiés du Danube, La Cravache, etc.), Gheorghiu confronte une fois de plus la Roumanie de son enfance, une Roumanie à la fois traditionnelle et éternelle de petites gens, paysans pour la plupart, avec la violence de l’Histoire incarnée par le dernier envahisseur, l’empire soviétique. Avec un sens aigu de l’absurde kafkaïen de ce nouveau maître, Gheorghiu revient sur cette date fatidique de l’invasion russe qui fait suite à tant d’autres invasions depuis 2000 ans. Sans pour autant donner quitus aux empires concurrents, le Britannique notamment, incarné par cet Irlandais, Baldin Brendan, diplômé en vampirologie, venu dans les Carpates rechercher les traces de Dracula, Gheorghiu démonte, dans ce roman haletant et grinçant, la mécanique du totalitarisme avec sa bêtise mauvaise qu’appliquent subalternes et exécutants zélés, face aux valeurs ancestrales d’un peuple tétanisé, attaché à ses traditions, et face aux brigands, aux hors-la-loi, les haïdouks gardiens du sens, qui résistent ouvertement depuis leurs refuges montagnards. L’arbitraire règne, la rationalité n’a plus cours, la guerre des logiques contradictoires fait rage dans un climat de cocasserie et d’effroi. Avec ce roman d’une grande virtuosité, construit comme une tragédie grecque, Gheorghiu semble avoir plongé les haïdouks de son compatriote Panaït Istrati dans l’univers grotesque et inquiétant des grands romans d’Ismaïl Kadaré.

7 avril
Copyright : tous droits réservés.
Contact et libraires : colette.lambrichs@gmail.com Téléphone : 06 60 40 19 16 Diffusion et distribution : Paon diffusion.Serendip Éditions du Canoë 2023

LE MUSÉE DU CRIME

« Regardez bien l’horloge de la tour, dit Ionel Nimic. Il est huit heures moins dix minutes. Quand l’horloge sonnera les huit coups, l’action sera déclenchée. Deux minutes après, vous serez libre. Vous pourrez utiliser à fond votre liberté et chercher Dracula et les vampires des Carpates. »

L’Irlandais Baldwin Brendan se trouve dans le palais Caroubia. Près du lit du roi de Roumanie, le lit à baldaquin avec des draps de soie dans lequel il a passé la nuit. À présent, il est à la fenêtre. À côté de lui se trouve Ionel Nimic, le brigand qui lui tient compagnie depuis trois heures. Les grandes fenêtres de la chambre du roi sont ouvertes vers l’intérieur, les volets en bois sont fermés. Par les fentes des volets pénètre la lumière qui dessine des raies comme celles des zèbres sur le tapis blanc. Ionel Nimic a passé le canon de son fusil à travers une fente des volets. Le canon de son fusil est pointé sur le sous-officier Taky Robur qui continue à vociférer sur l’estrade, au milieu de la place à côté du pieu au bout duquel se trouve la tête du supplicié.

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« Vous allez commettre un grand massacre ? » demande l’Irlandais. Il est effrayé. Ionel Nimic et les autres brigands qui l’ont enlevé hier au début de l’aprèsmidi à Bogaz, l’ont promené plusieurs heures, sous leur escorte, dans la ville, et qui l’ont amené dans ce palais, ne lui ont jamais rien dit de précis. L’Irlandais a passé la nuit dans le noir. On lui a apporté à manger et à boire. Mais les brigands n’ont jamais allumé ne serait-ce qu’une bougie. C’est le matin, quand la lumière a pénétré à travers les volets que l’Irlandais a réalisé qu’il a bel et bien dormi dans le lit du roi. Qu’il se trouvait dans un palais. On lui a dit que le matin, les brigands allaient récupérer la tête de leur camarade supplicié, tête qui sera exposée sur la place. À présent, l’Irlandais voit la tête du supplicié au bout du pieu. Il a vu des images pareilles à celle-ci dans le livre racontant l’histoire de Vlad l’empaleur1. Quand les ambassadeurs de la Sublime Porte ottomane vinrent au palais de Vlad réclamer le tribut pour le sultan, Vlad leur trancha la tête et les exposa au bout des lances et des pieux sur la place. C’est le même spectacle que l’Irlandais a devant ses yeux.

« À huit heures précises, après le dernier coup de l’horloge de la tour, nous ouvrirons le feu. Je tirerai d’ici. Je viderai mon chargeur. Une vingtaine de mes camarades embusqués sur les toits de la préfecture, de l’hôtel de ville, du palais Caroubia, du palais de justice

1 Vlad III Basarab (1431/1436-1476) dit l’Empaleur (Tepeş en roumain), prince de Valachie, réputé pour sa cruauté. Surnommé Drăculea, fils du dragon en roumain, il inspira à Bram Stoker le nom de son personnage.

et de tous les immeubles qui entourent la place feront feu en même temps que moi. Je vous dis cela afin que vous sachiez à quoi vous en tenir. Afin que vous ne perdiez pas une miette du spectacle. Je procède comme le présentateur d’un film à suspens au cinéma. Ils disent : “Faites attention à la scène qui va se dérouler. Elle ne durera que quelques secondes, pas plus.” Je vous préviens de la même façon, car la scène sera très brève. Au huitième gong de l’horloge, les rafales croisées seront tirées de partout. Taky Robur, la hyène aux dents d’or, sautera de l’estrade et tombera le nez dans la poussière, couché par terre, de peur de perdre sa sinistre vie. Tous les gendarmes se jetteront à terre. Ils seront paralysés par la frayeur. Novalis, notre capitaine qui se trouve près de l’estrade en ce moment même, quoique vous ne puissiez pas le voir, car il est caché, au moment de la fusillade sautera sur l’échafaud, attrapera la tête de Fraga, comme on attrape une balle au vol sur le terrain de rugby, la cachera sous son suman et disparaîtra. La tête de notre camarade Fraga sera récupérée. Quand Robur et la dizaine de gendarmes qui se trouvent sur la place lèveront la tête et tâcheront de riposter, ils en seront empêchés par nos permanents. Nous avons plus de deux cents supplétifs, de paisibles jeunes paysans qui nous prêteront main forte. Ils sont sur la place autour de l’estrade. Quand les gendarmes essayeront de riposter, ils seront entourés, bousculés et plaqués au sol. Comme dans une mêlée de rugby. Dès que l’un d’eux se relèvera, on lui fera un croc-en-jambe, on le bousculera

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violemment de tous côtés et il se retrouvera de nouveau à terre. C’est un spectacle à ne pas manquer. Il durera quelques minutes. Entre-temps, nos camarades embusqués sur les toits, aux fenêtres et ceux qui se trouvent mêlés aux gens paisibles sur la place disparaîtront. Nous nous retrouverons plus tard, autour de la tête sauvée de notre camarade. Et ce soir, nous irons l’enterrer dans le cimetière des haïdouks. Vous, de votre côté, vous n’avez qu’à descendre dans la rue et demander au premier agent où vous pouvez rencontrer Dracula. Car c’est pour trouver Dracula que vous êtes venu de si loin, n’est-ce pas ?

Ce n’est pas le moment de vous moquer de moi, dit l’Irlandais. Il ajoute : Il n’y aura pas de morts ?

— J’espère que non. Nous ne tuons jamais. Ou presque. Si nous faisons bon marché de notre vie sur terre, nous tenons à ne pas perdre notre vie éternelle. Cela ne veut pas dire que, dans quelques minutes, il n’y aura pas de sang versé et de morts devant sur la place. Théoriquement, tout est réglé. Théoriquement. En pratique, cela peut se passer autrement. On joue la vie sur le cadran de l’horloge, comme on joue des fortunes sur le tapis vert des casinos. Toute action est un ludere alea, un jeu de hasard. Le premier qui joue sa vie, c’est notre capitaine Novalis. C’est lui qui récupère la tête. Si quelqu’un est tué dans les minutes qui viennent, c’est Novalis. Les actions les plus dangereuses, c’est lui seul qui les accomplit. Sa devise est : “On n’a le droit d’être cruel qu’envers soi-même” ».

La voix de Taky Robur résonne, grinçante et menaçante au-dessus de la place.

« Venez voir la tête du célèbre assassin Lucian Fraga, tête que j’ai moi-même tranchée, exploit pour lequel Sa Majesté m’a donné en prime vingt pièces d’or. Venez écouter comment j’ai capturé et abattu le brigand. »

C’est la dixième fois que le sous-officier hurle ce slogan.

« Voilà Novalis, dit Ionel Nimic. Regardez-le. Il est derrière Robur. Par la fente du volet de la chambre du roi, du palais Caroubia, Ionel Nimic identifie ses camarades Titus Opinca, Frounza et Nica qui se tiennent prêts à récupérer la tête du supplicié.

Encore quatre minutes et le gong de l’horloge donnera le signal. Quatre minutes.

Tout le monde connaît le visage de Novalis et des autres haïdouks, dit l’Irlandais. Pourquoi sortir à découvert ? Ils pouvaient au moins s’habiller autrement. Ils vont se faire repérer et tuer.

Les soldats sont habillés avec l’uniforme du roi. Nous sommes habillés avec l’uniforme du peuple. Comme le peuple. À chacun son uniforme.

En procédant ainsi, vous vous faites tuer bêtement.

Ça ne fait rien de se faire tuer. Chaque fois que l’un de nous meurt, une dizaine de braves nous remplacent. C’est ainsi dans la montagne. Nous sommes comme le blé. On met un grain dans la terre, il en ressort un épi, avec une poignée de grains. Ils se multiplient.

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Notre mort est une manière de recruter, une augmentation des effectifs. Encore quatre minutes et c’est le signal. Qu’est-ce que c’est ? demande l’Irlandais. Regardez. »

Une femme avec un fichu noir, sur la tête, une couronne de pain dans laquelle est enfoncé un cierge allumé avance au milieu de la place, vers la catasta, vers l’estrade où se trouve la tête du supplicié et le brigadier.

Les gens s’écartent et font place à la femme. Elle porte un gilet de bure noire, une catrinţă, une jupe portefeuille, des bottes noires. Elle est droite. Elle avance d’un pas mesuré. Ferme. Elle ne regarde ni à gauche ni à droite. Uniquement devant elle. Elle ne regarde même pas l’estrade, ni la tête du supplicié, ni les gendarmes, ni les centaines de gens amassés sur la place. Elle avance avec son pain porté à la hauteur de la poitrine et avec le cierge allumé. Elle est comme une vestale qui porte une offrande. La statue vivante d’une vestale antique. Elle a la dignité des bourgeois de Calais qui avancent vers l’ennemi, vers les Anglais, avec la corde au cou, sans regarder autour d’eux. Ils regardaient au loin, dans le royaume de la mort et de l’éternité vers lequel ils se dirigeaient. C’est une démarche qui s’effectue sur terre, mais qui finit dans l’éternité, car elle ne va pas vers un but terrestre, vers un objet ou un être, mais vers une chose qui se situe au-delà. La femme ne voit même pas la tête du supplicié, mais la personne réelle du supplicié, celle qui a quitté la terre et qui se trouve maintenant dans le chœur des créatures angéliques, dans la

neuvième hiérarchie céleste. Là où les suppliciés voient Dieu face à face. Ici bas, on ne voit pas Dieu face à face. Seuls les morts ont ce privilège. Et c’est ce mort que la femme va honorer.

Ionel Nimic est pétrifié. Il jette un coup d’œil, sans bouger, vers Novalis qui se trouve près de l’estrade. Le capitaine est figé. Il regarde sans voir. Il ne sait plus quoi faire.

« Cette femme gâche tout, dit Ionel Nimic. Il ajoute : Cette femme va se faire tuer. Dans un instant les gendarmes la cribleront de balles. Ils piétineront son corps avec leurs bottes. Ils se jetteront sur elle comme sur une bête de proie. Elle sera écrasée, déchirée en morceaux. Qui est cette femme ?

C’est la mère du supplicié, dit Baldwin. Seule une mère peut braver les fusils. Prendre de tels risques. C’est sûrement la mère du supplicié. Lucian Fraga n’a pas de mère, dit Ionel Nimic. C’est un orphelin. C’est sa femme ou sa fiancée, dit l’Irlandais.

Il n’était pas marié. Je le connais Il n’avait pas de fiancée non plus. Qui est cette femme alors ? Une étrangère. »

La porteuse d’offrandes pour le supplicié est proche de l’estrade. Elle fait le signe de croix. Elle dépose la couronne de pain et le cierge dans la poussière au pied de la plateforme. Elle se redresse et elle fait à nouveau le signe de croix. Prête à partir. Sa mission est accomplie.

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Le sous-officier Taky Robur s’arrête brusquement. Il a vu la femme. Il est surpris. Il la regarde. Il pense d’abord qu’elle est venue lui rendre hommage. À lui, le maître tout-puissant qui se trouve sur l’estrade et qui fait trembler toute la foule. Lui qui peut tuer qui il veut, quand il veut et où il veut. C’est sa première pensée : la femme lui rend hommage. À lui, le séducteur, le maître qui dispose de la vie de ses semblables, à qui Sa Majesté a accordé le droit de supprimer la vie. Il est habitué à recevoir des hommages, surtout des hommages de femmes. Dans toutes les tavernes qu’il fréquente, toutes les femmes sont à ses pieds. Pour le moment, il est perplexe. Une couronne de pain et un cierge pour lui ? Aucune femme ne lui a rendu encore cet hommage. Mais les temps sont peut-être venus d’être honoré comme le roi. Au roi on apporte du pain en hommage et on le dépose à ses pieds. Pourquoi pas à lui ? Tout tyran, si petit soit-il, se croit le maître du monde. Taky Robur regarde la femme avec bienveillance. Il ne bouge pas. Il attend. Il a cessé de crier. Mais quand il voit que la femme droite se signe, il se rend compte que l’offrande n’est pas pour lui. C’est pour le mort. Pour celui dont il a coupé la tête. La tête aux dents d’or de Taky Robur devient violette. Il saute de l’estrade. Il veut empoigner la femme. Rendre hommage à celui qu’il a tué ? C’est une chose qu’il ne peut pas tolérer. Taky Robur croit fermement à ce qu’il dit. Il expose ses exploits, raconte comment il a tué la bête féroce. En racontant cela, il se voit sur le même plan

que saint Georges qui a tué le dragon. Il est l’égal des archanges qui tuent les méchants. Il le croit fermement. Il n’a jamais eu de doute. Le roi l’a récompensé avec vingt pièces d’or. Il les a dépensées. Il s’est fait faire des dents en or. Sa bouche d’or est la preuve que ses exploits égalent ceux de saint Georges. Il est saint Jean Bouche d’Or. Ses dents le prouvent. Il a reçu un galon de plus sur ses épaulettes. Il est assimilé aux aspirants. S’il accomplit d’autres exploits, il sera officier. En plus, il sait parler aux foules. Les gens l’écoutent en tremblant. N’est-ce pas une preuve de son héroïsme, de sa puissance, de sa grandeur ? Les élèves de toutes les écoles sont venus avec leurs professeurs et leurs moniteurs pour défiler devant lui, Taky Robur. Ni le capitaine, ni le colonel n’ont eu le droit à voir toute la ville défiler à leurs pieds comme lui, Taky Robur, aspirant officier qui a tué le dragon et lui a coupé la tête pour l’exposer à la population. Il a sauvé la montagne. Il est dans l’ordre des choses qu’une femme vienne lui apporter, comme aux conquérants, aux héros et aux autres sauveurs de l’histoire, l’offrande du pain. Mais cette ivresse n’a duré que quelques instants. Quand il voit la femme faire le signe de croix sans le regarder, lui, Taky Robur, il comprend que l’offrande n’est pas pour lui, mais pour la bête qu’il a tuée. Sa fureur est à sonc comble. En sautant de l’estrade pour écraser la femme qui a commis cet acte de démence, Taky Robur, tombe. Il est allongé au sol. Les autres militaires sont sur le qui-vive. Pour lui porter secours. À cet instant, bien que le gong de l’horloge n’ait

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pas sonné les huit coups, Ionel Nimic ouvre le feu. Sans en avoir reçu le signal. Tous les brigands embusqués sur les toits et derrière les fenêtres ouvrent le feu. Ce n’était pas le signal de l’horloge. Les choses se sont passées autrement que prévu. Un décalage de trois minutes. Sur la place, on entend des cris. On se bouscule. On essaie de fuir. On s’allonge par terre. On est piétiné. Les gendarmes essaient de se lever et de reprendre la situation en mains, mais ils sont bousculés, renversés, plaqués au sol chaque fois qu’ils se relèvent. Cela ne dure pas longtemps. La fusillade cesse.

« Regarde, dit Nimic. Novalis a récupéré la tête. La tête de Fraga n’est plus au bout du pieu. Descendez et débrouillez-vous. Nos chemins se séparent. Vale, Hibernia. Que les anges vous aident à rencontrer Dracula. Vale. »

L’Irlandais est abandonné dans la chambre royale du palais de Caroubia. Il veut dire quelque chose au brigand, mais Ionel Nimic a disparu. Sur la place, le vacarme continue. Plus grand que pendant la fusillade. Des soldats arrivent de tous les côtés et bousculent la foule. L’horloge de la tour du prince Étienne sonne huit coups. La tête du supplicié Lucian Fraga a été récupérée deux minutes plus tôt que prévu.

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X Schneeberger

Traduit de l’allemand par Valentin Decoppet

PRÉSENTATION

Dans cette biographie qui navigue entre les identités de genre, la voix narrative trouve, au-delà d’une grammaire ponctuelle et objectivante, une force expressive qui lui est propre et atteint une neutralité de genre couleur rose, un neutre couleur néon, pour ainsi dire. L’emploi constant du Konjunktiv fait obstacle aux autres modes, remet l’identité indicative en question, fait imploser les habitudes, les certitudes et les genres. Des dialogues avec Robert Walser, Rousseau, Heine, von der Heide, des chansons en dialecte et des chansons populaires émergent une recherche polyphonique d’identité queer, la connaissance de soi, l’incarnation. Les poses et les masques, l’extravagance et le travestissement, le caractère provisoire et la précarité de toute existence humaine sont le fil rouge du livre, qui devient ici bleu.

En librairie avril 2023

Format : 14 x 21 cm

Pages: 272 p.

Reliure : broché, collé

Rayon : littérature étrangère

Prix: 30 CHF.- / 25 €

AUTEUR

X Schneeberger est né en 1976, en Argovie. Il grandit à Vogelsang et Birr, puis étudie à l’Institut littéraire suisse de Bienne, avant de décrocher, en 2018, un master en écriture littéraire à la Haute école des arts de Berne. Décloisonnant les champs artistiques, X Schneeberger décline ses pratiques et ses identités sous différentes formes. X Noëme – c’est son nom de Drag-queen – a ainsi donné une lectureperformance sur la base de son roman primé Neon Pink & Blue

TRADUCTEUR

Valentin Decoppet est né en 1992 à Lausanne, il vit aujourd'hui à Berne. Il a étudié l'allemand, le français et la traductologie aux universités de Lausanne, Göttingen et Berne, puis l'écriture créative et la traduction littéraire à la Haute école des arts de Berne. Valentin Decoppet a participé au programme Goldschmidt pour jeunes traducteurs littéraires en 2017. Il est traducteur indépendant depuis 2018. Il a traduit de l'allemand, aux éditions d'en bas, Le saut de l'ange et autres nouvelles de Markus Kirrchhofer en 2020

NEON PINK & BLUE
DIFFUSION ET DISTRIBUTION SUISSE Éditions d’en bas Rue des Côtes-de-Montbenon 30 1003 Lausanne 021 323 39 18 contact@enbas.ch /
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www.enbas.net

Extrait

Les sites de ses freak shows fermaient quasi en catimini de la nuit au lendemain, l’un après l’autre, ces espaces ou justement ces scènes, ou c’étaient des fermetures politiques ou policières. Aucun refuge dans ces lieux temporaires. Et il en aurait été de même pour les amourettes. Ce n’était pas de sa faute. C’était la faute à la vie qu’elle menait. Chaque projet une nouvelle amourette. Chaque chanson d’amour triste un véritable adieu, singe dansant en off. Évadé en douce d’une cage dorée. Fausse route. Désormais relâché dans la nature. En fait cabarettiste, on se disait ; après tout, on serait un travesti. Comme homme ou comme compatriote, comme poète ou comme artiste –justement comme si. Un être artificiel. De sa propre plume comme avec celle une autre. Le travestissement serait une catégorie littéraire, ça serait au début la seule information lexicale disponible en Argovie. On dirait l’un et parlerait chaque fois dans l’Autre. Même comme travesti on serait comme un travesti. Plus représentation que présentation. Plus pose que posture, plus gesticulation que signification. Quatre, cinq, six. « Casse-toi tu pues – et marche à l’ombre ». Si un homme voulait se rabaisser, il devait simplement porter des trucs de femme, ça suffirait amplement.

éditions Trente-trois morceaux

Gastone Novelli Voyage en Grèce - Viaggio in Grecia

Traduction de ierry Gillyboeuf. Suivi de Novelli ou le problème du langage de Claude Simon.

À paraître : mai 2022

Second tirage (premier tirage : octobre 2015) 18 euros – ISBN 9791093457024 104 pages – 16 x 21 cm

« Le possible est impossible, et l’impossible est possible. Le risible et confortable désir d’ordre fait naufrage tandis qu’il triomphe. L’alphabet si soigneusement ordonné, classi é, s’éparpille dans l’immensité de l’espace. Ici les parallèles se rejoignent avant l’in ni, ou, si on préfère, l’in ni fait intrusion dans les dimensions de la toile. »

Claude Simon, Novelli et le problème du langage.

Gastone Novelli (1925-1968) publie le Voyage en Grèce en 1966 aux éditions Arco d’Alibert à Rome. Ce livre est un montage de textes et d’images sélectionnés par l’artiste parmi les matériaux rassemblés lors de ses nombreux voyages en Crète, dans les îles de la mer Égée et à travers la Grèce continentale : véritables explorations réalisées à la recherche d’un langage primordial et originel, dont les racines seraient à retrouver dans le mythe et dans l’inconscient collectif. Depuis le début des années 1960, Novelli mûrit une poétique originale centrée principalement sur le rapport entre peinture et écriture. Cette recherche est alimentée par les rencontres décisives qui ont lieu alors avec des intellectuels et des écrivains tels que Samuel Beckett, Georges Bataille, Pierre Klossowski, René de Solier et Claude Simon. Ce dernier raconte dans Le jardin des Plantes la profonde complicité intellectuelle et créative qui les a liés, en consacrant de nombreuses pages au récit de l’expérience dramatique vécue par Novelli à travers son engagement dans la Résistance, puis l’incarcération et la torture. L’élaboration de livres en collaboration avec ces artistes occupe naturellement une place importante de ses travaux : il prépare avec Beckett un projet éditorial pour illustrer L’image ; en 1962, il réalise un livre unique pour Histoire de l’œil de Bataille, tandis qu’en 1965 il illustre l’édition allemande du livre de Pierre Klossowski, Le Bain de Diane. Voyage en Grèce apparaît alors comme l’aboutissement des recherches de l’artiste autour de la « forme-livre ». Traduit pour la première fois en français, il est accompagné dans cette édition d’un important ensemble de dessins inédits effectués durant ses voyages et sélectionnés parmi le fond conservé aux Archives Novelli, ainsi que d’un texte inédit de Claude Simon, Novelli et le problème du langage, écrit en 1962 à l’occasion de l’exposition consacrée à l’artiste à New York.

éditions Trente-trois morceaux 68 rue Montesquieu 69007 Lyon www.trente-trois-morceaux.com

contact Paul Ruellan +33 (0)7 83 88 30 63 editions@trente-trois-morceaux.com

diffusion paon-diffusion.com distribution serendip-livres.fr

Déjà parus Faire la carte Vincent Weber

L’Énéide Virgile, trad. Pierre Klossowski Voyage en Grèce Gastone Novelli Épiphanies James Joyce Street life Joseph Mitchell

En regardant le sang des bêtes Muriel Pic Zé

Gus Sauzay

Dans le décor Vincent Weber

La Crèche Giorgio Manganelli

Listen to me / Écoutez-moi Gertrude Stein

Brecht et la Méthode Fredric Jameson

Nouvelle du menuisier qu’on appelait le Gros –Vie de Brunelleschi Antonio Manetti

Poèmes Yvonne Rainer Dialogues avec Leuco Cesare Pavese

Le Gualeguay Juan L. Ortiz Homme par-dessus bord – Proses 1931-1947

Kurt Schwitters

En éliminant toutes les hypothèses impossibles, en soupesant les résultats de toutes les recherches, les récits de voyages, les analyses géographiques, je suis parvenu à cette conclusion : il existe un territoire, assez grand, couvert de montagnes, inconnu de tous, qui n’est signalé sur aucune carte. Le socle sur lequel repose ce territoire est constitué de matériaux qui ont la capacité d’incurver l’espace environnant de sorte que toute la région, dont ils constituent la base, reste enfermée dans une sorte de vide par lequel l’espace ne passe pas et, partant, invisible, impraticable pour les voyageurs, totalement neutre : unsagbar und unlesbar.

Eliminando tutte le ipotesi insostenibili, vagliando i risultati di tutte le indagini, i racconti di viaggi, le analisi geogra che, sono arrivato a questa conclusione: esiste un territorio, abbastanza grande, coperto di montagne, sconosciuto a tutti, non segnato su nessuna carta. La base sulla quale questo territorio poggia è costituita da materiali che hanno la capacità di curvare lo spazio circostante in modo che tutta la regione, di cui costituiscono la base, rimane chiusa in una specie di vuoto per il quale lo spazio non passa, e, quindi, invisibile, impercorribile ai viaggiatori, totalmente neutra: unsagbar und unlesbar.

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Aucun livre ne sert à ouvrir les noix. Le seul et unique guide qui vaille pour ce voyage, ce sont nos sens, étant admis qu’il soit possible de les reprendre à la civilisation, sans perdre notre organisation mentale. Beaucoup de gens ne parviennent pas à se synchroniser avec le « dehors », ne fût-ce que pour absorber Sophie par tous les pores, en regardant, en reni ant, en touchant avec érotisme.

« En vérité, un ux continu de terre, d’eau, de feu et d’air nous parvient et, en renouvelant notre corps sans répit, il l’entretient. L’Eau pour le sang, la Terre pour les os et la moelle, l’Air pour les nerfs et les artères lymphatiques, le Feu pour l’organe de la vue et le sexe. »

Voici la première lumière, la même que celle que Colomb a confondue avec la côte et qui provient en fait d’une espèce marine de lucioles habituées à déposer leurs œufs entre le crépuscule et l’apparition de la lune. En Méditerranée, il est rare de voir les œufs phosphorescents descendre dans l’eau. Il n’y a pas trace de vie animale alentour, aucun mouvement de poissons, de mollusques, de crustacés. Et pourtant, c’est presque le matin et la terre est proche.

Les îles, ici, ne sont jamais seules, ni toutes tournées dans la même direction ; elles o rent un refuge contre le vent et la mer. La montagne est partout, elle court et grimpe dans toutes les directions, les anciens

Nessun libro serve ad aprire le noci. L’unica guida buona per questo viaggio sono i propri sensi, ammesso che sia possibile recuperarli dalla civilizzazione, senza perdere la propria organizzazione mentale. Molta gente non riesce a sincronizzarsi con il « di fuori », fosse anche solo per assorbire Sophie attraverso i pori, guardando, annusando, toccando con erotismo.

« In verità un continuo usso di terra, acqua, fuoco ed aria giunge a noi e, rinnovando senza tregua il nostro corpo, lo mantiene. Acqua al sangue, Terra alle ossa ed ai midolli, Aria ai nervi e alle arterie linfatiche, Fuoco all’organo della vista e al sesso. »

Ecco la prima luce, la stessa luce che Colombo scambiò per la costa e che proviene invece da una specie marina di lucciole use a deporre le loro uova fra il tramonto e il sorgere della luna. Nel mediterraneo è raro vedere le uova fosforescenti scendere in acqua. Non c’è traccia di vita animale intorno, nessun movimento di pesci, di molluschi, di crostacei. Eppure è quasi mattina e la terra è vicina.

Le isole, qui, non sono mai sole, tutte rivolte nella stessa direzione, ma o rono rifugio contro qualsiasi vento e mare. La montagna è dovunque, corre e si inerpica in tutte le direzioni, gli antichi la scalavano in linea retta e nei punti più scoscesi scavavano gradini nella pietra.

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la gravissaient en ligne droite et dans les endroits les plus escarpés ils creusaient des marches dans la pierre.

La mer passe au milieu.

Il n’y a pas un point de la mer Égée qui soit distant de plus de soixante milles de la terre et il n’y a pas un endroit de la Grèce qui soit à plus de quatre-vingt-dix kilomètres de la mer.

Les premières impressions sont décisives : impossible de rester à Patras.

D’autres kilomètres donc, pleins de cyprès noirs et de maisons blanches, bâties avec des briques creuses disposées dans le sens de la longueur, à la perpendiculaire de la surface du mur, de sorte que les maisons, blanchies à la chaux, sont toutes criblées de trous. Deux kilomètres d’une route de poussière claire, et je m’approche d’une multitude d’énormes pins au

milieu d’une mer de ruines, telles qu’elles doivent être : disséminées dans la prairie. Olympie : les arbres croissent par accumulation, régulièrement espacés, immobiles, parce que le vent ne pénètre pas dans le lit du euve qui, en ce moment, en été, est à sec. On peut s’y allonger au soleil, passer la main dans le maillot de bain de S. entre la hanche et le mont de Vénus, à l’endroit où il y a un creux où le battement du sang et la respiration se chevauchent, invitent.

En poursuivant vers l’est, il faut traverser la vallée de Mantinée : les vallées sont rares dans le Péloponnèse.

Arbres émondés avec des entailles peintes en rouge orangé et les troncs blanchis à la chaux : c’est le verger d’Argos.

« Je suis née pour partager l’amour », dit la gardienne du musée qui est

Il mare ci passa in mezzo.

Non c’è punto dell’Egeo che disti dalla terra più di sessanta miglia e non c’è posto della Grecia lontano più di novanta chilometri dal mare.

Le prime impressioni sono determinanti: impossibile restare a Patrasso.

Altri chilometri quindi, pieni di cipressi neri e case bianche, fatte con i mattoni forati messi per lungo, in modo perpendicolare alla super cie del muro, cosicché, le case, imbiancate a calce, ne risultano tutte sforacchiate. Mi avvicino, attraverso due chilometri di strada fatta di polvere chiara, ad una quantità di pini enormi in mezzo ad un mare di rovine così come devono essere: sparse per il prato. Olympia: gli alberi crescono

per accumulazione, a distanze sse, immobili, perché il vento non entra nel letto del ume, che, ora, in estate, è asciutto. Ci si può sdraiare al sole, in lare la mano nel costume da bagno di S., fra l’anca e il monte di Venere, nel punto in cui c’è un incavo dove il battito del sangue ed il respiro si sovrappongono, invitano.

Proseguendo verso Est devi attraversare la valle di Mantinee: le valli sono rare nel Peloponneso.

Alberi potati con tagli dipinti di rosso-arancio e i tronchi imbiancati a calce: è il frutteto di Argos.

« Sono nata per condividere l’amore » dice la guardiana del museo che

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belle, avec ses grands yeux humides ; elle me touche presque pendant qu’elle époussette les vitrines, et je commence à chanceler. Quelle paix ce serait de s’allonger sur son corps et de rester immobile, en cherchant là-dedans tout ce après quoi je cours à perdre haleine. Mes mains tremblent encore et transpirent, mais le moment est passé et je me retrouve à regarder une longue rangée de céramiques à décorations géométriques, après tant de jours épuisés à tourner en rond, à voir, reni er, attraper, pour tout toucher et arrimer en moi.

Je savais que si je n’avais pas tout de suite quelque chose à boire, je me sentirais mal, parce que « combien de temps peut vivre une abeille

sans nectar ? » Par chance, Épicure a appris à ces paysans que la première chose à faire, et la plus importante, est de planter la vigne, parce que c’est elle qui prend le plus de temps pour pousser, qu’elle vit longtemps et qu’on peut cultiver son potager entre les rangées de ceps.

Les tombes de Mycènes sont comme des négatifs de pyramides, creusées dans la montagne, avec la lumière qui pénètre par en haut. Les pierres de la ville sont soudées à la terre, le soleil ralentit l’ascension.

« Mycènes se replie sur elle-même comme un nombril à peine coupé, elle emporte sa gloire dans l’intérieur des terres, où les chauves-souris et les lézards s’en nourrissent goulûment. »

è bella, con gli occhi grandi e umidi, e quasi mi tocca, mentre spolvera le vetrine, e io comincio a dondolare in avanti. Sarebbe la pace sdraiarsi sul suo corpo e restare fermo, cercando là dentro tutto quello a cui corro dietro con tanta fatica. Le mani tremano ancora e sudano, ma il momento è passato e mi ritrovo a guardare una lunga la di ceramiche con decorazioni geometriche, dopo tanti giorni stro nati in giro, vedendo, utando, catturando, per no toccando e stivando tutto dentro. Sapevo che se non avessi avuto subito qualche cosa da bere sarei stato male, perché « quanto può vivere un’ape senza nettare? » Per fortuna

Epicuro ha insegnato a questi contadini che la prima e più importante cosa da fare è piantare la vigna, perché è quella che più impiega a crescere, perché dura a lungo e l’orto lo si può coltivare fra i lari.

Le tombe di Micene sono come negativi di piramidi, scavati nella montagna, con la luce che entra dall’alto. La città ha le pietre saldate alla terra, il sole rallenta il salire.

« Micene si ripiega su se stessa come un ombelico appena tagliato, trascina la sua gloria giù nelle interiora della terra, dove i pipistrelli e le lucertole se ne nutrono ghiottamente. »

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17 h 45 de retour par la même route en passant par Tirynthe. 5 heures du matin. Nauplie.

Nous remontons les palangres : six cent quatre-vingts hameçons amorcés avec des sardines, l’hameçon en lé deux fois, en partant de la tête, avant d’être retourné et en lé une troisième fois, ou avec des seiches coupées en lamelles d’un centimètre de large et sept de long. Les hameçons sont attachés à la ligne à une distance de trois ou quatre mètres l’un de l’autre, a n de couvrir une distance de plus d’un mille tout autour et au-dessus du bas-fond. Le bas-fond en question se trouve à environ sept milles de l’îlot de Bourzi, vers l’embouchure extérieure du golfe, à une profondeur

17,45 indietro per la stessa strada passando per Tirinto. 5 del mattino. Nauplia.

Tiriamo su i palancai: seicentottanta ami innescati con sarde, l’amo in lato due volte, partendo dalla testa, e poi girato e in lato una terza volta, o con le seppie tagliate in strisce larghe un centimetro e lunghe sette. Gli ami sono attaccati alla sagola ad una distanza di tre quattro metri uno dall’altro, in modo da coprire un percorso di più di un miglio tutto intorno e sopra alla secca. La secca in questione è a circa sette miglia dall’isolotto di Bourzi, verso l’imboccatura esterna del golfo,

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Heracleion Cerimonia religiosa, crayon et collage sur papier cartonné, 50 x 35 cm.

Apollon Corinto, crayon et pastel sur papier cartonné, 50 x 35 cm (détail).

Le ali (Atene), crayon et pastel sur papier cartonné, 50 x 35 cm (détail).

ISBN : 9791097210137

Format : 72 pages, 11,5 x 17,5 cm Préface de Jarret Brown Berty Contient : dossier d’archives et photos

Été 1925, Finistère. Claude McKay, qui voyage de Marseille à Saint-Pierre de Brest pour rendre visite à son ami Lucien, apprend en chemin le deécès de ce dernier. Il erre alors sur le littoral breton et découvre le petit port de Douarnenez. De cette expérience, il tire un récit lumineux, ode à l’hospitalité et à une pensée transculturelle.

Né en Jamaïque en 1889, Claude McKay est considéré comme l’un des écrivains littéraires et politiques les plus emblématiques de la Renaissance de Harlem, reconnu pour son intense engagement à exprimer les défis et les problématiques auxquels sont confrontés les Noirs aux Etats-Unis et en Europe. Personnage complexe et fascinant, il est l’auteur de recueils de poésie et de romans, parmi lesquels Home to Harlem (1928), Banjo (1929) et Banana Bottom (1933). Son autobiographie, Un sacré bout de chemin, publiée aux éditions André Dimanche en 2001, sera rééditée par Héliotropismes en 2022. Claude McKay est mort en 1948 à Chicago

9 €
Dîner à Douarnenez, de Claude McKay

« Je n’ai rien à vous donner que mes chants. Toute ma vie, j'ai été un troubadour vagabond, me nourrissant surtout de la poésie de l'existence. Et tout ce que je vous offre ici, c’est l'essence poétique de mon expérience. »

RÉSUMÉ

De la Jamaïque à Harlem, de Marseille à Tanger, en passant par Londres, Moscou ou Paris, Claude McKay revient sur les années les plus prolifiques de son parcours d’écrivain (1918-1934). Celles qui ont notamment vu naître Banjo et Romance in Marseille

À contre-courant des mouvements de son époque, son itinéraire et son expérience — ponctués par des rencontres avec Bernard Shaw, Sylvia Pankhurst, Trotski, Lamine Senghor, Max Eastman Charlie Chaplin ou Isadora Duncan — en font un témoin privilégié de l’histoire politique et culturelle de son temps et façonnent une identité diasporique singulière qui influencera plus tard les poètes de la Négritude.

Œuvre complexe et puissante qui retrace l'errance d’un libre-penseur noir dans un monde blanc, Un sacré bout de chemin surprend par la modernité de son discours, mettant en premier lieu la critique du rejet et du racisme, jamais dupe devant le racisme ordinaire des élites blanches de la gauche européenne ou l'élitisme de l'intelligentsia noire de la Renaissance de Harlem.

L'AUTEUR

Né en 1889 en Jamaïque, Claude McKay est l’auteur de recueils de poésie et de romans, parmi lesquels Home to Harlem (1928), Banjo (1929) et Romance in Marseille (publié de manière posthume en 2020). Il est considéré comme l'un des écrivains les plus emblématiques mais aussi les plus marginaux de la Renaissance de Harlem, reconnu pour son intense engagement à exprimer les défis et les problématiques auxquels sont confrontés les Noirs aux Etats-Unis et en Europe. Personnage complexe et fascinant, il publie son autobiographie, A long way from home en 1937. Claude McKay est mort en 1948 à Chicago.

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UNSACRÉBOUTDECHEMIN

DEHARLEMÀTANGER: LEPELERINAGEMAGIQUED'UN"VAGABOND AVECUNBUT"

Claude McKay est un électron libre, un personnage complexe et fascinant. Voyageur infatigable, il est l'écrivain vagabond et sans frontières de la Renaissance de Harlem. Se décrivant comme poète, il est journaliste à New York et à Londres et coudoie la presse d'extrême gauche ; à Moscou, il joue au porte-parole révolutionnaire sans jamais totalement adhérer au communisme ; Marseille et Tanger consacrent le romancier, McKay s’y faisant le chroniqueur de la question raciale, abordant la place des populations noires sous un angle social et non communautariste.

Sa trajectoire singulière en fait un «vagabond avec but» qui interroge la perception des cultures noires dans la société occidentale et préfigure une deuxième partie de XXe siècle marquée par l’exil, l’immigration des populations noires et la décolonisation.

Première édition publiée en 1937 par Lee Furman (illustration d'Aaron Douglas)

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Photographies de Claude McKay à Mocou (années 1920)

D'INNOMBRABLESARCHIVES

Héliotropismes s'est emparé de la traduction de Michel Fabre, d'abord publiée par André Dimanche et devenue introuvable. Après un travail de révision et de correction, les éditeurs ont fait un remarquable travail d’archive pour accompagner la lecture de nombreuses photos, poèmes, lettres ou articles. En plus de la postface originale du traducteur, une préface de Claudine Raynaud et une note de Richard Bradbury complètent l’appareil critique.

Traduction : Michel Fabre Préface : Claudine Raynaud Postface : Richard Bradbury & Michel Fabre Dessins et graphisme : Carlos Chirivella Lopez Edition : Renaud Boukh & Armando Coxe

Prix : 23 € TTC
UNSACRÉBOUTDECHEMIN /CLAUDEMCKAY Editions Héliotropismes Collection : Harlem Shadows n°2 Parution : 7/6/2022 ISBN : 979-10-97210-10-6 Format : 148 x 210 mm

C’est ainsi que, malgré son désaccord avec la mer et le bateau, Lafala, maintenant hors de portée des griffes de son avocat véreux, s’en retournait à Marseille, le port des rêves, celui de sa fortune et de son infortune. Et, comme tout être humain vaniteux qui aime revisiter les lieux de ses souffrances et de ses défaites après être parvenu à conquérir le monde, Lafala − même si sa victoire lui avait coûté cher – rêvait, depuis son départ, des gargotes et autres troquets de Marseille, et n’attendait qu’une chose: s’y montrer à nouveau, dans toute sa gloire, et tout particulièrement aux yeux d’Aslima.

RÉSUMÉ

C’est le « brusque dégoût de lui-même » qui pousse Lafala, un docker ouestafricain, à abandonner Marseille après avoir été dépouillé de tout son argent et de ses illusions par la belle Aslima. Embarqué clandestinement sur un paquebot et enfermé dans des latrines pendant la traversée de l’Atlantique, il est amputé de ses deux jambes à son arrivée aux Etats-Unis. Remettant son sort à un avocat véreux, Lafala empoche une grosse somme d’argent et retourne dans le « port des Rêves », espace frontière entre la terre et la mer, où il retrouve l’ambiance bouillonnante de la Fosse, les déracinés de la Jetée et ses illusions perdues.

L'AUTEUR

Né en Jamaïque en 1889, Claude McKay est considéré comme l'un des écrivains littéraires et politiques les plus emblématiques de la Renaissance de Harlem, reconnu pour son intense engagement à exprimer les défis et les problématiques auxquels sont confrontés les Noirs aux Etats-Unis et en Europe. Personnage complexe et fascinant, il est l’auteur de recueils de poésie et de romans, parmi lesquels Home to Harlem (1928), Banjo (1929) et Banana Bottom (1933). Son autobiographie, Un sacré bout de chemin , a été traduite et publiée par André Dimanche en 2007. Claude McKay est mort en 1948 à Chicago.

ROMANCE IN MARSEILLE /  Claude McKay (jamaïque)

Roman /  Vingt euros

ISBN : 979-10-97210-06-9

Préface d'Armando Coxe Traduit de l'anglais par Françoise Bordarier & Geneviève Knibiehler illustations de Carlos Lopez Chirivella

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Trois ans après Banjo , Claude McKay retrouve Marseille et poursuit les questionnements abordés dans son roman précédent en réhabilitant l’histoire du quartier de la Fosse (situé en bordure du Vieux-Port) le décrivant davantage en ses marges qu’en son centre Tous les personnages du roman, qu’ils abordent la place des Noirs dans les grandes villes européennes ou l’implacable système de domination raciste, émettent des points de vue singuliers que McKay situe au-delà des rapports de force induits par la condition sociale Comme à Harlem, McKay retrouve à Marseille un cadre portuaire fécond empreint de débats internationalistes et raciaux, créant ainsi d'innombrables intersections entre nations et cultures Un déracinement dans lequel l'auteur trouve paradoxalement un fort sentiment d'appartenance

Avec Harlem pour capitale, le mouvement New Negro reste aujourd'hui connu comme l'une des grandes avant-gardes du vingtième siècle Souvent identifié à l'émergence du jazz, cette "renaissance" de la culture afro-américaine s'étend également à d'autres disciplines comme la photographie, la peinture ou la littérature et consacre notamment les talents du pianiste Duke Ellington, du dessinateur Aaron Douglas, des écrivain e s Zora Neale Hurston, Langston Hugues Reconnu comme un auteur phare de la Renaissance de Harlem, Claude McKay s'est pourtant progressivement éloigné du mouvement, coupable à ses yeux de proposer un éloge naïf de la race noire en vue de son "blanchissement". De par son identité diasporique, l'exploration des non-dits autour des distinctions raciales et sexuelles dans la culture occidentale, l'oeuvre de Claude McKay préfigure celle de James Baldwin

Première édition de B a n j o publiée en 1929 par Harper & Brother (illustration d'Aaron Douglas)

A U T O U R D U L I V R E : L E M A R S E I L L E D E C L A U D E M C K A Y
L E C O N T E X T E : L A R E N A I S S A N C E D E H A R L E M

Hélice Hélas Editeur

Rue des Marronniers 20 CH-1800 Vevey Tél. : ++41 21 922 90 20 bd@helicehelas.org www.helicehelas.org

Diffusion Suisse : Servidis Chemin des Chalets 7 CH-1279 Chavannes-de-Bogis Tél. : ++41 22 960 95 10 www.servidis.ch

Représentants :

Julien Delaye (BD et livres d’artiste) > jdelaye@servidis.ch Pascal Cottin (littérature) >cottin.pascal1@gmail.com

Diffusion France, Belgique : Serendip-Livres 21 bis, rue Arnold Géraux F-93450 L’Île-St-Denis Tél. : ++33 14 038 18 14 www.serendip-livres.fr

Des carillons quand tu meurs

Remarquable roman traduit de l’anglais. Amitié, amour réunissent un commissaire de Scotland Yard retraité, un sportif de haut niveau, Monique, puritaine sexy, une mystérieuse jeune femme et d’invisibles observateurs des services secrets ou d’un financier véreux, censément mort, sans compter une fillette HP qui dit toujours la vérité. Cette reconnaissance progressive de l’honnêteté de chacun, des failles de sa lucidité et de l’acceptation de l’autre se dévore de plus en plus fébrilement.

La première partie se passe à Lausanne. Louis, un journaliste sportif anglais, a pris une année sabbatique pour écrire un ouvrage sur l’histoire sociale des Jeux olympiques. Dans son Journal, adressé fictivement à Georges, le rédacteur en chef londonien pour lequel il travaillait précédemment, il raconte sa vie à Lausanne, qui est ainsi vue par les yeux d’un étranger. Il lui fait part de ses recherches au Musée olympique, ce qui donne lieu à quelques anecdotes savoureuses. Sur le conseil de Georges, il rencontre Harry Binns, un ex-policier de Scotland Yard, dont la carrière a été brutalement interrompue, et dont la présence à Lausanne suscite bien des interrogations chez certains politiciens anglais. On apprendra par la suite que Harry a consacré plusieurs années à enquêter sur un homme d’affaires véreux, qui bénéficiait de protections en haut lieu. Il a aussi été chargé d’établir des plans d’action en cas de catastrophe nucléaire, et s’est rendu compte à cette occasion des conséquences terrifiantes d’une guerre nucléaire.

Sur l’auteur : Brian Hughes, poète anglais reconnu, a publié en Grande-Bretagne son roman terminé en 2007 avant son décès à 81 ans. Il a travaillé 4 ans dans une université au Botswana puis vécu 30 ans à Lausanne et fait jouer ses pièces par les Village Players. Passionné par l’histoire de l’olympisme, les dangers du nucléaire militaire ou pacifique et les relations entre le pouvoir et la finance, il en fait les thèmes de ce roman qui, situé en 1986, rejoignent une actualité brûlante.

Collection : Mycélium mi-raisin Genre : Roman policier et psychologique

Sujets abordés : histoire des Jeux olympiques, paranoia nucléaire, crime organisé

Format : 14.5x18.5 cm 600 pages ISBN 978-2-940700-31-8 CHF 36/EUR 26

Parution 1er avril 2023

9782940700318
ISBN 978-2-940700-31-8

Il était en train de survoler du regard l’espace du Buffet quand j’ai dit cela, et il n’a pas répondu tout de suite. Puis il s’est adossé à son siège, sirotant son verre avant de dire avec circonspection : « Pas vraiment. J’aurais pu être de retour vendredi, après la clôture à Bâle. Mais j’ai décidé que j’avais envie de retourner à Zurich. Je n’avais pas eu assez de temps pour tout faire quand nous y étions plus tôt dans la semaine. »

Je lui ai demandé s’il aimait Zurich — surtout parce que je ne savais pas quoi dire d’autre. Sa réponse a été du Binns tout craché — évasive et précise à la fois.

« Ce n’est pas tellement Zurich qui m’intéresse », a-t-il dit, « pas l’endroit en soi. »

Il y a eu un autre de ses points à la ligne. J’avais entrepris mon interrogatoire subtil avec beaucoup de curiosité et d’envie, mais maintenant je commençais à me sentir impuissant et sans voix, mis à terre — ou plutôt ramené à mon poisson, à l’étiquette sur la bouteille de vin, et aux peintures murales. C’est pourquoi sa remarque suivante, venant après plusieurs minutes de silence, semblait-il, était totalement inattendue.

« Je voulais retourner à Zurich pour voir une peinture. Un tableau dans un musée. »

J’ai hoché la tête, essayant de signifier que j’acceptais le fait et que je l’encourageais à continuer, sans avoir l’air trop impatient. Mais il n’a rien ajouté de plus, et il a continué à manger. Après une pause bien trop longue, je me suis entendu demander, presque en désespoir de cause, s’il s’agissait d’un tableau ou d’un artiste en particulier. J’étais incapable d’analyser pourquoi notre conversation traînait en longueur, et je commençais à regretter de m’être invité à sa table.

Il lui a fallu un certain temps, mais finalement il a dit que oui, il voulait voir un tableau de Cézanne intitulé Le garçon au gilet rouge. Il se trouvait dans un petit musée privé de Zurich. Il m’a regardé bien en face et m’a demandé :

« Vous le connaissez, ce tableau ? »

DES CARILLONS QUAND TU MEURS 62

Je lui ai dit que non, mais que j’étais assez ignorant dans le domaine artistique. Je lui ai demandé s’il était très connu.

Il a réfléchi à ma question pendant quelques secondes avant de dire qu’il ne savait pas vraiment à quel point ce tableau était connu — « mais c’est de Cézanne, et parfois reproduit dans des livres sur lui. Il est probablement bien connu des gens qui aiment Cézanne. »

Il a pris le livre qui reposait sur la table depuis mon arrivée et en a sorti une carte postale.

« Le voici, si cela vous intéresse. »

J’ai regardé le tableau longuement et sérieusement, mais ce qui était bizarre, c’est que je ne pouvais pas du tout le voir comme une peinture. C’était le visage de Binns lui-même, dépourvu d’expression et stoïque, et cependant sensible, fermé, secret. Les cheveux étaient différents, et les traits n’étaient pas exactement les mêmes mais là, sans aucun doute, c’était Binns à seize ans dans un gilet rouge, dialoguant avec lui-même. Je lui ai rendu la carte postale.

« Il vous ressemble », ai-je dit. « C’est Harry Binns qui rêve tout éveillé alors qu’il devrait continuer à faire ses devoirs. »

Il a paru surpris par ma remarque, et a tenu la reproduction devant lui pour la regarder attentivement. Il a secoué la tête.

« Ce n’est pas ce que je vois, je le crains », a-t-il dit. « L’idée que ce visage me ressemble en quoi que ce soit, cela ne m’est jamais apparu, pas une seule fois en... » (il a brièvement levé les yeux au plafond tandis qu’il faisait le calcul) « en vingt-cinq ans, plus ou moins, depuis que je l’ai vu pour la première fois. » Il a continué à fixer le tableau.

« Qu’est-ce que vous voyez alors ? » ai-je demandé.

Il a regardé la carte postale encore un moment, puis il l’a remise dans le livre. Il a saisi son couteau et sa fourchette et s’est mis à ramasser les dernières bribes de nourriture sur son assiette. Une fois de plus je me suis senti mal à l’aise, comme si j’avais posé une question de trop. Un autre point à la ligne, ai-je pensé — et juste au moment où nous

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avancions. J’ai versé le reste du vin dans mon verre et j’ai décidé que j’étais incapable de dire quoi que ce soit jusqu’à ce que Binns se mette à parler. Ce qu’il a fait, finalement, de sa voix calme et égale — ignorant apparemment l’agitation et les tensions qui m’habitaient. Bon sang ! ai-je pensé, pourquoi diable suis-je en train de faire tant d’efforts pour aller plus loin ? Pourquoi prendre le risque ? Reste où tu es, me disais-je, souris, bois ton vin, mets ton argent à la banque, baise qui tu veux. Binns a dit : « Je pense que je ne peux pas répondre à cette question, pas maintenant. »

Je n’avais toujours rien à dire, moins que jamais. Puis il a poursuivi : « Vous avez tout à fait le droit de demander d’autant plus que c’est moi qui vous ai d’abord montré la reproduction. Mais si j’essaie de vous expliquer maintenant ce que j’y vois, je risque d’être plutôt confus, voire même embarrassé. Je suppose que je pourrais vous dire tout simplement que pour moi c’est un tableau magnifique, mais ce n’est pas ça qui compte. J’y pense encore, j’essaie d’y voir clair. »

J’ai cru qu’il avait fini, comme il commençait de nouveau à survoler la salle du regard. Mais apparemment il se demandait s’il allait dire quelque chose de plus, parce qu’après un petit moment il a ajouté :

« En fait, j’essaie de tirer cela au clair par écrit, en suivant le conseil de Georges Anscombe. Peut-être pourriez-vous le lui dire la prochaine fois que vous lui écrirez. » (En me remémorant notre conversation, j’ai compris l’importance de cette dernière remarque : il pense déjà que je vous transmets des informations sur lui ! Bien ! Même si je ne le fais pas. Comme c’est le cas.)

Binns m’a regardé avec attention avant d’ajouter : « Désolé. Je n’aurais pas dû aborder ce sujet pour commencer — mais j’y ai beaucoup pensé ces deux derniers jours. »

J’ai dit que je comprenais parfaitement (ce qui n’était pas le cas), et allait-il prendre un dessert? Nous avons donc porté notre attention sur

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la carte et décidé, laborieusement, de commander du raisin, du fromage et des cafés. Après quoi, ayant totalement évincé Le garçon au gilet rouge, nous nous sommes sentis capables d’aborder defvs sujets moins dangereux tels que les Jeux inexistants de 1900 et mes problèmes de traduction et d’acceptation de la rhétorique du baron de Coubertin. Binns a manifesté de l’intérêt (sa manière de me rendre la politesse — Dieu, à quel point nous sommes Anglais, tous les deux !) et m’a posé de bonnes questions sur le pourquoi et le comment des Jeux olympiques modernes. Ainsi, je lui ai parlé brièvement de Coubertin et du Congrès international d’athlétisme de 1894 où les Jeux modernes ont été conçus « J’en réclame la paternité d’une voix forte » (le baron à nouveau) — et où ils ont joué l’Hymne à Apollon, ce qui a plus ou moins établi la nature mystique de la procréation paternelle. Puis j’ai décrit le fiasco annoncé de la première manifestation à Athènes : aucun intérêt, pas d’athlète, pas d’argent, pas de stade — mais le tout sauvé au dernier moment par une marraine de contes de fées, ou plutôt par un parrain, sous la forme d’un millionnaire grec d’Alexandrie. Cette riche histoire semblait intéresser Binns et a certainement retenu son attention (et m’a fait me demander si je ne pouvais pas ramener le chapitre trois à dix pages plutôt qu’à trente). Mais c’est mon compte rendu du premier marathon olympique qui l’a vraiment fasciné.

J’ai raconté à Binns la fin des Jeux de 1896 à Athènes, fin digne d’un conte, après que les Américains eurent raflé les premières places dans pratiquement toutes les disciplines, et même le lancer du disque. Puis ce fut le marathon presque à la fin des Jeux. Le stade était comble, il y avait là des milliers de Grecs déçus, fiers et inquiets, y compris le roi et la reine de Grèce et les princes héritiers ainsi que la moitié des cours européennes. Et sans la technologie moderne, personne ne savait ce qui se passait du côté des coureurs jusqu’à ce qu’ils aient plus ou moins achevé les quarante-deux kilomètres et soient entrés dans le stade. Soudain le premier homme débouche pour le tour final — et c’est un Grec — un

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berger appelé Spiridione Louys. Fantastique ! Le monde est sauvé, le mythe et la poésie sont ressuscités, Ekekheiria ! Et Pindare aussi avait raison : « Celui qui a triomphé s’est acquis une douce tranquillité pour le reste de ses jours » — car Spiridione va recevoir, jusqu’à la fin de sa vie, du pain, du vin et des chemises blanches gratuitement, deux chevaux, et au moins dix propositions sérieuses de mariage. Et après Spiridione viennent encore deux Grecs de plus. La nation hôte est rachetée : Un, Deux et Trois dans le premier marathon olympique. Ils sont tous accueillis avec extase et guirlandes de fleurs, et honorés devant leur roi comme des héros. Voilà, c’était tout, mais comme Binns avait l’air intéressé et amusé par tout ça, j’ai continué en lui parlant d’un autre coureur de ce marathon — le type qui arriva le dernier. Je venais de lire cette histoire quelques jours plus tôt, un bref compte rendu trouvé dans un petit dossier de papiers personnels aux archives du musée. C’était le témoignage d’un membre de l’équipe américaine d’athlétisme à Athènes un coureur du cent mètres. Il se souvenait d’avoir attendu pour participer à un entraînement avec les autres coureurs, et il avait alors commencé à bavarder avec un Français qui prenait part à la même épreuve. Cet homme, selon la description de l’Américain, était petit, noiraud, et toujours impeccablement vêtu d’une veste élégante et de shorts ; mais ce qui était remarquable, c’est qu’il portait des gants blancs. Questionné sur le pourquoi de ces gants blancs, il avait répondu (comme si c’était l’évidence même) que c’était parce qu’il allait courir devant le roi.

Un peu plus tard, l’Américain demanda au Français aux gants blancs s’il était inscrit pour une autre course, en plus des cent mètres. Oui, en fait, c’était le cas : il courrait le marathon. L’Américain était très étonné, lui qui était membre d’une équipe hautement spécialisée, parce qu’il lui paraissait inconcevable qu’un athlète quel qu’il soit puisse se préparer simultanément pour deux événements aussi dissemblables

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ou qu’il soit capable de participer à l’un et à l’autre dans la même compétition. Comment s’entraînait-il ? Le Français répondit aimablement qu’il s’entraînait pour chaque course en alternance : « Un jour je cours la courte distance très rapidement, et le lendemain je cours la distance longue très lentement. »

Le Français ne courut pas assez vite dans les cent mètres et fut rapidement éliminé. Mais il prit part au marathon quelques jours plus tard, et en fait il termina la course, quoique longtemps après l’arrivée de tous les autres participants. L’Américain se souvient qu’il retourna au stade vide après l’excitation du jour, pour récupérer son équipement. L’endroit était sombre et abandonné, tout le monde était rentré chez soi. Dans le silence le plus total, il vit soudainement le petit Français qui arrivait dans le stade, tout seul, haletant — « courant tout le temps très lentement ». Il fit une pause devant la loge royale et la tribune d’honneur, portant toujours ses gants blancs même si le roi n’était pas là pour le voir. Puis il termina le circuit final et disparut dans la nuit.

A mesure que je racontais cette histoire au Buffet de la Gare, elle me semblait encore plus drôle que lorsque je l’avais lue, et je m’attendais à ce que Binns soit aussi amusé que moi. Mais ce n’était pas le cas. Il avait écouté chaque mot avec concentration, et malgré une ébauche de sourire reconnaissant à la fin, il était loin de rire. A ma grande surprise, je me suis soudain rendu compte qu’il était ému.

« C’est superbe, a-t-il dit tranquillement, absolument merveilleux. Quel était le nom de ce Français ? »

J’ai dit que je ne savais pas. Pour autant que je puisse me souvenir, le récit ne mentionnait pas de nom.

« Eh bien, c’était peut-être le baron de Coubertin en personne. Cela pourrait être lui d’après votre description. »

J’ai dit que c’était impossible — Coubertin était dans les tribunes avec les officiels. Il n’était même pas un athlète lui-même. Pourquoi diable Binns pensait-il que ce Français était le baron de Coubertin ?

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OSSIPMANDELSTAM

Pierre

Suiviede LeMatindel’Acméisme éditionbilingue Traduction ChristianMouze Format:16,5x22,5cm 68pages Couverturerempliée–broché 2papiers-impriméen2couleurs prix:30€ Disponibledébutavril2023 ISBN:979-10-95625-23-0

Pierre -КАМЕНЬ-premierlivred’OssipMandelstam,aétépubliéàcompted’auteuren1913 aumomentdelacréationdel’Acméisme. Lematindel’Acméisme, sortedemanifesteneparaîtra qu’en1919.

sontréunisdanscevolume: - Pierre enversioncomplète-bilingue-delapremièreédition(1913), - LeMatindel’Acméisme -Traduction inédite deChristianMouze, - Pierredumatin (préfaced’OdiledesFontenelles), -20linogravuresoriginalesdeZavenParé.

CetouvrageaétélepremierlivredeMandelstampubliéauxéditionsHarpo&ilya20ans, rapidementépuisé,levoiciànouveaudisponibledansunemaquetteintégralementrefaite.

Harpo & 16, impassedu PortailNeuf 84820Visan
tel. : 06 29 308758

Burn~Août

Éditions

Hot wings and tenders

HOT WINGS AND TENDERS

Édition bilingue

Poésie

Format : 140*205

Nombre de pages : 48

Prix : 7 euros

ISBN : 978 2493534125

Graphisme : Fanny Lallart

Préface : Sarah Netter

Collection : 39°5

Résumé

Hot wings and tenders est un recueil de poèmes écrits en anglais à la première personne. Ils déclinent l’exploration d’une jeune femme queer de son propre corps, de sa sexualité, et de ses modalités d’existence matérielles. Alternativement tendres, crus, drôles et vifs, les poèmes de Marl Brun utilisent des protocoles d’écriture en apparence mathématiques pour tenter de capturer l’absurde logique du monde. Ils sont les énoncés analytiques d’une intimité qui demeure sensible et échappe à toute tentative de rationalisation.

Profondément ancrée dans son quotidien, l’écriture de Marl Brun nous rappelle que chaque infime partie de nos rapports est politique et contient en elle un potentiel de résistance. Ainsi, son obsession coupable pour le poulet frit, ou son amour inconditionnel des chiens deviennent les supports poétiques d’une réflexion sur la survie, l’émancipation et la résilience. Cette édition est bilingue, en anglais et français. L’autrice fait ce qu’elle appelle des “traductions affinitaires” en faisant traduire ses poèmes par des proches. N’étant pas des traducteurices professionnel.les, le passage au français est marqué par des inexactitudes. Cela rend visible le processus de traduction comme un exercice de réécriture poétique à part entière.

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Marl Brun Marl Brun

Éditions Burn~Août

Marl Brun

Née en 1994, Marl Brun a grandi en Ariège et vit aujourd’hui à Marseille. Elle est artiste et poétesse.

À la suite d’une formation en audiovisuel, elle étudie aux Beaux-Arts de Bordeaux, Reykjavik et Cergy, où elle utilise la vidéo et les installations de textes. Depuis ses études en Islande et jusqu’à maintenant, elle travaille essentiellement à l’écriture de poèmes en anglais qu’elle fait ensuite traduire vers le français par des amixs. Composer avec l’intime est une ligne centrale de son travail, qui engage obstinément les sujets de l’identité, du sexe, de l’amour et de la nourriture. Elle a auto-publié plusieurs recueils de poésie qu’elle diffuse de mains en mains, et a participé à des expositions collectives dans différents lieux. Hot wings and tenders est son premier livre édité à compte d’éditeur.

Argumentaire de vente

Hot wings and tenders est le premier ouvrage de la collection 39°5 des Éditions Burn~Août consacrée à des travaux littéraires queers, féministes, et issus des paroles dites minoritaires. Ce premier recueil de poésies de Marl Brun s’inscrit dans notre volonté éditoriale de remettre les marges au centre, de les soutenir, les amplifier, les disséminer.

Édition bilingue, cet ouvrage porte une réflexion sur l’usage de la langue et sur l’exercice même de la traduction. En effet, l’autrice ici n’écrit pas dans sa langue maternelle et utilise l’anglais comme un outil linguistique qu’elle manie avec tous les imaginaires pop qu’il peut charrier. Parfois fragile, son anglais est une manière de créer du lien sur la base de références anglophones communes (des memes, des stars holywoodienne, le fast-food, etc).

L’anglais intéresse également l’autrice pour sa dimension moins genrée que la langue française, ainsi que pour ses sonorités et rythmes singuliers.

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Marl Brun travaille ensuite à ce qu’elle appelle des «traduction affinitaires». Elle donne à traduire ses poèmes vers le français à des proches, qui sont toustes des traducteurices non-professionnel·les et c’est précisément ce qui l’attire. Elle mène un travail artistique de vidéo dans lequel elle les filme en train de traduire ses poèmes à l’oral vers le français, en direct et vers après vers via un prompteur. Les versions françaises du livre sont les retranscriptions des enregistrements de ces traductions souvent approximatives et singulières.

La mise à distance de la langue française est un des enjeux de son écriture. C’est une des raisons pour lesquelles la mise de page de ce recueil n’accorde pas la même place formelle aux versions anglaises et françaises des textes. Leur format non-versifié reprend la linéarité du moment d’intimité passé ensemble, l’enregistrement en plan-séquence de cette traduction live. La différence de traitement formel des deux versions dans la mise en page fait également référence au sous-ti-

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trage des vidéos post-produites, et à ce que la note de bas de page sous-tend : une sortie de texte optionnelle, une précision, une entrée dans l’intimité de l’autrice et un secret de fabrication.

Cette édition bilingue donne particulièrement accès aux enjeux politiques et poétiques de l’exercice de la traduction : cette méthode explicite ce que le passage au français amène comme notion de confiance, partage, et transformation. Pour l’autrice, l’emploi de langues différentes ne fait qu’enrichir un propos ou une image. Son écriture d’abord solitaire et introspective se déploie au fil des traductions en une intimité collective.

Le lien entre une intimité solitaire et sa dimension collective et politique est autant présent dans la méthodologie d’écriture de l’ouvrage que dans les thèmes abordés. Les poèmes de Marl Brun partagent une multitudes d’anecdotes quotidiennes révélatrices de rapports de force et des stratégies de résistances que l’on déploie pour y faire face. Son existence en tant que jeune personne queer et lesbienne est un fil conducteur du livre et définit ses enjeux. C’est par ce prisme que le rapport au sexe, à la famille, aux amitiés et à la souffrance sont décrits. Les affects d’habitude camouflés, tus, ou jugés inconsistants ont une importance toute particulière dans ce recueil. Marl Brun s’empare de la honte, l’échec, le sexe, la dépression, la solitude ou le conflit, et déploie une forme de puissance à travers le partage de ses vulnérabilités.

Bien que ces sujets soient pour la plupart sensibles ou graves, l’autrice construit des narrations comme des blagues à chute qui retombent sur leurs pattes par des systèmes de logiques ludiques et imagées. Par une méthode d’écriture de

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rapprochements d’idées, elle emploie des syllogismes ou des jeux de mots comme des démonstrations de traits d’esprit et nous laisse une sensation acide et satisfaisante.

Le livre est préfacé par l’auteurice et artiste Sarah Netter.

Mots clefs et thèmes abordés : Sexe, féminisme, identité queer, lesbianisme, amitiés, humour, amours, rapports familiaux, relation aux animaux, chiens, nourriture, travail salarié, précarité, mélancolie, traduction.

Auteurices et ouvrages associés : Elodie Petit - Fièvreuse Plébéienne Lauren Delphe - Faite de cyprine et de punaises Andrew Gibson June Jordan

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La Collection 39°5

39°5 est une nouvelle collection des Éditions Burn~Août, elle porte des projets littéraires brûlants, engagés et fièvreux.

La collection souhaite fabriquer un espace de partage de récits qui peinent à se faire entendre : ceux de jeunes auteurices talentueuxses n’ayant pas encore publié, et dont le travail mêle des enjeux intimes et politiques. Rendre l’intime publique est une méthodologie fondamentalement féministe à travers laquelle nous inscrivons cette collection. Ces récits, issus de l’expérience des auteurices, font partie de ce qu’on appelle les “paroles minoritaires”, à savoir des histoires trop souvent étouffées, dévalorisées ou reléguées au second plan, mais qui comportent une puissance d’insoumission tant dans le fond des sujets abordés, que dans les formes littéraires inventées. Souvent écrits à la première personne, les textes construisent leur propre dispositif d’énonciation, et permettent une identification forte. Frisant parfois un langage parlé, mélangeant les registres, jouant avec les citations, les travaux des auteurices que nous publions échafaudent leur propre langue, une langue incisive qui nous interpelle de toute sa force émancipatrice.

Thèmes abordés : sexualité, homosexualité, homophobie, identités queer, amitié, solidarités, amour, deuil, drogue, dépression, famille, luttes politiques et sociales, rapports d’oppression de classe, survie économique.

Genres littéraires : Souvent hybrides et protéiformes, les genres littéraire des textes relèvent de la poésie, du récit à la première personne, du témoignage et de l’autofiction.

Les trois premières parutions sont :

- Hot wings and tenders, Marl Brun, Mai 2023

- ROSE2RAGE, Théophylle DCX, Octobre 2023

- Les boys et la politrik, Maxime Vignaud, Mai 2024

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DOGS RUN WHEN THEY CAN

Time belongs to those who have so little time that all of it is spent to think about the time they have They end up being time itself

Dogs run when they can eat so much food they throw up howl the moon seize the day burn their paws

I’ve been offered a massage in a salon for my bday focused on feeling it super casual overthought the underthinking in order to maximize pleasure - but failedeventually became pleasure itself

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Les chiens courent quand ils peuvent. Le temps appartient à celleux qui ont si peu de temps que tout est passé à penser au peu de temps qu’iels ont. Iels finissent par être le temps lui-même. Les chiens courent quand ils peuvent, mangent tellement de nourriture qu’ils vomissent, hurlent à la lune, attrapent le jour brûlent leurs pattes. On m’a offert un massage dans un salon pour mon annif. Je me suis concerntrée sur l’impression que c’était super normal, j’ai sur-réfléchi la sous-réflexion dans le but de maximiser le plaisir. Mais j’ai échoué, en fin de compte suis devenue le plaisir lui-même.

choisis
Extraits

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ORANGES AND OTHER PLEASURES

It’s been too many days that the first thing I say is sorry. It could be worst though, it could be in the morning.

I often shove one of the first humans I see in the street on my way to work at 5pm.

I don’t do anything for myself anymore and I just go where I’m expected to be, I just take what is offered to me and that’s how I ended up eating oranges three times a day

In the fastfood where I work my boss feels guilty about getting us to eat burgers and fries every day so he buys huge amounts of oranges. I’ve never been so full of C vitamins and sleep and fatigue in my life.

The only thing I can picture doing for an art project is a room filled by oranges on which I lie down until I’m fully rested and wake up graduated and sticky.

There is an internet legend - actually a bunch of guys onlinetelling that the only thing better than an orgasm is to eat an orange under the shower in the morning. Today is a day off so I made some simple observations in my free time:

eating an orange under the shower > having an orgasm having an orgasm under the shower > eating an orange having an orgasm eating an orange > taking a shower

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It could mean that:

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eating an orange

=

taking a shower

=

having an orgasm

- every day is alike and that is terrible but I’m afraid that life will be even more tasteless after succeeding at eating an orange while having an orgasm under the shower - .

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Oranges et autres plaisirs. Ça fait trop de jours maintenant que la première chose que je dis c’est pardon. Mais ça pourrait être pire, ça pourrait être le matin. Souvent je bouscule un des premiers humains que je vois dans la rue sur le chemin du travail, à 17h. Je fais plus rien pour moi-même, et je vais seulement où on m’attend, je prends juste ce qu’on m’offre, c’est comme ça que j’ai fini par manger des oranges trois fois par jours. Dans le fast-food où je travaille, mon patron culpabilise de nous faire manger des burgers et des frites tous les jours, alors il achète d’énormes quantités d’oranges. J’ai jamais été aussi remplie de vitamines C et de sommeil et de fatigue de ma vie. La seule chose que j’arrive à imaginer pour un projet d’art, c’est une pièce remplie d’oranges sur lesquelles je m’allonge jusqu’à être totallement reposée, et je me réveille diplômée et collante. Il y a une légende sur internet (en vrai un groupe de mecs en ligne) qui raconte que la seule chose meilleure qu’un orgasme, c’est de manger une orange sous la douche le matin. Aujourd’hui c’est un jour off, alors j’ai fait quelques observations sur mon temps libre. Manger une orange sous la douche supérieur à avoir un orgasme. Avoir un orgasme sous la douche supérieur à manger une orange. Avoir un orgasme en mangeant une orange supérieur à prendre une douche. Ça pourrait dire que manger une orange égal prendre une douche égal avoir un orgasme. Tous les jours se ressemblent et c’est terrible, mais j’ai peur que la vie soit encore moins goûteuse après avoir pu manger une orange en ayant un orgasme sous la douche.

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FLEXIBLE

Deep in my pocket I found a keychain that I caress when I get bored or asked why I don’t write in french. It’s the memory of her rough fingers on my soft edges - I don’t get what she does to my pussyand the feeling that it’s not my problem if she can’t read in english.

The smell of my cunt covers her face Kissing her chin I feel flexible

Her tongue carries the smell on mine we kiss bilingual

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Flexible. Profond dans ma poche j’ai trouvé un porte-clé que je caresse quand je m’ennuie ou quand je me demandais pourquoi je n’écris pas en français. C’est le souvenir de ses doigts rugueux sur mes bords doux. Je comprends pas ce qu’elle fait à ma chatte. Et la sensation que c’est pas mon problème si elle ne peut pas lire en anglais. L’odeur de ma mouille recouvre son visage. Embrassant sa poitrine je me sens flexible. Sa langue transporte l’odeur sur la mienne. On s’embrasse de manière bilingue.

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COMPOSING WITH MY OWN CLICHE

This girl who works at Chicken’s King offers to softer spicy meals by mixing hot wings and tenders. She smiled when I trusted her by contactless card.

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Composer avec mon propre cliché. La fille qui travaille à Chicken’s King, elle propose toujours d’avoir des plats épicés plus adoucis en les mixant, en mixant les hot wings et les tenders. Elle a sourit quand je lui ai fait confiance pour ça avec ma carte sans contact.

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THEY TREAT THEMSELVES

Insects are back inside cause it’s too warm out there. They follow big lines on cold floors

I feel it in my throat. There is this other ant I just found in the corner of my eye it’s too tiny to handle - I place it in my mouth to know if it’s alive

I count them to know what season it is I keep a male in my hand - they have wingsI feel it in my belly.

The second worst thing about summer is thirst I place the words you said during sex in my mouth with the ant that is silent.

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Iels se traitent iels-mêmes. Les insectes sont revenus à l’intérieur, parce qu’il fait trop doux trop chaud. Iels suivent les grosses lignes sur les sols froids. Je le sens dans ma gorge. Y a cette autre fourmi que je viens de trouver au coin de mes yeux. C’est trop minus pour le tenir, je le mets dans ma bouche pour voir si elle est vivante. Je les compte pour essayer de savoir dans quelle saison on est. J’ai un mâle dans ma main, ils ont des ailes. Je le sens dans mon ventre. La seconde pire chose de l’été c’est la soif. Je mets les mots que j’ai dit durant le sexe dans ma bouche avec cette fourmi. C’est silencieux.

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GAPS

I haven’t seen the girl who works at Chicken’s King for a while because I was busy turning vegetarian. I came back today noticed how pregnant she’d became. asked for a usual children menu - we don’t do it anymorehuge gap from belief to conviction

Gaps. J’ai pas vu la meuf qui travaille à Chicken’s King depuis longtemps, j’étais trop occupée à essayer de devenir végétarienne. J’y suis retournée aujourd’hui et là j’ai remarqué à quel point elle était enceinte. J’ai demandé la même menu enfant. On le fait plus maintenant. C’est énorme. Un énorme gap de la conviction à la croyance.

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ÉRIC PESTY ÉDITEUR

K.O.S.H.K.O.N.O.N.G.

Au sommaire :

Charles Bernstein : Albiach

Claude Royet-Journoud : Préfiguration d’une loi

Claude Royet-Journoud : Antérieur division fin

Pierre Vinclair : L’amour du Rhône, 10

Susan Howe : Concordance, poème visuel

Note d’intention de Jean Daive pour la revue K.O.S.H.K.O.N.O.N.G. rédigée en 2012, année de fondation de la revue :

Koshkonong est un mot indien Winnebago qui donne son nom à un lac important du Wisconsin. Il signifie au-delà de toutes les polémiques d'hier et d'aujourd'hui : "The Lake we Live on" — Le Lac qui est la vie. C'est là que Lorine Niedecker est née et a vécu, dont les poèmes ouvrent le premier numéro de K.O.S.H.K.O.N.O.N.G.

Le poème de Lorine Niedecker fait d'échos, de résonances, introduit une écoute autre à propos d'accents autres et de sens autres.

L'écriture principalement connaît trois phénomènes : la main, la voix, le mur. Le mur est une manifestation qui s'adresse le plus naturellement du monde à l'homme, quel que soit son état de marche, quel que soit son état de cœur : le mur qui écrit la revendication, le mur des amoureux, des accusations, le mur des avis, notices, affiches, placards, proclamations, le mur des graffitis, des signes, des mots bombés, le mur est manifestation de l'urgence, de l'injustice, du procès, de la contagion, de l'épidémie.

K.O.S.H.K.O.N.O.N.G. est une revue qui veut prendre en compte toutes les résonances de la langue et l'urgence, toutes les désaccentuations possibles et l'alerte.

K.O.S.H.K.O.N.O.N.G. est une revue de l'ultimatum.

(COUVERTURE PROVISOIRE)

Parution : mai 2023 Prix : 11 € Pages : 28 Format : 15,5 x 24 cm EAN : 9782917786826 Rayon : poésie contemporaine

CONTACT PRESSE ET LIBRAIRE

Éric Pesty : contact@ericpestyediteur.com

n°24

porte ouverte, j’attends la nuit l’atrocité d’un linge son nom n’apparaîtra qu’au matin

… aucune voix pour accueillir la peur cette lame trop aiguisée le dévoiement d’une machinerie cautérisera la plaie …

en vrac sur le torse charnel et entre les deux pierres la grammaire d’un lac muet choisit la pénombre robe dispersée sur le carrelage

ANTERIEUR DIVISION FIN

au-dessus de la phrase le corps fut déplacé eux s’attardaient sur les objets

avec le rouge prédominant une succession d’arrêts de coupures de brèches de feux que la pluie n’éteindra jamais elles n’arrivaient plus que déchirées légèrement teintées de sang

un sexe meurtri par la transparence s’y faisait une place prolongeant un châssis de verre .

« elle caressait la viande » la déchirure

les oscillations d’une peur immobilisaient le dôme CLAUDE

ROYET-JOURNOUD

ÉDITIONS LURLURE

PARUTION MAI 2023

LE TOMBEAU DE JULES RENARD ET AUTRES HAÏKUS

Ivar Ch’Vavar

Préface de Laurent Albarracin

Genre : Poésie

Collection : Poésie Prix : 9 euros

Format : 10,5 x 16 cm

Nombre de pages : 56 ISBN : 979-10-95997-48-1

> Un hommage au chef-d’œuvre de Jules Renard, Histoires naturelles

> Un bestiaire magnifique

> Les seuls haïkus de l’œuvre poétique d’Ivar Ch’Vavar

LIVRE

Le Tombeau de Jules Renard est un hommage au chef-d’œuvre de Jules Renard, Histoires naturelles, recueil de proses poétiques formant une galerie de portraits intimes d’animaux sauvages ou domestiques.

Ce Tombeau en reprend le principe, mais sous la forme de haïkus. Il compose un bestiaire magnifique d’animaux de la ferme (cochon, lapin, dindon), des bois (loup, écureuil, fouine), des jardins (hérisson, escargot) ou encore de la mer (sardine, méduse, crabe). Il est suivi d’un second ensemble, les “Haïkus de l’agneau”, où le poète se prête, avec un humour à froid, au genre de la poésie amoureuse. Ces deux ensembles sont les seuls haïkus écrits par Ivar Ch’vavar dans son œuvre poétique.

Haïkus – mais dont Ivar Ch’Vavar transgresse volontiers les règles, quant au fond et à la forme. Ce qui l’intéresse avant tout, dans ces poèmes, c’est le fonctionnement d’une “image poétique” plutôt que le strict respect d’un genre. Laurent Albarracin, dans sa préface, identifie et définit quelques-uns des “modes opératoires” des superbes images poétiques de ce recueil.

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L’AUTEUR

Ivar Ch’Vavar (Pierre Ivart) est né à Berck-surMer en 1951. Il a dirigé plusieurs revues et publié de nombreux livres de poésie dont, aux éditions Lurlure, Cadavre grand m’a raconté (2015, coédition avec Le corridor bleu), La Vache d’entropie (2018), ainsi qu’une édition critique des Vers nouveaux d’Arthur Rimbaud (2019, rééd. 2021). En 2008, une réédition de sa revue Le Jardin ouvrier a paru chez Flammarion et, en 2012, une anthologie de ses poèmes, chez le même éditeur, sous le titre Le Marasme chaussé.

Le Tombeau de Jules Renard et autres haïkus est accompagné d’une gravure originale de l’artiste Dominique Scaglia.

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le chat pattes croisées, les yeux mi-clos il nous regarde comme s’il avait lu tout Kant et nous pas.

les poussins ils courent partout et s’emmêlent dans une couleur adoucie d’œufs battus.

l’escargot sur le faîte du vieux mur – l’escargot aussi lent que sur l’arête de la jeune mer – ce cargo.

l’écureuil il se brûle les doigts à la petite flamme noisette qu’il porte partout ne sachant pas où la poser.

le poulpe (en vieux toubib) le poulpe perplexe me palpe il coule sur moi ses yeux flous puis soupire et me prend le pouls.

la taupe cette mitaine dans l’herbe… perdue ? je la retourne et il en sort quatre petites mains humaines.

les sardines partout où elles passent c’est salle de bal avec bancs et lustres.

le renard (fable) quand le goupil mange un couscous plus que la poule ou la semoule son vrai régal – c’est le pois chiche.

EXTRAITS : LE TOMBEAU DE JULES RENARD
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Poésie

Contrechant

une anthologie poétique de audre lorde, poètesse-guerrière incontournable des luttes intersectionnelles

Militante, prophétique, brûlante, sensuelle : la poésie d’Audre Lorde est une explosion en plein coeur.

Ses poèmes rageurs, joyeux, âpres, érotiques sont ceux d’une traversée... Traversée d’une vie de femme, Noire, mère, amoureuse, amie, féministe, lesbienne. Traversée d’une époque et de ses luttes qui font tant écho au présent.

Traversée d’un travail poétique qui affûte la forme de ses mots et de ses idées.

• les meilleurs poèmes de audre lorde, réunis par ses soins juste avant sa mort.

prix : 20 € tirage : 2000 ex. parution : 5 mai 2023 format : 14x16,5 cm pagination : 200 p. ISBN : 978-2-493324-02-3

• une figure incontournable des mouvements féministes et intersectionnels d’hier et d’aujourdhui.

• une œuvre poétique magistrale et puissante, encore méconnue.

• une préface de maboula soumahoro.

• une traduction par un collectif de traducteur·ice·s

• une édition illustrée par maya mihindou

Audre Lorde

« nos silences ne nous protègeront pas. »

Audre Lorde

(1934-1992)

la voix des luttes intersectionnelles

Née à Harlem, fille d’immigrés des Caraïbes, Audre Lorde refuse d’être réduite au silence. Bibliothécaire, enseignante, éditrice, essayiste et poétesse, elle encourage sa vie durant les femmes à « transformer le silence en parole et en acte », à puiser au cœur de leurs expériences, de leurs émotions les plus profondes, pour les sublimer grâce à l’écriture.

« la poésie n’est pas un luxe, c’est une nécessité vitale. »

Diplômée de l’université de Columbia, elle est professeure invitée de la Freie Universität de Berlin, donne des conférences à Zurich et acquiert dans les années 1980 une renommée importante en Europe.

D’une maîtrise stylistique impeccable et d’une grande force de conviction, les écrits et les discours de Audre Lorde, ont défini et inspiré les féministes américaines, lesbiennes, afro-américaines des années 1970 et 1980.

« j’écris pour ces femmes qui ne parlent pas, pour celles qui n’ont pas de voix parce qu’elles sont terrorisées, parce qu’on nous a plus appris à respecter la peur qu’à nous respecter nous-mêmes. »

in sister outsider, ed. mamamélis, 2003

L’illustratrice : Maya Mihindou

La traduction : le collectif Cételle

Maya Mihindou est une illustratrice franco-gabonaise, photographe et journaliste née en 1984.

En 2014, elle cofonde la revue socialiste et féministe Ballast et réalise des reportages, des illustrations et des articles dans la presse indépendante, notamment pour les revues Panthère, Première et The Funambulist.

Pour Ballast, Maya Mihindou a déjà illustré des poésies de Audre Lorde. Elle travaille régulièrement avec des maisons d’édition, certaines de ses illustrations sont parues dans la revue féministe La Déferlante et elle a récemment réalisé une grande fresque peinte au Palais de Tokyo à Paris dans le cadre de la rétrospective Sarah Maldoror.

Le collectif de traduction Cételle est un laboratoire de traduction composé de sept enseignant•eschercheur•ses.

Basé à l’Université de Côte d’Azur, ce collectif s’attelle depuis plusieurs années à traduire l’œuvre poétique de Audre Lorde (recueil Charbon à paraître chez L’Arche) et le théâtre d’Annie Baker.

En avril 2023, le collectif Cételle organise à Nice un colloque international dédié à la poésie d’Audre Lorde.

Elles parlent d’Audre Lorde...

Les féministes qui ont beaucoup compté pour moi sont Audre Lorde et Monique Wittig.

Virginie Despentes

Engagée dans les différents mouvemenst sociaux, pour les droits civiques des femmes, des gays et lesbiennes, des travailleur·euses, contre la guerre) qui traversent les États-Unis, eelle choisit de ne dissimuler aucune partie d’elle-même; d’afficher dans l’espace public la «mosaïques» de ses identités.

Revue La Déferlante

Représentante de ce que l’on a appelé plus tardivement le « féminisme intersectionnel », issu du féminisme afro-américain et chicano, Audre Lorde n’a cessé de clamer pour et avec les femmes de couleur le droit à la poésie, à la beauté du monde.

Revue Ballast

« »

Sa prose et sa poésie, ont été de véritables catalyseurs pour les mouvements auxquels elle a appartenu : les artistes noirs, le mouvement de libération des femmes et des homosexuels et le mouvement pour les droits civiques.

Un podcast à soi

Charlotte Bienaimé Un podcast à soi Charlotte Bienaimé

Audre Lorde

Femme mère noire

Je n’ai aucun souvenir de toi gentille mais à travers ton amour écrasant je suis devenue une image de ta chair autrefois délicate déchirée par des désirs fallacieux.

Lorsque des inconnus viennent me complimenter ton esprit vieilli s’incline et carillonne de fierté mais jadis tu as caché ce secret au creux de ta fureur m’as pendue la poitrine profonde et les cheveux crépus ta propre chair déchirée et les yeux résignés enterrée sous des mythes de pacotille.

Mais j’ai épluché ta colère jusqu’à son noyau d’amour et regarde maman

je suis un temple sombre où ton esprit véritable s’élève superbe solide comme un chêne pilier contre ta hantise des faiblesses et si mes yeux dissimulent un escadron de rébellions conflictuelles j’ai appris de toi à me construire à travers tes dénis.

La révolution est une des formes du changement social

Quand ils sont occupés à fabriquer des nègres peu importe de quelle couleur tu es.

S’ils sont à cours d’une teinte particulière ils peuvent toujours passer à la taille et quand ils auront achevé les costauds ils passeront au sexe qui est après tout où tout a commencé.

Poème d’amour

Parle terre et bénis-moi d’abondance fais couler le ciel melliflue depuis mes hanches dressées comme des montagnes sur une vallée ouverte creusée par la bouche de la pluie.

Et j’ai su quand je l’ai pénétrée que j’étais grand vent au creux de ses forêts les doigts bruissant de murmures le miel a coulé de la coupe fendue empalée sur une lance de langues sur le bout de ses seins sur son nombril et mon souffle hurlant dans ses entrées depuis des poumons de douleur.

Goulue comme un goéland ou une enfant je me balance fort sur la terre encore et plus fort encore.

Les Abeilles

Dans la rue devant l’école ce que les enfants apprennent les poursuit.

Trois petits garçons hurlent en lapidant un essaim d’abeilles pris entre la fenêtre de la cantine et une grille Leurs pierres furieuses griffent le métal. Les abeilles ont froid sont lentes à se défendre. Excité par une piqure un garçon précipite la destruction.

Les surveillants arrivent de long bâtons à la main avancent vers la ruche font éclater les rayons de cire presque achevés du miel frais s’écoule le long de leurs manches à balai

de petits pieds de garçons apprentis experts écrasent les abeilles sonnées par la pluie sur le trottoir.

Curieuses et à l’écart les filles observent fascinées apprenant des leçons secrètes l’une d’elles enjambe les ruines qui bourdonnent faiblement et va scruter le coin de grille vide « On aurait pu étudier la fabrication du miel ! » cherche à comprendre sa propre destruction.

Éditions le Sabot Collection du Zbeul

contact.lesabot@gmail.com le-sabot.fr 11 rue Gabriel Péri 59370 Mons-en-Baroeul +33 676249059

des tueries et un film

- poème dramatique et documentaire -

« Un bœuf est éventré sous nos yeux. Non. Des mots éventrent un bœuf. »

Des tueries et un film est un objet hybride, spectaculaire, littéraire et dramatique – à lire (ou à regarder) de son fauteuil – qui fait entrer dans le monde caché et malodorant de l'abattoir. Ici un abattoir où cohabitent des employé·e·s aux corps malmenés et en grève, des animaux vivants ou morts, des patrons loufoques et manipulateurs. C'est autour de ce décor que rôde une artiste plasticienne –Yuhanne Dark – entourée de son équipe de tournage plus ou moins imaginaire.

Entre distance, humour et cruauté, des tueries et un film s’intéresse aux changements que l’on peut espérer aujourd’hui, aux gestes que les humain·e·s et / ou artistes peuvent mettre en place en regard d’une réalité débordante, paralysante, extrêmement complexe. Mais pas plus l’autrice du texte que l’auteuree (intervenant de façon plus ou moins impromptue au sein de ce poème dramatique) ou que le personnage de Yuhanne Dark ne trouvent ou ne proposent de réponse à ces questions, si ce n’est dans le déplacement perpétuel du regard et de l’écoute, dans le ralentissement du rythme et de la pensée visà-vis des images, dans le jeu entre fiction, documentaire et réel, entre théâtre, cinéma et poème.

L'autrice:

Fanny Garin née en 1988, écrit de la fiction, de la poésie, ainsi que du théâtre ou textes hybrides pour la scène.

Elle est publiée pour le recueil des disparitions avec vent et lampe par les éditions Isabelle Sauvage, pour le texte poétique natures sans titre par les éditions de l’Angle mort et pour le roman la porte de la chapelle par les éditions publie.net.

à paraître en mai 2023 120 x 185 mm, 130 pages, 12€ Thèmes: poésie, condition animale, drame, humour, documentaire

ISBN : 978-2-492352-13-3

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des tueries et un film

Cette écriture pour la scène fait se rencontrer différents matériaux : voix, images, didascalies, matières fictionnelles, matières documentaires. Hétérogénéité volontaire, contrebalancée par l’unité de lieu de Des tueries et un film: tout pourrait avoir lieu – ou être représenté – dans un abattoir vide.

*

Le film présumé de Yuhanne Dark devra être projeté au moins deux fois au cours de la représentation : une fois avant son monologue, une fois après. Au moins signifie que le film (ou certains de ses morceaux) (de tendre chair) peut (et peuvent) aussi être utilisé(s) à n’importe quel moment de la pièce.

*

Un film réel devra donc être réalisé, à moins que la proposition littéraire du film de Yuhanne ne soit conservée comme telle – lue à haute voix par exemple, ou projetée. Une approche n’excluant pas l’autre, ce film pourrait être lu la première fois ; ses images projetées la seconde fois. Ainsi le récit de l’image arriverait-il avant l’image. Ou inversement. Images puis mots.

*

Les virgules sont un outil pour comédiens et metteurs en scène. Elles peuvent marquer une hésitation, une reprise de souffle, un silence, ou simplement agir musicalement. Les didascalies peuvent tout autant être considérées comme de la matière scénique qu’être conservées sous leur forme littéraire (partition vocale, voix narrative, projection, etc.).

Note de l’auteuree :

Peut-être, Peut-être que n’importe quand dans le spectacle, une comédienne ou un comédien pourrait prononcer cette phrase : « tu te retrouves obligée de faire un métier, de merde pour nourrir ton gosse, avec un salaire, de merde, et des conditions, de merde ». Ou alors celle-ci : « à ce moment-là, le responsable dit : t’es pas allé à l’école et moi si, donc t’en sais rien » Mais, Ne vaudrait-il pas mieux métaphoriser, transformer, poétiser, représenter. Cependant, Qu’écrit-on après avoir entendu ces phrases, que puis-je écrire à la place de ces phrases réelles

Autre chose : en parallèle des voix humaines, je souhaite une présence forte du choeur des animaux, vivants ou morts. Mais sous quelle forme ?

c’est abrupt peut-être mais tout tout commence par un café que l’on boit ici ici nous sommes dehors et le café est un peu clair trop d’eau il pleut et la pluie dans le verre en plastique les gouttes tombent vous entendez le bruit non c’est quelqu’un il savait pas faire du café un veau un nouveau un nouveau a fait le café ce matin plutôt y’avait presque plus de café une poignée de café dans le sachet un veau le café était clair et les commandes mal faites pas payées oui

rupture de café rupture de un veau on s’est essuyés avec du sopalin pendant deux semaines ils en ont eux oui faut pas s’inquiéter pour eux pour eux café sucrettes papier toilette senteur lilas et du champagne par cartons entiers au siège social

et vous vous vous en foutez non c’est vous êtes pas là pour ça c’est ça quelqu’un dit cela quelqu’un dit c’est pas nécessaire c’est pas né cessaire non c’est pas essentiel mais moi je m’en fous moi je veux une prime mon enfant il veut des Nike et de l’Orangina et moi je peux pas commencer à travailler sans café moi non plus c’est un lac de café pour bloquer les viscères dans le ventre les heures seront longues et puis il pleut il pleut cela éteint certaines cigarettes la tienne puis la tienne tu penses à quoi toi un veau qui avait un prénom ces notes ces notes que tu prends il a un contrat à la main il cherche à voir où cela foire il veut les avoir il va un veau appeler l’inspection du travail service hygiène car la viande la viande périmée a encore été retravaillée elle est noire maintenant toute pleine d’asticots et nos pauses avortées un veau qui a été choyé notre treizième mois supprimé et maintenant nous sommes en grève et tout commence pareil la journée doit commencer par un café un veau un café soluble qui fige les viscères vous pensez que vos demandes seront entendues non alors que faire

le Sabot Collection du Zbeul
Éditions

éditions Trente-trois morceaux

Virgile L’Énéide Traduction de Pierre Klossowski

Préface de Pierre Klossowski Suivi de Les mots qui saignent de Michel Foucault

À paraître : mai 2022

Second tirage (premier tirage : février 2015) 22 euros – ISBN 9791093457017 16 x 21 cm – 432 pages

« Si nous pensons que L’Énéide est en n lisible en français grâce à la traduction de P. Klossowski, c’est parce qu’il nous semble que le génie latin, l’intention romaine de Virgile, le sens pour-soi du prodigieux poème virgilien, nous deviennent par elle plus proches, comme un pays qui ne nous atteindrait plus par les ouï-dire médisants de caravaniers insensibles à l’étranger, mais qui monterait lui-même maintenant à l’horizon. » Michel Deguy, NRF décembre 1964 n°144

Publiée en 1964 pour la première fois aux éditions Gallimard, puis rééditée en 1989 par André Dimanche, la traduction de L’Énéide de Pierre Klossowski était devenue introuvable depuis plusieurs années. Elle occupe pourtant une place singulière dans les nombreuses tentatives de traduction française de l’œuvre de Virgile. Michel Foucault, dans l’article qu’il lui a consacré en 1964, tente de dé nir cette singularité : « Il faut bien admettre, écrit-il, qu’il existe deux sortes de traductions ; elles n’ont ni même fonction ni même nature. Les unes font passer dans une autre langue une chose qui doit rester identique (le sens, la valeur de beauté) ; elles sont bonnes quand elles vont « du pareil au même ». Et puis, il y a celles qui jettent un langage contre un autre, assistent au choc, constatent l’incidence et mesurent l’angle. Elles prennent pour projectile le texte original et traitent la langue d’arrivée comme une cible. Leur tâche n’est pas de ramener à soi un sens né ailleurs ; mais de dérouter, par la langue qu’on traduit, celle dans laquelle on traduit. » De cette projection violente de L’Énéide sur notre langue, de cette tentative radicale de conserver l’ordre spatial des mots latins quitte à forcer la syntaxe française, est né une œuvre où, comme l’écrit Klossowski dans sa préface, ce sont les mots qui saignent, et non pas seulement les plaies des héros. De par la puissance et l’acuité de sa méthode et de son résultat, il nous semblait nécessaire de rendre cette œuvre à nouveau accessible. Elle est suivie dans cette édition du texte de Michel Foucault, Les mots qui saignent.

éditions Trente-trois morceaux 68 rue Montesquieu 69007 Lyon www.trente-trois-morceaux.com

contact Paul Ruellan +33 (0)7 83 88 30 63 editions@trente-trois-morceaux.com

Déjà parus Faire la carte Vincent Weber L’Énéide Virgile, trad. Pierre Klossowski Voyage en Grèce Gastone Novelli Épiphanies James Joyce Street life Joseph Mitchell

En regardant le sang des bêtes Muriel Pic Zé Gus Sauzay

Dans le décor Vincent Weber La Crèche Giorgio Manganelli

Listen to me / Écoutez-moi Gertrude Stein Brecht et la Méthode Fredric Jameson

Nouvelle du menuisier qu’on appelait le Gros –Vie de Brunelleschi Antonio Manetti

Poèmes Yvonne Rainer Dialogues avec Leuco Cesare Pavese

Le Gualeguay Juan L. Ortiz

diffusion paon-diffusion.com distribution serendip-livres.fr

Homme par-dessus bord – Proses 1931-1947 Kurt Schwitters

Livre Premier

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Les armes je célèbre et l’homme qui le premier des Troyennes rives en Italie, par la fatalité fugitif, est venu au Lavinien littoral ; longtemps celui-là sur les terres jeté rejeté sur le flot de toute la violence des suprêmes dieux, tant qu’à sévir persista Junon dans sa rancune, durement eut aussi de la guerre à souffrir, devant qu’il ne fondât la ville et n’importât ses dieux dans le Latium ; d’où la race Latine et les Albains nos pères, d’où enfin de l’altière cité les murs — Rome.

Muse, les causes ? Dis-moi en quoi lésée sa divinité, pourquoi la dolente reine des dieux précipitait de chute en chute l’homme d’insigne piété, le poussait à connaître tant de tribulations. Tant y aurait-il de colère dans les célestes esprits !

Il y avait alors une antique cité (des Tyriens colons l’occupèrent) Carthage, narguant l’Italie et les bouches lointaines du Thybre, riche en ressources et d’un zèle acharné à la guerre que Junon est dite avoir plus que toutes autres terres, pour cette unique délaissant Samos, choyée : ici les armes d’icelle ici était son char : ce royaume, la déesse, à l’établir sur les nations si jamais les fatalités le tolèrent, d’ores et déjà aspire et couve ce dessein. Mais une race, en effet, du Troyen sang issue, avait-elle ouï dire, les Tyriennes un jour renverserait, les citadelles. De cette race un peuple au loin souverain, superbe à la guerre,

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viendrait ruiner la Libye : ainsi le tramaient les Parques. Redoutant cela, songeait à l’antique guerre, la Saturnienne, que jadis elle avait devant Troie livrée pour son Argos chérie. Encore les motifs de ses colères ni sa cruelle amertume ne quittaient son esprit : ineffaçable au fond de son cœur l’injure faite à sa beauté dédaignée, se déroule à nouveau le Jugement de Pâris — et l’odieuse race ; et les honneurs de Ganymède ravi. Enflammée par de telles images, elle rejetait loin du Latium les Troyens à la dérive sur la vaste étendue, restes échappés aux Danaens, aux cruautés d’Achille : d’année en année ils erraient, faisant le tour des mers, jouets du destin. Tant en a-t-il coûté de fonder la nation Romaine !

A peine, hors de vue la Siculienne terre, au large la voile déployaient-ils, le cœur dilaté, et les écumes de sel l’airain faisait jaillir, lorsque Junon, éternellement conservant en son sein sa blessure ainsi par devers elle : « Moi, mon propos déjoué, m’arrêter, vaincue ! Impuissante à divertir de l’Italie le roi des Teucres ! Les fatalités me l’interdisent donc ! Pallas n’a-t-elle pu consumer la flotte des Argiens, mais eux-mêmes les submerger dans le flot à loisir pour les torts uniquement du fils d’Oïlé, du seul Ajax en délire ?

Le feu de Jovis, du haut des nues, elle-même le lança, rapide, et elle dispersa les vaisseaux, et elle bouleversa par les vents les plaines liquides ; Ajax vomissant, transpercée la poitrine, des flammes, dans un tourbillon elle le rafla, sur un roc elle le cloua, acéré ! Moi qui des dieux m’avance la première, moi la Reine ! Moi de Juppiter la sœur et l’épouse, contre une seule nation des années je guerroie ! Qui donc s’aviserait encore d’adorer la divinité Junonienne ou viendrait, suppliant, sacrifier sur ses autels ? »

Telles pensées retournées de la déesse en son cœur enflammé l’acheminaient au pays natal des orages, lieux féconds en souffles furieux, en Éolie. Là, dans l’antre vaste, le roi Éole de son pouvoir réprime et tient au cachot enchaînés vents subversifs et tempêtes sonores.

Indignés, ceux-là, d’un violent murmure, font retentir le mont et grondent aux portes : trônant au sommet, Éole de son sceptre, dompte leurs humeurs et règle leurs colères. S’il ne le faisait, les mers et les terres et le ciel profond, certes, ils emporteraient rapides et les disperseraient dans les airs. Mais le père tout-puissant les a celés dans des cavernes ténébreuses, redoutant pareille catastrophe, une masse faite de hautes montagnes a posé dessus, un roi leur a donné, qui selon un pacte certain sache freiner ou relâcher les rênes au moment voulu.

A lui, Junon, alors suppliante, adressa ces paroles : « Éole (car c’est à toi que le père des dieux, le roi des hommes, a donné le pouvoir de calmer les flots et de les soulever par le souffle des vents) une race qui m’est hostile navigue sur la mer Tyrrhénienne en Italie portant Ilion et ses pénates vaincus ; frappe par la force des vents, submerge et enfonce leurs poupes, ou, les ayant dispersés, déjecte çà et là leurs corps sur les flots démontés ! Sont à moi deux fois sept nymphes au corps superbe entre lesquelles par ses appas la plus belle est Déïopée. Par un mariage indissoluble je vous unirai et tienne je la consacrerai, qu’avec toi elle passe toutes ses années et, te récompensant pour de tels services, te rende père d’une belle postérité ! »

Éole de lui répondre : « Il t’appartient, ô reine, de peser ce que tu désires ; à moi il est faste de comprendre tes ordres. N’est-ce pas toi qui assures tout ce qui fait ici mon royaume, qui concilies à mon sceptre l’humeur de Jovis : toi qui me donnes une couche aux festins des dieux, et me confères puissance sur les orages et les tempêtes. »

Sur quoi, il retourne sa lance et en frappe le flanc du mont caverneux : en rangs serrés, les vents, par toutes issues ouvertes, se ruent en rafales sur les terres. Répandus sur les eaux, ils soulèvent hors de ses assises profondes la mer ;

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d’emblée l’Eurus et le Notus s’élancent et l’orageux Africus, roulant d’énormes lames vers les rives ; alors la clameur des hommes se mêle au grincement des cordages, des nuées soudain dérobent ciel et jour à l’œil des Teucres ; la nuit s’abat impénétrable sur la mer, la voûte céleste gronde et de mille feux scintille l’éther. Toutes choses rendent présente aux hommes la mort.

A l’instant Énée sent d’effroi se relâcher ses membres : il gémit et, vers les astres élevant ses deux paumes, il profère ces paroles : « O trois fois, quatre fois bienheureux ceux à qui, sous les yeux de leurs pères, à Troie sous les hauts murs, fut accordée la mort qu’ils désiraient ! O de la race de Danaus le plus courageux, fils de Tydée ! Que n’ai-je pu, moi aussi, succomber dans les plaines Iliaques, exhaler cette âme sous ta dextre, là où, frappé du trait de l’Éacide, gît le furieux Hector, où repose le gigantesque Sarpédon, où le Simoïs sous ses ondes roule, arrachés, tant de boucliers et de casques, et tant de dépouilles de puissants héros ! »

Telles paroles proférait-il, lorsque stridente l’aquilonienne bourrasque à l’encontre la voile frappe ; et les flots projette vers les astres. Se brisent les rames ; se renverse la proue et aux ondes offre le flanc : celles-là s’accumulant, pointe une montagne d’eau ; à sa crête les uns sont ballottés ; aux autres l’onde déhiscente la terre entre les flots découvre : furieux, le bouillonnement dans les sables.

Trois navires le Notus arrache et tord sur des écueils cachés, — autels au milieu des flots — disent les Italiens — rochers au dos immense à la surface des eaux. Trois navires du large l’Eurus refoule sur les syrtes — ô lamentable aspect ! — sur les bas-fonds les broie, et referme sur eux une enceinte de sable.

La nef qui les Lyciens et son fidèle compagnon portait, la nef d’Oronte, sous les yeux mêmes d’Énée, d’une vague énorme se gonflant le liquide élément

en poupe la frappe : projeté en avant le pilote par-dessus bord la tête en bas ; mais la nef trois fois sur elle-même tournoyant en l’entonnoir rapide la dévore le flot. Apparaissent quelques rares survivants nageant dans le vaste gouffre emportés par les ondes, s’en vont les armes des héros, les tables et les trésors de Troie.

Déjà le solide navire d’Ilionée, déjà celui du vaillant Achates, ceux qui portent Abas et Alétès, chargé d’ans, succombent à la tempête : relâchées de leurs flancs les jointures tous reçoivent, béants, les funestes eaux.

Dans l’intervalle, au grand murmure du flot effervescent, de l’orage lancé se doute Neptune ; voyant du fond les stagnantes eaux refoulées des abîmes, gravement indigné, le haut large explorant du regard, dessus leur cime son placide chef il porta hors des ondes. Disloquée l’escadre d’Énée, il voit sur la vaste étendue par les flots les Troyens oppressés et par les célestes torrents. Mais n’ont de secret pour son frère ni les colères ni les ruses de Junon. L’Eurus et le Zéphir à lui il appelle, puis il leur parle ainsi : « Une telle hardiesse votre origine vous inspire donc ? Déjà ciel et terre, sans égard à ma divinité, vents que vous êtes, remuer pêle-mêle et soulever ces masses, vous osez ? Je devrais vous… Mais il importe d’apaiser les flots émus. Que je vous y reprenne : vous ne finiriez pas de payer pour semblable gâchis. Hâtez-vous de déguerpir et allez dire à votre roi : ce n’est pas à lui que l’empire de la mer ni le redoutable trident ont été donnés par le sort, mais à moi ! Qu’il occupe, lui, les immenses rochers, vos demeures, Eurus ! Qu’au milieu de pareil palais, il se prélasse, Éole, qu’il règne sur le cachot verrouillé de ses vents ! »

Ainsi dit-il et n’a pas plus tôt dit que les flots tumultueux il apaise, les nuages rassemblés disperse et le soleil ramène. Cymothoé et Triton, conjuguant leurs efforts, d’un aigu rocher arrachent les vaisseaux. Lui-même du trident les dégage,

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ouvre de vastes syrtes et, des roues légères de son char rasant la surface des ondes, tempère la plaine liquide. Ainsi lorsque au sein d’un grand peuple naît la sédition et que l’emporte sur les esprits l’ignoble populace, que déjà volent brandons et pierres et que fourbit les armes la fureur, si par hasard ils aperçoivent un homme qui leur impose par la piété et les mérites, eux se taisent, en suspens, prêtant l’oreille : lui, par ses paroles dirige leurs esprits et charme leurs cœurs. Ainsi de la mer est tombé tout le fracas, dès que l’étendue liquide ayant exploré du regard, le divin géniteur stimule ses chevaux et donnant libre carrière à son attelage, vole sous un ciel serein.

A bout de forces, hâtivement aspire la race d’Énée aux plus proches rivages, vers la Libye se tourne dont voici la côte. Il est dans un profond retrait une île qui forme un refuge de ses flancs avancés contre lesquels toute vague de la haute mer se brise et où en sinueux reflux se scinde l’onde. Çà et là, de vastes roches et, menaçant le ciel, deux pics sous le versant desquels, sur une longue étendue se taisent les flots pacifiés ; d’arbres la scène agitée, au-dessus ; hérissée, de l’obscure forêt domine l’ombre. A l’opposé, sous des rocs suspendus, celant eaux douces et sièges taillés dans la pierre vive, un antre, des nymphes la demeure. Ici les vaisseaux battus n’ont besoin d’ amarre aucune pour tenir immobiles, ni de la morsure de l’ancre crochue. Là, ayant sept vaisseaux rassemblés, les seuls qui lui restent, Énée pénètre : de la terre le grand amour animant les Troyens, ils sortent des navires, possèdent l’arène désirée, d’onde saline leurs membres ruisselant, se reposent. Et d’abord d’un caillou fait jaillir l’étincelle Achates et reçoit le feu sur les feuilles mortes et alentour d’arides aliments lui donne et dans ce foyer avive la flamme. Puis le froment corrompu par les flots et de Cérès les armes ils disposent sur la plage, harassés par tant d’émotions,

s’apprêtent à griller dans les flammes et à broyer sous la pierre les céréales recueillies.

Énée cependant gravit un rocher d’où la vue portant loin sur la mer il cherche, au large, si l’un des siens tel Anthée, ballotté par les vents il ne verra, les birèmes de Phrygie ou Capys, ou, sur les hautes poupes, les armes de Caicus. De navire aucun ne s’offre au regard, mais, errant sur la rive, trois cerfs ; ceux-là menant à leur suite une troupe entière, en longue file s’en va paissant par la vallée, le troupeau. Énée sur-le-champ de saisir l’arc et les rapides flèches que portait le fidèle Achates ; les cerfs conducteurs, portant haut la tête aux cornes ramifiées, il abat, puis le gros de la troupe disperse, la poursuivant de ses traits, fugitive sous les frondaisons de ces bois. Et ne s’arrête qu’il n’ait couché au sol sept énormes bêtes en nombre égal aux vaisseaux. De là il revient à la baie partager aux compagnons le gibier. Les vins, ensuite, dont le généreux Aceste avait rempli les amphores sur les rives de Trinacrie, hommage d’adieu à ceux qui s’en allaient, le héros distribue, et par ses paroles leurs angoisses adoucit :

« O amis (et en effet point ne sommes ignorants du malheur), ô vous qui en souffrîtes de plus accablants, un dieu mettra aussi à ceux d’aujourd’hui un terme.

Vous qui avez approché la rageuse Scylla et jusqu’à ses sonnants écueils, vous qui éprouvâtes la vision des rochers du Cyclope : ressaisissez vos esprits et rejetez l’affliction et la crainte : un jour peut-être la joie naîtra de pareils souvenirs. Par diverses fortunes, par maints périls nous parvenons au Latium où les fatalités nous désignent de paisibles demeures. Là il nous sera accordé de ressusciter le royaume de Troie. Subsistez et pour un état réservez-vous, de prospérité. »

Telles choses il profère de la voix tandis que d’immenses soucis tourmenté

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l’espoir il simule sur sa face et réprime dans son cœur le profond chagrin. Eux de se préparer à savourer le gibier et les mets immédiats : ils écorchent les côtes et dénudent les entrailles, les uns découpent en morceaux et fichent sur des broches les chairs palpitantes, les autres installent des vases d’airain sur la rive et attisent les flammes. Cependant ranime leurs forces la nourriture, étendus sur l’herbe ils s’abreuvent d’un vieux Bacchus et dévorent les grasses viandes. Après que réduite la faim par l’aliment et les tables enlevées, des perdus compagnons longuement ils s’entretiennent, entre l’espoir et la crainte hésitent, soit que vivre ils les croient, soit le suprême moment souffrir et déjà ne plus s’ouïr nommer. Plus que tous le pieux Énée tantôt sur le sort de l’âpre Oronte tantôt sur celui d’Amycus se lamente et sur les cruelles destinées de Lycus et pleure le courageux Gyas, le courageux Cloanthe.

Déjà cela aussi avait cessé lorsque Juppiter du haut de l’éther considérant la mer semée de voiles et les terres étendues et les rivages et les vastes peuples, au pôle céleste s’arrêta et baissa les yeux sur le royaume de Libye.

Or lui qui agitait en son sein semblables soucis, Vénus plus triste, ses yeux brillant à travers leurs larmes, l’approche avec ces paroles : « O toi qui diriges le bien des hommes et des dieux par d’éternels décrets et les consternes de ta foudre, de quoi donc mon Énée s’est-il rendu coupable envers toi, de quoi donc les Troyens ont-ils été capables, auxquels, éprouvés par tant de deuils, l’univers entier se ferme à cause de l’Italie ? Certes, c’est de leur race qu’un jour dans la succession des âges les Romains, les conducteurs doivent naître, une fois réveillé le sang de Teucer, eux qui tiendraient les mers et toutes terres sous leur juridiction. Tu l’avais promis : as-tu donc, divin Géniteur, retourné ta sentence ? De la chute de Troie, il est vrai, et de ses tristes ruines je me consolais, par la fatalité de contraires fatalités balançant ; et voici que ces hommes par tant de disgrâces accablés les persécute la même fortune ! Quelle fin, grand Roi, réserves-tu aux épreuves ?

Anténor n’a-t-il pu du milieu s’évadant des Grecs dans l’Illyrique pénétrer dans le golfe mais en sûreté au cœur même du royaume des Liburnes et les sources franchir du Timave où par neuf bouches avec un vaste murmure de la montagne il va, mer furieuse, pressant les guérets de son flot sonore. Là-bas cependant la ville de Padoue et les résidences il a établies des Teucres et à ce peuple donné un nom et les armes y a suspendues de Troie ; pour lors tranquille, au sein d’une paix douce il se repose ; nous autres, ta descendance, à qui tu consens le céleste séjour, privés de nos vaisseaux (adversité cruelle !) au gré d’une seule divinité, à cause de sa colère, nous sommes sacrifiés et tenus loin des rivages d’Italie. Est-ce là récompenser la piété ? Est-ce ainsi que tu nous rends notre dignité souveraine ? »

Ici, souriant le Semeur des hommes et des dieux, de ce visage qui rassérène les cieux et dissipe les tempêtes, de baisers couvrit sa fille, puis telles paroles proféra : « Écarte le doute, Cythérée ; immuables demeurent de ta race les fatalités ; tu verras la Ville et du Lavinium les murs promis et le sublimé tu le porteras jusqu’aux astres du ciel le magnanime Énée ; ma sentence ne s’est point retournée. Celui-ci (car à toi je le révélerai, dès lors que tu ressens la morsure de pareil souci, et les développant longuement je produirai devant toi les arcanes de la fatalité) une guerre gigantesque livrera en Italie et broyant les peuples farouches il posera des coutumes aux hommes et des murailles, jusqu’à ce qu’un troisième été l’ait vu régnant sur le Latium, et que trois hivers aient passé sur les Rutules asservis. Or, le jeune Ascagne, maintenant surnommé Iule (Ilus se nommait-il tant qu’Ilion se dressait souveraine), trente fois, les mois se déroulant, l’orbe de l’univers remplira de son règne, et transférera du Lavinium le siège de son royaume à Albe-la-Longue que d’une forte enceinte il munira. Ici dominera durant trois cents années

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Michel Deguy

Genre : dialogue

Préface de Bénédicte Gorrillot

5 dessins de Christine Chamson

Format : 12 x 18,5 cm

Pages : 120 Prix : 15 €

ISBN : 978-2-490251-76-6

Michel Deguy (1930-2022).

Poète, philosophe, professeur émérite (Université de Paris-VIII), président du Collège international de Philosophie (1989 à 1992) et de la Maison des Écrivains (1992 à 1998), il était le fondateur et rédacteur en chef de la revue Po&sie (Belin) depuis 1977, et membre du Comité de la revue Les Temps modernes. Son œuvre poétique et théorique comptant, depuis 1959, une cinquantaine de livres (Gallimard, Galilée, Hermann, Le Seuil, etc.), a été l’objet de nombreuses études en France et à l’étranger et a été traduite en plus de vingt langues ; elle a aussi été récompensée par plusieurs distinctions littéraires dont Le Grand Prix national de poésie (1989), le Grand Prix de poésie de l’Académie française (2004), le Prix Goncourt de la poésie (mai 2020), le Prix Guez de Balzac de l’Académie française (2021).

On doit à Bénédicte Gorrillot, Maître de conférences HorsClasse en poésie latine & littérature française contemporaine à l’Université Polytechnique des Hauts-de-France, de pouvoir lire les réflexions de Michel Deguy sur la musique. Elle a mené ces entretiens chez lui alors qu’il était déjà souffrant. Ils s’achèvent très peu de temps avant sa mort en janvier 2022 mais il faudra les transcrire et restituer au plus juste une parole orale. Elle l’avait déjà fait dans Noir, impair et manque publié aux Éditions Argol en 2016, volume aujourd’hui épuisé où, déjà, il s’agissait de laisser s’exprimer Michel Deguy sur la façon dont il envisageait son œuvre en miroir aux autres arts – mais c’était à l’exception précisément de la musique sur laquelle ils s’étaient promis de revenir. Voilà donc qui est fait pour le plus grand intérêt du lecteur, car il y a autant de façons de considérer le rapport musique/poésie qu’il y a de poètes et de musiciens. La parole de Michel Deguy est donc très précieuse parce que c’était un poète et que c’était un poète qui aimait la musique. Beaucoup de questions vont y être évoquées : dans la « ronde des arts », quelle place pour la musique, quelle place pour la poésie ? Pourquoi la poésie n’est-elle pas la musique ? Comment envisager la mise en musique du poème ? Qu’est-ce qu’une chanson, qu’est-ce qu’un poème ? En somme : comment la musique permet-elle de penser la poésie et vice-versa ? Ce petit livre sera donc un bréviaire pour tous ceux qui s’intéressent à ces questions, et restitue la voix si intelligente, émouvante et presque enfantine de celui qui fut – qui est – l’un des plus beaux poètes de langue française.

Juin
Contact et libraires : colette.lambrichs@gmail.com Téléphone : 06 60 40 19 16 Diffusion et distribution : Paon diffusion.Serendip Éditions du Canoë 2023

CHAPITRE II

PRÉCISIONS THÉORIQUES : DE MUSICA ET DE POIESIS1

Bénédicte Gorrillot : Michel, si je résume ce que nous avons dit jusqu’ici, notre objectif est d’éclairer ce que représente la musique pour un poète qui se plaît paradoxalement à dresser de lui, comme en 2007 devant François Nicolas, un Portrait de l’artiste en asourdie2 : c’est-à-dire ni musicien (au sens d’un instrumentiste), ni musicologue ; juste un auditeur occasionnel, non savant, mais non moins passionné…

Michel Deguy : …et dont l’écoute musicale, hélas, est affectée d’une surdité partielle ancienne, aggravée avec le grand âge ! C’est important, car… que peut bien attendre quelqu’un, par exemple un poète comme moi, de la musique, quand il ne l’entend pas – dans tous les sens

1 Issu de la suite de la 1e séance (28/06/ 2021) avec des éléments des séances n° 2 (06/07/21) et n° 3 (03/01/22).

2 Michel Deguy, « Prose, musique, contemporanéité », dans Musique et littérature : la musique, un art du contemporain ? sous la dir. de François Nicolas, CDMC, 17 mars 2007, audio (1h03’), 9’29’’ (podcast disponible sur URL : http : //www.cdmc.asso.fr/fr/actualites/saison-cdmc/ musique-litterature-musique-art-contemporain).

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d’entendre ? Comment peut-elle intervenir par rapport à la poétique, qui est sa grande affaire ? Cela revient pour moi à la question souvent débattue, avec bien des à-peuprès et des clichés, de la « musique de la poésie » ou du poème musique avant toute chose comme dit Verlaine…

B. G : C’est en effet une interrogation essentielle… et d’autant plus complexe si, dans « musique de la poésie », on lit le « de » introduisant le complément du nom au sens d’un génitif3 subjectif (la musique que possède en propre la poésie et qui la définirait) ou au sens d’un génitif objectif (la musique que la poésie prend pour objet de description ou qu’elle appelle à elle pour l’accompagner). Pour y répondre, je vous propose au préalable de préciser les définitions de travail. D’où ma première question : au-delà des diverses classifications déjà évoquées, contemporaine, moderne, classique, romantique, mélancolique, populaire, etc., que mettez-vous derrière le mot musique ? Musique, c’est-à-dire ? Vt poiesis, musica (Comme le poème, la musique)

Michel Deguy : … D’abord ceci : il ne faut pas oublier que musica ou mousika en grec, ce sont les Muses, c’est-à-dire la parole poétique. Et là, je pense immédiatement à saint-Augustin et au De musica4. Cet ouvrage

3 Le génitif est un cas latin indiquant notamment la fonction « complément de nom » – ceci pour rappeler l’ambiguïté, parfois, de la construction française du complément de nom.

4 Composé par saint Augustin d’Hippone entre 386 après J.-C. et 388 après J.-C.

très important pour moi que j’ai fait travailler à mes étudiants traite de quoi ? de la prosodie, et de quelques trois cents types de pieds. Le pied : il s’agit de poser et lever le pied pour marquer le découpage ou la séquence poétique. Il s’agirait d’un découpage après coup.… Au fond, ce n’est pas historique et ce n’est pas autobiographique. On ne commence pas par dire « voilà, on part de la différence brève-longue, comme dans l’iambe ou son inverse le trochée, et ensuite on augmente ». Non. Les trois cents pieds analysés et décrits par Augustin dans le De musica5 nous plongent dans ce qu’on appellerait aujourd’hui la versification, comme si la poésie était différente de la versification, de la mise en vers. Non, on ne met pas en vers : le vers, c’est l’existence de l’élément poème, de la séquence poétique dans la langue, même si après on met le poème en tout ce qu’on veut : en prose, en vers, en les deux… Le lieu, l’élément dans lequel on vit, dans lequel vit ma langue, la maternelle, la seule et unique où je peux penser et parler, eh bien cet élément, c’est la prosodie, c’est le chant, dans tous les sens du mot chant. Le chant est donc cet élément dans lequel la langue se fait entendre. Qui n’a pas entendu sa langue, dans sa capacité prosodique, n’a pas de rapport avec sa langue.

B. G. : Si je comprends bien, cet ouvrage d’Augustin a été très important pour vous parce que, via le mot « musique », il

5 Augustin détaille ces pieds métriques au livre II du De Musica, puis traite de la question du rythme et du mètre aux livres III et IV et du vers au livre V.

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met l’accent sur la donnée fondamentalement rythmique de la langue générée par la succession variée des voyelles brèves ou longues. Musique et rythme sont donc intimement liés … et même la musique serait d’abord cette capacité de faire rythme, d’imposer à la continuité brute de sons perçus en première sensation (articulés ou non à des signifiés) des successions reconnaissables, isolables de différences de durée ou d’intensité peu à peu théorisées, catégorisées en pied (l’appellation ancienne du mètre), puis en vers…

Michel Deguy : Oui, et à partir d’une matrice extrêmement simple – une différence marqué/non marqué, ou longue/brève taa-ti — les possibilités sont innombrables : on peut ouvrir à l’infini (c’est-à-dire trois cents pour Augustin) les possibles dans cette différence initiale. Et c’est dans ça que s’avance le poème, c’est-à-dire pour moi la langue cherchant à faire entendre cette capacité profonde et insensée de rythme qu’on appelle la prosodie. Pour Augustin c’est tout ce que peut offrir la langue latine à partir d’un blanc puis tout à coup le tiret et le petit demicercle et à nouveau le blanc qui donne la différence trochaïque taa-ti, ou à partir de l’inverse qui donne l’iambe, ti-taa. Et à partir de là la matrice peut s’ouvrir avec taati-ti le dactyle ou ti-ti-taa l’anapeste, etc. Il est utile pour le travail de nommer toutes ces différences. Il ne faut jamais rester dans le vague. Tout cela attend d’être précisé, noté, et c’est cela qu’Augustin appelle le musaïque, la musique : le rythmé ou rythmable. Il faut entendre, dans la musique d’Augustin, la Muse… plus que la trompette !

B. G. : Justement, je voudrais ici exprimer mon étonnement : Augustin et vous, après Augustin, convoquez, pour définir la musique, les ressources de la langue articulée et de la poésie ! Tout se passe comme si, à l’inverse d’Horace qui dit ut pictura, poiesis pour définir la poésie en passant par le comparant peinture, Augustin et vous disiez ut poiesis, musica, passant par le comparant poésie !

Michel Deguy : Il n’y a rien là d’étonnant, puisque du fond des âges de l’Antiquité, depuis Homère ou Orphée, le poème est l’union intime de la musique et de la parole, de la lyre ou la flûte et de la parole ! Le rythme de la langue donne le rythme musical, c’est qu’il faut aussi comprendre derrière la fable du chœur des Muses mené par Apollon qui est, ne l’oublions pas, le dieu de la parole véridique et de la poésie.

B. G. : Certes, mais au temps d’Augustin, cela fait long feu que la poésie n’est plus systématiquement accompagnée par la musique. Déjà au temps d’Horace, et plus encore à partir de la deuxième moitié du premier siècle de l’ère chrétienne, sous les Princes, la poésie lyrique n’est plus toujours chantée avec la lyre (ou la flûte, à Rome) 6. Le poète n’est plus 6 « À l’époque d’Horace les poèmes sont plutôt lus que chantés » (Clara Auvray-Assayas et al., Précis de littérature gréco-latine, Magnard, 1995, p. 77). Voir aussi Pierre Grimal : « Les rythmes lyriques ont perdu leur antique valeur. Cela s’explique […] surtout, croyons-nous, parce que la lyrique a changé de caractère, que ces poèmes sont destinés maintenant à la lecture et coupés de toute musique » (« Le lyrisme d’apparat », Le Lyrisme à Rome, PUF, 1978, p. 206). Plus loin, décrivant le temps de Martial, il ajoute : « Le lyrisme n’est plus un chant, mais une rhétorique » (p. 236).

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forcément un auteur-compositeur, comme l’atteste une lettre où Pline le Jeune évoque ses propres poèmes attendant leur accompagnement musical par son épouse7. Ainsi les deux arts ont-ils commencé à vivre une vie moins forcément gémelle, et cela bien avant la réforme de Machaut à la fin du Moyen âge pour séparer poésie et musique et leur permettre un développement plus ou moins indépendant. Tout cela rend d’autant plus étonnant, au IVe siècle, le détour méthodologique d’Augustin qui réunit à nouveau poésie et musique. À moins que son geste n’ait une autre raison et ne révèle une méfiance profonde de la musique, quand elle s’est émancipée de devoir accompagner la parole. Dans ces conditions, la définir par la poésie, c’est-à-dire par les rythmes poétiques, serait une façon paradoxale… de la sauver, parce que Augustin était aussi, dit-on, un très grand amateur de musique ?

Michel Deguy : Vous avez raison de rappeler ce point. Il faut se souvenir qu’Augustin commence par condamner la musique, ou plutôt une certaine musique, quand elle se perd dans les excès de virtuosité. À un moment, dans Les Confessions (je tiens au titre Les Confessions, même si certains maintenant traduisent par Les Aveux8), il dit que « s’il est moins touché par le

7 Voir Pline le jeune, « Lettre IV-19 ». Jacques Gaillard et René Martin écrivent à ce sujet : « Dans le lyrisme grec […] musique et paroles étaient d’emblée liées, les auteurs étant à la fois poètes et musiciens […] ; à Rome, il n’en est pas de même » (« La poésie musicale ou lyrique : chansons, cantiques, hymnes », Les Genres littéraires à Rome, t. II, Scodel, 1981, p. 76).

8 Allusions à la traduction par Frédéric Boyer par Les Aveux (2008)

verset que par le chant », donc moins par la Parole que par la musique, alors c’est « un péché qui mérite pénitence » et il va même jusqu’à dire : « Je voudrais alors ne pas entendre chanter » ! 9 La musique doit être au service de la Révélation. Mais en même temps, parmi les arts libéraux – c’est-à-dire les disciplines scientifiques – sur lesquels il a le projet d’écrire des Disciplinarum libri, dont le traité De Musica10, il commence par la musique, avant la grammaire, la rhétorique, l’arithmétique, la géométrie et l’astronomie. Cela prouve en quelle haute estime il tient la musique, attention ! non pas pour le plaisir des sens qu’elle peut provoquer (et qui pour lui est un danger), mais parce que, dans l’ordre à suivre dans les arts libéraux conçus comme degrés pour s’élever jusqu’à la contemplation de l’ordre de l’univers (c’est-à-dire Dieu), il place en haut de l’échelle la musique. C’est ainsi qu’Augustin sauve la musique dans le culte chrétien ! Mais il ne la sauve qu’à la condition d’en encadrer l’usage et la composition, et cela passe par l’encadrement de sa définition. Le De musica s’inscrit donc dans le cadre scolaire d’une transmission de savoir. Et parmi ces savoirs, il y la science des rythmes qui est, de façon pythagoricienne ou platonicienne, une

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Voir Augustin, Les Confessions, X-33.

Voir Augustin, De ordine, II-41. Le De Ordine est un traité « sur l’ordre à suivre dans les arts libéraux » et au chapitre 41 Augustin dit explicitement que « tant dans les rythmes que dans la modulation même régnaient les nombres et que la perfection était leur œuvre. […Or] ils étaient divins et éternels […]. De là vient que cette science qui participe des sens et de l’intelligence a reçu le nom de musique » (éd. Robert Jolivet, Paris, BA, 1939).

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ÉRIC PESTY ÉDITEUR

Francis Cohen

État, une politique de l'imprononçable

État, une politique de l'imprononçable et Conversations avec AnneMarie Albiach dans l'escalier sont deux livres jumeaux, pensés et publiés en diptyque.

Sous le titre État, une politique de l'imprononçable, Francis Cohen propose (en miroir des Conversations avec Anne-Marie Albiach dans l'escalier) un essai sur la dimension politique à l'oeuvre notamment dans le deuxième livre d'Anne-Marie Albiach intitulé État.

Pourtant, comme l'écrit Francis Cohen, le politique n'est pas un thème ici du poétique. Il ne saurait l'être. Mais si l'État dit l'Un, la totalité, l'assujettissement, voire la servitude volontaire, l'italique d'État, rendant le mot imprononçable, introduit " la pluralité des noms dans le nom " ou son amuïssement.

Le poème d’Anne-Marie Albiach est un espace délivré, anonyme et pluriel, politique à ce titre, où le nom, voire le genre de l'auteur tendrait à se neutraliser. Refus de toute forme d'exploitation du corps - et notamment, par Marx, du corps comme marchandiselaissant " l'initiative à un langage considéré comme étant hors de tous termes inhérents de causalité " (Anne-Marie Albiach).

L'essai de Francis Cohen, très documenté (une part importante des chapitres de son livre sont composés justement de citationsde Marx à Lautréamont, de Maurice Blanchot à Michel Foucault, de Sylvain Lazarus à Anne-Marie Albiach elle-même), permet de s'orienter dans cet espace complexe, multi-dimensionnel où tout reste toujours à lire et à interroger. Magnifique liberté d'un texte qui, à relire, apparaît toujours nouveau.

(COUVERTURE PROVISOIRE)

Parution : juin 2023 Prix : 17 € Pages : 144 Format : 15,2x22,8 EAN : 9782917786840 Collection : brochée Rayon : poésie contemporaine

Auteur

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É TAT ,

une politique de l ’ imprononçable

Anne-Marie Albiach. – Ce serait… ce serait le mythe vocal comme pour le chœur antique, ce serait une référence au chœur antique qui répondrait à ce qui se passe sur scène, une conséquence, mais la voix et la pulsion sont deux éléments qui me paraisse intimement liés. La voix est incolore, la voix, c’est une tonalité qui vient d’une pulsion à l’origine sans doute donc la voix et la pulsion sont presque analogues. La voix est porteuse de fiction, la fiction n’est pas forcément noire comparée à la voix, la voix n’est pas blanche, c’est une voix timbrée. Ce n’est pas comme quand il s’agissait de l’être et de la pulsion, là, il s’agit du support et de l’origine parce que la voix est plus importante que la fiction. Dans mon optique, la voix est dans le présent, la pulsion a un rapport avec ce qui précède, c’est-à-dire un certain passé, mais la voix restitue la pulsion dans le présent. (Silence.)

Poète, critique, anthologiste et revuiste, Francis Cohen est notamment l'auteur de deux livres publiés au Théâtre Typographique : Monsieur Le Gros Monsieur (2004) et Zwar (2008), ainsi que de deux livres aux éditions Nous : Diesmal (2011) et Choses que nous savons (2015) — ce dernier actuellement en cours de traduction en Allemagne. C'est dans la série de ses deux livres parus au Théâtre Typographique que s'est inscrit En finir, publié en mai 2010 dans la collection agrafée chez Éric Pesty Éditeur.

Éric Pesty : contact@ericpestyediteur.com

Éric Pesty Éditeur

F. – Dans Figurations de l’image, il y a aussi « cette pulsion dans la rectangle », c’est la troisième occurrence, après, il n’y en a plus.

A-M. – Là il s’agit du mouvement et de l’œil, la

Un poème peut-il abolir « l’État » en rendant le mot imprononçable?

Francis Cohen

État, une politique de l’imprononçable (extrait)

État, avec le É en italique propose une destruction du mot État : « Je crois, dit Anne-Marie Albiach à Jean Daive, que l’italique intervient ici pour détruire le mot. C’est-à-dire pour lui enlever sa signification première et permettre de multiples significations. Avec l’italique il est impossible de prononcer vraiment le mot, il devient imprononçable. On le prononce quand même parce qu’on ne peut pas faire autrement, mais en fait il est… il devient visuel : on peut le prononcer mentalement mais je ne vois pas comment on peut prononcer une italique qui commence un mot. Donc ce mot devient imprononçable. Ce qui fait penser aussi à la notion d’échec toujours possible. Pour Épopée, c’est un peu la même chose. Disons que l’État serait une Épopée1. »

État rend visible l’imprononçable, le titre, puisque c’est le titre du livre paru au Mercure de France en 1971, est inscrit dans cet espace que Jean-François Lyotard appelle figural. L’italique initie un suspens qui imprononce ce qui persiste dans la pensée – écart entre la lettre et la pensée, entre le visible et le pensable. Le mot qu’on ne prononce pas modifie-t-il la pensée qui accompagne ce mot ? Comment penser autrement ce qui est devenu imprononçable ? L’imprononçable n’est pas un impensable, l’imprononçable impliquerait politiquement de ne plus penser l’État dans l’espace de l’État et c’est au poème qu’il revient de rendre le mot État imprononçable. Le poème ne « fait » pas de politique, il dégage un espace dans lequel auraient à s’inventer d’autres nominations politiques. Le mot imprononçable devenant visible est coupé de son référent. Le mot est éloigné de luimême, vu, il donne congé à ce qu’il nomme, il n’énonce rien. Mot sans pouvoir sinon d’être « le même / absence » d’un commencement, d’un mouvement sans origine et sans cause vers le livre : An-archie du poème. L’espace des nominations est ouvert à une lecture qui saura avoir pour but ce « Travail pratique : car il faut savoir ». Qui travaille ? Le poème travaille, est travaillé par sa lecture. De cette lecture procéderait un savoir de l’espace poétique propre à État. « l’Espace étant la totalité2». Savoir du livre, savoir déjà existant dans la pratique (de lecture), mais est exigé par la production de ce savoir – son engendrement. Le poème contient l’espace de sa radicalité : « l’Espace étant la totalité ». Le E italique d’Espace fait signe vers le É italique d’État, il revient au poème et à la page de déterminer leur radicalité propre, il revient au poème de compter avec l’inadmissible de la poésie et de donner sa forme à cet inadmissible. Si État est imprononçable, le rapport de la poésie à la politique se pensera dans le registre de l’imprononçable et de l’innommable, c’est le rapport de l’innommable à l’imprononçable qu’il faudrait penser. Est-ce parce que le mot est imprononçable que l’État est innommable ? Le poème ne dénomme pas, il ne se rapporte à rien. La forme donnée au mot introduit la forme d’une question. Une forme nouvelle pour donner à voir un imprononçable. Faire voir un « non-État. »

La diction très particulière annoncée par l’italique du titre oblige le lecteur à ne pas dire, l’italique met en question, non la langue, non la syntaxe, mais la voix qui en use : « je suis invisible / de ne pouvoir se / (dire) / lors du commencement / dit-il / ils disparaissent3 »

Une lecture construit son lecteur, la difficulté qu’il y a à lire les livres d’Anne-Marie Albiach, leur prétendue abstraction, ne sont que le symptôme d’une incapacité à se reconnaître dans l’inachèvement perpétuel d’une lecture qui construit le lecteur dans son inachèvement.

La poésie n’est pas inadmissible, elle imprononce.

1 Jean Daive, Anne-Marie Albiach l’exact réel, Éric Pesty Éditeur, 2006, p. 32-33.

2 Anne-Marie Albiach, État, Mercure de France, Paris, 1971, p. 65.

3 Anne-Marie Albiach, État, Mercure de France, Paris, 1971, p. 38.

ÉRIC PESTY ÉDITEUR

Francis Cohen

Conversations avec Anne-Marie Albiach dans l’escalier

Oui, on ne peut pas tout détruire, sinon la page serait blanche. (Anne-Marie Albiach)

Conversations avec Anne-Marie Albiach dans l'escalier et État, une politique de l'imprononçable sont deux livres jumeaux, pensés et publiés en diptyque.

Sous le titre Conversations avec Anne-Marie Albiach dans l'escalier Francis Cohen a réuni la transcription des entretiens qu'il a menés avec l'auteur d’État (Mercure de France, 1971). Le protocole de ces entretiens, qui se sont échelonnés entre novembre 2006 et mars 2007, était le suivant : transformer des conversations informelles régulières sur l'écriture que les deux auteurs pouvaient avoir lors d'après-midis passés ensemble en véritables séances de travail enregistrées, où chacun proposerait sa lecture de certaines séquences d'écriture, pour éclairer le sens d'un texte particulièrement ardu. C'est à ce protocole, inventé par Francis Cohen, que s'est généreusement prêtée Anne-Marie Albiach.

Conversations avec Anne-Marie Albiach rend donc compte d'une complicité active, le désir de comprendre un texte à travers une lecture en commun, enregistrée et transcrite sans révision. Peutêtre l'utopie de Francis Cohen fut-elle d'établir un dispositif de prudence envers l'arbitraire de toute interprétation individuelle, en construisant les conditions progressives de la compréhension ; en d'autres termes de fabriquer un lecteur comme effet de sa lecture.

(COUVERTURE PROVISOIRE)

Anne-Marie Albiach

Francis Cohen

Conversations avec Anne-Marie Albiach dans l’escalier

Le poème n’a de consistance que par un travail pratique : « Travail pratique : car il faut savoir ». Nous prétendons qu’État peut se lire comme une pratique politique de l’écriture poétique car il faut savoir, mais l’objet de ce savoir restera étranger à toute dimension politique : ce qui compte, ce n’est plus le mot, c’est l’impossible de l’énonciation. Face à l’italique l’œil voit ce que le lecteur ne peut prononcer, le livre impose donc un certain état : dans quel état sommes-nous lorsque nous lisons le livre d’Anne-Marie Albiach ? L’italique prescrit au lecteur le mouvement d’une lecture, mouvement de l’œil lisant qu’il faudra accorder à la loi dont Anne-Marie Albiach formule, dans Loi(e), l’articulation essentielle avec l’œil et la lecture.

Née en 1937 et décédée en 2012, Anne-Marie Albiach est l’auteur d’une œuvre poétique majeure. Les deux livres de Francis Cohen (Conversations avec Anne-Marie Albiach dans l'escalier et État, une politique de l'imprononçable) s'inscrivent dans notre catalogue aux côtés de publications consacrées à Anne-Marie Albiach ou d'Anne-Marie Albiach elle-même. Citons au premier chef les entretiens que Jean Daive a réuni sous le titre Anne-Marie Albiach l'exact réel ; la réédition de la traduction par Anne-Marie Albiach de " A " 9 (première partie) de Louis Zukofsky ; ainsi que son ultime poème Celui des " lames ", paru dans la collection agrafée. Sans oublier les inédits que Claude Royet-Journoud confie régulièrement à la revue K.O.S.H.K.O.N.O.N.G. (publiés dans les n°4, 5, 6, 8, 11, 17, 18, 21), ou l’étude de Rémi Bouthonnier intitulée « Je vous dis en écho ».

Parution : juin 2023 Prix : 17 € Pages : 112 Format : 15,2x22,8 EAN : 9782917786833 Collection : brochée Rayon : poésie contemporaine

CONTACT PRESSE ET LIBRAIRE

Éric Pesty : contact@ericpestyediteur.com

L’État n’est pas nommable, par l’italique le mot État devient « imprononçable ». Ne pas nommer, c’est interroger un certain état de langue. Dans quel état est une langue dont les mots sont devenus imprononçables : « on en revient à l’élaboration du souffle : l’impossible // revers ». Le poème parce qu’il est politique ne se prononce

Éric Pesty Éditeur

Francis Cohen

Conversations avec Anne-Marie Albiach dans l’escalier (extrait)

Francis Cohen – « Ses attributs : / il dans le passé ». (Long silence.)

Anne-Marie Albiach – C’est-à-dire que son attribut, c’est ce qui a formé la présence du personnage.

F. – Je lis, toujours dans la marge : « Ses attributs : / unité et Je / leur rétrospective » ; il et Je tournent sur eux-mêmes, l’un se substitue à l’autre. A-M. – Oui

F. – C’est là que les attributs jouent différemment. A-M. – Oui.

F. – Autrement dit, Je peut être un attribut de il et il est un attribut de Je dans le passé. A-M. – Voilà. (Long silence.)

F. – Je disais au début que je ne voyais pas ce qui pouvait tenir lieu de substance pour les attributs, mais maintenant on comprend qu’il y a quand même un… A-M. – … qu’il y a quand même un référent.

F. – Un personnage ?

A-M. – Oui.

F. – Je change de direction. Vous écrivez : « l’Espace étant la totalité ». L’espace n’est-il pas aussi cette substance à quoi pourrait se rapporter les attributs ? Comme chez Spinoza, au sens où, pour lui, la substance est la totalité et, pour Spinoza, l’attribut ne s’attribue pas à, il est, souligne Deleuze, une expression de la substance. Deleuze écrit : « les attributs chez Spinoza sont des formes dynamiques et actives, l’attribut n’est plus attribué, il est attributeur ».

A-M. – C’est ce qui se passe dans État. L’attribut est actif, il est dynamique, mais il peut se concevoir attribut en soi sans référent.

F. – Donc l’attribut est en soi ou bien il est attribut de quelque chose, mais quand il est en soi, ce qui est en question, c’est le personnage. Ou alors est-ce le personnage qui devient attribut ?

A-M. – Non, le personnage se révèle en tant qu’attribut, il se met à jour en tant qu’attribut des trois temps, présent, passé, futur. C’est une totalité. C’est comme ça que je le vois.

F. – On peut dire ceci : soit le temps est un attribut du personnage soit, parfois, le personnage est un attribut du temps parce que le temps est une dimension du récit.

A-M. – C’est la seconde proposition qui est valable.

ÉRIC PESTY ÉDITEUR

Anne-Marie Albiach

Celui des « lames »

Le chiffre trois celui des « lames »

Celui des « lames » est l’ultime poème d’Anne-Marie Albiach, retrouvé à la mort de l’auteur en novembre 2012.

Il donnait corps à l’interdit –

elle avait tenté de reprendre son lieu –par la parole –« l’asphyxie » « de fils il devint amant » –

ce n’est qu’une narration (tourner autour de la table : interdit de l’enfance) –(pour ne pas la perdre)

« le chiffre trois et la substitution » douleur corporelle s’échappe un savoir grammatical –impératif – dans le passé – silence –la réfraction –souffle court –elle avait élaboré les données afin de prendre sa place si les aléas le permettaient –

Auteur

Anne-Marie Albiach est née en 1937. En quatrième de couverture de son bel et important essai intitulé Le théâtre du poème, vers Anne-Marie Albiach (L’extrême contemporain/Belin, 1995), Jean-Marie Gleize écrit : « Anne-Marie Albiach est considérée comme un des poètes les plus importants, les plus influents de sa génération. Cela tient à la radicalité de son engagement et de son exigence formelle. État et Mezza Voce, ses deux grands livres, déploient, sur un mode tout à la fois rigoureux et baroque, une sorte de chant multiple, un concert de voix qui se croisent et dialoguent dans un espace “sans perspective”. Il y a là comme un théâtre mental et physique, un théâtre qu’on pourrait dire non figuratif mais certes pas “abstrait”, parce qu’il met en scène l’énergie du désir. Un lyrisme objectif, donc, par ce théâtre du poème, par cette chorégraphie. Obscur et violent, si l’on veut, comme ce qu’il met en scène. Je ne crois pas qu’on puisse y échapper. »

Parution : mars 2013 Prix : 9 € Pages : 20 Format : 14 x 22 cm EAN : 9782917786178 Collection : agrafée Rayon : poésie

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ÉRIC PESTY ÉDITEUR

Louis Zukofsky « A » 9 (première

partie)

Nous sommes choses disons, tel un quantum d’action Produit d’énergie et de temps défini maintenant Dans ces mots qui riment à présent comme en le chant son exaction Force l’abstraction à s’en revenir prescrits

« A » 9 (première partie), traduit par Anne-Marie Albiach, a paru au printemps 1970 dans le douzième numéro de la revue Siècle à mains.

Le texte est repris au printemps-été 1977 dans le numéro 13–14 de la revue Argile, précédé par « Contrepoint », commentaire d’Anne-Marie Albiach sur sa traduction. En exergue à « Contrepoint », deux citations. La première, de Karl Marx : « L’économie politique a bien, il est vrai, analysé la valeur et la grandeur de la valeur, quoique d’une manière très imparfaite. Mais elle ne s’est jamais demandé pourquoi le travail se représente dans la valeur, et la mesure du travail par sa durée dans la grandeur de valeur des produits. »

La seconde, du premier quatrain du sonnet XLIII de Shakespeare, dans la traduction de Pierre Jean Jouve : « Quand je cille mes yeux, alors mes yeux voient mieux, car tout le jour ils voient choses non absorbées ; mais quand je dors en rêve ils regardent vers toi, et brillant sombres sont conduits brillants dans le sombre. »

“A” 9 (First Half) a pour double référence Le Capital de Marx et la “canzone” Donna me pregha, la “chanson doctrinale” de Guido Cavalcanti (l’aîné et le maître de Dante), dont il reproduit la structure métrique, d’une complexité presque insurpassable. C’est en accord parfait avec ce schéma métrique, qui modèle toute la pensée du poème de Louis Zukofsky, qu’Anne-Marie Albiach a établi sa traduction.

Auteur

Louis Zukofsky (1904-1978) est un poète américain d'origine lituanienne considéré comme l'un des pères et théoriciens de l'objectivisme.

Le grand texte de Zukofsky est le poème « A » en 24 parties, commencé en 1928. Après « A » 1–12, ont paru successivement : « A » 13–21, « A » 24, et enfin « A » 22–23 (automne 1975).

« A » a paru en français aux éditions Nous en 2020 dans une traduction de François Dominique et de Serge Gavronsky.

Traduit par Anne-Marie Albiach Parution : juin 2011 Prix : 9 € Pages : 8 Format : 22 x 15 EAN : 9782917786109 Collection : agrafée Rayon : poésie

CONTACT PRESSE ET LIBRAIRE Éric Pesty : contact@ericpestyediteur.com

Trois typographes en avaient marre

Un livre de 64 pages au format 10,5x15 cm. Impression numérique des pages intérieures avec une jaquette de couverture en typographie

Voici la cinquième édition de ce livre mythique de Guy Lévis Mano. Édité une première fois en 1935 et réimprimé en 1967 ce long poème écrit sur le vif décrit l’ambiance de l’atelier et donne à voir, depuis les casses où gronde la révolte des caractères, la vie laborieuse des typographes et les rapports qu’ils entretiennent avec la lettre et les mots imprimés…

« La poésie nous asservit et ne nous assouvit pas »

Parution : juin 2023 EAN : 9782914363280

Prix public : 13 €

En 2011, Philippe Moreau et Samuel Autexier composent en typographie dans l’atelier d’Archétype à Forcalquier une nouvelle édition de l’ouvrage suivant la volonté testamentaire de l’auteur qui ne souhaitait pas une réédition à l’identique de ses livres. Ce projet soutenu par l’association Guy Lévis

Mano à Paris et Vercheny connaît un succès inattendu et est réimprimé en 2012.

C’est cette version qui fait l’objet aujourd’hui d’une nouvelle édition au format « poche » suivie d’une postface de Samuel Autexier qui présente la petite histoire de ce grand livre.

Composition de la page « i », planche en cours d’impression dans l’atelier Archétype en 2012

Les auteurs

Guy Lévis Mano (1904-1980), poète, éditeur et typographe. Son œuvre poétique protéiforme se veut la plus proche possible de la rue et de la vie ouvrière qu’il fréquente. Elle est marquée dans un second temps par sa longue détention comme prisonnier de guerre entre 1940 et 1945. Son parcours d’éditeur, servi par un talent de typographe salué par tous comme un modèle de clarté et de liberté, lui a permis de donner forme entre 1935 et 1974 à plus de cinq cents ouvrages avec quelque uns des artistes les plus importants du XXe siècle (Éluard, Michaux, Breton, Jean Jouve, Jabès, Chédid, Char, Du Bouchet, Dupin, García Lorca, Kafka, Miró, Giacometti, Picasso, Man Ray, Dali, etc.).

Philippe Moreau (né en 1948 à Asnières). Lithographe, typographe et imprimeur, spécialiste du livre d’artiste et des tirages limités. Il débute sa vie professionnelle à Paris chez Clot, Bramsen et Georges, avant de la poursuivre en Provence depuis 1976.

Samuel Autexier (né en 1969 en Suisse). Graphiste et éditeur, il fonde en 1993 la revue Propos de Campagne, avant de créer en 1999 la collection littéraire puis la revue Marginales chez Agone et enfin les éditions Quiero en 2010

et portrait de Guy Lévis Mano par Pierre Kefer en 1935.

Et le troisième dit Nous courons sur des tumultes d’eau qui ne rafraîchissent pas les veines de notre imagination Nous attendons des robinets taris la chute polaire des eaux-de-vie qui désaltéreraient nos fuites désemparées accrochées à des nuages qui crèvent Nous cachons nos yeux dans nos poches et consultons le hasard en mélangeant Caslon Bodoni et Baskerville dans les composteurs

visuel provisoire

ÉDITIONS LURLURE

PARUTION JUILLET 2023

TXT N°36

“ON A MARCHÉ SUR LA LANGUE” Collectif

Genre : Revue de poésie / littérature Collection : Hors collection Prix : 22 euros

Format : 150 x 200 mm Nombre de pages : 168 ISBN : 979-10-95997-50-4

> Un dossier conséquent sur l’œuvre de l’écrivain Arno Schmidt

> Une sélection de textes de voix émergentes (Émilien Chesnot, Tara Mer-Nimier...) ou confirmées (Dominique Quélen, Philippe Labaune...)

> Des rubriques ludiques et parodiques écrites à plusieurs mains

LA REVUE

Dans ce 36e numéro intitulé « On a marché sur la langue », la revue TXT consacre un important dossier à l’écrivain allemand Arno Schmidt (1914-1979). Centré sur son ouvrage « mythique », Zettel’s Traum (1970), toujours inédit en français, il propose la traduction des premières pages du livre, accompagnée d’un entretien de l’auteur avec Gunar Ortelpp réalisé à la parution du « monstre » (8,5 kg, 33 x 44 cm) en Allemagne. Ce dossier réunit également des textes critiques : Stéphane Bouquet livre une étude « météorologique » de l’écriture schmidtienne, Thibaut de Ruyter décrit avec humour le lectorat d’Arno Schmidt, Frank Heibert réfléchit à la traduction des jeux de mots et Frédéric Léal rend hommage au traducteur Claude Riehl. Par ailleurs, ce numéro comprend des textes d’auteurs contemporains, confirmés ou nouvellement apparus : Ludovic Bernhardt, Émilien Chesnot, Elie Dabrowski, Philippe Labaune, Pierre Le Pillouër, Tara Mer-Nimier et Dominique Quélen Enfin, une « Gazetxte » littéraire à tonalité farcesque et rédigée à plusieurs mains rassemble pseudo-critiques, brèves, petites annonces, agenda, po(é)tins, anagrammes et autres jeux de langue.

PAON

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EXTRAITS DE PRESSE sur les numéros 34 et 35 déjà parus aux éditions Lurlure :

“TXT propose une poésie débarrassée des atours naïfs et kitsch qui trop souvent lui sont adjoints. La langue ici n’est pas esthétisée, chantonnée ou émasculée ; elle est mise sous tension, torréfiée, recréée.”

Christophe KANTCHEFF, Politis

“Une revue chaudement recommandée pour son mélange détonant de voyage, d’humour, d’(auto)dérision et d’innovation linguistique.”

Florent TONIELLO, Accrocstich.es

“TXT : ça germe, ça pulse, ça vit.”

François HUGLO, Sitaudis

EXTRAIT 1 (dossier Arno Schmidt) : GUNAR ORTLEPP / ARNO SCHMIDT [Entretien paru dans Der Spiegel le 20 avril 1970]

“Le livre est arrivé. Je l’ai pesé : il pèse 8,5 kg. Je l’ai mesuré : 33 cm de large, 44 de haut. Je l’ai examiné : il contient la reproduction en fac-similé d’un tapuscrit avec ajouts manuscrits, tracés et croquis de l’auteur – environ 10 millions de caractères sur 1330 pages au format DIN A3. Et, comme une page DIN A3 correspond à 4 pages de format habituel, cela ferait 5320 pages au format courant. Pour le tirage des 2000 exemplaires signés à la main par l’auteur on a utilisé 25 tonnes de papier spécial super-renforcé.

Zettel’s Traum est arrivé, record du monde battu. Arno Schmidt semble en effet avoir dépassé même le vieil Abu’l-Kasim Mansur ibn Hasan, dit Ferdousi (« Le Paradisiaque »), qui, au début du XIe siècle, après trente ans de travail, mit sur le marché persan un Schah-nameh, un Livre des Rois pareillement monumental.

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Schmidt, 56 ans, a mis dix ans à rassembler ses petites fiches (dans les 130 000) pour Zettel’s Traum, dont le titre fait allusion au Songe d’une nuit d’été de Shakespeare ; quatre ans, soit 1330 jours, soit 25 000 heures pour écrire à partir d’elles.

Zettel’s Traum, selon l’auteur de vingt livres, désormais (sans compter vingt volumes de traductions) — « Zettel’s Traum, du strict point de vue quantitatif, c’est équivalent à l’ensemble de ce que j’ai écrit auparavant. »

Arno Schmidt vit depuis douze ans à Bargfeld, un village de la lande, dans l’arrondissement de Celle. Il habite loin du monde, entouré de sa femme Alice, de quatre chats et du matou noir Comte Fosco, dans une maison de bois au confort minimum, avec toit à pignon.

Ce n’est que là-bas, à la campagne, dit-il, « qu’il a la tranquillité et le silence nécessaires à la grande concentration et aux meilleures réalisations ». Il dit : « Si je vivais en ville, je serais mort depuis longtemps. » Il dit : « Je fréquente assez peu les gens. »

Je lui ai demandé : « Monsieur Schmidt, Zettel’s Traum est arrivé – comment naît ce genre de livre ?

SCHMIDT : « C’est simple : il faut y consacrer sa vie. À cet égard, je peux avoir l’air démodé. Mais si on veut, dans le domaine artistique, accomplir quelque chose d’original, de neuf et de qualité, voire de grand, alors il faut passer des années au travail. Je n’ai pas la semaine de 40 heures, ma semaine fait 100 heures – quand j’ai de la chance. La vie d’un stylite a l’air de celle d’un sybarite auprès de la vie qu’il me faut vivre ».”

EXTRAIT 2 (dossier Arno Schmidt) : Thibaut de Ruyter, On ne choisit pas ses lecteurs

“Si vous avez la chance de pouvoir lire Arno Schmidt en allemand, il existe une astuce pour acheter ses livres à bas prix que vous devez déjà connaître. La plupart des élégantes parutions de la fondation qui gère désormais son héritage littéraire se retrouvent, quelques mois après leur mise sur le marché, chez certains libraires de « livres neufs à prix réduit » (ce texte n’étant pas sponsorisé — je ne donnerai pas ici de nom ou d’adresse). Cela est sans doute dû au fait que le nombre de lecteurs assidus d’Arno Schmidt — et donc d’acheteurs potentiels de ses livres — se compte par centaines (et non par dizaines de milliers), mais aussi à la générosité de la fondation, consciente que le marché du livre discount leur donne une deuxième vie auprès de nouveaux adeptes peu fortunés. Mais lorsque je parle de cela avec la charmante

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Sonja (le prénom n’a pas été changé), libraire d’un de ces magasins dans le quartier de Berlin-Kreuzberg, elle m’évoque sa peur panique des acheteurs de livres d’Arno Schmidt. Elle me dit les repérer dès leur entrée dans sa boutique, car ils scrutent nerveusement le dessus des rayonnages (la plupart des publications étant hors format standard, c’est la seule façon de les ranger dans sa librairie). Il faut alors leur apporter une échelle et, des minutes durant, ils se retrouvent, tremblants, transpirant à grosses gouttes, excités, en équilibre précaire sur un escabeau branlant, à feuilleter les volumes reliés et sous coffret, les fac-similés au format DIN A3, les différentes éditions de Zettel’s Traum. Nombreux sont ceux qui trouvent alors une page légèrement cornée, une reliure un peu abîmée ou l’absence de bandeau pour négocier le prix à la baisse (alors qu’il est déjà largement réduit). Bref, à l’opposé des acheteurs des derniers Michel Houellebecq, Volker Kutscher ou Yotam Ottolenghi, le lecteur d’Arno Schmidt est exigeant, pointilleux et — souvent — monomaniaque. À la manière des fans de chanteurs de variété, il collectionne les différentes éditions, les compare, les admire et les range soigneusement dans sa bibliothèque comme on installe des objets magiques sur un autel consacré à un dieu ancestral.”

EXTRAIT 3 (hors dossier) : Dominique Quélen, Breloques “Gros garçon boiteux s’enfonçant dans la forêt”

“Tu sondes avec la bouche. Pas confiance. Pourquoi, rendu dans ce dernier état, abandonner ? Parce que tu ne peux lutter sur ton propre terrain ? Mais deux gros bras t’ont saisi par le milieu du corps et tu t’engouffres dans l’unique ouverture de la forêt. Tout objet devient énorme pour l’enfant que tu es sous l’appareil d’une parfaite calvitie. Tu apprends à mesurer faussement les distances. Puis ça se précise et se précipite. Au cœur de la forêt profonde existe un terrible animal auprès duquel le bousier roulant sa boule ou la femelle du pou conduisant sur le chemin ses lentes à peine écloses ne sont rien. En tout point se confirme la vérité de l’expérience des vers sous la peau. La vie vient au plus près te visiter. La forêt tient tout entière dans la bouche où sont les graines, cheveux non poussés à l’intérieur des joues parfaitement chauves que tu gonfles.”

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EXTRAIT 4 (hors dossier) : Tara Mer-Nimier, Splash

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RARETÉES & MISCELLANÉES

ÉDITIONS DES GRANDS CHAMPS

FEMMES ANIMALES

Bestiaire métaphorique

Nouvelle disponibilité au 7 avril 2023 144 pages, 14 euros 105 x 148 mm, environ 70 illustrations n&b ISBN : 978-2-9574223-4-0

• nouveau tirage enrichi de trois entrées (la dragonne, la maquerelle et la chamelle) et, en annexe, de cartes géographiques répertoriant les principaux lieux de vie des femmes animales

• une recension des métaphores dont se sont vues affublées les femelles humaines à travers les âges et les continents

• un style piquant

• une iconographie étonnante, puisant aux origines de l’illustration naturaliste

Convoquant les sources classiques aussi bien que la culture populaire, Laure Belhassen s’est penchée sur les plus significatives d’entre elles. Quelques lignes lui suffisent pour cerner chacune de ces 58 femmes animales, lesquelles se partagent inconstance, perversité, gloutonnerie ou encore vanité. S’il semble bien nous tendre un miroir aux sorcières, ce petit livre au ton enlevé et pétillant se feuillette aussi comme un album. L’iconographie, tirée pour l’essentiel d’ouvrages de Gessner, Aldrovandi ou encore Jonston, en est riche et soignée. Elle laisse entrevoir les fondements d’un imaginaire florissant, hérité du bestiaire médiéval. Femmes animales réactualise ces correspondances qui posent une question majeure de la gent masculine : qui sont-elles ?

PRESSE

L’ALAMBLOG • 17 octobre 2019

«

Avec la langue, on chope tout. Mais, dans le même mouvement, tout achoppe, en particulier les faux-semblants. Avec la langue, on dit toujours plus que l’on ne le souhaite, ou beaucoup moins, et c’est pour cela que la langue et son vecteur, les phrases, et la littérature en général, donnent à celles et ceux qui les maîtrisent un ascendant sans nom. En revanche, la langue est terrible pour les apprentis magiciens qui, comme dans la parabole de Goethe tentent d’utiliser les outils du maître. C’est ainsi que sur le sujet du féminisme, puisqu’on va en parler, fatalement, on lit tant de choses convenues, ressassées, recuites, terrassées même par l’innocuité et l’arrogante naïveté de leurs auteur(e)s, qu’on en vient à se méfier des portes ouvertes du langage et des matériaux bouffés aux vers du bois de la langue que l’on reconnaît désormais bien vite. On n’apprend plus aux singesses et singes d’âge les beuahbah. Pendant ce temps que de vaines personnes occupent dans les médias, d’autres et d’autresses, évidement, tirent des coups marquants en prenant l’air de rien.

editionsgrandschamps@gmail.com • editionsgrandschamps.fr • tél. Julia Curiel 06 87 07 22 45 / Stéfani de Loppinot 06 68 18 86 35

En quelques mots, paf, la cible.

Il y a donc cela d’inégalitaire dans la vie du langage que certains prétendent faire du bruit avec leur pensée et ne produisent que des borborygmes, épicés, parfois, un peu de fumée, tandis que d’autres pointent en prenant leur temps, et marquent précisément. Laure Belhassen est de celles qui marquent, et pourtant, elle ne dessine pas.

Laure Belhassen aime les mots. Et elle est à l’évidence de celles qui pointent puisqu’il ne lui faut que cent pages pour souligner ce que la langue a de profondément misogyne.

Chapeau !

La femme est à plumes, à crinières, en sabots ou tout en griffe (le livre commence avec les « griffues à poil soyeux »), elle est linotte, bitch ou chatte, bref. on a compris ce que Laure Belhassen nous raconte dans de petits paragraphes d’esprit sautillant et jovial. Provocateur aussi, c’est bien le moins, mais avec un délicieux air de ne pas y toucher.

Pas de thèse donc, juste un plaisant tour au pays des métaphores, d’où il ressort, nous dit la naturaliste, que la femme est toujours comparée à un animal dès lors que l’on souhaite la décrire, ou décrire son état (1). À côté de Klemperer et de ses copains ajoutons donc Belhassen et sa délicate contestation du patriarcat mis en Verbe.

Comme toujours aux éditions des Grands Champs, le livre est admirablement servi, agréable en main et très fourni en très belles illustrations sorties de Gessner, Aldrovandi ou Jonston.

Le parfait cadeau à se faire.

MÉDIAPART / EN ATTENDANT NADEAU •

23 octobre/ 5 novembre 2019 - n°88

« Des belles et des bêtes » par Cécile Dutheil

C’est un précieux bréviaire, brillant d’humour et d’intelligence. De petit format et intitulé Femme animales –Bestiaire métaphorique, il est signé Laure Belhassen, dont c’est le premier livre publié.

Qu’est-ce donc que ce bestiaire ? Un dictionnaire qui recense tous les noms d’animaux (et d’oiseaux) dont les femmes sont affublées depuis la nuit des temps et en tous lieux. Facétieuse, l’auteure classe ces noms en dix catégories apparemment farfelues, mais en vérité très sérieuses : « Les griffues à poils soyeux », « Celles qui ont des plumes », « Celles qui piquent et sucent »… Lesquelles catégories dévoilent le fabuleux éventail de tous ces animaux auxquelles, nous, ambassadrices du sexe faible, sommes comparées : panthère, lionne, grue, truie, vache, poule, teigne…

Vous riez ? Vous avez raison parce que le livre irradie d’un esprit délicieux et libérateur. Vous riez jaune ? Vous auriez tort parce qu’il révèle entre les lignes une subtilité

Laure Belhassen, Femmes animales, éditions des grands champs

qui vaut tous les anathèmes convenus et les thèses les plus pesantes. Il est vrai que le livre de Laure Belhassen révèle un monde sexué, plutôt que genré. Voyez le tableau qui figure dans les annexes et résume les « principaux défauts associés aux femmes » derrière ces noms d’animaux : vénalité, gloutonnerie, voracité sexuelle, laideur, surpoids… Tout ce qui se voit, se touche, se sent, se palpe, se devine et se pénètre a la part belle. La chose sexuelle est très présente. La prostituée a droit à une variété de qualificatifs animaliers vertigineuse. Le regard des hommes est cru, apparemment dominant, et leur verdict est cruel.

Serait-ce que Laure Belhassen endosse ce regard ? Loin de là. L’air de rien, elle le sape à la racine. Sous sa plume, chaque entrée donne lieu à une définition unique où se croisent littérature, étymologie, analyse et goût de l’ailleurs. Chaque cartel de texte est concis, enlevé, resserré, mais voluptueux. L’auteur n’oublie rien, ni les sens qu’un même nom revêt dans la langue arabe, la langue hébraïque ou la langue danoise. Ni l’histoire quand elle rappelle qui étaient les grisettes et ce que sont les fauvettes grisettes. Ni le continent africain quand elle intègre un proverbe nigérien qui égale celui d’un paysan normand. Ni l’époque quand elle étrille délicatement la paresse des rappeurs francophones usant du mot bitch (la chienne) : « Si la poétique rap est bornée à ce seul animal, c’est qu’il fait office de caution dans un milieu où l’hétérosexualité est le premier des commandements. On sait bien que les rappeurs ne sont pas très gay friendly », écrit-elle. Il faut beaucoup de sagacité pour arriver à se moquer de nos temps modernes avec autant de bienveillance.

Le regard de Laure Belhassen est à la fois perçant et décalé. Elle est observatrice. Elle ne regrette pas. Elle ne condamne pas le présent pour pleurer le passé. Elle dégage des permanences et des invariants en repérant les subtiles métamorphoses d’une image ou d’un signe. Elle file les métaphores et les épuise, ou alors repère le moment où la métaphore s’épuise d’elle-même. Elle révèle une sensibilité très aiguë aux mots, leurs nuances, leurs inflexions et leurs mues à travers le temps et l’espace. Son ton est libre et pince-sans-rire – c’est un plaisir.

Laure Belhassen aime la cuisine et enseigne le français aux étrangers. Il fallait s’y attendre, car sa sensibilité au lexique et à la syntaxe est manifeste, et son goût de l’étrange et du piquant l’est autant. Les citations, les emprunts et les exemples sur lesquels elle s’appuie appartiennent à des registres aux antipodes. Ses définitions enchaînent les ruptures de ton et d’époque. Pline l’Ancien croise Gérard de Villiers, Sémonide d’Amorgos côtoie Reiser, Francis Ponge et quelques anonymes. On devine derrière ce cabinet de curiosités une femme de lettres qui préfère le rire à l’indignation. L’exercice demande de l’élégance et du savoir.

L’originalité de ce bestiaire est soulignée par les illustrations qui l’accompagnent : exclusivement des gravures en noir et blanc empruntées aux plus grands artistes et naturalistes des siècles précédents. Elles ajoutent évidemment une dimension esthétique au texte, mais elles font plus : elles l’agrandissent et l’universalisent, elles le tirent à la fois vers la science et vers la fantaisie. Cette complémentarité entre les mots et les images ne doit rien au hasard : le

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livre est édité par les éditions des Grands Champs, une maison indépendante, créée en 2012, dont le premier ouvrage était la réédition de la Vie privée et publique des animaux illustrée par Grandville, et le deuxième, la réédition de Clairs de lune et autres textes de Camille Flammarion. À tous ceux qui sont avides de lectures hors des sentiers battus, qui préfèrent la rentrée off à la rentrée in, ce petit livre fera les délices des esprits indépendants, car on s’y amuse beaucoup, sans amertume ni animosité. Il rappelle que l’édition est une entreprise artisanale dont la gratuité est essentielle à notre survie.

LA NOUVELLE QUINZAINE LITTÉRAIRE •

31 décembre 2019 - no 1222

« Animales » par Eddie

Des éditeurs tentent régulièrement le difficile pari de reprendre des ouvrages naturalistes ou plus généralement scientifiques dans l’optique de les dépayser, de les considérer avec un regard curieux. Les éditions des Grands Champs avaient ainsi permis de relire les Clairs de lune de Camille Flammarion ou Vie privée et publique des animaux sous la direction de Pierre-Jules Hetzel. L’émerveillement face à la nature était l’objectif de ces vulgarisateurs du XIXe siècle. Et notre œil contemporain double cet émerveillement, à cause du dépaysement, de la distance chronologique qui nous sépare de ces publications.

Avec ses Femmes animales, Laure Belhassen renverse l’approche : elle compose avec le regard d’un naturaliste la faune linguistique que nous avons constituée et qui nous est désormais familière. Ce n’est plus une autre époque que nous observons avec un regard scientifique, mais la nôtre. Et notre capacité à faire proliférer un vocabulaire dépréciatif pour évoquer la femme. Tout l’ouvrage joue sur une double lecture : la première, littérale, autorisée par le style neutre, objectif, bref naturaliste ; et l’autre, allégorique, imposant le parallèle entre l’animal décrit et la femme. Cette seconde lecture se rappelle systématiquement à notre possible lecture naïve et, sans être directive, évoque la réalité cruelle de ce patrimoine linguistique.

L’ouvrage, tout le contraire de bavard, se lit par brèves notices à l’humour piquant. La voix de Laure Belhassen s’entend souvent, avec une tonalité non revancharde, mais ironique. Elle ne suit pas de longues argumentations pour convaincre de la misogynie profonde de certaines formulations a priori anodines, voire affectives, mais se contente d’un mot, d’une citation du canon littéraire (Pline, Perrault, Huysmans, Flaubert, Cendrars, Zola…) ou d’une expression ordinaire dans une langue étrangère. L’ouvrage se lit vite, mais l’on s’arrête souvent, tant il y a à lire entre les lignes.

Dès les titres des parties, l’ambivalence s’impose : « Celles qui ont des plumes » ; « Celles qui peinent à trouver chaussure à leur pied » ; « Celles qui piquent et sucent »… Après avoir dressé les caractéristiques physiques et morales de chaque espèce, on nous rappelle comment l’on « dresse » la bête. Le glissement est parfois radical, définitif. Ainsi, la fourmi « nettoie, frotte, brosse, récure, range, trie, ravaude,

repasse, gratte, dégraisse, désosse, cisaille, découpe, hache, taillade puis ficelle… »

La métaphore animalière dont nous usons est paradoxalement cloisonnée, on s’en doute, au domaine sexuel : « [L’action de la tique] finit par incommoder et l’on se résout à s’en débarrasser. Il faut alors agir avec délicatesse et lui demander poliment de desserrer les dents. » La belette est « libertine à l’excès », « elle aime les caresses, le repos et le sommeil. Manger, être caressée et dormir… tout un programme. » Et l’explication nous est donnée sur les décharges de la méduse : « Comment pourrait-elle dire autrement qu’elle n’aime pas qu’on la tripote ? »

Pour parfaire la ressemblance avec un ouvrage naturaliste, les annexes proposent « La langue des femmes » (une série de verbes associés au mode conversationnel de la femme : jacasser, piailler, glousser, etc.), un « Arbre généalogique » et un « Tableau des principaux défauts associés aux femmes ». Quelques remarques linguistiques enfin : « Combinée avec un pronom possessif et éventuellement avec un adjectif, la métaphore se transforme par enchantement en formule affectueuse : mon petit lapin, ma petite poule, ou encore ma bichette, ma petite poulette. L’ajout du célèbre diminutif -ette est une astuce supplémentaire pour renforcer la portée sentimentale de la formule. »

Finalement, plus qu’un cheminement à travers les espèces féminines, ce bestiaire est une étude du langage d’une espèce : l’homme.

L’OPINION • 4 janvier 2020 Bernard

Quiriny

Je profite des 500 signes qui me restent pour vous recommander un autre livre, plus court: Femmes animales, de Laure Belhassen. Ce bestiaire métaphorique recense les noms d’animaux usuellement donnés aux femmes dans la littérature et le langage courant, classés par catégories (poils, plumes, sabots, etc.). La gazelle côtoie la cougar, la colombe et la tigresse, mais aussi la truie, la sangsue, la vipère, la guenon. Pétillantes d’érudition et remplies d’humour, les notices de l’auteur sont accompagnées de gravures tirées d’ouvrages anciens, remontant jusqu’au XIVe siècle. Must-have pour tout cabinet de curiosités qui se respecte, ce livre objet fera office de cadeau de Noël idéal pour les retardataires.

Laure Belhassen, Femmes animales, éditions des grands champs

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ÇA M’INTÉRESSE • hiver 2020

« Visiter une ménagerie », rubrique « Bibliothérapie »

Voici un répertoire critique, drôle et illustré de gravures anciennes qui recense 55 métaphores animalières pour qualifier les femmes. À la gazelle inspiratrice de désir et la lionne combative s’opposent la chienne, forcément lubrique, la cougar sans limites et la chatte câline. À poils ou à plumes, les bêtes ont inspiré un vaste vocabulaire sexiste et sexuel présent dans la culture populaire du monde entier. Les noms d’oiseaux (grue, poule, bécasse) y côtoient les animaux marins (morue, baleine et crevette). Mi-femme mi-poisson, la sirène s’en sort mieux, passant du statut de monstre aquatique mangeuse d’hommes à celui de séductrice de dessin animé à cheveux longs.

L’HUMANITÉ • 12 décembre 2019

« Bestiaire féminin, entre clichés et fantasmes » par Sophie Joubert

Quelle femme n’a jamais été surnommée « ma souris », « ma puce » ou « ma colombe » (on notera au passage l’emploi de l’adjectif possessif) ? Si elles sont parfois affectueuses, les métaphores animalières accolées au genre féminin sont bien souvent synonymes d’insultes ou associées à des défauts. On vous traite de pie ? Vous êtes bavarde. De baleine ? Vous êtes obèse. De hyène ? Vous êtes laide, sournoise et féroce. Recensant avec humour cinquante-cinq noms de femelles d’animaux à poils, à plumes ou à écailles, Laure Belhassen établit un réjouissant bestiaire qui puise autour du monde dans la culture populaire ou savante. De la panthère dont le « magnétisme érotique » fait des ravages dans la série noire à la fourmi industrieuse, convoquée par Italo Svevo pour qualifier l’épouse de Zeno, ce petit livre drôle et érudit, illustré par des dessins de Cuvier, Brueghel ou Geoffroy Saint-Hilaire, invite à réfléchir sur la représentation des femmes dans l’art et la littérature et à déconstruire un imaginaire stéréotypé.

AXELLE • Hors-série janvier-février 2021 « Animales, le mot ne fait pas la femme », par Vanessa D’Hooghe et Marion Sellenet

Dans la philosophie dominante occidentale, humanité et animalité ont été construites en miroir. […] Dans son livre Femmes animales. Bestiaire métaphorique (Grands Champs 2019), Laure Belhassen nous propose une plongée dans l’étendue de ce champ lexical, qui n’a pas son équivalent masculin. Avec poésie et impertinence, l’auteure classe les noms d’animaux en catégories parmi lesquelles on retrouve des animaux à poils, à plumes, des animaux marins ou encore des nuisibles : si la (petite) puce est un mot affectueux, la punaise désigne une femme à la méchanceté piquante. Une fois les termes alignés, on se rend compte que l’animalisation vise toujours les mêmes thèmes : la maternité (la louve), la conjugalité (la poule), la sexualité « déviante » (la chienne), le manque d’intelligence (la bécasse), le physique (la femme laide est un thon ou une

Laure Belhassen, Femmes animales, éditions des grands champs

baleine, sa version grossophobe) ou la dangerosité… pour l’homme (la veuve noire, qui tue son partenaire pour ramasser l’héritage). À chaque « défaut » féminin, sa métaphore animalière : le bavardage (la pie), la vénalité (la poule… de luxe, celle qui se fait entretenir), la perfidie (la vipère, la morue ou la vieille chouette sont les équivalents animaliers de la mégère). Seules l’abeille et la fourmi, sobres et travailleuses, sont bonnes à marier, quoiqu’un peu ennuyeuses. Certains exemples traversent toutes les langues : la vache désigne en français une femme manquant de gentillesse (la peau de vache), en russe une femme à l’embonpoint marqué et dans la langue arabe, la passivité féminine. Ils n’appartiennent pas qu’au passé, notre société crée de nouvelles images : la cougar, femme d’âge mûr qui cherche à séduire des hommes plus jeunes qu’elle, naît en 2009 avec la série télévisée Cougar Town. Très populaire, ce terme péjoratif issu de l’anglais entre au dictionnaire dès 2012. Comme quoi, la langue française n’est pas toujours lente à se moderniser. […]

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SOMMAIRE

Les griffues à poiL soyeux

La Panthère • La Lionne • La Tigresse • La Chatte • La Cougar • La Chienne • La Bitch • La Renarde

CeLLes qui portent des sabots La Truie • La Vache • La Jument • L’Ânesse • La Chèvre • La Gazelle

CeLLes qui ont des pLumes La Poule, la Dinde, la Pintade • La Caille • L’ Oie blanche • La Grue • La Fauvette grisette • La Pie • L’Autruche • La Chouette • La Bécasse et la Bécassine • La Colombe

CeLLes qui tiennent dans une main ouverte ou fermée La Souris • La Fouine • La Belette • Le Lapin • La Lapine

sur Les trois suivantes, iL ne faut pas refermer La main

Le Papillon • La Guêpe • Le Colibri

CeLLes qui peinent à trouver Chaussure à Leur pied La Guenon • La Hyène • La Vipère • L’Éléphant

Les grandes baigneuses La Morue • Le Thon, la Baleine et l’Hippopotame • La Pieuvre • La Méduse • La Crevette

CeLLes qui piquent et suCent La Puce • La Sangsue, la Tique et la Punaise • La Teigne • La Veuve noire • La Mante réligieuse

CeLLes qui sont bonnes à marier L’Abeille • La Fourmi

La grande disparue La Sirène annexes

La panthère

Son regard du retour éternel des barreaux s’est tellement lassé qu’il ne saisit plus rien2 .

En matière de séduction, elle éclipse toute la ménagerie par des atouts incomparables. Elle exhale naturellement un parfum suave qui attire irrésistiblement ses proies tandis que, bien tapie dans les fourrés, elle sommeille. Elle exerce donc une chasse passive, griffes rétractées. Les zoologistes la définissent comme « solitaire et opportuniste ». Dans la nature, elle règne sans partage ni compagnie sur un territoire de 16 à 38 km2, ce qui n’est pas rien. Paris, avec ses 105 km2 ferait un royaume pour quatre panthères.

Elle a la faveur de l’illustre Dante, qui en a fait la métaphore d’une langue et d’un amour parfaits « odorant en tous lieux, en nul n’apparaissant ». Certains signalent cependant que, pour l’attraper,

2. R. M. Rilke, « La Panthère », Jardin des Plantes, trad. C. Vigée, Paris, 1907.

Laure
EXTRAIT 13
Belhassen Femmes animales
définitives)
(maquette et iconographie non

il suffit de verser de l’alcool aux sources où elle se désaltère. Ralentie par l’ivresse, on peut alors la piéger et tenter son dressage. Depuis la Grèce où la panthère est une courtisane très respectée, la métaphore traverse 2400 ans et renaît en France au xixe siècle pour désigner « les beautés à la mode3 ». Ce sont des prostituées frayant dans la haute société, bien logées dans des hôtels particuliers. Leur entretien, extrêmement coûteux, implique souvent plusieurs mécènes rivalisant de prodigalités pour se ruiner. Encore un petit saut dans le temps et elles investissent les séries noires. Leur magnétisme érotique y fait des ravages. La panthère entretient avec l’argent une relation exubérante et passionnelle qui se joue

souvent au détriment d’un partenaire masculin. Le Graal de la féline est une montagne de billets de banque où se couler nue pour ressentir le bruissement magique et voluptueux du papier froissé. C’est exactement ce que fait une certaine Virginia4, avant de dilapider sa fortune en futilités onéreuses, souvent brillantes.

Emportée par la jalousie, une femme ordinaire peut plus ou moins durablement se transformer en panthère : « Ah ça, vous la prenez donc tous pour une panthère. Je n’ai jamais vu une terreur pareille5. »

La lionne

Femme est lion pour dévorer 6 .

Dans la série des carnassières, la lionne est une femme combative, dont l’ardeur guerrière s’exprime dans les banques, les cabinets d’avocats et toutes les entreprises cotées au Nasdaq. Elle est prête à tous les coups de crocs pour se tailler la part du gâteau (ou du lion).

4. Elliott Chaze, Black Wings Has my Angel, 1953.

5. Louis-Émile-Edmond Duranty, Le Malheur d’Henriette Gérard, 1860.

6. Poème « Le Blasme des fames », v. 38, Nouveaux recueils de fabliaux et contes, A. Jubinal, 1842.

3. Larch, 1880. 15 14

15 14

EXTRAIT
Laure

La métaphore s’applique aussi à la mère particulièrement protectrice, en écho à Louve, autre mammifère auquel on prête un instinct maternel très développé.

Surnommée « Mouche d’or » puis tour à tour qualifiée de cocotte, oie, caille, couleuvre, pouliche, chatte et lionne, la Nana de Zola est la plus bestiale de la ménagerie littéraire. Verdict : vérole. C’est ainsi que l’on assassine les prostituées dans la littérature.

Le Moyen­Âge fut aussi très sévère avec celles qui faisaient commerce de leur corps. On leur coupait parfois le nez. On pouvait aussi s’aider de différents outils pour mettre un terme à cette activité. Écoutons Rutebeuf :

Je dis que l’on devrait, à coups de massue ou de pioche, Tuer la femme qui fait de sa chair un négoce ; Qu’elle ne vaut pas mieux que la queue d’un vieil aigle, D’un bœuf ou d’une truie que l’on vend au détail7.

La tigresse

Moins vénale que ses cousines, elle libère une sensualité sauvage faite de griffes et de crocs. Parce qu’ils lui supposent un érotisme rebelle et joueur, certains hommes se verraient bien la dompter ; d’autres au contraire la redoutent et la fuient.

7 Rutebeuf (1230­1285).

Au xixe siècle, Lionne désigne une prostituée ; si elle n’égale la panthère ni en élégance ni en fortune, elle est tout aussi carnassière. Moins douée pour les économies, elle finit souvent sur la paille, tuberculeuse ou vérolée. 17 16

17 16
Laure
EXTRAIT
Belhassen Femmes animales

dans la ménagerie des félines

Tigresse, lionne et panthère forment une ménagerie que les auteurs de séries noires et autres romans d’action exploitent régulièrement pour dépeindre un érotisme torride et agressif.

La souris

Une souris verte qui courait dans l’herbe, je l’attrape par la queue, je la montre à ces messieurs…

Jeune fille ou amante, la souris est une sorte d’éternel féminin qui se trouve partout. Elle n’a pas de caractéristique particulière, si ce n’est, peut-être, une minceur propice à la discrétion.

Souris est fréquemment précédée d’un possessif ; « c’est ma souris qui me mange tout, je suis un pauvre vieillard38 ». Il y a aussi les souris d’hôtel, de bibliothèque ou de remparts ; dans ce dernier cas, elles commercent leurs charmes avec les soldats.

Cet emprunt se vérifie dans la vaste série des s.a.s. (Son Altesse Sérénissime) au fil de laquelle quelque quatre cents créatures féminines secouent leur crinière, retroussent leurs lèvres, puis griffent, rugissent et feulent : « Son épaisse lèvre supérieure se retroussa soudain sur ses dents, comme un fauve ; elle ajouta 57 56

38 Huysmans, Les Sœurs Vatard, 1879.

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[…] Laure Belhassen
EXTRAIT
Femmes animales

En Russie, les souris se disputent la place avec les rats [Крыса], femmes taciturnes, froides et grises se consacrant à la vaste et volumineuse paperasse administrative.

métamorphose déroutante pour le conjoint. L’animal a donné naissance à l’adjectif « fouineuse » et au verbe « fouiner ».

À l’heure des nouvelles technologies et de la dématérialisation, la pratique ne relève plus de l’artisanat mais de la maîtrise de solides compétences en informatique ; la fouine de demain est une hackeuse.

La fouine

Je ne fouine pas, je m’informe !

Parente de la belette quoique plus corpulente, le mot désigne une épouse très curieuse et commettant des indiscrétions aux conséquences fâcheuses ou salutaires, comme le divorce.

La belette

Une créature qui conçoit par l’oreille et enfante par la bouche 39 .

Le nom se forme de -bel et du suffixe -ette qui nous donne petite belle. Dans le monde paysan, ce tout petit mammifère (47 grammes) est craint pour ses ravages dans les basses-cours et l’on tente, par ce compliment, de modérer ses redoutables ardeurs carnassières.

La fouine est réputée faire les poches de son compagnon nocturnement en vue d’y trouver des informations utiles à le confondre. Notons que l’on peut passer d’autruche à fouine sous le feu du soupçon, 59 58

La belette n’a pas son pareil pour se couler dans le volailler où elle « se plaît à répandre le sang dont elle se saoûle40 ». Mieux, par pure joie sanguinaire et « sans être fatiguée du carnage, elle tue dix ou douze poussins de suite41 ». Elle ne les mange pas tous.

39 Physiologus, Le Bestiaire des bestiaires 40. Buffon, « Animaux carnassiers », in Œuvres complètes, tome v.

41. Ibid.

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Laure Belhassen Femmes animales EXTRAIT

ÉDITIONS DES GRANDS CHAMPS

PHILIPPE ANNOCQUE

Nouvelles notes sur les noms de la nature

illustrations de Florence Lelièvre

En librairie le 7 avril 2023

40 pages, 12 euros

L 110 mm x H 180 mm, illustrations n&b

EAN : 9782957422333

Second volet des Notes sur les noms de la nature paru en 2017 aux éditions des Grands Champs.

Présentation

Ce petit opus illustré est une suite d’aphorismes poétiques et cocasses sur une poignée d’appellations, savantes ou non, données aux êtres vivants. Faux-semblants, coïncidences, double-sens, ironies du sort, failles sémantiques… on y découvre, intrigués, un monde où les bizarreries de la nature rivalisent avec les approximations et fantaisies du langage.

L’auteur

Philippe Annocque a publié une quinzaine d’essais et romans hétéroclites dont le dernier, Biotope et anatomie de l’homme domestique, a paru aux éditions Louise Bottu en 2021.

L’illustratrice

Florence Lelièvre enseigne les arts plastiques à Lille. Ses illustrations remarquées pour le premier volume de ces Notes l’ont tout naturellement portée à exposer une série de dessins à l’encre sur le yoga des mouches.

À propos du premier volume

« l’auteur réinvente le haïku, […] capable en quelques mots de raconter une histoire, une atmosphère, de peindre un tableau, de vous faire entrer dans son paysage. Ce petit recueil à la fois érudit et naïf, comique et poétique, est instructif pour qui veut comprendre […], comme une lucarne ouverte sur une leçon de choses […]. Le recueil est superbement illustré par Florence Lelièvre. » (blog L’Avis textuel de Marie M.)

(couverture provisoire)

«Le microtyran à calotte noire n’a pourtant pas l’air si terrible.»

editionsgrandschamps@gmail.com • editionsgrandschamps.fr • tél. Julia Curiel 06 87 07 22 45 / Stéfani de Loppinot 06 68 18 86 35
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Philippe Annocque, Nouvelles notes sur les noms de la nature, éditions des Grands Champs
EXTRAITS

Philippe Annocque, Nouvelles notes sur les noms de la nature, éditions des Grands Champs

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Philippe Annocque, Nouvelles notes sur les noms de la nature, éditions des Grands Champs

ÉDITIONS DES GRANDS CHAMPS

PHILIPPE ANNOCQUE

Notes sur les noms de la nature

illustrations de Florence Lelièvre

À nouveau en librairie le 7 avril 2023

40 pages, 12 euros

L 110 mm x H 180 mm, illustrations n&b

EAN : 9782954021164

À l’occasion de la parution des Nouvelles notes sur les noms de la nature, le premier volet, initialement paru en 2017 aux éditions des Grands Champs, sera à nouveau disponible.

Présentation

La relation du langage au monde est la substance de ces Notes : la créature, élue parmi oiseaux, arthropodes, plantes, champignons…, surgit du nom que lui a donné l’homme. Les voilà condensés en un bref fragment – deux à dix lignes, il n’en faut guère plus à l’auteur pour faire émerger un petit monde –, fixés dans la mutuelle image qu’ils renvoient.

L’auteur

Philippe Annocque a publié une quinzaine d’essais et romans hétéroclites dont le dernier, Biotope et anatomie de l’homme domestique, a paru aux éditions Louise Bottu en 2021.

L’illustratrice

Florence Lelièvre enseigne les arts plastiques à Lille. Pour jouer avec ces Notes, elle a croqué et pioché en allant dans la nature, au musée d’Histoire naturelle ou au bout du pinceau et du fusain, afin de trouver un peu de justesse quand décidément, non, le dictionnaire ne pouvait plus rien pour elle.

Extrait presse

• « l’auteur réinvente le haïku, […] capable en quelques mots de raconter une histoire, une atmosphère, de peindre un tableau, de vous faire entrer dans son paysage. Ce petit recueil à la fois érudit et naïf, comique et poétique, est instructif pour qui veut comprendre […], comme une lucarne ouverte sur une leçon de choses […]. Le recueil est superbement illustré par Florence Lelièvre. » (blog L’Avis textuel de Marie M.)

• « Philippe Annocque a beaucoup à nous apprendre sur la nature. Sur la poésie naturelle. Sur l’imagination de la nature. » (librairie À la page, Vichy)

« Le nom donne à voir ce qui nous échappait. Depuis que je sais le nom de l’accenteur mouchet il y en a plein mon jardin. »

editionsgrandschamps@gmail.com • editionsgrandschamps.fr • tél. Julia Curiel 06 87 07 22 45 / Stéfani de Loppinot 06 68 18 86 35
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EXTRAITS

Philippe Annocque, Notes sur les noms de la nature, éditions des Grands Champs

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JEAN-CLAUDE PINSON

VITA POETICA

ESSAIS D’ÉCOPOÉTHIQUE

ÉDITIONS LURLURE

PARUTION JUIN 2023

VITA POETICA ESSAIS D’ÉCOPOÉTHIQUE

Jean-Claude Pinson

Genre : Essai

Collection : Critique

Prix : 21 euros

visuel provisoire

Format : 14 x 21 cm

Nombre de pages : 144 ISBN : 979-10-95997-49-8

> Une réflexion stimulante et nécessaire sur les rapports entre poésie et écologie à travers le concept d’écopoéthique.

> Au-delà de la poésie, une réflexion sur notre manière d’habiter le monde.

> Une réflexion accessible à toutes et tous, développée dans des formes variées : articles, entretiens ou encore lettre adressée à des collégiens

Peu ou prou et sous des formes diverses (articles, entretiens, lettre), les textes rassemblés dans Vita Poetica sont des essais d’« écopoéthique ». Tous abordent, de près ou de loin, la question écologique, en vertu de ce lien constitutif qui fait l’alliance immémoriale de la poésie et de la Nature (thème abordé par l’auteur dans son essai Pastoral, Champ Vallon, 2020). Centrale dans certains essais, plus marginale en apparence dans d’autres, elle demeure essentielle pour tous, nulle réflexion sur la poésie ne pouvant aujourd’hui ignorer que cette question constitue l’horizon indépassable de notre temps. Par-delà le texte littéraire lui-même, l’accent dans tous les cas est mis sur la manière d’habiter le monde (l’ethos), dont la poésie (entendue comme nom générique pour toute littérature et tout art) est constitutivement solidaire. En ce sens, plus que des essais de poétique au sens habituel du mot, les textes ici réunis relèvent de ce que Jean-Claude Pinson appelle la « poéthique ». Mot-valise (Georges Perros est le premier à l’employer, en 1973), le terme, dans l’élaboration qu’en propose l’auteur, cherche à appréhender un pouvoir qu’aurait le poème (et plus largement le texte littéraire) de nous faire entrevoir, échappant aux logiques de la raison économique, la possibilité et la réalité de formes de vie déprises du modèle dominant que cette raison et son discours imposent.

>
LE
LURLURE
DIFFUSION/DISTRIBUTION SERENDIP LIVRES / PAON DIFFUSION 1 / 4

L’AUTEUR

Poète et essayiste, Jean-Claude Pinson est né en 1947 dans la banlieue de Nantes, dans une famille de cheminots. Il est Maître de conférences à l’université de Nantes où il enseigne, principalement, la philosophie de l’art. Il a publié de nombreux ouvrages dont Pastoral (Champ Vallon, 2020) ou Sentimentale et naïve : nouveaux essais sur la poésie (Champ Vallon, 2002).

> SOMMAIRE DU LIVRE

Brèves remarques sur la notion d’ « écopoéthique »

La locomotive de l’Histoire et le gardeur de troupeaux Le chant du cygne (Réponses à des questions de Thierry Guichard pour Le Matricule des Anges) Fragments d’un abécédaire écopoétique

Nerval à l’avant de nous Le poème comme forme de vie (réponses à des questions d’Alexandre Gefen pour la revue Esprit)

Pensées sur des maisons une veille de Toussaint Après Mallarmé

De l’action poétique aujourd’hui (s’il se peut) Harpe éolienne (Lettre à des Collégiens de Clisson)

> EXTRAIT 1 : FRAGMENTS D’UN ABÉCÉDAIRE ÉCOPOÉTIQUE

Promesse. – Après la chute du mur de Berlin et l’effondrement du bloc soviétique, Derrida, à rebours du discours alors dominant sur la « fin de l’Histoire » et le triomphe planétaire de la « démocratie libérale », maintint que la « promesse émancipatoire » du marxisme, en son caractère foncièrement « indéconstructible », ne pouvait que perdurer. Qu’elle ait pu de fait s’abîmer dans les crimes et désastres du socialisme « réel » au XXe siècle, n’annule pas, considère-t-il, « une certaine expérience » de la visée émancipatoire qui lui est inhérente. Elle continue de porter, notamment, une « idée de la justice » que Derrida rapporte à une dimension « messianique » du marxisme (mais, précise-t-il, un « messianisme sans religion »). J’ai tenté pour ma part de rapprocher cette promesse politique de la promesse portée depuis toujours par ce que j’appelle l’Idée « poéthique ». À travers le rêve d’un âge d’or à venir, ce que veut la poésie, c’est au fond l’impossible d’une Terre poétiquement habitable pour tous. Et cet impossible, s’il est non moins utopique que le « règne de la liberté » porté par la promesse émancipatoire du marxisme, est tout aussi indéconstructible que l’impossible du premier. Derrida posait que c’était d’abord la déconstruction elle-même qui était indéconstructible, en vertu du caractère infini de son travail d’analyse et de démythification (le mythe même de la métaphysique occidentale n’étant pas le moindre de ses objets). Commentant les écrits de Der-

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rida consacrés à la poésie, Guillaume Artous-Bouvet a pu de son côté affirmer que si la poésie continue d’insister, de résister, c’est parce qu’elle est toujours déjà, en tant que Texte, en tant que travail sur les mots et la langue, force de déconstruction, « pure intensité déconstructrice ». Elle aussi, à sa manière propre, est un travail de déconstruction sans fin.

La question demeure entière cependant de savoir si, par-delà cet infini travail de déconstruction textuelle qui la fait indéconstructible, la poésie, en son Idée, peut encore en quelque façon être synonyme de promesse. Y a-t-il un sens à parler de promesse si celle-ci n’est aucunement tenable – moins que jamais tenable sur une planète chaque jour plus inhabitable ? À cette question, Alain Badiou répondait naguère par la négative. Si le Dieu vivant de la religion (celui de Pascal) est mort, si le Dieu métaphysique des philosophes est déconstruit, le Dieu poétique (celui de Hölderlin), Dieu nostalgique promettant la chance d’un « réenchantement du monde » par le retour des dieux, doit lui aussi être aboli. « Il s’agit en somme, concluait-il, d’en finir avec toute promesse. » D’en finir par conséquent avec la promesse d’un âge d’or compris comme vita poetica, car qu’est-elle au fond si ce n’est une resucée du Dieu poétique ? Or de ce théologème, sous quelque forme qu’il apparaisse, il importe pour Badiou de débarrasser le poème, s’il s’agit bien pour ce dernier de « conquérir son propre athéisme ».

[...]

EXTRAIT 2 : LE POÈME COMME FORME DE VIE

[...]

La question écologique est devenue centrale à votre travail, est-elle politique ? Cette question, de longue date, est d’abord pour moi d’ordre poétique et « ontologique » (philosophique). Elle concerne en effet, de part en part et ab initio, notre façon d’être au monde. Comment l’habitons-nous ? Que nous puissions, selon la formule de Hölderlin, l’habiter poétiquement, telle est l’Idée fondamentale, à mes yeux, de la poésie. Une Idée (un idéal) qui excède de beaucoup le seul domaine de la poésie comme simple branche de la littérature (ou comme littérature en général). Comme Idée pratique, elle indique une tâche à réaliser, un monde à faire advenir, où serait retrouvée une harmonie de l’homme avec la nature et avec lui- même. Il y a ici, selon moi, une convergence forte entre cette Idée poétique d’un âge d’or à conquérir et l’idée marxiste d’un « royaume de la liberté ». C’est en ce sens que cette Idée poétique est subversive. Elle rejoint la promesse d’émancipation portée par le marxisme, promesse dont Derrida écrivait qu’elle est, à rebours du très sombre XXe siècle, indéconstructible. Et en effet notre désir d’habiter poétiquement la Terre est aussi indéracinable que l’espérance messianique d’en finir avec un « règne de la nécessité » marqué par l’exploitation de l’homme par l’homme et l’accroissement des inégalités de toutes sortes. Ce n’est ainsi pas sans raison qu’on a pu mettre en évidence chez Marx, trop souvent réduit à un « prométhéisme » caricatural, les linéaments d’une pensée écologique. À quoi j’ajouterais volontiers que cette pensée n’est aucunement étrangère à l’Idée poétique, contenant même, dans son appréhension des liens de l’homme à la terre, une dimension proprement « pastorale » (dimension sans doute encore plus nette chez quelqu’un comme Rosa Luxemburg).

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Vous avez développé un concept original, celui de « poéthique », pourriez-vous le préciser ? Si j’ai fait de ce mot-valise le titre d’un essai paru en 2013 (Poéthique, Une autothéorie), je n’ai nullement la prétention de l’avoir porté sur les fonts baptismaux. C’est Georges Perros qui, à ma connaissance, est le premier à y avoir recours, en 1973. Michel Deguy, de son côté, a abondamment fait usage de la notion. Ce qui m’a intéressé dans le mot, ce n’est pas tant l’idée de morale qu’il semble associer à celle de poésie que le radical grec ethos qu’il contient. Traduisons, pour faire simple, par séjour, manière d’habiter le monde. Ce qui est retenu alors de la poésie, ce ne sont pas tant les textes que l’Idée de la poésie. Portée conjointement par la production poétique (de poèmes, d’œuvres littéraires en général) et la réflexion à son propos, cette Idée n’est pas sans incidence sur nos aspirations, nos choix et nos comportements en matière de formes de vie. La traditionnelle poétique devient alors une « éthopoïétique », selon un mot avancé par Foucault à propos de l’usage « pratique » des textes fait par les Stoïciens : non pas le commentaire mais l’exercice spirituel généré par le texte, son effet. Non pas l’ergon (l’œuvre), mais l’energeia, l’énergie transmise par le texte. Comme théorie générale, la « poéthique » prend donc en compte le fait que le poème imprimé, comme dit Thoreau, n’est jamais dissociable du poème non imprimé qui s’écrit charnellement à son verso, dans la vie. Ce n’est plus la critique qui importe, mais la production d’un ethos, la création d’un mode d’existence, auquel le poème apporte sa contribution, conjointement avec d’autres pratiques (notamment artistiques). La poésie est alors comprise selon un modèle « pragmatiste » : « un poème, dit ainsi le poète Stéphane Bouquet, est pour moi un chemin, c’est-à-dire une expérience, une construction lente d’un rapport à soi, au monde, à la pensée, avec l’idée que la littérature (il n’y a pas d’exclusive du poème) est une façon de produire des formes de vie ». [...]

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En librairie printemps 2023

Format: 14 X 21 cm

Pages: 256 p.

Reliure: broché, collé rayon: journal

CLIL: 3663

CULTURA: LI03AA Prix: 20 € / 28 CHF ISBN: 978-2-8290-0636-4

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Éditions d’en bas Rue des Côtes-de-Montbenon 30 1003 Lausanne 021 323 39 18 contact@enbas.ch / www.enbas.net

J’AIBRODÉMONCŒUR DANSLESMONTAGNES» JOURNALD’UNECOMBATTANTE

PRÉSENTATION

«

KURDE,

1995-1997 GurbetelliErsöz traduitduturcparDelalChamarane

JOURNAL

Dans son journal, Gurbetelli Ersöz chronique les combats, écrit des poèmes et se livre à quelques autocritiques. Tenir un journal était, d’une part, un acte politique et personnel permettant de documenter les faits bruts d’une histoire qui ne serait pas publiée officiellement, et, d’autre part, était l’occasion d’exprimer ses rêves, ses malaises et ses doutes. Le journal de Gurbet permet ainsi de mettre en lumière la formation d’une combattante, de formuler et d’explorer les contradictions de la lutte armée, et d’accompagner et de forger le rôle des femmes dans un tel contexte.

Le fondateur et dirigeant du Parti des travailleurs du Kurdistan, Abdulah Őcalan, a toujours encouragé les combattant.e.s du PKK à tenir un journal: à la fois chronique de la lutte pour un Kurdistan indépendant et témoignage sur le terrain pour contrer la désinformation de l’État Turc et de ses alliés. La construction d’une telle archive de la mémoire in situ est essentielle pour cartographier et accompagner les luttes politiques

AUTEUR

Gurbetelli Ersöz (nom de guerre Zeynep Agir) est née dans un petit village de montage, Akbulut (près de la ville de Palu, région d’Elaziğ), en 1965. De langue première kurde, elle va apprendre le turc à l’école. Elle va poursuivre des études de chimie à l’université de Çukurova avec un master en environnement et énergie. Elle y sera assistante chimiste jusqu’à son arrestation en 1990 pour militantisme politique dans lequel elle s’était engagée suite à la catastrophe de Tchernobyl en 1986 et de l’attaque chimique contre la ville de Halabja par Saddam Hussein en 1988. Elle sera accusée de soutenir le PKK (le Parti des travailleurs du Kurdistan), torturée et emprisonnée pendant deux ans. Interdite d’université, elle deviendra journaliste et deviendra la première rédactrice-en-chef en Turquie au journal Őzgür Gündem. Arrêtée le 10 décembre 1993 et à nouveau le 12 janvier 1994, après avoir été torturée pendant deux semaines, elle sera condamnée à 3 ans et 9 mois de prison. Elle sera libérée en juin 1994. Elle rejoindra la guérilla du PKK en 1995 et tiendra son journal de fin juillet 1995 au début octobre 1997. Le 8 octobre 1997, Gurbetelli Ersöz sera fauchée par le tir d’un char Léopard (fabriqué à Kassel en Allemagne).

TRADUCTRICE

SERENDIP livres – 21 bis rue Arnold Géraux 93450 L'Île-St-Denis +33 140.38.18.14 contact@serendip-livres.fr

978-2-8290-0636-4
DelalChamaraneest née à Pris au début des années ’80. Son père est turc (sudest de la Turquie). Elle a fait des études de droit. Elle est titulaire d’un doctorat en sciences politiques et d’une maîtrise en turcologie. DIFFUSION ET DISTRIBUTION FRANCE Paon diffusion/Serendip livres
Paon diffusion – 44 rue Auguste Poullain – 93200 Saint-Denis

Çiyayê Bexer porte bien son nom, Mont funeste. Il n y a pas d’eau, pas d’arbre. C'est pour ça que la sensation d'être au Kurdistan y est faible mais sur ce sommet, je sens que j'y suis. Nous bavardons et reprenons la route. Je réserve le peu d’eau qui me reste. De temps en temps, je partage, uniquement avec la camarade Beritan. Lui remonter le moral, lui donner de la force, c'est en fait à moi-même que j'en donne. Après le sommet, la descente. Impossible. Ce que je redoute arrive. Mes deux genoux ne me supportent plus. Lors de cette marche, chaque pas élancé devient une torture. Je pense à ce que m'avait écrit Dr Agir “lors de notre ascension dans la montagne, les villages que nous longions avaient tous été brûlés. Pas d'autre trace que l'odeur de cendres, et les aboiements des chiens, et les miaulements des chats. Cela m'avait mis tellement en colère, que j'ai oublié les maux et douleurs provoqués par mon premier trajet : « j'avais gravi la montagne comme une flèche ». Oui Agir, je vais assurément continuer, l'arrivée au pays de Rewsen dépend de la marche et aussi pour tenir la promesse que je t'ai faite. A chaque pas, je souffre comme si un os se détachait de mon genou, je revis la torture, je retourne pile au moment où j'ai été décrochée et libérée de la corde. Je prononce ça, au camarade Aliser qui se trouve devant moi, et qui me tend une main pour m'aider, ou plutôt cela m'échappe des lèvres. Lui aussi me soutient le moral. Cela provient de ce foutu rhumatisme, les douleurs sont atroces mais je vais résister, je supporterai.

Mieux vaut souffrir physiquement que de réputation, tout le monde croit que nous montons à cheval quand nous sommes exténués, alors que pas du tout. Depuis le sommet, le camarade Yilmaz décrit le paysage “ à gauche voilà le poste frontière de Habur, les lumières alignées forment le tracé, à droite là, celles qui sont en grappe, les postes de police de la République de Turquie, enfin, tout à droite devant nous c'est Zaxo. Avant les postes de police, il y a le camp de Haftanin”.

Kurdistan !

Pourquoi ton destin est noir ?

Et le notre si sombre ?

Notre promesse est que ça cesse. A ma gauche le Kurdistan de Turquie, Derrière moi le Kurdistan de Syrie, A ma droite le Kurdistan d’Irak, Je scrute chacun des trois parties : Maudit sois l'ennemi !

Une famille, Un peuple,

Peut-on les écarteler, persécuter ainsi? Et les suspendre à une vie de mort?

Quand je descends la pente j'ai cela en tête. Devant moi le camarade Aliser, derrière Beritan, Cicek se joint à nous, nous modifions notre localisation, avançons main dans la main. Je trébuche à deux reprises. Dans mon esprit, le Kurdistan, déchiré. Toi, nous allons faire de toi un paradis, nous tiendrons notre serment. J'ai écrit très succinctement beaucoup de choses qui ont eu lieu en un temps bref car j'ai trouvé le carnet aujourd'hui. Agir, Rewsen, je tiens la promesse que je vous ai faite, j'écrirai. Rewsen, le carnet que tu m'a donné est perdu et je n'ai pas eu le temps de prendre connaissance de ton texte. Ils l'ont égaré. J'ai gardé en mémoire la partie que tu m'avais lue. “J'étais anéantie de voir que j'étais une épine dans un jardin de roses. Mais je me suis prise en main et renforcée pour devenir une rose telle que tu l'étais. J'étais sur le point de me métamorphoser, mais le décès du docteur, qui nous était si cher, son martyre a, peut-on dire, totalement modifié ce qui coule dans mes veines...» Ce dont je me souvienne est suffisant Rewsen. Je n'ai pas pu te regarder dans les yeux car immédiatement, j'aurais pleuré. Dans tes yeux je déchiffrais et le passé et ce moment précis. Et le plus important, c'était l'avenir. Même si nous ne nous reverrons plus jamais, j'arrive à lire dans cet avenir l'union de nos cœurs et nos attentes.

Tu as dû envoyer la lettre que j'avais rédigé pour la maison. Je sais qu'une fois qu'ils l'auront lu, une ambiance de deuil s'emparera de toute la maison. Maman versera ses larmes, papa se réfugiera dans la cigarette, Galip sera accablé, Ferhat sera tourmenté, Zeynep se retirera dans sa chambre, elle cherchera des gens à qui parler. Pas grave, il faut qu'ils s'habituent. J'ai prévenu au dernier moment le camarade qui est incarcéré. Ca ne s'est pas bien passé comme j'avais prévu pour lui, et donc pour moi mais j'y crois toujours.

Il est précisément 14h05. Nous nous trouvons flanc nord de Ciyaye Bexer, avec vu sur Zaho et le Kurdistan de Turquie. Nous sommes assis en petite assemblée. Cicek chante. Sozdar écrit son journal intime. Et deux trois camarades dorment. Les autres amis de la division discutent. Il me semble que le camarade Sinan devrait arriver, j'entends sa voix. Réveillée et en brossant ses cheveux couleur henné, la camarade Roj m'interpelle "n'oublies pas aussi de nous mentionner”. Ma chère camarade, nous avons tout le temps qu'il nous faut, je vais tous vous évoquer. Vous êtes tous des héros du roman historique du Kurdistan et vous méritez tous d'y être mentionné. En face dans les petites assemblées, les camarades masculins se sont dispersés par divisions. On les aperçoit, sans les distinguer.

En librairie avril 2022

Format : 14 x 21 cm

Pages: 144 p.

Reliure : broché, collé rayon : biographie Prix: 15 € / 23 CHF ISBN: 978-2-8290-0646-3

PRÉSENTATION

Favez–Procèspourêtre habilléeenHomme au XIXe siècle

De nombreux films ou livres documentaires ou fictions ont surtout traité de son engagement transgressif. Sa vie est celle d’une femme qui a défié son époque : une femme qui a étudié la médecine à la Sorbonne à Paris, une femme qui a s’est battue avec l’armée de Napoléon, dans les plus importantes batailles d’Europe et qui a émigre à la Guadeloupe, puis à Cuba.

Mais, le dossier judiciaire approfondi et révèle l’engagement de Enriqueta Favez au sujet de ses options sexuelles : il ne s’agit pas d’une femme déguisée en homme qui épouse une autre femme en 1819 à Baracoa, mais d’une personne qui assume et revendique sa transsexualité. Selon l’auteur :

« L’enquête m’a prouvé que je devais approfondir le sujet de sa transsexualité. Enriqueta Favez, était une femme transsexuelle, une femme qui est née dans un corps biologique qui n’appartenait pas à sa psyché, ce que nous appelons aujourd’hui la transsexualité. Dans le procès de Favez, par exemple, pour la première fois on fait un diagnostic juridique de transexualité, quand elle déclare que c’est l’esprit d’un homme pris dans un corps de femme. »

Le procès de Favez était le procès le plus scandaleux de l’époque. Très similaire à l’inquisition, elle a souffert de toutes sortes d’humiliations. Elle sera finalement expulsée de Cuba. Elle poursuivra l’exercice de son métier de médecin en habit masculin en Floride. On retrouve sa trace 25 ans plus tard en 1848 à Veracruz où elle soigne les malades sous le costume des religieuses de Saint-Vincent-de-Paul, sous le nom de Sœur Marie-Madeleine. Enriqueta est morte en 1856, à l’âge de 65 ans. Gonzáles Pagés a réussi à retrouver sa tombe à la NouvelleOrléans peu avant qu’elle ne soit détruite par l’ouragan Katrina.

AUTEUR

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Julio César González Pagés, historien, professeur à l’Université de la Havanne, a enquêté sur les masculinités, les violences masculines et le féminisme à Cuba. Il a été président de la commission « Genre et paix » de l’ONG Movimiento Cubano por la Paz et fondateur du premier forum des masculinités à Cuba (1996) et du réseau ibéro-américain et africain des masculinités (RIAM) en 2007. Il a donné des cours et des conférences sur les masculinités, le féminisme et l’histoire des femmes à Cuba et dans des universités au Mexique (UNAM), aux États-Unis (Harvard, Princeton, Yale), en Espagne (Université autonome de Barcelone) et à Porto Rico (UPR), entre autres pays.

TRADUCTRICE

Joëlle Bélard-Ruchonnet, historienne, interprète et traductrice littéraire espagnol-français..

Henri·ette

L’histoire d’Henri·ette Favez remonte à plus de deux cents ans. S’il est impossible de comparer les conditions sociales asphyxiantes et les différents contextes dans lesquels iel a évolué – que ce soit en Suisse, en France, à l’Université de la Sorbonne, dans l’armée napoléonienne ou à Cuba – avec la situation actuelle, il est tout de même pertinent de retracer son histoire et de la faire dialoguer avec les vies contemporaines d’émigrées et de femmes qui sortent du cadre communément admis.

Henri·ette Favez, mue par une énergie et une force inépuisables, a dû développer des stratégies lui permettant d’outrepasser les limites imposées à son sexe. La première étape de son périple (documenté) est la décision d’étudier la médecine. À cette époque, cependant, ces études sont interdites aux femmes ; elle n’hésite pas à se travestir en homme pour y avoir accès. Iel s’engage ensuite dans l’armée en tant que chirurgien, un milieu où, encore aujourd’hui, il est difficile pour les femmes de s’imposer en tant que spécialiste. Plus tard, en exerçant la médecine dans les zones rurales de Cuba, en tant que chirurgien·ne et enseignant·e, sous couvert de vêtements masculins, Favez lutte pour les populations marginalisées de la zone orientale. Sa façon de faire inhabituelle a-t-elle permis de faire bouger les choses ?

Le scandale provoqué par l’histoire d’Henri·ette Favez au moment de la révélation de son « véritable sexe », de même que les actes d’accusation et les sentences prononcées par les gardiens du droit de l’époque suggèrent que son histoire ne laissait pas indifférent. Il était alors quasiment impossible de s’opposer aux pouvoirs obscurs de la religion, dans le cas présent, l’Église catholique, aux représentants du pouvoir colonial espagnol et aux gardiens des valeurs patriarcales. Cependant, à la lecture des archives du jugement, on comprend que la classe politique s’est sentie remise en question.

L’histoire d’Henri·ette Favez est inhabituelle, et difficile à présenter. Julio César González Pagés l’a empoignée d’une main de fer et avec des mots énergiques permettant ainsi de rétablir un certain ordre (de genre).

La jalousie serait-elle à l’origine des attaques subies par Henri·ette ? Favez était un·e grand·e professionnel·le, iel maîtrisait son art et exerçait la médecine avec opiniâtreté ; iel traitait l’ensemble de ces patient·es sur un pied d’égalité, ne tenant compte ni de l’origine ni des possibilités économiques. Sa méticulosité et son naturel dans l’exercice de la profession attirèrent peut-être aussi la colère d’une partie de la population. Avec des allures de « médecin sans frontière », Henri·ette a défendu les droits fondamentaux, sans s’occuper des différences sociales et culturelles. Iel a pris en charge la population noire comme toute autre population, c’est-à-dire des personnes nécessitant des soins lorsqu’ils ou elles tombaient malades. Favez s’est également engagé·e à leur enseigner à lire et à écrire.

Le professionnalisme, la modestie et l’engagement d’Henri·ette dérangeaient et interrogeaient ; Favez suscitait la peur et l’insécurité, ce qui explique probablement les attaques dont iel a été victime. La révélation de son « sexe » mettait au défi un ordre des genres - soi-disant naturel, et une façon d’appréhender ces rôles solidement ancrés dans la société. Par ses choix vestimentaires, Henri·ette a ouvert un nouvel espace au sein duquel elle a pu réinventer les différences de genre et questionner les clichés attachés à la division des rôles selon les genres, ce qui a fortement déstabilisé les patriarches convaincus et leurs

épouses. Favez a été traitée d’hérétique, de traîtresse ; la dissimulation de son sexe sous des vêtements masculins a fait d’iel un être infâme aux yeux de la population.

En tant que femme, étrangère, sans étroite relation avec l’Église, ses chances de s’en sortir étaient maigres, d’autant plus qu’iel n’avait pas les relations nécessaires ni l’accès aux « pouvoirs obscurs » de son époque. Henri·ette Favez était soumis·e à un code éthique qui, finalement, a légitimé sa criminalisation et sa condamnation.

Photographie de la plainte déposée par Juana de León

X Schneeberger

Traduit de l’allemand par Valentin Decoppet

PRÉSENTATION

Dans cette biographie qui navigue entre les identités de genre, la voix narrative trouve, au-delà d’une grammaire ponctuelle et objectivante, une force expressive qui lui est propre et atteint une neutralité de genre couleur rose, un neutre couleur néon, pour ainsi dire. L’emploi constant du Konjunktiv fait obstacle aux autres modes, remet l’identité indicative en question, fait imploser les habitudes, les certitudes et les genres. Des dialogues avec Robert Walser, Rousseau, Heine, von der Heide, des chansons en dialecte et des chansons populaires émergent une recherche polyphonique d’identité queer, la connaissance de soi, l’incarnation. Les poses et les masques, l’extravagance et le travestissement, le caractère provisoire et la précarité de toute existence humaine sont le fil rouge du livre, qui devient ici bleu.

En librairie avril 2023

Format : 14 x 21 cm

Pages: 272 p.

Reliure : broché, collé

Rayon : littérature étrangère

Prix: 30 CHF.- / 25 €

AUTEUR

X Schneeberger est né en 1976, en Argovie. Il grandit à Vogelsang et Birr, puis étudie à l’Institut littéraire suisse de Bienne, avant de décrocher, en 2018, un master en écriture littéraire à la Haute école des arts de Berne. Décloisonnant les champs artistiques, X Schneeberger décline ses pratiques et ses identités sous différentes formes. X Noëme – c’est son nom de Drag-queen – a ainsi donné une lectureperformance sur la base de son roman primé Neon Pink & Blue

TRADUCTEUR

Valentin Decoppet est né en 1992 à Lausanne, il vit aujourd'hui à Berne. Il a étudié l'allemand, le français et la traductologie aux universités de Lausanne, Göttingen et Berne, puis l'écriture créative et la traduction littéraire à la Haute école des arts de Berne. Valentin Decoppet a participé au programme Goldschmidt pour jeunes traducteurs littéraires en 2017. Il est traducteur indépendant depuis 2018. Il a traduit de l'allemand, aux éditions d'en bas, Le saut de l'ange et autres nouvelles de Markus Kirrchhofer en 2020

NEON PINK & BLUE
DIFFUSION ET DISTRIBUTION SUISSE Éditions d’en bas Rue des Côtes-de-Montbenon 30 1003 Lausanne 021 323 39 18 contact@enbas.ch /
DIFFUSION ET DISTRIBUTION FRANCE Paon diffusion/SERENDIP livres Paon diffusion – 44 rue Auguste Poullain – 93200 SAINT-DENIS SERENDIP livres – 21 bis rue Arnold Géraux 93450 L'Île-St-Denis +33 140.38.18.14 contact@serendip-livres.fr gencod dilicom3019000119404
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Extrait

Les sites de ses freak shows fermaient quasi en catimini de la nuit au lendemain, l’un après l’autre, ces espaces ou justement ces scènes, ou c’étaient des fermetures politiques ou policières. Aucun refuge dans ces lieux temporaires. Et il en aurait été de même pour les amourettes. Ce n’était pas de sa faute. C’était la faute à la vie qu’elle menait. Chaque projet une nouvelle amourette. Chaque chanson d’amour triste un véritable adieu, singe dansant en off. Évadé en douce d’une cage dorée. Fausse route. Désormais relâché dans la nature. En fait cabarettiste, on se disait ; après tout, on serait un travesti. Comme homme ou comme compatriote, comme poète ou comme artiste –justement comme si. Un être artificiel. De sa propre plume comme avec celle une autre. Le travestissement serait une catégorie littéraire, ça serait au début la seule information lexicale disponible en Argovie. On dirait l’un et parlerait chaque fois dans l’Autre. Même comme travesti on serait comme un travesti. Plus représentation que présentation. Plus pose que posture, plus gesticulation que signification. Quatre, cinq, six. « Casse-toi tu pues – et marche à l’ombre ». Si un homme voulait se rabaisser, il devait simplement porter des trucs de femme, ça suffirait amplement.

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HALTE AU GASPILLAGE AUTOMOBILE

Prenez soin de vous … achetez d'occasion !

PRÉSENTATION

Focalisés sur le changement climatique, nos gouvernements à travers des outils comme la Vignette Crit’Air, nous incitent à changer régulièrement de voitures afin d’économiser de l’énergie et ainsi réduire les émissions de CO2.

En clair, pour diminuer notre consommation d’énergie, nous sommes encouragés à augmenter notre consommation de matériel.

Cette politique poussant au gaspillage est réductrice et dangereuse pour nos vies. Car c’est oublier que la fabrication d’une voiture génère une pollution chimique qui, contrairement au CO2, ne peut pas être compensées à l’utilisation. En effet, les dégâts causés par les substances toxiques envoyées à la fabrication dans l’eau, l’air et les sols sont irréversibles. Donc on a beau parcourir des millions de kilomètres avec la même voiture, on n’arrivera jamais à revenir en arrière.

Ainsi plus nous fabriquons de voitures plus nous empoisonnons le vivant ! Mieux vaut donc garder sa vieille voiture plutôt que de la changer pour une neuve.

Ce livre est un appel à une intervention gouvernementale pour un changement de cap en matière de politique automobile afin que cesse ce gaspillage. Des personnalités des milieux climatiques et environnementaux réputés le soutiennent par leurs signatures. Le gouvernement Suisse sera interpellé.

AUTEUR

Banquier, puis directeur des achats dans l’horlogerie et enfin promoteur immobilier, à 40 ans il remet sa société afin de s’accorder du temps pour mener une réflexion sur notre société et son avenir. Depuis il partage son analyse à travers de nombreuses conférences et 3 petits livres à succès : En voiture Simone !, Fonce Alphonse ! et Tu parles Charles !

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SERENDIP livres – 21 bis rue Arnold Géraux 93450 L'Île-St-Denis +33 140.38.18.14 contact@serendip-livres.fr

En librairie avril 2023 Format : 12.5 x 12.5 cm Pages : 70 p. Reliure : broché rayon :Écologie humaine, environnement Prix : 7 € / 12 CHF ISBN 978-2-82900-660-9

1. Pourquoi nos politiques ne voient pas le gaspillage automobile et n’alertent pas sur le sujet

Pas facile de constater le gaspillage automobile alors que tous les regards sont tournés vers la consommation mondiale d’énergie.

Eh oui, comme un véhicule a besoin d’une quantité non négligeable d’énergie pour fonctionner, nos yeux sont collectivement rivés sur le pot d’échappement de nos engins roulants.

Obnubilés par ces rejets directs, il en résulte une vision collective réduite et tronquée.

COP 21, 22, 23, etc. … ces rendez-vous annuels galvanisent cette étroitesse de vue

Kyoto, Durban, Paris … ces rencontres intergouvernementales sont intéressantes à plus d’un titre. Cependant le fait de fixer des objectifs de réduction, notamment de CO2, pour endiguer le réchauffement climatique incite chaque pays signataire à cultiver un esprit de clocher.

En effet, pour y donner suite, chaque pays industrialisé concerné va tenter de réduire (dans les faits, de stabiliser) ses rejets de gaz à effet de serre (dont le CO2). Pour y parvenir, le but sera donc de tout faire pour réduire ce que rejette par exemple une voiture «sous son propre ciel». Toutefois comme nous le verrons plus bas, les objets de remplacement nécessitent à chaque fois énormément d’énergie (donc rejet de CO2 mais également de la pollution plus nocive) pour leur fabrication de l’autre côté de la planète, en particulier dans les pays extracteurs et constructeurs

Globalement l’exercice est déficitaire et surtout le problème n’est pas résolu, il se renforce même !

Les chiffres parlent d’eux-mêmes, la quantité mondiale de CO2 n’a de cesse d’augmenter.

Nous pourrions parler d’un effet COP qui cristallise les responsables politiques et les poussent à se concentrer principalement sur ce qui se passe au sein même de leur territoire. La largesse d’esprit s’en trouve altérée, cela mène à instaurer auprès des populations une pensée écologique de surface !

2. Statistiques faussées... on ne sait pas combien de voitures compte la Suisse, idem en France !

D’autre part, sur le plan comptable cette fois-ci, nous souffrons également d’une vision réduite !

Effectivement, à ce jour, les statistiques officielles comptabilisent uniquement les voitures immatriculées. Ainsi les véhicules non-immatriculées, constituant le parc d’occasions national, sont laissées pour compte.

Ce manque de lisibilité masque la réalité et empêche de statuer si gaspillage il y a.

Une immense bévue !

Le domaine automobile constitue l’un des piliers principaux de la politique environnementale nationale et un pan important de notre économie.

Et pourtant, il n’est actuellement pas possible de connaître le nombre réel de véhicules que compte le parc automobile helvétique.

En effet, la quantité répertoriée et arborant les statistiques officielles ne comprend que les véhicules immatriculés, une fois encore les véhicules non immatriculés disparaissent des relevés.

Si bien qu’en 2017, selon les professionnels de la démolition et du recyclage, plus de 70'000 voitures ont disparu des écrans radars. Nos instances sont, à ce jour, incapables de savoir où finissent les véhicules du marché helvétique. Une situation qui ne peut être tolérée dans un pays, dit développé, comme la Suisse.

Afin de pouvoir gérer un élément aussi fondamental de la politique environnementale du pays et assurer un développement économique sain de ce segment économique d’importance, il est indispensable que le nombre total de véhicules que la Suisse abrite soit connu et que leur traçabilité soit désormais possible.

Faire fi de cette clarté de vue, signifierait que pour la classe politique les engins d’occasion croupissants devant les garages du pays n’ont aucun impact économique et écologique.

Nous y reviendrons au chapitre des propositions politiques concrètes

5. Quelle incidence la VCA sur notre comportement

Le but avoué des autorités est de renouveler le parc automobile national en incitant les automobilistes à acheter des véhicules neufs et si possible de passer à la propulsion électrique.

C’est une question de santé publique dit-on. Il s’agit de veiller à la qualité de l’air de nos rues européennes pour préserver la santé des habitants/gens d’ici Le climat est lui aussi mis en avant.

Les voitures les plus âgées étant lourdement pénalisées, leurs propriétaires auront donc tendance à s’en séparer pour acquérir un modèle plus récent voire un modèle neuf.

En conséquence, ce choix politique invite la population à changer régulièrement de véhicule et s’inscrit dans la ligne du fameux slogan « Changer pour économiser » régulièrement utilisé par les vendeurs d’appareils et de voitures pour nous inviter à « changer un ancien modèle contre un neuf pour économiser de l’énergie ». Un argument de vente qui fait mouche par les temps qui courent !

Eh bien oui, avoir l’opportunité d’assouvir son besoin d’achat et de changement tout en étant écolo, c’est génial !

Cela dit, il en résulte un soutien non négligeable à l’industrie automobile qui, sous couvert de créer de l’emploi, de participer à la bonne santé de la planète et du PIB national … soit de participer à l’épanouissement général, est ainsi assurée de pouvoir continuer à surproduire à tour de bras et à en engranger les juteux bénéfices qui en découlent.

Bon, ça c’est le côté enthousiasmant de l’exercice.

Sur le plan environnemental, c’est une autre histoire !

6. Que génère le comportement voulu par les autorités ?

Cette volonté politique d'accélération du renouvellement du parc automobile :

- dope les achats de véhicules neufs - accroît le parc automobile d’occasion - amplifie le nombre d’exportations de véhicules usagés vers des pays moins réglementés - habitue les automobilistes à changer régulièrement sans que cela se justifie - cultive la spirale de l’achat compulsif au sein de la population - stimule la surproduction - intensifie la déforestation - ruine les ressources naturelles - dilapide de gigantesques quantités d’eau douce - accentue la pollution chimique de l’air, de l’eau et des sols - augmente les déchets

En résumé, cette politique renforce le gaspillage !

Et cette liste des répercussions sur le comportement du grand public n’est de loin pas exhaustive.

Un

beau gaspillage en perspective

Il est très important de bien comprendre les enjeux de cette "mode" politique qui d’une part résulte d’une vision réductrice de l’écologie et qui par ailleurs nous pousse collectivement vers un gaspillage sans précédent.

Lorsque l’on parle de gaspillage il est fait régulièrement référence à l’alimentation, à l’eau, à l’énergie, au plastique Depuis quelques années, les médicaments ont également rejoint ce giron peu glorieux.

Toutefois la voiture n’est, elle, jamais évoquée.

Il est impératif de mettre en lumière le "gaspillage automobile" et d'inscrire cette forme de gaspillage-là dans l'esprit collectif. Ceci afin que les réglementations politiques en tiennent compte et ne nous y pousse plus.

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Alain Amariglio

Genre : essai Préface de Gilles Clément Avec 22 dessins de Alain Cardenas-Castro

Format : 12 x 18,5 cm Pages : 240 Prix : 18 €

ISBN : 978-2-490251-75-9

Né à Nancy, vivant à Paris et collectionnant les identités, Alain Amariglio a été ingénieur, entrepreneur dans les nouvelles technologies, enseignant, auteur et continue de penser que le métier d’instituteur est le plus beau du monde. Il est d’autant plus sévère pour les liquidateurs de l’école, grands prédateurs ou petits chefs, et pour l’hypocrisie en général. Il s’intéresse à tout, de l’école à l’économie, de l’histoire aux sciences, le point commun entre ses livres, tous différents, se trouvant peut-être dans les enthousiasmes de l’enfance.

Les très beaux dessins de Alain Cardenas-Castro et la préface éclairée de Gilles Clément rendent ce livre beau, savoureux, intelligent.

Ce livre, ni cours, ni traité, est une promenade botanique engagée, un vade-mecum pour habitant de la Terre confronté à l’urgence écologique. Chaque chapitre est placé sous le parrainage d’une plante, célèbre ou inconnue, commune ou menacée, parfois disparue depuis longtemps, mais toujours notre parente dans le vivant. Le parcours est éclairé par les sciences, les mythes, l’histoire et parfois les fantômes de ceux qui nommèrent ces plantes et ne survivent qu’ainsi dans nos mémoires. Suivre ces fils ne nous fera pas quitter notre commun labyrinthe mais nous permettra de comprendre sa géométrie, d’appréhender sa beauté, de nous y repérer et de conserver le fol espoir d’éviter le Minotaure. Peut-être l’odeur de l’herbe fraîchement coupée, si profondément ancrée dans nos mémoires d’anciens enfants, déclenchera-t-elle un court-circuit, une émotion, un réveil salvateur. Dans le monde végétal, cette odeur est un signal de défense. Tout se tient. En quittant la nature, Sapiens quitte aussi sa nature, curieuse et coopérative. En plus des indispensables changements politiques, tout espoir de sauvetage réside donc dans une double réconciliation. Son avènement est incertain mais le déclic peut survenir n’importe où, dans un jardin, face à une friche, sur un trottoir. Ou dans un livre.

Mai
Contact et libraires : colette.lambrichs@gmail.com Téléphone : 06 60 40 19 16 Diffusion et distribution : Paon diffusion.Serendip Éditions du Canoë 2023

SILPHIUM LA PREMIÈRE PLANTE ÉTEINTE PAR L’HOMME

Sur la piste de plantes insolites à qui le tiers paysage pourrait offrir son hospitalité, j’en ai trouvé une qui ressemble un peu au fenouil ou à l’anis. Je ne l’ai pas découverte dans le jardin, ni dans une friche, mais dans la bibliothèque, qui est son ultime écosystème. La plante a disparu. Son histoire ressemble à un conte oriental inutile, tombé dans l’oubli sans que jamais sa morale eût été utile à quiconque – ou à une nouvelle de Kafka.

*

Il était une fois une gracieuse ombellifère qui poussait dans les steppes arides du nord-est de l’actuelle Lybie, juste avant le désert. Cette plante annuelle revenait à chaque printemps. Les feuilles, discrètes, apparaissaient d’abord, puis une forte tige cannelée d’une trentaine de centimètres, enfin une ombelle dont les fleurs jaunes se transformaient en graines ailées que les vents finissaient par emporter, après quoi tige et feuilles se desséchaient, si elles n’avaient pas été entre-temps broutées par les moutons. Ils étaient toujours les premiers à remarquer la plante, dont ils raffolaient, et que leurs bêlements

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signalaient à leurs bergers, ravis eux aussi. D’abord parce que, depuis la nuit des temps, ils utilisaient le végétal comme un remède guérissant à peu près tout. Ensuite parce qu’il donnait un goût exquis à la chair des moutons.

Vers la fin du viie siècle avant Jésus-Christ, les Grecs débarquèrent sur ces côtes, conduits par un certain Aristotélès, incertain descendant de Poséidon. Il nomma la plante silphium, nom inspiré par celui qu’utilisaient les nomades, un mot barbare, donc. Ce terme de barbares était une onomatopée censée imiter les paroles de ceux qui ne parlaient pas grec et s’exprimaient dans des langages aussi incompréhensibles les uns que les autres1. Aristotélès fut plus intéressé par la plante que par les barbares : des barbares, on en trouvait partout, mais les Grecs n’avaient jamais vu de silphium. La plante médicinale ne poussait qu’à cet endroit précis, sur une steppe aride et caillouteuse d’environ troiscent-cinquante kilomètres sur cinquante, et nulle part ailleurs dans l’écoumène2. Les dieux avaient été économes de ce cadeau thérapeutique. *

« Monopole » n’est pas un terme barbare. Il est formé des mots grecs mono, seul, et polein, vendre. Vendre seul.

1 C’est une déformation de ce mot qui conduisit à « berbères », encore utilisé pour désigner les plus anciens habitants de l’Afrique du Nord et de la Lybie – lesquels préfèrent naturellement utiliser d’autres termes, comme celui d’Imazighen.

2 Du grec ancien « habité » : monde habité par les Grecs. Le sens de ce mot s’est ensuite élargi à l’ensemble des espaces terrestres habités par l’humanité – barbares inclus.

L’idée dut frapper Aristotélès comme une évidence, à mesure qu’il découvrait les vertus de l’ombellifère que les bons bergers lui avaient offerte en hommage. Tige, feuilles, racine, tout était bon dans le silphium mais son composant le plus précieux était le suc, une résine rouge translucide qui pouvait être utilisée comme médicament, condiment de luxe ou huile essentielle. La racine, gros rhizome recouvert d’une écorce noire, regorgeait de ce suc, fortement aromatique, qui s’écoulait après incision puis se coagulait. On le stabilisait en lui ajoutant de la farine de blé pour obtenir de petites boules sèches, qui pouvaient ensuite être conservées puis, le moment venu, râpées ou dissoutes pour libérer le produit. Ayant observé tout cela, Aristotélès se souvint que l’un de ses ancêtres avait, jadis, conquis la Toison d’or. Il décida que les Libyens lui verseraient désormais un tribut annuel de silphium et fonda la ville de Cyrène, dont il devint roi sous le nom de Battos 1er. Pendant plusieurs siècles, l’expression « le silphium de Battos » serait synonyme de « tout l’or du monde ».

*

Seul problème : la plante ne se laissait pas cultiver et ne poussait qu’à l’état sauvage, dans l’aride périmètre qu’elle s’était choisi. C’était ennuyeux mais on verrait ça plus tard. Comme on dirait de nos jours, business first. Il semble d’ailleurs que Battos n’ait rien eu à envier aux managers contemporains. Il commença par trouver un nom commercial à ce nouveau produit : « Suc de Cyrénaïque », voilà qui sonnait bien. Vint ensuite

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la question du conditionnement, sésame de tout développement international : des jarres permettraient à la précieuse marchandise de circuler aux quatre coins de la Méditerranée, frappées d’un timbre spécial garantissant son authenticité. Enfin, le marketing réclamait déjà de bonnes histoires. Battos avait donné à sa ville le nom de Cyrène, une nymphe chasseresse qui avait séduit Apollon, dieu de la guérison. Pourquoi ne pas broder sur ce thème ? Par exemple en ajoutant qu’Aristée, fils du dieu et de la nymphe, avait lui-même offert le silphium aux hommes : voilà qui enjoliverait l’affaire sans porter tort à personne. Avec un tel story telling, l’exportation pouvait commencer.

*

Elle fit la fortune de Cyrène. Le silphium, devenu l’emblème de la cité, orna ses monnaies d’argent. Ce n’était plus un remède de bergers mais à la fois une panacée, une épice rare et un cosmétique recherché par les riches Athéniennes. La demande flambait, les prix s’envolaient et il n’était plus question de laisser la moindre feuille aux moutons, ni une seule tige aux barbares : tout était réservé aux étrangers fortunés, payant en monnaies d’or. Si les indigènes continuaient de récolter le silphium, ce n’était plus pour leur compte. Une magnifique coupe du ve siècle3, parfaitement conservée, les représente pesant les grosses racines blanches devant le roi de Cyrène, avant de les descendre dans une cave

3 Coupe d’Arcésilas, conservée au Cabinet des Médailles de la Bibliothèque Nationale de France.

où l’on faisait bonne garde sur ce trésor, une véritable « mine de silphium » comme l’écrivit Théophraste. Au même moment, loin du palais et de la ville, se tenait un marché noir où des habitants de Cyrène échangeaient en secret les précieuses racines contre du vin de Carthage, tandis que des faussaires tentaient de contrefaire le produit. La rançon du succès. Le seul problème restait l’impossibilité de cultiver le silphium : toutes les tentatives échouaient. En Lybie comme en Grèce, on n’arrivait à rien avec cette « plante sauvage, rebelle, et qui, si on la cultivait, fuyait dans les déserts4 ». Mais les hiérarques de Cyrène, même dépourvus de toute théorie économique, avaient déjà dans l’idée que la rareté du produit n’est pas forcément mauvaise pour le commerce : si les prix croissent plus vite que la production ne baisse, les revenus augmentent. Donc le PIB aussi, dirait-on aujourd’hui. Il semble donc qu’à Cyrène la croissance l’emportait déjà sur toute autre considération : peu importait ce qui croissait au juste, et pour combien de temps encore. Non seulement ces visionnaires n’étaient pas des barbares, mais leurs intuitions les avaient conduits au même point que nos plus brillants économistes.

*

Au fil du temps, la ville de Cyrène continua de s’enrichir, perdant parfois son indépendance et parfois la regagnant sans jamais interrompre son fructueux négoce. La cité rayonnait. Au iiie siècle avant notre ère, 4  Pline.

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un de ses fils se fit même un nom illustre dans le monde savant : le grand Ératosthène, poète, philosophe, astronome et, surtout, géographe5. Comme Aristote avant lui, il pensait que la Terre était sphérique, et voyait l’écoumène comme une île entourée d’un océan unique. Il les dessina sur une mappemonde et calcula même la circonférence de la Terre avec une précision qui laisse pantois, surtout si l’on songe que, mille ans plus tard, on doutait encore de sa rotondité – certains n’en sont toujours pas convaincus. Sur la carte qu’il a établie, au nord de la Méditerranée, on peut remarquer une ville un peu plus ancienne que Cyrène et qui était alors une cité comme les autres. Mais voici qu’elle allait croître comme jamais aucune avant elle, compter jusqu’à un million d’habitants, dominer sa région, soumettre Carthage et, bientôt, toute la Méditerranée, pour recueillir l’héritage grec et diriger les nations. Rome devint le centre de l’écoumène. Son armée, immense et disciplinée, semblait promettre à l’empire une domination sans limite. En 96 avant notre ère, Cyrène se soumit et devint simple chef-lieu d’une province romaine, la Cyrénaïque. La ville n’en fut guère troublée. Au contraire, son commerce connut un nouvel essor. Rome n’était plus une bourgade du Latium peuplée de petits paysans cultivant le blé et les olives, elle était devenue cette nation de « conquérants romains que nos auteurs de manuels, par une incomparable bassesse d’âme, nous

5 Il inventa ce mot à partir du grec Gê, la Terre, et graphê, la description.

apprennent à admirer6. » La métropole concentrait toutes les richesses de l’empire et son appétit était sans limite : elle fit du silphium une ressource stratégique. Lorsque César, au début de la guerre civile, s’empara du trésor public, il en trouva une réserve de cinq-cents kilos, bien à l’abri entre l’or et l’argent.

En Cyrénaïque, certains commencèrent-ils à  s’inquiéter ?

La production baissait. Les plantes se faisaient rares.

Heureusement, les prix augmentaient encore et le marché du silphium restait donc en croissance.

Dans le désert on allait plus loin chercher les tiges excentrées. Aucune n’était à l’abri.

L’empire grandit, son appétit aussi. Ni l’un ni l’autre ne semblaient connaître de limites. Roma Aeterna. L’exploitation des richesses du bassin méditerranéen pouvait donner l’illusion de ressources infinies, mais il y avait deux Rome en Rome : la première rassemblait la plèbe issue de l’exode rural et les esclaves capturés au combat, l’autre était celle des patriciens pour qui le luxe était un enjeu de prestige, un terrain de compétition. Un cuisinier à la mode, proche de l’empereur, incarnait le raffinement des sens et la décadence des mœurs : il s’appelait Apicius. « Gouffre sans fond parmi tous les hommes prodigues7 », il inventait des plats extravagants et dépensait son immense fortune en délices inédits, crêtes de coq, talons de chameau ou langues

6 Albert Camus, L’exil d’Hélène

7 Pline.

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de flamant rose8. Il s’enthousiasma pour le silphium, en assaisonna ses plats et l’inscrivit dans sa liste des épices indispensables : la demande s’accrut encore, bien au-delà de la capitale. La domination romaine n’était pas seulement militaire, mais aussi culturelle : le mode de vie des riches romains faisait rêver. Jusqu’aux confins de l’empire, les notables les imitaient en arborant les signes d’appartenance à l’élite. Le silphium, symbole de distinction, devint un trophée social : tous surenchérissaient pour le précieux suc et l’ancestrale plante du désert s’échangeait maintenant au poids de l’argent.

Mais il n’y en avait plus. Les chroniqueurs du temps s’interrogeaient.

Selon Pline, les coupables étaient les moutons. Pourtant, à Cyrène, le silphium était protégé par des palissades et depuis longtemps les bêtes en avaient oublié le goût. L’historien Strabon incriminait, quant à lui, les Barbares nomades qui, « par hostilité », auraient détruit les racines de la plante. On peut bien imaginer quelques barbares mécontents et quelques moutons gourmands, mais il semble bien que l’enquête se soit cantonnée aux « suspects habituels » sans même envisager que la surexploitation d’une ressource locale par un empire global ait eu le moindre lien avec sa disparition.

8 Ayant dépensé les neuf dixièmes de sa fortune à festoyer, il estima impossible de vivre avec le reliquat et mit fin à ses jours. Deux siècles plus tôt, Ératosthène avait fait de même parce que, devenu aveugle, il ne pouvait plus voir les étoiles. Il s’était alors laissé mourir de faim. Exemple frappant de biodiversité humaine.

Et Pline de regretter : « il n’a pas été possible de faire pousser le silphium ni en Ionie ni dans le Péloponnèse, alors qu’en Libye, il pousse tout seul. »

Il poussait tout seul.

Il n’en resta bientôt plus qu’un seul pied et voilà qu’un empereur dément prit le pouvoir à Rome. On le disait pervers et sanguinaire. Que faire du dernier représentant d’un végétal que l’on ne peut semer ? Pline écrit qu’il fut arraché et envoyé à l’empereur fou.

Ce récit a-t-il inspiré Peau d’Âne ? L’Empereur s’appelait Néron, un coupable parfait. Un peu trop. Idéal pour brouiller les pistes. Le plus probable est qu’il n’a rien demandé et que le zèle imbécile d’un courtisan est à l’origine de ce désastreux cadeau. De toute façon, le destin du silphium était scellé. Les botanistes ont formulé plusieurs hypothèses quant à son identité botanique mais aucune ne s’est pour l’heure avérée entièrement satisfaisante. On pense qu’il est la première plante éteinte par l’homme, au premier siècle de notre ère.

*

Quelques siècles passèrent. L’empire s’effondra, Cyrène fut désertée, on oublia le temple d’Apollon. Sur le site de la cité, en Lybie, seules les antiques colonnes du temple témoignent encore de l’importance de la ville abandonnée, au milieu d’un paysage de ruines où ne pousse plus le silphium. On peut s’en passer. La preuve.

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Se donner les moyens de refaire une Cité editions-exces net editions-exces@protonmail.com

Fonctions Phatiques

livre de Nadège Momie avec l’artiste Lili Rojas à paraître en mai 2023 Excès, collection Voix publiques

livre format 13x20,5 cm 54 pages poid théorique 70g 500 ex 10€ isbn : 978-2-9581188-6-0

Résumé

La fonction phatique du langage est celle qui ne sert pas à communiquer un message, mais à maintenir le contact entre le locuteur et le destinataire. Elle permet de se parler même quand on n'a rien à dire et ainsi de maintenir un lien quand il est devenu ténu.

Ces Fonctions sont donc Phatiques. Elles parlent du langage.. Ou de ce qui reste du langage quand celui-ci n’est pas ou plus possible. Parfois, elles s’intéressent au minimum qui permet à deux personnes de garder un lien entre elles, et donc avec la vie. Parfois, elles se penchent sur le bavardage qui empêche à une vraie parole de prendre place. (Dans la mesure où une “vraie” parole existerait.) Car la fonction phatique est ambivalente : parfois elle sauve, parfois elle détruit.

Dans une interview, le physicien Richard Feynman évoque la difficulté pour les scientifiques de communiquer entre eux autour des concepts de physique quantique.

Il parle de “La formidable différence de ce qui se passe dans la tête des gens quand ils pensent qu’ils font la même chose.”

Il y a aussi, parfois, une formidable différence dans ce qui passe par la tête de gens qui pensent qu’ils parlent ensemble, ou qu’ils partagent la même émotion, la même expérience.

Les Fonctions Phatiques se situent à l’endroit de ce malentendu-là, cet endroit où le possible est susceptible de se produire (ou pas).

Biographie de l’auteure

NadègeMomieexiste,etn’existepas.NadègevientduslaveNadejda(espérance).Unemomie estuncadavrepréservédelaputréfaction,unfantômeintact.Sonexistencequantiquelui offre la liberté pour cheminer là où ça ne rime plus, dans la joie exigeante des marges.

Biographie de l'artiste

LiliRojasestnéeenColombieoùelleaapprislacoutureauprèsdesamère.Avingtans,elle décidedetissersavieailleursetvientàParis.Elledevientartistebrodeuseetbijoutière.“La broderieestdouce,silencieuse,intimec’estuneformed’introspection.Jebrodelavie,la famille, les organes.

Extraits

Enfin qui vivra verra, et puis crotte. Parce que je suis en taule là avec des petits jeunes, enfin plutôt des vieux croulants qui se comportent comme des jeunes, tu verrais ça.

— Et vous rigolez des fois ? —Ah oui ! Heureusement ! —Tu regardes la télé ? — Non, je suis au lit et je cogite. —Tu as fait ta prière du soir ?

LA TAULE

— Bonjour ! C’est f, ça va ? — Oui.

—Tu as mangé ?

— Oui je viens de finir. Je suis en taule là, avec des petits jeunes, enfin, plutôt des vieux croulants mais qui se comportent comme des petits jeunes.Tu verrais ça. J’ai mangé avec eux.

—Tu as un rendez-vous chez le médecin demain tu sais ? —Tu fais bien de me le dire, comme ça je me laverai, on ne sait jamais.Tu sais ça tourne pas rond dans sa tête à celui-là non plus.

— Certainement ! Et puis celle du matin aussi ! Non mais et puis quoi encore. Et puis crotte. Tu viens quand ? —Vendredi

— Si tu ne me vois pas c’est que je suis partie.

— Ok. Bonne nuit. — Merci de m’avoir appelée. (Elle raccroche)

La première chose qui frappa le jeune fou à son réveil, ce ne fut étonnamment pas la douleur au crâne. La première chose qui frappa le jeune fou à son réveil, ce fut la couleur : le blanc qui l’environnait. Mais ce n’était pas un blanc propre, immaculé et virginal. Celui-ci était plutôt grisâtre, comme suspect « Un blanc qui n ’ a pas les moyens », se dit-il instantanément Ce saisissement l’empêcha même dans un premier temps de questionner ce qu’il faisait dans cet endroit inconnu.

Il y avait les cinquante nuances de mots pour désigner la neige chez les Inuits, ou les cinquante nuances de Grey pour exciter la sensualité des hommes aisés, mais ici, les variations chromatiques qui l’entouraient se déclinaient dans toutes les nuances du terne, du fade, du presque sale. Des draps qui recouvraient son corps allongé, avec leur trop discret liseré anis, jusqu’à la couverture qui semblait hésiter entre le vert tendance fiente de pigeon et le bleu façon ciel de Picardie en automne, en passant par les murs dont la couleur uniforme semblait vouloir rivaliser avec celle du sol de la salle de permanence de son collège, jadis.

« J’en viendrais presque à regretter les murs rouges qui m ’ont amené ici » pensa-t-il Au moins ce rouge-là avait-il été vif,voire sanguin Brutal, mais vivant Sa violence lui avait percuté le crâne, mais au moins celle-ci avait été active, épidermique, musculaire même. Musculaire, cela lui convenait

parfaitement. Musculaire, cela aurait été plus conforme à sa nature rebondissante. Tandis que là, allongé et immobile dans un lit, il lui semblait que même le sang s’était retiré de ses membres pour laisser la place à une espèce de bouillie de cendres trop épaisse pour circuler librement dans son corps, ralentissant ainsi ses mouvements mais aussi son esprit, encombrant la circulation pourtant habituellement fluide de son imagination. Ses membres dissimulés sous les couvertures ne le faisaient pas excessivement souffrir mais tout en lui semblait lourd et un peu douloureux, sans qu’il parvienne à repérer exactement où se nichait l’inconfort. Son

LE JEUNE FOU

crâne était enserré par un pansement, il sentait la pression du tissu contre son front et sa nuque. Mais il ne ressentait pas le tiraillement caractéristique de la plaie sous le tissu Une douleur confuse et fade donc, comme la couleur des murs et de la couverture « Une douleur en forme de découragement » se dit-il. Sans qu’il parvienne à en discerner précisément l’origine.

Ses oreilles engourdies discernèrent une rumeur : un bruit de pas et de discussion

JE SUIS EN COLÈRE

Bonjour ! C’est f, ça va ? Non. Pourquoi ? J’étais en colère. J’ai piqué une crise pour un truc idiot — Ce n’était pas si idiot si ça t’a mise en colère Si. Et je suis en colère. À MORT.

(Elle raccroche)

dans le couloir attenant à ce qui devait être logiquement sa chambre. On frappa énergiquement à la porte, celle-ci s ’ouvrit sans attendre le consentement du jeune fou et un petit troupeau d’individus entra, accompagné de son bourdonnement sonore ordinaire

Alors ! Fit le premier homme du groupe, dont l’importance de la voix se détacha des murmures autour de lui. On est réveillé ? […]

La langue retournée de la culture, de Michel Simonot

10 €

ISBN : 9782955736814

Format : 112 pages, 13 x 20,5 cm

Illustré par Luce Faber

Des mots changent de sens. D’autres surgissent et, subrepticement, se substituent aux précédents. Des qualificatifs sont associés aux vocables pour en changer les enjeux. Ce que Michel Simonot nomme, dans le champ culturel, retournement, désigne un usage de la langue par lequel l’idéologie néolibérale amène, progressivement, à percevoir ses critères comme incontournables, quasi naturels. S’ensuit une dépolitisation de la politique culturelle publique et de ses fondements. Le néolibéralisme tend à infuser dans tous les domaines. La langue est un vecteur essentiel de cette infusion. La culture n’y échappe pas. Écrit sous forme d’un dictionnaire critique, l’ouvrage de Michel Simonot déconstruit pas à pas ce nouveau langage et nous ouvre la possibilité de repenser à neuf les enjeux de futures politiques culturelles.

La collection Voix publiques intervient dans l’espace public démocratique à l’articulation des arts, des savoirs et des expériences, avec des gens qui ont encore l’impertinence de penser qu’ils peuvent s’autoriser à penser. Les textes y sont brefs mais pas trop, sérieux mais pas trop, homogènes mais pas trop.

Michel Simonot est un écrivain, metteur en scène, et sociologue français.

Il est d’abord critique des spectacles au quotidien Liberté à Lille, en 1960. C’est à Lille également, en 1963 et à l’initiative de Jean-Jacques Hocquard (devenu par la suite codirecteur de La Parole Errante avec Armand Gatti), qu’il organise le festival international de l’UNEF accueillant des artistes de Cuba où il se rendra en 1967. Il adapte des textes d’écrivains (K. Mansfield, Max Frisch...) afin de les porter à la scène, puis il écrit ses propres textes. Dans un premier temps, il crée sa propre compagnie.

En 1991, il entre à la direction des fictions de France Culture . Puis il devient auteur et dramaturge auprès de metteurs en scène, de chorégraphes, de musiciens.

Il a écrit depuis les années 1980 une vingtaine de textes - la plupart pour la scène.

Prendre soin. Récits cliniques de formation, de Vanawine

Sylviery

10 €

ISBN : 9782955736869

Format : 136 pages, 13 x 20,5 cm

Illustré par Leïla Chaix

Vanawine Sylviery est étudiante en médecine et note régulièrement avec humour et inquiétude ce qui se noue dans les services hospitaliers qu’elle fréquente, d’abord comme jeune débutante, puis comme externe, puis comme interne. Nœuds et liens. Avec les patients, avec la hiérarchie, avec les autres médecins en formation. Son regard porte une critique fine sur ce monde hospitalier codé au risque de l’inhumanité. Il porte aussi un regard sur ce qui, au delà du corps malade, s’apprend là sur la vie, l’amour, la mort. Chaque scène dessine des trajectoires singulières qui font une situation clinique qui est aussi toute une vie dans laquelle se reflète des maux : ceux de notre société, de notre hôpital, de notre médecine.

La collection Voix publiques intervient dans l’espace public démocratique à l’articulation des arts, des savoirs et des expériences, avec des gens qui ont encore l’impertinence de penser qu’ils peuvent s’autoriser à penser. Les textes y sont brefs mais pas trop, sérieux mais pas trop, homogènes mais pas trop.

Vanawine Sylviery : Jeune médecin généraliste en unité de psychiatrie de secteur, elle chronique régulièrement ses aventures et mésaventures à l’hôpital. Dans cet univers où le clivage reste tenace entre le somatique et le psychique, elle tend les bras pour saisir et raccrocher le corps et l’âme, chez ses patients et les différents acteurs.

CRITIQUE DE LA RAISON PRÉCAIRE

ALÓS

EN LIBRAIRIE AVRIL 2023

« Précarité », « précaire », « précarisation » sont des termes dont l’usage est devenu courant pour décrire des modes de vie et de relations de travail dans des conditions d’instabilité et d’insécurité. La sensation de vulnérabilité, la peur, l’isolement, le sentiment d’inutilité, le manque de reconnaissance ou l’incapacité à se projeter sont quelques-uns des aspects liés à cette condition précaire qui, bien qu’affectant des individus, dépasse la dimension personnelle subjective et émotionnelle et pointe vers une dimension politique dans la mesure où elle a des conséquences sur la société.

Dans cet essai éclairant, Javier López Alós réfléchit à la manière dont la précarité peut conditionner la vie intellectuelle, tant d’un point de vue intime, que philosophique ou politique.

Sa critique de la raison précaire tente d’en saisir les spécificités — et en un sens sa rationalité —, mais aussi de comprendre comment celle-ci affecte l’exercice même de la pensée et la production matérielle des œuvres.

L’AUTEUR

Javier López Alós est un philosophe espagnol. En 2019, il publie « Critique de la raison précaire « et obtient la même année le prix Catarata Essai. Il est l’auteur de nombreuses publications sur l’histoire des idées dans la période 1750-1850, parmi lesquelles « Entre le trône et le banc. Pensée réactionnaire espagnole face à la Révolution libérale (1808-1823) «. Il a travaillé à l’Université de Leeds (Royaume-Uni) en tant que chercheur et professeur invité. Il vit désormais à Dénia (Espagne) et se consacre à l’écriture. Son dernier livre, « L’intellectuel plébéien. Vocation et résistance de la pensée heureuse «, est paru en 2021 (Taugenit, non traduit).

LES POINTS FORTS

• Javier Lopez Alos traduit pour la première fois en français.

• Un regard inspirant sur une question essentielle de la production des nos savoirs.

• Un style clair et précis.

• Un essai qui a eu d’importants échos en Espagne et a reçu en 2019 le prix Catarata.

également disponible en version ebook

Distribution/Diffusion : Serendip Livres Plus
MkF éditions 1, rue Maison Dieu - 75014 Paris contact@mkfeditions.com
d’informations sur : WWW.MKFEDITIONS.COM
979 10 92305 97 7 17 ¤ TTC 208 pages, broché, 15x21 cm
traduit de l’espagnol par Nicolas Padilla avec l’aide de Juliette Ruë et Joëlle Le Marec
Collection [DECLARATIONS]
ARGUMENTAIRE
Avant-propos de l’auteur à l’édition française Préface de Joëlle Le Marec

CRITIQUE DE LA RAISON PRECAIRE

SOMMAIRE

INTRODUCTION

PREMIERE PARTIE : Précarité et affects

Chapitre 1 : Générations / Le ressentiment / La reconnaissance

Chapitre 2 : Individus et institutions / Où sommesnous ? / Que faisons-nous ? / Alternatives

Chapitre 3 : Affects / Affects et production / Autoexploitation

Chapitre 4 : Préparation, compétitivité, barbarie / Des scénarios de barbarie / Une compétition où tout le monde perd

Chapitre 5 : Précarité à la dérive / De passage / La traversée, la discipline et la sélection

Chapitre 6 : Développer une histoire / À propos de la plainte et de la défaite / Pourquoi continuonsnous ?

DEUXIEME PARTIE :

Précariat et vie intellectuelle

Chapitre 7 : Vies précaires et sciences humaines / Précarité et privilège / Précarité et avenir des sciences humaines

Chapitre 8 : Compensations et décompensations / Perçu, reconnu et non oublié / Un produit inoubliable

Chapitre 9 : Le syndrome de l’imposteur et autres maux / Consumérisme intellectuel / Consommation et précarité

Chapitre 10 : L’envisageable et le possible / L’obligation de l’extraordinaire / Une autre perspective

Chapitre 11 : Précarité, vérité et sacrifice / Un sacrifice inconditionnel / Renoncement et rhétorique du sacrifice

Chapitre 12 : Les sorties / Le précaire intellectuel et l’intellectuel roturier / Que faire face à la vulnérabilité et à l’échec

EXTRAIT

Alors que j’écrivais cet essai, il m’est arrivé quelque chose qui a failli y mettre fin. Cet évènement me semble illustrer parfaitement certaines des thèses que je défends ici et ce sera la seule mention autobiographique que je me permettrai de rapporter explicitement dans ces pages. Alors que j’en étais à peu près à la moitié de la rédaction, le disque dur de mon ordinateur portable s’est gravement endommagé. Par une sorte de négligence, apparemment assez courante, je n’avais fait aucune sauvegarde. La dernière datait d’il y a un an et demi, si bien que ce texte a été perdu, parmi d’autres documents. Après avoir acheté un nouvel ordinateur pour la première fois en dix ans, à nouveau de la gamme la plus économique, et avoir visité en vain plusieurs ateliers de réparation, je devais décider d’envoyer le disque dur dans un laboratoire informatique ou bien de renoncer. Dans ce cas, cela signifiait non seulement renoncer à des commentaires et à des notes pour divers projets, mais surtout abandonner ce livre. Les frais de récupération étaient estimés entre six cents et mille euros, auxquels il fallait encore ajouter plus de trois cents euros déjà dépensés pour l’achat du nouvel ordinateur. Dans ma situation, ces montants étaient loin d´être négligeables. D’un autre côté, je n’avais ni l’énergie ni le temps de tout recommencer. Cela en valait-il la peine ? Pouvais-je me permettre un tel gaspillage pour écrire un livre, quelques articles, rassembler quelques poèmes récents… ? Alors que j’écrivais un essai sur la manière dont la précarité conditionne la vie intellectuelle, je me trouvais confronté à une situation où cette précarité menaçait même de ne pas me permettre d’écrire à son sujet. La boucle se refermait d’une manière aussi parfaite qu’étouffante. Décider que cela en valait la peine et assumer cette dépense imprévue était pour moi le moyen de rompre cette logique implacable. Un tel incident nous rappelle les limites de notre liberté et souligne le sentiment profond de précarité, qui, comme je le soutiendrai dans cet essai, dépasse la dimension économique. Quand une négligence ou une imprudence mineure (l’omission d’un protocole de sécurité régulier) devient une catastrophe personnelle et professionnelle, quand on réalise que n’importe quelle défaillance quotidienne peut avoir des conséquences disproportionnées, on prend conscience de l’étendue de notre vulnérabilité.

Pour beaucoup, cela constitue un mode de vie, une constante : toute erreur ordinaire peut nous plonger dans l’extraordinaire, un extra muros de l’ordinaire, de ce qui est connu, de cet espace existentiel où nous reconnaissons les autres qui nous reconnaissent et où la familiarité, la confiance deviennent possibles… en somme, la vie libre. En effet, le projet de liberté se bâtit sur un terrain de normalité, précisément celui que les conditions et les modes de vie actuels ne cessent de percer et d’ébranler.

CONCLUSION
Collection [DECLARATIONS] ARGUMENTAIRE
MkF éditions 1, rue Maison Dieu - 75014 Paris contact@mkfeditions.com Distribution/Diffusion : Serendip Livres Plus d’informations sur : WWW.MKFEDITIONS.COM "

Couverture provisoire – Alfred et Wilhelmine Eynard avec Herminie Chavannes

En librairie juin 2023

Format : 13,5 x 21 cm

Pages : 176 p.

Reliure : broché, collé rayon : récit, biographie

Prix : 20 € / 25 CHF ISBN 978-2-82900-668-5

DIFFUSION ET DISTRIBUTION SUISSE

Éditions d’en bas Rue des Côtes-de-Montbenon 30 1003 Lausanne 021 323 39 18 contact@enbas.ch

DIFFUSION ET DISTRIBUTION FRANCE

Paon diffusion/SERENDIP livres

«

C'est bien dans la Babylone moderne que je me rends seule », journal d'un voyage à Paris en 1827

PRÉSENTATION

Au printemps 1827, Herminie Chavannes, jeune femme vaudoise de bonne famille, fille d’un pasteur et professeur à l’Académie, se rend à Paris, invitée par un oncle.

Le récit de ce voyage permet de cerner la personnalité atypique de cette intellectuelle à l’esprit vif et critique, intéressée par les arts visuels, l’architecture, l’histoire, mais aussi par la politique, le commerce, le théâtre et, bien sûr, la religion.

Sa plume alerte ne s’arrête pas aux détails ; elle livre avant tout une vision clairvoyante de son époque, tiraillée entre les vestiges de l’Ancien régime et un monde capitaliste dont elle ne peut que critiquer la vanité.

AUTEURE

Herminie Chavannes, née le 30 octobre 1798 à Vevey et morte le 5 avril 1853, est une femme de lettres et une dessinatrice active à Vevey et Lausanne dans le canton de Vaud, en Suisse.

Paon diffusion – 44 rue Auguste Poullain – 93200 SAINT-DENIS

SERENDIP livres – 21 bis rue Arnold Géraux 93450 L'Île-St-Denis +33 140.38.18.14 contact@serendip-livres.fr

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Samedi155 j’ai pénétré dans la salle imposante où tous les intérêts de l’Europe sont discutés chaque jour, dans ce centre sur lequel la France a constamment les yeux fixés et dont l’influence se répand sur chaque état civilisé, par une réaction plus ou moins prononcée. La Salle des députés est d’une belle architecture ; elle est digne de contenir les hommes distingués qui l’occupent ; tous les détails en sont nobles et du meilleur goût, la distribution commode, l’étendue imposante156 . J’ai bien vite cherché en y entrant la tribune célèbre ou tant de discours remarquables furent prononcés. C’est là que l’illustre Foy157 combattit jusqu’au tombeau, c’est là qu’il ne paraîtra plus ; s’il eut été encore membre de cette (139) assemblée à laquelle il fit tant d’honneur je l’aurais vu en face ; fort heureusement pour moi la tribune où nous étions placés est vis-à-vis des bancs arrondis qui forment le côté gauche.

Mr Ravez assis dans un superbe fauteuil de forme antique attendait l’arrivée de ses collègues158. La chambre ne s’ouvre qu’à deux heures, quoiqu’elle soit convoquée pour une heure. Les députés arrivaient un à un et prenaient place en entrant. La plupart d’entre eux étaient en redingote, un très petit nombre seulement portaient l’uniforme qui ne se distingue que par le col brodé en argent. Cette diversité de costume nuit à l’effet général. Les huissiers parés de chaînes d’or et portant l’épée vont et viennent d’un air affairé ; ceux des ministres sont habillés en velours noir et portent de larges écharpes blanches (140). Des tables à écrire sont placées devant les Ministres, le côté droit et le côté gauche en possèdent aussi et bien avant que la séance commence, on voit les députés écrire et compulser. Les sténographes du Moniteur 159 sont au pied de la tribune des journalistes en face au fond de la salle ; à cette distance il faut une prodigieuse habitude du langage diplomatique pour comprendre tout ce que l’on dit. J’enviais ces hommes qui possèdent l’art de fixer à l’instant ce qu’ils entendent sur le papier. Pourquoi la sténographie ne fait-elle pas partie de l’éducation ? On dit que l’étude n’en est pas difficile, certes il en est peu qui puissent être d’une utilité aussi réelle pour les hommes de lettres, les savants et les hommes d’affaires. Je comptais avec anxiété le petit nombre de députés qui se plaçaient à gauche ; c’est sur eux que reposent (141) toutes les espérances libérales, ce sont eux qui conservent le feu sacré, et

155 7 avril 1827

156 La salle date de 1795-1798 ; œuvre des architectes Jacques-Pierre Gisors et Etienne-Chérubin Leconte, elle a été rénovée peu après le passage d’Herminie Chavannes. En effet, en 1827 des plans de rénovation sont produits par Jules de Joly et 5 ans plus tard, la salle que nous connaissons est inaugurée (Szambien, Werner, « L’Assemblée nationale et son architecture », in L'Assemblée nationale, Paris, 1992, pp 63-101).

157 Maximilien Sébastien Foy (1775-1825), général sous l’Empire, député libéral sous la Restauration, réputé pour sa rhétorique éloquente ; il est notamment célèbre pour avoir défendu la liberté de presse (Dictionnaire des parlementaires français, vol. 3, Paris, 1891, pp. 53-54).

158 Auguste Ravez (1770-1849), député de la Gironde en 1816, conseiller d'État et sous-secrétaire d'État à la Justice en 1817, président de la Chambre des députés de 1818 à 1827 (Dictionnaire des parlementaires français, vol. 5, Paris, 1891, pp. 95-95)

159 Le Moniteur Universel (1789-1868), organe officiel du gouvernement dès 1800, chargé de la transcription des débats parlementaires.

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ce n’est qu’avec douleur qu’on voit leurs rangs s’éclaircir, par les effets du pouvoir ministériel ou par un ennemi plus terrible encore, la mort.

Le côté droit leur oppose de nombreux antagonistes, mais c’est le centre que l’ami des lumières redoute le plus ; placés derrière les ministres, ces hommes dangereux semblent composer leur Cour ; quelquefois le côté droit et le côté gauche se réunissent contre lui, mais trop souvent c’est cette partie de l’assemblée qui décide en faveur du pouvoir oppressif et méprisé que nous voyons dominer aujourd’hui.

Il est très précieux pour les personnes peu versées dans la science politique de s’aider ainsi de l’œil pour mieux comprendre la séance. Les désertions d’un banc à l’autre doivent être longtemps pesées (142) car le public en est spectateur et juge ; on doit hésiter avant de lui prouver si clairement qu’on a changé de parti.

J’attendais avec impatience l’arrivée des ministres et celle des orateurs, dont j’ai lu souvent les discours éloquents. J’eus le plaisir en voyant entrer Casimir Perier de le reconnaître à l’instant160 ; il me semble qu’il avait perdu une grande partie de ses cheveux ; les inquiétudes graves les font disparaitre et c’est peut-être la cause de ce changement. Bientôt Benjamin Constant le suivit161 ; il se placèrent l’un à côté de l’autre et j’aimais à voir ces deux hommes amis de la vraie liberté s’entretenir des intérêts communs qu’ils soutiennent avec tant de zèle et d’éloquence. Mr de Villèle162 fit enfin son entrée et vint se blottir (143) au coin du banc des ministres ; je fus bien vite frappée de l’extraordinaire petitesse de sa tête, mais comme la maison de Socrate, elle est assez grande pour contenir non pas de bons amis mais de dangereuses et méchantes pensées ; cet homme muni d’un si grand pouvoir et couvert de tant d’injures n’est pas gâté par la nature ; il est petit chétif et fort laid ; son long nez lui donne un air presque grotesque. Il semble qu’une chiquenaude le ferait trébucher ; c’est pourtant cette vilaine petite créature qui domine la France en se moquant sans doute de sa patience et de ses plaintes inutiles. Mr Ravez proclame l’ouverture de la séance en agitant sa sonnette. Ce diplomate a vraiment une figure de président. Sa tête est noble, ses épaules larges et bien (144) placées, son maintien imposant, ses gestes simples et justes, sa voix douce et sonore, sa prononciation parfaite. Il a été réélu plusieurs fois parce qu’il remplit habilement le poste délicat de président de la Chambre. On le dit impartial

160 Casimir Perier (1777-1832), député libéral dès 1817, ami de Foy, membre de l’opposition à Charles X. Il sera brièvement ministre (sans portefeuille), président du conseil des ministres, ministre de l’intérieur et président de la chambre des députés entre 1830 et 1832 (Dictionnaire des parlementaires français, vol. 4, Paris, 1891, pp. 584-586)

161 Benjamin Constant, autre député libéral, sans doute bien connue d’Herminie Chavannes puisque né à Lausanne et protestant – ce qui lui vaudra de nombreuses railleries à la Chambre des députés. Il est le chef de file de l’opposition libérale de gauche (dite « les Indépendants ») et comme Foy reconnu pour son talent oratoire (Dictionnaire des parlementaires français de 1789 à 1889, Paris, 1889, vol. 2, pp. 172-173).

162 Joseph de Villèle (1773-1854), ultra-royaliste, alors président du conseil des ministres et ministre des finances (Dictionnaire de l’Histoire de France, Paris, 1999, p. 1640).

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