Vibrations | Or Norme #24

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Dagré Communication | www.dagre.fr | RCS 390 920 411 - Crédit photo : P. Bogner

V ISION

À LA HAUTEUR DE VOS AMBITIONS !


ÉDITO

VIBRATIONS « Si notre âme, un instant, a, comme une corde, vibré et résonné de joie de vivre, alors toutes les éternités étaient nécessaires pour que cet unique événement ait lieu. » F. Nietzsche, « Fragments posthumes » Patrick Adler directeur de publication

Tout est vibration… Voilà le point de rencontre de la physique quantique et de la spiritualité universelle. Tout est onde… Et potentiellement particule, comme l’évoque dans nos dernières pages Patrick Bailly-Maître-Grand, inaugurant ainsi (et de quelle manière !) notre rubrique Or Champ de ce tout nouvel Or Norme. À quelques semaines d’une élection qu’on nous décrit à longueur de journée comme décisive, qu’observe-t-on ? La société encore très matérialiste et abrutissante dans laquelle nous vivons nous permet-elle vraiment d’être sensible aux vibrations du monde ? J’aime à croire que le cœur perçoit ces vibrations, qui sont les émotions de la Terre, avant notre cerveau, ce petit chef qui nous empêche si souvent de considérer ce que nous sommes : un peu de matière perdue au sein d’un vaste océan de pensées et de vibrations. Vous me direz, et vous aurez raison, que je suis loin des préoccupations du moment, et d’ici… Et pourtant ! Nous savons tous, intimement, que l’essentiel est ailleurs.

Le nouvel Or Norme que vous avez entre les mains, mais également sa web App (disponible sur Android et iOS) et son nouveau site internet, ont vocation à vous faire voyager constamment d’ici à ailleurs, de Strasbourg au monde qui l’entoure, de nos préoccupations quotidiennes à nos aspirations d’absolu. Dans ce numéro, Jean-Pierre Sauvage, notre dernier prix Nobel, nous fait vibrer au rythme de ses « machines moléculaires » ; Patrizia Paterlini, la chercheuse qui va tuer le cancer, traque les cellules tumorales circulantes ; et Faruk Atig, Hervé Kérac, Sarah Greiner, Claude-Maxime Weil, et d’autres... Tous nous invitent à être attentifs à leurs vibrations du moment. Enfin un portfolio, où Francesca Gariti nous livre un secret : si nous savons le contempler, le monde nous invite à découvrir ce qu’il a de plus profond et de plus subtil. Pour cela, il suffit d’un certain regard... un regard vibrant, celui qui, alors que nous sommes adossés à un arbre, ose se perdre dans la frondaison.

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CONTRIBUTEURS

OR NORME

VÉRONIQUE LEBLANC

ERIKA CHELLY

La plus française des journalistes belges en résidence à Strasbourg. Correspondante du quotidien « La Libre Belgique », elle est un des piliers de la rédaction de Or Norme, depuis le n° 1. Sa douceur est réelle mais trompeuse : elle adore le baroud et son métier. On l’adore aussi.

Elle hante les « backstages » parisiens (souvent) et alsaciens (parfois), elle est incollable sur l’art et les artistes contemporains. Malgré ses 35 ans, elle a tout lu de Kerouac et de la « beat generation » et elle écoute Tangerine Dream en boucle. Décalée avec son époque. Or Norme.

ÉRIC GENETET

ALAIN ANCIAN

Il a rejoint Or Norme à l’automne dernier. Journaliste, il écrit aussi des livres édités par Héloïse d’Ormesson. Fan de football et de tennis, il a également touché à la radio et même à la télé. Enfin, grâce à son IPhone, vous le retrouverez aussi sur l’appli Or Norme.

Journaliste à Or Norme depuis le n° 1, il se passionne pour les sujets sociétaux et n’a pas son pareil pour nous expliquer en réunion de rédaction toutes les incidences de telle ou telle mesure sur la vie des « vrais gens ». L’honnêteté pousse à dire que les faits lui donnent rarement tort…

CHARLES NOUAR Journaliste, à Or Norme depuis le n° 1, il écrit également des pièces de théâtre et se passionne pour… la cuisine thaï. Fan de l’Ailleurs sous toutes ses formes, véritable citoyen du monde, il est capable de citer de mémoire des pans entiers de textes d’écrivains lointains.

BENJAMIN THOMAS Ce journaliste est d’une polyvalence rare tant sa curiosité personnelle et professionnelle est insatiable. Sport, culture, cinéma, opéra, théâtre, mais aussi pêche à la ligne, rando dans les Vosges, vététiste, acteur de théâtre amateur. Où s’arrêtera-t-il ?



ALBAN HEFTI

VINCENT MULLER

Ch’timi de naissance et alsacien d’adoption, ce jeune photographe est arrivé à Strasbourg il y a sept ans, sans la moindre ligne sur son carnet d’adresses mais avec une volonté de fer. La photo de presse et de reportage est sa passion, son œil est innovant et très créatif.

C’est avant tout l’un des plus réputés des photographes portraitistes en Alsace. Ses clichés des écrivains des Bibliothèques idéales ont fait le tour des réseaux sociaux. Il n’a pas son pareil pour, très rapidement, créer une ambiance particulière qu’on retrouvera sur les visages qu’il capture.

RÉGIS PIETRONAVE

JEAN-LUC FOURNIER

Son nom sonne comme celui d’un bandit corse mais il n’a jamais vécu sur l’Île de Beauté. Il est le responsable commercial de Or Norme, c’est dire si notre revue qui ne vit que grâce à ses annonceurs compte sur lui. Il a la pression mais son large sourire ne le quitte jamais.

ORNORME STRASBOURG ORNORMEDIAS 6 Rue Théophile Schüler 67000 Strasbourg CONTACT contact@ornorme.fr DIRECTEUR DE LA PUBLICATION Patrick Adler patrick@adler.fr DIRECTEUR DE LA RÉDACTION Jean-Luc Fournier jlf@ornorme.fr

Directeur de la rédaction, il a créé Or Norme en 2010 avec une forte conviction : la presse gratuite n’a aucune raison de se cantonner à quelques vagues articles publi-rédactionnels au milieu de nombreuses pubs. Pari réussi : Or Norme est reconnu comme un magazine de journalistes.

JULIEN SCHLEIFFER Graphiste, animateur, généraliste 3D et développeur web, notre illustrateur Julien Schleiffer est aussi un spécialiste en image animée. Il développe également ses talents en écriture filmique. Outre son travail qu’il exerce en indépendant, il enseigne également à l’Université de Strasbourg.

PATRICK ADLER Directeur de la publication de Or Norme, il est aussi le co-fondateur de Aedaen Place et de Aedaen Gallery, deux lieux qui sont vite devenus le QG de la rédaction. Décidé à travailler « dans le plaisir permanent », il adore également écrire et la rédaction a accueilli bien volontiers sa belle plume.

RÉDACTION redaction@ornorme.fr Alain Ancian Erika Chelly Jean-Luc Fournier Éric Genetet Véronique Leblanc Charles Nouar Benjamin Thomas

ILLUSTRATEUR Julien Schleiffer

DISTRIBUTION Impact Media Pub

CONCEPT & CRÉATION GRAPHIQUE Izhak Agency

TIRAGES 15 000 exemplaires

PHOTOGRAPHES Alban Hefti Vincent Muller

IMPRESSION Valblor - Illkirch-Graffenstaden

RETROUVEZ TOUT OR NORME SUR FACEBOOK, INSTAGRAM ET YOUTUBE

PUBLICITÉ Régis Pietronave 06 32 23 35 81 publicite@ornorme.fr

Tous déposés dans les lieux de passage de l’agglomération. Liste des points de dépôt sur demande. Dépôt légal : AVRIL 2017. ISSN 2272-9461 Photo de couverture : Vincent Muller



SOMMAIRE

O R N O R M E N ° 2 4 — V I B R AT I O N S AV R I L 2 0 1 7 édito 003 contributeurs 004

GRAND ENTRETIEN JEAN-PIERRE SAUVAGE

012

Le grand couturier des molécules

OR CADRE NEUSTADT TRAM KEHL

020

Les frontières dépassées

JEAN-PIERRE SAUVAGE

‘‘Le système français présente des aspects incroyablement positifs et performants’’ 012

OR SUJET EXPLOITATION DE L’ANIMAL

038

BRASSERIE LA MERCIÈRE

046

DROIT DES FEMMES

052

Strasbourg doit-elle interdire les cirques qui utilisent les animaux sauvages ? CAT L. MEYER

‘‘Une femme n’est pas le sous-produit d’un homme’’ 038

‘‘On n’a qu’une envie : nous éloigner’’

‘‘Le monde pour lequel nous nous sommes battues n’est pas arrivé’’


Marc Keller

ÉS Énergies Strasbourg SA au capital de 6 472 800 € • 501 193 171 RCS Strasbourg • siège social : 37, rue du Marais Vert 67953 Strasbourg cedex 9 Document non contractuel • Réservé aux clients professionnels/entreprises • Valable sur le territoire de concessions d’ÉS Énergies Strasbourg • 03/17

Président du Racing Club de Strasbourg Alsace

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OR BORD EVA KLEINITZ

056

COULISSES

058

HERVÉ KÉRAC

064

SHOICHI FUKUSHI

068

GARE AU TEMPS

070

LES IS

072

Le cœur à l’ouvrage

Jour de Baal au TNS

La belle résistance d’Hervé Kérac

La danse Butô à Strasbourg pour la première fois

Le temps n’est ‘‘Pas perdus’’

sur leur 31

PATRIZIA PATERLINI-BRÉCHOT

‘‘Lutter à tout va contre la mort.’’ 098

LE PIÉTON DE STRASBOURG

074 OR CADRE

OR PISTE L’AUSTRALIE DE SARAH No limit

080

CLAUDE MAXIME WEIL

‘‘On est toujours le pauvre de quelqu’un et le riche d’un autre...’’

092

PATRIZIA PATERLINI-BRÉCHOT 098 Elle veut tuer le cancer !

FAROUK ATIG

0104

MINE GUNBAY

0108

LES ÉVÉNEMENTS OR NORME

0112

C’EST STRASBOURG !

0114

La France ne laissera pas revenir ses combattantsdjihadistes’’

Carnet de voyage

AGENDA 0116 Notez déjà !

CLAUDE MAXIME WEIL

‘‘Désormais, si on ne se renouvelle pas constamment, on est mort.’’ 092

PORTFOLIO

0118

OR CHAMP

0124

Francesca Gariti

La vibration des possibles, par Patrick Bailly-Maître-Grand


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Document et illustrations non contractuels, dus à une libre interprétation de l’artiste et susceptibles de modification pour raisons techniques ou administratives.

LA RÉFÉRENCE DE L’IMMOBILIER À STRASBOURG


GRAND ENTRETIEN

JEAN-PIERRE SAUVAGE

Le grand couturier des molécules

012

013

OR NORME N°24 Vibrations

OR PISTE

Texte : Jean-Luc Fournier

Photos : Vincent Muller

Or Norme / Parce que nous savons bien que la pression médiatique a été infernale depuis l’obtention du prix Nobel cet automne, nous avons préféré attendre qu’elle se calme pour avoir ce long entretien avec vous. Six mois plus tard, quels sont les souvenirs qui vous restent du moment précis où vous avez eu la confirmation que cette distinction suprême dans votre métier vous était accordée ? Évidemment, des souvenirs aussi intenses ne s’évanouissent pas aussi rapidement... Le 5 octobre, une demi-heure avant l’annonce officielle, j’ai reçu un coup de fil du comité du prix Nobel, ce qui prouve d’ailleurs bien que, de leur côté, tout reste secret jusqu’au dernier moment. J’avoue que je me suis un peu méfié, mais pas très longtemps, car le président du comité m’a fait appeler par deux amis que je connais bien et qui font partie de ce comité pour me confirmer la nouvelle. J’ai passé alors deux minutes à reprendre mon souffle dans mon fauteuil, seul dans mon bureau. Ensuite, j’ai fait à grandes enjambées les 35 mètres qui me séparent du bureau de mon grand ami Jean-Marie Lehn (prix Nobel de chimie lui aussi. Il fut le maître de thèse du jeune Jean-Pierre Sauvage ! – ndlr) et je n’ai réussi qu’à lui dire : « Écoute, Jean-Marie, il n’est pas impossible que j’aie obtenu le prix Nobel… » Il a sauté de joie ! Il a d’ailleurs montré son émotion plus que moi sur le coup, car je n’avais pas encore réussi à digérer cette information. En fait, je n’arrêtais pas de penser : je n’y crois pas, ce n’est pas possible… Jean-Marie s’est contenté de me répondre : « Moi, je ne suis pas surpris… » Or Norme / Il vous a sans doute dit ça parce que cela lui semblait si évident. À ce niveau d’excellence, tous les scientifiques comme vous font partie de réseaux mondiaux extrêmement denses et j’imagine qu’on n’obtient pas la plus haute distinction du monde sans que cela ne découle d’une certaine logique.

C’est tout à fait vrai. Dans les dix dernières années, pas mal de gens m’ont dit : tu es sur les listes. D’autres même, faisant presque dans l’indiscrétion, m’ont dit : tu es la personne que je nomine, puisque ce sont des nominations qui sont au départ de tout. Il faut dire que j’avais des arguments pour ne pas y croire. Des arguments sur le caractère tout à fait fondamental de la recherche qu’on a pratiquée dans mon labo. Des découvertes purement fondamentales ne plaisent généralement pas aux membres du comité Nobel si elles ne comportent pas des applications importantes… Quand on regarde la liste des prix Nobel de chimie, c’est souvent chimie et quelque chose, chimie et médecine, chimie et physique, chimie et biologie… À ce point que pour quelques lauréats du prix par le passé, aucun chimiste n’en avait entendu parler auparavant ! Or Norme / Puis en décembre, vous vous retrouvez à Stockholm pour la cérémonie de remise du prix. J’ai vu une photo de presse où vous descendez un monumental escalier, vêtu de votre plus beau smoking et au bras d’une princesse suédoise en belle robe de satin vert avec un superbe diadème sur la tête. J’imagine les sensations totalement inédites que vous avez dû ressentir, à ce moment-là. En effet. Je n’ai pas l’habitude de me retrouver au bras d’une princesse, c’est certain (sourire). Il y a un côté un peu illusion, un peu spectacle, à tout ça. D’ailleurs, ma propre épouse, parce que c’est la tradition, était elle-même au bras d’un très beau prince. Bon, disons que pour un vieux républicain laïc comme moi, la dérision n’était pas absente de ce que je ressentais. Bien sûr, on respecte tout cela, on joue le jeu le plus respectueusement possible, on essaie de ne pas se prendre les pieds dans la robe de la princesse mais, je l’avoue, on a du mal à se prendre vraiment au sérieux (rire).


13

Je n’ai réussi qu’à lui dire : ‘‘Écoute, Jean-Marie, il n’est pas impossible que j’aie obtenu le Prix Nobel…’’


014

015

OR NORME N°24 Vibrations

‘‘On sort alors complètement de son travail quotidien, de son anonymat.’’

OR PISTE

Texte : Jean-Luc Fournier

Photos : Vincent Muller


‘‘Tout part de la molécule.’’ Oui, elle a même complètement basculé. Dès l’annonce, à peine une heure après, il y avait déjà les médias à l’ISIS, des caméras et des micros partout et des tas de gens qui voulaient absolument discuter avec moi. J’ai fait au mieux pour jouer le jeu… mais en fait, on sort alors complètement de son travail quotidien, de son anonymat. On est extrêmement sollicité. Je ne sais pas combien d’interviews, de conférences j’ai fait, en France, à l’étranger. La plupart du temps, c’est avec plaisir. Mais il faut raison garder, je sais que j’ai un peu débordé en nombre d’obligations à satisfaire. Ce n’est pas que le cirque médiatique, comme on dit, c’est aussi cette pression pour aller absolument communiquer. Moi, mon métier aujourd’hui, c’est de communiquer, mais vers les jeunes collégiens ou lycéens, pour expliquer à quel point la science est fascinante, vers les étudiants ou les autres centres de recherche pour expliquer le travail de mon labo. Tout cela est devenu bien plus dense depuis le prix Nobel. Or Norme / Il y a un point très particulier sur lequel j’aimerais avoir votre avis. N’y a-t-il pas une sorte de morale à tirer du prix qui vous a été décerné ? On critique de toutes parts le « vieux » modèle français de la recherche, certains critiquent son immobilisme, son caractère quasi « fonctionnaire » et vantent en même temps le modèle anglo-saxon, son libéralisme assumé et ses budgets importants venus du privé. Au point d’inciter les jeunes chercheurs à l’exil, loin de la France, au nom d’une pseudo « modernité ». Le prix que vous avez obtenu fracasse ce genre de raisonnement. Serait-on si dépassé que ça, dans notre pays ? Mais non, pas du tout. Mais, vous l’avez dit, il y a une espèce d’autodénigrement ambiant qui nous place en permanence dans une atmosphère négative ; on a toujours une mauvaise opinion de ce qui nous entoure, de la façon dont c’est organisé. Pourtant, le système français présente des aspects incroyablement positifs et performants. Comme cette capacité que nous avons à travailler en équipe, ensemble. Dans la plupart des pays dits performants, c’est impossible. Un prof va travailler avec des étudiants thésards et quand ils le quitteront, tout partira avec eux. C’est une mémoire considérable qui s’évanouit ainsi complètement. Chez nous, quand on s’est bien adapté au système comme ce fut le cas des chercheurs de mon labo, on peut se retrouver à six ou sept chercheurs permanents qui vont travailler ensemble

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AAA GTATA GGCAG, Marc Quinn, 2009, Bronze et matières plastiques, Collection Würth, Inv. 13583, Photo : Volker Naumann, Schönaich

Or Norme / Est-ce que votre vie a changé, depuis ?


pendant des dizaines d’années, quelquefois. Ainsi, l’excellence ne se dilue pas, ce qui est fondamental dans nos métiers.

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017

OR NORME N°24 Vibrations

OR PISTE

Texte : Jean-Luc Fournier

Photos : Vincent Muller

OR NORME / Vous acceptez de relever un défi ? Celui d’expliquer aux ignares scientifiques que nous sommes, en quelques mots tout simples, quelle est la découverte pour laquelle vous avez obtenu le Nobel et ses applications possibles dans la vie courante. Pardon d’insister, mais nous sommes vraiment des ignorants, les journalistes excellent plutôt dans le domaine littéraire ou les sciences humaines. Je le relève, ce défi. Tout part de la molécule. C’est une toute petite espèce, composée elle-même d’un assemblage d’atomes, qui est partout. Notre corps est un ensemble incroyablement complexe de molécules. On peut en fabriquer, et beaucoup de gens, dans les labos de chimie, sont spécialisés dans la synthèse des molécules. Elles peuvent être effroyablement compliquées, et ça peut quelquefois prendre beaucoup de temps. Les molécules sont des objets qui bougent sans arrêt. On appelle cette agitation permanente le mouvement brownien. L’échelle est de l’ordre du nanomètre, c’est-à-dire du milliardième de mètre. Avant les travaux de mes deux amis Stoddart et Feringa (les deux chercheurs écossais et néerlandais, co-lauréats du Nobel avec Jean-Pierre Sauvage – ndlr) et les travaux de mon labo, personne ne savait contrôler le mouvement de ces molécules. La force de nos découvertes, pardon d’être aussi immodeste, est de savoir faire bouger les molécules de façon totalement contrôlée. On les conçoit, on les fabrique et ensuite il faut savoir leur « parler ». C’est une image qui veut dire qu’on leur envoie un signal physique ou chimique, de la lumière, un électron ou quelque chose comme ça, qui va nous permettre de contrôler leur mouvement. Juste un exemple : dans notre labo, on a fabriqué comme un petit muscle, un objet qui fait huit nanomètres quand il est tendu. On peut lui « dire » contracte-toi, il va se contracter et ne fera alors plus que cinq nanomètres. Chez Feringa, ils ont fait des travaux très spectaculaires sur des moteurs rotatifs. De minuscules molécules d’un ou deux nanomètres se mettent à tourner quand on les irradie avec de la lumière visible ! Chez Stoddart, ils ont réussi à fabriquer ainsi des pistons qui se déplacent dans des cylindres équivalents, un anneau qui est traversé par un élément chimique qui va se déplacer exactement comme le fait un piston dans son cylindre. OR NORME / Un exemple d’une application dans notre vie de tous les jours, dans dix ou vingt ans ? Il y en aura beaucoup. L’une est déjà au stade de projet bien avancé. C’est celui du stockage d’informations avec des molécules. Sans entrer dans les détails, vous savez qu’aujourd’hui la mémoire des ordinateurs est composée de transistors à base de silicium. Eh bien nous pensons qu’on peut considérablement diminuer la taille des éléments qui vont stocker l’information en utilisant des sortes de petites machines moléculaires qui produiront les 1 et 0 binaires

permettant de lire, écrire, effacer. Les travaux sont déjà bien avancés dans ce domaine, avec des puissances de stockage d’informations qui sont sans commune mesure avec les plus puissants ordinateurs d’aujourd’hui. J’ai relevé le défi ? OR NORME / Oui, formidablement, merci. Avec vous qui manipulez si bien l’infiniment petit, allons maintenant vers l’infiniment grand. Quelle est votre perception de l’état du monde qui nous entoure ? La question est vaste mais si vous aviez le pouvoir d’alerter les plus grands de ce monde sur un danger majeur, peut-être de pousser un « coup de gueule », de quoi leur parleriez-vous en priorité ? Je pense qu’un coup de gueule vis-à-vis d’un chef d’état puissant n’aurait strictement aucun effet. Aller voir Trump, je serais découragé à l’avance. Je ne vois vraiment pas ce que je pourrais dire à cet homme-là. De toute façon, il n’écouterait pas. Si j’avais aujourd’hui un message, ce serait un message hautement politique. Le problème numéro un de l’humanité, ce n’est pas le CO2 même s’il est à l’évidence très grand, le problème numéro un c’est incontestablement la démographie galopante de la planète. Car elle nous emmène tout droit vers un conflit planétaire majeur. S’il doit se produire, j’espère qu’à son issue, il restera des humains. OR NORME / À ce point ? Je ne sais pas, mais si on continue au même rythme, ce sera catastrophique. La démographie n’est absolument pas contrôlée. On a même critiqué la politique de l’enfant unique en Chine. Combien de milliards d’êtres humains va-t-il falloir en plus sur la planète pour se rendre compte que ce n’est plus du tout vivable ? Évoquer ce problème est devenu complètement tabou : j’en ai déjà discuté avec des politiques disons puissants et immédiatement, ils changent de conversation. Je ne dis pas que leur pouvoir est limité mais leur désir d’action l’est, considérablement. Car ce n’est pas en combattant ce problème de la démographie qu’on parvient à se faire réélire ! OR NORME / Quelle sera votre vie maintenant ? De quoi va-t-elle se remplir ? Mes activités de recherche se sont arrêtées, bien sûr. Je vais continuer à communiquer dans le sens que je vous confiais tout à l’heure, en allant dans des lycées, des universités, des centres de recherche. Pour moi, c’est vraiment un bonheur, tout ça. Et puis, mon épouse est d’origine italienne et comme j’adore ce pays, nous avons acheté une belle maison près du lac Majeur. On aimerait y être beaucoup plus que ce que mon emploi du temps m’a permis jusqu’alors. Je fais des efforts pour parler beaucoup mieux l’italien et, surtout, pour mieux connaître cette magnifique région. J’imagine que j’y séjournerai bientôt beaucoup plus souvent… J’ai bien sûr, et heureusement, d’autres activités qui ne tournent pas autour de la science. J’aime la musique, j’aurais vraiment aimé


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‘‘Notre corps est un ensemble incroyablement complexe de molécules.’’


Photos : Vincent Muller Texte : Jean-Luc Fournier OR PISTE OR NORME N°24 Vibrations

019 018

Au dessus / Jean-Pierre Sauvage lors de l’entretien avec Jean-Luc Fournier à l’ISIS

jouer d’un instrument. Je jouais du piano mais j’étais trop médiocre : j’ai arrêté. Je suis devenu un consommateur de musique, simplement. OR NORME / Toute dernière question. Un jeune chercheur, tout frais émoulu, arrive dans votre bureau. Vous sentez qu’il a besoin de conseils, qu’il cherche vraiment sa voie. Vous avez quinze secondes. Vous lui dites quoi ? C’est déjà arrivé et plus d’une fois. Il y a encore trois ans, j’avais des thèsards autour de moi et ils sont toujours

venus me voir pour prendre conseil. La difficulté en France est d’obtenir un poste de chercheur mais elle peut être surmontée. Mais le seul conseil important que je pourrais lui donner, c’est de démarrer des recherches dans un domaine original et qui le passionne. La passion, c’est vraiment le mot-clé. Quand on veut devenir scientifique, il faut impérativement être passionné. Et on ne peut pas se passionner pour quelque chose qui n’est pas original. Jean-Marie Lehn m’avait dit : « Il faut que tu démarres ton truc le plus vite possible, vas-y, fonce. »

ENCORE PLUS OR NORME Retrouvez l’interview vidéo intégrale de Jean-Pierre Sauvage sur le site www.ornorme.fr. Propos recueillis par Jean-Luc Fournier

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Photos : Dossier de candidature Unesco / Archives de la Ville et de l’Eurométropole de Strasbourg - DR Texte : Jean Luc Fournier OR CADRE OR NORME N°24 Vibrations

021 020

NEUSTADT TRAM KEHL Les frontières dépassées

Deux importantes pages d’histoire vont venir marquer les prochaines semaines à Strasbourg. Le 29 avril prochain verra la mise en service commercial de la première ligne transfrontalière de tram en Europe, qui permettra au tram strasbourgeois d’arriver face à la gare centrale de Kehl, de l’autre côté du Rhin. Puis, début juillet, la Neustadt strasbourgeoise sera inscrite au patrimoine mondial de l’humanité de l’UNESCO. Une foule considérable de symboles va être impactée par ces deux événements.


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Photos : Jérôme Dorkel Laurent Rothan Jean-François Badias Archives de la Ville et de l’Eurométropole de Strasbourg - DR Texte : Jean Luc Fournier OR CADRE OR NORME N°24 Vibrations

023 022

TRAM KEHL Strasbourg ne

Au dessus / Le pont du Rhin dans les années 20 vu du côté français (à gauche) et vu du côté allemand.

tournera plus jamais le dos à l’Allemagne

Le 29 avril prochain sera inaugurée (commercialement) la nouvelle ligne de tram reliant Strasbourg à Kehl, sa voisine allemande de l’autre côté du Rhin. Plus qu’une facilité d’accès pour les deux populations transfrontalières, le tram français qui reliera l’Allemagne va marquer symboliquement une nouvelle ère… Certains y voient seulement (et ils n’ont évidemment pas tout à fait tort…) une vraie facilité pour les amateurs de shopping. Les ménagères strasbourgeoises, soucieuses de leur porte-monnaie, descendront du tram au carrefour stratégique qui les intéresse, juste après la gare de Kehl (grâce à la présence en proximité immédiate de quelques enseignes bien connues) et le reprendront plus tard, les sacs remplis à ras bord de shampooings et autres produits d’hygiène au prix très avantageux (même marque, même produit, même conditionnement qu’en France mais… trois fois moins cher !) ou de cartouches de cigarettes. À l’inverse, les samedis et autres jours fériés allemands, nos voisins « d’en face » n’auront plus à redouter le casse-tête de la place de parking

introuvable dans l’hyper-centre de Strasbourg et se feront déposer tranquillou place Kléber, pour courir les boutiques… Mais réduire l’arrivée désormais imminente du tram strasbourgeois à Kehl à ces seules considérations primairement consuméristes serait faire insulte au symbole fort que cette extension recèle : désormais, Strasbourg ne tournera plus jamais le dos à l’Allemagne ! LES BÉGAIEMENTS DE L’HISTOIRE Longtemps, l’histoire a bégayé sur cette frontière nord-est de la France au passé historique si lourd. Strasbourg n’est pas Bâle, là où le Rhin traverse littéralement la ville de part en part et a bâti, du coup, toute une histoire avec les bateliers faisant traverser le fleuve aux dames à crinoline, sans parler des gamins faisant la course, l’été, d’une rive à l’autre. Non, ici, si le Rhin marque bien la frontière nationale, Strasbourg a toujours été à distance. Et l’histoire, depuis maintenant près d’un siècle et demi, a fait le reste. L’annexion de l’Alsace après la guerre perdue de 1871 aura permis, de fait, la métamorphose de Strasbourg, comme nous y revenons plus loin avec l’édification de la Neustadt.


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Photos : Jérôme Dorkel Laurent Rothan Jean-François Badias Archives de la Ville et de l’Eurométropole de Strasbourg - DR

024

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OR NORME N°24 Vibrations

OR CADRE

Texte : Jean Luc Fournier

‘‘Deux rames lestées de dix tonnes d’eau pour simuler le poids des passagers…’’

coût du ticket Pour les Strasbourgeois qui iront à Kehl via le nouveau tram, rien de changé. Ce sera à l’identique du réseau existant déjà, que ce soit pour les tickets à l’unité ou pour l’abonnement. Idem pour le retour entre Kehl et Strasbourg

Au dessus / Les essais de l’hiver dernier. En haut à gauche, pour la première fois depuis la seconde guerre mondiale, une rame de tram pénètre en Allemagne.

Moins spectaculaire mais pas du tout anecdotique : la création du tramway strasbourgeois (d’abord hippomobile puis vite électrifié) et tout particulièrement, déjà, la liaison avec Kehl, effective dès le printemps 1896. Pas pour longtemps : entre 1918 et 1920 (car on ne sait plus très bien la date précise, bizarrement…), au lendemain du premier conflit mondial, la ligne est interrompue. L’ancienne compagnie allemande est placée sous séquestre. L’exploitation du tram est confiée à une régie qui deviendra la Compagnie des transports strasbourgeois, la CTS. Et le Strasbourg des transports, Strasbourg tout court, tourne le dos à l’Allemagne. Via le tram, Kehl sera brièvement de nouveau reliée à Strasbourg, sous l’occupation allemande de la Seconde Guerre mondiale. Puis les intenses destructions de la fin de la guerre auront définitivement raison de la ligne… LA NOUVELLE LIGNE Démarrés en 2014, les travaux d’extension de la ligne D vers Kehl vont donc permettre l’entrée

en Allemagne de la première rame commerciale le 29 avril prochain, soit 72 ans après le dernier passage d’un tram en 1945. Pour autant, une première rame d’essai a emprunté le nouveau (et spectaculaire !) pont Citadelle ainsi que le pont sur le Rhin dès le 3 février dernier (photo ci-contre). D’autres ont suivi, toujours dans le cadre des indispensables essais, comme ce jour où deux rames (une « ancienne » et une autre, la plus récente, avec le nouveau design) lestées de 10 tonnes d’eau pour simuler le poids des passagers (!) ont permis de tester les infrastructures dont, notamment, le fameux pont Citadelle, au-dessus du bassin Vauban, et son arc d’une somptueuse élégance. Signé par l’architecte Marc Barani, l’ouvrage comprend également une piste cyclable et un cheminement piétonnier. L’arrivée à la station de la gare de Kehl n’est pas une fin en soi. Dans les semaines qui viennent, les travaux de la ligne se poursuivront en direction de la mairie de la petite ville frontalière. Quand ils auront pris fin, on aura retrouvé le parcours exact que le très ancien tram strasbourgeois effectuait quotidiennement avant-guerre.


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LE POIDS DES SYMBOLES

Photos : Jérôme Dorkel Laurent Rothan Jean-François Badias Archives de la Ville et de l’Eurométropole de Strasbourg - DR

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Texte : Jean Luc Fournier

‘‘Ce n’est pas un tram français qui revient en Allemagne [...] c’est un véritable projet francoallemand qui voit le jour.’’

2 300 tonnes C’est le poids de l’arc et du tablier du nouveau pont Citadelle. L’arc, qui fait 190 m de long, s’élève à 40 mètres au-dessus du bassin Vauban. Le tablier du pont est fabriqué avec un acier parmi les plus fins du monde. Le tout a coûté 25 millions d’euros, financés par l’Eurométropole et la Ville de Kehl.

Dans l’interview exclusive que nous publions à la fin de cet important dossier, le premier adjoint au maire de Strasbourg, Alain Fontanel, tire parfaitement toutes les leçons du retour du tram entre Strasbourg et Kehl. Une de ses formules dit tout : « Ce n’est pas un tram français qui revient en Allemagne, ce n’est bien sûr pas un tram allemand qui arrive en France, c’est un véritable projet franco-allemand qui voit le jour. » Plus de soixante-quinze ans après la fin de la Seconde Guerre mondiale, la France et l’Allemagne ne sont bien sûr plus ces deux pays éternellement belligérants, théâtres de tant d’atrocités, de drames, de malheurs. Ces nouveaux ponts et ce tram qui vont relier les deux villes frontalières sont porteurs d’un superbe symbole. Strasbourg

ne tourne enfin plus le dos à l’Allemagne. Au contraire, il s’en rapproche, est-on tenté de dire car, avant de pénétrer en Allemagne, c’est tout un pan d’une nouvelle ville que le tram va irriguer. À terme, on saluera la véritable connexion urbaine entre Strasbourg et l’Allemagne. À l’heure où le monde voit grandir les inquiétudes, à l’heure où le pathologique peroxydé nouveau président américain construit un mur entre son pays et le Mexique, à l’heure où ses émules européens n’ont que des termes d’exclusion et de repli sur soi dans la bouche, Strasbourg construit des ponts, remet en service un superbe outil de transport et de communication et voit son avenir à 360º. On se réjouira de la portée de ce message en Europe, tout particulièrement. Strasbourg revendique son image de capitale de l’Europe des peuples, face à Bruxelles, la « technocrate ». C’est aussi pour le bénéfice de cette réalité-là qu’il faut apprécier l’événement du 29 avril prochain. Pour ce qui nous concerne en tout cas, à la rédaction de Or Norme, nous sommes ravis de ces symboliques-là.


BRASSÉE À SCHILTIGHEIM DEPUIS 1854. Ça changera quand les cigognes auront des dents.

L’ABUS D’ALCOOL EST DANGEREUX POUR LA SANTÉ. À CONSOMMER AVEC MODÉRATION.


Photos : Dossier de candidature Unesco Archives de la Ville et de l’Eurométropole de Strasbourg - DR Texte : Alain Ancian Benjamin Thomas OR CADRE OR NORME N°24 Vibrations

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DE LA GRANDE-ÎLE À LA NEUSTADT Une magnifique scène urbaine européenne Depuis presque trente ans (c’était en 1988), la Grande-île de Strasbourg est inscrite au patrimoine mondial de l’UNESCO, cette institution des Nations unies qui, chaque année, actualise les sites mondiaux qui présentent un intérêt exceptionnel pour l’héritage commun de l’humanité. Début juillet prochain à Cracovie, la Neustadt strasbourgeoise devrait s’adjoindre au classement de 1988 pour propulser le centre de la capitale alsacienne au firmament des plus beaux sites du monde.

sans aucun relief architectural particulier, dans la plus orthodoxe continuité du XVIIIe siècle. Ce n’est pas le cas de l’arrière du bâtiment qui, après avoir été partiellement détruit pas les Prussiens en 1870, fit partie des priorités de la reconstruction très vite entamée par l’occupant pour tenter de s’attacher les bonnes grâces de la population après le conflit et l’annexion. Une semi-rotonde à colonnes a été construite dans l’intention évidente d’agrandir l’Opéra. Donnant sur l’actuelle place de la République, sa modernité, pour l’époque, est un signe tangible du formidable chantier qui était alors sur le point de s’engager. L’AXE IMPÉRIAL

Un bâtiment, devant lequel les Strasbourgeois passent aujourd’hui quasiment sans lever les yeux, pourrait presque à lui seul symboliser cette subtile continuité qui relie les quartiers les plus anciens de Strasbourg à ceux surgis après 1870, après l’annexion de l’Alsace par le IIIe Reich allemand. À l’extrémité de la place Broglie, l’Opéra présente une basique façade d’un classicisme tout à fait conventionnel, avec ses six colonnes

En un peu plus de trente ans, de 1880 à 1914, c’est à la naissance d’une véritable ville nouvelle (près de 400 hectares) que les Strasbourgeois vont assister. Ces nouveaux quartiers vont faire tripler la superficie de la ville et le nombre d’habitants passera de 85 000 en 1871 à 180 000 en 1911 ! Le coup d’envoi de la construction de cette« ville nouvelle » est donné dès 1872 avec la parution



Archives CTS & Ville de Strasbourg Jean-François Badias Laurent Rothan Photo : Jérôme Dorkel Texte : Jean Luc Fournier OR CADRE OR NORME N°24 Vibrations

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C’est le nombre exact d’hectares couverts par la Grande-île et la Neustadt strasbourgeoises. Autour de ces deux joyaux, une zone dite « tampon » de 709 hectares correspond aux engagements de protection du patrimoine pris par la municipalité strasbourgeoise dans le cadre du dossier de présentation du bien à l’UNESCO.

d’un décret donnant naissance à l’Université impériale (Kaiser-Wilhelm-Universität) pour remplacer l’ancienne Université française qui avait été transférée à Nancy. Tour à tour, dans la décennie qui suit, on voit apparaître l’actuel Palais universitaire qui barre la place de l’Université puis ses centaines de mètres de jardins où les architectes allemands implantent les différents instituts pour répondre aux nouvelles normes et à la politique pédagogique novatrice alors développées par le Reich allemand.

Face au Palais universitaire, on trace l’actuelle avenue de la Liberté qui doit rejoindre la Kaiserplatz (l’actuelle place de la République). La perspective de l’axe impérial sera donc fermée par l’imposant Kaiserpalast (l’actuel Palais du Rhin) dont la construction s’est fortement inspirée du Palais Pitti à Florence. On ne le visite plus aujourd’hui qu’à l’occasion des Journées du patrimoine, en septembre. L’empereur allemand n’a quasiment jamais résidé dans ce qu’il appelait lui-même l’« Elefantenhaus », la « demeure de l’éléphant ».


OBJECTIF #1

Le poisson d’avril de la presse locale À maintes reprises après la Seconde Guerre mondiale a été évoquée très sérieusement la démolition du Palais du Rhin, d’autant que le bâtiment abritait la sinistre Kommandantur jusqu’en 1945. Le 1er avril 1951, près d’un article quasi surréaliste évoquant une ambulance de Police-Secours emboutie par un tram rue de la NuéeBleue, un quart de page annonçait la construction d’un « grand building » en lieu et place de l’ex-palais impérial, le président de la République d’alors, Vincent Auriol, en « ayant fait don au peuple américain ». Les États-Unis s’étaient proposés de le démolir et le reconstruire pierre par pierre sur le territoire américain. Plus c’est gros, mieux ça passe… (la réflexion est toujours d’actualité -ndlr)

Autour de la Kaiserplatz, dans une harmonie géométrique parfaite, ont été édifiés les plus beaux bâtiments de la Neustadt strasbourgeoise : l’actuel Théâtre national de Strasbourg qui accueillait à l’origine l’administration du Reichsland d’Alsace-Moselle, l’ancienne bibliothèque impériale devenue la superbe BNU (Bibliothèque nationale et universitaire) et l’actuelle préfecture ainsi que l’immeuble de la Trésorerie générale qui, juste après leur édification, ont abrité des ministères du Reich.

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Texte : Alain Ancian Benjamin Thomas

Autour de cette place, ces ensembles architecturaux symbolisent à merveille le style « ­monumental » allemand de l’époque qui justifie aujourd’hui le classement à venir au patrimoine mondial de l’UNESCO. AUTOUR DES AVENUES DES VOSGES, D’ALSACE ET DE LA FORÊT-NOIRE

10.07.2017 C’est la date de la communication du Comité du patrimoine mondial de l’UNESCO qui devrait confirmer l’inscription de la Neustadt. C’est du moins le pari que fait Dominique Cassaz, architecte et responsable de la mission patrimoine de la Ville de Strasbourg qui a piloté l’ensemble du dossier de candidature et qui est donc littéralement incollable sur ce sujet qui, bien sûr, la passionne. L’UNESCO se réunit à Cracovie (Pologne) du 2 au 12 juillet prochains.

Ces trois avenues sont également des axes majeurs de la Neustadt. Elles ont principalement été créées pour canaliser la circulation de transit et lui faire éviter le centre traditionnel de Strasbourg. Elles ont été conçues selon les principes les plus modernes de l’époque, promus par le célèbre et bien-nommé urbaniste allemand Reinhard Baumeister : hiérarchisation et dédoublement des voies de circulation, édification d’immeubles de logement possédant les avancées les plus remarquables de l’époque – gaz et eau courante à tous les étages, tout-à-l’égout –, prêts à accueillir la nouvelle population allemande dès leur construction (en grande majorité des fonctionnaires, des militaires, des universitaires et des professeurs) ainsi, que, au rez-de-chaussée, des sièges de grandes sociétés, notamment du secteur des assurances.

Cette modernité sera également présente, au début du XXe siècle, avec l’aménagement de la « Grande percée » du centre-ville historique, une large voie reliant la gare impériale au quartier de la Bourse et venant avantageusement se substituer à de vastes îlots aux logements insalubres où, chaque année, la tuberculose et le manque d’hygiène faisaient des ravages. C’est un véritable modèle strasbourgeois qui, alors, se construit peu à peu. Dans les autres grandes villes françaises, on choisit souvent, pour répondre aux besoins d’une population qui augmente, d’édifier de nouveaux quartiers, bien distincts du centre-ville historique. Ces liens architecturaux évidents entre la GrandeIle et la Neustadt ont particulièrement été mis en avant par Strasbourg dans son remarquable dossier de candidature présenté par la France à l’UNESCO, renforçant le thème de « scène urbaine ­européenne » choisi par la municipalité strasbourgeoise pour concourir. D’autres immeubles remarquables de Strasbourg sont intégrés à la Neustadt qui obtiendra en juillet prochain le précieux label de l’UNESCO : la gare centrale, dont la façade – aujourd’hui masquée


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Texte : Alain Ancian Benjamin Thomas

par la grande verrière – représente bien le style « wilhelmien » de l’époque, l’immeuble des Bains municipaux, avenue de la Victoire (un des symboles les plus forts des nouvelles règles d’hygiène voulues par les bâtisseurs de « l’époque allemande », le Palais des fêtes près de l’avenue des Vosges (nommé à sa création en 1903 Sängerhaus, la « maison des chanteurs »), le massif quadrilatère de l’Hôtel des postes, avenue de la Marseillaise, sur la façade duquel trônaient les statues de cinq empereurs et souverains du IIIe Reich allemand qui furent abattues après l’armistice de 1918, l’église Saint-Paul, à la séparation de l’Ill et de l’Aar, qui « ferme » la perspective de la sortie de la Grande-île, le Palais de Justice qui s’élève au bout de la rue et du pont de la Fonderie. Entre autres…

Une architecture monumentale très peu visible… en Allemagne Ironie du sort, et héritage direct des conséquences de la Seconde Guerre mondiale, les principaux centres-villes allemands ayant bénéficié eux aussi des mêmes apports architecturaux que ceux de la Neustadt strasbourgeoise ont quasiment

tous été complètement rasés sous les bombes des intenses bombardements alliés de 1944 et de 1945. À l’exception d’une partie de Wiesbaden, tout a disparu…

Ultime clin d’œil aux véritables génies concepteurs de la Neustadt : la cathédrale, qui jusqu’alors ne se découvrait qu’avec le faible recul dont on dispose depuis le bas de la rue Mercière, est soudain apparue sous un jour inédit et majestueux. En témoignent les perspectives enfin ouvertes sur l’élégance inouïe de sa flèche comme celle, superbe, de l’avenue de la Paix ouverte perpendiculairement à l’axe de l’avenue des Vosges lors de l’édification de la Neustadt strasbourgeoise.

ENCORE PLUS OR NORME Retrouvez les compléments du dossier Neustadt & Tram Kehl sur l’article en ligne : la galerie photo complète ainsi que des clichés issus des archives de la Ville de Strasbourg.

Retrouvez tout Or Norme sur notre site internet www.ornorme.fr et via notre application gratuite.


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Le premier adjoint au maire de Strasbourg, chargé entre autres de la culture, est aussi le président de la CTS. Il était donc l’interlocuteur idéal pour évoquer l’arrivée du tram à Kehl et le futur classement de la Neustadt au patrimoine mondial de l’UNESCO…

ALAIN FONTANEL ‘‘ Ici, on construit des ponts, plutôt

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Texte : Alain Ancian

que des portes qui se ferment...’’

Or Norme / On l’a souligné dans notre dossier, l’arrivée du tram à Kehl a une portée qui va bien au-delà de son utilité première, le transport des voyageurs de part et d’autre du Rhin… Assurément. C’est d’abord une révolution urbaine car ce tram va irriguer en profondeur une zone de friches industrielles qui avait été délaissée ; elle a très longtemps été une zone tampon, entre la France et l’Allemagne. Au point qu’il a longtemps fallu beaucoup de temps pour se rendre au bord du Rhin, avec un cheminement malaisé, toutes époques confondues. Ce projet qui voit le jour, c’est l’affirmation de la construction, au-delà des logiques administratives nationales, d’une métropole et d’un bassin de vie transfrontaliers. Grâce à ce projet et dès son origine, la fréquence et les habitudes de travail en commun avec les autorités de Kehl se sont fortement intensifiées. Il y a plein d’Allemands qui habitent Strasbourg et de plus en plus de Strasbourgeois qui habitent à Kehl, alors les problématiques de crèches, de garderies, de piscines, de médiathèques, de transports sont communes.

On les appréhende désormais ensemble et le tram qui arrive à Kehl, c’est aussi cette opportunité de dire : on fait partie du même bassin de vie, on partage des loisirs, du travail, de l’emploi, donc on a besoin d’infrastructures communes. Ce qui veut dire aussi qu’à terme, dans dix ou vingt ans, on aura besoin de structures de gouvernance communes. On a un seul destin, désormais. Or Norme / Au fond, ces deux projets, le tram arrivant en Allemagne et le classement de la Neustadt au patrimoine mondial de l’Unesco ont une puissante logique commune… Oui. Avec ces deux projets on boucle la boucle de notre histoire, en quelque sorte. Ce tram a été créé sous la période allemande et en 1897, pour la première fois, il franchissait le Rhin pour aller jusqu’à Kehl. On le supprime au lendemain de la Première Guerre mondiale en séparant en deux les réseaux allemand et français. Alors qu’il n’y avait pas le moindre obstacle physique entre les deux, les 300 mètres


de rail sur le pont n’ont plus été utilisés. Les gens descendaient, finissaient à pied, et remontaient dans l’autre tram, de l’autre côté. Aujourd’hui, on n’inaugure pas un tram allemand qui passe en France, ni un tram français qui passe en Allemagne, on inaugure un tram européen, francoallemand, qu’on a construit ensemble. Eh bien, la Neustadt, c’est le même symbole. C’est la ville allemande qu’on a construite sur les décombres et le traumatisme du siège de 1870. C’est la vitrine de la ville allemande, elle est même payée par les dommages de guerre versés par la France. Aujourd’hui, alors qu’on l’a mal aimée depuis 1918 pratiquement jusqu’aux années 70, alors qu’on a failli détruire le Palais du Rhin au début des années 50 parce qu’il avait abrité la Kommandantur allemande durant l’occupation, on met en valeur ce formidable moment de l’histoire de notre ville. À l’époque, grâce à l’édification de la Neustadt, la superficie de Strasbourg est multipliée par trois et le nombre d’habitants double ! C’est une vitrine du savoirfaire allemand avec la nourriture des esprits, l’Université, et l’entretien des corps avec les Bains municipaux, sans oublier les loisirs et la culture avec le Palais des fêtes, le tram de l’époque qui accompagne les incroyables transformations de la ville : on a bien affaire là à la réalisation d’un projet hautement politique. Cette ville symbole de l’occupation allemande, longtemps rejetée par la population alsacienne, Strasbourg et les Strasbourgeois vont, à partir des années 80, peu à peu la reconsidérer pour finir par se dire qu’elle présente un intérêt majeur pour leur image car, au fond, elle fait partie d’eux-mêmes, c’est une part de leur identité. Dans les années 60, la démolition de l’hôtel de la Maison Rouge place Kléber et celle du quartier des Halles, pas très loin, avaient été vécues comme un vrai traumatisme quant à la protection patrimoniale. Peu à peu, au fil du classement des bâtiments, on aboutit à ce projet de classement de la Neustadt au patrimoine mondial de l’Unesco. C’est un renversement de l’histoire, en quelque sorte, puisque Strasbourg demande la protection du classement au patrimoine mondial de la ville dite allemande qui s’était greffée sur la ville française, payée à l’époque par le France au titre des dommages de guerre, et qui est aussi le dernier vestige de cette période architecturale puisque, par ailleurs, en Allemagne, tout a été détruit par les bombardements de la fin du conflit mondial. Or Norme / C’est un message très fort que ces deux événements adressent…

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Oh oui ! Il est clair : Strasbourg est une ville européenne, une ville rhénane. Strasbourg a ce message à envoyer à toute l’Europe : ici, au moment où les frontières se ferment, nous construisons des ponts, nous rapprochons des identités plutôt que de les opposer les unes aux autres. Aujourd’hui, c’est comme si presque tout le monde en Europe avait oublié pourquoi nous sommes ensemble.

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Texte : Jean-Luc Fournier

Photos : Or Norme - DR

EXPLOITATION DE L’ANIMAL Strasbourg doit-elle interdire les cirques qui utilisent les animaux sauvages ? Des voix de plus en plus nombreuses s’élèvent contre l’exploitation animale en général, et plus particulièrement dans les cirques. À Strasbourg, les incidents entre anti et pro animaux se multiplient depuis plusieurs mois. Un dossier qui, l’air de rien, fait écho à une prise de conscience naissante de nouveaux rapports à mettre en place entre l’homme et l’animal… our la deuxième année consécutive, la période des fêtes de fin d’année a été le théâtre d’une confrontation mouvementée entre les associations et particuliers qui s’opposent à l’utilisation des animaux sauvages par les cirques et ces derniers. En décembre 2015, sur le parking de la Vigie à Ostwald, le réalisateur animalier strasbourgeois Pierre Mann était présent, parmi les manifestants qui scandaient quelques slogans : « Les gros bras du cirque Zavatta sont vite arrivés » se souvient-il. « Très menaçants, ils ont arraché les tracts des mains des manifestants et un portable a volé à terre. Heureusement, la police était sur les lieux… ». Scénario presque identique à Noël dernier, cette fois-ci au Wacken. Avec une « innovation » de très grande classe puisque, pour empêcher une équipe de France 3 de réaliser une interview télévisée des manifestants, les responsables du cirque Bouglione ont trouvé intelligent de diffuser, à tue-tête là encore, des… chants nazis, dont le tristement célèbre Heidi, Heido, Heida,

très nettement audible sur une vidéo captée par un téléphone mobile. UN DÉBAT CLIVANT Ces escarmouches témoignent d’une remise en cause de plus en plus fréquente de l’utilisation des animaux sauvages dans les criques. Pierre Mann est intarissable sur ce sujet : « Oui, il serait temps de mettre fin à des pratiques d’un autre âge » commente-t-il. « Les cas de maltraitance sont légion, loin des affirmations des propriétaires des cirques qui prétendent qu’ils sont dressés en douceur. Le dressage coercitif existe bel et bien, mais il est pratiqué à l’abri des regards extérieurs. Jamais, dans la nature, un éléphant ne se mettra en équilibre sur une patte ou sur un tabouret. Jamais un tigre ne sautera à travers un cerceau de feu, un élément qu’il fuit somme la peste, au contraire. Alors, pour y parvenir, il faut « casser l’animal » et pour ça, on utilise des aiguillons (les ankus), des bâtons, des barres de métal. Ce sont fréquemment de véritables rouées de coup. Et pour que le public ne se rende compte de rien durant les représentations, ces ankus sont camouflés sous l’apparence de simples cannes, avec des pompons… » Un autre volet de la violence à l’encontre des animaux sauvages : leurs conditions de vie et de transport, tout au long de l’année. « Aucun cirque ne peut fournir aux animaux sauvages de réelles conditions de bien-être dans le cadre de leur détention. Ces structures ambulantes impliquent leur séquestration dans des espaces de confinement restreints, sous la canicule ou lors des froids glaciaux en hiver. Les fauves vivent dans des cages à peine plus grandes qu’eux, on enchaîne les éléphants.


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Cette vie de confinement se remarque car elle provoque des mouvements réflexes répétitifs, qui sont la preuve d’une souffrance psychique chronique. Les circassiens eux-mêmes appellent cela « la folie des cirques ».

‘‘Il est évident que l’incarcération, les déplacements constants, le dressage et les performances de ces animaux leur font endurer de la souffrance physique et psychologique grave.’’ — Daniel Turner, vétérinaire, membre de la Fondation Born free

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Texte : Jean-Luc Fournier

Photos : Or Norme - DR

De leur côté, les défenseurs du cirque « ­traditionnel » (comprenez, cirque avec a ­ nimaux sauvages), s’élèvent avec véhémence contre « les Animalistes » comme le dit avec virulence Roland Gutleben, président pour le Grand-Est du Club français du cirque, une association « qui regroupe des passionnés de cirque de tous âges et toutes

Colloque international Un colloque international sur la relation homme-animal, intitulé « Les études animales sont-elles bonnes à penser ? (Ré)inventer les sciences, (re)penser la relation homme/animal », aura lieu à Strasbourg du 8 au 10 novembre prochains.

professions ». En fait, cette structure exerce bel et bien un lobby efficace en faveur du maintien du cirque avec animaux sauvages, comme en témoignent deux pages d’argumentaire et un nombre important de copies pdf d’articles reçues par mail dans les deux heures qui ont suivi notre entretien téléphonique. Roland Gutleben reconnaît qu’ici ou là « dans quelques petits cirques » les animaux peuvent être maltraités. « Mais ce ne sont qu’un petit nombre de cas, on généralise trop… Les cirques ont fait d’énormes efforts sur les méthodes de dressage et sur les conditions de vie des animaux sauvages. Le terme maltraitance est employé par des associations comme Code Animal qui sont en fait des écologistes radicaux. Ils considèrent l’animal comme l’égal de l’homme et partant de là, ils estiment que

l’homme n’a pas le droit d’utiliser l’animal pour son propre plaisir…. » Quand on évoque la position sans ambiguïté de la Fédération des Vétérinaires d’Europe (la FVE représente 46 organisations dans 38 pays -ndlr) qui, le 6 juin 2015, a recommandé « l’interdiction de l’utilisation d’animaux sauvages dans les cirques à travers l’Europe », Roland Gutleben évacue l’argument d’une courte et unique phrase, très étonnante : « Je ne les connais pas… ». Avant de poursuivre : « On prétend que les animaux sont malheureux. Mais ce n’est pas vrai, il faut voir les efforts qui ont été faits ces dernières années par de grands cirques comme Grüss, par exemple qui offre à ses animaux sauvages des enclos surdimensionnés et des espaces où ils peuvent se mouvoir lorsque le cirque est en ­représentation… » Farouche partisan de l’interdiction des cirques avec animaux sauvages, Pierre Mann a été invité à visiter les installations du cirque Grüss, sans doute dans l’espoir de le convaincre qu’il faisait fausse route. « J’ai été très bien accueilli par Georges Kobann, son directeur » précise-t-il. « On m’a montré des cages effectivement un peu plus grandes que celles qu’on connaît bien habituellement. OK. Mais leur zèle est allé jusqu’à me montrer un enclos, vaste effectivement, dans lequel évoluaient, ensemble, des lions et des tigres. La preuve absolument évidente que ces animaux sont « cassés » psychologiquement. Dans la nature, essayez donc de cloîtrer ensemble un lion et un tigre. Dans le quart de seconde, ils vont s’étriper mutuellement, n’importe quel expert animalier le sait… » Pour finir, quand on lui fait remarquer que de plus en plus de villes interdisent par le biais d’arrêtés municipaux la présence sur leur territoire de cirques utilisant des animaux sauvages, Roland Gutleben fait remarquer qu’il s’agit là d’une minorité de communes. « UNE IMPORTANTE QUESTION D’ÉTHIQUE » Il a raison. Dans le Bas-Rhin, seules les communes d’Illkirch-Graffenstaden et Truchtersheim ont franchi le pas. En France, 44 communes ont pris un tel arrêté. De nombreuses autres y pensent. Strasbourg aussi ? « Non » répond Christel Kohler, adjointe au Maire de Strasbourg, en charge, notamment, de ces questions. « Interdire dès à présent les cirques avec animaux sauvages serait une


‘‘Les fauves vivent dans des cages à peine plus grandes qu’eux...’’ En haut / Pierre Mann En bas / Christel Kohler, adjointe au Maire de Strasbourg

23 pays ont totalement interdit les cirques utilisant des animaux sauvages (parmi eux, des pays comme la Belgique, l’Autriche, le Danemark, la Finlande, la Suède, les Pays-Bas…) 15 autres pays ont émis des interdictions partielles, le plus souvent venant de grandes villes, comme Buenos-Aires, Santiago, Barcelone. La dernière en date, il y a quelques semaines, est Madrid.

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Photos : Or Norme - DR Texte : Jean-Luc Fournier OR SUJET

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‘‘Dans la nature, essayez donc de cloîtrer ensemble un lion et un tigre. Dans le quart de seconde, ils vont s’étriper mutuellement, n’importe quel expert animalier le sait…’’

12 000 spectateurs C’est l’estimation du nombre de spectateurs qui assistent annuellement aux représentations de l’ensemble des cirques sur le territoire de la ville de Strasbourg

décision trop brutale. J’ai réuni toutes les parties concernées en janvier dernier, les représentants des grands cirques Grüss, Bouglione et Médrano -et leurs avocats- étaient là, tout comme les défenseurs des animaux sauvages, les représentations des administrations dont ceux de l’Eurométropole et ceux des services de la Ville de Strasbourg. Une charte va entrer en application en mai prochain et elle sera axée sur le bienêtre animal sous tous ses aspects, le transport, la détention, l’exhibition. Je peux d’ores et déjà vous indiquer qu’on va désormais contrôler tout ça de très près. Un vétérinaire, mandaté par mes

services, pourra inspecter à tout moment les installations des cirques et les conditions qui sont faites aux animaux sauvages qu’ils utilisent… » Pour l’heure, la Ville de Strasbourg ne soutient que ces seules dispositions. Mais Christel Kohler ne semble être dupe de rien quand elle commente : « Je reconnais que c’est une importante question d’éthique qui se pose ainsi. Le XXIe siècle sera le siècle où l’homme prendra vraiment conscience de toutes les conséquences de l’exploitation de l’animal qu’il pratique. À titre personnel, je pense que les animaux sauvages sont vraiment exploités dans les cirques. La charte sera une garantie : nous n’accepterons aucun débordement, aucun écart » ajoute-t-elle fermement avant d’affirmer, en conclusion : « Je réfléchis actuellement sur les moyens d’encourager d’autres cirques qui ont une approche non-animalière à venir régulièrement à Strasbourg… »


43 ‘‘Le XXIe siècle sera le siècle où l’homme prendra vraiment conscience de toutes les conséquences de l’exploitation de l’animal qu’il pratique’’


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Texte : Jean Luc Fournier

Photos : Henry Vogt

Il y a les animaux de bonne compagnie, mais aussi ceux que l’on dévore, que l’on grille un soir d’été, que l’on regarde au cirque, qui nous portent ou nous font rire, les sauvages et les autres. Qu’ils soient les meilleurs amis de l’homme ou des vaches à lait, ils ont tous un point commun qu’ils partagent avec l’être humain : ils souffrent. L’avis de Jean-Marc Neumann, spécialiste de la question animale...

MARC NEUMANN La relation entre l’homme & l’animal Or Norme / Gandhi disait « on reconnaît le degré de civilisation d’un peuple à la manière dont il traite ses animaux », alors, la France est-elle un pays civilisé ? La France a fait des progrès, mais elle ne peut pas se targuer d’être un modèle en matière de protection animale. Au nom de traditions, elle est encore l’un des rares pays à pratiquer des exploitations très douloureuses, voir létales, alors que le Code pénal reconnaît ces actes de cruauté. Or Norme / Qu’est-ce qui vous met le plus en colère ? Ce que l’on a vu dans les vidéos de L214, les conditions d’abattage. On parle de millions d’animaux chaque année et cela se passe derrière des murs clos. Et les fermes industrielles qui se développent. Les conditions d’élevage sont effrayantes, ce sont des animaux qui ne voient pas la couleur du pré. Les fermes traditionnelles ne produisant qu’à petite échelle, soit il y aura une forte réduction de la consommation de viande et ceux qui resteront à la viande pourront se nourrir avec les fermes familiales, soit les fermes industrielles auront de plus en plus de pouvoir. Or Norme / Pensez-vous que la population a pris conscience de quelque chose ? Oui, mais elle ferme les yeux, elle pense que les animaux sont bien traités, ça donne bonne conscience. Quand on lui

montre des images de cruauté ou de sadisme, la population est choquée et certains changent leurs habitudes alimentaires. Les choses évoluent, dans l’esprit des jeunes notamment. Les restaurants végétariens et vegans se multiplient. Comme on dit, si 10% sont convaincus par une idée, on ne l’arrête plus : nous n’en sommes pas encore là, mais un jour, on y arrivera. » Jean-Marc Neumann est vice-président de l’association « Droit Animal éthique et sciences ». En 2015, il a créé une unité d’enseignement à l’université de Strasbourg.

ENCORE PLUS OR NORME Retrouvez l’interview vidéo intégrale de Marc Neuman sur le site www.ornorme.fr.



BRASSERIE LA MERCIÈRE

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Texte : Jean Luc Fournier

Photos : Alban Hefti

‘‘On n’a qu’une envie : nous éloigner.’’ Sur fond de polémique avec le maire du village, d’audience pour diffamation en correctionnelle, de déménagement sur un futur site loin de Niederhausbergen et d’opération de soutien par le biais du crowdfunding, retour sur une histoire peu banale (heureusement, sous certains aspects…) qui, mine de rien, pourrait presque s’assimiler à un fait de société très contemporain… Oui, l’histoire était belle. Jusqu’à l’été dernier. Elle était belle parce qu’elle mettait en scène un jeune couple de passionnés pour qui le « projet de vie » compte bien plus que le statut social ou un confortable compte bancaire. Deux ans plus tôt, Franck Julich fêtait ses 30 ans. Ses amis, qui lui ont alors offert un kit de brassage amateur, ne pouvaient peut-être pas deviner que le jeune trentenaire allait se prendre au jeu et créer de toutes pièces sa propre microbrasserie ! Un an plus tard, la SARL La Mercière (du nom de la petite rue de Niederhausbergen où Franck, son épouse Imène et leurs trois jeunes enfants habitent) voyait le jour… UNE BELLE PROGRESSION PUIS… Une modeste production de 92 hectolitres pour une courte première année, puis 300 en 2015 et 700 l’an passé : la microbrasserie propose aujourd’hui dix bières différentes. Une production écoulée sans intermédiaire : soit sur place, à la brasserie, soit livrée directement dans les bars et restaurants connus du couple. Imène

précise volontiers que le plaisir est « de rencontrer nos clients. On ne sera jamais dans les ­supermarchés… » Ces débuts plus qu’encourageants ne vont cependant pas sans procurer leur lot de décisions à prendre. En tout premier lieu, celui du lieu d’exploitation. La maison et ses modestes abords de la rue de la Mercière se révèlent bien vite plus du tout appropriés pour faire face à l’augmentation de la production. En songeant à aménager sa nouvelle microbrasserie sur un terrain familial de 40 ares dans le village, à 500 mètres du site actuel, là même où son grand-père avait implanté sa menuiserie, Franck imagine aussi y installer une micromalterie bio et un lieu de vie (épicerie bio et bar). D’autant plus nécessaire à ses yeux que Niederhausbergen en est dépourvu, seul un restaurant n’ouvrant qu’aux horaires de repas étant en fonction. L’enthousiasme de départ va vite tourner à la polémique. Franck rencontre le maire, JeanLuc Herzog, et c’est une douche froide : « Ma famille est présente au village depuis quatre générations », raconte le jeune brasseur. « Ce terrain appartient à mon grand-père qui y avait développé quelques activités artisanales. Pour des raisons qui remontent à trop longtemps pour être tout à fait claires aujourd’hui, son classement n’a jamais été officialisé en terrain constructible, il est resté en classement agricole, c’est-à-dire non constructible. Le maire de l’époque n’y voyait aucun inconvénient et pensait régulariser la situation ultérieurement… Mais pendant longtemps, l’activité de l’entreprise de mon grand-père n’a gêné personne. Un peu partout, les exemples


de terrains à vocation agricole qu’on reclasse en constructif sont courants. Je pensais donc qu’en y installant la brasserie, la micromalterie et ce lieu de vie, tout le monde y trouverait son compte… » LA POLÉMIQUE Ce n’était pas l’avis du maire de cette petite commune de Niederhausbergen. « Dès le début, j’ai précisé à Franck que ce terrain ne serait pas reclassé en « constructible », raconte fermement Jean-Luc Herzog. « Ce terrain est situé sur ce que j’appelle un cheminement doux, c’est-à-dire vélo et piéton. Il n’a pas d’accessibilité routière, pour cela il faudrait créer un quatrième bras d’accès à partir d’un rond-point, il n’est pas viabilisé et il est situé sous des lignes à haute tension. De plus, la création d’un point de vente d’alcool à proximité

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d’un établissement scolaire est réglementée par la loi. Or une école est attenante au terrain. Voilà pourquoi le PLU (Plan local d’urbanisme-ndlr), même révisé récemment, l’a maintenu en classement agricole. Tout cela, je l’ai dit à Franck, il le sait parfaitement. Je lui ai même proposé un autre terrain mais ma proposition est restée lettre morte… » C’est sur ces bases que la polémique a enflé. Le couple, stupéfait dans un premier temps, se renseigne et réagit : « Électricité de Strasbourg nous a confirmé que la réglementation sur les lignes à haute tension n’empêchait en rien notre projet, la loi de protection de la jeunesse prévoit une distance minimale de 100 mètres entre le point de vente d’alcool et l’établissement scolaire,

En haut / Imène et Franck Julich

800 C’est le nombre de microbrasseries enregistré en France en 2013 (dernière statistique connue). Elles produisent 2% de la production totale de bière de notre pays (plus de 21 millions d’hectolitres).


Photos : Alban Hefti

on est dans les clous là-dessus aussi. Quant au terrain effectivement proposé, il ne convenait pas du tout à l’activité envisagée… »

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Texte : Jean Luc Fournier

L’été dernier, le site d’information Rue89 Strasbourg publie plusieurs articles sur l’affaire et outre les propos de Franck et Imène Julich, cherche à recueillir l’avis du maire de Niederhausbergen. Celui-ci ne donne pas suite aux demandes d’interview. Des dizaines d’internautes commentent abondamment cette affaire inédite et ne mâchent pas leurs mots sur le côté presque stupéfiant d’un maire qui, selon eux, entrave la création d’une activité artisanale dans sa commune pour des raisons qu’ils estiment bien légères.

70 000 € en crowfunding L’objectif initial que s’étaient fixés Franck et Imène Julich a été atteint le 13 mars dernier, une semaine avant le bouclage de l’opération de crowdfunding qu’ils avaient lancée via la plate-forme Bulb in Town. Cette somme leur permettra de s’installer sur le nouveau site, près de Wasselonne et de pouvoir, enfin, développer leur projet de vie.

Sur ce point, ils sont rejoints par Bernard Stalter, le président de la Chambre de métier d’Alsace, qui, informé de l’affaire, écrit, le 8 juillet dernier, un courrier au maire pour tenter d’infléchir sa décision et dans lequel il lui demande de réétudier ce projet qui « formerait un lieu de vie, favoriserait les échanges et créerait du lien social. » Des paroles de bon sens qui laissent Jean-Luc Herzog de marbre : « M. Stalter n’est pas maire d’une commune, il n’a pas à s’immiscer dans un tel dossier. D’ailleurs, il a beaucoup regretté l’envoi de cette lettre depuis… », rétorque mystérieusement le maire qui, par ailleurs, est vice-président de

l’Eurométropole en charge, notamment, de… l’artisanat (!). Au début de l’automne dernier, le PLU de l’Eurométropole de Strasbourg, potentiellement révisable, fait l’objet de la réglementaire enquête publique. Concernant Niederhausbergen, le commissaire-enquêteur émet officiellement une réserve sur le refus du maire de classer ce terrain en constructible pour accueillir l’entreprise artisanale de La Mercière, en se basant sur une potentielle création d’emploi. « Il ne m’a même pas rencontré… », commente le maire. Le PLU ne sera cependant pas modifié pour autant. Pour répondre à certains arguments alors sous-entendus sur des projets communaux relatifs au fameux terrain, Jean-Luc Herzog affirme que « jamais la commune n’y construira quoi que ce soit. Le terrain retournera à sa vocation agricole. » Ultime épisode. Le maire de Niederhausbergen finit par attaquer le couple en correctionnelle (selon lui, plusieurs commentaires diffamants sont restés longtemps en ligne suite au relais des articles de Rue89 Strasbourg sur la page Facebook de la brasserie). L’audience a eu lieu le 9 mars dernier. Selon Rue89 Strasbourg, « la vice-procureure a avoué qu’une affaire comme celle-ci aurait dû être classée sans suite. (…)



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Texte : Jean Luc Fournier

Photos : Alban Hefti

Au dessus / Le terrain du litige

Après un réquisitoire de trente secondes, elle demande au tribunal que Franck Julich soit condamné à une amende de 800 €, intégralement assortie du sursis », précise le site d’information. Après que l’avocat de Jean-Luc Herzog ait demandé 5 000 € au titre des dommages et intérêts, le jugement a été mis en délibéré au 10 mai prochain… AUTOCRATIE ? Entre-temps, devant le blocage total de leur projet, Franck et Imène ont tiré les conclusions qui s’imposaient. « Devant cet entêtement que je persiste à trouver scandaleux », dit Franck, « car une toute simple décision politique aurait permis de créer un lieu de vie profitant à tout le monde dans la commune, Imène et moi avons décidé de nous expatrier loin de cette métropole où les décideurs sont totalement déconnectés de tout. Avant tout ça, j’étais très loin de la politique mais là, maintenant, on n’a qu’une envie : nous éloigner… » À 40 km de Niederhausbergen, une petite commune, près de Wasselonne, est prête à favoriser l’installation de la brasserie, de la micromalterie et d’un biergarten dans un écrin de verdure où se dressent un ancien restaurant et une salle de bal. « On nous attend les bras ouverts, tout le monde est enchanté, ça nous change des derniers mois vécus ici… », se réjouit Imène.

À Niederhausbergen, quelques habitants nous ont longuement parlé de la tendance à l’autocratie du maire du village, un homme « qui n’écoute rien ni personne et qui impose ses décisions à tout le monde, ses propres conseillers municipaux y compris », nous ont-ils dit. « Je connais ces gens, ils ne sont qu’une poignée, tout se sait dans une petite commune », rétorque Jean-Luc Herzog, qui campe sur la légalité juridique de sa décision, soutenue par ses quinze conseillers municipaux. On laissera la conclusion de la narration de cette surprenante histoire à une jeune mère de famille rencontrée lors d’une de nos visites dans le village. Évoquant la brutale décision municipale de ne pas autoriser la traditionnelle fête annuelle de carnaval en février (« les gamins de Niederhausbergen, depuis des générations, se déguisent et se battent à grands coups de poignées de confettis… »), notre interlocutrice évoque l’éventuelle raison de l’état d’urgence. Mais fait aussitôt remarquer, avec un soupir fataliste : « À ­Mittelhausbergen, à à peine plus d’un kilomètre d’ici, cette fête a bien eu lieu et les gosses s’en sont donné à cœur joie. À Nieder, on l’a refusée à nos enfants… »



DROIT DES FEMMES

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Texte : Véronique Leblanc

Photos : Franck Horand - Or Norme DR

‘‘Le monde pour lequel nous nous sommes battues n’est pas arrivé.’’ Artistes toutes les deux, Sonya Oster et Cat L. Meyer ont toujours réfléchi à la place des femmes dans la société et agi pour qu’elle évolue. Mais que pensent-elles de ces femmes qui, de leur plein gré ou malgré elles, émergent dans l’actualité politique de ces derniers mois ? Réactions « à chaud ». emme de théâtre connue pour interroger inlassablement les questions de genre, la directrice artistique de la compagnie Calamity Jane, Sonya Oster, est du genre cash. Quand on l’interroge sur l’image des femmes véhiculée par les campagnes présidentielles américaine et française, elle évoque directement Marine Le Pen, une candidate qui fait la course en tête devant les hommes mais dont le programme est tout sauf la tasse de thé de Sonya. « Comment tu fais pour parler d’elle quand tu es féministe ? », demande-t-elle. On peut toujours essayer non ? Alors on y va même si on ne sait pas où on va. « On sent que Marine Le Pen a réfléchi au fait qu’elle est une femme en politique et qu’elle a construit son image, poursuit Sonya, mais elle a l’intelligence de ne pas en parler et, surtout, elle ne se pose pas en victime. » Tout juste peut-on relever que son staff la nomme systématiquement « Marine », ce qui à la fois la distingue de son père et induit une proximité subliminale avec les électeurs. Un « petit jeu » auquel ne se livreraient pas les candidats masculins.

LE CAS « LE PEN » Le « cas Le Pen » pose aussi un problème à la plasticienne Cat L. Meyer. « Pour une femme, ­Marine Le Pen pourrait être un exemple, confirme-t-elle, c’est la seule femme parmi les candidats et elle fait la course en tête, à la fois sans renier sa féminité et sans en jouer. » Mais – et c’est un grand mais - son discours et ce qu’elle défend ne sont pas compatibles avec cette dimension d’émancipation qui a marqué les luttes féministes. « Que fait-on avec ça ? » Tant pour ­Sonya que pour Cat, la question reste en suspens... Et elles s’en tiennent à l’essentiel, le programme pour elles rédhibitoire d’une candidate qui incarne à leurs yeux un monde fermé, crispé, porteur de dangereuses régressions sociétales. « Carrément patriarcal », dit Sonya. PÉNÉLOPE FILLON, « ON EN VIENT À LA PRENDRE EN PITIÉ » Vedette malgré elle de la campagne pour la présidentielle française, Pénélope Fillon les interpelle elle aussi. Selon elles, elle symbolise le « bon vieux schéma classique », une « vision archétypale et patriarcale du couple ». Sans même tenir compte de la question de son emploi fictif ou non, elle apparaît tellement dans l’ombre de son mari « qu’on en vient à la prendre en pitié », disent-elles en substance, ce qui est un comble pour des féministes convaincues qui se sont battues pour leur autonomie. À droite / Cat L. Meyer


MELANIA TRUMP, « LE TROPHÉE » Quant à Donald Trump et ses propos de campagne outrancièrement misogynes, il « fait flipper » Cat parce qu’il « correspond à quelque chose qu’on a zappé, la sous-culture des reality shows où les jeunes femmes affichent une “sexitude“ très en vogue et se rêvent mariées très tôt à un homme riche. » Melania, désormais Première dame des États-Unis d’Amérique, lui apparaît comme le « trophée » marquant aux yeux du monde la suprématie d’un homme blanc, riche, parvenu au faîte de ses ambitions. « Tout ce qu’on lui demande c’est d’être une potiche décorative qui ne la ramène pas et qui reste la plus muette possible. » À mille lieues d’une Michelle Obama qui « n’avait rien d’un faire-valoir et qui a porté son mari mais autrement que par un physique avantageux. » Elle a agi par son charisme et son intelligence car « savoir c’est pouvoir », insiste Cat pour qui l’éducation est fondamentale. « Il faut apprendre à nos filles ce qu’ont été les combats de nos mères et nos grands-mères, leur expliquer ce qu’a été

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‘‘Donald Trump fait flipper car il correspond à quelque chose qu’on a zappé, la sous-culture des reality shows’’


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Texte : Véronique Leblanc

Photos : Franck Horand - Or Norme DR

En haut / Elles manifestent à Strasbourg aussi...

l’émancipation, leur dire qu’on doit se donner les moyens d’avoir le choix. Ce qui me perturbe, » conclut-elle, « c’est qu’on en soit encore à se poser la question du féminin. » ENTRE PENSÉES RÉGRESSIVES ET SCIENCE-FICTION Comme en écho, Sonya est elle aussi prise d’une sorte de vertige. « On est au XXIe siècle et c’est comme si le monde pour lequel nous nous sommes battues n’était pas arrivé alors que tout était en place pour qu’il advienne. Tous les signaux étaient au vert et nous en sommes là : même pas à un feu rouge mais carrément en marche arrière. Les pensées régressives ont le vent en poupe et c’est d’autant plus troublant que, dans le même temps, la science a basculé dans ce qui était pour nous de la science-fiction. Ce décalage crée un gouffre qui engendre de la peur. Or la peur est dangereuse parce qu’elle tétanise. Moi, je ne veux pas m’y résoudre. » « GARDER LA NIAQUE ! » « Nous, les artistes, il faut qu’on montre des évolutions potentielles parce que c’est dans l’impasse qu’il faut réfléchir aux possibles », ditelle. « Le féminisme a toujours été présent dans mes spectacles et le restera. Je veux continuer à travailler sur ces thématiques dans la transdisciplinarité, œuvrer pour des temps ouverts, garder la niaque ! » La niaque, Cat l’a toujours elle aussi. C’est elle qui a créé la page « Que des good news » sur Facebook parce que c’est « AUSSI » la réalité

et qu’aujourd’hui plus que jamais, « il faut lutter contre la morosité du quotidien. » Le principe est de ne publier que des informations positives, des signes de progrès, des encouragements à aller de l’avant. Le féminisme n’y est pas très présent constate-t-elle, ce sont plutôt les thématiques liées à l’environnement qui ont le vent en poupe… « Mais », souligne Cat, « ce qui est féministe dans la démarche c’est de ne pas se focaliser sur les actions portées par des femmes ou pour les femmes. » « RECONSTRUIRE DES FUTURS » « Une femme n’est pas le sous-produit d’un homme », conclut-elle avant de souligner qu’« être féministe c’est aussi avoir le droit de vote et ne pas oublier que ce droit, nous l’avons conquis il n’y a pas si longtemps. Voter est aussi un pouvoir et je me fais un devoir de voir ma carte d’électrice tamponnée à chaque scrutin. C’est ce que nos aînées nous ont légué. Nous avons la responsabilité d’user de cet acquis car… rien n’est jamais acquis. » Cat termine sur une note d’optimisme : Camille Claudel a enfin son musée ! Sonya, pour sa part, est plongée dans un ouvrage collectif intitulé : « Les potentiels du temps, Art et politique », « une contribution à la bataille qui s’engage au début du XXIe siècle pour reconstruire des futurs dans une époque hantée par des idéologies de fin du monde. » « C’est ce genre d’écrits qui m’inspire », annonce-t-elle. Rendez-vous sur les planches.


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EVA KLEINITZ Le cœur à l’ouvrage

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Texte et photos : Éric Genetet

L’Allemande Eva Kleinitz, 44 ans, sera l’été prochain la première femme à diriger l’Opéra national du Rhin. Elle fait des allers-retours entre Stuttgart et Strasbourg depuis un an en attendant de s’installer définitivement en septembre. Avant la présentation de la nouvelle saison, rencontre express autour d’un café, avec une femme souriante, détendue, mais déterminée. Pour beaucoup, elle incarne le renouveau, et l’Opéra du Rhin pourrait bien y trouver un nouveau souffle. Or Norme / Êtes-vous une femme pressée ? En ce moment, évidemment. Je suis encore en train de gérer l’Opéra de Stuttgart. Je ne suis pas une femme pressée, mais une femme avec deux cœurs, car dès que j’arrive ici, mon cœur est là, et je me plonge dans ce nouveau challenge et de l’autre côté quand je suis là-bas, mon cœur est avec mon équipe. Or Norme / Petite fille, à quoi rêviez-vous ? Je voulais être chanteuse. J’ai fait beaucoup de métiers différents au théâtre comme assistante à la mise en scène, dramaturge... et je me suis rendue compte que je préférais aider les artistes, leur apporter du soutien, un espace de confiance, qu’ils se sentent prêts pour des aventures qui peuvent aussi faire mal à un artiste. J’ai voyagé, j’ai travaillé dans différents endroits. Être

ici à Strasbourg, c’est différent, car j’ai toujours eu un petit penchant pour cette ville. J’avais huit ans quand je suis venue avec mes parents pour la première fois. Je me souviens de « Salomé » de Dieter Dorn en 1991, j’ai vu vraiment beaucoup de choses ici et j’ai toujours été fascinée par la qualité et l’audace de certaines productions. Je connais bien l’Alsace, il y a des artistes magnifiques, un très fort engagement artistique. Or Norme / Êtes-vous encore une artiste ? C’est une bonne question, parce que je n’aime pas le dire… Oui. Une artiste, mais humaine, prudente, avec de la sensibilité et de l’empathie pour les autres. Or Norme / Vous êtes la première femme à diriger l’Opéra du Rhin. Êtes-vous féministe ? Je ne suis pas une féministe au premier degré, mais je suis consciente du fait qu’une femme peut devenir un exemple pour d’autres. J’ai senti cela quand j’ai été élue présidente du réseau Opéra Europa en 2013. Or Norme / Et de l’Alsace, qu’aimez-vous ? J’adore le bibeleskaes. Je me souviens d’en avoir mangé un, il y a quelques années, après la première du « Chevalier à la rose » avec Marko Letonja, le chef d’orchestre de l’OPS ; je me réjouis de travailler avec lui chaque saison. Or Norme / Êtes-vous une femme heureuse ? Oui. Évidemment, parfois j’ai peur, c’est difficile, mais je suis très reconnaissante. J’ai eu la chance de naître pas loin d’ici, que mes parents m’inscrivent dans une école Steiner à Hanovre. J’y ai appris la musique et l’humilité. C’est cela qui me porte encore aujourd’hui.

Eva Kleinitz est diplômée de l’Université de la Sarre. Elle débute au Festival de Bregenz, puis devient directrice de production du Théâtre royal de la Monnaie de Bruxelles. Avant sa nomination en Alsace, elle était directrice adjointe de l’Opéra de Stuttgart.


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“Je connais bien l’Alsace : il y a des artistes magnifiques, un très fort engagement artistique."


COULISSES

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Texte : Charles Nouar

Photos : Jean-Louis Fernandez

Jour de Baal au TNS

L’envers du décor. Partir de cette envie de voir, dans un théâtre, le travail des équipes techniques, du créateur son à la costumière. Tout ou presque ce que l’on ne voit jamais d’un processus de création qui, du travail de production à la mise en lumière aura pris environ un an et demi pour Baal, dernière création de Christine Letailleur qui, avec le TNS, a accepté, le temps d’une journée, de nous ouvrir son univers. 10h30. Parvis du TNS. « Prêt ? ». « Oui . Bizarre. Me sentirais presque dans la peau du stagiaire de Troisième ». À l’écoute de ma conversation avec Chantal, la directrice de la communication du Théâtre, le mec de l’accueil sourit, avant de nous laisser rejoindre la salle Gignoux, où Baal se prépare pour le TNB de Rennes puis pour la salle Koltès du TNS. Baal : un voyage poétique, métaphysique ; la description d’une errance existentielle d’un homme qui, au sortir de la Première Guerre, « ne se soumet à aucune règle sociale, s’enivre de schnaps, de sexe et de poésie ». L’errance du jeune Brecht, auteur de la pièce, de son regard cru, presque acerbe sur une forme de post-déshumanisation guerrière.

« LE SON A BESOIN DE SILENCE POUR TRAVAILLER » Dans la salle, une petite dizaine de personnes s’affairent, se posent, attendent, envisagent, échangent. Certains sur scène, d’autres à la régie, face à un décor qui ne demande qu’à prendre vie. Julie Nowotnik, à la lumière, est la première à se présenter. Puis Ondine Trager et Stéphane Colin, créateur lumières pour le compte de la compagnie en résidence. Celle de Christine Letailleur, à qui, l’on doit entre autres, Hinkemann, de Ernst Toller et Les Liaisons dangereuses, de Choderlos de Laclos. Un peu plus loin, Stéphane Pougnand, assis face à deux écrans, gère la partie vidéo de la pièce. Dans la lumière de cette salle en éveil, l’homme confie l’importance de ces moments où se retrouvent ensemble les gens de la technique. Ceux où l’on cale les derniers « accords » entre image, son et lumière. Et puis entre deux mots échangés, deux mouvements, deux fourmis qui s’activent sur le plateau, le silence, essentiel au travail de création : « Le son a besoin de silence pour travailler », me confie alors Chantal. Dont acte. Passage derrière la scène. Petit local d’outillages sur la droite, escalier, arrivée en loges Gignoux. Face à nous, les costumes de Baal, pensées, créés selon les impératifs artistiques


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Photos : Jean-Louis Fernandez Texte : Charles Nouar OR BORD OR NORME N°24 Vibrations

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Effacer les deux premières lettres du mot ‘‘impossible’’ et budgétaires. Un point sur lequel reviendront quelques marches plus loin Antoine Dervaux et Élisabeth Kinderstuth, respectivement directeur technique adjoint et responsable de l’atelier couture et habillement au TNS, après un petit passage dans la loge maquillage : la dernière étape de création, conduite au fil des répétitions. Les dernières petites mains d’une équipe technique à laquelle s’ajoute encore le personnel en charge de la conception des décors : « Neuf permanents plus des intermittents en soutien », précise Antoine, après un rapide passage par l’un des ateliers techniques de la maison où se côtoient menuisier, serrurier, tapissier, spécialiste des matériaux composites... « Le travail sur le décor de Baal a débuté fin octobre pour une livraison en salle Gignoux mi-février, date des premières

répétitions ; Pour vous donner une idée du temps de travail, les maquettes des premiers spectacles de septembre sont quant à elles déjà en cours de réalisation », poursuit-il. Son plus grand défi technique ? La création d’une boîte de 6 m étendue à 9,5 m en fin de pièce, pour le Tartuffe de Stéphane Braunschweig, sourit l’homme dont le métier consiste à effacer les deux premières lettres du mot « impossible ». « C’EST CHAUD POUR STAN ! » Dans le couloir faisant face à son bureau, quinze croquis, quinze silhouettes intemporelles de Baal enchantent les lieux. Derrière la porte du fond, cinq à six femmes, couturières, tailleurs, habilleuses, s’activent sous la conduite d’Élisabeth. « Ces modèles ont été directement été créés par nos ateliers », explique-t-elle. Tout part là encore d’une maquette, le travail de Cécilia, costumière créatrice, en lien direct avec Christine Letailleur. De là, les choses s’affinent. Discussion sur le choix des imprimés, des textures, puis, selon les cas, création d’un patron ou d’un moulage en toile. Être cheffe d’atelier au TNS : un plaisir non dissimulé pour Élisabeth. Celui d’avoir fait de ses rêves


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Au dessus / On répète...

une réalité. Un peu à l’image de Stéphane, retrouvé un peu plus tard en Gignoux, qui ne cache pas un certain bonheur à travailler avec Letailleur, tant celle-ci prend soin d’intégrer le travail de création vidéo bien en amont de ses mises en scène. Un prérequis essentiel, pour elle, me confiera-t-elle autour d’un café de fin de journée, tant elle ne peut s’imaginer entamer le travail sur le texte sans en définir préalablement l’espace visuel. 14h00. Retour de pause déjeuner. En Gignoux, les comédiens ont fait leur apparition pour un premier bout-à-bout, où l’ensemble des composantes artistiques se regroupent pour la première fois. Derniers raccords. Verres de faux champagne – du colorant alimentaire dilué dans

du Perrier – distribués aux comédiens pour la première scène. Puis, Nordey et les siens entrent en scène. Gignoux se tamise, revêt son costume de Baal. Quelques « Textes ! », encore, envoyés, au souffleur par Stan, qui enchaîne les premières répliques sur fond de scènes forestières, de bistrot ou de toits d’usines, inspirées de l’expressionnisme et du cinéma allemand d’antan. 2h36 ininterrompues. Gignoux se rallume. Comédiens, équipe technique se réunissent pour écouter les premiers retours de Christine. « Juste quelques réglages » : « resserrer un peu le temps », « retravailler le tuilage avec le ciel rouge », « quelques trucs de rythme », « mieux soutenir le texte » à certains endroits, donner


une dimension « moins romantique », « plus charnelle, peut-être », à la scène entre « Eckart et Baal ». Affiner, aussi, le temps de circulation en coulisses – « c’est chaud pour Stan ! » - complète Karl, régisseur de la compagnie. Réparer, aussi, « le frein cassé de la baraque côté Jardin ». Mais tout cela « est normal à ce stade », « ça marche ! », se ravit Christine, « pas inquiète », tant la machine paraît déjà redoutablement bien huilée grâce au travail de chacun. Un travail qui se poursuivra dès le dîner passé et au cours des jours à venir. Gage, à n’en pas douter, de très beaux soirs de Baal à venir.

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Baal, de Bertholt Brecht, mis en scène par Christine Letailleur, au TNS du 4 au 12 avril.


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Texte : Charles Nouar

Photos : Terre Carbone

H E R V É


Kérac. Pas ma came musicale, au départ. Et pourtant, sans crier gare, on se laisse prendre par le charme de son premier album. Un combat de ring sentimental où, entre deux cordes de guitare sèche, Hervé offre une belle « Résistance » et oppose aux maux la force de ses mots.

L A B E L L E R É S I S TA N C E D E

K É R A C La première rencontre avec Hervé date – une fois n’est pas coutume – d’une invitation à dîner. De ceux où l’on ne connaît pas grand monde, mais assez enthousiasmants par la diversité de parcours des convives.

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Hervé était assez discret, un brin animal blessé, limite réfugié dans son coin, à l’écoute des murmures du soir, entre deux clopes consumées sur un petit bout de terrasse automnale. « Petit coup de blues momentané, passager », se confierat-il par après. Puis, le gars se met à parler de littérature. Passionné, au point d’enchaîner citation sur citation. Balzac, Maupassant, Hugo, Flaubert... Tout ou presque, ce qui généralement aurait dû me gonfler. Mais le mec s’illuminait tellement à

mesure qu’il se transformait en Even que j’en vins presque à me dire que p..., ouais, ils en ont de la chance ces gosses d’avoir un prof de littérature comme lui. Parce que, oui, Hervé, s’il est auteur, compositeur, interprète, est aussi – chose que je n’apprendrai qu’à mesure que les assiettes se videront – prof de français. L’un de ces mecs qui vous rappellent que la langue n’est pas que de vipère, Snap ou Messenger, mais qu’elle peut être belle, sensible, riche, touchante, percutante, et se décliner aussi en de bien jolis accords. SOUS L’AILE DE RODA Cette autre histoire parallèle, l’enseignement, a commencé il y a huit ans. Presque un joli bug de parcours après être passé par Wagram qui lui


Photos : Terre Carbone Texte : Charles Nouar OR PISTE OR NORME N°24 Vibrations

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‘‘Il n’y a pas d’amour heureux.’’ a fait signer une première maquette, avoir bu des verres et des verres de Sky à la Closerie des Lilas avec Jacques Lanzmann, Thierry Séchan, Renaud, Roda-Gil... Les grandes années Sorbonne et post-Sorbonne. De celles qui vous donnent des ailes, avec Roda, toujours, qui, à la lecture de ses textes, l’encourage, le prend sous son aile. Mais voilà, son diplôme de prof de Lettres en poche, Hervé quitte finalement les premières lumières de la scène parisienne après une trentaine de concerts. Mais pas à l’ombre des « Limelights », parce que le mec continue à composer, à écrire, pour d’autres. Loin des projecteurs. S’embarque aussi dans de nouvelles formes d’écriture : des poèmes, des romans, qui, inévitablement, sortiront un jour des tiroirs de son petit appart strasbourgeois. Strasbourg, sa ville de cœur qu’il n’a finalement quittée que le

temps d’associer un IV à la capitale et un VI à son arrondissement de fins de soirs. C’est marrant, mais à bien des égards – et bien que tous deux diffèrent – ce mec me fait de plus en plus penser à Nicolas Rey, à mesure que je le côtoie : vous savez, l’auteur – entre autres – d’« Un Léger passage à vide ». Leur côté « Cœur des hommes », peut-être. Cette jolie manière, semi-pudique, de livrer leurs maux à demi-mot, tel un « Amour Ivresse » qui rappelle qu’« il n’y a rien à perdre quand on n’aime pas vraiment ». « À mesure que je le côtoie », parce que, forcément, on s’est revus, du coup, avec Hervé, le dîner passé. Promis une partie de FIFA, parlé foot – pas mal –, bu des verres à notre tour. Entre Aedaen et la Solidarité, page de pub comprise. Mais sans Roda, dont l’ombre n’est néanmoins jamais bien loin. Lui qui, à la différence


Mulhouse La Sinne 31 mai > 2 juin d’Hervé n’a jamais franchi le pas du professorat. Rêve inassouvi, coupé dans son élan par la guerre d’Algérie.

Colmar Théâtre 10 > 11 juin Strasbourg Opéra 21 > 25 juin

ATTRACTIONS TERRESTRES C’est dingue, c’est fou comme ce mec en parle, de Roda. Avec tellement d’affection, de sincérité, d’honnêteté. Au point, parfois, de me demander si, sans Roda, si sans ce fils d’immigrés catalans adoubé par Clerc, Gréco, Barbara, Christophe, Chamfort, Hardy, Bertignac, il y aurait aujourd’hui un Kérac. Si Hervé aurait continué à écrire, à composer ces belles « Attractions terrestres », l’un de ces piano-voix placé sur cette douce « Résistance » à sortir à l’automne. L’un de ces piano-voix à vous foutre un p... de beau cafard, à presque vous donner envie de saloper de larmes un coin de comptoir. À vous donner tout autant envie de gueuler à la fille : « Mais bon sang ! Vas-y, fonce retrouver ce mec ! T’en connais beaucoup, toi, des gars qui seraient foutus de transformer un amas de mots en voûte céleste ? De t’écrire : « Puisque les sénateurs dorment tous en garde à vue / Pour payer mon erreur, j’aimerais tant être détenu / Par tes yeux, par ton cœur et par tes mains tendues / Je nous vois dans une heure s’enlacer sans vertu ». Parce que moi, franchement, je n’en connais pas. Pas beaucoup, en tout cas ». Alors oui, comme je lui ai dit un soir, même si au départ son genre musical n’est pas ma came, il y a un truc chez ce mec, dans ses compos, dans ses textes, qui touche, qui – me – touche, au plus profond. « Il n’y a pas d’amour heureux », se plaîtil parfois à dire, citant Brassens et Aragon. Ouais, peut-être. Perso, sur ce coup-là, je serais bien en peine de la ramener. Mais sans doute peut-il y avoir des destins heureux. Et à force d’écoute, de « Pourtant », de « Ronde », d’« Amour Ivresse », au point de s’en mettre parfois la tête « A l’Envers », rien n’interdit finalement de penser qu’une fée pourrait un jour « Passer par là », « Ailleurs », et sublimer l’« Avenir ». Tout le mal ou presque qu’entre deux verres, deux accords de guitare, deux mots qui s’entrelacent entre les cordes, on aurait envie de lui souhaiter à Kérac.

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Parce que came ou pas came, comme diraient « Les Inrocks », le talent est là, entre « brûlures tendres » et « mélancolies embellies ». Site web : http://www.hervekerac.com/ Album « La Résistance » : à paraître à l’automne 2017

Constellations

Le Vaste Enclos des songes Création Chorégraphie et musique originale Sébastien Perrault Ophelia Madness and Death Chorégraphie Douglas Lee Musique Henry Purcell, David Lang Dans le ciel noir Création Chorégraphie Ed Wubbe Musique Antonio Vivaldi Artistes de l’Opéra Studio de l’OnR Direction musicale Wolfgang Heinz Orchestre symphonique de Mulhouse Ballet de l’OnR

ballet

de l'opéra national du rhin

operanationaldurhin.eu


Photos : Henry Vogt Texte : Éric Genetet OR BORD OR NORME N°24 Vibrations

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SHOICHI FUKUSHI La danse Butô à Strasbourg pour la première fois

Né d’un désir disruptif après Hiroshima, le Butô, ce mouvement avant-gardiste de danse contemporaine, a trouvé sa place au Japon. Il développe l’expression des sentiments par le corps, dans une lenteur aérienne. L’enveloppe est nue, blanche, les corps se tordent dans la pénombre et se libèrent. La danse Butô, « la danse du corps obscur », est très liée à la nature, au shintoïsme, à l’esprit du Japon. Devenu mondialement connu, Shoichi Fukushi est l’un des successeurs des fondateurs de ces performances artistiques révolutionnaires et transgressives. Il a monté ses propres chorégraphies, lors de plus de mille représentations. L’association Passages l’invite à Strasbourg pour la première fois les 10, 11, et 12 mai. Il dansera le

10 mai de 20h à 21h au Planétarium, lors d’une « ­Nocturne » dans la coupole centrale ; une danse avec les étoiles du ciel japonais, pour expliquer le mythe fondateur du Japon. Une conférence avec l’astrophysicienne Caroline Bot est organisée le 11 mai à 18h, sur le thème des poussières d’étoiles. Shoichi Fukushi dansera là aussi, son Butô s’inspirant de ce qu’il verra dans l’enceinte de l’Institut de Physique. Enfin, le 12 mai à 20h, dans la galerie ­d’Aedaen, rue des Aveugles, il jouera son spectacle « Urikohime », sur la base d’un conte japonais, mythologique et anthropologique. Lors de cette performance, il sera entouré de musiciens de la région, un spectacle hors norme pour Strasbourg, un mélange d’arts visuels et sonores. La danse Butô arrive à Strasbourg. Alors, regardons Shoichi Fukushi danser ; danser pour ne pas se perdre.


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Nulle faute d’orthographe dans ce titre donné par la compagnie VIA au spectacle présenté le 14 mars dernier à l’Espace culturel Django Reinhardt. Un jeu de mots plein de sens sur ces halls de gare où le temps, loin de se diluer, prend une ampleur inattendue. Inscrite dans le cadre des « Semaines d’information sur la santé mentale », cette représentation a été portée par des comédiens engagés et talentueux, patients et soignants des hôpitaux de jour d’Illkirch et de Strasbourg Sud.

piétinent, s’asseyent ou quittent la scène. Tous l’occuperont à un moment ou l’autre pour interpréter des tableaux touchants et drôles. Toujours extrêmement justes. Clochards, pickpockets, couple d’amoureux, soldats ou déserteurs, nettoyeuses… Tombent les répliques qui nous frappent au cœur : « Dans le train on tombe amoureux, on n’est pas amoureux en avion », « Le temps prend la vitesse du train », « Le train c’est bien : on se regarde dans la vitre et en même temps on est dans un champ de blé », « Cette gare c’est la dernière image que je garderai d’ici » ou bien encore « Nettoyeuses anonymes c’est moins neurasthénique, ici on est chez nous. Les patronnes du particulier c’est loin de l’humanité… » Les locomotives d’antan font encore rêver… Les tableaux s’enchaînent lors de cette répétition à quinze jours du spectacle, programmé dans l’après-midi du 14 mars à l’Espace culturel Django Reinhardt du Neuhof. Il sera à l’affiche des « Semaines d’information sur la santé mentale » car c’est vrai que ces comédiens extraordinairement motivés et solidaires sont des ­patients des hôpitaux de jour du pôle Eurométropole Sud du Centre hospitalier d’Erstein.

C’est dans un hall de gare que se déroule le spectacle mis en scène par Fatou Ba et Sabine Lemler de la compagnie VIA comme « Voir, Imaginer, Agir ». Unité de lieu, amplitude du temps.

Les mots, ils en connaissent le poids. Ils les travaillent, ils les retiennent, ils les restituent en mobilisant leur mémoire et leur concentration.

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Salle des pas perdus où le temps n’est pas perdu, où se nouent les émotions, où se croisent toutes sortes de personnages, où nous sommes tous passés pour partir ou pour revenir, souvent pour attendre. Comme en suspens.

CLOCHARDS, PICKPOCKETS, COUPLE D’AMOUREUX, SOLDATS OU NETTOYEUSES…

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OR BORD

Texte : Véronique Leblanc

Photos : Camille Roux

GARE AU TEMPS Le temps n’est ‘‘Pas perdus’’

Claudine, Damien, Doris, Edwige, Mathieu, Muriel, Nadine, Pascal, Philippe, Samira, Sébastien, Thierry et Véronique entrent en scène, un à un ou deux par deux… Ils se plantent devant l’horloge, soupirent,

Parallèlement, d’autres patients ont écrit sur la thématique du temps. Rédigés dans le cadre d’un atelier dirigé par Claudine Jehlen, psychologue, et Michèle Ammovilli, infirmière, leurs textes sont partie prenante du spectacle par le biais d’un film réalisé par Camille Roux et tourné lors d’un séjour de création à Frohmuhl, dans les Vosges.


DU THÉÂTRE, DU VRAI Ces ateliers théâtre et écriture sont essentiels, « ils enlèvent les angoisses du passé », confie Nadine, comédienne depuis des années dans les pièces montées par Fatou et Sabine. Samira, quant à elle, a repris un travail à temps partiel mais veut « garder le théâtre » parce que cela lui permet de s’exprimer. Philippe, lui, n’est là que depuis novembre mais il a d’ores et déjà « envie de continuer » parce qu’il « aime le théâtre et le groupe qui l’a accueilli. » Ce 2 mars, ils ont travaillé l’après-midi entier, comme des pros, avec un feu sacré attisé par la proximité de la confrontation avec le public. Et autour d’eux se déploie une vraie structure de théâtre : outre leurs soignants – Astride, Camille, ­Caroline et Thierry – Sabine est là pour les diriger avec la force de toute son expérience théâtrale. Les textes qu’ils portent sont ceux du livre de Denise Bomal, « Pas perdus ». La scénographie a été définie par Olivier Marmet, les costumes sont de Léa Perron, le son d’Olivier Pfeiffer et les lumières de Dominique Klein. Du théâtre, du vrai. Celui qui est là pour servir la vie et lui donner plus d’ampleur. Pour aller mieux, sur scène et dans la salle.

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LES IS

sur leur 31

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OR BORD

Texte : Éric Genetet

Photos : Or Norme Strasbourg - DR

C’est la 31e édition des IS, deux lettres qui veulent dire Internationaux de Strasbourg, l’un des tournois majeurs du circuit féminin. Depuis 30 ans, les meilleures joueuses de la planète se rejoignent sur les cours alsaciens pour en découdre et peaufiner leurs réglages avant de se retrouver à Paris. Cette année, plus que jamais, le « Roland-Garros alsacien » sera sur son 31, en minijupe et nœud pap, en maxi VIP et grandes pompes. Véritable vitrine du tennis féminin en France, ce tournoi expose la ville de Strasbourg et l’Alsace à la face du monde sportif. Pendant une semaine, les balles jaunes s’échangent comme les bises et les poignées de mains, les cartes de visite et les regards ensoleillés, mais il existe un paradoxe : l’Alsace (et plus précisément la société Quarterback) organise un tournoi de niveau mondial alors que pas une des joueuses de la région n’y participera (aucune n’est classée dans les 500 meilleures joueuses de la planète). Dans le classement masculin, il y a deux TOP 100 : Paul-Henri Mathieu depuis plus de dix ans et Pierre-Hugues Herbert. Albano Olivetti, qui avait battu le n° 10 mondial Mardy Fish, est aux portes du TOP 300, et des espoirs, comme Dan Added du TC Oswald, peuvent espérer une belle carrière. Trois garçons, mais aucun tournoi ATP, pas de Challenger, pas de Futures. Pour voir du tennis masculin, il faut aller à Metz, à Bâle, ou attendre un match de Coupe Davis tous les dix ans. LA COUR DES GRANDS DANS DEUX OU TROIS ANS ? Les IS sont l’occasion d’assister à des matchs de premier plan. Cette année encore, les yeux et les encouragements seront concentrés sur les joueuses françaises qui réussissent plutôt bien en Alsace, comme Alizé Cornet en 2013 et Caroline Garcia la saison dernière (magnifique sur l’affiche 2017 qui ne tombe plus dans le piège des traditionnelles couleurs rose

fuchsia de tous les événements sportifs féminins), qui se sont illustrées dans un tournoi qu’elles aiment particulièrement. L’engagement des organisateurs dans une démarche éco-responsable afin de réduire au maximum l’empreinte carbone n’y est certainement pas pour rien. Depuis 2010, les IS souhaitent, en plus des valeurs sportives, transmettre des valeurs d’exemplarité environnementale et sociétale. L’ADEME (Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie) soutient cette démarche en faisant des Internationaux de Strasbourg sa référence dans la catégorie des événements sportifs, mais l’engagement de la société Quarterback n’est pas une nouveauté. En fait, la nouveauté cette saison, c’est qu’il n’y en a pas : « Cette année, nous développons l’excellence », affirme Denis Naegelen, dans une pirouette qui lui permet de parler de cacahuètes. Le patron des IS réfléchit tout haut à ce que tout le monde à Strasbourg souhaite tout bas depuis longtemps, passer de la D2 à la D1. En langage tennis, cela signifie que l’argent distribué aux joueuses se doit d’être plus important : les 250 000 dollars d’aujourd’hui doivent être multipliés par quatre pour que les IS entrent dans la cour des grands d’ici deux ou trois ans. En attendant, la version 2017 vous attend comme la plage attend les peaux à bronzer quand le soleil est revenu.


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LE PIÉTON DE STRASBOURG Par Arnaud Delrieu

Adepte de la photo Street Art, le photographe Arnaud Delrieu parcourt inlassablement Strasbourg, l’œil rivé à l’œilleton de son boîtier photo. Régulièrement, il sera pour or Norme « Le piéton de Strasbourg ». Pour ce numéro 24, il a fui le froid du dernier hiver et s’est intéressé aux visiteurs des musées.


RAPHAËL ENTHOVEN

Mardi 18 avril | 17.00






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OR PISTE

Texte : Jean-Luc Fournier

Photos : Sarah Greiner – Eve Schmitt - DR

ROAD BOOK

L’AUSTRALIE DE SARAH No limit

« Je suis libre de penser, d’agir, d’imaginer, de choisir, d’aimer, d’accepter ou de ne pas accepter. Je suis surtout libre d’être qui je suis… » Ce sont les mots qui figurent sur la page de garde du premier des deux épais carnets de voyage que Sarah Greiner, une jeune Strasbourgeoise de 28 ans, a ramené d’un long périple de onze mois en Australie. L’idée de partager son expérience avec les lecteurs de Or Norme lui a plu.


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Photos : Sarah Greiner – Eve Schmitt - DR Texte : Jean-Luc Fournier OR PISTE OR NORME N°24 Vibrations

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Le visa « Working holidays » Il est accordé aux jeunes de moins de 31 ans qui souhaitent voyager en Australie tout en travaillant sur place au gré de leurs déplacements. Pour l’obtenir, il faut remplir un certain nombre de conditions en termes de santé, de moralité et de moyens financiers, s’engager à respecter les valeurs et les lois australiennes et être en possession d’un billet retour ou disposer des moyens nécessaires pour pouvoir en acheter un. On peut aussi, sur YouTube, découvrir l’excellent petit film « Génération Working Holidays ». Plus d’info : australia.com


‘‘Un an livrée à moi-même avec comme objectif : la découverte.’’ Quatre heures durant, lors de notre rencontre, Sarah ne se sera jamais départie de quelques traits profonds qui composent sa personnalité : un sourire éclatant, une étincelle qui brille en permanence au fond de ses yeux, une énergie positive débordante et une foule de souvenirs qui se bousculent en cascade pour raconter ses dix mois aux antipodes et la cataracte d’émotions collectionnées.

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« ON THE ROAD » Jack Kerouac pas mort ! Tant qu’il y aura une ligne d’horizon, et une route pour la repousser sans cesse, le divin « clochard céleste » ne cessera jamais de faire des adeptes. Il n’est pas sûr que Sarah ait un jour lu « Sur la route » mais il est certain qu’elle est membre à part entière de cette famille pour qui l’Ailleurs, avec le A majuscule de rigueur, est une

tentation permanente. Malgré son jeune âge, elle a déjà pas mal bourlingué : la Namibie, mais aussi le Gabon, le Sénégal, le Bénin pour des expériences dans l’humanitaire font notamment partie des territoires qu’elle a déjà foulés. « Pourquoi l’Australie, pourquoi ainsi et aussi longtemps ? » Sarah répète mot pour mot notre première question, un tantinet pensive, mais elle enchaîne très vite : « J’ai mon diplôme d’infirmière depuis 2012. Et déjà une expérience professionnelle intéressante : une année au service hépato-gastroentérologie au NHC de Strasbourg, huit mois en médecine générale à Délémont dans le Jura suisse et un an au bloc opératoire de la clinique Adassa. Il y a un peu plus d’un an, je me suis dit que j’allais donc être infirmière toute ma vie. Et j’ai réalisé qu’il y avait urgence à faire ce que je n’aurais peut-être plus l’occasion de faire. Rien ne m’en empêchait. C’était donc le moment ou jamais. Alors oui, l’Australie, parce que c’est une des terres les plus éloignées de la France, tout à fait à notre opposé sur la planète. Le seul endroit au monde où il existe des kangourous, des koalas et où on rencontre le peuple aborigène, les déserts, les plages, les animaux les plus dangereux… Mais aussi l’Australie comme une vraie expérience : un an livrée à moi-même avec comme objectifs la découverte, évidemment, mais aussi l’envie de vivre des expériences professionnelles qui financeraient au fur et à mesure mon voyage, d’améliorer mon anglais « of course » et aussi des espoirs en matière de développement personnel. T’as deux bras, t’as deux jambes, tu peux tout faire alors j’avais envie de vivre tout ça avant de plonger dans la vie sérieuse du salariat », confie Sarah avec un sourire malin au coin des lèvres. « Je ne pense pas m’être trompée » poursuit-elle, « durant ces onze mois passés là-bas, les nombreuses rencontres avec les


Texte : Jean-Luc Fournier OR PISTE OR NORME N°24 Vibrations

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autres voyageurs de mon âge, de toutes les nationalités, m’ont vite confortée dans mon idée de départ. Alors que nous sommes dans la vingtaine, tout nous pousserait à rentrer dans le moule. Et bien, non, pas tout de suite en tout cas ! Il nous fallait donc partir pour l’autre bout du monde, avec notre seul visa “working holidays” en poche, pour vivre la grande aventure ! » Et Sarah d’égrener longuement, avec une foule d’anecdotes à l’appui, la longue succession des « spots » visités au gré de ses pérégrinations australiennes. Comme autant de souvenirs sertis dans sa mémoire… « LA DÉBROUILLE, MON SEUL CHALLENGE… » À peine arrivée à Sydney, le temps d’ouvrir un compte en banque et d’y transférer les 7 000 € jusqu’alors économisés (« mon éventuelle bouée de sauvetage » dit-elle), voilà que se présente l’occasion d’une première expérience professionnelle… de l’autre côté du continent, en Albany, sur la côte ouest. « C’est le principe du “woofing” » raconte Sarah. « Un fermier nous accueille, nous héberge et nous nourrit. En contrepartie, les “woofers” travaillent pour lui. » Avec deux amies françaises rencontrées à Sydney, un Hongrois et un Italien, Sarah va passer un mois à cueillir les poivrons et autres chilis, pour le compte d’un fermier qui vit là avec ses six enfants.

L’expérience suivante sera merveilleuse. Elle décroche un poste de bénévole auprès d’une association qui s’occupe de dauphins à Monkey Mia, sur une mince presqu’île au nord de Perth, toujours sur la côte ouest. Déjà un souvenir inoubliable pour la jeune Strasbourgeoise : « Deux semaines où j’ai appris à des bébés dauphins privés de leur mère à se nourrir et chasser. La découverte que le dauphin est un animal très intelligent et qui adopte l’être humain, un peu comme un chien le fait. Très vite, ma préférée a été une femelle qu’on appelait Surprise. Dès que je mettais les pieds dans l’eau, elle nageait à toute vitesse vers moi… ! » Pas très loin de Monkey Mia, Sarah va vivre une autre expérience formidable et totalement inattendue qui restera sans doute à jamais gravée dans sa mémoire. « À Exmouth, j’ai nagé en compagnie du plus grand requin du monde, le requinbaleine. C’est difficile de raconter avec des mots mais on se retrouve en apnée face à cet animal gigantesque qui nous frôle. Sa gueule paraît tellement immense que l’idée te traverse vite qu’il peut t’aspirer et t’avaler sans problème. Heureusement, on nous avait informés auparavant que son œsophage n’était que de la taille d’un bras humain. Donc, je ne risquais rien, ça ne risquait pas de passer… » rigole-t-elle encore aujourd’hui. « Mais quel souvenir et quelles sensations, c’était formidable… »


RC Colmar B 915 420 236

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Les Alsaciens

ont le sens de la famille.

Leur eau aussi ! PUREMENT ALSACIENNE


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Texte : Jean-Luc Fournier

Photos : Sarah Greiner – Eve Schmitt - DR


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Photos : Sarah Greiner – Eve Schmitt - DR

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OR PISTE

Texte : Jean-Luc Fournier

Retour à Sydney, au gré des circonstances. Avant que ses deux amies ne quittent l’Australie, un très long périple aller-retour pour découvrir la côte est. Puis, la vraie solitude, de retour dans la capitale australienne. « La débrouille, toujours » se souvient Sarah. « J’ai vite trouvé un job dans un stand de la chaîne Doughnut Time. Minuscule mais sympa. J’ai adoré ce job qui s’est révélé encore plus avantageux que prévu. Chaque soir, j’avais le droit d’emmener avec moi des sacs entiers de donuts non vendus et je les ai vite distribués à tous les occupants du Back Packers (le nom des auberges de jeunesse en Australie - ndlr) où je logeais alors. Du coup, on m’a offert la gratuité de ma chambre et des tas de belles relations se sont forgées avec des jeunes qui logeaient là-bas. Plus tard, j’ai emménagé dans une coloc, avec un Japonais, un Italien, un Espagnol, un Papou, deux Anglais et une Coréenne ! J’ai adoré ces moments-là… »

22 000 C’est le nombre de Français possesseurs du visa Working Holidays qui ont séjourné en Australie en 2015. Ils étaient 4 500 en 2004, première année de mise en place de ce visa.

Un coup d’œil sur la carte et une idée imprévue : pourquoi ne pas profiter de la proximité géographique pour découvrir la NouvelleCalédonie, ce petit bout de France perdu à l’ouest du Pacifique. Aussitôt pensé, aussitôt fait, magie de la liberté sans entrave. « Trois heures d’avion, un saut de puce » se souvient Sarah. « Nouméa, la

Grande-terre, l’Île des Pins, un épisode au sein d’une tribu Kanak… deux semaines au paradis… » De retour sur le continent australien, c’est alors la découverte de Melbourne, en compagnie de Maxime, « un New-Yorkais qui est devenu mon copain durant trois mois » raconte Sarah, « au sein d’une nouvelle coloc avec deux Coréennes, un Thaïlandais et un Allemand. J’ai beaucoup progressé en anglais grâce à Maxime, on avait de longues discussions profondes, philosophiques, même… Chaque vendredi soir, j’étais serveuse au Bar Nacional, où j’ai pu travailler quelques semaines après des débuts « cata » car la patronne n’avait pas pris le temps de me former un minimum. J’ai rencontré par un hasard extraordinaire Alexia, une amie avec qui j’avais partagé ma formation d’infirmière en France et qui bossait chez un traiteur, Daily Food and Co. Je suis devenue serveuse lors d’événements, d’anniversaires et de mariages. Mais c’était durant l’hiver austral et il faisait vraiment trop froid. J’ai quitté Melbourne pour la Gold Coast, au sud de Brisbane. Je me suis installée dans un endroit dont le nom dit tout, Surfer’s Paradise… » Nouvelle coloc pour la jeune Strasbourgeoise (« avec un Espagnol, un Équatorien, un Slovaque, un Japonais et une Allemande » cette fois-ci).


Couchsurfing C’est LE bon plan pour se loger à l‘œil : l’Australie a un excellent réseau de couchsurfeurs, des volontaires qui vous accueillent avec la légendaire « coolitude » australienne, sur leur divan et même souvent dans leur chambre d’amis ! Mais le couchsurfing, c’est avant tout un état d’esprit. En jouant le jeu, on dépasse l’opportunité d’un logement gratuit et confortable : on vit avec les Australiens, on se raconte, on fait la fête, on noue des amitiés…

‘‘J’ai même fait le taxi pour un artisancarreleur qui avait perdu son permis de conduire. Du coup, je me suis mise à carreler avec lui : une 89vraie découverte’’


Photos : Sarah Greiner – Eve Schmitt - DR Texte : Jean-Luc Fournier OR PISTE OR NORME N°24 Vibrations

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‘‘Pour la plupart, on ne se connaissait depuis qu’à peine quelques jours mais on savait tous que le feeling y était’’ « Dans un bel appart avec piscine et salle de sport face à la plage, que j’avais choisi car ma mère m’a rejointe pour dix jours et je tenais à ce que tout soit parfait. Quand j’y songe, quel bel appartement c’était : chaque matin, de mon balcon, je voyais les baleines à bosse qui sautaient à qui mieux mieux, au large… Pendant cinq mois, j’ai tout fait à Surfer’s Paradise : serveuse au Afiso Bar où j’étais « barista » du nom de la machine à café dont je suis devenue une experte, pizzaïolo mais aussi commis de cuisine, j’ai même fait le taxi pour un artisan-carreleur qui avait perdu son permis de conduire. Du coup, je me suis mise à carreler avec lui, une vraie découverte. Chez Cabello, j’ai vendu des lisseurs de cheveux dans un stand au sein d’un centre commercial ; le patron de Strawberry and Cream m’a initiée, en improvisation totale, à la vente de ses produits dans une fête foraine. J’ai été aussi « house-keeper », femme de chambre dans des hôtels de luxe en compagnie de latinos. Là, mon espagnol a progressé ! J’ai passé deux semaines chez River Cruise, comme serveuse sur un bateau touristique. On m’a embauchée durant 48 heures au catering

(la cantine - ndlr) du tournage du film « Thor ». Je n’ai fait qu’entrevoir Natalie Portman tellement le boulot était intense. J’ai aussi été vendeuse dans une boutique de fringues féminines, Chica Boom… » POUR MOI, LE MONDE ENTIER EST MON JARDIN Nous avons rencontré Sarah fin février dernier, deux mois après son retour. Elle ne sera jamais infirmière salariée. Elle est devenue infirmière libérale indépendante. « C’est une des conséquences directes de mon aventure australienne » dit-elle avec conviction. « Avant de partir, j’étais déjà ouverte au positif, très curieuse de nature. Mais je suis rentrée de là-bas avec une immense force en moi car j’ai compris que notre peur fabrique notre limite. Du coup, la surmonter permet de s’ouvrir à soi-même des perspectives incroyables. Aujourd’hui, pour moi, le monde entier est un peu comme mon jardin et c’est une sensation merveilleuse. T’as deux bras, t’as deux jambes, tu peux tout faire. Je pensais ça depuis le début mais j’étais loin de me douter que ce tout faire était si gigantesque !.. Après onze mois de Back Packers, je goûte bien sûr à mon nouvel appartement et je fais mes premiers pas au sein de ma propre entreprise, en quelque sorte. Mais souvent je songe à l’Australie, et à tout ce merveilleux que j’ai côtoyé là-bas. » Au moment de se quitter, Sarah se rappelle soudain une information qu’elle avait failli oublier. « Dans quinze jours, je pars avec Maman en Laponie, pour dix jours. J’ai aussi le projet de rejoindre une amie au Brésil. Quand on fait les choses, il faut être à 200% » sourit-elle. Sacrée bout de femme !


TOUJOURS PLUS RAPIDE

CARA DELEVINGNE. Mannequin et actrice

SOIS TOI

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DO YOU


CLAUDE MAXIME WEIL ‘‘ On est toujours

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OR NORME N°24 Vibrations

OR CADRE

Texte : Patrick Adler

Photos : Vincent Muller

le pauvre de quelqu’un et le riche d’un autre…’’

Maître Claude-Maxime Weil, administrateur judiciaire… Son titre, son nom, sa fonction mais également un style strict et élégant, toujours tiré à quatre épingles, rien a priori pour lui trouver un côté « Or Norme »… et pourtant ! Cet authentique Strasbourgeois, orphelin de père dès l’âge de 20 ans, est devenu un fin connaisseur du monde de l’entreprise…

OR NORME / Vous vouliez d’abord exercer en tant qu’avocat… En effet, et j’ai eu rapidement l’occasion de connaître un dossier de faillite avec un syndic (c’était le nom des administrateurs à l’époque) qui m’a conseillé d’aller vers cette profession mal connue entre le droit et le monde de l’entreprise et qui m’a d’emblée intéressé… À l’âge de 26 ans j’ai eu l’opportunité de gérer mon premier dépôt de bilan d’une entreprise de 1 200 salariés. Avec des entreprises en difficulté de cette taille, l’objectif du tribunal n’était plus de la

liquider mais de la redresser… pour sauver les emplois ! À partir de 1985 la loi dite « loi Badinter » a supprimé les syndics et a scindé la profession entre mandataires judiciaires (liquidateurs) et administrateurs judiciaires. J’ai choisi d’être administrateur car je me suis rapidement rendu compte que le premier job de l’administrateur est d’encourager le chef d’entreprise à croire à nouveau en sa boîte ! Le problème aujourd’hui, c’est qu’une entreprise qui végète pendant quatre ou cinq ans ne fait plus d’investissements et arrive finalement à déposer son bilan quand elle est à bout de souffle, et là c’est trop tard ! De plus, il n’y a plus de croissance, et les banques, qui sont dans un carcan de normes, ne peuvent plus les accompagner ! Avec tous ces handicaps, la société n’a plus de possibilités de se redresser… OR NORME / Ce n’est pas une perspective très encourageante pour le redressement d’entreprises ! On arrive à une situation nouvelle, c’est que le redressement judiciaire devient souvent mission impossible ! On va arriver directement à la liquidation dans 90% des cas. C’est d’ailleurs ce que préconisait Raymond Barre, alors Premier ministre, qui disait qu’une entreprise en difficulté ne doit pas être sauvée et qu’il faut éliminer les canards boiteux. Ce qui était contraire à la logique socialiste qui a modifié la loi sur les entreprises en difficulté dans le but de préserver l’emploi… La réalité d’aujourd’hui c’est qu’en conservant un canard


‘‘Désormais, si on 93 ne se renouvelle pas constamment, on est mort.’’


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Texte : Patrick Adler

Photos : Vincent Muller

‘‘Pendant les Trente Glorieuses, on avait de l’argent pour développer les énergies renouvelables et on n’a rien fait : nous avons été égoïstes.’’ boiteux on ne conserve pas l’emploi à terme ! Donc, aujourd’hui, la partie essentielle de mon activité est la prévention (mandat ad hoc, conciliation et procédure de sauvegarde)… En fait, quand j’y pense, il n’est jamais trop tôt pour venir me voir ! Quand on crée une boîte il faudrait aller voir son mandataire ad hoc tout de suite. Pour cette raison simple : les difficultés en entreprise, c’est normal ! Le problème c’est que l’entrepreneur qui crée son entreprise avec enthousiasme va parfois devoir plus tard gérer sa décroissance et ses difficultés financières, voire sociales. Et ce n’est pas le même métier. Voilà pourquoi se développe aujourd’hui le management de transition : ce sont des gens qui savent faire mais qui sont trop chers pour la plupart des petites entreprises en difficulté ! Aujourd’hui il faut gérer le changement : auparavant, un entrepreneur pouvait partir d’une idée et en vivre pendant vingt ans alors que, désormais, si on ne se renouvelle pas constamment, on est mort ! OR NORME / On sent qu’il y a quelqu’un d’autre que le technicien chez vous ; quelle est votre vie à côté de votre travail ? Quelles sont vos passions ? Dans le métier que j’exerce c’est le côté humain qui me passionne, et la diversité des hommes et des femmes que je rencontre reste un émerveillement pour moi et me procure un plaisir même après quarante ans de métier. J’ai réservé aux enfants un temps pour apprendre et partager… ce que j’essaye également de faire avec mes six petits-enfants. Comme beaucoup, je rêve de travailler 35 heures, pour passer plus de temps avec ma femme, mes amis et me consacrer à la vie associative sous toutes ses formes, mais ce sera pour ma retraite… active. Mon vrai temps libre, je le consacre au trekking depuis de nombreuses années. Au moins un trekking de quinze jours par an à l’étranger : souvent au

Népal, dans les vallées de l’Everest et de l’Annapurna, mais aussi auparavant au Maghreb, en Mauritanie, au Mali… L’avantage de faire du trekking dans ces pays-là, c’est que tu rencontres des gens qui n’ont rien, et le peu qu’ils ont, ils veulent encore te le donner ! Au fond, on est toujours le pauvre de quelqu’un et le riche d’un autre… L’un des fondements de notre société actuelle ce sont les droits acquis, alors qu’il faut que les gens comprennent une fois pour toutes que c’est un fondement qui est faux ! La santé, par exemple, n’est pas acquise. Rien n’est jamais acquis, rien ne dure… J’étais récemment à Angkor, au Cambodge. Au XIe siècle, c’était la plus grande ville du monde, avec près d’un million d’habitants. Aujourd’hui, ce n’est plus qu’une forêt d’où s’échappent de magnifiques temples en ruines. OR NORME / Quel est votre sentiment sur la société française à quelques semaines des élections présidentielles ? Je suis optimiste car quelle que soit l’hypothèse, après la pluie le beau temps revient. C’est juste quelques mauvais moments à passer… Plus sérieusement, la difficulté est aujourd’hui qu’on ne peut plus prévoir l’avenir et ça crée une angoisse. Auparavant, on était devant un monde infini, mais aujourd’hui on sait que nos matières premières sont limitées, que la pollution est présente partout, que le changement climatique est une réalité. Et ce que je trouve scandaleux au niveau de ma génération et de ses politiques, c’est que pendant les Trente Glorieuses, on avait de l’argent pour développer les énergies renouvelables, et on n’a rien fait : nous avons été égoïstes. C’est donc normal que la nouvelle génération nous en veuille, car après avoir épuisé les matières premières, on leur laisse, en plus, une dette.


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Texte : Patrick Adler

Photos : Vincent Muller


Le seul moyen de s’en tirer c’est là aussi de changer de logiciel, trouver d’autres solutions. Le problème aujourd’hui chez nos politiques c’est l’imagination zéro, l’utopie zéro ! Globalement le monde va mieux : les pauvres sont un peu moins pauvres (au moins en Asie et en Afrique), les riches sont beaucoup plus riches ; mais ceux qui vont plus mal ce sont « les petits blancs de la classe moyenne » ! C’est ceux-là qui ont voté Trump, c’est ceux-là qui votent Marine Le Pen ! Ça prouve vraiment le manque d’imagination de nos hommes politiques ! OR NORME / Je crois savoir que vous menez également d’autres combats. Je suis toujours inscrit au barreau et j’exerce donc en tant qu’avocat, notamment pour défendre le droit des étrangers. C’est un droit purement administratif et l’objectif de l’avocat est de trouver des solutions pour retarder l’expulsion en trouvant les failles dans la procédure administrative, et on en trouve souvent ! Mais je pense que le seul moyen de régler le dossier du demandeur d’asile est de lui trouver un travail… ! Même si c’est très limité comme action (je m’occupe de quatre à cinq personnes par an), grâce à ma connaissance des chefs d’entreprise, je vais leur raconter l’histoire des gens dont je m’occupe. Et raconter une histoire humaine à un humain, ça marche souvent… Je m’occupe également d’éducation et je vais y consacrer plus de temps à l’avenir.

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OR NORME / Vous êtes en famille avec Marcel Proust, pouvez-vous nous en parler ? La mère de Marcel Proust s’appelait Jeanne Weil, et sa sœur Adèle avait épousé mon grand-oncle Maxime Weil (d’une autre famille Weil !), qui était donc devenu l’oncle de Marcel Proust. Maxime Weil et toute sa famille étaient ce qu’on appelait des israélites français… et pensaient que seuls les juifs d’origine étrangère étaient en danger, mais pas lui : israélite français et oncle de Marcel Proust, il se croyait intouchable. Et ce fut le seul de la famille, avec sa femme, à avoir été déporté ; il est mort à Auschwitz, et c’est en son souvenir que je m’appelle Claude-Maxime. OR NORME / Que ferez-vous quand vous déciderez d’arrêter professionnellement ? La question, c’est maintenant de savoir ce que je vais construire dans les dix prochaines années, dans quoi je vais m’investir. Je ne veux pas trop m’éparpiller, mais apporter quelque chose de concret aux autres. Nous sommes des êtres sociaux, on n’existe que par rapport aux autres : que moi j’aille bien ne m’intéresse pas si mon entourage va mal ! Mon projet est donc de continuer de m’occuper des autres parce que c’est là que je me réalise, et de transmettre ce que je peux encore transmettre, notamment à mes petits-enfants. Oui, leur transmettre qu’il faut croire en l’avenir ! Que rien n’a de fin. La fin n’existe pas, c’est toujours le démarrage d’autre chose ! »


PATRIZIA

PATERLINI-BRÉCHOT

Elle veut tuer le cancer

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Texte : Jean-Luc Fournier

Photos : Vincent Muller

En marge de sa venue devant une salle Blanche comble à la librairie Kléber pour parler de son livre, rencontre avec ce lumineux professeur dont la découverte va révolutionner la lutte contre le cancer. Avec l’humain au cœur… Son large sourire qu’elle dégaine volontiers, la flamme permanente qui pétille au fond de ses yeux, son élégance naturelle quand elle marche et bien sûr ce délicieux accent qui chante, tout chez Patrizia (même le z de son prénom…) trahit l’Italienne d’origine qu’elle est et qui a grandi en Emilie-Romagne, dans le nord de la Botte. « J’ai très tôt voulu guérir. Ma vocation de médecin s’est affirmée très vite. Déjà pendant mes études, au tout début des années 80, j’avais noté à quel point le cancer, quand il ne peut plus être combattu, dégrade rapidement le corps humain et même l’esprit du malade, dans une spirale infernale… », confie Patrizia Paterlini.

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LE PATIENT ZÉRO Un événement va survenir alors qu’elle est jeune interne dans une clinique de Modène. Elle est confrontée au cas d’un homme encore jeune qui lutte contre le cancer du pancréas, un des plus terribles qui soient. Pour elle, comme elle le dira plus tard, ce sera « le patient zéro », ce même terme que les épidémiologistes utilisent pour désigner le premier être humain à être contaminé par un agent pathogène lors d’une épidémie : « Cet homme avait en quelque sorte deviné ce qui lui arrivait, son père ayant succombé à cette même maladie trois ans auparavant. Il réalisait parfaitement qu’il présentait les mêmes

symptômes. Il était totalement paniqué, angoissé à l’extrême. J’ai opté pour la lâcheté, je lui ai parlé d’une grave infection. Deux jours plus tard, alors qu’il agonisait, ses yeux se sont soudain ouverts, et il m’a fixée avec une intensité inouïe. J’y ai lu son mépris et j’ai entendu ce qu’il pensait : « Tu m’as trahi ». Je n’ai pas pu supporter l’intensité de son regard. J’ai fui… » Aujourd’hui encore, plus de trente ans plus tard, Patrizia Paterlini ne raconte pas ce souvenir sans que sa gorge ne se noue et que les mots ne s’y étranglent. Humaine, si humaine : « Je revendique cette humanité. Je ne l’ai jamais oubliée. Je ne pense pas qu’on puisse être un bon médecin si on perd de vue l’amour de l’autre. C’est avec ce sentiment chevillé en moi que j’ai gardé ma détermination de lutter à tout va contre la mort. » Plus tard encore, elle entame une spécialisation en hématologie, puis une seconde en oncologie. Sa vocation de travailler dans la recherche s’affirme et elle obtient, de haute lutte, un poste à l’Université de l’Aquila où sa rencontre avec un des plus prestigieux professeurs d’Italie, Mario Coppo, s’avérera déterminante. Une bienveillante relation s’affirmera peu à peu avec le redouté professeur, un de ces mandarins typiques de l’époque, capable de terroriser tout son monde mais « aux côtés duquel on progresse formidablement », comme s’en souvient Patrizia. Avec au passage « une admiration réelle pour lui, capable de trouver la clef de nombre de cas simplement par l’observation fine du patient et le dialogue avec lui. Mon « maestro » a beaucoup compté pour moi, et bien qu’aujourd’hui disparu, il m’inspire bien sûr encore. »


99 ‘‘Je ne pense pas qu’on puisse être un bon médecin si on perd l’amour de l’autre.’’


Photos : Vincent Muller Texte : Jean-Luc Fournier OR CADRE OR NORME N°24 Vibrations

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‘‘Détecter cette cellule dans dix millilitres de sang parmi cinq milliards de globules rouges et cent millions de globules blancs ! ’’


LA BELLE INTUITION En 1988, la jeune chercheuse rejoint Paris et le laboratoire du Professeur Christian Bréchot dont elle tombe amoureuse et qui est aujourd’hui le père de ses deux enfants. Se lancer à corps perdu dans la recherche sur le cancer est évidemment l’objectif premier, elle s’y attaque résolument. « Ce sont les métastases issues de la tumeur qui tuent, pas la tumeur primitive », explique-t-elle avec un grand sens de la vulgarisation et le souci permanent d’être la plus limpide possible. « Ces cellules n’arrêtent pas de muter et à force de muter, elles deviennent de plus en plus résistantes, tout simplement parce qu’on leur en laisse le temps. Je prends souvent l’exemple de la conquête spatiale : pour une cellule tumorale circulante qui vient du sang, installer une colonie dans un organe du corps humain, ça prend du temps. C’est exactement comme pour les humains : on envisage de coloniser Mars mais ce sera très long pour y parvenir, si on y parvient. Avant que les cellules tumorales prolifèrent et deviennent des métastases, il peut se passer de longues années. C’est ce qu’il faut éviter, il fallait donc tout faire, selon moi, pour détecter le plus tôt possible les toutes premières cellules tumorales… »

Le défi était donc là : être capable, grâce à un test sanguin, de détecter une simple cellule tumorale d’origine, juste après qu’elle a à peine entamé sa circulation dans le sang, juste après avoir été émise par une infinitésimale tumeur. Détecter cette cellule dans dix millilitres de sang parmi cinq milliards de globules rouges et cent millions de globules blancs ! Il aura fallu de longues années à Patrizia Paterlini et son équipe (quatre personnes en temps normal, six quand la charge de travail devient infernale) pour parvenir à mettre au point le prototype d’une machine capable de filtrer à ce point l’échantillon de sang… Elle y parviendra en 2005 et dans la foulée, pour accélérer encore plus vite la suite du processus, elle créera sa propre entreprise, Rarecelles Diagnostics, tout en prenant bien soin que les brevets déposés appartiennent formellement aux instituts publics de recherche, cette recherche publique française qui l’a accueillie en son sein. Bel exemple à une époque où le cancer, s’il tue toujours énormément de gens, en fait vivre beaucoup d’autres, pour faire écho à une phrase souvent évoquée dans le monde médical…

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originelle. On travaille donc un peu en fonction des prédispositions du patient, ou de ses antécédents médicaux. Mais demain, on devrait savoir beaucoup plus vite de quel organe précis proviennent les tumeurs et on gagnera ainsi un temps précieux… » Dans un avenir très proche, donc, le test sera disponible couramment et on peut affirmer que l’espérance de vie humaine en sera alors formidablement augmentée.

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Texte : Jean-Luc Fournier

Photos : Vincent Muller

Le mot temps est celui que Patrizia Paterlini aura sans doute prononcé le plus souvent durant notre entretien, avec le mot humain, également. Plus tard, à la salle Blanche de la librairie Kléber, il fallait la voir, lors des nombreuses dédicaces que les lecteurs lui demandaient. Un sourire sincère et permanent, une patience infinie pour expliquer et réexpliquer l’avenir de son test avec une formidable bienveillance et une modestie innée. Une parole gentille pour chacun, quelques mots chaleureux griffonnés sur la page de garde de son livre : à coup sûr un inoubliable souvenir pour les lecteurs présents…

TEST VALIDÉ ! Aujourd’hui, la machine mise au point par l’équipe de chercheurs de Patrizia Paterlini a été mise à la disposition d’autres équipes (« Son look est un hybride entre une photocopieuse et une machine à café », plaisante-t-elle). Des équipes comme celle du professeur Paul Hofman, au CHU de Nice, qui a suivi ces six dernières années un grand nombre de gros fumeurs atteints de bronchopathie pulmonaire. Bien avant que le cancer du poumon ne soit visible par radiologie, IRM ou scanner, les chercheurs niçois ont détecté ces fameuses cellules tumorales dans les échantillons de sang. Cinq malades ont été opérés et guéris, validant ainsi l’efficacité du test, simple à utiliser et donc très facilement généralisable. Il est pour l’heure facturé 486 € mais non remboursé par la Sécurité sociale. Pour Patrizia, il faut que le test « devienne demain un test de routine lors d’une simple prise de sang. Bien sûr, il faudra qu’il soit remboursé car il fera faire d’énormes économies à court terme, les malades étant pris en charge très tôt. La prochaine étape, nous y travaillons déjà, sera de l’affiner. Aujourd’hui, si on détecte les cellules tumorales circulantes, il faut passer des examens d’ingénierie médicale très ciblés pour détecter où se situe la minuscule tumeur

Plus tard encore, juste avant qu’elle n’embarque dans son TGV pour son retour à Paris, elle s’est fendue de nombreux « merci » à notre attention, non sans nous promettre de revenir très vite avec son mari à ­Strasbourg, tant le peu qu’elle a pu voir de la ville lui a manifestement plu. Pour tout dire, on s’est sentis un peu décontenancés par cette avalanche de gentillesse. Parce que c’est plutôt nous qui avions formidablement envie de le lui dire, ce « merci »...


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FAROUK ATIG ‘‘La France ne laissera

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Texte : Charles Nouar

Photos : Ahmed Deeb

pas revenir ses combattants djihadistes’’

Fondateur d’ « Intégrales Mag » et l’un des rares reporters encore en activité sur les lignes djihadistes syriennes, Farouk Atig prévient : « Les trois quarts des combattants terroristes étrangers vont mourir en Syrie. Leurs enfants avec. Parce que la France ne les laissera pas revenir ». Entre deux reportages de terrain, ce Strasbourgeois d’origine, passé par les plus grandes chaînes d’info internationales, et dont on attend la parution d’un livre à cette heure intitulé « La chute du Califat », revient en exclusivité pour Or Norme sur la réalité syrienne et la fin annoncée de Daesh.… Or Norme / Farouk Atig, vous êtes aujourd’hui l’un des seuls reporters étrangers à couvrir le conflit syrien depuis les lignes djihadistes. Comment est-ce encore possible alors que vos confrères ne s’aventurent plus au-delà des zones délimitées par la coalition internationale anti-Daesh ? Tout part d’une question de confiance, je pense, et de la révolution tunisienne. À ce moment-là, je sentais que quelque chose se préparait. Alors, j’ai pris quelques jours de congés et me suis rendu sur place. Et de là, l’intuition se confirme. Un mec s’immole par le feu parce qu’on l’empêche de travailler, puis vient le tour de l’avenue Bourguiba de

s’enflammer. La mécanique révolutionnaire s’enclenche et vous vous retrouvez à faire des directs pour des chaînes de télé. Or Norme / Cela n’explique pas la suite de votre parcours… C’est un début. En essayant de comprendre ce qui se passe en Tunisie vous rencontrez des « révolutionnaires éclairés » mais également les mouvances islamistes. Vous allez à la mosquée, déjeunez avec un premier type qui vous fait rencontrer son chef le lendemain jusqu’à vous retrouver face à l’un des responsables d’Ansar al Charia, l’une des franges salafistes les plus radicales. Un rapport professionnel de confiance se noue et cela vous ouvre des portes auprès d’autres mouvances djihadistes. Parce que celles-ci communiquent entre elles, vous disent oui ou non en fonction du retour des branches que vous avez côtoyées. C’est comme cela que j’ai par exemple pu approcher Al Qaida au Mali. En Syrie, le processus a été similaire : rencontre de révolutionnaires et de djihadistes en gestation pour la première fois à Alep, en 2011. Je garde le contact et les retrouve en 2013. Là, les types me disent : « Toi tu es un bon journaliste parce que tu dis la vérité », et me prennent plus ou moins sous leur aile. Ajoutez à ceci le fait de parler arabe et d’être en mesure de finir une sourate qu’ils ont commencée et vous avez les grandes lignes de la méthodologie. Or Norme / La Syrie justement, quel regard portez-vous sur elle aujourd’hui ? C’est un désastre. Que vous dire d’autre ? Nous parlons d’un pays divisé entre de multiples factions : Faylaq Al-Sham - l’héritier de l’armée syrienne libre, des rebelles plus ou moins modérés ; feu Al Qaida, Jund Al-Aqsa – des islamistes radicaux équivalents à Daesh en terme de détermination ; l’État islamique, bien sûr, que tout le monde a pour ennemi ; le régime soutenu par les Russes ; la coalition… Pour tout


— Les types me disent : ‘‘Toi, tu es un bon 105 journaliste parce que tu dis la vérité !’’


Photos : Ahmed Deeb Texte : Charles Nouar OR CADRE OR NORME N°24 Vibrations

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‘‘Je ne donne pas plus de six mois à la rébellion pour se dissoudre’’ vous dire, je ne donne pas plus de six mois à la rébellion pour se dissoudre. Daesh le fera assez vite, Jund Al-Aqsa de même et cherchera à se disperser dans les zones encore sous son contrôle. Quant aux plus modérés, ils tenteront de négocier avec le régime mais sans grand espoir. Sans doute se fondront-ils alors dans la société civile, alors que d’autres de leurs membres seront arrêtés ou iront en Turquie. En attendant, sans doute, de reprendre les armes, car dissolution ne signifie pas disparition… Or Norme / Vous avez commencé à mentionner les puissances étrangères présentes sur place. Quelle est la réalité de leur influence dans ce conflit ? Pour les Russes, la Syrie fait désormais un peu office de département d’Outre-Mer, avec accès aéroportuaire

stratégique vers le Moyen-Orient. Les États-Unis, eux, ont déjà plus ou moins sous-traité le conflit à Moscou. La France, quant à elle, n’est guère plus présente qu’à Erbil. Pour le reste, tout comme les États-Unis, elle est complètement à la ramasse. Quant à la Turquie et l’Europe, en signant l’accord migratoire avec Ankara, les vingt-huit se sont tout bonnement rendus complices d’un État terroriste. Par souci de ne pas voir leur territoire envahi de réfugiés et par peur du terrorisme, ils ont adopté pour mot d’ordre : « Débrouillez-vous, faites ce que vous voulez avec les réfugiés. » Or la Turquie méprise les réfugiés syriens. J’en parle en connaissance de cause : j’ai moi-même été emprisonné en Turquie et j’ai vu à quel point les policiers, les gardiens turcs traitaient les Syriens comme des bêtes. Et puis, il y a cet autre point à ne pas oublier : si tant de combattants étrangers


ont pu entrer en Syrie entre 2012 et 2015, c’est au régime d’Erdogan, qui y voyait là une opportunité de compromettre les ambitions autonomistes kurdes, que nous le devons. Celui-là même avec lequel nous négocions aujourd’hui. Or Norme / Parmi ces combattants étrangers, nombreux sont français. Quel est leur avenir ?

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Les trois quarts d’entre eux vont mourir en Syrie, parce que la France ne les laissera pas revenir. La coopération est d’ailleurs là encore très forte entre les services de renseignements turcs et français. Paris préfère voir ses djihadistes crever sur le sol syrien que de gérer de longues et coûteuses procédures judiciaires susceptibles d’exaspérer son opinion publique. Et pour les gamins, venus avec leurs parents ou nés sur place, leur sort sera identique. La mort.


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Texte et photos : Mine Günbay

LE CARNET DE VOYAGE DE

MINE GÜNBAY

Le secret du Tango Le voyage, la militance féministe, la danse. C’est par ce fil rouge que mon aventure en Amérique du Sud se poursuit et trouve son sens à chacune de mes étapes. Après l’Équateur et Cuba, destination l’Argentine ! Escale pour deux mois dans la capitale : Buenos Aires. La seule évocation de son nom a nourri mon imaginaire des années durant, le seul fait de mettre en bouche ces deux mots déroulant sous mes yeux un pas de tango. A peine arrivée à Buenos Aires, une amie me propose de l’accompagner à une milonga* en extérieur. Nous arrivons sur les lieux à la nuit tombée. Au milieu du parc de Belgrano, se trouve un très joli kiosque, « la Glorieta ».

Je reste un long moment à observer les lieux avant d’oser monter les quelques marches qui mènent à l’espace de danse. Le temps est comme suspendu. Entre douceur et nostalgie, volupté et grâce. Les corps sont en mouvement, flottants. Je suis transportée, submergée d’émotion, subjuguée par la magie de ce lieu. Tout le monde semble enivré. Il est vrai que cette nuit d’été est étouffante, la chaleur ayant raison des plus belles tenues, comme des plus détendues. Malgré la moiteur de l’air, une brise légère se rappelle à intervalles réguliers au souvenir des corps, comme pour les empêcher de sombrer dans un état second, comme pour les rappeler à la réalité, comme pour ne pas les laisser s’évaporer de plaisir. La poésie de ce moment est unique. Mes yeux sont embués de larmes. Je prends conscience que mon doux rêve se réalise là sous mes yeux ; voir danser du tango à Buenos Aires.


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Au dessus / Mine Günbay

EN QUÊTE DU SECRET Impossible ce soir-là d’oser m’aventurer sur la piste. J’avais pourtant pris soin d’emmener mes chaussures de danse. En rentrant chez moi, encore bouleversée, je me pose la question de savoir pourquoi cette danse m’émeut tellement. Je décide alors de partir à sa conquête, de tenter de déceler ce secret évoqué par Jorge Luis Borges : « Nous pouvons discuter le tango et nous le discutons, mais il renferme, comme tout ce qui est authentique, un secret. »

Texte : Mine Günbay

Photos : Or Norme - DR

Dès le lendemain, je me mets en quête de ce secret. J’arpente les rues de Buenos Aires dans l’espoir d’y trouver des indices. Je cherche des couples qui dansent dans la rue, des magasins spécialisés dans la chaussure de tango ou encore des disquaires. Je prends soin de bien lever la tête pour ne rater aucun portrait de Carlos Gardel. Je fais cela plusieurs jours durant. Sans résultat. Pas de couple de danseurs dans Buenos Aires, ni de portrait triomphant de Gardel, ni même un seul air de tango entendu dans les rues.

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Je découvre en revanche une ville chaotique tant sur le plan urbanistique qu’architectural. J’en parle à des tangeros et tangeras. Avec pas moins de cent écoles de danse rien qu’à Buenos Aires, je découvre en fait qu’une infime partie de la population danserait le tango. Moins de 1%, me dit un ami danseur. ­Impossible cependant de trouver des statistiques à ce sujet.

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Je finis par accepter que l’imaginaire collectif autour de cette ville et le fait que le tango soit inscrit au patrimoine mondial immatériel de l’UNESCO traduit une autre réalité sur place, assez éloignée de mes fantasmes. Ne trouvant pas le secret de l’authenticité du tango dans les rues de Buenos Aires, je le cherche dans les cours de danse et dans des lectures.

*La milonga est à la fois un style de danse mais aussi un lieu où on danse, le lieu du bal.

Mes recherches (somme toute basiques mais néanmoins éclairantes) sur l’histoire du tango m’apprennent qu’il serait apparu à la fin du 19e siècle dans les faubourgs malfamés de Buenos Aires, où vivaient les migrants venus d’Europe mais aussi

d’Afrique. Si différentes théories se disputent, ses racines africaines (le nom de la danse voulant dire « l’intérieur » en langue kongo) semblent recueillir un certain consensus. Le tango se danse alors entre hommes, par manque de femmes, et parce que cette danse est considérée comme vulgaire. Au début du 20e siècle, le tango arrive à Paris, et c’est à partir de ce moment-là qu’il trouve ses lettres de noblesse en Argentine, sortant des faubourgs pour devenir une danse mondaine. S’ensuit alors une période brillante nommée « les années d’or du tango », suivie d’une période plus longue et douloureuse (fin des années 60 et jusque dans les années 80) avec les années sombres de la dictature militaire. Le tango dansé est alors interdit et disparaît des lieux publics. Il faudra attendre les années 90 pour qu’il reprenne toute sa place dans la cité. Le tango évolue ainsi au fil des siècles au contact de différentes cultures et influences. UNE UTOPIE CONCRÈTE Conformément à ce que je sais alors, je ne suis pas surprise de découvrir que les trois quarts des élèves, dans chacune des écoles où je me rends, sont des étranger(e)s : du Japon, de Turquie, d’Allemagne… Je teste plusieurs écoles et différents types de bals ; traditionnels, modernes, détendus, guindés, élitistes, populaires. Mon apprentissage personnel commence par le lâcher prise. Mon professeur de danse, Dulce, m’accompagne à entrer dans cette danse avec sérénité, malgré la technicité. À partir de là, j’appréhende le tango avec plus de recul, prenant un vrai plaisir malgré une réelle exigence. Cette courte mais riche expérience me permet de saisir que le tango porte en lui une culture du voyage, de l’exil, du métissage, de la passion et de la résistance. Si ce voyage à Buenos Aires m’a permis de démystifier le tango c’est pour me le rendre plus attachant encore, comme cette ville chaotique. Le secret de l’authenticité évoqué par Borges ? Je crois que le secret de l’authenticité réside dans cette dimension très personnelle que chacune et chacun met dans le tango. Pour moi, c’est une utopie concrète ; celle de corps qui se parlent, de bras qui s’enlacent pour avancer ensemble et se soutenir en humanité. Être deux, intimement deux, libres d’improviser le chemin, tout en respectant l’harmonie collective qui contribue à la fluidité du bal. Comme une allégorie de la liberté, cette danse porte en elle un arc-en-ciel de couleurs qui permet de danser l’exil du cœur et du corps. Dès lors, comment quitter Buenos Aires sans y laisser une partie de soi… ?


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LES ÉVÉNEMENTS

Le club des Partenaires Or Norme permet aux annonceurs du magazine de vivre des moments privilégiés au contact de personnalités diverses dont des écrivains de renom en partenariat avec la Librairie Kléber. Ainsi Jean-Claude Carrière, le producteur de cinéma Marin Karmitz, Marie de Hennezel et Alain Fontanel ont déjà été les invités des manifestations organisées dans le cadre du club des Partenaires Or Norme.

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OR NORME N°24 Vibrations

Photos : Alban Hefti & David Levêque



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OR NORME N°24 Vibrations

Texte : Éric Genetet

C’EST STRASBOURG !

‘‘Plus ou moins’’ La douceur est revenue sur Strasbourg, le soleil nous remplit de bonheur et les fleurs bleues refleurissent. Les amants ne se cachent plus et prient Notre Dame du bon temps, ils disent les mots bleus, les mots qu’on dit avec les yeux. Les terrasses retrouvent des couleurs et leurs habitués, les vélos circulent dans la première commune cyclable de France ; car ici, PLUS qu’ailleurs, on prend son vélo pour aller travailler, d’après une étude du cabinet danois Copenhagenize. Voilà, c’est clair, Strasbourg est la PLUS capitale du vélo, mais aussi la ville où Manuel Valls se fait le PLUS enfariner, la ville où Guillaume Canet réalise le PLUS de vidéos de porcs, même si c’est aussi la ville où les étoiles Michelin se comptent sur les doigts d’une moufle que l’on vient de ranger

jusqu’à l’année prochaine. La faute à Guillaume Canet et à « l’enfarineur » de Manuel Valls ? Strasbourg, la ville des coups montés ? Bien entendu. On se demande encore pourquoi Fillon et Marine Le Pen n’ont pas balancé qu’en fait, tout est parti d’ici, de la ville où les emplois fictifs sont légion. C’est vrai ça, une ville où il se passe PLUS de choses qu’ailleurs, où la Saint Valentin dure dix jours, c’est louche. Et ce n’est pas tout : Strasbourg est la ville où l’on trouve le PLUS de Matt Pokora au marché de Noël, la ville où le speaker de l’équipe de foot crie le PLUS fort, la ville où les Léopoldine mettent des HH derrière leur nom, la ville où le Stück ne fond PLUS, la ville la PLUS Or Norme, la PLUS IS, c’est encore la PLUS grande ville d’une région qui possède


une maison de campagne sur les Champs-Élysées et puis, c’est la ville du PLUS de comédiens entièrement nus sur une scène de théâtre ; « comme du temps de Jean-Louis Martinelli » dira une dame à la sortie du TNS où Stanislas Nordey a mis en scène Erich Von Stroheim, avec Emmanuelle Béart et deux comédiens magnifiques, dont un qui n’avait pas de quoi s’habiller pendant les dix jours de la représentation, au moment de « Strasbourg mon amour »; espérons qu’il l’ait trouvé, l’amour, comme dans la pièce où jouait si justement Emmanuelle. Strasbourg, la ville où se promène le PLUS grand nombre d’Emmanuelle Béart ! Elle aime notre ville apparemment, puisqu’elle y revient si régulièrement. À moins que ce ne soit son sosie, ou son hologramme. Est-il possible que les stars qui viennent à Strasbourg ne viennent pas vraiment ? Comme les politiques du Parlement européen… Il y aurait des clones de gardes du corps qui seraient ici et à Paris au même moment. Dingue ! Strasbourg, la ville du don d’ubiquité PLUS développé qu’ailleurs. Bon, ici, il y en a au moins un qui bosse : Robert Herrmann : il a regagné « l’Euro » et cela ne s’est pas joué aux penaltys face à capitaine Flam’s. « Senet rien » Éric, perdant cette fois, mais la routourne finira par tourner, comme dirait Franck Ribéry. Strasbourg, la ville où il y a le moins de Franck Ribéry, mais le PLUS de particules, et « ce nez » pas très malin, comme cette rubrique d’ailleurs ! Le département a été placé en procédure d’alerte à la pollution atmosphérique aux

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particules fines PLUS souvent cet hiver. Contrairement aux particules, il y a certaines attitudes qui ne le sont pas… très fines : près de Strasbourg, le maire d’une commune d’un peu PLUS de mille âmes a interdit l’implantation d’une brasserie artisanale. C’est un peu comme si le Racing terminait premier de L2, mais que la Ligue lui interdise la montée en L1 sous prétexte que son maillot est PLUS beau, PLUS bleu que les autres, PLUS sentimental. N’y voyez là aucune allusion au passé du maire en question, qui a d’autres chats à fouetter que de s’en poser, des questions. Si cet homme n’a pas précisé s’il est contre le don de ses organes, comme nous sommes maintenant tenus de le faire, je ne veux pas être celui qui aura besoin de son cœur, ni d’un poumon, peur qu’il ait brassé toute sa vie du vent oui, pas de la bière ! C’est dans cette commune que Guillaume Canet aurait dû tourner sa vidéo… Bon, mon maître tibétain vient de me dire dans mon oreillette que cela ne sert à rien de se tourmenter, qu’il faut souhaiter du bonheur aux gens et aux porcs (bon, ça il ne me l’a pas dit, ok…) et qu’il vaut mieux que j’aille revoir pour la la la 27e fois « La La Land », que je retrouve mes particules élémentaires, reprenne mon vélo et respire dans Strasbourg, la ville la PLUS fleur bleue. À PLUS tard.


AGENDA Notez déjà... DU 24 AU 28 MAI L’Elsass Rock & Jive Festival 2017

Fort de son succès de l‘an passé (plus de 10 000 visiteurs et spectateurs) c’est le retour de Luna Loka et ses complices pour 5 jours (un de plus qu’en 2016) de rockabilly, concerts, shows burlesques et paillettes… De 15h à 22h (sauf le mercredi 24 mai, à partir de 18h), on retrouvera sur la place de la Mairie de Schiltigheim du 24 au 28 mai prochains le Village du Festival avec ses défilés, relooking, DJ, concours. Et, à la nuit tombée, direction la salle du Brassin pour les shows sensuels avec les Pin-Up d’Alsace et le must du burlesque français (Louis DeVille, Melle Loison) et aux artistes de renommées internationales comme The Bugalettes, Miss Mary Anne & Ruby Ann ou encore Marco Di Maggio Connection.

, Schiltigheim

DU 6 AU 13 JUIN Shalom Europa 2017

, Star St-Exupéry et autres cinémas en Alsace

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Texte : Erika Chelly

Photos : Documents remis

www.shalomeuropa.eu

30 MAI 20H30 Norma Jean Backer... Marylin Monroe , Espace Malraux Place André Malraux 67118 Geispolsheim

JUSQU’AU 13 MAI Willi Siber chez Radial , Galerie Radial 11b Quai de Turckheim 67000 Strasbourg www.radial-gallery.eu

Du 6 au 13 juin, Shalom Europa, le Festival du Cinéma Israélien d’Alsace, un rendez-vous ancré dans le paysage culturel alsacien, fête sa 10e édition au cinéma Star St-Exupéry à Strasbourg et dans d’autres salles de la Région. Une semaine pour en mettre plein les yeux aux spectateurs alsaciens et montrer Israël à travers son cinéma riche, émouvant et décomplexé : des films inédits pour la plupart, la rétrospective Uri Zohar, la présentation de courts-métrages d’animation par Hanan Kaminski, responsable de département de l’Académie des BeauxArts Bezalel de Jérusalem, des rencontres entre les réalisateurs et le public, une exposition d’artistes israéliens… Le Prix du Public sera attribué au film préféré des spectateurs lors de la soirée de clôture du Festival.

La découverte de la véritable personnalité de Marilyn Monroe au travers de témoignages innombrables a suscité le désir profond de créer ce spectacle. Donner à entendre le parcours intellectuel d’une femme devenue star. L’histoire d’une intelligence malmenée, non-autorisée, déniée. D’une solitude aussi. Alexandre Astruc disait que le cinéma avait été inventé par les hommes pour voir mourir les femmes. Mais précisément Marilyn Monroe ne mourra jamais. Chaque image de cette actrice reste comme une invitation à l’éternité, à cette beauté sublimée par ce qu’elle était profondément et que sa parole nous livre sans artifices. Autour de Marilyn, une comédienne (l’excellente Nathalie Bach) et un pianiste aux notes inédites (Christophe Imbs), comme un plan-séquence.

Les travaux en acier de cet artiste, que la galerie Radial programme fidèlement, n’ont rien à voir avec les sculptures en acier classique. Pour arriver à la légèreté des conceptions formelles et à leur caractère vivant, les reflets et le mouvement des ombres sur les surfaces laquées très brillantes sont nécessaires. L’esthétique de ces œuvres et l’utilisation très particulière de la couleur entrent en correspondance avec le mouvement et l’appréhension des surfaces lisses et brillantes, que l’on voudrait toucher… Willi Siber a un parcours d’expositions très important à travers toute l’Europe. Par ses commanditaires, le Parlement allemand, les Musées de Singen et Reutlingen, la Deustche Bank…


infos & pop non-stop

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Émilie, informée, connectée et toujours en musique !

EN FM PARTOUT EN ALSACE ET À PARTIR DU 1ER MAI SUR LA NOUVELLE APPLI


PORTFOLIO Francesca Gariti Un autre regard sur Strasbourg... et sur le monde. Francesca Gariti se défend de faire des photos d’art, ou même artistiques. Elle pose simplement son regard là où souvent nous ne voyons plus la beauté de ce qui nous entoure. Son regard, ses photos, font du bien. Rebelle et fière, incroyablement libre, rêveuse, elle nous invite à partager sa conviction que la beauté du monde peut changer les hommes pour changer le monde.

Crédit photo portrait : Vincent Muller




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OR NORME N°24 Vibrations


OR CHAMP La vibration

des possibilités Par Patrick Bailly-Maître-Grand

l est troublant de constater aujourd’hui que les physiciens qui étudient la structure fine de la matière - les atomes - ne parlent plus du tout de particules concrètes (des sortes de petites billes ou des mini planètes) mais bel et bien d’un brouillard, d’un chaos illisible en perpétuelle agitation. Tout se passe – ou plutôt, tout semble se passer comme si la constitution ultime des « briques » qui composent la matière n’était nullement de la matière mais une sorte de mélange d’ondulations et d’énergies en perpétuel échange avec son voisinage.

‘‘Tout semble se passer comme si la constitution ultime des ‘‘briques’’ qui composent la matière n’était nullement de la matière’’ 125

À gauche / *Autoportrait tiré de la série « Les testaments du vitrier » (2009)

Les entrailles infimes d’un modeste caillou ne seraient donc pas des micro cailloux ordonnés comme des petits soldats, mais plutôt une salle de bal bordélique où des zombies masqués et énervés, farandolent et copulent à tout va sans trop bien savoir avec qui ils dansent et où ils vont.

Ne parle–t-on pas aujourd’hui de théorie des cordes avec son cortège de nœuds et d’ondulations ultra fines dans un espace à onze dimensions, alors que nous n’en percevons que trois et vaguement quatre ? Bref notre constitution ultime n’est pas aussi solide qu’on le suppose, elle s’apparente plutôt à une (pardonnez cette approximation mais je n’en trouve pas d’autre)… vibration des possibilités de se condenser en matière. Qu’il est loin le temps des Grecs anciens qui cherchaient les mini cailloux dans le caillou, ou même celui de nos parents atomistes qui croyaient véritablement compter et donc discerner les grains avec un détecteur Geiger alors qu’ils ne comptaient que des trains, ignorant les wagons bourrés d’agitations et de probabilités. Évidemment cette vision des choses n’a aucune conséquence sur notre vie concrète et tel sac de cailloux continuera à peser sur nos épaules sans devenir par magie atomique… un sac de cordes. Constatons tout de même que la science actuelle nous propose une réalité (relativité restreinte et générale, mécanique quantique) bien différente de celle de notre sens commun. Notre monde intime se raccorde de moins en moins avec notre monde infime. Ce n’est pas demain la veille du jour où nous pourrons caresser le chat de Schrödinger ou buter contre un boson de Higgs. Faisons donc mine de ne pas le savoir, d’en négliger les conséquences et poursuivons notre petit bonhomme de chemin en sifflotant avec un sac de cailloux sur le dos. Permettez, en guise d’illustration de la « vibration des possibilités » de proposer cette image* en forme d’auto portrait, ou mon visage se dissout et ondule dans un texte de Copernic, gravé dans la matière transparente d’une gélatine alimentaire…


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