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ISLANDE MERVEILLES
Patrick Adler, directeur de publication«âUne destination nâest jamais un lieu, mais une nouvelle façon de voir les choses.â»
HENRY MILLER, ĂCRIVAIN (1891-
1980)
Destinations de légende.
VoilĂ sous quel titre Jean-Luc Fournier nous prit dĂ©jĂ dans ses bagages par le passĂ©, chers lecteurs dâOr Norme.
Ainsi vous visitùtes entre autres destinations, la Namibie, Israël ou encore la Thaïlande
Nous renouons, dans ce dernier numĂ©ro de lâannĂ©e, avec cette envie irrĂ©pressible de vous faire dĂ©couvrir de nouveaux horizons, mais aussi dâaller Ă la rencontre de lâautre.
GrĂące Ă Solveen Dromson, Consule dâIslande Ă Strasbourg, et Ă lâoccasion de la prĂ©sidence du ComitĂ© des ministres du Conseil de lâEurope, notre invitation au voyage prend la direction plein Nord, Ă la dĂ©couverte dâun pays merveilleux et encore mĂ©connu, lâIslande donc.
Sur presque quarante pages de ce numéro exceptionnel qui en compte 164, vous allez
dĂ©couvrir des merveilles, en Islande certes, mais aussi Ă Paris avec ces «âExpos TGVâ» que vous aimez retrouver chaque mois de dĂ©cembre dans notre magazine.
Munch, Kokoschka, Monet, Mitchell, entre autres, vont Ă©galement vous donner lâenvie de vous Ă©chapper pour un voyage, certes moins lointain, mais tout aussi scintillant.
Mais la destination peut ĂȘtre bien plus procheâ: SurrĂ©Alice et IllustrâAlice, respectivement au MAMCS et au MusĂ©e Ungerer, nous feront traverser le miroir du monde de Lewis Carroll dâune façon bien originale et Ă dĂ©couvrir jusquâau 26 fĂ©vrier 2023.
Nous avons voulu, avec ce numĂ©ro de fin dâannĂ©e, vous emmener ailleurs, et Ă lâinstar de sa magnifique photo de couverture, allumer quelques magiques lumiĂšres et vous souhaiter de magnifiques et rĂ©confortantes fĂȘtes de fin dâannĂ©e.
Par84 «âLe lien avec les auteurs est essentiel dans le mĂ©tier dâĂ©diteur.â»

Robot
Franck Horand
lâAlsace
ApĂ©ro mortel La mort se dĂ©poussiĂšre (â) 6-11 b Grand entretien Jean-Luc BarrĂ©
Le digital nomadism Nouvel eldorado des gĂ©nĂ©rations YâââZ


La CatĂ©naire Plus quâun Tiers lieu...
Islande La nature en V.O. (â) Carnet de route 56 dans lâEst Reykjavik

62
Micro-capitale, méga plaisir⊠Ces Alsaciens
66
Sous les aurores borĂ©ales La belle histoire 76 Partir, se trouver, revenir⊠LâIslande Ă Strasbourg
80
82
La Halle gourmande réussit son pari
Amenez vos vinyles... et Ă©coutez lâamer au LAĂB
Factoryyy Contre lâobsolescence dans lâIndustrie
Le parti-pris de Thierry Jobard
Chronique Moi, JajaâŠ
ActualitĂ©s E SociĂ©tĂ© 144 ĂvĂ©nement Or Norme 146 Des bouteilles pleines de vie Atelier SglĂ âs
88 SOMMAIRE DĂCEMBRE 2022 12-34 c Dossier Expos TGV 14 MusĂ©e dâOrsay Edvard Munch 18 MusĂ©e dâArt Moderne de Paris Oskar Kokoschka 22 Fondation Louis Vuitton Monet et Mitchell 26 Centre Pompidou Alice Neel 30 MusĂ©e Maillol HyperrĂ©alisme 32 MAD AnnĂ©es 80 (â) 34 HĂŽtel de Ville de Paris Capitale(s) 4 â47 â DĂ©cembre 2022 â Merveilles

De 1972 à 2022, 50 ans de service client. Notre résolution
pour 2023 ?
Toujours ĂȘtre Ă vos cĂŽtĂ©s pour rĂ©aliser vos projets et construire ensemble un avenir serein.

DĂ©couvrez nos vĆux













Jean-Luc Barré
Professionâ: Ă©diteur
Ce nâest pas si souvent, au fond, quâon peut recueillir les paroles dâun Ă©diteur, cette profession dont les contours exacts restent assez mystĂ©rieux pour le profane amoureux des livres et des auteurs. Rencontre avec lâun dâentre eux, Jean-Luc BarrĂ© (Ăditions Bouquins), connu comme le loup blanc sur la place de Paris et qui sera prĂ©sent Ă la session de janvier des BibliothĂšques idĂ©ales avec deux de ses rĂ©cents auteurs, Jean-Pierre Elkabach et Guillaume DurandâŠ
Lâentretien avait Ă©tĂ© convenu dans lâappartement privĂ© de Jean-Luc BarrĂ© Ă Paris. Au cĆur de lâĂźle Saint-Louis, lâĂ©diteur y vit en Ă©tant littĂ©ralement cernĂ© par les livres, partout omniprĂ©sents, bibliothĂšques, Ă©tagĂšres, table basse du salonâŠ
La simple Ă©vocation des maisons dâĂ©dition, avec lesquelles il a collaborĂ© (ou publiĂ©) depuis son arrivĂ©e dans la capitale Ă peine ses vingt ans sonnĂ©s, situe bien son niveau dâexpertiseâ: Plon, Fayard, Perrin, Stock, Grasset, Robert Laffont⊠Chez cette derniĂšre, il est devenu, en 2008, directeur de la cĂ©lĂ©brissime collection Bouquins, succĂ©dant Ă Daniel Rondeau. Et depuis deux ans, il dirige sa propre maison dâĂ©dition au sein du groupe Ăditis. Comme un judicieux et dĂ©licieux clin dâĆil, il a ĆuvrĂ© pour quâelle sâappelle Bouquins et dâentrĂ©e, il a publiĂ© La Nef des fous de Michel Onfray, le volume de correspondances de Jean dâOrmesson, Des messages portĂ©s par les nuages et Les Lettres inĂ©dites de Rilke Ă une jeune poĂ©tesse. Une belle entrĂ©e en matiĂšre pour une des plus jeunes maisons dâĂ©dition, que Jean-Luc BarrĂ© Ă©voque avec, en permanence, la passion dans la voixâŠ
Les Ăditions Bouquins ont Ă©tĂ© créées il y a deux ans maintenant, vous en ĂȘtes le directeur, mais vous dirigiez auparavant la Collection du mĂȘme nom au sein de Robert Laffont. Que sâest-il passĂ©â?
Câest trĂšs simple. En accord avec le groupe Editis dont fait partie Robert Laffont, jâai obtenu mon autonomie et je dirige en effet dĂ©sormais cette nouvelle maison dâĂ©dition, Bouquins, incluant naturellement la collection Ă©ponyme. La plupart des auteurs dont je publiais les livres chez Robert Laffont â Michel Onfray, Catherine Nay, FrĂ©dĂ©ric Martel, Jean-Marie Rouart, entre autres â me sont restĂ©s fidĂšles. Le lien avec les auteurs est essentiel dans le mĂ©tier dâĂ©diteur, dont la valeur humaine dĂ©passe la logique comptable auquel on le rĂ©duit trop souvent. Jâai eu la chance, de surcroĂźt, de pouvoir fonder cette nouvelle maison avec toute lâĂ©quipe qui Ă©tait dĂ©jĂ Ă mes cĂŽtĂ©s, renforcĂ©e par lâarrivĂ©e de deux jeunes Ă©diteurs de grande qualitĂ©.
Jâimagine quâune des premiĂšres questions qui sâest posĂ©e Ă©tait de savoir comment sâappellerait cette nouvelle maison⊠Bien sĂ»r⊠Dans un premier temps, on a longuement discutĂ© du fait quâil fallait Ă©viter lâambiguĂŻtĂ© qui aurait pu exister entre deux structures portant le mĂȘme
lien
nom. AprĂšs avoir Ă©cartĂ© dâemblĂ©e lâoption quâon mâavait proposĂ©e dâune maison qui se serait appelĂ©e «âJean-Luc BarrĂ© Ăditionsâ» et beaucoup phosphorĂ© pendant tout un week-end sur dâautres Ă©ventualitĂ©s, je me suis dit quâil existait dĂ©jĂ une enseigne emblĂ©matique, qui allait de soi, qui Ă©tait enracinĂ©e et que tout le monde connaissait, câĂ©tait Ă©videmment Bouquins. Au dĂ©part, je savais quâil faudrait compter avec un risque de confusion, car, dans ce pays, si on adore le changement, tout le monde sâeffraie dĂšs quâil se produit⊠Tout le monde a bien compris aujourdâhui que la maison dâĂ©dition Bouquins et la Collection du mĂȘme
nom obĂ©issent Ă une identitĂ© distincte et, quâelles se distinguent notamment par le format, le papier bien sĂ»r, mais aussi par le fait que lâune sâinscrit davantage dans la crĂ©ation ou la rĂ©flexion immĂ©diate et lâautre dans le patrimoine littĂ©raire et intellectuel. Leur point commun est dâembrasser tous les domaines, mĂ©moires, essais, romans français ou Ă©trangers et mĂȘme les beaux livres comme on peut le voir avec celui de Guillaume Durand qui vient de remporter le Renaudot Essais. La seule chose nouvelle, au fond, ce sont les passerelles Ă©tablies entre les deux entitĂ©s, Ă travers les Ćuvres de Michel Onfray, Catherine Nay, Pascal Ory entre autresâŠ
Le
avec les auteurs est essentiel dans le mĂ©tier dâĂ©diteur, dont la valeur humaine dĂ©passe la logique comptable auquel on le rĂ©duit trop souvent.â»
Au vu de votre long parcours, et de vos succĂšs aussi, on peut imaginer que cette nouvelle aventure constitue un dĂ©fi qui ne vous dĂ©plait pasâŠ
Cette Ă©tape est logique, pour moi. Je nâai jamais Ă©tĂ© ce quâon appelle un carriĂ©risteâ: jâai Ă©crit des livres, travaillĂ© pour la radio et la presse. Jâai fait de la politique, Ă©galement. Jâai tout appris sur le terrain, en quelque sorte. Au dĂ©but des annĂ©es 80, quand jâai commencĂ© Ă travailler dans ce milieu, je nâai pas empruntĂ© la voie classique des jeunes Ă©diteurs dont le travail essentiel consiste Ă travailler sur un manuscrit pour le modeler en prĂ©vision de sa publication. Jâavais dĂ©jĂ envie de prendre des voies
qui ne semblent pas, a priori, les plus ordinaires⊠Mon apprentissage a donc commencĂ© par ces liens un peu particuliers quâil faut savoir Ă©tablir avec les auteurs, ce qui est lâessence mĂȘme du mĂ©tier dâĂ©diteur. Il ne limite pas Ă un simple contrat quâon passe avec un auteur dont on attend ensuite patiemment le rendu de sa copie. Câest Ă©videmment une alchimie trĂšs diffĂ©rente qui doit sâopĂ©rer et cette premiĂšre expĂ©rience mâa beaucoup apportĂ©. Elle mâa permis de me situer plus prĂšs de la naissance dâun livre et de mieux comprendre par quelles souffrances, par quelles angoisses, par quelle patience passe lâauteur au moment dâĂ©crire puis de livrer son manuscritâŠ
Puisquâon est lĂ sur le plan de lâintimitĂ© profonde entre un auteur et son Ă©diteur, peut-ĂȘtre peut-on souligner que pour nombre de duos auteur/Ă©diteur, il sâagit de parvenir Ă un moment oĂč la complicitĂ© est telle que lâauteur finisse par trouver trĂšs lĂ©gitime le fait que lâĂ©diteur intervienne sur le manuscrit pour essayer de polir au plus prĂšs sa pensĂ©eâŠ
Vous avez raison, câest trĂšs exactement ça. Jâai connu en particulier deux Ă©diteurs qui ont beaucoup comptĂ© pour moi, Nicole LattĂšs et Claude Durand, le PDG de Fayard, qui a Ă©tĂ© mon maĂźtre dans ce mĂ©tier. Il mâa appris Ă quel point lâĂ©diteur peut devenir indispensable Ă lâauteur. LâĂ©criture est un mĂ©tier de solitaireâ: certes, on se rĂ©veille le matin et on sâimpose une rĂ©gularitĂ© dans lâĂ©criture, mais on finit aussi tĂŽt ou tard envahi par le doute ou le dĂ©couragement en se demandant pour qui au juste on Ă©crit⊠je pense sincĂšrement que si je suis un Ă©diteur, disons pas trop mauvais, câest parce que je suis aussi un auteur. Claude Durand lâĂ©tait. Jean-Marc Roberts aussi. Ce cas est hĂ©las moins frĂ©quent aujourdâhuiâŠ
Puisque vous Ă©voquez votre activitĂ© dâauteur, on va rappeler que vous avez Ă©crit une biographie de François Mauriac dont les deux volumes ont Ă©tĂ© unanimement saluĂ©s comme une Ćuvre remarquable par la critique, mais on se doit bien sĂ»r aussi dâĂ©voquer votre rencontre avec Jacques Chirac. Avec lâex-prĂ©sident de la RĂ©publique, vous avez entretenu une relation absolument privilĂ©giĂ©e en rĂ©digeant avec lui ses MĂ©moires, parus en 2009 et 2011 et qui se sont vendus Ă plus de 500 000 exemplaires. Outre le fait que lâunivers politique de Jacques Chirac ne vous Ă©tait pas inconnu puisque vous aviez envisagĂ© un temps une carriĂšre politique sous la banniĂšre du RPR, vous nâavez pas hĂ©sitĂ© longtemps pour vous lancer dans ce travail qui, Ă lâĂ©vidence, allait marquer votre parcours dâĂ©crivainâŠ
Câest Nicole LattĂšs, alors directrice de Robert Laffont, qui mâa informĂ©, peu avant un diner Ă son domicile, que Jacques Chirac cherchait quelquâun pour lâaccompagner dans lâĂ©criture de ses MĂ©moires. Elle mâa proposĂ© de le faire. Moi qui suis assez fascinĂ© par les grands hommes en gĂ©nĂ©ral, jâai dĂ» mettre une seconde et demie Ă lui dire ouiâ! Câest dâailleurs Ă cette Ă©poque-lĂ , on doit ĂȘtre dĂ©but 2008, que Daniel Rondeau a annoncĂ© quâil quittait la direction de la Collection Bouquins. Et je me revois encore, sortant dâune rĂ©union avec Nicole LattĂšs oĂč nous avions parlĂ© du livre de Jacques Chirac

dans son bureau, revenir illico sur mes pas et lui direâ: «âAu fait, Nicole, je suis candidat pour BouquinsâŠâ» Le poste Ă©tait trĂšs convoitĂ©, quantitĂ© de candidats avaient Ă©crit des lettres de candidature, pas moi, qui a rĂ©agi Ă lâinstinct. Je suis donc devenu directeur de la Collection lâannĂ©e suivante tout en terminant lâĂ©criture du premier volume des MĂ©moires de Chirac.
Parlons-en de ce travail avec lâexprĂ©sident. Vous ne lâaviez jamais approchĂ© personnellement durant sa longue carriĂšre politique. Dans ce contexte aussi particulier de la fin de sa carriĂšre politique qui Ă©tait rĂ©cente, et pour tout dire
de la fin de sa vie tout court, comment aborde-t-on la collaboration puis le travail avec une telle personnalitĂ©â? Et, plus prĂ©cisĂ©ment, comment pĂ©trit-on cette matiĂšre brute quâil ne cesse de vous dĂ©livrer pour que soit au final publiĂ© un livre Ă la hauteur de ses ambitionsâ?
Jacques Chirac ne se considĂ©rait pas comme un auteur, mais câest lui qui a apportĂ© lâessentiel de ce livre, ses souvenirs, ses rĂ©flexions sans quoi rien nâaurait pu ĂȘtre Ă©crit. Se trouver devant lui Ă©tait souvent impressionnant, mais jâaimais et admirais cet homme de longue date et jâĂ©tais bien sĂ»r au courant de son Ă©tat de sa santĂ© que je savais fragile. Je me suis rendu compte

quâen fait, il nâavait aucune envie dâĂ©crire ses MĂ©moires et que câest Claude, sa fille, qui lâavait beaucoup poussĂ© en ce sens. Jâai donc dĂ» commencer par le convaincre de lâintĂ©rĂȘt quâil y avait Ă les Ă©crire. Comme il Ă©tait trĂšs souvent dans lâautodĂ©rision, il me disait en rigolantâ: «âVous devriez signer le livre vous-mĂȘme, on mettrait âen collaboration avec Jacques Chiracâ et ça ferait lâaffaire. De toute façon, ça ne se vendra pas, je nâintĂ©resse plus personneâŠâ» Bon, on a quand mĂȘme vendu ses MĂ©moires Ă 500 000 exemplaires⊠Jâai trĂšs vite compris que jâĂ©tais dans la position dâun acteur qui, pour entrer dans son rĂŽle, doit savoir se dĂ©doubler. Attention, je ne dis pas que je me prenais pour Jacques Chirac, mais je me suis senti quelque part tenu dâentrer dans sa peau pour parvenir Ă atteindre notre but. Il fallait absolument que je comprenne tous les ressorts de cet homme et la maniĂšre dont il aurait pu sâexprimer sâil avait Ă©crit lui-mĂȘme son livre. Que je parvienne Ă une forme de communion qui me permette de restituer sa voix, son ton, sa façon de sâexprimer. CâĂ©tait assez difficile avec Chiracâ: il y avait chez lui cette espĂšce de gouaille, en privĂ©, qui ne pouvait Ă©videmment pas ĂȘtre restituĂ©e telle quelle dans ses MĂ©moires, et une forme dâhumour quâil fallait prĂ©server sans perdre de vue que lâhomme qui sâexprimait avait occupĂ© les plus hautes fonctions. Il fallait restituer tout ça et je crois que nous y sommes parvenus. Mais aprĂšs lui, jâai refusĂ© toute autre collaboration du mĂȘme genre parce que cette expĂ©rience Ă©tait restĂ©e Ă mes yeux unique et irremplaçable. LâidĂ©e de travailler avec un historien et non un journaliste lâa rassurĂ©, de surcroĂźt.
Ă lâĂ©poque, nous en avions parlĂ© tous les deux. Et jâavais Ă©tĂ© alors frappĂ© par ce qui sautait aux yeuxâ: vous lâaimiez, cet hommeâŠ
Oui, profondĂ©ment. Je trouvais quâil avait Ă©tĂ© un bien meilleur prĂ©sident de la RĂ©publique quâon avait bien voulu dire. Je lâai toujours trouvĂ© digne de la fonction. Force est de constater que ce fut plus rarement le cas aprĂšs lui. Non seulement jâaimais Jacques Chirac, mais jâavais adhĂ©rĂ© au RPR dĂšs lâĂąge de dix-huit ans, nous avions le gaullisme en commun, mĂȘme si le sien Ă©tait davantage teintĂ© de pompidolisme. Le personnage mâavait toujours intriguĂ© et je mâĂ©tais souvent dit que je devais Ă©crire sur cet homme quâon ne connaissait pas, au fond. Il faut dire quâil ne faisait rien pour quâon le connaisse mieux. Il y avait lâhomme public puis lâhomme tout court, loin, trĂšs loin derriĂšre. Câest sur le tard quâon a fini par savoir qui il Ă©tait vraimentâ: aujourdâhui,
«âMoi qui essaie dâĂȘtre romancier, mais qui suis aussi biographe, et qui ai
des ressorts intimes des individus, câest sans doute ce qui mâa le plus intĂ©ressĂ© chez Jacques Chirac.â»
quand je vais au musĂ©e du quai Branly, je sais que Jacques Chirac est lĂ . Il est lĂ dans ce monde qui Ă©tait son monde intĂ©rieur. En Ă©crivant ce livre, jâai aimĂ© un homme dont je cherchais Ă rĂ©soudre lâĂ©nigme, en quelque sorte. Nous avons pu terminer ses MĂ©moires avant que la maladie ne lâaffaiblisse trop et ne finisse par lâemporter quelques annĂ©es plus tard. Je voyais bien que quand jâarrivais dans son bureau, il Ă©tait content que je sois lĂ . Notre travail en commun a fini par le galvaniser et il lâa Ă©tĂ© encore plus avec le succĂšs du premier tome, en 2009. Sa confiance envers la suite du projet sâen est trouvĂ©e renforcĂ©e. Deux ans plus tard, Ă la fin du second volume, il Ă©tait encore bien, mais il devait alors affronter son procĂšs. Il y tenait absolument avec ce cĂŽtĂ© «âcheval fouâ» quâil gardait encore malgrĂ© le grand Ăąge et qui affolait ses proches. En juin 2011, il a quand mĂȘme rĂ©alisĂ© un acte de transgression incroyable en appelant Ă voter pour François Hollande contre Sarkozy. Je lâavais pressenti, cette volontĂ© de battre le prĂ©sident sortant, je lâavais vue mĂ»rir. Ce fut son dernier acte politique, une maniĂšre de signifier quâil Ă©tait toujours en vie. Ensuite, il nâa pas pu se rendre Ă son procĂšs, il a Ă©tĂ© condamnĂ© sans bien comprendre pourquoi et il sâest enfoncĂ© alors dans une longue nuit durant laquelle il nâavait plus aucune raison de se battreâŠ
Au final, que vous aura appris le fait de cĂŽtoyer aussi longuement et intensĂ©ment un tel homme dâĂtatâ?
Cela mâa appris Ă toujours essayer de voir au-delĂ des apparences, cela mâa donnĂ© une plus grande curiositĂ© encore pour comprendre les ressorts secrets des gens de pouvoir. Moi qui essaie dâĂȘtre romancier, mais qui suis aussi biographe, et qui ai cette curiositĂ© des ressorts intimes des individus, câest sans doute ce qui mâa le plus intĂ©ressĂ© chez Jacques Chirac. Jâai compris Ă quel point on peut construire tout un destin sur Ă peu prĂšs le contraire de ce que lâon est profondĂ©ment. Elle a Ă©tĂ© lĂ , la tragĂ©die de Chirac. Câest un homme qui nâa pas construit sa vie sur ce quâil souhaitait ou aimait, mais sur ce quâil sâest laissĂ© imposer. Câest le mystĂšre de la construction de soi, que jâavais dĂ©jĂ abordĂ© avec un livre sur le gĂ©nĂ©ral de Gaulle, comment on se construit quand on est un tel homme politique et comment tout ce parcours peut ĂȘtre jalonnĂ© de malentendus et de contresens. Câest en cela que jâai parfois senti chez lui un homme moins heureux quâil voulait le laisser paraĂźtre.
Je voudrais terminer en recueillant vos sentiments sur le monde de lâĂ©dition. Ce secteur est aujourdâhui traversĂ© par des Ă©vĂ©nements considĂ©rables, liĂ© Ă la
cession du groupe Ăditis, auquel votre maison dâĂ©dition Bouquins appartient, cette cession devant permettre Ă Vincent BollorĂ© de prendre dĂ©finitivement le contrĂŽle du groupe LagardĂšre et de son fleuron, Hachette.
La direction dâĂditis mâa fait confiance pour diriger une des maisons qui lui appartiennent encore Ă lâheure oĂč nous nous parlons. Jâai pris un jour un petitdĂ©jeuner avec Vincent BollorĂ© et il mâa expliquĂ© pourquoi il sâintĂ©ressait au monde de lâĂ©dition. Sa mĂšre avait Ă©tĂ© lectrice chez Gallimard, son oncle lâun des fondateurs des Ă©ditions de La Table Ronde aprĂšs la LibĂ©ration. Pour autant, je nâai jamais Ă©tĂ© associĂ© Ă son projet de fusion avec Hachette, qui ne relevait pas de mes compĂ©tences. Ce que je puis dire, en revanche, câest que depuis deux ans, je nâai jamais subi la moindre pression de qui que ce soit Ă lâintĂ©rieur du groupe. Jâai toujours pu agir sur le plan Ă©ditorial avec une libertĂ© et une autonomie totales. Je ne suis pas sĂ»r que jâaurais trouvĂ© les mĂȘmes dans dâautres maisons prĂ©sumĂ©es vertueuses. Ceci dit, comme tout le monde, je souhaite quâon retrouve trĂšs vite une stabilitĂ© indispensable Ă notre propre Ă©quilibre professionnel, Ă la qualitĂ© de nos relations avec les auteurs et Ă la rĂ©ussite de nos objectifs communsâŠâ» b
cette curiosité
EXPOS TGV
Munch, Kokoschka, Monet, Mitchell, Neel, Street Art, HyperrĂ©alisme âŠ

Le cru Paris-2022 est exceptionnelâ!
Comme chaque dĂ©but dâhiver, revient lâimmense plaisir de vous inciter Ă visiter durant les fĂȘtes de fin dâannĂ©e les grandes (et moins grandesâŠ) expos de la capitale, dĂ©sormais si facilement accessibles grĂące au prĂ©cieux TGV. Sur les cimaises des musĂ©es parisiens de cette fin dâannĂ©e, lâart scintille de toutes parts. RĂ©servez train et hĂŽtel, on sâoccupe du reste, marchez sur nos pasâŠ

MUSĂE DâORSAY
Edvard Munch, le merveilleux indocile
Câest bien sĂ»r lâexpo-Ă©vĂ©nement de cette fin dâannĂ©e Ă Paris et les impressionnantes files de visiteurs qui se forment sur le parvis dâOrsay sont lĂ pour attester de la rĂ©elle attente du public concernant un des monstres sacrĂ©s de la peinture du dĂ©but du XXe siĂšcle. Par la grĂące dâun accrochage dâune rare pertinence, «âEdvard Munch, un poĂšme de vie, dâamour et de mortâ» est une expo qui se vit avec un plaisir infini, chaque visiteur ayant bien conscience quâon cĂŽtoie lĂ le plus prĂ©cieux dâune Ă©poque quasi indĂ©passable de lâhistoire de lâartâŠ
Une confirmation, tout dâabordâ: le cĂ©lĂ©brissime Le Cri  nâest pas lĂ (mais une petite lithographie lâĂ©voque). Inutile, cependant, de chercher des poux dans la tĂȘte des promoteurs de lâexpo dâOrsay, la prestigieuse toile est dĂ©sormais sertie pour toujours dans lâĂ©crin du tout nouveau MusĂ©e Munch dâOslo, ce spectaculaire bĂątiment de verre et dâacier, reconnaissable entre mille par son plan inclinĂ© supĂ©rieur, qui domine de ses soixante mĂštres de haut la capitale norvĂ©gienne qui vient de lâinaugurer. De toute façon, depuis son vol en 2004 (en mĂȘme temps quâune autre toile trĂšs connue du peintre norvĂ©gien La Madone) et, deux ans plus tard, le retour des deux Ćuvres retrouvĂ©es (mais pas les voleurs), Le Cri est devenu un vĂ©ritable trĂ©sor national et ne voyage plus.
Son absence est parfaitement assumĂ©e et on ira mĂȘme jusquâĂ dire quâelle permet de braquer les projecteurs sur lâĆuvre prolifique (plus de 1â700 toiles, dessins,
lithographies en prĂšs de soixante ansâŠ) du maĂźtre norvĂ©gien.
LibĂ©rĂ©e du carcan de cette toile emblĂ©matique mondialement connue, la commissaire de lâexposition (et toute nouvelle directrice du musĂ©e de lâOrangerie) Claire Bernardi nous offre le magnifique cadeau de nous prĂ©senter une centaine de toiles et de dessins constituant un formidable aperçu de la totalitĂ© de lâĆuvre du peintre norvĂ©gien.
La maladie, la folie et la mort
Edvard Munch fut le contemporain septentrional des Kandinsky et autres Klimt, Schiele, Kokoshka (lire lâarticle page 18), tous acteurs de lâArt moderne, cette pĂ©riode bĂ©nie de lâhistoire de lâart. Pour autant, largement autodidacte, il est au final inclassable puisquâon dĂ©cĂšle dans sa peinture des influences naturalistes, impressionnistes, fauvistes, lui, quâon considĂšre aussi comme un des prĂ©curseurs de lâexpressionnisme.
Lâexpo parisienne dâOrsay montre bien son indocilitĂ© et sa grande libertĂ© esthĂ©tique, Munch se prĂ©occupant uniquement, en dehors de toute contrainte, de fixer sur une multitude de supports sa vision personnelle et intime du monde et de la vie.
Ainsi, les thĂ©matiques morbides traversent toute son Ćuvre. Dans un de ses innombrables carnets de notes, Munch Ă©critâ: «âLa maladie, la folie et la mort Ă©taient les anges noirs qui se sont penchĂ©s sur mon berceauâ». Comment pouvait-il en ĂȘtre momentâ: la tuberculose lui enlĂšve sa mĂšre alors quâil est seulement ĂągĂ© de cinq ans, cette mĂȘme maladie faisant disparaitre, dix ans plus tard, Sophie, sa sĆur ainĂ©e. Ă lâĂąge adulte, Laura, une autre de ses sĆurs, sera internĂ©e Ă vie pour dâintenses troubles psychiatriques et son frĂšre Andrea dĂ©cĂ©dera brutalement dâune pneumonie, Ă lâĂąge de vingt-cinq ans. Parmi dâautres, quatre Ćuvres symbolisent cette importante et incontestable part de noirceurâ: une lithographie de Lâenfant malade (la
toile originale date de 1885-86) oĂč la mort sâapprĂȘte Ă engloutir une pauvre enfant au visage diaphane, DĂ©sespoir (1892) oĂč lâon retrouve le ciel tourmentĂ© du Cri accablant la forme dâun homme sans visage qui fixe le noir qui coule sous la rambarde dâun pont, le cĂ©lĂ©brissime tableau SoirĂ©e sur lâavenue Karl-Johan (1892) avec le dĂ©filĂ© des bourgeois des rues de Christiana devenus des spectres aux visages sans expression mangĂ©s par des yeux fixes et inhabitĂ©s et enfin, Vampyr (1895) cette somptueuse allĂ©gorie de la cruautĂ© de lâamour, cette toile superbement traversĂ©e par la lumiĂšre provenant de la criniĂšre rousse qui dĂ©voreâŠ
Toute lâĆuvre dâun gĂ©antâŠ
Heureusement, lâexposition dâOrsay, dans son souci de prĂ©senter la palette complĂšte des talents de Munch, propose Ă©galement, en majestĂ©, les «âextĂ©rieursâ» du peintre norvĂ©gien, si dĂ©licatement matĂ©rialisĂ©s

«âLâexposition dâOrsay, dans son souci de prĂ©senter la palette complĂšte des talents de Munch, propose Ă©galement, en majestĂ©, les âextĂ©rieursâ du peintre norvĂ©gien.â»
par Les jeunes Filles sur le pont (1927) âa-t-on mieux quâEdvard Munch rĂ©ussi Ă fixer sur une toile la lumiĂšre si particuliĂšre des rĂ©gions septentrionalesâ? â ce tableau Ă©tant aussi prolongĂ© par une superbe gravure sur bois, prouvant lâuniversalisme de la dĂ©marche de lâartiste, rĂ©pĂ©tant souvent les mĂȘmes motifs et les mĂȘmes thĂ©matiques en peinture, en gravure, en sculpture⊠Sans prĂ©tendre rivaliser Ă distance avec lâexhaustivitĂ© de la plus belle des expositions jamais montĂ©es sur Munch (câĂ©tait en 2003 pour la rĂ©ouverture de lâAlbertina de Vienne avec toutes les toiles majeures de lâĆuvre du NorvĂ©gien, dont Le Cri, et une invraisemblable kyrielle de Madone sur tous les supports possibles, huile sur toile, fusain, gravure, sculpture sur boisâŠ), lâexpo parisienne sâattache formidablement Ă rendre hommage Ă un artiste rĂ©ellement hors du commun.

Indocile, vous dit-onâ: en 1937, 82 de ses toiles se verront classĂ©es (quel hommageâ!) comme «âart dĂ©gĂ©nĂ©ré⻠par lâAllemagne nazie. Sept annĂ©es plus tard, sous lâoccupation de la capitale norvĂ©gienne par lâarmĂ©e allemande et malgrĂ© la soumission quasi totale des Ă©diles municipaux dâalors, la NorvĂšge organisera pour son peintre emblĂ©matique des obsĂšques quasi nationales.
Ultime touche de raffinementâ: la coĂ©dition avec la RMN dâun petit livre, Mots de Munch, oĂč, en regard de la plupart des Ćuvres du maĂźtre norvĂ©gien, figurent ses innombrables citations. Parmi elles, celle-ci, datant de 1930, «âNous ne mourons pas, câest le monde qui meurt et nous abandonneâ»⊠c
EDVARD MUNCH, UN POĂME DE VIE, DâAMOUR ET DE MORT
Jusquâau 22 janvier 2023 MusĂ©e dâOrsay Paris (7e)
TĂ©l.â: 01 40 49 48 14 du mardi au dimanche, de 9h30 Ă 18h, le jeudi jusquâĂ 21h45
AccĂšsâ: MĂ©tro ligne 12, station SolfĂ©rino
Billetterie (prudent de rĂ©server)â: www.musee-orsay.fr
EntrĂ©e de 10 ⏠à 16 ⏠(bravo pour ces prix modĂ©rĂ©sâ!)
Rosa Bonheur, la star de la peinture animaliĂšre
Orsay fĂȘte le bicentenaire de la naissance de Rosa Bonheur, cette dessinatrice-virtuose et peintre lĂ©gendaire du rĂšgne animal.


MUSĂE DâART MODERNE DE PARIS c DOSSIER â EXPOS TGV PARIS
Si elle existait, sa collection de passeports dirait tout du destin dâOskar Kokoschka, lui qui fut successivement de nationalitĂ© austrohongroise, tchĂ©coslovaque, britannique et enfin autrichienne, au fil des Ă©vĂ©nements de ce XXe siĂšcle qui ont bouleversĂ© lâEurope. Lâanecdote ne vaut pas que pour son originalitĂ©â: câest bien lâengagement permanent qui a dictĂ© les pĂ©rĂ©grinations gĂ©ographiques de ce peintre peu montrĂ© en France et Ă qui le MusĂ©e dâArt Moderne de Paris offre enfin lâexposition qui lui manquait dans notre paysâŠ
Oskar Kokoschka, Le joueur de transe (Ernst Reinhold), 1909

S
on nom scintille pour lâĂ©ternitĂ© parmi ceux des fameux SĂ©cessionnistes viennois fĂ©dĂ©rĂ©s par Gustav Klimt dĂšs la toute fin du XIXe siĂšcle et qui créÚrent de toutes piĂšces le mouvement de lâArt nouveau, cet Ă©crin brillantissime dâune inoubliable kyrielle dâĆuvres majeures. Oui, Ă peine ĂągĂ© dâune vingtaine dâannĂ©es, Oskar Kokoschka se mesurait dĂ©jĂ avec les Gustav Klimt, Egon Schiele, Koloman Moser, les architectes Josef Hoffmann, Josef Maria Olbrich et Otto Wagner et une flopĂ©e dâartistes rĂ©unis autour du concept dâart total au sein du Wiener WerkstĂ€tte (LâAtelier dâArt de Vienne).
Lâoubli est donc rĂ©parĂ© et on le doit Ă Fabrice Hergott, lâex-directeur des MusĂ©es de la Ville de Strasbourg, poste quâil quitta en 2006 pour justement prendre la direction du MusĂ©e dâArt Moderne de Paris. Depuis, dans la capitale europĂ©enne, le dĂ©part de Fabrice Hergott reste unanimement regrettĂ© par toutes celles et ceux qui aiment lâartâŠ
Ce sont donc prĂšs de 150Â toiles et Ćuvres sur papier qui rendent enfin
18 c DOSSIER â Expos TGV â47 â DĂ©cembre 2022 â Merveilles

hommage Ă Oskar Kokoschka dans les immenses salles du musĂ©e de lâavenue du prĂ©sident Wilson, Ă deux pas du TrocadĂ©ro. Bien sĂ»r, elles couvrent toutes les Ă©poques de lâĆuvre de lâartiste, les toutes derniĂšres Ă©tant aussi bien reprĂ©sentĂ©es que ses premiers pas viennois.

Un engagement total
Il y a donc Vienne, jusquâĂ la PremiĂšre Guerre mondiale. La Grande Faucheuse nâaura pas voulu dâOskar Kokoschka qui, griĂšvement blessĂ© Ă deux reprises, rĂ©ussit nĂ©anmoins Ă survivre. En 1916, dĂ©mobilisĂ©, il rejoint son galeriste Paul Cassirer qui Ćuvre Ă Berlin puis il enseigne Ă Dresde jusquâen 1923. Dans la dĂ©cennie suivante, ponctuĂ©e par de nombreux sĂ©jours Ă Paris et Ă Londres, villes oĂč il Ă©tait strictement inconnu avant sa venue, il voyagera beaucoup, en Europe, mais aussi en Afrique du Nord et au Moyen-Orient.
Son retour Ă Vienne, en 1932, assoira sa notoriĂ©tĂ© devenue internationale. Mais câest Ă Prague quâil rĂ©sidera ensuite pendant quatre ans, cette capitale de la TchĂ©coslovaquie quâil fuira Ă©galement, sentant arriver lâoccupation nazie. Ă Londres de 1938 Ă 1946, il finira par se fixer en Suisse jusquâĂ sa mort en 1980 Ă lâĂąge de 94 ans.
Câest peu dire que, si peu casanier, le sĂ©cessionniste viennois fut marquĂ© Ă©galement par ces deux terribles guerres
mondiales des annĂ©es de plomb du XXe siĂšcle durant lesquelles son engagement fut total. EngagĂ© volontaire en 1914 puis farouche opposant aux hordes nazies montantes Ă la fin des annĂ©es trente ce qui lui valut de figurer parmi les artistes de lâart dĂ©gĂ©nĂ©rĂ© en 1937, un an aprĂšs quâune de ses toiles se vit dĂ©coupĂ©e au couteau par un abruti apprenti-gestapiste Ă Vienne. Beaucoup de ses toiles ont par ailleurs disparu ensuite, lors des spoliations antisĂ©mites.
Ă Paris et Ă Londres, on releva son nom parmi les adhĂ©rents des associations venant en aide aux artistes allemands en exil. AprĂšs la guerre, Kokoschka continua son parcours militant, sâopposant Ă la prolifĂ©ration de lâarme nuclĂ©aire, affichant sans relĂąche son pacifisme et soutenant avec force lâUnion europĂ©enne alors naissante. JusquâĂ sa mort, sa rage de peindre ne faiblira pas et il ne cessera dâaffirmer jusquâau bout sa conviction que la peinture, par sa subversion, est une arme essentielle pour lutter contre les dictatures.
OSKAR KOKOSCHKA, UN FAUVE Ă VIENNE
Jusquâau 12 fĂ©vrier 2023 MusĂ©e dâArt Moderne de Paris 11 avenue du prĂ©sident Wilson Paris (16e)
TĂ©l.â: 01 53 67 40 00 du mardi au dimanche, de 10h Ă 18h, le jeudi jusquâĂ 21h30
AccĂšsâ: MĂ©tro ligne 9, stations IĂ©na ou AlmaMarceau
Billetterieâ: www.mam.paris.fr EntrĂ©e de 12 ⏠à 16 ⏠(bravo lĂ encore pour ces prix modĂ©rĂ©sâ!)
Lâexpo du MusĂ©e dâArt Moderne de Paris fait la part belle Ă ses fameux portraits qui le firent connaĂźtre dans le monde entier, particuliĂšrement ceux manifestement
inspirĂ©s des techniques et couleurs des Nolde, Kirchner et autres artistes du mouvement Die BrĂŒcke créé Ă Dresde en 1905.
DâentrĂ©e, dĂšs le seuil de lâexpo, on dĂ©couvre le portrait de son ami Ernst Reinhold, un comĂ©dien, qui nous hypnotise avec son Ă©trange regard bleu, mais on se sent trĂšs vite perturbĂ© par les quatre phalanges boursouflĂ©es de sa main gauche, apparaissant comme une puissante griffe animaleâŠ
Une grande partie de lâĆuvre de OK (sa signature emblĂ©matique) Ă©chappe pour beaucoup Ă la comprĂ©hension usuelle, car ses toiles sont souvent autant dâallĂ©gories assez mystĂ©rieuses oĂč le grotesque le dispute Ă la colĂšre et mĂȘme la rage. Câest cet engagement permanent, presque atavique, qui fit dĂ©boucher le peintre autrichien en pleine lumiĂšre et qui, aujourdâhui, frappe par sa modernitĂ© au point que beaucoup de ses Ćuvres dâaprĂšs-guerre pourraient de nos jours figurer sans problĂšme sur les cimaises des plus grands rendez-vous mondiaux de lâart contemporain.
Rien de cela nâa Ă©chappĂ© Ă Fabrice Hergott, qui cite dans son avant-propos publiĂ© dans le catalogue de lâexposition, la formule de lâĂ©crivain autrichien de lâentredeux-guerres Karl Kraus selon laquelle «âle grand mensonge quâest lâart parvient Ă dire la vĂ©ritĂ©â». LâĆuvre de Oskar Kokoschka est une des plus belles illustrations de la pertinence de ce propos⊠c
Oskar Kokoschka, Londres â Petit paysage de la Tamise, 1926«âCe grand mensonge qui parvient Ă dire la vĂ©ritĂ©âŠâ»


Joan Mitchell, la peintre expressionniste abstraite amĂ©ricaine est nĂ©e en 1925, Ă peine deux ans avant la disparition du pĂšre de lâimpressionnisme, Claude Monet. Et pourtant, magie de lâart et du talent de la directrice artistique de la Fondation Vuitton, lâimpressionnante Suzanne PagĂ©, le vieux lion et la viscĂ©rale anticonformiste se sont enfin rencontrĂ©s Ă lâaube de la troisiĂšme dĂ©cennie de ce XXIe siĂšcle. Outre la rĂ©trospective de lâartiste amĂ©ricaine au niveau -1 de la Fondation, le dialogue Monet/Mitchell se dĂ©voile sur les trois niveaux supĂ©rieurs du bĂątiment et le tout surprend et Ă©merveilleâŠ

Avant tout, il faut faire part dâune intense Ă©motion que tous les amateurs dâart qui visiteront la Fondation Vuitton dâici le 27 fĂ©vrier prochain vivront comme un cadeau prĂ©cieux et incroyable.
Dans la monumentale Galerie 9 de la Fondation, un mur immaculĂ© et immense accueille le majestueux triptyque LâAgapanthe, peint par Claude Monet vers la toute fin de sa vie, Ă partir de 1914, dans le cadre de ce quâil a appelĂ© «âLes Grandes DĂ©corationsâ». Monet a fait construire un atelier spĂ©cial pour pouvoir crĂ©er ces trĂšs grands formats dont aucun ne sera jamais montrĂ© avant sa mort, douze annĂ©es plus tard. «âDĂšs lors, il ne reprĂ©sentera plus le monde tel quâil le voit, mais il imagine un monde de peinture. Produire des Ćuvres pleines dâharmonie est pour lui une forme de rĂ©sistance au chaos de la guerreâ» dit Marianne Mathieu, directrice scientifique du MusĂ©e Marmottan Monet qui a contribuĂ© Ă lâĂ©vĂ©nement de la Fondation Vuitton. Oui, il faut sortir les superlatifs pour
faire partager lâĂ©motion suscitĂ©e par cette Ćuvre quasi incroyable. Les trois panneaux constituent un triptyque de treize mĂštres de long pour une hauteur de deux mĂštresâ! Monet a mis dix ans pour le rĂ©aliser, modifiant et remodifiant plusieurs fois la composition de ce bassin de nymphĂ©as oĂč domine un mauve lavande dâune infinie douceurâŠ
Mais le plus ahurissant est ailleursâ: cette Ćuvre nâa non seulement jamais Ă©tĂ© vue par le public français sur le territoire national, mais ses trois Ă©lĂ©ments ont Ă©tĂ© rĂ©unis par Suzanne PagĂ© en provenance de trois musĂ©es amĂ©ricains diffĂ©rents. Le premier a Ă©tĂ© expĂ©diĂ© par le Saint-Louis Art Museum qui en a fait lâacquisition en 1956. Le second, celui du milieu, est arrivĂ© en provenance du Nelson-Atkins Museum de Kansas City qui en est devenu propriĂ©taire en 1957. Enfin, la troisiĂšme partie du prestigieux triptyque a Ă©tĂ© acquise par le Cleveland Museum of Art en 1960. Tour Ă tour, se prĂȘtant mutuellement leurs

«âOui, il faut sortir les superlatifs pour faire partager lâĂ©motion suscitĂ©e par cette Ćuvre quasi incroyable.â»Joan Mitchell Two pianos
acquisitions, ces trois institutions ont accueilli la totalitĂ© de lâĆuvre Ă la fin des annĂ©es 1970, avant que la Royal Academy of Art de Londres en fasse de mĂȘme, en 2016, dans une prĂ©sentation en U des trois Ă©lĂ©ments.
Presque un siĂšcle aprĂšs sa rĂ©alisation en France par Claude Monet, LâAgapanthe peut donc enfin ĂȘtre vu Ă Paris dans son intĂ©gritĂ©. Câest Ă©videmment un Ă©vĂ©nement considĂ©rable et unique⊠et le public peut donc enfin admirer sans compter les grands espaces colorĂ©s par ces «âradeaux de nĂ©nupharsâ» comme le dit Suzanne PagĂ© «âet la grande libertĂ© dans les touches, la subtilitĂ© de palette, avec des notes pĂȘche, lavande, roses, lilas. Monet est parti dâune reprĂ©sentation rĂ©aliste pour aboutir Ă un rĂ©sultat presque abstraitâ» complĂšte-t-elle.
Enfin, la rencontreâŠ
La prouesse de la reconstitution originelle de LâAgapanthe sâinscrit donc dans le cadre de cette formidable rencontre Monet â Mitchell. La peintre expressionniste abstraite amĂ©ricaine nâavait certes que deux ans quand Claude Monet rendit son dernier soupir, mais, dĂ©jĂ reconnue sur la scĂšne amĂ©ricaine de lâaprĂšs-Seconde Guerre mondiale, elle sâenticha trĂšs vite de Paris en multipliant les aller-retour entre la France et son atelier de Saint Markâs Place Ă New York. Ă lâĂ©vidence pour finir de marquer sa farouche indĂ©pendance, elle sâinstalla dĂ©finitivement dans la capitale française, rue FrĂ©micourt, au dĂ©but des annĂ©es soixante.

Elle qui avait toujours tenu Ă imposer son propre rythme et dicter ses propres rĂšgles ne pouvait certes pas ignorer la peinture de Monet, plĂ©biscitĂ©e depuis longtemps par les Ătats-Unis qui le considĂ©rĂšrent trĂšs tĂŽt comme le prĂ©curseur du modernisme amĂ©ricain.
Joan Mitchell avait-elle en tĂȘte les conditions dâune rencontre encore plus intime avec Claude Monet quand, en 1968, elle dĂ©cida de sâĂ©tablir Ă VĂ©theuil, Ă lâorĂ©e de la Normandie, dans une propriĂ©tĂ©, La Tour, sertie dans une nature si superbe que les paysages qui lâentouraient nâallaient plus jamais cesser ensuite de lâinspirerâ?
Le plus extraordinaire est cependant ailleursâ: quand les yeux de Joan Mitchell embrassaient les panoramas qui sâoffraient Ă ses yeux, elle fondait alors son regard avec celui de Claude Monet qui, pendant quatre ans, jusquâen 1881, vĂ©cut dans une maison Ă quelques centaines de mĂštres en contrebas de la propriĂ©tĂ© de lâAmĂ©ricaineâ!
Câest cette magie-lĂ quâon retrouve sur les murs de la Fondation Vuitton, cette couleur qui interfĂšre en permanence avec la lumiĂšre, lâeau dont les effets miroirs sont archiprĂ©sents chez les deux artistes (Le bassin aux nymphĂ©as pour lui, la Seine pour elle) et surtout, bien sĂ»r, les grands formats (depuis toujours pratiquĂ©s pour elle et enfin affrontĂ©s Ă la fin de sa vie, pour lui).
Quand on sait cela, on est en permanence Ă la recherche de cette complicitĂ© Ă des dĂ©cennies de distance et souvent, elle saute aux yeux. Câest plus quâĂ©mouvant de voir leurs paysages se fondre dans ces ocĂ©ans de couleurs, tout en douceur chez Monet avec lâapplication de frottis monochromes, beaucoup plus brutalement chez Mitchell dont les touches Ă©nergiques ont scandĂ© lâensemble de lâĆuvre.
Cette expo unique ne doit pas ĂȘtre ratĂ©e. On a envie de dire «âMerci Mme Pagé⻠dâavoir su diriger notre regard vers la magie du travail de ce couple improbable, mais si formidablement rĂ©uni⊠c
MONET-MITCHELL
Jusquâau 27 fĂ©vrier 2023 Fondation Louis Vuitton 8 Av. du Mahatma Gandhi Paris (16e)
TĂ©l.â: 01 40 69 96 00
En pĂ©riode de vacances scolairesâ: du lundi au jeudi de 9h Ă 21h ainsi que les samedis et dimanches. Le vendredi de 9h Ă 23h.
AccĂšsâ: Navette (payante) au dĂ©part du haut de lâavenue de Friedland (face au n° 44), prĂšs de lâĂtoile.
Billetterieâ: www.fondationlouisvuitton.fr
Entrée de 5 ⏠à 16 ⏠Billet famille panachable.
Claude Monet Nympheas, 1910/1918«
I am the century - Je suis le siĂšcleâ» avait coutume de dire Alice Neel nĂ©e en janvier 1900 et dĂ©cĂ©dĂ©e en 1984. Trop longtemps occultĂ©e de son vivant, la peintre rĂ©aliste amĂ©ricaine se voit enfin offrir sa rĂ©trospective en France. Et câest une dĂ©marche provocatrice intense et ininterrompue que le Centre Pompidou expose sur ses cimaises, une recherche permanente de la vĂ©ritĂ© qui nâaura jamais craint de bousculer durant des dĂ©cennies. Câest bluffantâŠ

Il suffit de lire le rĂ©cit des trois premiĂšres dĂ©cennies de Alice Neel pour comprendre cette rage qui lâa habitĂ©e quasi en permanence et qui, Ă lâĂ©vidence, a rugi sur ses peintures, de la premiĂšre Ă la derniĂšre.
NĂ©e donc avec le XX e  siĂšcle en Pennsylvanie, elle intĂšgre dĂšs ses dix-huit ans la Philadelphia School of Design, non sans avoir servi son pays en tant que secrĂ©taire au sein de lâArmy Air Corps. En 1924, elle se marie avec Carlos Enriquez, un artiste cubain. Tous deux sâinstallent Ă Cuba oĂč nait leur fille deux ans plus tard. Santillana del Mar ne vivra quâun an, emportĂ©e par la diphtĂ©rie alors que le couple venait juste de rentrer Ă New York.
LâannĂ©e suivante nait une seconde petite fille, Isabetta, mais deux ans plus tard, Enriquez rentre brutalement Ă Cuba, enlevant Isabetta Ă lâaffection de sa mĂšre. DĂ©sespĂ©rĂ©e, Alice Neel tombe dans une grave dĂ©pression et tente de se suicider. Elle sĂ©journera pendant un an dans un hĂŽpital psychiatrique. Nous sommes Ă la veille du krach de 1929 et son cortĂšge de malheursâŠ
TĂ©moigner des dĂ©laissĂ©s de la sociĂ©tĂ©âŠ
DĂšs 1931, Alice Neel entamera son long parcours artistique, sans doute dĂ©jĂ bien mĂ»ri par une farouche volontĂ© de peindre envers et contre tout. Elle vivra un autre dramatique Ă©pisode en 1934 quand son compagnon dâalors brĂ»lera ses dessins et lacĂšrera ses tableaux, suite Ă une crise de jalousie. Se relevant une fois de plus, elle se met alors Ă peindre dâinnombrables portraits de toutes les classes sociales vivant autour dâelle Ă New York, de ses proches aussi âamis, amants, voisins, artistes, poĂštes, critiques dâart â mais aussi des dĂ©laissĂ©s et ignorĂ©s de la sociĂ©tĂ© â les immigrĂ©s latinos et portoricains, les Noirs, les petites frappes nâayant que la rue pour royaume sans oublier, effet miroir, les mĂšres de famille Ă©levant seules leurs enfants.
CENTRE POMPIDOU c DOSSIER â EXPOS TGV PARIS 26 c DOSSIER â Expos TGV â47 â DĂ©cembre 2022 â Merveilles
Alice Neel, Rita and Hubert, 1954Dans les annĂ©es 50, elle nâĂ©chappera pas Ă lâinquisition de la Commission McCarthy. Elle sera longuement interrogĂ©e puis inquiĂ©tĂ©e par le FBI en raison de sa proximitĂ© avec le parti communiste amĂ©ricain.
ParallĂšlement Ă cette vie qui ne la mĂ©nage pas, elle continue Ă peindre avec ce style engagĂ© et quasi brutal qui est le sien, affrontant crĂąnement la bonne sociĂ©tĂ© amĂ©ricaine de lâĂ©poque. Bien entendu, elle nâa ainsi que peu de chance de voir ses toiles achetĂ©es par les mĂ©cĂšnes newyorkais dâalors, mais, pour autant, elle ne cĂšde rien. En 1963, elle expose enfin Ă la Graham Gallery qui la reprĂ©sentera pendant les vingt annĂ©es suivantes.
Alice Neel ne cessera jamais de militer, dĂ©nonçant notamment lâabsence dâartistes femmes et africains-amĂ©ricains dans lâexposition The 1930âs. Panting and sculpture in America au Whitney Museum of American Art. Elle sâĂ©lĂšve lâannĂ©e suivante contre lâabsence dâartistes noirs dans lâexpo Harlem on My Mind au MoMA.

En 1970, le vent commence enfin Ă tournerâ: son portrait de la fĂ©ministe Kate Millet fait la une du Times Magazine, la plus belle vitrine que lâAmĂ©rique dâalors pouvait offrir Ă un artiste. Andy Wahrol pose pour elle puis, en 1974 (elle a alors 74 ansâ!) survient la consĂ©crationâ: le Whitney Museum lui offre sa premiĂšre grande rĂ©trospective (un beau succĂšs). DĂšs lors, Alice Neel fera lâobjet de toutes les attentions, y compris internationales.
En 1983 sortira sa premiÚre monographie, mais, atteinte par le cancer, la rebelle rassemblera ses derniÚres forces pour recevoir le célÚbre photographe Robert Mapplethorpe qui capturera son visage quelques jours seulement avant sa disparition, le 13 octobre.
Une femme libre et indépendante
Une telle vie conditionne bien sĂ»r toute lâĆuvre dâun artiste. Lâexpo parisienne a Ă©tĂ© montĂ©e par Angela Lampe, conservatrice
«âElle continue Ă peindre avec ce style engagĂ© et quasi brutal qui est le sien, affrontant crĂąnement la bonne sociĂ©tĂ© amĂ©ricaine de lâĂ©poque.â»
au MusĂ©e national dâArt Moderne intĂ©grĂ© au Centre Pompidou. Il suffit de lâĂ©couter parler du choc Alice Neel et de la puissance de ses convictionsâ: «âTraversant les pĂ©riodes de lâabstraction triomphante, du pop art, de lâart minimal et conceptuel, Alice Neel, une femme libre et indĂ©pendante, est restĂ©e avec sa peinture figurative Ă contre-courant des avant-gardes qui marquent la scĂšne de New York oĂč elle avait Ă©lu domicile au dĂ©but des annĂ©es 1930. Habitant dans les quartiers populaires et multiethniques â Greenwich Village dâabord, Spanish Harlem ensuite â Neel, vivant des aides sociales et mĂšre cĂ©libataire, se sent proche de ses modĂšles, auxquels elle cherche Ă sâidentifier. Son engagement nâest jamais abstrait, mais nourri de vraies expĂ©riences. Peindre lâhistoire sans le filtre dâune proximitĂ© intime ne lâintĂ©resse pas. Ă lâinstar de lâĆil de la camĂ©ra, Neel fait entrer dans notre champ de vision des personnes qui auparavant restaient dans lâobscuritĂ© et tombaient dans lâoubli. Câest son premier geste politique. Le second rĂ©side dans son choix de cadrage â une frontalitĂ© qui interpelle. Lâartiste nous place droit devant ses modĂšles. Avec une grande puissance picturale, Neel nous les imposeâ: regardez-lesâ!â»
LâextrĂȘme cruditĂ© de lâĆuvre de Alice Neel nâest pas occultĂ©e dans cette rĂ©trospective française enfin consacrĂ©e Ă la peintre rĂ©aliste amĂ©ricaine sans doute la plus marquante de la seconde moitiĂ© du XXe siĂšcle.

Jamais sans doute lâexpression «âla rage de peindreâ» nâaura Ă©tĂ© aussi Ă©vidente Ă souligner⊠c
ALICE NEEL, UN REGARD ENGAGĂJusquâau 16 janvier 2023 Centre Pompidou Paris (4e)
TĂ©l.â: 01 44 78 12 33
Du mercredi au lundi de 11h Ă 21h
AccĂšsâ: MĂ©tro Ligne 1 Station HĂŽtel de Villes ou Ligne 4 Station Les Halles, RER A Station Les Halles
Billetterieâ: www.centrepompidou.fr
EntrĂ©e de 12 ⏠à 15 âŹ
«âLâextrĂȘme cruditĂ© de lâĆuvre de Alice Neel nâest pas occultĂ©e dans cette rĂ©trospective française.â»
Ce Garouste qui bouscule nos certitudes
Pompidou consacre pas moins de dix-huit salles Ă GĂ©rard Garouste, un des plus importants peintres français. Une exposition du vivant dâun artiste (Garouste est aujourdâhui ĂągĂ© de 76 ans) est bien sĂ»r un Ă©vĂ©nement rarissime et ce sont ainsi dix-sept Ćuvres majeures (dont certaines sont monumentales) quâon peut dĂ©couvrirâŠ
Peut-on (doit-onâ?) dissocier la vie et lâĆuvre dâun artisteâ? Ăternel dĂ©bat. En tout cas, sous le signe de lâĂ©tude, mais aussi de la folie, la vie et lâĆuvre de GĂ©rard Garouste «âlâintranquilleâ» se nourrissent mutuellement en un dialogue complĂštement saisissant.

Adepte dâune figuration sans concession, le peintre dĂ©veloppe depuis toujours le sens Ă©nigmatique de ses Ćuvres et nâhĂ©site pas Ă mobiliser les grands rĂ©cits littĂ©raires classiques, telle la Divine ComĂ©die de Dante, quâil utilise comme une sorte dâintroduction aux diffĂ©rents niveaux de lecture biblique.
Depuis le milieu des annĂ©es 90, Garouste sâest consacrĂ© plus que longuement Ă lâĂ©tude du Talmud et du Midrash et, dĂšs le dĂ©but du siĂšcle actuel, toute sa production artistique a Ă©tĂ© influencĂ©e par cette obsession.
Ses Ćuvres mobilisent ainsi fortement le regard et la pensĂ©e, car elles sont dĂ©routantes, souvent indĂ©chiffrables pour le profane.
Parmi elles, deux moments dâĂ©tonnementâ: La Dive Bacchuc, une immense toile inspirĂ©e de Rabelais, tendue sur une sorte de manĂšge en fer battu de 7,52 m de diamĂštre (!). La toile est peinte sur ses deux faces, la face intĂ©rieure ne se dĂ©couvrant quâĂ travers une douzaine dâĆilletons rĂ©partis sur tout le pourtour de lâĆuvre.
Vers la fin de lâexposition, au dĂ©tour dâun dĂ©cor du parcours, on est littĂ©ralement happĂ© par un immense triptyque de 9 mĂštres de long, Le Banquet, qui renvoie Ă de multiples clĂ©s de lectureâ: la fĂȘte du Pourim, mais aussi Le Tintoret et mĂȘme Kafka. Un coup de poing au plexusâ!

Gérard Garouste
jusquâau 2 janvier 2023
Centre Pompidou â Niveau 6, galerie 2 Paris (4e)
TĂ©lâ: 01 44 78 12 33
Du mercredi au lundi de 11h Ă 21h
Billetterieâ: www.centrepompidou.fr
ET PUISQUE VOUS ĂTES TOUJOURS AU CENTRE POMPIDOU (BIS)âŠ
Evidence, la belle surprise de Soundwalk Collective & Patti Smith
De la chance de possĂ©der un outil culturel exceptionnel et modulable Ă souhaitâ: au cĆur du Centre Pompidou, un sombre parallĂ©lĂ©pipĂšde gĂ©ant accueille une «âĆuvre totaleâ» surprenante et Ă©tincelante inspirĂ©e dâun emblĂ©matique triptyque de poĂštes français magnifiĂ©s par la voix lancinante de Patti SmithâŠ
Soundwalk Collective est un collectif berlinois dâarts sonores contemporains formĂ© par lâartiste Stephan Crasneanscki et la musicienne Simone Merli. Le collectif dĂ©veloppe des projets sonores spĂ©cifiques Ă un lieu ou un contexte Ă travers desquels il dĂ©roule des thĂšmes conceptuels, littĂ©raires ou artistiques. Soundwalk Collective accumule depuis lâorigine les collaborations crĂ©atives, hier avec le regrettĂ© Jean-Luc Godard, la chorĂ©graphe Sasha Waltz, lâactrice Charlotte Gainsbourg et pour le Centre Pompidou, la chanteuse et lâauteur Patti Smith, quâon ne prĂ©sente plus.
Evidence, câest un parcours visuel et sonore qui tisse un voyage audiovisuel Ă partir de lâĆuvre des poĂštes français Arthur Rimbaud, Antonin Artaud et RenĂ© Daumal qui, tous trois, ont voyagĂ© vers divers horizons pour tenter de dĂ©couvrir une nouvelle perspective dâeux-mĂȘmes et de leur art.
Entre 2017 et 2021, Soundwalk Collective a collaborĂ© Ă la crĂ©ation de Perfect Vision, un triptyque dâalbums qui puise son inspiration dans les textes de ces trois poĂštes.
Ces trois albums ont Ă©tĂ© enregistrĂ©s respectivement dans la Sierra Tarahumara au Mexique, les montagnes de lâAbyssinie en Ăthiopie et au sommet de lâHimalaya en Inde.
Chaque album, restituĂ© par bribes dans le casque wifi dont chaque visiteur est Ă©quipĂ©, est revisitĂ© par la voix lancinante de Patti Smith. Alors, forcĂ©ment, mĂȘme si on ne dĂ©ambule que sur quelques mĂštres carrĂ©s, on voyage en XXL en rĂ©alitĂ© et lâexpĂ©rience est assez fabuleuse, entre sons, films, images de synthĂšse, un mur dâobjets ayant appartenu Ă ces trois poĂštes mythiques sans oublier les photographies, les textes et les Ćuvres de Patti Smith. Ne ratez pas ce moment unique et dâune folle originalitĂ©.
Evidence â Soundwalk Collective & Patti Smith
Jusquâau 23 janvier 2023 â Centre Pompidou â Paris (4e)
TĂ©lâ: 01 44 78 12 33
Du mercredi au lundi de 11h Ă 21h
Billetterieâ: www.centrepompidou.fr
Attentionâ! Lâinstallation Evidence est accessible au niveau 4 (Galerie 0) du Centre avec le billet dâentrĂ©e Collection (de 12 ⏠à 15 âŹ), mais la rĂ©servation dâun crĂ©neau horaire de visite est impĂ©rative et se fait aux guichets principaux au rez-de-chaussĂ©e. En mĂȘme temps, vous recevrez un bon pour lâindispensable casque audio individuel qui vous sera remis Ă lâentrĂ©e de lâinstallation.

Corps Ă©tranger MUSĂE MAILLOL
AprĂšs une tournĂ©e internationale, de lâAustralie Ă la Belgique en passant par lâEspagne, lâexposition HyperrĂ©alisme. Ceci nâest pas un corps, sâinstalle en France, Ă Paris, au MusĂ©e Maillol et jusquâau 5 mars 2023. Lâoccasion de dĂ©couvrir un courant artistique qui, au-delĂ de son incroyable technique, impressionne par les questionnements quâil soulĂšve.

Mouvement apparu aux Ătats-Unis dans les annĂ©es 60, lâhyperrĂ©alisme sculptural fait Ă©cho Ă lâesthĂ©tique dominante de lâĂ©poque, le Pop art et le photorĂ©alisme. Ici, lâartiste hyperrĂ©aliste cherche Ă atteindre la reprĂ©sentation parfaite de la nature et Ă crĂ©er le trouble auprĂšs du spectateur. Formes, contours, textures, le corps humain est reproduit Ă lâidentique dans un mĂ©ticuleux travail dâillusion. Pari rĂ©ussi donc pour cette exposition qui rĂ©unit plus de 40 sculptures dâartistes internationaux de premier plan dontâ: George Segal, Ron Mueck, Maurizio Cattelan, Berlinde De Bruyckere, Duane Hanson, Carole A. Feuerman, John De Andrea⊠à peine la visite commencĂ©e, on ne sait plus ce qui relĂšve de la copie ou de la rĂ©alitĂ© (Ăąmes sensibles, sâabstenir) et les visiteurs de parfois sursauter comme dans un musĂ©e des horreursâ!
Tératologie et eschatologie
MĂȘme parfaitement reproduits, ces corps nâen sont pas moins monstrueux, car leur ressemblance et leur permanence nous renvoient Ă notre condition humaine, changeante et Ă©phĂ©mĂšre. Câest lĂ toute la force de lâexpositionâ: montrer ces corps copies, ces corps miroirs qui nous interrogent sur le sens de nos vies. Bronze, plĂątre, silicone, rĂ©sine ou encore polystyrĂšne, les artistes utilisent diffĂ©rents matĂ©riaux, toujours Ă la recherche dâun rendu faisant illusion. Pourtant, la copie pure nâest pas nĂ©cessairement la finalitĂ© du processus hyperrĂ©aliste. Le corps, parfaitement reproduit, est ainsi modifiĂ© en profondeur, toujours dans lâidĂ©e de rĂ©vĂ©ler son potentiel expiatoire. Corps dĂ©capitĂ©s, Ă©tirĂ©s, tatouĂ©s, en lĂ©vitation, anamorphosĂ©s, automatisĂ©s ou lycanthropes, les mises en scĂšne poussent le dispositif jusquâau trouble, dans un jeu dâattirance-rĂ©pulsion qui donne Ă rĂ©flĂ©chir. Mi-fascinĂ©, mi-effrayĂ©, lâon parcourt les salles Ă la recherche dâun frisson alors que ce sont nos propres peurs qui sâexpriment lĂ .
Ă lâĂ©poque de lâonanisme iconophile Ă grands renforts de selfies, lâexposition HyperrĂ©alisme. Ceci nâest pas un corps recentre le dĂ©bat et nous prouve que lâexistence se trouve par-delĂ lâapparence.
HyperrĂ©alisme. Ceci nâest pas un corps, MusĂ©e Maillol, jusquâau 5 mars 2023
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«âLes dĂ©tails font la perfection et la perfection nâest pas un dĂ©tail.â»
Léonard de Vinci
«âLe corps, parfaitement reproduit, est ainsi modifiĂ© en profondeur, toujours dans lâidĂ©e de rĂ©vĂ©ler son potentiel expiatoire.â»
MUSĂE DES ARTS DĂCORATIFS
Indécente décennie
Si lâon considĂšre quâil faut laisser passer une gĂ©nĂ©ration pour pouvoir jeter un Ćil critique sur le passĂ©, lâexposition AnnĂ©es 80. Mode, design, graphisme en France arrive Ă point nommĂ©. Le MusĂ©e des Arts DĂ©coratifs de Paris propose ainsi jusquâen avril 2023 une rĂ©trospective des modes dâexpression de cette dĂ©cennie aux idĂ©es et Ă lâesthĂ©tique rĂ©solument hĂ©tĂ©roclites.
Câest accueilli par le portrait de François Mitterrand que lâon dĂ©bute lâexposition, nous sommes en 1981 et La force tranquille vient de gagner les Ă©lections. Tournant politique, mais aussi culturel et donc artistique, les annĂ©es 80 seront celles du fun et de la prospĂ©ritĂ© (pour un temps du moins), celles oĂč lâon cĂ©lĂšbrera, «âle droit Ă la vie, le droit au bonheurâ», selon la formule du ministre de la Culture dâalors, Jack Lang⊠Ce sont ainsi tous les mĂ©diums qui seront sommĂ©s dâexprimer le potentiel crĂ©atif et la rĂ©ussite Ă la française. Design, graphisme, publicitĂ©, haute-couture, culture underground, tout affiche le clinquant dâune sociĂ©tĂ© fric et frime qui sâessaie Ă la surconsommation. Dans un parcours Ă la fois historique et ludique, lâexposition du MAD revient sur les grandes figures et les temps forts qui firent les annĂ©es 80, de Jacques SĂ©guĂ©la (Ă qui lâon doit justement le slogan gagnant de la Gauche), Ă la FĂȘte
«âLâavant-garde se mue parfois en kitsch et donne Ă rĂ©flĂ©chir sur lâĂ©volution de notre sociĂ©tĂ©.â»
de la Musique, en passant par les dĂ©filĂ©s de Jean-Paul Gaultier, les crĂ©ations de Philippe Starck et les tubes de LioâŠ
La fĂȘte est finie
Si le gĂ©nie de Jean-Paul Goude ou du collectif Grapus nâest pas Ă remettre en cause, la nostalgie des affiches, clips publicitaires ou musicaux (dont on connaĂźt encore et toujours les slogans et paroles) nâempĂȘche cependant pas quelques grincements de dents. Sexisme, racisme, certains des codes des annĂ©es 80 ne passent plus 40 ans aprĂšs. Lâavant-garde se mue parfois en kitsch et donne Ă rĂ©flĂ©chir sur lâĂ©volution de notre sociĂ©tĂ©. Enfin, certaines publicitĂ©s nous rappellent quâau-delĂ des tenues extravagantes et des prouesses de lâindustrie automobile, les annĂ©es 80 sont aussi (et surtout), celles du dĂ©but des ravages du SIDA, campagnes Act Up Ă lâappuiâŠ
Lâexposition AnnĂ©es 80 est celle de toutes les gĂ©nĂ©rations, du souvenir Ă la dĂ©couverteâ; elle est celle dâune sociĂ©tĂ© qui sâauto-rĂ©flĂ©chit Ă travers ses propres artefacts dans une sorte dâarchĂ©ologie du prĂ©sent. Entre carambolage et marchĂ© aux puces, la culture de ces annĂ©es reste malgrĂ© tout porteuse de sens, spontanĂ©e, libre, Ă©phĂ©mĂšre. c
AnnĂ©es 80. Mode, design, graphisme en France, MusĂ©e des Arts DĂ©coratifs de Paris, jusquâau 16 avril 2023

«âLa passion du siĂšcle, câest le rĂ©el, mais le rĂ©el, câest lâantagonisme.â»
Alain Badiou

HĂTEL DE VILLE DE PARIS
Un passionnant panorama du Street Art
«âUne expo oĂč on nâapprend rienâ»â: câest le jugement laconique dâun pseudo site branchouille dâinformation Ă propos dâune exposition qui, pourtant, prĂ©sente avec exhaustivitĂ© et rigueur factuelle toute lâĂ©volution du Street Art parisien depuis les annĂ©es 70 jusquâĂ il y a peu. Un conseil pour lâapprenti-critiqueâ: «âEt si tu te bougeais pour juste aller voir, en laissant tes a priori Ă lâentrĂ©eâ?â»


CAPITALE(S)
Jusquâau 13 fĂ©vrier 2023
Salle Saint-Jean de lâHĂŽtel de Ville de Paris 5 rue de Lobau, Paris 4e
TĂ©l.â: 01 40 69 96 00
En pĂ©riode de vacances scolairesâ: du lundi au jeudi de 9h Ă 21h ainsi que les samedis et dimanches. Le vendredi de 9h Ă 23h.
AccĂšsâ: MĂ©tro Ligne 1, Station «âHĂŽtel de Villeâ»
Billetterieâ: lâaccĂšs est gratuit, mais Iâinscription est obligatoire via un module de rĂ©servation accessible sur www.paris.fr.
Le billet gratuit est Ă imprimer et vous sera demandĂ© Ă lâentrĂ©e. Dernier accĂšs Ă lâexpositionâ: 17h45. Nocturne le jeudi jusquâĂ 20h15. Horaire de rĂ©servation Ă respecter impĂ©rativement. Lâexposition est fermĂ©e les dimanches et les jours fĂ©riĂ©s.
Ce sont plus de 70 artistes dont les productions sont mises en scĂšne sur les deux niveaux de la Salle SaintJean de lâHĂŽtel de Ville de Paris et, pour ĂȘtre franc, se balader au beau milieu de prĂšs de six dĂ©cennies de crĂ©ations visuelles souvent Ă©bouriffantes fait un bien fou.
Beaucoup pensent que le Street Art est en fait le principal mouvement artistique de ce dĂ©but de XXIe siĂšcle. On peut bien sĂ»r discuter Ă©ternellement du postulat, mais, pour le moins, lâavis nâa rien de fantaisiste.
Si Londres (Bricklane, Shoreditch, Camden Town et maintenant le prolifique East EndâŠ) et Berlin postulent depuis longtemps pour le titre de capitale europĂ©enne du Street Art, Paris, sincĂšrement, nâest pas loin.
Le Street Art et Paris, câest un couple fantasque qui sâest formĂ© dĂ©s les annĂ©es 1970, lorsque les premiers ĂphĂ©mĂšre de GĂ©rard Zlotykamien sont apparus sur les palissades du chantier de Beaubourg, prĂšs du cĂ©lĂšbre «âtrou des Hallesâ» qui allait plus tard donner naissance Ă un centre commercial alors promĂ©thĂ©en⊠Zlotykamien bombait alors en costume trois-piĂšces, avec un attachĂ©-case dans lequel il cachait sa poire Ă lavement, ancĂȘtre de la bombe aĂ©rosolâ!
Puis vint 1971â: pour fĂȘter le centenaire de la Commune, câest le sublime Ernest Pignon Ernest qui peignait son cĂ©lĂšbre La Commune ou les gisants (prĂšs de 200 sĂ©rigraphies noir et blanc, directement appliquĂ©es sur les escaliers du SacrĂ©-CĆur, Ă Montmartre, en hommage aux Communards victimes de la rĂ©pression versaillaise lors de la Semaine sanglante. Quasi premier acte dâun engagement politique sâinsĂ©rant dans un lieu, la marque de fabrique dâun vĂ©ritable gĂ©nie. Lâart envahit alors la rue, bien loin des galeries et des musĂ©es⊠Depuis, bon nombre dâartistes se sont succĂ©dĂ© dans les rues et sur les façades dâimmeubles de la capitale, bravant la loi et tombant sous le joug de multiples condamnations. Câest tout cela ce que lâexpo Capitale(s) donne Ă voir. Avec Zloty (le pseudo de GĂ©rard Zlotykamien), on y retrouve, entre plein dâautres, la regrettĂ©e Miss.Tic (rĂ©cemment disparue), Jef AĂ©rosol, Blek le rat, Invader, et, plus rĂ©cemment, Shepard Fairey alias Obey, Jr, ou Codex UrbanusâŠ, autant de noms qui rĂ©sonnent fort et parlent haut, pour peu que lâon sâintĂ©resse Ă lâart urbain contemporain ou plus ancien.
Câest la galeriste Magda Danysz qui sâest vue confier le commissariat de cette exposition remarquable. Contrairement Ă lâavis pĂ©remptoire du site branchouille, on y apprend beaucoup et plus dâune fois, on se dit quâon aurait bien aimĂ©, Ă©poque aprĂšs Ă©poque, dĂ©couvrir tout ça de nos propres yeux depuis le tout dĂ©butâŠÂ c

SURRĂALICE ET ILLUSTRâALICE ALICE DĂCONSTRUITE
Alice a la tĂȘte en bas, Alice a le corps coupĂ© en deux, le monde dâAlice est bizarre, inquiĂ©tant, autant que lâinconscient dâun enfant. Ce monde est le centre de deux expositions Ă Strasbourg, lâune au MAMCS quant Ă lâinfluence importante de Lewis Carroll (1832-1898) sur les surrĂ©alistes, lâautre au MusĂ©e Ungerer sur lâillustration dâAlice, notamment par les femmes.
I l sâagit principalement, dans ce musĂ©e Ungerer plein de charme, des illustrations dâAlice au pays des merveilles (1865) dans les Ă©ditions enfantines, certaines Ă©tant de toute beautĂ© comme celle de Trnka, le cĂ©lĂšbre tchĂšque, dâautres sobres comme celles dâAntony Browne, plus inquiĂ©tantes de Tove Janson ou douces de Marie Laurencin, plus cruelles pour Nicolas Claveloux, fĂ©eriques pour Adrienne SĂ©gur, beaucoup plus absurdes pour Ralph Steedman ou Mervin Peake.

Le monde dâAlice est celui du non-sens, de lâabsurde, du jeu. Tout se joue dans la figure dâune carte Ă jouer, sa figure coupĂ©e en diagonale. Câest un monde transgressif oĂč rien ne va de soi, oĂč le corps dâAlice est enfantin autant quâil nâest pas innocent, oĂč plantes et animaux sâexpriment Ă Ă©galitĂ© de lâhumain. Une manne pour les surrĂ©alistes qui sâen trouvent trĂšs inspirĂ©s.
Le MAMCS met merveilleusement cela en scĂšne. En dehors de lâentrĂ©e de la grotte faite dans des matĂ©riaux pauvres qui ne correspond pas Ă lâĂ©lĂ©gance des salles, le reste de lâexposition est somptueux, avec ces quatre salles noire, rouge, vert sombre, bleu clair, montrant diffĂ©rentes Ă©ditions dâAlice, mais aussi les tableaux de Max Ernst, de Dali, travaux dâAndrĂ© Breton, photos dâHans Bellmer, illustrations trĂšs Ă©tonnantes de FrĂ©dĂ©ric Delanglade de Victor Brauner ou de Dali, superbes Ă©galement celles de DorothĂ©a Tanning ou Leonora Carrington et de la si rare Unica ZĂŒrn, ainsi quâun texte trĂšs cruel de la trĂšs prĂ©coce GisĂšle Prassinos.
La grande rĂ©ussite de cette exposition â Barbara Forest et Fabrice Flahutez en sont les commissaires â est son intelligence. Les peintres connus cĂŽtoient dâautres moins connus, les femmes
Ralph Steadman, Alice and the Wasp, 1971sont reconnues Ă leur valeur dâartistes Ă part entiĂšre, on a la chance dâassister Ă une trĂšs fine comprĂ©hension de lâunivers dâAlice en tout sens, femme-enfant centrale, sous les trois grands thĂšmes du jeu, du langage et de lâimage. Le rapport image/Ă©criture est lâĂ©cho du monde de Lewis Caroll chez les surrĂ©alistes des annĂ©es 20 aux annĂ©es 60. «âNous avons conçu un parcours immersif oĂč lâon peut entendre tant des chants populaires que du jazz ou des classiques tels que Tchaikowsky, Schubert, Wagner, LisztâŠâ» prĂ©cise Mathieu Schneider.
Câest un vrai théùtre qui se joue lĂ , dans un dĂ©cor oĂč de cet univers en apparence veloutĂ© Ă©mane tous les rĂȘves et les abĂ©cĂ©daires dâune enfant prodige, magnifiquement folle, objet des rĂȘves et Ćuvres des plus grands artistes.
Lewis Carroll, gaucher maladroit, sujet au bégaiement, a inventé une figure intemporelle.
«âComment savez-vous que je suis folleâ?â», dit Alice.
«âVous devez lâĂȘtreâ», dit le chat, «âsans cela vous ne seriez pas venue ici.â»
Souhaitons plein de fous pour aller voir cette exposition dont la beauté est tellement nécessaire. a
SURRĂALICE, LEWIS CARROLL ET LES SURRĂALISTES

MAMCS
1 pl. Jean-Hans Arp Strasbourg 19 novembre 2022 au 26 février 2023
ILLUSTRâALICE
MusĂ©e Tomi Ungerer 2 bd de la Marseillaise Strasbourg MĂȘmes dates



VITRA DESIGN MUSEUM LE GESTE ET LA PAROLE
Industrie, vie quotidienne, culture populaire, les robots sont parmi nous. Ă lâimage dâun design rĂ©ussi, confortable et facile dâutilisation, leur prĂ©sence est devenue plus quâune Ă©vidence, un irremplaçable prolongement. PensĂ©s Ă lâorigine pour nous aider, les robots nous assistent, nous surveillent, voire sâĂ©mancipent et surtout, nous interrogent.
Lâexposition du Vitra Design Museum, Hello, Robot. Le design entre Homme et Machine, revient sur notre rapport Ă cet outil qui, depuis bientĂŽt un siĂšcle, ne cesse dâĂ©voluer. ImaginĂ© par lâĂ©crivain Karel Capek en 1924, le terme robot est un mot tchĂšque, luimĂȘme dĂ©rivĂ© du mot robota qui signifie travail, corvĂ©eâŠ
Lâexposition, dĂ©ployĂ©e sur 4 salles, met en lumiĂšre les relations que lâon entretient (parfois mĂȘme sans y penser), avec ce que lâon pourrait qualifier dâespĂšce robot. Science-fiction, travail, vie sociale, avenir, chaque groupement dâĆuvres est prĂ©sentĂ© sous une question, Faites-vous confiance aux robotsâ? Pensez-vous que votre travail pourrait ĂȘtre effectuĂ© par un robotâ? Aimeriezvous quâun robot sâoccupe de vousâ? Le robot prendra-t-il la premiĂšre place dans lâĂ©volutionâ? Sorte de parcours-sondage, cette dĂ©ambulation au milieu de figurines de films, de bras automatisĂ©s ou dâinterfaces gĂ©rĂ©es par des intelligences artificielles fascine, et parfois aussi dĂ©rangeâ; une nouvelle espĂšce dominante seraitelle sur le point dâĂ©mergerâ?
INĂLUCTABLE SINGULARITĂâ?

«âLes outils du maĂźtre ne dĂ©truiront jamais la maison du maĂźtre.â»
Audre Lorde














Jentrevoir le fameux point de singularitĂ©, Ă©vĂ©nement qui dĂ©signe le dĂ©passement de lâhumain par la machine. Si ce changement de paradigme technologique nâest pour le moment quâune thĂ©orie, force est de constater quâun changement est dâores et dĂ©jĂ en coursâ: un outil est en passe de devenir notre condition dâexistence. En 1984, la philosophe Donna Haraway disait dâailleurs dĂ©jĂ , «âle cyborg est notre ontologieâ; il nous dicte notre politique.â» Hello, Robot, presque 40 ans aprĂšs, confirme cette formule avec notamment les crĂ©ations de la derniĂšre salle de lâexposition qui Ă©voquent la fusion entre le vivant et la machine, souvent pour le meilleur, mais jusquâĂ quandâ?

Alors que les vidĂ©os de lâathlĂ©tique Atlas, le robot anthropomorphe de lâentreprise Boston Dynamics, dĂ©fraie les Internet (allez voir, câest terrifiantâ!), au geste et Ă la parole, ne manque plus que lâesprit. a
HELLO, ROBOT. LE DESIGN ENTRE HOMME ET MACHINE
Vitra Design Museum, jusquâau 5 mars 2023
«âUNE NOUVELLE ESPĂCE DOMINANTE SERAIT-ELLE SUR LE POINT DâĂMERGERâ?â»

Il fallait bien que ça arrive un jour
Depuis sa nomination en 2019, Solveen Dromson, grande amie de Or Norme, est aussi Consule de la RĂ©publique dâIslande Ă Strasbourg, perpĂ©tuant ainsi une tradition familiale entamĂ©e par son pĂšre, Patrice, malheureusement disparu en 2018. Sur son agenda Ă©tait cochĂ©e depuis longtemps la date du 9 novembre dernierâ: ce jour-lĂ , lâIslande prenait la prĂ©sidence du ComitĂ© des ministres du Conseil de lâEurope Ă Strasbourg.

Cette prĂ©sidence tournante de six mois, qui Ă©choit tour Ă tour Ă chacun des 46 pays membres, Solveen lâa depuis longtemps imaginĂ©e comme une occasion unique dâapparaĂźtre en pleine lumiĂšre pour ce petit pays aux confins de lâAtlantique-Nord. Dâici fin mai prochain, les Ă©vĂ©nements culturels vont se succĂ©der Ă Strasbourg, comme autant de rendezvous avec cette Ă©tonnante et sublime Islande que nous vous proposons de mieux dĂ©couvrir dans les trĂšs nombreuses pages qui suivent. Car, Ă©videmment, Solveen a pensĂ© Ă Or Norme, passionnĂ©e quâelle fĂ»t il y a quelques annĂ©es par nos numĂ©ros spĂ©ciaux «âDestination de lĂ©gendeâ» oĂč nous nous en allions au bout du monde rencontrer les Alsaciens vivant Ă lâĂ©tranger et leur demandions de nous faire dĂ©couvrir leur pays dâadoption.
Oui, il fallait bien que ça arrive un jour⊠Nous renouons donc ici avec une belle tradition et nous nous sommes mis en quatre Ă la fin septembre dernier pour fouler cette terre sublimement attirante et mystĂ©rieuse quâest lâIslande et vous ramener des histoires de feu, de glace, de volcans et dâĂȘtres souterrains qui, dit-on, prĂ©sident encore au destin de ce morceau de terre unique au mondeâŠ
Nous en avons ramenĂ© de belles histoires et de beaux tĂ©moignages, mais⊠en sommes-nous vraiment revenusâ?
Merci Madame la Consuleâ!
Jean-Luc Fournier Directeur de la rédaction
Islande La nature en V.O.
Câest lâhistoire dâune terre Ă nulle autre pareille, fouettĂ©e par les vents, sculptĂ©e par lâeau et la glace, ravinĂ©e par de monstrueux flots incandescents oĂč lâhomme, contre toute attente, a rĂ©ussi Ă vivreâŠ

La plage noire de Reynisfjara Ă la pointe sud de lâIslande. Falaises de basalte, sable volcanique, lĂ©ger brouillard sur lâocĂ©anâ: lâIslande de lĂ©gende.

La sublime nature des hauts-plateaux dans le centre du pays.


Le rocher de HvĂtserkur sur la CĂŽte-Nord de lâIslande.



SituĂ©e Ă lâexacte intersection de deux gigantesques plaques tectoniques, lâIslande est une terre de volcans. Ă tout moment, lâun dâentre eux peut entrer en Ă©ruption...


Le moindre village islandais arbore le Rainbow Flag ou pare ses rues des couleurs de la tolĂ©rance â ici, Ă Seyðisfjörður, dans lâEst du pays.
Photoâ: VisitIceland

Islande Carnet de route dans lâEst
BientĂŽt, dĂšs lâouverture de lignes directes pour lâaĂ©roport rĂ©gional de Egilsstaðir, lâAsturland (les rĂ©gions de lâEst) permettra de dĂ©couvrir un autre visage du paysâ: on y admire des paysages grandioses et sauvages souvent Ă 360°, des chutes dâeau gigantesques et des canyons de basalte surgis de nulle part. Il suffit juste de se souvenir que ce sont les premiĂšres terres quâont vues les Vikings en dĂ©barquant ici. Rien ou presque nâa changĂ© et câest superbeâŠ
DĂšs quâon approche du cercle polaire et comme toujours sous ces latitudes (64°08â07ââ pour Reykjavik, pour les spĂ©cialistes), le soleil ne monte jamais trĂšs haut dans le ciel.
Ce matin de la fin septembre dernier, il est 7h et il vient Ă peine de se lever sur le petit aĂ©roport de ReykjavĂkurflugvöllur, Ă quelques kilomĂštres Ă peine du centre de la capitale islandaise. Et ce matin-lĂ , ce quelquefois si rare soleil islandais inonde le tarmac de sa lumiĂšre rasante qui se reflĂšte sur le fuselage du DASH 8-400 de Icelandair, prĂȘt Ă dĂ©coller pour une heure de vol et sa destination, Egilsstaðir, dans lâest du pays. Nous sommes cinq journalistes de la
presse française, invitĂ©s Ă dĂ©couvrir lâest de lâIslande, largement mĂ©connu. NoĂ©mie, de lâagence parisienne GroupâExpression, sera celle qui, mĂ©ticuleusement et trĂšs professionnellement, assurera la logistique de ce groupe gentiment turbulent, avec une permanente bonne humeur. Elle est accompagnĂ©e de Thordis, une jeune guide dĂ©pĂȘchĂ©e par Visit Iceland, lâoffice du tourisme national, qui affiche dĂ©jĂ un beau sourire, ravie de cĂŽtoyer pendant les trois prochains jours des journalistes français, elle qui connait quasiment Paris et ses restaurants comme sa pocheâŠ
Et chacun de se rĂ©jouir de cette belle mĂ©tĂ©o, gage dâun vol agrĂ©ableâŠ
Cette courte heure de vol sera magique. Le DASH 8-400 ne vole pas trĂšs haut (5â000 mĂštres, peut-ĂȘtreâŠ) et sous ses ailes, câest un paysage dĂ©jĂ incroyable qui dĂ©file sous nos yeux.
Le trajet permet de survoler longuement le flanc nord-ouest de lâimmense Vatnajökull, ce glacier de 8â300 km2 (soit plus de 95 % de la superficie de la Corse) et qui couvre Ă lui seul 8 % de la superficie de lâIslande). Plus loin, lâavion survolera aussi les hauts-plateaux centraux de lâĂźle. Ce matin-lĂ , avec ce soleil rasant qui fait Ă©tinceler le moindre lac ou nĂ©vĂ© sous les ailes de lâavion, câest toute lâIslande qui se rĂ©vĂšle dans sa magnificence naturelle.

Un patchwork unique de tourbe, de glace, dâeau, de roches, sans la moindre trace humaine et se dĂ©roulant sur une immensitĂ© sans fin. Devant ce spectacle fascinant et cette nature quasi indĂ©cente, peu dâentre nous parviennent Ă dĂ©tourner leur regard Ă travers les hublots, ne serait-ce que quelques secondesâŠ
Et quand lâavion plonge plus tard dans le brouillard cotonneux Ă lâapproche de lâaĂ©roport rĂ©gional de Egilsstaðir, nous savons tous dĂ©jĂ que lâIslande vient de nous offrir dâentrĂ©e un spectacle inouĂŻ, comme si elle nous faisait dĂ©jĂ entrevoir le meilleur dâelle-mĂȘmeâŠ
Ă lâaĂ©roport, câest Helga qui nous attend. Toute lâannĂ©e, sa sociĂ©tĂ©, Tinna Adventure, organise des road trips pour les touristes. Nous sommes immĂ©diatement surpris par le vĂ©hicule qui va nous permettre de dĂ©couvrir lâAusturland (la province de lâest du pays)â: un monster-truck rallongĂ© et rehaussĂ© par quatre Ă©normes roues. Il sera quelquefois trĂšs utile dans les jours qui suivront, car le macadam ne sera pas toujours la surface sur laquelle nous circulerons le plusâŠ
Un petit topo succinct nous donne lâessentiel de ce qui explique notre prĂ©sence ici. Le boom touristique des quinze derniĂšres
annĂ©es (plus de deux millions de visiteurs annuels) met Reykjavik et la rĂ©gion qui lâentoure sous une grande pression, lâessentiel des sites recherchĂ©s par les visiteurs se concentrant au sud de la capitale dâoĂč ils sont trĂšs facilement accessibles.
Pour le pays, il sâagit donc de communiquer sur ses nombreuses autres richesses et, pour cela, lâAusturland est la rĂ©gion idĂ©ale. DĂ©jĂ , les ferrys venus du Danemark, de NorvĂšge ou des Ăźles FĂ©roĂ© accostent tous au port de Seyðisfjörður au nord de la rĂ©gion et des vols internationaux directs sont Ă lâĂ©tude pour rejoindre lâaĂ©roport de Egilsstaðir sur lequel nous venons dâatterrir. Ă lâĂ©vidence, ces portes dâentrĂ©e devraient sĂ©duire nombre de visiteurs dans un avenir procheâŠ
Un seul chiffre dit toutâ: les rĂ©gions est de lâAusturland sont trĂšs peu peuplĂ©es. Ă peine plus de⊠12â000 habitants (on respireâŠ) se regroupent dans de trĂšs petits villages, pour la plupart abritĂ©s au fond de superbes et majestueux fjords qui nâont rien Ă envier aux plus beaux de leurs Ă©quivalents norvĂ©giens Ă 1â500 km de lĂ . Les principaux dâentre eux (Seyðisfjörður, FĂĄskrĂșðsfjörður et MjĂłifjördur) sont reliĂ©s par une trĂšs sinueuse route cĂŽtiĂšre qui constitue lâartĂšre vitale de toute la rĂ©gion.
Bien entretenue, elle se transforme malgrĂ© tout quelquefois en piste qui fait goĂ»ter aux joies de la gravel road durant la «âbelleâ» saison ou Ă lâenfer de la circulation «âĂ lâaveugleâ» en pĂ©riode de blizzard, lâhiver (lire le tĂ©moignage de Thomas Waeldele page 74).
Une courte Ă©tape au Guesthouse Vinland (Ă une demi-heure de Egilsstaðir) pour saluer deux Ă©leveurs de rennes, Fannar MagnĂșsson et Björk BjörnsdĂłttir, qui ont Ă©mu toute lâIslande. En mai 2021 lors dâune sortie en moto-neige dans les hauts-plateaux du centre du pays, ils ont recueilli deux bĂ©bĂ©s rennes ĂągĂ©s dâune semaine et manifestement abandonnĂ©s par le reste du troupeau. Sans leur intervention, les jeunes rennes nâauraient pas survĂ©cu. Fannar et Björk ont obtenu lâautorisation de les soigner et les Ă©lever Ă Vinland. Aujourdâhui adultes, Garpur et Mosi, quasi domestiquĂ©s, font la joie des visiteurs dans leur enclos. Au passage, on y souligne que les premiers rennes sont venus de NorvĂšge vers la fin du XVIIIe siĂšcle et ne sont parvenus quâĂ sâacclimater dans lâest du pays. Les effectifs actuels (environ 7â000 tĂȘtes) sont strictement contrĂŽlĂ©s, lâIslande ne souhaitant pas une forte prĂ©sence de ces animaux sur son territoire.

Bryndis
On reprend la route plein Nord et elle est somptueuse. Les paysages minĂ©raux se succĂšdent. Lors de quelques haltes photographiques, lâAusturland se dĂ©voile Ă 360°, des rais de soleil transpercent les nuages et peignent sur lâherbe rase des taches de lumiĂšre du plus bel effet.
Le petit village de Borgarfjörður Eystri nous permet de dĂ©couvrir la minuscule maison Lindarbakki. Faite de briques, de bois et recouverte de gazon, elle semble littĂ©ralement surgir de terre. «âElle Ă©tait encore habitĂ©e il y a quelques annĂ©es par une vieille dame solitaireâ», nous raconte une jeune femme, Bryndis, qui nous entrainera ensuite sur le sentier des Elfes.

Les Elfesâ: voilĂ une de ces merveilleuses dĂ©couvertes que nous a rĂ©servĂ©e lâIslande.

Les Elfes sont de petits ĂȘtres dâĂ peine plus dâun mĂštre de haut, aux oreilles franchement pointues et aux vĂȘtements dĂ©suets qui vivent la plupart du temps cachĂ©s aux yeux des humains. Les fĂȘtes de fin dâannĂ©e sont gĂ©nĂ©ralement propices pour apercevoir les Elfesâ; Ă NoĂ«l et au Jour de lâan, ils sont de sortie, Ă la recherche dâun nouveau foyerâŠ
Un sondage rĂ©alisĂ© il y a quelques annĂ©es a annoncĂ© que 54 % des Islandais croient en leur existence ou disent quâil est possible quâils existent. La preuveâ: le tracĂ© de routes en construction a Ă©tĂ© dĂ©viĂ© Ă proximitĂ© dâamas rocheux oĂč les Elfes sont censĂ©s sâĂ©tablir.
Rien de remarquable nâest visible sur le sentier des Elfes de Borgarfjörður Eystri. Il serpente en montant doucement au sommet dâune mini-colline qui offre un beau point de vue sur le village et son fjord. LĂ -haut,

Bryndis dĂ©roule la lĂ©gendeâ: «âLa chapelle quâon voit au bord du littoral devait auparavant ĂȘtre bĂątie au sommet de cette colline, dĂšs lâarrivĂ©e des premiers marins sur ce rivage. Mais, la veille du dĂ©but de la construction, la reine des Elfes leur est apparue durant leur sommeil et les a mis en gardeâ: ne construisez pas votre chapelle en haut de mon sentier, les pires malheurs sâabattraient alors sur vous⊠Prudemment, ils ont obĂ©i. Et tout sâest bien passĂ©âŠâ» conclut Bryndis.
Si vous interrogez un Islandais, il vous dira bien sĂ»r que les Elfes nâexistent pas, mais⊠que la simple idĂ©e quâils puissent exister ne lui dĂ©plait pas. Une phrase qui participe Ă la lĂ©gendeâ? Non, et il ne faudra pas longtemps pour le constaterâ: en redescendant le sentier des Elfes, on sâapprĂȘte Ă ramasser un joli petit caillou blanc qui brille sous un rayon de soleil. Mais Helga, la pilote du monster-truck, nous en dissuade fermementâ: «âIl y a les mĂȘmes au dĂ©bouchĂ© du sentier, plus bas. On ne ramasse rien sur le sentier des ElfesâŠâ». SĂ©rieuxâ? Oui, sĂ©rieux. On nâinsiste pasâŠ
Le long de la cĂŽte, on longera quelques habitations de bois en bien mauvais Ă©tat. Un couple est lĂ , en train de rĂ©parer dâimportants dĂ©gĂąts. La femme nous montre sur son tĂ©lĂ©phone portable ce quâelle a filmĂ© la veille, lors dâune gigantesque tempĂȘte qui a frappĂ© toute la cĂŽte. Sur lâĂ©cran, dâimmenses rouleaux gris de deux mĂštres sâabattent sur les quais de bois et les baraques du bord de mer sous dâimpressionnantes rafales de vent. On devine Ă quel point la nature peut se dĂ©chaĂźner dans ce fjord largement ouvert sur la mer et surmontĂ© par deux mystĂ©rieuses montagnes noires...
Plus tard, une petite maisonnette nous ouvre ses portes. Câest le royaume de Ragna ĂskarsdĂłttir et de sa sociĂ©tĂ© Icelandic Down. Quand Ragna est arrivĂ©e dans ce petit port en 2017, elle a aussitĂŽt visitĂ© lâĂ©levage de canards eiders de Oli et Johann, deux fermiers locaux, dans le fjord quasi dĂ©sertĂ© de Loðmundarfjörður, Ă quelques kilomĂštres au sud. «âLes canards Ă©taient partout, dans les prĂ©s, dans les cours des habitationsâŠâ», raconte-t-elle. La tradition ancestrale de lâĂ©levage de canards voulait que le prĂ©cieux duvet rĂ©coltĂ© sâen aille loin de lâAusturland pour ĂȘtre travaillĂ© et pour garnir ensuite toutes sortes de couettes ou oreillers assurant la prospĂ©ritĂ© de manufactures lointaines. LâidĂ©e de crĂ©er Icelandic Down est nĂ©e aussitĂŽt.
Aujourdâhui, la sociĂ©tĂ© de Ragna produit sur 380 micro-zones sanctuaires un duvet
La maison LindarbakkiirrĂ©el, totalement Ă©purĂ© de tout corps de plume mĂȘme minime puis purifiĂ© avec soin pour ĂȘtre finalement annoncĂ© comme le duvet le plus doux au monde. Ragna nâhĂ©site pas Ă nous inciter Ă plonger les mains au cĆur dâune grosse boule compacte de ce duvet. MalgrĂ© son volume, elle ne pĂšse que 32 grammes, sur la balance ultra-sensible du magasin de vente, mais la sensation qui file entre nos doigts est purement magique. EntiĂšrement prĂ©levĂ© et «âfiltré⻠à la main, ce duvet dâexception a un prix et il est Ă©levĂ©â: une couette 200 X 200 garnie chaudement pour lâhiver sâaffiche Ă 7â978 ⏠(!), sa version «âallĂ©gĂ©eâ» pour lâĂ©tĂ© vous coĂ»tera 5â319 âŹ. Les couettes et autres oreillers sont fabriquĂ©s Ă la commande et sont expĂ©diĂ©s directement chez vous environ sept semaines aprĂšs la rĂ©ception de votre paiement. (www.icelandicdown.com)

Le soir venu aprĂšs ce premier jour au cĆur de lâAusturland nous voit ĂȘtre accueillis au trĂšs beau BlĂĄbjörg Resort, un hĂŽtelspa entiĂšrement bĂąti par une famille qui emploie pas moins de 48 personnes en haute saison (14 en permanence), «âcontribuant ainsi considĂ©rablement Ă lâĂ©conomie localeâ» comme le dit fiĂšrement Audur Vala GunnarsdĂłttir, la directrice du lieu. Dans quelques mois, un impressionnant complexe thalasso sera ouvert et dâores et dĂ©jĂ , on peut dĂ©guster chaque soir un gin ou un Landi local dans la micro-brasserie attenante. Au restaurant du complexe, lâagneau, cuit doucement durant huit heures, est une vĂ©ritable tuerie. AprĂšs tout ça, on dort dâun sommeil profond et apaisĂ©âŠ
Le programme du deuxiĂšme jour de notre pĂ©riple dans lâest de lâIslande sâannonce
somptueux et il tiendra ses promesses. On quitte Borgarfjörður Eystri pour revenir vers les terres intĂ©rieures et bientĂŽt sâenfoncer dans la vallĂ©e Jökuldalur oĂč nous attend le prometteur Stuðlagil Canyon (page suivante). RĂ©cemment dĂ©couvert aprĂšs lâassĂšchement de la riviĂšre Jökla dĂ» Ă la construction dâune retenue dâeau en amont pour alimenter une centrale hydroĂ©lectrique, le site est somptueux avec ses imposantes colonnes de basalte qui Ă©voquent irrĂ©sistiblement des orgues naturelles. On peut le dĂ©couvrir par sa rive Est grĂące Ă un raide escalier mĂ©tallique dont on peut descendre (mais il faut ensuite remonterâ!) les 248 marches.
La vision de cette merveille est cependant mille fois plus spectaculaire vue de lâautre rive, surtout si lâon a le courage de descendre au ras de lâeau.

Monolithique, redoutablement imposant, massif et altier, le Stuðlagil Canyon est incontestablement une des plus belles merveilles naturelles du pays.
La route, toujours la magique route islandaise au milieu dâune nature toujours aussi somptueuse et grandiose pour rejoindre Egilsstaðir et piquer au sud pour rejoindre lâĂ©tape du soir, le village de FĂĄskrĂșðsfjörður, au bord dâun immense fjord trĂšs Ă©troit.
Le Fosshotel Eastfjords nous reçoit. On y est accueilli par FjolĂ qui semble ĂȘtre omniprĂ©sente dans ce petit village. AprĂšs nous avoir fait visiter une expo photos des plus belles aurores borĂ©ales capturĂ©es par un couple de photographes locaux, elle commence Ă nous raconter tranquillement lâhistoire de ce village de pĂȘcheurs qui, Ă la fin du XIXe siĂšcle est devenu une Ă©tape majeure pour les pĂȘcheurs français venus si loin de leurs bases de lâOuest et du Nord de la France pour gagner leur vie. La plupart Ă©taient issus du port de Gravelines, prĂšs de Dunkerque.
Le cimetiĂšre des marins français Ă FĂĄskrĂșðsfjörður

Beaucoup, vivant et travaillant dans des conditions extrĂȘmes que les mots peinent Ă dĂ©crire, ont vu leur vie sâinterrompre en ces lieux si Ă©tranges. En contrebas, sur les rives du fjord, un petit cimetiĂšre marin accueille quelques tombes sur lesquelles figurent les noms de nos lointains compatriotes, un petit monument en rĂ©pertoriant 49 autres, y compris quelques marins dâorigine belge.
Au moment du dĂźner, nous apprenons que le Fosshotel Eastfjords occupe un bĂątiment qui fut il y a un siĂšcle et demi un hĂŽpital pour ces marins français du bout du mondeâŠ
Le Stuðlagil Canyon

Pour notre troisiĂšme et dernier jour en Austurland, le programme prĂ©voit dĂšs le petit-dĂ©jeuner avalĂ© la visite du MusĂ©e Français, installĂ© juste en face de lâhĂŽtel, dans lâancienne maison du mĂ©decin de lâĂ©poque. Dans un tunnel souterrain reliant les deux bĂątiments, on a reconstituĂ© lâintĂ©rieur saisissant dâun bateau de pĂȘche de lâĂ©poque. Quelques mannequins simulent de façon rĂ©aliste les marinsâŠ
Nous quittons FĂĄskrĂșðsfjörður en fin de matinĂ©e, lâexquise FjolĂ nous aura accompagnĂ©s et guidĂ©s depuis lâaprĂšs-midi prĂ©cĂ©dent, passionnĂ©e et fiĂšre de vanter sa rĂ©gion, professionnelle, dĂ©licieusement amicale et compliceâŠ
Il faudra bien se rĂ©soudre Ă refaire la route Ă lâinverse, vers lâaĂ©roport de Egilsstaðir oĂč nous attend lâavion du retour nocturne vers Reykjavik. Mais, outre la visite dâune imposante cascade perdue dans lâimmensitĂ© dâune incroyable vallĂ©e dâorigine volcanique, deux Ă©tapes-surprises nous auront encore Ă©tĂ© rĂ©servĂ©es.
Câest dâabord, une balade Ă cheval dans ces paysages dĂ©lirants de beautĂ© sauvage, juchĂ©s sur ces chevaux islandais aux longues criniĂšres blondes si remarquables. Le cheval islandais est souvent, et Ă tort, confondu avec un poney, car il est de petite stature. ImportĂ©e par les NorvĂ©giens il y a mille ans, la race sâest Ă©teinte complĂštement sur le continent, mais pas en Islande qui a su prĂ©server les chevaux des influences extĂ©rieures pendant tous ces siĂšclesâŠ
Le pays est amoureux de ses chevauxâ: la langue islandaise comprend plus dâune centaine de mots pour dĂ©crire leurs robesâŠ

Câest enfin lâexpĂ©rience si longtemps vantĂ©e des fameux bains dans lâeau des rĂ©surgences chaudes. En Islande en effet, lâeau chaude jaillit des entrailles de la Terre, naturellement, et de partoutâŠ
Les Vök Baths du Lac Urridavatn, prĂšs de Egilsstaðir, sont en fait trois piscines serties dans le lac. On entre, via la premiĂšre piscine, dans une eau Ă 38° qui permet en quelque sorte de doucement sâacclimater. La sensation est en effet purement divine, en contraste avec les frais 7° de la tempĂ©rature extĂ©rieure. Le temps de dĂ©guster un bon cocktail servi par un bar donnant directement sur la piscine, il faut sortir de lâeau, marcher une vingtaine de mĂštres (brrrrâŠ) sur une passerelle de bois clair avant de se glisser dans les 40° de lâeau de la seconde piscine. Douce sensation de nouveau, le corps se dĂ©tend, on en sommeillerait presqueâŠ

Comme le temps presse un peu, il faut se rĂ©soudre Ă entrer dans lâeau de lâultime piscine, Ă 42°. LĂ , lâimpression est un peu plus violente, mais Ă©tant lĂ Ă lâultime Ă©tape du parcours, on peut alors plonger sa main Ă lâextĂ©rieur du bassin, dans lâeau naturelle du lac. Elle est Ă 4°, et le contraste produit une trĂšs Ă©trange sensationâŠ
Et dire quâon se disait trente minutes plus tĂŽt quâon se la jouerait Ă lâislandaise. La tradition locale veut en effet quâaprĂšs quelques instants dans la troisiĂšme piscine (on ne reste pas longtemps dans une eau Ă 42°, croyeznousâŠ) on plonge et on ressorte rapidement dans lâeau du lac. Un violent choc thermique de plus de 35° dâĂ©cart qui dĂ©tend prodigieusement et promet quelques heures de fĂ©licitĂ© ensuite, paraĂźt-il. Oui, paraĂźt-il, car pourtant partis rĂ©solument pour vivre ce moment Ă plein, on nâa finalement pas osé⊠Ne vous moquez pas trop vite, si vos pas vous amĂšnent un jour dans ces lieux, essayez et⊠vous comprendrez.
Une heure plus tard, dans lâavion, je crois que nous avons tous sommeillĂ© paisiblement au moins quelques minutesâŠ
Ă notre arrivĂ©s vers 21h30, nos quatre collĂšgues parisiens ont rejoint le mĂȘme bel hĂŽtel que quelques jours plus tĂŽt, prĂšs de lâaĂ©roport international de Keflavik dâoĂč ils allaient prendre leur avion de retour vers Paris tĂŽt le lendemain matin.
Pour nous, câĂ©tait direction le centreville pour quatre jours supplĂ©mentaires en solo, Ă la rencontre de la capitale islandaise et des Alsaciens qui y vivent et y travaillent⊠c
Reykjavik Micro-capitale, mĂ©ga plaisirâŠ
La plus septentrionale des capitales de la planĂšte offre le spectacle dâune petite ville cool, aĂ©rĂ©e, colorĂ©e et trĂšs paisible. En Islandais, son nom signifie «âLa baie des fumĂ©esâ», nom donnĂ© par les fondateurs stupĂ©faits de la vapeur qui sâĂ©chappait alors des nombreuses sources thermales. Entre ocĂ©an et proches montagnes volcaniques, Reykjavik regorge de richesses artistiques et culturelles, surtout dans lâart contemporain, en sâavĂ©rant vite familiĂšre, et câest un Ă©norme avantageâŠ


Les statistiques historiques parlent. Ici, au bord de la pĂ©ninsule de Reykjanes, il nây avait pas 600 habitants Ă la fin du XVIIIe siĂšcle quand lâautoritĂ© danoise, dont dĂ©pendait alors lâactuelle Islande, accorda le statut de ville Ă Reykjavik, lui confĂ©rant du coup, dans cette colonie insulaire, le rĂŽle de capitale.
En 1980, ils Ă©taient 80â000. Aujourdâhui, la capitale islandaise compte 133â000 habitants (240â000 pour lâagglomĂ©ration totale) soit prĂšs des deux tiers de la population totale du pays, 370â000 habitants.
Un Ă©lĂ©ment de comparaison qui parlera, lui aussiâ: lâEuromĂ©tropole de Strasbourg et ses 33 communes comptent plus de 505â000 habitantsâŠ
La capitale islandaise est presque comme une Ă©norme carte postale. Non loin des premiers volcans et des montagnes environnantes, elle sâĂ©tend face Ă lâocĂ©an le long dâune large baie fermĂ©e par le Mont Esja.
La ville sâenorgueillit dâun petit quartier historique (mais ici, lâhistoire est trĂšs rĂ©cente, ne comptez pas y admirer de trĂšs vieilles pierresâŠ) et son front de mer est ourlĂ© dâimmeubles modernes Ă lâimage du fameux Harpa dont nous reparlerons, prolongĂ©s par un port encore actif oĂč fleurissent aussi les quartiers branchĂ©s et festifs ainsi que de vastes entrepĂŽts superbement reconvertis en musĂ©es, lieux de vie et boutiques plutĂŽt luxueuses.
Rien nâoppresse dans ces rues-lĂ et si les transports en commun (ni mĂ©tro ni tram dans cette petite ville), essentiellement des bus, quadrillent bien la ville, ils sont presque inutiles pour le visiteur qui nâusera que trĂšs parcimonieusement ses semelles pour passer dâun quartier Ă un autre. Ă bien des Ă©gards, Reykjavik sait se laisser dĂ©couvrir tendrementâŠ
Comme un fanal incontournable, le petit centre-ville de la capitale islandaise est dominĂ© par la cĂ©lĂšbre HallgrĂmskirkja, cette spectaculaire Ă©glise luthĂ©rienne, Ă lâimmanquable flĂšche de bĂ©ton qui sâĂ©lĂšve Ă 75 mĂštres. TerminĂ©e en 1986, son architecture est remarquable et gracieuse, Ă©voquant irrĂ©sistiblement les colonnes de basalte des plus spectaculaires sites islandais. Des rues nombreuses y convergent, donnant autant de perspectives aux innombrables photographes. Est-ce voulu ou cela correspond-il Ă une raison historique prĂ©cise, on ne sait pas, mais lâorientation de cette flĂšche audacieuse et de sa façade trĂšs minĂ©rale fait que le soleil la lĂšche latĂ©ralement de flanc Ă flanc, durant toute sa course quotidienne. Lesdits photographes sont donc
un peu Ă la peine pour leurs rĂ©glages (on ne peut pas avoir Ă la fois le soleil dans le dos et la façade frontale devant lâobjectif). Les vues de nuit, avec lâĂ©clairage splendide du bĂątiment, font dĂ©couvrir la HallgrĂmskirkja dans toute sa sobre beautĂ©âŠ
Sur la majestueuse place au pied de la HallgrĂmskirkja trĂŽne la statue dâĂric le Rouge, le cĂ©lĂšbre norvĂ©gien bien connu par les amateurs de la sĂ©rie Vikings , qui a Ă©tĂ© banni dâIslande aux environs du premier millĂ©naire.

De lĂ partent plusieurs rues tranquilles qui permettent de rejoindre trĂšs vite les deux principales artĂšres commerçantes de la ville, BankastrĂŠti prolongĂ©e par Laugavegur et SkĂłlavörðustĂgur, oĂč lâon trouve aussi les principaux restaurants ou bars trĂšs frĂ©quentĂ©s dĂšs 17hâŠ
Tout est Ă deux pasâ: au bord de lâocĂ©an, il y a cette vaste promenade oĂč sâest Ă©chouĂ©e SĂłlfar, (le voyageur
du soleil, en Islandais) une fine et Ă©lĂ©gante sculpture rĂ©alisĂ©e en acier qui Ă©voque irrĂ©sistiblement la silhouette dâun bateau viking qui se dirige droit vers le soleil couchantâŠ
Ă deux cent mĂštres, le bloc de verre et dâacier du Harpa, une gigantesque salle de concert-palais des congrĂšs, se dresse telle une massive vigie contemporaine. LâĂ©lĂ©gance de lâarchitecture extĂ©rieure nâa rien Ă envier Ă un amĂ©nagement intĂ©rieur dâune rare majestĂ©. Ses opposants ont tentĂ© en vain dâaccrĂ©diter lâidĂ©e que ses proportions sont complĂštement surdimensionnĂ©es pour les besoins dâune aussi faible population. Peine perdue, un rĂ©fĂ©rendum a tranchĂ©, le Harpa a Ă©tĂ© terminĂ©, quitte Ă provoquer une substantielle rallonge sur les impĂŽts locaux. Ă lâintĂ©rieur, le complexe abrite quatre salles de concert dont lâune de 1800 places Ă lâacoustique renommĂ©e dans le monde entier, et une infinie variĂ©tĂ© dâespaces dâexpositions,
Lâincontournable HallgrĂmskirkjaLe Harpa


le tout sublimĂ© par un formidable kalĂ©idoscope de plus de 10â000 vitres en nid dâabeilles qui, orientĂ©es au sud, reflĂštent une lumiĂšre irrĂ©elle Ă certains moments de la journĂ©e. Du grand art architectural, incontestablementâŠ
Plus Ă lâouest, dans le prolongement du port traditionnel, câest le quartier de Kvosin, bien rĂ©novĂ©, qui abrite musĂ©es, galeries dâart, boutiques et restaurants. Il fait bon y flĂąner le nez au vent et les jetĂ©es, quand le soleil se couche, sâembellissent dâune belle lumiĂšre qui fait irrĂ©sistiblement penser Ă celle de certains tableaux du norvĂ©gien Edvard Munch qui savait si bien peindre les clartĂ©s nordiques. (lire les pages 14 à  17 dans ce mĂȘme numĂ©ro)
Dans ce mĂȘme quartier ou pas loin, on dĂ©couvre aussi trois attractions dont les Islandais (et leurs visiteursâŠ) sont trĂšs friandsâ: le Saga Museum oĂč on peut
Un kaléidoscope de couleurs
se balader parmi les grandes figures historiques islandaises, Whales of Island (les baleines dâIslande) qui reproduit le plus souvent Ă leur taille rĂ©elle les cĂ©tacĂ©s de lâAtlantique-nord et surtout, lâextraordinaire Fly Over Icelandâ: installĂ© dans une sorte de nacelle gĂ©ante devant un gigantesque Ă©cran semi-sphĂ©rique, les pieds ballants (au-dessus dâun vide⊠inexistant) vous vous envolez bientĂŽt tel un oiseau migrateur pour un voyage au-dessus de ce pays fantastique. Volcans, geysers, splendides pics rocheux, vertigineuses plongĂ©es dans des gorges de basalte⊠se succĂšdent devant vos yeux Ă©bahis. Lâillusion est parfaite (jusquâaux micro-gouttes dâeau qui viennent vous asperger quand vous traversez les nuages⊠et votre siĂšge qui sâincline ou se redresse en fonction de mouvements de la camĂ©ra). Fly Over Iceland est bien plus quâune attraction, câest une expĂ©rienceâŠ
On le répÚte, Reyjavik se parcourt quasi entiÚrement à pied, tranquillement. Deux, voire trois jours ici se dégustent comme un vrai privilÚge tant la ville, et ses habitants, se laissent facilement conquérir.
Ces derniers entretiennent un art de vivre assez remarquable. Comme lâensemble de ceux que nous avons rencontrĂ©s nous lâont dit (lire les pages suivantes), tous cultivent cette espĂšce de coolitude qui finit vite par dĂ©teindre sur vous. Tout cela se vĂ©rifie Ă partir de la fin de lâaprĂšs-midiâ: les rues centrales de la capitale islandaise sâaniment, les restaurants et bars sont alors tous ouverts. Dehors, on picole et on rigole Ă qui mieux mieux, câest alors toute une jeunesse qui profite de la vie et mĂȘme cette satanĂ©e mĂ©tĂ©o («âSâil pleut, attends cinq minutes, ça va passerâ» dit le cĂ©lĂšbre proverbe local) ne fait fuir personne.
Reykjavik est un bien bel endroit⊠c
Ces Alsaciens sous les aurores boréales
Ils sâappellent Karim, Catherine, Valentin, Florent ou encore ThomasâŠ
Tous ont en point commun un dĂ©sir dâIslande, survenu plus ou moins tĂŽt, prĂ©mĂ©ditĂ© ou moins, mais, au final, toujours assouvi, car tous ont osĂ© franchir le pas et se mesurer Ă ce pays unique et quelquefois si Ă©trange. Nous les avons rencontrĂ©s Ă Reykjavik ou en France. Ils racontent ce quâils vivent ou ont vĂ©cu. Dans leurs yeux se reflĂštent les mille nuances de lâIslande. Et lâĂ©merveillement ne les a jamais quittĂ©sâŠ




Ces Alsaciens sous les aurores borĂ©ales Karim Dahmaneâ: lâIslande, comme une Ă©videnceâŠ
Il est Strasbourgeois dâorigine et il avoue bien volontiers «âavoir depuis toujours eu la bougeotteâ». Alors, trĂšs tĂŽt, il a assumĂ© ses envies et le voyage est devenu pour lui une seconde nature. «âLâIslande mâa permis de devenir celui qui est au fond de moiâ» dit-il jolimentâŠ
Voyager a toujours Ă©tĂ© un objectif quasi obsessionnel pour vousâŠ
Je ne sais pas si on peut dire ça comme ça, mais oui, trĂšs vite, jâai eu en tĂȘte lâidĂ©e de pouvoir joindre Ă lâutile Ă lâagrĂ©able câest-Ă -dire dâĂȘtre Ă mĂȘme de voyager, mais aussi de vivre ma vie depuis une destination lointaine. Je travaille donc dans le tourisme depuis trente ans. Jâai commencĂ© Ă travailler comme guide Ă Terres dâaventures, me spĂ©cialisant sur les zones dĂ©sertiques, sahariennes principalement. Jâemmenais les gens marcher. Peu Ă peu, jâai ajoutĂ© les zones arctiques, le Groenland et le Spitzberg, Ă mon programmeâŠ
Au tout dĂ©part, jâai posĂ© pour la premiĂšre fois le pied sur le sol islandais pour une question liĂ©e Ă lâimpĂ©ratif dâune escale lors dâun vol aĂ©rien vers le Groenland. Et jâai fait la connaissance dâun ami qui vivait en Islande ce qui mâa permis de multiplier les petits sĂ©jours lors des escales, dans les annĂ©es 90. Il y a eu ensuite pas mal de choses qui ont changĂ© au sein des agences de voyages pour lesquelles je travaillais, des rachats et regroupements surtout. Comme

Comment sâest passĂ©e votre rencontre avec lâIslandeâ?
notre statut de travailleur indĂ©pendant est dâune grande fragilitĂ©, jâai rĂ©alisĂ© que je nâallais pas tarder Ă rencontrer des problĂšmes et quâil allait falloir que je me prĂ©pare une solution de sortie. Je restais cependant trĂšs attachĂ© Ă mon point dâancrage qui Ă©tait Strasbourg et Ă ma terre dâAlsaceâŠ
Comment les choses ont-elles bougĂ©â?
Le tourisme nâa jamais Ă©tĂ© pour moi une fin en soi, mais jây ai toujours cherchĂ© un rĂ©el potentiel de rencontres, car ce sont ces rencontres qui, pour moi, nous font Ă©voluer et gĂ©nĂšrent le changement. Jâai donc un temps arrĂȘtĂ© de collaborer avec les sociĂ©tĂ©s habituelles et au dĂ©but des annĂ©es 2000, mon ami en Islande mâa incitĂ© Ă venir dans lâĂźle oĂč jâai commencĂ© Ă guider jusquâĂ finir par rencontrer Silja, une FrancoIslandaise qui est devenue depuis la mĂšre de mes enfants. Elle vivait Ă Paris et elle venait en Islande pour encadrer des voyages dâĂ©tĂ©. On a dĂ©cidĂ© de sâinstaller lĂ -bas parce que je me disais que câĂ©tait un beau pays oĂč nous pouvions Ă lâĂ©vidence rĂ©aliser pas mal de choses. Câest donc lâamour qui mâa amenĂ© vers lâIslande et jâai trĂšs vite rĂ©alisĂ© que ce
pays me permettait de devenir celui que jâavais au plus profond de moi depuis toujours. Elle me paraissait bien, cette idĂ©e. Nous nous sommes installĂ©s en Islande en 2008. Au meilleur momentâŠ
Câest Ă dire au moment oĂč la crise financiĂšre mondiale a Ă©clatĂ©âŠ
Câest cela. Ce fut un enfer. heureusement, le pays a pu assez rapidement rebondir. Et nous avons fini par pouvoir nous intĂ©grer assez correctement. Jâai beaucoup de reconnaissance pour ce pays oĂč jâai finalement pu me rĂ©aliser. Jâen ai aussi pour les Islandais qui, en rĂ©fĂ©rence Ă un passĂ© historique qui nâa pas toujours Ă©tĂ© pour eux une partie de plaisir, savent aujourdâhui se battre et affronter crĂąnement lâadversitĂ©. Ils lâont notamment prouvĂ© dans les annĂ©es 60/70 oĂč ils ont su affronter les bateaux anglais qui venaient pĂȘcher dans leurs eaux territoriales en vertu dâacquis historiques qui nâavaient aucune lĂ©galitĂ© justifiĂ©e.
Comment votre activitĂ© sâest-elle finalement dĂ©veloppĂ©eâ?
MalgrĂ© lâĂ©ruption-surprise de lâEyjafjallajökull deux ans aprĂšs avoir
lancĂ© mon agence, ce qui est venu encore un peu plus compliquer les choses, sur le coup, je peux dire aujourdâhui que ça marche plutĂŽt pas mal. En fait, jâai profitĂ© du boom touristique que nous connaissons depuis dix ans en IslandeâŠ
Parmi toutes les qualitĂ©s que vous reconnaissez Ă ce pays et parmi tout ce qui fait que vous avez dĂ©cidĂ© dây construire votre vie, quel est peut-ĂȘtre le point le plus remarquable que vous avez envie de soulignerâ?
Il y en aurait Ă lâĂ©vidence plus dâun. Mais je voudrais mettre en valeur le fait que les Islandais sont des gens fantastiques notamment pour le fait que sâils constatent que vous avez trouvĂ© votre chemin et que vous avez une idĂ©e qui vous porte, ils vous font trĂšs facilement une place. Vous nâavez aucunement besoin dâapparaĂźtre comme quelquâun qui brasse beaucoup dâargent, vous pouvez ĂȘtre un artiste ou simplement quelquâun qui sâest fait son petit boulot, ils vous intĂšgrent bien. Ici, au final, jâai donnĂ© une autre direction Ă ma vie, jâai Ă©levĂ© mes enfants. LâIslande mâa ouvert ses brasâŠâ» c
Ces Alsaciens sous les aurores borĂ©ales Catherine Ulrich, lâIslande au cĆurâŠ
«âAlsacienne et Strasbourgeoise de soucheâ» tient-elle dâentrĂ©e Ă prĂ©ciser, Catherine Ulrich vit depuis toujours une incroyable histoire dâamour avec lâIslande. Nos rencontres Ă Strasbourg dâabord puis Ă Reykjavik â pour son 77e sĂ©jour lĂ -basâ! â ont rĂ©vĂ©lĂ© chez elle un attachement quasi viscĂ©ral Ă lâĂźle perdue dans lâAtlantique-Nord dont elle nous parle avec une passion intacte. PortraitâŠ
Nous sommes dans les années cinquante.
Câest un simple livre dans une bibliothĂšque familiale dâun appartement strasbourgeois de lâallĂ©e de la Robertsau. La petite fille a sept ou huit ans, peut-ĂȘtre⊠Elle est devenue octogĂ©naire aujourdâhui (mĂȘme si on lui donne facilement quinze ans de moins), mais elle se souvient bien de ce livre et surtout de sa couvertureâ: «âIl appartenait Ă mes parentsâ» raconte Catherine Ulrich avec une pointe de nostalgie dans la voix «âet je me souviens comme si câĂ©tait hier de sa couverture et de la photo de cette Ă©glise de HĂĄteigskirkja et ses quatre clochers (une Ă©glise dâun quartier de Reykjavik â ndlr). Le clichĂ© avait dĂ» ĂȘtre pris au lever ou au coucher du soleil, je pense, car je me rappelle bien de ses couleurs orangĂ©es. Ce livre, jâai dĂ» le feuilleter des centaines et des centaines de fois. Je ne rĂȘvais pas encore de volcans ou de geysers, mais pour moi, toute petite fille, ce livre et cette couverture rĂ©sumaient lâIslande. Et je me suis mise Ă me passionner pour ce pays⊠Mais, malgrĂ© tout cela, jâai mis trĂšs longtemps avant de poser le pied sur cette terre. Je suis devenue veuve trĂšs tĂŽt, jâĂ©levais seule mes trois enfants et se rendre Ă quatre en Islande, Ă cette Ă©poque, Ă©tait largement hors de mes moyens pour la simple professeur de musique que jâĂ©tais. Mais je me suis toujours sentie attirĂ©e par les pays nordiques, alors nous avons souvent voyagĂ© lâĂ©tĂ© en NorvĂšge, on louait
des huttes sur les campings, on a mĂȘme poussĂ© un jour jusquâau Cap Nord. Mais lâIslande, pour moi, restait inatteignable, malgrĂ© ma connexion persistante avec le petit livre de mon enfanceâŠâ»
Un heureux engrenage
La vie, quelquefois, souvent, se charge de mettre sur pied ces rendez-vous quâon croit impossibles, quâon sâimagine ne pouvoir ne vivre que dans nos rĂȘves. Pour Catherine, câest la rencontre avec celui qui deviendra son deuxiĂšme Ă©poux.
Il y a trente ans, pour ses cinquante ans, elle se voit offrir le prĂ©cieux cadeau, son premier voyage en Islande. Elle se souvient parfaitement de sa premiĂšre sensationâ: «âĂ lâĂ©poque, lâaĂ©roport international de Keflavik (situĂ© Ă 50 km de Reykjavik) nâexistait pas, on atterrissait sur lâaĂ©roport de ReykjavĂkurflugvöllur, Ă proximitĂ© immĂ©diate du centre de la capitale islandaise (cet aĂ©roport est rĂ©servĂ© aujourdâhui aux vols intĂ©rieurs du pays â ndlr).
Ma toute premiĂšre sensation, je mâen souviens comme si câĂ©tait hier, câest, dĂšs avoir quittĂ© le tarmac, avoir marchĂ© comme sur la lune, sur ces roches volcaniques si particuliĂšres. Une sensation quasi identique Ă celle que jâavais dĂ©jĂ ressentie dans lâenfance quand le concierge de notre immeuble vidait chaque matin la chaudiĂšre des restes du charbon consumĂ©, les scories du combustible avaient le mĂȘme aspect et on entendait ce crissement trĂšs particulier
quand on marchait dessus. Ce qui mâavait Ă©galement aussitĂŽt frappĂ© lors de mon tout premier voyage, câĂ©tait les lumiĂšres tout Ă fait singuliĂšres qui baignaient ce pays. Les ciels sont trĂšs souvent bas, mais rarement lourds ou oppressants. Je crois que câest la proximitĂ© du pĂŽle Nord qui explique ce phĂ©nomĂšne. Jâai toujours eu lâĂąme trĂšs sensible et pour moi, les ciels dâIslande me rapprochent des disparus qui me restent chers. Ce fut un vĂ©ritable voyage initiatique et comme jâĂ©tais membre trĂšs active dâune chorale et dâun orchestre, je me suis tout de suite dit quâil fallait que jâamĂšne tout le monde dans ce pays. Ăa sâest fait sous la forme dâun Ă©change avec une chorale islandaise de la CĂŽte-Nord de lâĂźleâŠâ»
Sans le savoir, Catherine Ulrich venait de mettre le doigt dans un (heureux) engrenage. Un voyage, puis un autre, puis encore un autre et, trĂšs vite, elle sera Ă lâorigine de la crĂ©ation de Alsace-Islande, une association culturelle qui deviendra une vraie rĂ©fĂ©rence en matiĂšre⊠dâorganisation de voyages et de confĂ©rences. «âCe nâĂ©tait pas notre seul butâ» commente Catherine «âmais câest vrai que je me suis passionnĂ©e pour cet aspect-lĂ de notre activitĂ© associative. Peu Ă peu, jâai dĂ©veloppĂ© une sorte dâexpertise, jâavais mes parcours, mes rĂ©fĂ©rences dâhĂ©bergements, mes restaurants incontournables et le bouche-Ă -oreille a fait le reste. LâIslande est devenue ma destination privilĂ©giĂ©e, voire unique, et je nâai cessĂ© dâĂ©prouver du plaisir Ă la faire dĂ©couvrir Ă des centaines de gens, au fil des
ans. Je nâai jamais cessĂ© dâĂȘtre bĂ©nĂ©vole, je nâen ai jamais fait un mĂ©tier, mais jâai sans cesse su mâadapter. Par exemple, il y a une quinzaine dâannĂ©es, jâai eu affaire Ă de plus en plus de femmes seules et des exigences dâun hĂ©bergement plus confortable se sont faites jour. Alors, jâai fait Ă©voluer en consĂ©quence ma gamme dâhĂŽtels, un peu comme lâagence de voyages que nous nâĂ©tions pas, mais dont je mâefforçais de copier le professionnalisme. Jâai mĂȘme un jour pu organiser un voyage pour une cinquantaine dâĂ©tudiants dâune Ă©cole dâingĂ©nieurs, lâINSA, venus sur place pour Ă©tudier concrĂštement la gĂ©othermie, notamment. Ils en gardent tous un superbe souvenir, je crois⊠(des propos que confirme un grand ami de Or Norme , leur ex-professeur Armand Erb, aujourdâhui Ă la retraite â ndlr). VoilĂ pourquoi je peux aujourdâhui afficher 77 voyages en Islande Ă mon compteurâ» sourit Catherine qui compte bien atteindre le chiffre rond de cent voyages. Mais ce ne seront plus des voyages quâelle
organisera, car elle a mis fin à cette activité quelques mois avant que le Covid ne vienne tout perturber.
Les solides particularitĂ©s dâun si petit peupleâŠ
Reste que, parfaitement bilingue, la nĂ©o-octogĂ©naire reste une formidable personne-ressourceâ: quand nous avons en partie prĂ©parĂ© notre voyage lĂ -bas avec elle, il nây a pas un lieu, un site, un hĂŽtel ou un restaurant dâĂ©tape quâelle ne connaissait pas. Quasi incroyableâŠ
Cette parfaite connaisseuse de lâIslande est bien placĂ©e pour Ă©voquer lâĂ©volution contemporaine de ce pays, elle qui lâa connue Ă une Ă©poque oĂč il restait assez enclavĂ©, mais si follement «ânatureâ». Je me souviens mĂȘmeâ» raconte-t-elle, «âquâil y a trente ans, on roulait sur des routes sans asphalte vers le Snaefellsjökull (le glacier
qui inspira Jules Verne pour son formidable Voyage au centre de la Terre â ndlr) et quâon suivait parfois une arroseuse publique qui projetait de lâeau sur la piste pour quâelle ne sâĂ©rode pas trop quand elle devenait trop sĂšche. Ce type de routes existent encore aujourdâhui, mais lâasphalte est devenu beaucoup plus frĂ©quent, bien sĂ»r.
Ceci dit, lâIslande contemporaine a beaucoup Ă©voluĂ©, Ă lâĂ©vidence. Le tourisme est arrivĂ© en masse, surtout Ă Reykjavik et dans lâouest du pays et il a forcĂ©ment eu un impact, car moins de 400â000 Islandais vivent sur leur ile. Mais, nĂ©anmoins, ce petit peuple, par le nombre dâĂąmes, conserve ses solides particularitĂ©sâ: il y aurait beaucoup Ă dire sur ce sujet, mais parmi elles, il y a par exemple cette tradition dâaccueil concernant les Ă©migrĂ©s. Il y a ici beaucoup de gens dâorigine polonaise, voire russe, beaucoup dâAsiatiques aussi et mĂȘme, ces derniers temps, des Ukrainiens et les Islandais que je connais vivent ça plutĂŽt bien. Certains revendiquent mĂȘme ce brassage de population, car cela permet de âmĂ©langer leur sangâ comme ils disent. En effet, les risques de consanguinitĂ© ne sont pas rares dans une population aussi petite.
Jâadmire aussi leur façon dâĂ©duquer leurs enfants, trĂšs vite et de façon trĂšs surprenante pour nous autres Français, les jeunes couples islandais leur accordant une autonomie qui ne cesse de grandir, et çà , je le constate depuis trente ans, en effet. Au bord des cascades, ils laissent leur bĂ©bĂ© trottiner tout seul, car il doit apprendre le plus vite possible Ă se sentir le plus indĂ©pendant possible. Quasi impensable en FranceâŠ
Je crois que pas mal de nos compatriotes seraient trĂšs Ă©tonnĂ©s des particularitĂ©s rĂ©elles de ce si petit peupleâŠâ» conclut Catherine, la passionnĂ©e, dont lâĆil ne cesse de briller dĂšs que le mot Islande est prononcĂ©.
Tout cela grĂące Ă la magie aujourdâhui lointaine, mais toujours prĂ©sente dâune couverture orangĂ©e dans la petite bibliothĂšque de son enfance⊠c

Ces Alsaciens sous les aurores boréales
Valentin Fels-Camilleri, le battantâŠ

Aussi loin quâil se souvienne, ce Haut-Rhinois dâorigine, passĂ© par Strasbourg pour ses Ă©tudes supĂ©rieures Ă la FacultĂ© des Sciences du sport, a toujours voulu voyager et Ă©largir son horizon. AprĂšs quelques Ă©tapes dĂ©terminantes, il sâest fixĂ© Ă Reykjavik oĂč nous lâavons rencontrĂ©. Il nous parle avec une belle jubilation de sa nouvelle vie en IslandeâŠ
On dĂ©couvre le Mjölnir (le nom islandais du marteau du dieu Thor) en haut dâune mini-colline, quasi protĂ©gĂ© des regards dans une zone sans commerciale sans Ăąme de la proche banlieue de la capitale islandaise. Le bĂątiment ne paie pas trop de mine, mais sa visite, aussitĂŽt entamĂ©e en suivant les pas de Valentin Fells-Camilleri, rĂ©vĂ©lera vite quâil est plutĂŽt bien pensĂ©, suffisamment en tout cas pour avoir gagnĂ© assez vite ses galons de premier club de sport de Reykjavik. Autour dâune tasse de cafĂ©, Valentin se prĂȘte avec un entrain non feint au jeu des souvenirsâŠ
Tu nâas que 31 ans, mais ton parcours rĂ©vĂšle dĂ©jĂ une belle appĂ©tence pour lâailleurs, les voyages, la dĂ©couverte de beaucoup dâhorizonsâŠ
Câest certain. Aussi loin que je me souvienne, jâai toujours voulu voyager, mais jâai commencĂ© somme toute assez tard. LâIslande, une premiĂšre fois, fut mon premier grand voyage sans mes parents. Jâavais 21 ans. Et jâai passĂ© des vacances ici aprĂšs avoir rencontrĂ© un Islandais, Gunnar, qui Ă©tait jeune homme au pair Ă Colmar et avec lequel jâai bien accrochĂ©. Câest lui qui mâa fait dĂ©couvrir lâIslande durant trois semaines Ă lâĂ©té 2012. Jâai Ă©tĂ© immĂ©diatement et totalement sĂ©duit. CâĂ©tait avant le boom touristique de ces derniĂšres annĂ©es et jâavais Ă©tĂ© fascinĂ© par ces paysages grandioses quasi vides de toute prĂ©sence humaine. Jâai ensuite continuĂ© mes Ă©tudes Ă Strasbourg et sâest prĂ©sentĂ©e une superbe opportunitĂ© Ă six mois de la fin de ma cinquiĂšme annĂ©e de Master Ă Strasbourg oĂč jâai pu bĂ©nĂ©ficier dâun stage de fin dâĂ©tudes en Australie, au laboratoire de sport et de nutrition de
lâUniversitĂ© de Brisbane. Six mois fantastiques oĂč jâai pu continuer mes entrainements de jiu-jitsu et mĂȘme participer Ă quelques compĂ©titions, en mĂȘme temps que je finissais ma thĂšse. Une fois le stage terminĂ©, jâai passĂ© quelques jours en Asie puis en Nouvelle-ZĂ©lande, jâai fait le tour du coin, quoi (rires). De retour en Alsace, mon diplĂŽme en poche, jâai fini par tourner un peu en rond, jâai eu du mal Ă dĂ©velopper lâactivitĂ© de coach que jâavais prĂ©vu dâexercer et, pour ĂȘtre franc, jâai compris que si je voulais continuer Ă dĂ©velopper mon entrainement et ĂȘtre au top de mon sport, il allait falloir que je parte. Jâai pensĂ© Ă Paris, aux Ătats-Unis, jâĂ©tais trĂšs indĂ©cis⊠Au printemps 2016, je suis revenu Ă Reykjavik, Ă Mjölnir, pour
prĂ©parer les championnats dâEurope et le staff du club mâa alors dit que le club allait se dĂ©velopper en ouvrant une structure plus grande et mâa fait comprendre quâil y aurait sans doute une opportunitĂ© pour moi. Ă mon retour en France, jâai mis un maximum dâargent de cĂŽtĂ© et je suis finalement revenu en Islande au dĂ©but de lâautomne en me disant que je ne risquais rien Ă tenter ma chance au club, dâabord en mây entraĂźnant puis peu Ă peu, en y prenant des responsabilitĂ©s en tant que salariĂ©. Je raccourcis le rĂ©cit, mais le hasard a bien fait les choses, vers la fin de lâannĂ©eâ: le responsable de la section de compĂ©tition de jiu-jitsu a annoncĂ© quâil quittait son poste pour un autre job et, immĂ©diatement, on mâa proposĂ© sa placeâ! Jâai
acceptĂ©, mais franchement, je me sentais un peu nerveuxâ: cet homme Ă©tait mon modĂšle et je me suis dit quâil allait vraiment falloir que je sois convaincant pour mâaffirmer. Je me suis lancĂ©, et, au fur et Ă mesure, tout sâest bien passĂ© cĂŽtĂ© professionnel puisque je suis devenu entraĂźneur en chef de cette section de compĂ©tition, mais aussi au niveau sportif avec une belle troisiĂšme place Ă lâĂ©quivalent des qualifications europĂ©ennes pour les JO, une victoire aux championnats nationaux chaque annĂ©e depuis quatre ans et rĂ©cemment une prestation remarquĂ©e lors du plus grand show europĂ©en de mon sport. Enfin, jâai ouvert ma propre structure Ă Akranes (une localitĂ© Ă une cinquantaine de kilomĂštres du nord-est de Reykjavik â ndlr). Bon, jâai volontairement occultĂ© jusque-lĂ une des raisons principales qui mâavaient fait mâĂ©tablir durablement dans ce paysâ: je suis tombĂ© amoureux dâune Islandaise, Tina, que jâai rencontrĂ©e il y a cinq ans. On a eu notre bĂ©bĂ©, Lena-Katrin, il y a deux ans⊠Tina est originaire de Akranes, voilĂ pourquoi nous vivons lĂ -bas.
Câest une trĂšs belle histoire. Parle-moi maintenant des Islandais, vus avec les yeux de lâAlsacien que tu es toujours, mais qui vit Ă demeure depuis plus de six ans dans ce pays surprenantâŠ
SincĂšrement, je vois que beaucoup de mes habitudes ont changĂ©. Je pourrais raconter une multitude dâanecdotes, Ă©videmment⊠Lâune est assez rĂ©vĂ©latrice, surtout avec lâĂ©poque que nous vivons aujourdâhui. Au dĂ©but de ma vie de couple avec Tina, jâavais du mal Ă comprendre un truc qui Ă©tait incroyable Ă mes yeuxâ: les gens gardaient tout le temps les lumiĂšres allumĂ©es et ils nâĂ©taient absolument pas Ă©conomes avec lâeau, par exemple. Tout cela me paraissait aberrant, au vu de mon Ă©ducation française mĂȘme si la latitude de lâIslande fait quâen dĂ©cembre ou janvier, on nâa au mieux que trois heures de lumiĂšre du jour quotidiennement. Au dĂ©but, je passais systĂ©matiquement derriĂšre elle pour Ă©teindre la lumiĂšre et elle la rallumait aussi sec. Câest dâailleurs devenu un jeu entre nous, depuis. Mais le prix de lâĂ©lectricitĂ©, ici, câest peanuts compte-tenu quâelle est quasiment entiĂšrement dâorigine gĂ©othermique ou hydraulique. Câest pareil pour le chauffage, les gens laissent couramment les fenĂȘtres grandes ouvertes et le chauffage Ă fond, ce nâest pas un problĂšme. Les voitures Ă©lectriques sont en plein boom dans le pays et la recharge est tout aussi peu coĂ»teuseâŠ
Sur un autre plan, il mâa fallu mâadapter. Tiens, rien que la traditionnelle bise Ă la française. Tant au niveau des hommes que des femmes, elle nâest pas du tout dans la culture islandaise. Ăa ne se fait pas du tout ici. Dâailleurs, assez souvent, mĂȘme dire bonjour ou au revoir nâest pas usuel non plus. Ăa doit tenir au fait que nous sommes, au fond, une petite communautĂ©, moins de 400â000 personnes sur toute lâĂźle. Avec mes potes on se quitte le soir sans se saluer et le lendemain, en se retrouvant, on peut mĂȘme redĂ©marrer la conversation lĂ oĂč on lâavait laissĂ©e la veille. Câest assez Ă©trange heinâ?
Quelles sont les deux ou trois qualitĂ©s, en gĂ©nĂ©ral, que tu apprĂ©cies le plus chez les Islandaisâ?
Il y a cette valeur bien spĂ©cifique au peuple islandais qui est lâentraide. Sans doute lĂ encore est-ce dĂ» Ă cette petite communautĂ© que nous formons. Les connexions spontanĂ©es sont beaucoup plus importantes que partout ailleurs. Si je rencontre quelquâun que je ne connais pas, je peux ĂȘtre Ă peu prĂšs certain que pas mal de mes amis le connaissent. Alors, si on essaie de promouvoir des valeurs comme la bontĂ© ou lâempathie par exemple, il y a de bonnes chances que beaucoup de rencontres deviennent trĂšs vite trĂšs positives. Bon, ça marche aussi dans lâautre sens, sâil y a un problĂšme ça se sait trĂšs vite. Du coup, Ă©normĂ©ment dâopportunitĂ©s inattendues se prĂ©sententâ: par exemple, je me suis souvent retrouvĂ© dans des tournages de sĂ©ries hollywoodiennes ou chinoises qui recherchaient des acteurs pour des sĂ©quences de combat. Dans un autre pays, il y aurait un casting dâacteurs, mais ici, câest tellement petit quâils passent au club de sport le plus renommĂ© et ils tombent vite immanquablement sur toiâŠ
Si je me base sur les gens que jâai connus ici, dĂšs quâon dĂ©passe la premiĂšre couche de personnalitĂ© juste aprĂšs la rencontre, ils deviennent vite trĂšs authentiques et sâĂ©talent alors volontiers sur qui ils sont, ce quâils ont vĂ©cu, ce quâils vivent, ce quâils pensent. Mais je reviens sans cesse sur cette solidaritĂ© qui les caractĂ©rise tous. Je crois bien quâelle est lĂ la toute premiĂšre qualitĂ© des Islandais. Elle se manifeste dâautant plus dans les tout petits villagesâ: quand tu y arrives, tu nâauras sans doute pas droit tout de suite aux grands sourires et aux grands discours, mais lâentraide se manifestera assez vite.
Du cÎté du trÚs positif, je pense aussi à la façon dont est considérée la maternité.
Jâen ai Ă©videmment bien pris conscience en devenant pĂšre il y a deux ans, câest bluffant. Le congĂ© de maternitĂ©, ici, câest six mois pour la mĂšre et cinq mois pour le pĂšre, sans parler dâun ou deux mois supplĂ©mentaires auxquels tu peux avoir accĂšs en option. Au total, ton bĂ©bĂ© peut rester avec toi pendant plus dâun an et tu es encore payĂ©. Et ça vaut aussi pour les indĂ©pendants, ce nâest pas que pour les salariĂ©s. Jâai eu de la chanceâ: en ajoutant les effets du Covid, jâai eu ce privilĂšge et ce bonheur dâĂȘtre prĂšs de ma petite fille pendant presque deux ans. Elle comprend le français aussi bien que lâislandais et la connexion que jâai avec elle est merveilleuseâŠ
Et puis, il faut que je parle de cette ville Ă©tonnante quâest Reykjavik. Bien sĂ»r, elle nâest ni Londres ni Paris, mais il y a ici des intellectuels, des artistes, des crĂ©ateurs et toutes sortes de gens curieux de tout, qui ne cessent de dĂ©velopper des modes et des tendances⊠Et comme la ville est petite, on les rencontre trĂšs facilement. Et je ne te parle mĂȘme pas de lâatout le plus fantastique de la capitaleâ: en moins de dix minutes de voiture, tu as accĂšs Ă cette nature brute, lâocĂ©an, les montagnes⊠ça câest un vrai, un gros, un Ă©norme atout. Ici, le mix entre lâurbain et la nature est fantastique.
Et, a contrario, le nĂ©gatifâ?
En toute sincĂ©ritĂ©, pas grand-chose, vraiment⊠En me creusant fort, je dirais que nos quatre saisons traditionnelles en Alsace me manquent et il en va de mĂȘme avec la langue françaiseâ: comme je suis en contact avant plein dâIslandais, je parle tout le temps en anglais. Mon islandais est celui dâun gamin de cinq ans, jâavoue, mais je comprends lâessentiel de ce qui se dit. Du coup, en te parlant de ça, me vient Ă lâidĂ©e un trait de caractĂšre qui serait un tantinet nĂ©gatifâ: quand ils sont en groupe et que tu es avec eux, ils basculent trĂšs vite de lâanglais Ă lâislandais. Bon, rien de grave, câest malgrĂ© eux, rien de volontaire⊠Finalement, ce qui est le plus handicapant est liĂ© Ă lâinsularitĂ©. En partir et y revenir est trĂšs coĂ»teux, câest une rĂ©alitĂ©.
Mais, tu vois, je cherche et je cherche pour trouver des choses Ă redire et au fond, il y en a si peu. Il y a un dicton, ici, qui dit un truc du genreâ: «âBah, pas de souci, ça va le faireâŠâ» Les Islandais sont un peu les BrĂ©siliens de lâEuropeâ: ils vont ĂȘtre un peu en retard, pas tout Ă fait carrĂ©s, mais, pas de souci, ça fonctionnera quand mĂȘme, ils vont sâadapter tout en restant cool, mais, au final, tout se fera toujours comme prĂ©vu ou comme promisâŠâ» c
Ces Alsaciens sous les aurores boréales
Florent Gast «âMes attaches sont dĂ©sormais dans ce paysâŠâ»
Alsacien dâorigine puisque natif dâObernai (mais il a vĂ©cu dans les Vosges dĂšs lâĂąge de deux ans), Florent Gast, 34 ans, est passĂ© par la Fac de Nancy pour une licence dâAnglais puis un Master de Français - Langues Ă©trangĂšres qui lâaura finalement amenĂ© en Islande pour un stage dâun semestre Ă lâĂ©tranger. Et ce fut le coup de foudreâŠ

Il avait prĂ©venuâ: la rencontre et lâinterview ne pourraient se faire quâavec ses deux filles, dont il avait la charge lors de la semaine. Aucun problĂšme pour un tel deal sauf quâon ne peut pas contraindre deux enfants de moins de dix ans Ă rester stoĂŻquement sages pendant cinquante minutes, pendant que le papa raconte tant de choses Ă ce monsieur Ă©tranger qui veut tout savoir. «âPas de problĂšme, je vais choisir un endroit oĂč elles pourront jouer dehorsâŠâ» avait dit Florent qui avait fixĂ© le rendez-vous une fin dâaprĂšs-midi, dans un bar Ă proximitĂ© immĂ©diate de lâaĂ©roport de ReykjavĂkurflugvöllur rĂ©servĂ© aux vols intĂ©rieurs islandais.
SituĂ© Ă peine quelques kilomĂštres du centre de Reykjavik, lâendroit ressemble Ă une vague zone commerciale un peu dĂ©sertĂ©e et le bar convenu occupe un de ces ex-hangars typiques de lâarmĂ©e de lâair, avec son toit arrondi, qui pullulent dans la zone. LâintĂ©rieur, cependant, est joliment agencĂ© et dĂ©corĂ© et sâavĂšre ĂȘtre un des spots les plus tendance de la capitale islandaise.
Florent nâaura besoin que dâun rapide coup dâĆil, aprĂšs avoir stationnĂ© son vĂ©hicule, pour juger lâendroit tout Ă fait sĂ»r et pendant une heure, Andrea et JĂșlia gambaderont en totale libertĂ© au milieu de quelques jeux dâenfants en plein air. Une seule fois durant lâheure de lâinterview, leur papa sortira du bar pour jeter un coup dâĆilâ: ce nâest pas la premiĂšre fois oĂč on rĂ©alise que, dĂ©cidĂ©ment, les enfants bĂ©nĂ©ficient ici dâune Ă©ducation Ă la responsabilitĂ© qui ne pourrait certainement pas sâexercer ainsi en FranceâŠ
LâIslande en tĂȘte
«âPour ce trimestre Ă lâĂ©tranger dans le cadre de mon Masterâ» raconte Florent, «âjâavais postulĂ© un peu partout, en
NorvĂšge, en Lituanie mais aussi en Islande. En fait, jâavais depuis longtemps lâIslande en tĂȘteâ: je suis passionnĂ© de volcanisme depuis toujours et cette passion est nĂ©e grĂące Ă deux hĂ©ros alsaciens, Katia et Maurice Krafft, cet incroyable couple de vulcanologues qui ont Ă©tĂ© victimes de leur passion en 1991, Katia et Maurice Krafft ont Ă©tĂ© emportĂ©s le 3 juin 1991 par une coulĂ©e pyroclastique sur les flancs du volcan Unzen au Japon.â» (Un trĂšs beau doc rĂ©alisĂ© par Werner Herzog, Requiem pour Katia et Maurice Krafft est encore disponible en streaming sur le replay de Arte â ndlr). «âJe me souviens aussi des images de lâĂ©ruption de Heimaey sur les Ăźles Vestmann, au large de lâIslande, que jâavais dĂ©couvertes dans un livre quâon mâavait offert alors que jâĂ©tais encore enfant. Et je ne vous parle mĂȘme pas, bien sĂ»r, de lâĂ©ruption de lâEyjafjallajökull, en 2010, situĂ© Ă peine 150 kilomĂštres de lâendroit oĂč nous nous
En 2011, Florent postule donc pour un stage Ă lâAlliance française de Reykjavik,
programmĂ© dans le cadre de son mĂ©moire de Master. DĂ©but fĂ©vrier, sous le statut de freelance, il enseigne le français Ă lâAlliance puis il profite dâun poste dâassistant de direction qui se libĂšre pour se fixer en Islande. «âLe poste recouvre en fait une multiplicitĂ© de responsabilitĂ©s qui vont de lâadministratif Ă la communication en passant par lâorganisation dâexamens et lâanimation culturelle. Le tout notamment au profit dâune communautĂ© française qui tourne autour de 300 rĂ©sidents permanents mais il y a aussi pas mal de saisonniers qui sâajoutent Ă ce nombre. Mais mon rĂŽle principal nâest pas de mâadresser spĂ©cifiquement Ă eux, au contraire il sâadresse aux Islandais auprĂšs de qui nous essayons de diffuser la culture française sous toutes ses formes ainsi que la FrancophonieâŠâ»
«âOn mâa fait confiance dĂšs le dĂ©partâŠâ»
Le temps de prendre quelques instants pour se lever et jeter un rapide coup
dâĆil sur ses deux filles qui jouent Ă lâextĂ©rieur, Florent se met Ă commenter sa vie Ă Reykjavikâ: «âAu niveau privĂ©, jâai un conjoint avec qui je vis et ce sont ses deux enfants naturels, je me suis donc trĂšs naturellement intĂ©grĂ© Ă cette famille. Ici, tout est trĂšs ouvert dâesprit sur ces sujets, trĂšs gay friendly⊠Cela fait maintenant dix ans que je vis en Islande et franchement, je mây sens trĂšs bien dans ma peau. En dehors de mon job Ă lâAlliance, je guide durant les mois dâĂ©tĂ© ce qui fait que je connais bien le pays. Au fur et Ă mesure de ces dix ans, jâai appris lâislandais, ce qui me permet Ă©galement de faire un peu dâinterprĂ©tariat. La sociĂ©tĂ© islandaise est tellement petite que, trĂšs souvent, on rencontre des gens qui ont plusieurs casquettes, plusieurs cordes Ă leur arc. Câest frĂ©quent. Mes activitĂ©s me permettent donc de rencontrer beaucoup de gens et câest autant dâĂ©changes dâexpĂ©riences.
Depuis 2010, il y a eu un boom touristique impressionnant et cet engouement pour lâIslande ne sâest pas dĂ©menti depuis. Câest dâailleurs ce phĂ©nomĂšne qui mâa permis de devenir guide, il y avait un fort manque local en ce domaine. On mâa fait confiance dĂšs le dĂ©part, ça câest un trait de caractĂšre local. Ici, se lancer dans des projets transversaux est somme toute assez facile, au contraire de la France oĂč il faut ĂȘtre bardĂ© de diplĂŽmes et dâexpĂ©rience.
Aujourdâhui que je suis devenu islandais de nationalitĂ©, je me sens suffisamment implantĂ© pour essayer de parler de ce pays. Pour moi, il y a eu un avant et un aprĂšs lâapprentissage de la langue. Quand on ne parle pas lâislandais, on a lâĂ©tiquette du visiteur qui finira toujours par repartir un jour ou lâautreâ: les gens sont polis et courtois mais ce sera assez difficile de nouer de vrais liens dâamitiĂ©. Mais lâislandais reste une langue trĂšs difficile Ă apprendre, ce qui est un handicap pour le pays qui a beaucoup besoin dâĂ©migrĂ©s pour se dĂ©velopper. SincĂšrement, les portes ne se sont vraiment ouvertes pour moi que lorsque je me suis senti assez confiant pour parler la langue quasiment en permanence⊠Alors, je pense que je suis lĂ©gitime pour parler des Islandaisâ: ce sont des gens chaleureux, sympas, sans doute un peu froids en apparence lors des premiers Ă©changes, un peu comme des volcans qui seraient recouverts par un glacierâ; lâimage nâest pas de moi, elle est dâune jeune femme expatriĂ©e que jâai connue ici⊠Câest peutĂȘtre aussi dĂ» au climatâ: il pleut souvent, il peut faire froid mĂȘme si, curieusement, il fait en moyenne moins froid en Islande quâen Alsaceâ! Il y a aussi ces deux mois
dâhiver oĂč la luminositĂ© manque. Alors, il faut sâoccuper, il faut avoir des amis, il faut faire du sport et tout ça permet dâoublier et de surmonter cette obscuritĂ© qui nâest quand mĂȘme pas totaleâ: au solstice dâhiver, le soleil le lĂšve vers onze heures le matin et se couche vers quinze heures. En attendant, nos deux filles ont eu droit Ă leur cuillĂšre de foie de morue chaque matin Ă lâĂ©coleâ: câest un puissant apport de vitamine DâŠâ»
Une société paisible
Mais câest sur les thĂ©matiques liĂ©es Ă la tolĂ©rance que Florent sâexprime le plus volontiers. Il en souligne les aspects trĂšs particuliersâ: «âIci, Ă Reykjavik, la gay pride annuelle est comme une institution, elle nâest pas fĂȘtĂ©e que par les gays ou les transgenres. Câest une fĂȘte familiale, câest la fĂȘte de lâamour universel. Quant au profil atypique de notre famille, il nâa jamais fait lâobjet du moindre questionnement autour de nous, Ă lâĂ©cole par exemple. En fait, jâoublie totalement ce qui pourrait ĂȘtre considĂ©rĂ© comme une exception en Franceâ: certes, nous ne vivons pas comme la majoritĂ© des gens autour de nous mais ce nâest pas un sujet, je ne me pose pas de questions. Je nâai jamais Ă©prouvĂ© le besoin de me justifier.
Sur un plan plus global, je sens que lâIslande est dans la bonne direction. LâinsularitĂ© et le faible nombre dâhabitants imposent que ce pays puisse sâouvrir et câest le cas, les Islandais le souhaitent dans leur trĂšs grande majoritĂ©. Les gens sont conscients que cet apport dâimmigrĂ©s est indispensable.
Il nây a globalement pas de gros problĂšmes de sĂ©curitĂ© en Islande, vous le voyez bien dâailleurs, mes deux filles jouent tranquillement dehors sans que je nâĂ©prouve le besoin de les avoir sous les yeux toutes les cinq minutes. Dans le quartier que jâhabiteâ; câest trĂšs cool aussi. Les enfants prennent trĂšs vite lâhabitude de se frĂ©quenter dans les familles. Nous sommes tous reliĂ©s par une petite application style WhatsApp et quand je pose la questionâ: « OĂč est Andreaâ? », la rĂ©ponse arrive viteâ: « Elle est chez nous, en train de prendre son goĂ»ter⊠» Jâavoue que nous vivons dans une sociĂ©tĂ© paisible et câest trĂšs agrĂ©able, je le vis comme un privilĂšge. Câest sans doute un des pays du monde oĂč Ă©lever ses enfants est le plus facile et le plus agrĂ©able⊠Ceci dit, le fait dâĂȘtre un petit peuple nâest pas sans inconvĂ©nientâ: câest trĂšs difficile de sortir sans rencontrer quelquâun quâon connait. Ce sentiment est permanent. Quelquefois, on aimerait bien vivre dans un certain anonymat. Du coup,
ça peut provoquer dâĂ©tranges sensations. Regardez nos maisonsâ: elles nâont pas de volets, elles ont de grandes baies vitrĂ©es, on ne cache rien, il nây a rien Ă cacherâŠâ»
Jâai vraiment grandiâŠ
TrĂšs vite, au cĆur de ce bar branchĂ© de la capitale islandaise, la conversation bifurquera vers des thĂ©matiques liĂ©es Ă lâart et Ă la culture. LĂ encore, Florent nâest pas avare quand il sâagit de manifester sa satisfaction quant Ă son pays dâadoptionâ: «âOn en a parlĂ©, le climat et la luminositĂ© quelquefois insuffisante poussent les gens Ă sâoccuper de quelque façon que ce soit et dans ce cadre, lâart et la pratique artistique sont florissants. Dâailleurs, les Islandais consacrent beaucoup dâargent pour la dĂ©coration de leur intĂ©rieur et pour lâachat dâĆuvres dâart. Il en va de mĂȘme pour les Ă©quipements publics en la matiĂšreâŠâ» Et, trĂšs vite, de citer le Harpa, cette gigantesque salle de concerts et de confĂ©rences, Ă lâarchitecture dâune folle audace, construite Ă proximitĂ© immĂ©diate du port, face Ă lâocĂ©an. «âJe le raconte souvent quand je guideâ: la construction du Harpa a dĂ©butĂ© trĂšs peu de temps avant la crise financiĂšre de 2008 et son Ă©dification a trĂšs vite Ă©tĂ© hors de prix. Il a mĂȘme Ă©tĂ© question de stopper immĂ©diatement les travaux. Mais il a Ă©tĂ© dĂ©cidĂ© que le contribuable mettrait la main Ă la poche et les travaux ont pu continuer. Quand il sâagit dâart, les Islandais rĂ©clament le meilleur et ce bĂątiment est devenu finalement un marqueur, un emblĂšme pour leur capitaleâŠâ»
Tout au long de lâentretien, Florent sera restĂ© soucieux de ne jamais employer un vocabulaire trop dithyrambique pour parler de ce pays qui lâa accueilli et oĂč il se sent si bien tant professionnellement quâhumainement. Pour un peu le provoquer, en conclusion, on le pousse Ă se demander ce quâil ferait si on lui proposait le mĂȘme job trĂšs loin dâici, avec un salaire doublĂ© Ă la clĂ©â: «âPourquoi pasâ? Câest dâailleurs peut-ĂȘtre un projet de partir un temps ailleurs, oui, pourquoi pasâ? Mais ce serait pour revenir tĂŽt ou tard en Islande. Je sens que mes attaches sont dĂ©sormais dans ce pays, il y a ici comme une forme dâinsouciance, jâutilise mon vĂ©lo pour aller au travail, je suis Ă deux pas des montagnes et de lâocĂ©an, et partout en Islande, il y a cette belle ouverture dâesprit et ce gros potentiel dâopportunitĂ©s. On mâa fait confiance sur Ă©normĂ©ment de choses. Jâai vraiment grandi. Je ne vois pas, pas plus en France quâailleurs, un pays oĂč jâaurais pu rĂ©aliser aussi vite tout ce que jâai fait iciâŠâ» c
La belle histoire Partir, se trouver, revenirâŠ
Qui dâentre nous nâa jamais eu cette idĂ©e folle de tout plaquer pour «âlever le campâ», se frotter au grand frisson de lâaventure toutes voiles dehors, le temps au moins de faire peau neuve et se retrouver au plus intime de soiâ? Ă bien y regarder, cette idĂ©e reste trĂšs souvent un simple projet pour beaucoup dâentre nous. Pas pour Thomas Waeldele, qui a sautĂ© le pas il y a trois ansâ: cap vers lâIslandeâ!
Il se pose devant nous dans lâintimitĂ© dâun petit bar de quartier prĂšs des Halles et instantanĂ©ment, le courant passe. Peut-ĂȘtre parce quâon se connait dĂ©jĂ un peu sans sâĂȘtre rencontrĂ©s puisque la Consule dâIslande Ă Strasbourg, Solvenn Dromson, nous a remis le livre-photo que Thomas a rĂ©alisĂ© pour conserver une trace de son pĂ©riple au pays des Vikings⊠Il ne faut donc pas longtemps avant que ce gaillard aux yeux dĂ©terminĂ©s nous raconte tout ce quâil a vĂ©cu il y a prĂšs de quatre ans. Et ça devient vite hyper passionnant⊠est au fond de moiâ» dit-il jolimentâŠ
Ă un lĂ©ger dĂ©tail prĂšs⊠Je nâĂ©tais pas heureuxâŠ
«âCâest un Ă©norme parcours personnel qui mâa conduit en Islandeâ» racontet-il. «âJâavais 43 ans en 2019, quand jâai vraiment rĂ©alisĂ© quâĂ force dâessayer de rentrer dans des cases sans y parvenir, il me fallait bien envisager dâabsolument tout changer. Peu de temps avant, jâĂ©tais encore Expert produits pour un grand constructeur automobile allemand, je passais mon temps Ă expliquer aux clients de A Ă Z comment faire fonctionner le
vĂ©hicule quâils venaient dâacheter. Ăa me plaisait assez, car jâai toujours Ă©tĂ© un passionnĂ© dâautomobile. Ăa, câest pour la case boulot, mais jâai cochĂ© Ă©galement toutes les autresâ: marie-toi, je me suis mariĂ©â; fais un enfant, jâen ai fait unâ; un bel appartementâ? Jâen avais un aussi. Et puis, une belle voiture, au vu de ma profession, ça nâa pas posĂ© de problĂšme⊠Bon, voilĂ , je cochais donc toutes les cases. Les copains, la famille, tout Ă©tait super. Ă un lĂ©ger dĂ©tail prĂšs⊠Je nâĂ©tais pas heureux. Ma perception du monde me disait que jâavais envie de faire des choses avec beaucoup plus dâenvergure.
Je me suis lancé⊠Jâai commencĂ© par mettre fin Ă mon contrat avec lâenvie dâentreprendre quelque chose plus en accord avec moi. Lâoption gestion de chambres dâhĂŽtes sâest prĂ©sentĂ©eâ: jâai suivi quelques pistes, dans les Vosges et mĂȘme jusquâen LozĂšre, car je me sentais dĂ©jĂ trĂšs attirĂ© par les coins un peu paumĂ©s oĂč il nây avait pas grand monde, au cĆur des grands espaces. Rien de totalement convaincant, au final. En fĂ©vrier 2019, je me retrouve une premiĂšre fois en Islande, en vacances avec ma fille, sans doute influencĂ© par un effet de mode qui avait vu tous les grands constructeurs autos se rendre lĂ -bas pour tourner
leurs pubs dans des dĂ©cors naturels quasi uniques au monde. Ă notre retour, je me suis en quelque sorte un peu fĂąchĂ© avec la France, car je trouvais que câĂ©tait un pays oĂč câĂ©tait compliquĂ© pour bosser, du moins avec ma vision des chosesâŠâ»
TempĂȘte sous un crĂąne, car manifestement, la volontĂ© de radicalement tout remettre en cause venait de se faire jour. «âJe me suis posĂ© trĂšs franchement la questionâ: je pars oĂčâ? Et lâidĂ©e de lâIslande est venue assez viteâŠâ» poursuit Thomas. «âAprĂšs avoir un peu potassĂ© le sujet et mâĂȘtre notamment aperçu que le pays Ă©tait classĂ© deuxiĂšme au classement international de lâindice du bonheur de vivre, jâai pensĂ© que ça pouvait se tenter. Ă un moment donnĂ©, dĂ©but dĂ©cembre, je me suis dĂ©cidĂ©â: aprĂšs avoir vendu mon appart et mâĂȘtre dĂ©barrassĂ© dâun tas de trucs accumulĂ©s au fil du temps, jâai mis le reste dans mon break et je suis parti par la route pour le Danemark avec lâintention de prendre le premier ferry pour lâIslande et de mây installer. On Ă©tait en plein Covid et je savais pertinemment que nâimporte quel douanier avait alors parfaitement le droit de me refoulerâ: lâair fatiguĂ©, fiĂ©vreux, je nâaime pas votre tĂȘte, je pense que vous
Les cristaux de glace en altitude irisent le ciel de Vik, la plage la plus au sud de lâIslande.


La route

avez le Covid, bref, vous faites demi-tour, vous nâentrez pas au Danemark⊠Mais câest passĂ©. En arrivant en Islande, jâavais une semaine devant moi, câĂ©tait prĂ©vu, car je devais mâisoler Ă cause des conditions sanitaires. Mais au-delĂ de cette semaine, câĂ©tait lâinconnu totalâ!â»
poussĂ© Ă partir au cĆur de lâhiver, dans des rĂ©gions aussi inhospitaliĂšresâ: «âJe mâĂ©tais dit que quitte Ă partir dans un pays compliquĂ©, autant vivre ça tout de suite au degrĂ© maximumâ» rĂ©pond-il sans rien Ă©luder. «âAller quelque part quand il fait beau, câest facile, mais ça ne permet pas de se rendre compte de grand-chose. Le choix de partir en hiver, avec quelques heures Ă peine de faible luminositĂ© par jour, Ă©tait vraiment dĂ©libĂ©rĂ©âŠâ»
ne connaissais vraiment pas grand chose du pays. Je me suis donc dĂ©brouillĂ© tout seul pour tout et ce ne fut pas une mince affaire, avec les trois mots dâislandais que je baragouinais.
ImmĂ©diatement, la rĂ©alitĂ© de la situation a eu vite fait de se rappeler au bon souvenir de Thomas. Câest donc lâhiver et, Ă partir de Seyðisfjörður, le petit port de la cĂŽte est oĂč accostent les ferrys, cet hiver-lĂ ne fait pas de cadeauâ: «âLa mĂ©tĂ©o est le critĂšre absolu, elle dicte sa loi et sâimpose Ă toutâ» dit Thomas. «âEn mĂȘme temps, jâai immĂ©diatement compris quâelle façonne ce trait de caractĂšre spĂ©cifique des Islandaisâ: ils vivent au jour le jour et ne prĂ©voient que rarement Ă moyen ou long terme. MĂȘme prĂ©voir un week-end est impossible pour euxâ!
Ă Seyðisfjörður, je suis dans le bain dĂšs le premier jour et je rĂ©alise instantanĂ©ment ce quâest la spĂ©cificitĂ© dâun fjordâ: on arrive au niveau de la mer, mais Ă peine quelques kilomĂštres plus tard, on se retrouve sur des routes de montagne. Je nâavais pas trop potassĂ© tout ça, mais je me suis vite rendu compte que mĂȘme avec les quatre roues motrices et les pneus neige, ça allait tout de suite se compliquer considĂ©rablement⊠Je me suis souvenu de ce que mâavait dit un chauffeur de bus au mois de fĂ©vrier prĂ©cĂ©dant, ou plutĂŽt un pilote de bus tant conduire est compliquĂ© dans ces rĂ©gionsâ: il faut apprendre Ă conduire entre le haut des piquets qui balisent la route. Jâai vite compris lĂ encore, car tout est soudain devenu brutalement tout blanc, la route, les bascĂŽtĂ©s, le ciel⊠La seule solutionâ: se concentrer au maximum pour rester tant bien que mal entre les fameux piquets. JâĂ©tais sous pression, dâautant plus que juste avant mon dĂ©part, il y avait eu un glissement de terrain dans le village qui avait emportĂ© une trentaine de maisonsâ! Dans ma tĂȘte, je me disaisâ: il nây a pas 24 heures que tu es lĂ , le blizzard est arrivĂ©, il y a eu un gigantesque glissement de terrain⊠OK, câest LâIslande, ça va ĂȘtre du brutal. SincĂšrement, par moments, je me suis dit quâil allait falloir essayer urgemment de comprendre ce que survivre voulait direâŠâ»
Bien sĂ»r, en Ă©coutant Thomas raconter ce genre dâĂ©pisodes, on ne peut que se poser la question de savoir ce qui lâavait
Le trajet prĂ©vu emmenait lâaventurier Ă longer la cĂŽte Sud du pays en Ă©vitant lâimmense et impressionnant glacier du Vatnajökull qui barre tout le sud-est du pays, lâobjectif Ă©tant de passer le Nouvel An Ă Reyjavik, quâil atteindra aprĂšs trois semaines passĂ©es au pied du cĂ©lĂšbre volcan Eyjafjallajökull, dĂ©sormais rendormi depuis son Ă©ruption catastrophique de 2010.
PassĂ©s les dix jours dans la capitale islandaise, Thomas sâest consacrĂ© au woofing , cette pratique qui consiste Ă travailler bĂ©nĂ©volement dans une ferme en Ă©change du gite et du couvert. «âEt câest lĂ que jâai commencĂ© Ă me poser les vraies questions concernant les raisons profondes de ma prĂ©sence iciâ» se souvient-il. «âJe me rendais compte chaque jour de la chance que jâavaisâ: tu bosses, tu tournes la tĂȘte, tu as un glacier avec un volcan en-dessous, tu te retournes et Ă peine deux kilomĂštres plus loin, tu as lâocĂ©an Atlantiqueâ! Souvent, le soleil ne montant vraiment pas trĂšs haut et pas longtemps dans le ciel, les lumiĂšres en-dessous des nuages Ă©taient fantastiques⊠Mais, malgrĂ© tout, au bout de trois semaines, je me suis senti devenir un peu blasĂ© de lâendroit⊠Je me suis dit que je vivais ce que jâavais envie de vivre, certes, mais que mon voyage intĂ©rieur Ă©tait bien plus gigantesque encoreâŠ
Jâai donc repris la route, des heures et des heures Ă ne croiser aucune voiture, Covid oblige. Mais des haltes inoubliables face Ă des paysages incroyables et inĂ©dits. Trois mois aprĂšs mon arrivĂ©e sur la cĂŽte Est, jâavais effectuĂ© le tour complet de lâĂźle, quasiment 9â000 kmâŠâ»
Il me fallait cette violence-lĂ âŠ
Aujourdâhui, trois ans aprĂšs son incroyable pĂ©riple au cĆur de lâhiver islandais, Thomas Waeldele reconnait avoir eu la rĂ©ponse Ă beaucoup de questions qui le harcelaient. «âLâavantage de ce voyage a Ă©tĂ© de me retrouver en perte totale de repĂšres, car Ă mon arrivĂ©e en Islande, je
Ce voyage mâa fait comprendre une rĂ©alitĂ© profondeâ: je nâĂ©tais plus fait pour les grands systĂšmes, tels que ceux dans lesquels je baignais depuis si longtemps. Quelque chose dâautre a jouĂ© aussi dans le sens dâune prise de conscience totaleâ: il y a quand mĂȘme eu une paire de jours oĂč jâai rĂ©alisĂ© de prĂšs que ma vie pouvait sâarrĂȘter dans les minutes qui suivaient. Quand tu roules Ă peine Ă 10 km/h dans le blizzard, les feux plein pot, que tu passes le fameux piquet sans voir le suivant et que tu sais que dâun cĂŽtĂ© tu as la falaise et de lâautre le ravin, ça tâamĂšne Ă profondĂ©ment rĂ©flĂ©chir, tu relativises beaucoup de choses, crois-moiâŠ
Il me fallait cette violence-lĂ pour pouvoir vivre ce que jâavais au plus profond de moi. Et ce que jâavais, câĂ©tait la conviction que câest le local avant tout qui mâinspireâ: ça repose sur une seule envie, Ă partir de lĂ oĂč on habite, pouvoir construire son logement, se nourrir et pouvoir Ă©ventuellement trouver les plantes pour se soigner.
Fort de cette rĂ©alitĂ©, ma rĂ©alitĂ© en fait, de retour en France, jâai entamĂ© une formation de naturopathe, mais je lâai arrĂȘtĂ©e, car elle mâemmenait de nouveau dans le schĂ©ma que jâavais si mal vĂ©cu auparavant.
Alors, depuis la mi-mai dernier, jâai entamĂ© un tour de France dans un fourgon amĂ©nagĂ© pour rencontrer toutes sortes de gens dans des Ă©colieux, des communautĂ©s, pour voir comment ils vivent avec des formats de vie plus simples mais ensembleâ! La prochaine Ă©tape sera de mâinstaller quelque partâ: soit je crĂ©e mon lieu de vie, soit je mâintĂšgre dans un lieu de vie existant et qui me correspond. Je viens de terminer une formation de permaculture en Bretagne pour acquĂ©rir les bases de lâessentiel du cycle de la nature et travailler les ressources quâon a naturellement autour de soi. Et Ă partir du printemps prochain, je vais reprendre la route⊠Je vais ainsi continuer de cultiver ce que jâai appris de la phrase du grand aventurier Mike Hornâ: âPour commencer Ă marcher, il suffit dâavoir la rĂ©ponse Ă 5 % des questions quâon se pose. Le reste, les 95 %, ils viennent en marchantâŠâ Et puis, il y a cette conviction que jâai acquise grĂące Ă lâIslande et qui est dĂ©sormais si enracinĂ©e en moiâ: jâaurai ce quâil faut au moment oĂč il le faudraâŠâ» c
OK, câest LâIslande, ça va ĂȘtre du brutalâŠ

LâIslande Ă Strasbourg Six mois de dĂ©couvertes
Depuis novembre dernier (et jusquâau 1er juin prochain), lâIslande prĂ©sidera le ComitĂ© des ministres du Conseil de lâEurope Ă Strasbourg. Les 46 pays membres de lâInstitution alternent Ă cette fonction tous les six mois. Autant dire que, pour chacun dâentre eux, leur prĂ©sidence reprĂ©sente une rare et unique occasion de concentrer la lumiĂšre sur leur pays. LâIslande a dĂ©cidĂ© dâen profiter Ă plein pour quâon parle beaucoup dâelle dans notre capitale europĂ©enneâŠ
Le visage de lâIslande Ă Strasbourg est celui de deux femmes Ă la rĂ©elle complicitĂ© qui ont beaucoup ĆuvrĂ© de concert pour que les six mois de la prĂ©sidence islandaise du ComitĂ© des ministres du Conseil de lâEurope mette dans la lumiĂšre le pays cher Ă leur cĆur.
Ragnhildur ArnljĂłtsdĂłttir, Ambassadrice de lâIslande Ă Strasbourg
LâAmbassadrice de lâIslande Ă Strasbourg, Ragnhildur ArnljĂłtsdĂłttir, entourĂ©e par son staff opĂ©rationnel, nous accueille plus que chaleureusement Ă la ReprĂ©sentation Permanente du pays dans la capitale europĂ©enne.
«âCette prĂ©sidence reprĂ©sente pour mon pays une superbe opportunitĂ©. Nous sommes bien sĂ»r trĂšs fiers de prĂ©senter nos prioritĂ©s Ă cette occasionâ» rĂ©sume-t-elle spontanĂ©ment avant que nous lâinterrogions sur nos perceptions ramenĂ©es de notre sĂ©jour en Islande. En tout premier lieu, la tolĂ©rance dont on a le tĂ©moignage presque partout, mĂȘme dans les villages les plus reculĂ©s, avec la mise en valeur du fameux «âRainbow Flagâ» aux frontons des bĂątiments officielsâ: «âVotre remarque est trĂšs judicieuseâ» rĂ©plique tout de suite Ragnhildur ArnljĂłtsdĂłttir, «âlâĂ©galitĂ©
est au centre de notre vie sociale en Islande et les programmes officiels du pays en tiennent compte. Pour lâIslande, câest au cĆur de la notion de libertĂ©. Par exemple, la Gay Pride quâon organise chaque mois dâaoĂ»t dans le pays est devenue une immense fĂȘte populaire qui va bien au-delĂ de ses motivations initiales. En fait, lâIslande respecte au plus haut point le droit de chaque individu de vivre de la façon dont il a choisi de vivre, voilĂ toutâŠâ»
Presque dans la logique de ses derniers propos, Ragnhildur ArnljĂłtsdĂłttir dĂ©veloppera ensuite longuement tous les espoirs mis par son pays dans lâĂ©ducation des jeunes gĂ©nĂ©rations que lâIslande aimerait «âvoir Ă©rigĂ©e en modĂšle pour dâautres pays europĂ©ensâ».
Revenant Ă ce «âmoment important et exceptionnelâ» quâest la prĂ©sidence du ComitĂ© des ministres du Conseil de lâEurope par son pays, lâAmbassadrice tient à «âmettre en valeur le programme culturel que lâIslande propose aux Strasbourgeois pendant les six mois Ă venir soit une dizaine dâĂ©vĂ©nements dont certains assez exceptionnels tels, notamment, un concert avec une soirĂ©e Ă lâOpĂ©ra le 24 fĂ©vrier ou encore, La passion selon Saint-Jean Ă la CathĂ©drale de Strasbourg le 29 marsâŠâ»
Nous incitant longuement Ă commenter notre perception de son pays Ă lâissue
de notre pĂ©riple de septembre-octobre dernier, sâamusant de lâune ou lâautre de nos rĂ©flexions, lâAmbassadrice aura finalement cette conclusion spontanĂ©eâ: «âJâai vraiment hĂąte de vous lireâŠâ»
VoilĂ qui est fait, MadameâŠ
Solveen Dromson, Consule et amoureuse dingue de lâIslande
Blonde comme les blĂ©s et porteuse de ce prĂ©nom aux consonances nordiques, on pourrait jurer quâelle est nĂ©e au pays de la glace et du feu. Mais non, Solveen Dromson est bel et bien alsacienne. «âNotre famille a des origines suĂ©doises en fait, LâAgence immobiliĂšre Dromson, que je dirige depuis le dĂ©cĂšs de mon pĂšre, est en effet bien connue Ă Strasbourg. Câest une histoire dâamitiĂ© entre mon pĂšre et le Consul gĂ©nĂ©ral qui a conduit mon pĂšre Ă devenir Conseil honoraire de lâIslande Ă Strasbourg, aprĂšs que le pays ait dĂ©cidĂ© de ne plus maintenir son Consulat gĂ©nĂ©ral Ă Strasbourg, en 2008. Papa sâest alors consacrĂ© Ă plein Ă son rĂŽle, il a multipliĂ© les sĂ©jours en Islande et a nouĂ© ici un nombre impressionnant de partenariats culturels ou Ă©conomiques. Il sâest pris au jeu et sâest vraiment donnĂ© Ă fond, il aimait vraiment faire dĂ©couvrir
ce pays Ă un maximum de gens. Ă mon niveau, jâai toujours Ă©tĂ© assez fascinĂ©e par lâIslande oĂč je mâĂ©tais rendue une premiĂšre fois dĂšs le dĂ©but des annĂ©es 2010. Et mon pĂšre mâa incluse dans certains des projets quâil a menĂ©s, notamment lâinvitation de lâIslande au MarchĂ© de NoĂ«l de Strasbourg, en dĂ©cembre 2017. Ce pays est mystĂ©rieux, envoĂ»tant, et je suis trĂšs sensible Ă toutes les lĂ©gendes quâil a pu engendrer depuis ses trĂšs lointaines originesâ: les elfes, les volcans, les conditions de vie qui ont longtemps Ă©tĂ© dâune extrĂȘme rudesseâŠâ»

Ă la disparition de son pĂšre, en 2018, Solveen Dromson se voit ĂȘtre choisie par lâIslande pour devenir Ă son tour Consule Ă Strasbourg. «âIl y avait plusieurs candidats, comme toujours en pareil cas, et le choix qui sâest portĂ© sur moi mâa bien sĂ»r beaucoup Ă©mue. Jâai Ă©tĂ© nommĂ©e en novembre 2019. Il y a bien sĂ»r eu la pĂ©riode du Covid oĂč tout a Ă©tĂ© fermĂ© et câest durant cette pĂ©riode que le ministĂšre des Affaires Ă©trangĂšres mâa avertie quâune ReprĂ©sentation permanente du pays allait sâouvrir Ă Strasbourg. Pour moi, câĂ©tait inespĂ©rĂ©, jâallais avoir une Ă©quipe avec qui travailler. LâintĂ©gration Ă cette Ă©quipe a Ă©tĂ© immĂ©diate et nous avons beaucoup travaillĂ© depuis pour ĂȘtre Ă la hauteur de ces six mois oĂč lâIslande prĂ©side le ComitĂ© des ministres du Conseil de lâEurope. Avec cette Ă©quipe, nous avons montĂ©


le programme culturel de ces six mois et jâai fini alors par me rappeler soudainement des fameuses âDestinations de lĂ©gendeâ que la rĂ©daction de Or Norme avait imaginĂ©es il y a quelques annĂ©es. Jâavais adorĂ© cette idĂ©e dâaller trĂšs loin pour rencontrer les Alsaciens qui vivent et travaillent Ă lâĂ©tranger. LâidĂ©e de recrĂ©er cette thĂ©matique avec lâIslande est nĂ©e de lĂ et je suis vraiment folle de joie Ă lâidĂ©e de lire dans Or Norme le rĂ©cit de votre voyage et de vos rencontres lĂ -bas⊠La ReprĂ©sentante permanente, Ragnhildur ArnljĂłtsdĂłttir, a tout de suite adhĂ©rĂ© Ă cette idĂ©e elle aussi et elle partage le plaisir quâelle aura Ă voir son pays ainsi exposĂ© dans vos colonnesâŠâ» c

La Playlist de Emmanuel Didierjean LâIslande, Terre de feu musicale
LâIslande fait partie des pays oĂč la proportion de musiciens par habitant est parmi les plus importantes au monde. Le climat et le caractĂšre des Islandais sâaccommodent en harmonie avec les musiques. Vraiment plurielles.
1. BJĂRK
Artiste complĂšte, Björk est aussi connue pour son tempĂ©rament que pour son travail. Parmi ses disques les plus significatifs, MedĂșlla, uniquement composĂ© et travaillĂ© Ă la voix, en compagnie de Robert Wyatt (Soft Machine), Mike Patton (Faith No More) ou encore le beatboxer amĂ©ricain Rahzel.

2.SKĂLMĂLD
Le viking metal est un genre musical Ă part, trĂšs prĂ©sent dans le nord de lâEurope. Et SkĂĄlmöld en est un digne reprĂ©sentant. Leur musiqueâ? Un mĂ©lange entre la puissance des guitares et la finesse de la musique folk. Le prĂ©sident islandais Guðni Th. JĂłhannesson est un fan, qui a mĂȘme Ă©crit quelques lignes dans la biographie du groupe parue en 2021.
3.ASGĂIR
Cet auteur-compositeur mĂ©lange les musiques folk, rock et Ă©lectro pour un rĂ©sultat lĂ©ger comme une bulle, minĂ©ral comme lâeau des volcans. Une musique portĂ©e par une voix aigĂŒe rare chez un chanteur. Son dernier album, Time on my hands, est sorti cette annĂ©e.
4. JĂNIUS MEYVANT
Un crooner soul au look de vikingâ? Ăa existe. De son vrai nom Unnar GĂsli Sigurmundsson, il prouve que si lâhabit ne fait pas le moine, le talent fait tout. Son album Guru, publiĂ© en 2022, est un bijou de douceur.
5. JĂNSI
Que ce soit avec son groupe Sigur Ros, avec son compagnon dans le duo JĂłnsi & Alex ou en solo, JĂłn ĂĂłr Birgisson promĂšne sa voix de fausset sur des chansons dont la langueur et le spleen font le charme absolu et discret.
6. SĂLSTAFIR

Entre la furie du metal et le mysticisme nordique, SĂłlstafir a dĂ©cidĂ© de ne pas choisir. Le groupe propose depuis plus de 25 ans une musique mystĂ©rieuse. Leur album Ătta (2014) est inspirĂ© par ce moment, entre 3 et 6h du matin, quand la nuit cĂšde face au jour naissant.
7. EMILIANA TORRINI
Islandaise dâorigine napolitaine, Emilana Torrini câest la rencontre entre le Stromboli et le Sneffels, les deux volcans de dĂ©part et dâarrivĂ©e dâun certain Voyage au centre de la Terre. Douceur pop et incandescence rock.
8. HATARI
ReprĂ©sentant de lâIslande Ă lâEurovision 2019, oĂč ils ont atteint la 10e place, un record, ce trio bien bourrin propose un mĂ©lange de musique Ă©lectronique et de musique industrielle. Leur nom signifie Haineux.
9. HILDUR GUĂNADĂTTIR
Le film Joker, inspirĂ© du cĂ©lĂšbre mĂ©chant de lâunivers Batman a obtenu 2 Oscar. Un pour son acteur, Joaquin Phoenix. Lâautre pour Hildur GuðnadĂłttir, violoncelliste et auteure de cette bande originale. On lui doit aussi les trames de la sĂ©rie Chernobyl ou du film Sicario avec JĂłhann JĂłhannsson.
10. JĂHANN JĂHANNSSON
DĂ©cĂ©dĂ© en 2018, il Ă©tait lâun des plus prolifiques compositeurs de musique contemporaine islandaise. Compositeur aussi pour la tĂ©lĂ© et le cinĂ©ma, il laisse une Ćuvre riche entre nĂ©o-classique, rock et pop.







Apéro mortel
La mort se dépoussiÚre
Lâassociation strasbourgeoise Maintenant, lâaprĂšs organise des ApĂ©ros mortels pour discuter, sans tabou, de toutes les questions autour de la mort et des obsĂšques. DĂšs lâan prochain, elle proposera aussi des services de pompes funĂšbres, via une coopĂ©rative funĂ©raire en cours de crĂ©ation.
Les fausses araignĂ©es et les poupĂ©es sanguinolentes qui dĂ©corent le CafĂ© Grognon â saison dâHalloween oblige â ne troublent pas la dizaine de personnes rassemblĂ©es dans une piĂšce privatisĂ©e. «âOn se retrouve ce soir pour discuter du mĂ©tier de croque-mort. Toutes les questions sont bienvenues et nous y rĂ©pondrons autant que possibleâ», annonce Valentine Ruff. Membre fondatrice de lâassociation Maintenant, lâaprĂšs, elle anime cet ApĂ©ro mortel, organisĂ© dans le cadre des Rendez-vous mortels de la semaine de la Toussaint.
à ses cÎtés, Caroline Laemmel, croquemort de son état, débute la conversation.

«âJusquâĂ la fin du monopole des pompes funĂšbres en 1993, on parlait de ârĂ©gleursâ, puis sont apparus les assistants funĂ©raires. Aujourdâhui, lâintitulĂ© exact de notre mĂ©tier est conseillĂ© funĂ©raireâ: notre travail consiste Ă Ă©couter les familles afin de les accompagner au mieux dans lâorganisation des obsĂšques de leur proche, expose-t-elle dâune voix posĂ©e. De la gestion administrative au dĂ©roulement de la cĂ©rĂ©monie, nous sommes un peu des couteaux suisses.â»
Il nâen fallait pas davantage pour briser la glace. Autour des petites tables, quelques femmes et un peu moins dâhommes dâĂąges divers sont venus, qui
MĂ©lissa Bissessur, prĂ©sidente de lâassociation.

par curiositĂ©, qui en Ă©cho Ă une expĂ©rience personnelle, qui encore pour avancer sur un projet de reconversion professionnelle⊠«âEst-ce que les pompes funĂšbres sont les premiĂšres personnes Ă appeler en cas de dĂ©cĂšs Ă la maisonâ?â» «âPeut-on trouver des pierres tombales dâoccasionâ?â» «âNous avons dispersĂ© les cendres de mon pĂšre dans les vignes, mais en avait-on le droitâ?â»
OBSĂQUES ĂTHIQUES
MĂȘme quand les questions pourraient paraĂźtre saugrenues ou que les tĂ©moignages convoquent des souvenirs douloureux, les Ă©changes ne tournent jamais au vinaigre. Câest prĂ©cisĂ©ment pour offrir ce type dâespaces de discussion que lâassociation Maintenant, lâaprĂšs a Ă©tĂ© créée en 2019. «âNotre objectif, câest Ă la fois de dĂ©dramatiser le sujet de la mort et de rĂ©flĂ©chir au sens que lâon donne aux rites funĂ©rairesâ», prĂ©cise MĂ©lissa Bissessur, la prĂ©sidente de lâassociation.
Il faut bien reconnaĂźtre, en effet, que la mort a dĂ©sertĂ© nos quotidiens. Elle survient le plus souvent Ă lâhĂŽpitalâ; le deuil est devenu un cheminement essentiellement intime et ne se porte plus guĂšre en public. Pour autant, les questions nâont pas disparu, bien au contraire. Lâaffaiblissement des croyances et des rituels religieux ouvre le champ des possiblesâ: que faut-il expliquer aux enfantsâ? Ă qui peut-on confier ses derniĂšres volontĂ©sâ? Peut-on choisir un texte pour ses propres obsĂšquesâ? Autant de thĂšmes abordĂ©s au cours des ApĂ©ros mortels organisĂ©s rĂ©guliĂšrement. Mais lâassociation veut aller plus loin. «âNous avons Ă cĆur de faire bouger les lignes pour que les cĂ©rĂ©monies et les choix funĂ©raires puissent correspondre aux valeurs des personnes dĂ©cĂ©dĂ©es et de leur entourageâ», rĂ©sume MĂ©lissa Bissessur. ConcrĂštement, les bĂ©nĂ©voles de Maintenant, lâaprĂšs militent pour que de nouvelles solutions soient autorisĂ©es par la loi, notamment lâhumusation des corps. Une coopĂ©rative funĂ©raire est Ă©galement en cours de crĂ©ation et dĂ©marrera ses activitĂ©s Ă Strasbourg dĂ©but 2023. «âGrĂące Ă des partenariats avec des artisans et des artistes locaux, nous pourrons proposer des obsĂšques diffĂ©rentes, plus Ă©thiquesâ», promet Valentine Ruff. Elle-mĂȘme sâest formĂ©e au mĂ©tier de conseiller funĂ©raire et elle officiera au sein de la coopĂ©rative. De quoi rendre la mort un peu plus vivante. S
Plus dâinfosâ: www.maintenant-lapres.fr
«âNotre objectif, câest Ă la fois de dĂ©dramatiser le sujet de la mort et de rĂ©flĂ©chir au sens que lâon donne aux rites funĂ©raires.â»

Le digital nomadism
Nouvel Eldorado des gĂ©nĂ©rations YâââZ
Plus encore depuis la crise sanitaire, le digital nomadism sĂ©duit de plus en plus dâindĂ©pendants ou de salariĂ©s qui nâont besoin que dâun ordi et dâune connexion Wifi pour travailler, sans contrainte gĂ©ographique. Rencontre avec trois Strasbourgeoises qui ont sautĂ© le pas.
Troquer son fond dâĂ©cran pour une vraie vue ocĂ©an. Bosser pour soi ou profiter de la poussĂ©e des remote jobs, ces CDI 100% en tĂ©lĂ©travail, pour travailler oĂč le vent nous porte. Le digital nomadism a de quoi sĂ©duire les flippĂ©s du mĂ©tro-boulot-dodo et du traintrain quotidien. En 2020, ils Ă©taient 6,3 millions de travailleurs dans le monde Ă avoir adoptĂ© ce mode de vie. Quelques confinements plus tard, on en comptait dĂ©jĂ 10,2 millions, selon plusieurs Ă©tudes statistiques rĂ©cemment compilĂ©es par Passport photo online. 59% dâentre eux seraient des hommes, avec un temps de travail hebdomadaire de 46h et un revenu mensuel moyen de 4â475âŹ.
Ătre digital nomad, câest pouvoir bosser partout dans le monde â en prenant en compte le dĂ©calage horaire â avec un ordinateur et une bonne connexion internet. Sans surprise, ce mode de vie attire surtout les indĂ©pendants dans le numĂ©rique (rĂ©dacteur, monteur, community manager, dĂ©veloppeur, etc.), de la gĂ©nĂ©ration des Millenials (nĂ©s aprĂšs 1980) pour 44% dâentre eux, suivis de prĂšs par la gĂ©nĂ©ration Z, nĂ©e aprĂšs 1995.
Mais concrĂštement, ça fait quoi de larguer les amarres, sans domicile fixeâ? TĂ©moignages de trois Strasbourgeoises. S
Krystel, 36 ans, community manager établie à la Réunion
Une révélation
Krystel a dĂ©barquĂ© dans la capitale alsacienne Ă contrecĆur. «âJe rĂȘvais plutĂŽt de sud ou dâĂ©tranger, sourit-elle. Mais jâavais un prĂȘt Ă©tudiant Ă rembourserâŠâ» Pendant sept ans, elle fait ses armes chez Novembre, une agence de pub, avant de se lancer en solo. «âJe nâai jamais Ă©tĂ© sereine en tant que salariĂ©e, je sentais que je pouvais davantage mâĂ©panouir. Je me suis mise Ă mon compte, je voulais ne dĂ©pendre de personne et voyager comme je le voulais.â» Son premier voyage de deux mois en 2015 en AmĂ©rique du Sud marque le dĂ©but de sa nouvelle vieâ: «âCâĂ©tait comme une rĂ©vĂ©lation. Jâai eu lâidĂ©e de monter une boutique en ligne pour valoriser lâartisanat local, de lancer mon blog. LâidĂ©e Ă©tait de
combiner mon expĂ©rience de voyage avec un business.â» Elle fait un tour du monde en solo en 2018 et rentre avec 18 kilos de stock sur le dos. En six mois, tout est Ă©coulĂ©. «âCâĂ©tait une annĂ©e exceptionnelle, avec 30â000 visites par mois sur mon blog, des partenariats, des chroniques sur RBSâŠ. »

unepartdumonde.fr
Instagramâ: @unepartdumonde_
Mélanie, 28 ans, Entrepreneuse
Ă son retour Ă Strasbourg, elle sent dĂ©jĂ lâenvie de repartir. «âEn 2020, je voulais faire le tour de lâAfrique et renflouer ma boutique. Et puis le COVID est arrivĂ©.â» Elle ne restera quâune semaine au SĂ©nĂ©gal avant de revenir en urgence. DĂ©prime totale. En octobre, elle dĂ©cide de partir sur un coup de tĂȘte Ă la RĂ©union. «âJâavais constituĂ© mon rĂ©seau professionnel, mes clients sont essentiellement Strasbourgeois. Ils sont super open et mâapportent une vraie force pour continuer mes voyages. Ils me suivent, ça les fait rĂȘver quelque part. Quand je vais dans des zones oĂč jâai peu dâInternet comme rĂ©cemment Ă Madagascar, je les prĂ©viens. Tout est question dâorganisation.â»
Hyperactive, Krystel ne compte pas ses heures. Ses journĂ©es dĂ©marrent par une heure de surf, elle fait au moins une randonnĂ©e en semaine et bosse le reste du temps. Sur lâĂźle, elle se sent ancrĂ©e, Ă sa place. «âPour la premiĂšre fois de ma vie, jâai moins la bougeotte. Jâai une rĂ©flexion plus poussĂ©e sur lâavion aussiâ: si je pars, câest minimum un mois.â» Le secret pour rĂ©ussir le travail Ă distanceâ: «âĂtre responsable de ses heures et de ce que lâon produit. Le seul frein, câest la peur...â» S
«
AprĂšs le COVID, comme beaucoup, on a eu envie de voyager, avec mon compagnon, Samuel. On a lĂąchĂ© notre appart, achetĂ© un camping-car quâon a baptisĂ© LĂ©on, et sillonnĂ© la France pendant un an. Lui a pris un congĂ© sabbatique. Moi, comme je venais de monter ma boĂźte, jâai continuĂ© Ă travailler. Jâai pris un deuxiĂšme tĂ©lĂ©phone, avec 200 Go pour le partage de connexion. Mon copain a pris un convertisseur pour pouvoir jouer Ă la console la nuitâ! Je me versais 2â500 euros par mois pour nous deux, comme lui nâavait pas de salaire. Vivre dans un camping-car, ça coĂ»te plus cher, il fallait rembourser notre crĂ©dit, changer la bombonne Ă gaz tous les cinq jours, prĂ©voir le budget visites, stationnement, courses⊠Cela suffisait pour nous deux sans ĂȘtre trĂšs confortableâ! On restait trois semaines/un mois ou quelques jours au mĂȘme endroit. Moi je bossais la journĂ©e, mes clients Ă©taient super comprĂ©hensifs.


Jâai travaillĂ© pendant toute lâannĂ©e. Une sociĂ©tĂ© sur le net, câest plus facile Ă gĂ©rer Ă distance. Mais parfois, on a dĂ» se dĂ©placer par manque de rĂ©seaux. Au bout dâun moment, jâai ressenti le besoin de rentrer en Alsace, de retrouver ma famille. Travailler dans un camping-car, ce nâest pas Ă©vident, tu as lâimpression dâĂȘtre en vacancesâ! Jâai besoin de stabilitĂ©, dâun endroit dĂ©diĂ© pour travailler. Samuel, lui rĂȘve de repartir. Peut-ĂȘtre plus tardâŠâ» S
www.laplumerose.fr www.writeandgoldagency.com
Krystel allie voyages et boulot depuis 2017.MĂ©lanie, Samuel⊠Et LĂ©onâ!
«âJâai finalement eu besoin de retrouver une stabilitĂ©â»
Cécile, 25 ans, salariée dans une agence de marketing digital irlandaise

AprĂšs le COVID, les embauches Ă©taient plus compliquĂ©es, jâai dĂ©cidĂ© de passer un deuxiĂšme master en Angleterre. Je suis restĂ©e un an lĂ -bas. Au dĂ©but, jâai eu le mal du pays, et puis jâai dĂ©cidĂ© de sortir de ma zone de confort, de mâintĂ©grer. En fĂ©vrier, jâai dĂ©crochĂ© un poste dans une agence de marketing digital irlandaise. Tous les 300 salariĂ©s sont en total remote, CEO inclus. Je suis revenue en Alsace en avril pour revoir ma famille â les dĂ©placements Ă©taient compliquĂ©s pendant le COVID. Mais dĂ©but 2023, jâai dĂ©cidĂ© de faire un mois, un pays, en Europe ou en Afrique du Nord, en sous-location ou en coliving. Je reviens de trois semaines au Canada, et travailler avec le dĂ©calage horaire est plus compliquĂ©. Mon entreprise nous laisse organiser nos journĂ©es, le deal dans le tĂ©lĂ©travail, câest de rester joignable et dâĂȘtre organisĂ©. Sans un minimum de To do listâ, tu es facilement noyĂ©â!
Je suis en portage salarial, jâai juste pour obligation de revenir tous les trois mois en France. Si tu veux vivre Ă lâĂ©tranger ou dans une autre ville française, il faut selon moi aller Ă la rencontre des gens, sortir de son cocon. Câest comme cela que je vis les choses. Jâai construit beaucoup de bouts de vie un peu partout, on y laisse toujours un morceau de nous. Je ne sais pas si je pourrai vraiment revenir Ă Strasbourg, jâai toujours envie de repartir Ă lâaventure.â» S.
Instagramâ: @cecilesfr
«âJâai toujours envie de repartir Ă lâaventureâ»

La Caténaire
Plus quâun Tiers lieu, un Lieu pour des tiers
Virginia Woolf voulait «âune chambre Ă soiâ», la foisonnante tribu de «âLa CatĂ©naireâ» voulait «âune piĂšce videâ» dans ses locaux, un de ces espaces dont on rĂȘve tous, un lieu laissĂ© vacant pour y accueillir lâinattendu. Et, en fait de «âpiĂšce videâ», ce sont trois salles parfaitement Ă©quipĂ©es qui ont Ă©tĂ© dĂ©gagĂ©es au rez-de-chaussĂ©e du 17 rue dâObernai Ă Strasbourg.
IndĂ©pendantes les unes des autres et toutes ouvertes sur une de ces cours intĂ©rieures dont le quartier Gare a le secret, elles peuvent ĂȘtre louĂ©es «âpour des cours de yoga, des ateliers, des journĂ©es de formation professionnelle, des rĂ©unions, des projections, des expositions, des confĂ©rences de presse et pourquoi pas des rĂ©sidences dâartistesâ».
Un tiers lieu en quelque sorteâ?
PlutĂŽt «âun lieu pour des tiersâ», nuance Thierry Danet, qui co-dirige Artefact, la structure aux manettes de La Laiterie et du festival des cultures numĂ©riques LâOsosphĂšre.
Câest autour de ce festival passionnĂ©ment connectĂ© Ă lâespace urbain que se sont rencontrĂ©s les occupants du lieu en 2009â: Quatre 4.0 â LâOsosphĂšre bien sĂ»r, mais aussi lâAgence Candide, CNb.archi et Radio en Construction (REC) bientĂŽt rejoints par Creative Vintage créé en 2015 par une ancienne collaboratrice de lâagence Candide.
Une tribu au plus beau sens du terme, des partenaires dotĂ©s de leur propre parcours, mais habituĂ©s «âĂ faire des choses ensembleâ» et Ă les faire «âen partageant les mĂȘmes points de vue sur ce quâil y a Ă faire et la maniĂšre de le faireâ».
RassemblĂ©s depuis mai dernier dans lâimmeuble de la rue dâObernai, leur but nâĂ©tait pas dâamĂ©nager «âjuste de beaux bureauxâ», mais de «âcrĂ©er
Partagez une cuisine de cĆur et de saison. Retrouvez-vous autour de dĂ©jeuners, dâapĂ©ros ou de dĂźners.

un lieuâ» qui ait du sens dans «âune ville quâils aimentâ» au sein dâun passionnant quartier Gare qui est «âtout sauf un quartier conceptâ».
«âOn veut contribuer Ă sa dynamique et le faire vivre autrement que par la spĂ©culation immobiliĂšreâ», confirme la joyeuse Ă©quipe.
DES SALLES OUVERTES Ă TOUS LES USAGES
Le nom de «âCatĂ©naireâ» est lui-mĂȘme porteur de sens et renvoie Ă lâhistoire de ce quartier Gare quâils affectionnent.
Bien identifiable par la fresque de basketteur qui orne sa façade de briques, lâimmeuble a abritĂ© les bureaux et entrepĂŽts de lâentreprise Ihm und Weber au dĂ©but du XXe siĂšcle avant dâĂȘtre cĂ©dĂ© en 1924 Ă la SociĂ©tĂ© des Ă©quipements des voies ferrĂ©es pour y installer des ateliers de petite mĂ©canique et Ă©lectricitĂ©. Des rails anciens subsistent sous le dallage de la cour et
renvoient Ă ce passĂ© industriel, lâidĂ©e de «âcatĂ©naireâ» est nĂ©e de ces vestiges et elle a fait mouche. «âQuoi de mieux que de se placer sous le patronage de ces structures porteuses de lignes dâĂ©nergie !â»
Quant au basketteur, pas question de sâen sĂ©parer. Il «âsigneâ» la façade et rappelle quâau dĂ©but des annĂ©es 2000, lâimmeuble abritait un magasin de sport.
RĂ©partis sur trois niveaux, les membres de «âLa CatĂ©naireâ» occupent de beaux espaces de bureaux et soulignent quâil reste de la place Ă lâĂ©tage de Creative Vintage.
Les «âpiĂšces videsâ» du rez-de-chaussĂ©e sont quant Ă elles ouvertes Ă la location depuis dĂ©but dĂ©cembre. Les rĂ©servations ont dĂ©butĂ©, les «âlignes dâĂ©nergieâ» circulent à «âLa CatĂ©naireâ».
Ouverte Ă tous et Ă tous les usages, elle se veut «âun lieu pour la villeâ» animĂ© par une Ă©quipe fĂ©dĂ©rĂ©e autour de trois motsâ: «âenthousiasme, complĂ©mentaritĂ©, synergieâ». S
LâĂ©quipe de La CatĂ©naire au grand complet. De gauche Ă droiteâ: Maxime Gil (Radio en construction), Isabelle Poutard (Agence Candide), Thierry Danet (LâOsosphĂšre), Laure Patry (Agence Candide), Guillaume Christmann, Xavier Nachbrand (CNb.archi), Jeff Loth (Creative Vintage).
La CatĂ©naireâ Contactâ: info@ktnr.eu Instaâ: @lacatenaire


Le bistrot «âplusâ» Le Frech DĂ cks
Bistrot, cafĂ©, salle de spectacles⊠Le Frech DĂ cks, câest le cabinet de curiositĂ©s de Strasbourg. Un lieu de vie, dâĂ©changes, dâĂ©veil des papilles, dâaccĂšs Ă la culture populaire ou popularisant la culture, câest selon.

Mi-novembre, le Frech DĂ cks fĂȘtait ses 100 jours. PremiĂšre belle victoire pour ce «âgamin effronté⻠en alsacien, qui a connu un sacrĂ© retard au dĂ©marrage en raison des confinements successifs. Pas de quoi dĂ©courager ses darons, Christian Ruppert et Franck Mothes, qui se sont rencontrĂ©s sur cette idĂ©e inĂ©dite Ă Strasbourg dâallier spectacle vivant et bistronomie. NichĂ© rue Bucher, la petite ruelle piĂ©tonne attenante Ă lâavenue de la Marseillaise, le Frech DĂ cks, câest un bistrot, un cafĂ©, une salle de spectacles, «âun lieu de joie, de papilles et de dĂ©couvertes, oĂč lâon vient pour sâamuserâ», confie Franck Mothes, en charge de toute la partie restauration. «âLors des dĂźners-spectacles ou des soirĂ©es musicales, la salle se transforme en stammtisch gĂ©ant. On permet aussi aux acteurs culturels locaux de se faire connaĂźtre. Câest un peu une thĂ©rapie de groupeâ! ».
«âCâEST UN CABINET DE CURIOSITĂS QUI INVITE Ă SORTIR DE SA ZONE DE CONFORTâ»
Jazz, pop, blues, blind test, karaokĂ©, théùtre, musique lyrique⊠La programmation construite par Christian, le crĂ©ateur de lâagence de communication Graffiti, se veut Ă©clectique. «âLâidĂ©e, câest de permettre de sâouvrir Ă des choses que lâon nâirait pas voir forcĂ©ment, souligne Franck. Le Frech DĂ cks, câest un cabinet de curiositĂ©s invitant Ă sortir de sa zone de confort.â»
CĂŽtĂ© planning, le gamin effrontĂ© propose entre jeudi et samedi deux soirĂ©es musicales oĂč lâon dĂźne Ă la carte. Son concept repose aussi sur un
Marie Bouttier, Sans titre , vers 1899, 32 x 25 cm, mine de plomb, collection privée, courtoisie galerie J.-P. Ritsch-Fisch


dĂźner-spectacle par semaine au tarif unique (entre 49⏠et 55âŹ), incluant entrĂ©e, plat, dessert, et show. «âLes Strasbourgeois ne sont pas encore habituĂ©s Ă ce concept de menu qui existe dĂ©jĂ Ă Paris ou Lyon, certains aimeraient juste prendre une biĂšre et regarder le spectacle, mais nous voulons pouvoir continuer Ă payer les artistes. Câest difficile Ă dĂ©fendre, mais câest notre parti-pris, et le seul moyen de continuer avec une jauge de 70 personnes.â» Et Ă bien y rĂ©flĂ©chir, dans les restos strasbourgeois, on a vite fait dâatteindre les 49⏠par personne, et sans spectacle⊠«âCe qui nous surprend agrĂ©ablement, câest lâambiance de ces soirĂ©es, rapporte Franck. Notre clientĂšle a plutĂŽt trente-quarante ans et plus, ils sont plus enclins Ă participer que les jeunes, et davantage volontaires Ă sâamuserâ!â»




Pour 2023, les deux acolytes envisagent de proposer des soirĂ©es «âimprosplanchettesâ» les mardis un peu plus calmes, et dâaccorder davantage de place au théùtre dans leur programmation. Le Frech DĂ cks est aussi ouvert Ă lâheure du dĂ©jeuner, avec un plat du jour Ă 13⏠et une ardoise changeant rĂ©guliĂšrement, selon lâarrivage du marchĂ©.
Un bistrot canaille, culturel et dĂ©calĂ©, en rĂ©sumĂ©, oĂč il fait bon vivre, que ce soit sur sa terrasse dâĂ©tĂ© avec vue sur lâun des plus jolis ponts de Strasbourg. Ou en intĂ©rieur lâhiver, dans un cadre feutrĂ© propice Ă refaire le monde, Ă rire, vibrer, et dĂ©guster. S


Frech DĂ cks â 4 rue Pierre-Bucher, Strasbourg Toute la programmation sur lefrechdacks.com RĂ©servation recommandĂ©e.












«âOn permet aussi aux acteurs culturels locaux de se faire connaĂźtre. Câest un peu une thĂ©rapie de groupeâ!â»
La Halle gourmande
réussit son pari
possibilitĂ© de dĂ©guster sur place. On y fait ses courses â les plus pressĂ©s peuvent mĂȘme utiliser le click & collect â on peut y dĂ©jeuner ou y prendre un snack, sur le Food court central orchestrĂ© par le Théùtre du vin. Câest dâailleurs le seul point Ă amĂ©liorer, pour fluidifier lâattente des gourmands et faire comprendre aux clients quâils peuvent choisir leur plat ou encas sur les stands, avant de sâattabler pour commander un bon verre de vin, un soft ou un cafĂ©. Le groupe GĂ©raud, Ă lâinitiative de la Halle et reprĂ©sentĂ© par le Strasbourgeois Vincent LĂ©opold, a ainsi embauchĂ© une personne dĂ©diĂ©e pour guider les clients un peu perdus.
InaugurĂ©e mi-octobre au MarchĂ© gare, la Halle gourmande, rĂ©unissant 14 commerçants de bouche ultra select autour dâun Food court dĂ©diĂ© Ă la dĂ©gustation, dĂ©montre, sâil Ă©tait besoin, que les Strasbourgeois attendaient ce concept depuis longtemps.

On se doit de lâavouer, on faisait partie des sceptiquesâ: qui pourrait avoir envie dâaller faire ses courses au MarchĂ© gare, aussi lĂ©chĂ© soit le conceptâ? Eh bien, un monde de dingueâ! Notamment le week-end.
Il faut dire que le concept est sĂ©duisant, pile dans lâair du tempsâ: une halle, entiĂšrement dĂ©diĂ©e aux bons produits, dans un cadre soignĂ©, avec en plus la
Poissons, fruits de mer, viandes, fromages, fruits et lĂ©gumes, fruits secs, produits italiens, pains et pĂątisseries, condiments, traiteurs⊠La Halle concentre tout ce dont on a besoin, sans â trop âtabasser niveau tarifs. Chaque semaine, les commerçants proposent aussi une offre promotionnelle.
Ce quâon aimeâ? Pouvoir y accĂ©der facilement Ă vĂ©lo ou en voiture, au choix. On attend aussi la navette bus proposĂ©e lors du dernier conseil municipal pour en faciliter lâaccĂšs. Ă en croire ce dĂ©marrage des plus prometteurs, «âles commerçants ont a minima atteint leurs objectifs de chiffre dâaffairesâ», confie Vincent LĂ©opold, on se prend Ă espĂ©rer une petite sĆur de la halle gourmande en plein cĆur de Strasbourg⊠Et pourquoi pas dans lâancien immeuble du Printempsâ? S
41 rue du MarchĂ© Gare â Strasbourg. Du mardi au dimanche. Halledumarchegare.fr

Amenez vos vinyles...
...et Ă©coutez lâamer au LAĂB
Il a dĂ©barquĂ© Ă Strasbourg le 18 juin, 2021. Non loin des bords de lâIll, prĂšs de la caserne de secours et incendies, de grandes tablĂ©es sâalignent jusquâĂ une porte en bois massif. Imposante, rouge. LâentrĂ©e franchie, nous voici mis dans le bainâ: des vinyles parent un mur et annoncent la couleur. Attention Ă la synesthĂ©sie, et bienvenue au «âLAĂBâ», bar musicalâ!



L a chaleur du bois enveloppe les lieux et se marie Ă la dĂ©coration haute en couleur, souvent «âfaite maisonâ». NĂ©on, planche de skate, sombrero et instruments⊠Lâambiance est rĂ©solument accueillante. Anthony Rousseau et Emmanuelle «âManueâ» Lesquerade ont travaillĂ© des annĂ©es ensemble dans la restauration, jusquâen 2019, avant de monter ce projet. Ils possĂšdent, chose rare et notable, chacun 50% des parts de lâaffaire, et Ă les entendre, il est aisĂ© de comprendre pour quelles raisons. Ils travaillent de concert, et se complĂštent. Leur terrain dâentente â outre le barâ? La musique. Manue est guitariste et Anthony, grand amateur de notes.
Plus de 300 vinyles sont contenus dans la bibliothĂšque dâAnthony et du LAĂB. «âVous pouvez amener le vĂŽtreâ», ou faire votre choix parmi ses rĂ©fĂ©rences. Ici, pas dâACDC, pas de Johnny. «âEt nous avons un droit de vĂ©toâ!â», plaisantent (mais pas trop) les propriĂ©taires du bar. Le client trouvera une sĂ©lection faite de
«âbons groupesâ», parfois plus confidentiels, avec une grande part de «ârock indĂ©, de post wave ou de punk rockâ».
Toutefois, lorsque le vinyle est choisi, câest dans son intĂ©gralitĂ©, et «âdans lâordreâ», insiste Anthony, quâil faudra lâĂ©couter. Pourquoiâ? Pour le simple fait que la plupart de ces petits bijoux ont une construction rĂ©flĂ©chie et dĂ©finie, «âchose qui a disparu avec le CDâ». Vous lâaurez saisi, nous sommes chez des passionnĂ©s. Or, qui dit passion, dit partage.
LIVE, QUIZZ ET RENCONTRESâ: LA MUSIQUE SOUS TOUTES SES FORMES
Ce partage, les deux comparses le font vivre sous forme de concerts, de scĂšnes ouvertes et autres Jam, rĂ©guliers. La programmation varie. Les thĂ©matiques Ă©galement. Et ils mettent un point dâhonneur Ă rĂ©munĂ©rer autant que faire se peut les artistes qui se produisent en



«âIci, le cadre, et le service, signent lâidentitĂ© du bar.
âOn ne peut pas plaire Ă tout le mondeâ, dit lâadage, et ce nâest pas le but de lâĂ©tablissement.â»
concert, notamment grĂące Ă une aide (le GIP cafĂ©-culture, dont les fonds sont issus du MinistĂšre de la Culture et des collectivitĂ©s territoriales â ndlr), et sur fonds propres, Ă proposer lorsque câest possible un ingĂ© son, et Ă accueillir les groupes avec un minimum de matĂ©riel. Sur sept mois, Ă raison de deux ou trois par mois, ce sont 29 groupes rĂ©munĂ©rĂ©s qui se sont produits au LAĂB. Et ce, sans compter les Jam et autres scĂšnes.
ET AVEC CETTE BONNE MUSIQUE, ON CONSOMME QUOIâ?
Une fois par mois, des quizz musicaux sont organisĂ©s avec un groupe live. «âNous rĂ©flĂ©chissons aussi Ă un blind test avec les vinyles, un karaokĂ© avec un groupe. Mais aussi de nouvelles animations en plus de nos rencontres autour des musiques brĂ©silienne (Roda de Choro), celtique ou encore du Moyen-Orient, ou des cafĂ©s thĂ©matiquesâ», complĂšte Manue.
Omettre la dimension «âbarâ» du LAĂB serait une erreur. Une fois musicalement satisfait, le curieux, ou lâhabituĂ©, nâa plus quâĂ sâinstaller au comptoir pour choisir une biĂšre â de prĂ©fĂ©rence locale, ou toute autre boisson, ou aller se poser en salle (ou au sous-sol lorsque celui-ci est ouvert). Une petite faimâ? Une fois encore la rigueur est prĂ©sente dans la carte, par exempleâ: «âdes AOP, et du lait cru pour les fromagesâ». LâidĂ©e est de servir de la qualitĂ©, dans les assiettes ou les tartines, en composant avec un prix abordable. DerriĂšre le comptoir, Manue, Anthony ou encore LĂ©andre, le troisiĂšme larron du bar, sauront vous conseiller dans la joie et la bonne humeur. «âMĂȘme en plein rushâ!â», rit Manue.
Ici, le cadre, et le service, signent lâidentitĂ© du bar. «âOn ne peut pas plaire Ă tout le mondeâ», dit lâadage, et ce nâest pas le but de lâĂ©tablissement. DerniĂšre information, et pas des moindres pour cerner le dĂ©corâ? «âLAĂB, câest pour la mer Ă boire/ lâamer Ă boireâ». S
Le LAĂB â 1 rue du bain Finkwiller Strasbourg Ouvert du Lundi au vendredi, de 16h30 Ă 1h et le samedi Ă partir de 18h. Happy Hours : 17h-20h Pour la programmationâ: page facebook et IG @laab.strasbourg









Câest Ă Strasbourg et câest unique en Franceâ!
Contre lâobsolescence dans lâIndustrie
Factoryyy est strasbourgeoise, et unique en France. Ses clients sont des industriels. Depuis 2017, elle leur offre la possibilitĂ© de contrer lâobsolescence programmĂ©e de leur matĂ©riel en leur recrĂ©ant, parfois mĂȘme sur mesure, des piĂšces dĂ©sormais introuvables ou hors de prix. Car, si vous trouvez que votre lave-linge ou votre tĂ©lĂ©phone ne dure pas dans le temps, dites-vous bien quâil en est de mĂȘme pour une entreprise. Une durĂ©e de vie programmĂ©e pour une piĂšce industrielle, en voilĂ une aberrationâ!
Lâadresse ne manque pas de cachet. Le quai Koch offre une vue imprenable sur la Gallia, Saint-Ătienne et les berges de lâIll. De lâautre cĂŽtĂ© de lâimposante porte du numĂ©ro 4, Sylvain Claudel, fondateur et directeur technique, nous invite Ă le rejoindre en salle de rĂ©union. Avec vingt ans de carriĂšre dans lâindustrie Ă son actif, lâingĂ©nieur en plasturgie nâen est pas Ă sa premiĂšre structure.
La crĂ©ation de Factoryyy tient Ă une anecdote, qui prend place durant lâHacking Industry Camp, dâAlsace Digitale, vous nous la racontezâ?
Durant cet Ă©vĂšnement, ĂS (ĂlectricitĂ© de Strasbourg) Ă©tait venu avec une piĂšce que leur compagnie ne parvenait plus Ă sourcer. Des tentatives pour imprimer la piĂšce en 3D avaient Ă©tĂ© menĂ©es, mais la piĂšce avait cĂ©dĂ©. Le matĂ©riau utilisĂ© nâĂ©tait pas le bon. Jâai tout de suite identifiĂ© la technologie, vu de quelle façon on
pouvait relancer la piĂšce. Une rencontre sâest faite, et nous avons fait le job. Pour lâanecdote, lors de lâentretien de remise de la piĂšce, nous avons mĂ©langĂ©, au grĂ© des manipulations, toutes les piĂšces sur la table. La mienne nâĂ©tant pas marquĂ©e, nous avons confondu celle dâorigine avecâ! TrĂšs satisfait, ĂS a ramenĂ© un carton de piĂšces avec, entre autres, une piĂšce mĂ©tal.
Cette piĂšce image en grande partie une nĂ©cessitĂ© du secteur industriel, pouvez-vous nous expliquer en quoiâ?
Câest un cliquet dâenclenchement, de la tringlerie. Vous retrouvez ça dans des disjoncteurs HTA. Le principe est similaire Ă un disjoncteur classiqueâ: la piĂšce permet dâouvrir les contacts comme Ă la maison⊠Sauf quâon est sur du 63â000 voltsâ! Il sâagit dâune piĂšce de sĂ©curitĂ©.
Le problÚme avec les piÚces détachées, ce sont les délais de confection et de livraison. La structure a été construite autour de
cette idĂ©e, notamment dans les domaines de lâindustrie et de lâĂ©nergie, puisque nous avions commencĂ© avec ĂS. Ce sont souvent des fournisseurs qui font faillite et ne livrent plus, ou qui choisissent de ne plus faire une gamme dâappareils et les prix explosent parfois jusquâĂ fois 10, fois 100 pour inciter Ă racheter du matĂ©riel neuf. Et ce, sans parler des pĂ©riodes dâobsolescenceâ: 10 Ă 15 ans.

Vous avez misĂ© sur le local pour vos partenaires, Ă 90 %. Pourquoi est-ce important pour vousâ?
JLa rĂ©gion a un bassin de compĂ©tences trĂšs intĂ©ressant. Et la proximitĂ© permet dâavancer trĂšs rapidement sur des problĂ©matiques complexes. En outre, il faut absolument solliciter et entretenir lâindustrialisation de la rĂ©gion. Surtout au vu de lâexcellente rĂ©activitĂ© obtenue. Factoryyy, câest donc 99 % de partenaires en France (90 % dans le Grand-Est). Le reste de nos fournisseurs se trouve en
«âLe problĂšme avec les piĂšces dĂ©tachĂ©es, ce sont les dĂ©lais de confection et de livraison. La structure a Ă©tĂ© construite autour de cette idĂ©e.â»Sylvain
Claudel, directeur de Factoryyy
UE. Nous ne nous tournons vers la Chine que pour tout ce qui ne prĂ©sente pas dâalternative, notamment les aimants nĂ©odyme.
Quâen est-il du coĂ»t, le local revient-il plus cherâ?
La comparaison entre nos prix et ceux de Chine ne peut pas se faire. Nous gagnons beaucoup en dĂ©lai de rĂ©alisation. Ce que cherchent nos clients, câest de la rĂ©activitĂ©, de la qualitĂ©, et un bon service client. En cas de besoin dâajustement, câest important. Il arrive quâĂ 0,5 mm prĂšs il faille rerĂ©gler certaines piĂšces. Un exemple pas si anodin puisquâon a dâailleurs eu le cas avec un client, sur une piĂšce quâon a refaite spĂ©cifiquement pour lui.
Ces dĂ©lais tiennent entre six semaines et un an. Le processus dĂ©bute au dĂ©marchage, vient ensuite la crĂ©ation du jumeau numĂ©rique de la piĂšce (aprĂšs rĂ©ception), puis les plans en 2D et 3D pour plus de prĂ©cision et la prise de cĂŽtes et un dessin (pour vĂ©rifications). Une fois Ă ce stade, on consulte nos partenaires, avant de lancer la production. Nous sommes systĂ©matiquement sur la bonne matiĂšre, grĂące Ă du «âreverse engineeringâ» (une mĂ©thode dâĂ©tude et dâanalyse, ici de matĂ©riaux ândlr), qui est un vrai gain de temps. Le contrĂŽle qualitĂ© et la validation sont faits
par nos fournisseurs-partenaires, qui expédient dans la foulée les piÚces. Au besoin, un stock est créé. à noter que pour certains assemblages, nous faisons appel à un ESAT.
Factoryyy est encore en dĂ©veloppement, quelle sera sa directionâ?
Dâun point de vue technologie, nous allons bientĂŽt en tester une nouvelle, pour rĂ©aliser des moules en 3D et y injecter la matiĂšre voulue, ce qui rĂ©duirait les coĂ»ts.

Concernant le commercial, aprĂšs une pĂ©riode prolifique avec le Covid, notre CA est multipliĂ© par deux ou trois tous les ans. Lâan passĂ© Ă©tait plus complexe, lâactivitĂ© a connu un blanc jusquâen mai, cependant nous revoici en course, avec des consultations Ă la SNCF par exemple, ou encore Ă lâĂ©tranger. Nous avons un projet avec Safran.
Enfin, nous travaillons Ă mettre lâaccent sur la partie RSE, puisque, mĂȘme si ça nâintĂ©resse pas forcĂ©ment les gens sur le terrain, ça intĂ©resse leurs responsables, Ă Paris. En effet, des piĂšces produites en France, câest dĂ©jĂ un impact carbone amoindri. Factoryyy permet de prolonger la durĂ©e de vie des machines. Et en prime, on augmente la sĂ©curitĂ© grĂące Ă notre rĂ©activitĂ©. Le marketing et le ciblage vont ĂȘtre retravaillĂ©s en ce sens. S
Les piĂšces conçues pour ĂS«âLa rĂ©gion a un bassin de compĂ©tences trĂšs intĂ©ressant. Et la proximitĂ© permet dâavancer trĂšs rapidement sur des problĂ©matiques complexes.â»






Franck Horand
Les gens sont
tous
extra-ordinairesâŠ
AprĂšs des Ă©tudes dâarts plastiques Ă lâuniversitĂ© de Strasbourg, oĂč il a explorĂ© peinture, sculpture et, faute dâatelier, art conceptuel, Franck Horand sâest dirigĂ© vers la photographie. Donner Ă voir, rĂ©vĂ©ler, raconter, comprendre que la photographie nâest que rencontre avec des histoires, des histoires de rencontres, voilĂ ce quâil travaille chaque jour, aprĂšs lâavoir enseignĂ© en tant quâinstituteur.
«âĂ mes Ă©lĂšves jâai appris, pour citer Paul Klee en le dĂ©tournant un peu, que âphotographie et dessin sont identiques en leur fondâ dit-il. En ajoutantâ: âPour raconter ces histoires, jâai toujours privilĂ©giĂ© le portrait, Ă la rencontre des gens, les gens qui sont tous extra-ordinaires quand on les aime de nos yeux de photographe. Depuis maintenant plus de deux ans, je construis un projet de mĂ©moire de demain, Unchain my Hoerdt, en photographiant les 4â500 habitants de Hoerdt, le village oĂč je me suis installĂ©â.
le suivre sur instagram @franckhorand @unchainmyhoerdt sur facebookâ Franck Horand Photographie Unchain my Hoerdt
Contactâ: franckhorand@gmail.com








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REVISITER BASHUNG FIGURE LIBRE
Quarante ans aprĂšs sa sortie, Figure imposĂ©e, album dĂ©jantĂ© et Dada dâAlain Bashung, renaĂźt Ă la vie. Pascal Jacquemin, auteur des textes, sâest entourĂ© des musiciens historiques du grand Alain pour Rejouer Figure imposĂ©e. Lâun des projets rocks les plus excitants de ces derniĂšres annĂ©es.
Ăpresque un demi-siĂšcle de distance, câest facile Ă dire bien sĂ»r, mais il nâempĂȘcheâ: Ă la réécoute, Figure imposĂ©e a tous les attributs dâune matrice. Il y a dans ce disque inclassable et trĂšs (trop) mĂ©sestimĂ© lâessence mĂȘme de lâĆuvre de Bashung. Le Bashung de Roulette russe et de Pizza , et puis celui dâaprĂšs, le Bashung de P assĂ© le Rio Grande , de Chatterton , de Fantaisie militaire et on peut mĂȘme pousser jusquâĂ celui de lâimpeccable Bleu pĂ©trole sans forcer.
Aussi imparfait soit-il, et imparfait il lâest assurĂ©ment, cet album est un moment charniĂšre dans la carriĂšre de lâinterprĂšte de Gaby , peut-ĂȘtre pas au creux de la vague ce serait exagĂ©rĂ©, mais entre deux eaux câest certain.
Play blessures , coĂ©crit avec Serge Gainsbourg, opus sombre et dĂ©pressif, teintĂ© de ce soupçon de new-wave qui lui allait si mal au teint Ă©tait sorti lâannĂ©e dâavant et avait Ă©tĂ© un Ă©chec foudroyant, de ceux dont on peut ne pas se relever. Bashung, lui, sâen Ă©tait remis comme on sait. Figure imposĂ©e ne lui a peut-ĂȘtre pas permis de rebondir, mais au moins de savoir quelle direction il voulait prendre.
«âAlain avait une grande peur, celle dâĂȘtre un chanteur âkleenexâ, ça lâobsĂ©daitâ», se souvient Pascal Jacquemin, parolier de Figure imposĂ©e. «âIl ne voulait pas quâon le rĂ©sume Ă des tubes. Il en avait besoin bien sĂ»r, mais il avait des choses Ă dire, des choses profondes. Il savait oĂč il voulait allerâ».
Retour en 1983. Le monde va mal (dĂ©jĂ ) et Bashung pas trĂšs bien non plus. Nous sommes en pleine guerre froide, les missiles du Pacte de Varsovie sont pointĂ©s sur ceux de lâOTAN et inversement. Ronald Reagan aux Ătats-Unis et Margaret Thatcher en Angleterre incarnent un ultralibĂ©ralisme qui fera les ravages que lâon sait, Lennon et Bobby Sands sont morts, le punk pas encore. LâIran et lâIrak sont en guerre,
Alain Bashung, auteur-compositeurinterprÚte et acteur français, né à Paris à 1947 et décédé en 2009.

JlâAfghanistan aussi. Malouines, Sabra et Chatila, Sida, Khomeini sont des noms qui rĂ©sonnent si forts quâils en deviennent assourdissants.
En France, la gauche, elle, a dĂ©jĂ pris le tournant de la rigueur, lâespoir dâun nouveau monde sâest fracassĂ© sur lâĂ©cueil de la rĂ©alitĂ©. Il y a dĂ©cidĂ©ment longtemps que Trenet chantait Yâa dâla joie , on dirait que câĂ©tait il y a un siĂšcle et ça nâen faisait quâĂ peine la moitiĂ©. Figure ImposĂ©e est le reflet de cette Ă©poque, de ce chaos intĂ©rieur.
AprĂšs des annĂ©es de galĂšre, Alain Bashung, lui, a touchĂ© le sommet. VoilĂ deux ans que, Pizza, son troisiĂšme album, portĂ© les Ă©normes tubes que sont Vertige de lâamour et Gaby Oh Gaby, cartonne. En pleine ascension, il dĂ©cide subitement de couper les gaz et dâinterrompre sa collaboration avec Boris Bergmann. Il veut expĂ©rimenter dâautres voies. Tout risquer plutĂŽt que de se perdre. «âAlain Ă©tait en recherche permanente, il nâarrĂȘtait jamais de se remettre en questionâ», dit son Ă©pouse, la chanteuse ChloĂ© Mons. Ce sera dâabord Play blessures donc et
dans la foulée ou presque Figure imposée re-donc, avec sa sublime pochette trÚs réalisme soviétique des années 30 signée Pierre Buffin.
IMPOSSIBLE DE COMPRENDRE DâOĂ VIENT CET OVNIâŠ
Pascal Jacquemin a 26 ans Ă lâĂ©poque, il a dĂ©couvert la musique de Bashung par hasard un soir alors quâil avait trouvĂ© un job dâĂ©tĂ© dans une station-service du Haut-Rhin. Musicien lui aussi, le voilĂ Ă Paris. Il sâest mis en tĂȘte de rencontrer Bashung, au moins de lui faire Ă©couter une cassette de sa musique. De fil en aiguille, parce que lâĂ©poque Ă©tait comme ça aussi, le voilĂ guitariste sur la deuxiĂšme partie de la tournĂ©e Vertige de lâamour et puis parolier de ce nouvel album qui ne doit ressembler Ă aucun autre.
Ils sont sur scÚnes et rejouent Figure imposée. De gauche à droite, Yan Péchin, Bobby Jocky, Arnaud Dieterlen, Basile Jacquemin, Pascal Jacquemin et Fred Poulet.

«âALAIN ĂTAIT EN RECHERCHE PERMANENTE, IL NâARRĂTAIT JAMAIS DE SE REMETTRE EN QUESTION.â»
«âAvec Gainsbourg et Bergmann, câĂ©tait plus prestigieux, mais il se sentait peutĂȘtre moins libre, je ne sais pas, confie aujourdâhui Jacquemin. Alain voulait du sang neuf, mais que ce ChloĂ© Mons J




J soit quand mĂȘme dans la continuitĂ©, que ça ne le fasse pas complĂštement dĂ©railler non plus. Pour moi, Ă lâĂ©poque, câĂ©tait un sentiment Ă©trange, entre prĂ©occupation et insouciance en fait. Ce qui mâimportait, câĂ©tait que les textes ne soient pas anodins, je voulais des choses profondes, mais avec une lĂ©gĂšretĂ© quand mĂȘme, tous les deux on Ă©tait raccords lĂ -dessus. Il nây avait pas de retenue, pas de rĂšgle. Et au final, lâalbum est une sorte de mash-up quâon a construit ensemble.â»
Si le terme dâOVNI nâĂ©tait pas aussi galvaudĂ©, il aurait Ă©tĂ© une parfaite dĂ©finition de cet album un peu Dada, un peu baroque, profond et lĂ©ger, carrĂ©ment barrĂ©. Une «âdinguerie assurĂ©ment, et câĂ©tait lĂ toute sa force... et sa faiblesse (commerciale)â» dit aujourdâhui Pascal Jacquemin. Impossible alors de comprendre dâoĂč vient cet Ovni. La critique ne lâa dâailleurs pas compris et le public pas davantage. Si Figure est aussi solaire et Ă©nergique que Play Ă©tait tĂ©nĂ©breux et dĂ©pressif, lâĂ©chec commercial est le mĂȘme. Le public boude et la critique sâĂ©charpe entre ceux pour lesquels cet opus est lâĂ©quivalent du disque blanc dans la carriĂšre des Beatles et ceux pour qui câest lâalbum «âle plus chiant de lâannĂ©eâ».
Quarante ans plus tard, le dĂ©bat est tranchĂ©, ce nâest ni lâun ni lâautre. Figure imposĂ©e est un creuset et puis une passerelle, un point dâappui aussi. En fĂ©vrier 1984 dans LibĂ©ration , le critique Philippe Barbot expliquait ça autrement et bien plus poĂ©tiquementâ: «âcâest une sorte de chĂąteau hantĂ©. Personne nâest assez crĂ©tin pour y croire tout Ă fait, mais tout le monde sait confusĂ©ment quâil est vraiment habitĂ©.â» Sous-entendant que celui qui lâhabite ce chĂąteau, câest lâesprit, peutĂȘtre mĂȘme la substance de Bashung.
Au-delĂ du coup dĂ©jĂ fait de la nostalgie, Rejouer Figure ImposĂ©e est avant tout et par-dessus tout un geste artistique, dâune «ârichesse incroyableâ», dit Pierre-Jean Ibba, le directeur de la salle de spectacles lâED&N (prononcer Eden) Ă Sausheim, dans le Haut-Rhin qui a soutenu le projet. «âIl est portĂ© par des musiciens qui sont de sacrĂ©es pointures. Je ne me rendais pas compte que câĂ©tait ambitieux Ă ce point-lĂ . Ce nâest pas un album forcĂ©ment facile dâaccĂšs, mais câest ça qui est passionnant. Tous les mots ont un sens, tous les mots ont du sens.â»
Le spectacle, car ce nâest pas uniquement un concert et un disque câest
un spectacle, est aussi une expérience. Totalement originale puisque quarante ans ont passé, que le monde a changé et la musique aussi (les solos de saxo ne se font plus trop).
«âLa figure imposĂ©e demandĂ©e Ă cette formation de rĂȘve est de donner envie aux spectateurs dâĂ©couter ou de réécouter la version originale bien sĂ»r, mais aussi de sâimmerger dans un album complet, avec les Ă©motions et la puissance de lâinterprĂ©tation live, mĂȘlĂ©es aux vibrations dâaujourdâhui, dit encore Jacquemin. «âCe sera Ă©galement le moyen de se replonger dans le dĂ©but des annĂ©es 80 et Ă la crĂ©ation de ce disque, grĂące au film de Fred Poulet.â»
De lâhypnotique S piele mich an die wand Ă Whatâs in a bird , interprĂ©tĂ© par Rodolphe Burger, en passant par ElĂ©gance , Poisson dâavril , Hi , Chaque nuit bĂ©bĂ© ou ImbĂ©cile , il y a dans cet album trĂšs largement de quoi sâamuser et rĂ©interprĂ©ter. Dâautant que le spectacle sâannonce Ă©volutif au fur et Ă mesure quâil avancera dans le temps et dans lâespace, et que des artistes viendront poser leur voix sur les morceaux. En perpĂ©tuelle (r)Ă©volution. a

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Vingt ans de concerts, de crĂ©ations, de rencontres et de mutations, ça se fĂȘte. Le groupe Ozma sâest pliĂ© dâexcellente grĂące Ă la formalitĂ©, et a mis le feu Ă la Briqueterie de Schiltigheim pour lâoccasion. «âCe concert du 8 octobre restera dans nos mĂ©moiresâ!â», souffle StĂ©phane ScharlĂ©, batteur et compositeur de cette formation «âexplosive jazzâ», comme ils le revendiquent.
FondĂ© au tournant de lâannĂ©e 2002 Ă Strasbourg, Ă lâoccasion du concours dâentrĂ©e au Conservatoire du guitariste Adrien Dennefeld, le groupe a grandi avec ses musiciens. «âNous Ă©tions Ă©tudiants, Ă peine vingtenaires, lors des premiĂšres rĂ©pĂ©titions. Ozma a accompagnĂ© et participĂ© Ă nos vies dâadultesâ», rĂ©sume StĂ©phane. Ozma joue en quintet depuis 2004, une musique Ă lâĂ©criture pointue et prĂ©cise, mais ouverte Ă des influences allant du funk Ă lâĂ©lectro. Sur scĂšne rĂšgne une grande gĂ©nĂ©rositĂ©, hĂ©ritĂ©e notamment des racines rock quâils ont en partage.
Ces ingrĂ©dients ont fait la recette du concert anniversaire, baptisĂ© Ozma XX et programmĂ© dans le cadre de la saison Jazz dâor 2022-2023. Les membres actuels du quintet ont laissĂ© leur place Ă des anciens le temps de quelques morceaux, et se sont serrĂ©s pour accueillir Ă leurs cĂŽtĂ©s une kyrielle dâinvitĂ©sâ: des musiciens des Percussions de Strasbourg, le griot burkinabĂ© Moussa Coulibaly, des cuivres de lâexpĂ©rience «âOzma OrkestrĂąâ» ou encore des Ă©tudiants du Conservatoire.
MATIĂRE MOUVANTE
(HĂ©las) peu prophĂštes en leur pays, les jazzmen ont construit lâessentiel de
JAZZ OZMA, EN APOTHĂOSE
Le quintet strasbourgeois «âdâexplosive jazzâ» a fĂȘtĂ© ses 20 ans lors dâun concert mĂ©morable le 8 octobre, Ă la Briqueterie. Lâoccasion de cĂ©lĂ©brer deux dĂ©cennies de tournĂ©es internationales et de dessiner de nouveaux projets.
leur carriĂšre lors de tournĂ©es internationales. Câest pourtant Ă Paris que leur trajectoire a Ă©tĂ© impulsĂ©e, en 2006, lorsquâils ont remportĂ© le concours Jazz Ă la DĂ©fense. Les portes de la professionnalisation sâouvrent alors, de mĂȘme que les frontiĂšres. Allemagne, Hongrie, Ukraine, SuĂšde, Inde, Chine, BrĂ©sil, Burkina Faso, Namibie⊠leurs instruments accumulent les visas.

Jusquâaux Ătats-Unis, quelques jours Ă peine aprĂšs le concert Ozma XX. «âPour des raisons administratives, nous avons dĂ» recruter un saxophoniste amĂ©ricain pour jouer avec nous lĂ -bas. Il a enrichi la musique de sa propre histoire et de son jeu.â» Plus que jamais, Ozma est une matiĂšre mouvante, autour dâun noyau
Les musiciens dâOzma sur la scĂšne de la Briqueterie.
dur qui garantit son identitĂ©â: StĂ©phane ScharlĂ©, donc, Ă la batterie, et Ădouard SĂ©ro-Guillaume Ă la basse et aux claviers. Sous une forme ou une autre, le quintet nâa pas lâintention de sâarrĂȘterâ: ils seront en tournĂ©e en Europe dĂ©but 2023. Un second projet prend Ă©galement formeâ: le programme Propulsion, partagĂ© entre Strasbourg et le Luxembourg, pour accompagner deux jeunes groupes de jazz pendant un an. Qui ne pourraient rĂȘver de meilleurs mentorsâ! a
Dates, vidĂ©os et infosâ: www.ozma.fr
La Terre demande toute notre attention

DâĂMISSIONS CARBONE -15% 2023
La Terre demande toute notre attention, est lâengagement de chacun dâentre nous Ă ĂȘtre, chaque jour, totalement impliquĂ© Ă atteindre nos objectifs, ambitieux et passionnants, Ă©thiques et pragmatiques, pour lâenvironnement.
Au programme : neutralitĂ© carbone en 2050, recyclabilitĂ© et rĂ©utilisation Ă 100% de tous nos nouveaux produits et prĂ©servation de la biodiversitĂ© dans tous nos sites. Parce que notre engagement doit ĂȘtre durable, nous avons créé notre programme dâactions collaboratives « Tous engagĂ©s pour la Terre ». wienerberger.fr
LâAMĂRIQUE DU NORD ET LA FRANCE DE MOLIĂRE M. SOUL, DU MANITOBA Ă LâALSACE
CriniĂšre blanche, rĂ©partie agile et humour en bandouliĂšre, M. Soul parle dâabondance et chante comme il respire. En français et en anglais, car ce dĂ©sormais Strasbourgeois est nĂ© Ă Winnipeg dans la province anglophone du Manitoba dâune mĂšre canadienne et dâun pĂšre⊠bretonâŠ
Lâ
Alsace, il lâa dĂ©couverte au grĂ© dâun parcours haut en couleurs dâabord menĂ© de ville en ville au Canada et en AmĂ©rique du Nord. Winnipeg, Vancouver, MontrĂ©al, Minneapolis, etc., lâauteur-compositeur-interprĂšte sâest produit partout ou presque, dans des concerts et festivals oĂč des amis cajuns lâont un jour convaincu dâĂ©crire en français.
Marcel (M.) Soulodre (Soul) a dit «âbancoâ» et sâest mis en quĂȘte dâun co-parolier jusquâĂ ce quâune amie de RadioCanada lui suggĂšre Bernard Bocquel un journaliste installĂ© Ă Winnipeg, mais originaire du⊠Neudorf Ă Strasbourg.
Ensemble ils ont écrit une chanson puis de plus en plus de chansons et enregistré un album que Marcel est allé présenter à Paris aprÚs avoir rencontré la famille de Bernard en Alsace.
Quelques aller-retour transatlantiques plus tard, il sâest installĂ© chez nous en 2010 pour proposer une musique bien Ă lui entre rock, blues, folk, country et chanson.
UN AUTOPORTRAIT MUSICAL

Tout un monde entre deux mondes, lâAmĂ©rique du Nord et la France de MoliĂšre. Pour le meilleur de la variĂ©tĂ© dont se revendique «âle chansonneurâ».
PrĂ©sentĂ© au centre culturel de Drussenheim Ă la rentrĂ©e, son dernier album sâintitule Hello Out There â Le Manitoba vous rĂ©pond, clin dâĆil Ă lâalbum dâHergĂ© Le Manitoba ne rĂ©pond plusâ» dĂ©couvert enfant dans la bibliothĂšque municipale de Saint-Boniface, quartier francophone Winnipeg.
M. Soul y dresse, en anglais et en français, un autoportrait musical oĂč transparaissent son amour de la vie et des voyages, mais aussi ses inquiĂ©tudes. GalĂšre raconte la fatigue, Swingtime Baby alerte sur lâurgence climatique, Birthday questionne la pression des technologies sur nos viesâŠ
«âIâm a storytellerâ» rĂ©sume lâartisteâŠÂ a www.m-soul.com
Véronique Leblanc Bartosch Salmanski

MICRO-UTOPIES TĂT OU TâART, UNE HISTOIRE DE REGâART
«âĂtre utile Ă vivre et Ă rĂȘverâ» chantait jadis Julien Clerc et ces mots auraient pu ĂȘtre Ă©crits pour lâassociation TĂT ou TâARTânĂ©e en 2001 et aujourdâhui nichĂ©e au sein de «âLa Fabriqueâ», rue du Hohwald.
CĂ©cile HaeffelĂ©, directrice de TĂT ou TâART
F ondĂ©e sur la conviction que lâaccĂšs Ă lâart sous toutes ses formes a le pouvoir de bousculer notre rapport au monde, Ă nous-mĂȘmes et aux autres, cette structure se veut courroie de transmission entre les institutions culturelles alsaciennes et les personnes confrontĂ©es au handicap, Ă la pauvretĂ©, Ă la rĂ©insertion.
Pour sa directrice CĂ©cile HaeffelĂ©, «âil est essentiel de reconnecter les publics fragilisĂ©s aux lieux de culture parce la culture nous fonde tous, y compris ceux qui en sont Ă©loignĂ©sâ».

Pas moins de 95 structures alsaciennes jouent le jeu, prĂ©cise-t-elle en citant, entre autres, lâOpĂ©ra du Rhin, lâOrchestre philharmonique, le TJP, le Maillon, PĂŽle Sud, lâEspace Django, le Vaisseau⊠Sans oublier les musĂ©es, les chĂąteaux, les cinĂ©mas et autres festivals. En dĂ©but de saison, toutes transmettent un lot dâentrĂ©es gratuites Ă TĂT ou TâART
qui peut ainsi installer une billetterie solidaire, mais, prĂ©cise CĂ©cile, «âil sâagit aussi pour nous dâaller plus loin et de mettre en place lâaccĂšs Ă une pratique artistique qui soit une expĂ©rience de reconnexion Ă soi et Ă la vieâ».
VIVRE ENSEMBLE
«âCe nâest pas simple pour les personnes fragilisĂ©esâ», ajoute-t-elle. Si nous voulons crĂ©er les conditions de confiance, nous devons compter sur la mĂ©diation des travailleurs culturels, sociaux et mĂ©dico-sociaux.â»
«âLâĂ©change est essentiel entre tous ces acteurs, y compris les artistes qui sâinvestissent de plus en plus. Il faut rĂ©flĂ©chir aux objectifs, aux formats, crĂ©er des partenariats pour faire vivre une dĂ©mocratie culturelle aux couleurs du vivre ensemble. Chacun apporte sa contribution et notre rĂŽle est dâĂȘtre aux endroits de mutualisationâ».
RencontrĂ©e lors de la prĂ©paration dâune action «âarts plastiquesâ» organisĂ©e pour des patients du CHU dâErstein dans le cadre de lâexposition dâart brut au musĂ©e WĂŒrth, CĂ©cile Ă©voque aussi des rĂ©flexions en cours avec lâĂ©quipe du cinĂ©ma Cosmos qui ouvrira aprĂšs les travaux entrepris dans lâancien «âOdyssĂ©eâ».
Lâaction sera menĂ©e Ă destination des personnes malvoyantes, prĂ©cise-t-elle en rappelant aussi «âLa Ronde des livresâ», opĂ©ration dĂ©sormais bien installĂ©e qui permet non seulement de donner des ouvrages aux enfants et adultes Ă©loignĂ©s de la lecture, mais aussi dâorganiser des ateliers dâĂ©criture crĂ©ative ou des visites ludiques de mĂ©diathĂšques.
«âLes ressources culturelles des personnes que nous accompagnons sont immensesâ», conclut-elle, «âĂ nous de crĂ©er les micro-utopies oĂč elles puissent sâĂ©panouir sans complexeâ». a www.totoutart.org

LĂ oĂč les idĂ©es naissent et les projets grandissent. Merci aux partenaires Or Norme pour leur soutien.














Le club des partenaires





















le tueurMon voisin
Comme le disait un grand historien, la mĂ©moire ça sert surtout Ă oublier. Il est regrettable quâun pays comme le nĂŽtre, si entichĂ© de commĂ©morations nâait pas consacrĂ© plus dâattention Ă ce qui arriva il y a tout pile 450 ansâ: la Saint-BarthĂ©lĂ©my. OĂč lâon apprendra que, dans un monde oĂč rĂšgnent actualitĂ© et musĂ©ification, les vieilles histoires ont beaucoup Ă nous apprendre.
On peut le concevoir, reparler dâun massacre entre français, qui plus est au cours dâune guerre de religions, nâest pas toujours du meilleur effet dans le Grand RĂ©cit National. Du moins percevrait-on au passage que la religion nous ayant suffisamment emmiellĂ©s, il serait bon quâelle restĂąt une affaire privĂ©e. Le xxe siĂšcle sâĂ©tant surpassĂ© dans lâabject, un petit massacre Ă lâancienne pourrait sembler dĂ©risoire. Dagues et pertuisanes sont bien peu de choses face Ă une chambre Ă gaz. De sorte que si on mesure le progrĂšs technique dans lâart de la tuerie, on morigĂšne sur ces hommes qui, dĂ©cidĂ©ment, sont bien vils. Faut-il se rĂ©signerâ? Certes pas, et câest la gloire des historiens de nous montrer quelques traits saillants parmi des Ă©vĂ©nements qui diffĂšrent cependant toujours.
Dans un magnifique livre rĂ©cemment paru, JĂ©rĂ©mie Foa revient sur le massacre du 24 aoĂ»t 1572. (1) Pour ce, il a entre autres sources Ă©tudiĂ© les archives notariales qui, malgrĂ© toute la froideur tabellionnaire idoine, rĂ©vĂšlent tout un monde englouti et poignant. Car la Saint-BarthĂ©lemy nâest pas un massacre comme un autre, câest un «âĂ©vĂ©nement de proximitĂ©â». Rappelons que, dans un premier temps, ce sont les chefs Huguenots (rassemblĂ©s Ă Paris pour le mariage de Henri de Navarre et de Marguerite de Valois, câest bien pratique), au premier rang desquels lâamiral Coligny, qui sont visĂ©s. Ensuite, et au signal du tocsin vers 4 h du matin, la boucherie sâĂ©tend Ă tous les Protestants. La milice bourgeoise (commerçants, artisans) rassemble les plus furieux. Les assassins opĂšrent par quartiersâ: qui se connaĂźt bien
se massacre bien. Dâautant plus que les Protestants ont Ă©tĂ© en butte pendant les annĂ©es prĂ©cĂ©dentes Ă dâincessantes persĂ©cutions et souvent arrĂȘtĂ©s puis relĂąchĂ©s. Mais fichĂ©s au prĂ©alable.
Ce qui fait que lorsque les bourreaux arrivent, les choses se passent fort civilementâ: on sonne avant dâentrer. Ne se mĂ©fiant pas, les victimes ouvrent leurs portes Ă leurs connaissances, Ă leurs voisins, Ă leurs collĂšgues. Mais aussi Ă leurs cousins, Ă leurs beaux-frĂšres, Ă leurs neveux. On se tue donc entre chrĂ©tiens, mais aussi entre membres dâune mĂȘme famille. DâoĂč par exemple, parmi tant dâautres, ce tĂ©moignageâ: «âLe commissaire Aubert demeurant en la rue Simon le frac prĂšs la fontaine MaubuĂ©, remercia les meurtriers qui avoyent massacrĂ© sa femmeâ». La Saint-BarthĂ©lemy regorge de ces histoires atroces de violences interfamiliales et de spoliations en tous genres. On tue et on vole puisquâon ne risque rien. Le pouvoir royal laisse faire, dĂ©passĂ©. Mais pas de prĂ©mĂ©ditation dâune Catherine de MĂ©dicis inspirĂ©e par les enseignements de Machiavel, ni de foule parisienne dĂ©chaĂźnĂ©e. Pas de planification, mais une envie entretenue depuis des annĂ©es en espĂ©rant
pouvoir la satisfaire un jour. Les bourreaux portent une croix ou un brassard blancs, ils ont des signes de reconnaissance, des mots de passe. De sorte quâil est Ă peu prĂšs impossible de fuir. Si vous restez chez vous, les maisons sont fouillĂ©es, si vous sortez, on vous reconnaĂźt. Les mots mĂȘmes perdent leur sens, par lâusage de termes euphĂ©misĂ©s ou doublement connotĂ©s (2). Le roi est un tyran, la paix est une fourberie, les huguenots des suppĂŽts du diable. Tous les repĂšres se brouillent et les liens sociaux se dĂ©litent. Certains abjurent, cela peut sauver. Beaucoup attendent les coups en priant. Mais ce nâest pas tout.
ON TUE LâAUTRE, PAS LE MĂME
Dans le fameux tableau de François Dubois (1529-1584), peintre ayant assistĂ© au massacre, on voit, Ă peu prĂšs au centre, Coligny dĂ©fenestrĂ© puis son cadavre dĂ©capitĂ© et Ă©masculĂ©. Il sera ensuite traĂźnĂ© dans les rues par des enfants (meurtriers dâautres enfants) et enfin exposĂ© au gibet de Montfaucon. La Seine regorge de corps et lâimage du fleuve rouge de sang quâemploie notamment Agrippa dâAubignĂ© nâest

Pas de planification, mais une envie entretenue depuis des annĂ©es en espĂ©rant pouvoir la satisfaire un jour.â»
Le Massacre de la Saint-Barthélemy, par François Dubois, vers 1572-1584
«
faut
différencier,
Mais tuer ne
faut
pas une licence poĂ©tique. Les Parisiens sâabstiendront de consommer du poisson les semaines suivantes au vu du nombre de corps en dĂ©composition qui sây trouvent.
Massacre de proximitĂ© donc, massacres interfamiliaux, la sauvagerie semble ne pas avoir de limite et je ne mâattarderai pas sur les descriptions de mutilations et de femmes enceintes Ă©ventrĂ©es. Pourquoi cet acharnementâ? Par peur dĂ©jĂ . Le pas si beau xvie siĂšcle baignait dans une angoisse de fin du monde. (3)
On prie le Dieu de lâAncien Testament, beaucoup moins cool que le Petit JĂ©sus. On croyait voir partout les signes de lâApocalypse proche et les Guerres de religion, soit des guerres civiles, marquant la fin de lâunitĂ© chrĂ©tienne (notamment face Ă la menace turque) entretenaient cette crainte dâun ennemi si proche quâil en Ă©tait semblable. Quây a-t-il de plus proche quâun Parisien, quâun boulanger, quâun orfĂšvre sinon un autre parisien, un autre boulanger, un autre orfĂšvreâ?
On tue lâautre, pas le mĂȘme. Il faut donc diffĂ©rencier, se diffĂ©rencier, afin de faire advenir lâautre comme autre. La propagande, les rumeurs, les calomnies sont une premiĂšre Ă©tape. Mais tuer ne suffit
pas, il faut dĂ©shumaniser, rendre mĂ©connaissable. DâoĂč les humiliations (dĂ©nuder les victimes), les mutilations, les dĂ©figurations. Rendre lâautre totalement autre.
On retrouve lĂ un thĂšme dĂ©celĂ© par Freud dans ce quâil appelle «âle narcissisme des petites diffĂ©rencesâ» (4) qui deviennent insupportables et quâil sâagit donc de porter Ă lâextrĂȘme pour accroĂźtre la distance entre la victime et son bourreau.
TOUS SOUDĂS PAR ET DANS LE SANG VERSĂ
On tue donc pour «âpurifierâ» le corps social, pour purifier la religion et pour se purifier soi-mĂȘme, parce quâil a bien fallu quâon ait pĂ©chĂ© bien fort pour sâattirer une telle calamitĂ©, lâhĂ©rĂ©sie. Et pour que lâimmolation joue Ă©galement ce rĂŽle, il faut quâelle soit collective. On tue en groupe et chacun doit faire sa part sous le regard des autres, encouragĂ© par les autres, tous soudĂ©s par et dans le sang versĂ©. Pas dâirrationnel cependant, mais, selon la formule de Jacques SĂ©melin, une «ârationalitĂ© dĂ©liranteâ». (5)
Au lendemain de la Saint-BarthĂ©lemy, le silence se fait. LâacmĂ© de sauvagerie
atteint, lâĂ©vĂ©nement se referme sur luimĂȘme et semble un cauchemar dont on se rĂ©veille engourdi. Pourtant que dâenseignements dans tout cela. Je prendrai deux autres exemples. Dans un livre prĂ©cisĂ©ment intitulĂ© Les Voisins (6), Jan Gross revient sur ce qui sâest passĂ© en Pologne Ă lâĂ©tĂ© 1941, dans la petite ville de Jedwabne. Une moitiĂ© de la population a massacrĂ© lâautre moitiĂ©, hommes, femmes et enfants juifs. Les nazis ne sont pas dans le coup, pour une fois. Aucune pression extĂ©rieure donc, les Polonais ont assassinĂ©s, aprĂšs les avoir battus Ă coup de gourdins et de barres de fer, ceux avec qui ils vivaient depuis toujours. On reprochait aux Juifs de supposĂ©es relations avec les SoviĂ©tiques (7) , on lorgnait sur leurs biens, on colportait des dĂ©bilitĂ©s au sujet de rituels avec du sang dâenfants chrĂ©tiens, etc⊠LĂ encore le piĂšge est sans issue puisque les victimes et les lieux sont connus. On a mĂȘme invitĂ© ceux des villages voisins pour participer.
«âParadoxalement, le poste de la gendarmerie allemande fut ce jour-lĂ lâendroit de la ville le plus sĂ»r pour les Juifsâ». (8) Au total 1600 morts. Bien entendu, dans la Pologne actuelle, il nâest
«âIl
donc
se diffĂ©rencier, afin de faire advenir lâautre comme autre.
La propagande, les rumeurs, les calomnies sont une premiÚre étape.
suffit pas, il
dĂ©shumaniser, rendre mĂ©connaissable.â»
COMME EUX, LOUEZ VOTRE ESPACE PROFESSIONNEL SUR LES







CHAMPS-ĂLYSĂES
PORTRAIT DU MOIS / DOMICONUS
Créée par Dominique Flota en 2017 et implantĂ©e dans le Sundgau, au cĆur de la rĂ©gion des Trois-FrontiĂšres, Domiconus est spĂ©cialisĂ©e dans lâĂ©levage de cĂŽnes marins et a 2 objectifs. Le premier est mĂ©dical grĂące au prĂ©lĂšvement du venin de ces cĂŽnes dont les bĂ©nĂ©fices thĂ©rapeutiques sont testĂ©s sur certains modĂšles de pathologies et maladies (douleur, oncologie, maladies dĂ©gĂ©nĂ©ratives et dâautres Ă lâavenir). Une application en cosmĂ©tique est aussi Ă lâĂ©tude. Le second est environnemental car lâĂ©tude en ferme aquacole de ces cĂŽnes va permettre de les prĂ©server, les rĂ©cifs coraliens les abritant Ă©tant menacĂ©s. En 5 ans, Domiconus est devenue la premiĂšre venumthĂšque de cĂŽnes marins au monde et est en pleine expansion. Elle vient dâentrer dans le Club des 100.

Dominique Flota sâest lancĂ© dans ce projet suite Ă un accident grave en tant que pompier volontaire, il se dĂ©couvre intolĂ©rant aux dĂ©rivĂ©s morphiniques et cherche alors une solution pour soulager les douleurs des personnes confrontĂ©es Ă la mĂȘme problĂ©matique que lui. Avec 20 ans dâexpĂ©rience en biologie animale, Ă travers diffĂ©rents postes occupĂ©s au sein de Novartis, de lâUniversitĂ© de Zurich et de lâEcole Polytechnique de Zurich, il est passionnĂ© par la recherche et sâinvestit pleinement dans cet Ă©levage aquacole unique au monde et novateur. www.domiconus.com


Jpas bien vu de rappeler que la barbarie ne fut pas que nazie. Jâajoute que dâautres meurtres antisĂ©mites eurent lieu aprĂšs la fin de la guerre.
«âNOUS DĂRANGEONS
LES GENSâ»
Dernier exemple, le gĂ©nocide des Tutsis par les Hutus au Rwanda. LĂ encore, et davantage, les bourreaux sont des voisins, des amis, voire des Ă©poux. Et la violence est intrareligieuse puisque des catholiques ont tuĂ© (coupĂ© disait-on) dâautres catholiques. Avec des prĂȘtres des deux cĂŽtĂ©s. Les Ă©glises, refuges habituels, ont souvent servi de théùtre aux massacres. Des barrages sur les routes entravaient toute fuite. Ici aussi une propagande mise en place bien avant (notamment via la trop fameuse RTLM, Radio TĂ©lĂ©vision des Milles Collines), lâexacerbation des diffĂ©rences (les Tutsis sont plus grands, plus pĂąles, plus ceci plus cela), la dĂ©shumanisation dans les mots (ce sont des cafards, des cancrelats, des serpents), puis dans les corps. Ă la machette. La chose Ă©tait prĂ©visible, annoncĂ©e, «âlâaccumulation dâun immense savoir sur les gĂ©nocides et les massacres de masse depuis la fin de la Seconde Guerre

mondiale nâa-t-elle Ă©tĂ© dâaucune utilitĂ© pour prĂ©venir et empĂȘcher la catastrophe de 1994â»â? se demande StĂ©phane AudoinRouzeau.(9) Mais lĂ les choses semblent en suspens. Des Tutsis disentâ: «âSi on sâendormait, le gĂ©nocide ne tarderait pasâ», «âNous dĂ©rangeons les gensâ»âŠ
Les massacres prennent sens dans leur contexte historique et social, chaque fois diffĂ©rent. Notons cependant certains traits communs. Dans lâinfluence de la propagande dâabord et du rĂŽle dâun vocabulaire orientĂ©. Puis dans le rĂŽle de lâĂtat, soit faible (France, Rwanda, Pologne), soit se sentant menacĂ© (pour lâAllemagne nazie). Le traitement des victimes ensuite, mises Ă part et rabaissĂ©es avant dâĂȘtre exĂ©cutĂ©es et souvent rendues mĂ©connaissables. Enfin, et câest le cĆur du problĂšmeâ: la facilitĂ© avec laquelle un individu, tout un chacun, peut devenir non seulement un meurtrier de masse, mais surtout de ceux quâil connaĂźt, quand le groupe auquel il appartient lây autorise. En devenant encore meilleur Ă sa tĂąche avec lâhabitude. Et sans regrets.
Je ne suis pas sûr que la psychologie positive pourra nous éclairer sur ce point. Mais je vous souhaite, sincÚrement, un joyeux Noël. a
1- Jérémie Foa, Tous ceux qui tombent, éditions La Découverte, 2021. Massacre, précisons-le, qui se prolongea plusieurs mois et dans toute la France.
3000 Protestant-e-s tuĂ©s Ă Paris, 10â000, 15â000, voire 30â000 selon certains pour toute la France.
2- Selon une figure rhétorique, la paradiastole, pour ceux qui voudront briller dans les dßners mondains.
3- Denis Crouzet, Les guerriers de Dieu, Champ Vallon, 1990.
4- Notamment dans Malaise dans la civilisation 5- Jacques Sémelin, Analyser le massacre, Réflexions comparatives, in Questions de recherche, n° 7, septembre 2022.
6- Jan T. Gross, Les Voisins, 10 juillet 1941, Les belles Lettres, 2019.
7- La chose se passe aprĂšs lâinvasion de la partie de la Pologne occupĂ©e prĂ©cĂ©demment par les Russes, comme convenu lors du pacte Germano-SoviĂ©tique de 1939 (un dĂ©tail omis par le camarade Poutine dans sa réécriture de lâhistoire russe).
8- Les Voisins, p.79.
9- Une initiation, Rwanda (1994-2016), Seuil, 2017.

Quâest-ce quâon fout encore lĂ â? Moi JajaâŠ
Tu ne tâes jamais demandĂ© ce que lâon foutait encore lĂ â? Jâai demandĂ© Ă Tato, un de ces petits matins, lĂ , sur une plage de Ligurie, Ă deux pas de GĂȘnes. On aime bien faire ça, avec Tatoâ: se barrer de chez nous, prendre la route, quand trop câest trop, et aller voir mes potos oiseaux au bord du lac LĂ©man, leur donner deux trois trucs Ă grailler, face au Mont-Blanc et se dire quâon pourrait pousser un peu plus loin encore, traverser les Alpes, se taper le Saint-Bernard â pas le chien â, longer la cĂŽte et envoyer tout balader. Un court instant au moinsâŠ




Câest comme ça, la nuit Ă peine Ă©coulĂ©e, quâon a fini allongĂ©s face Ă la mer, mes pattes et mes ailes roses dans le sable, couverts du corps de Tato et de son long manteau Ă capuche. «âOn nâest pas bienâ? Paisibles, Ă la fraiche, dĂ©contractĂ©s du glandâ?â», jâaurais pu «âvalserâ» Ă Tato. Mais allez savoirâ: alors que les premiers rayons dâun soleil automnal apaisaient une houle nocturne, câest à ça que jâai songĂ©â: quâest-ce quâon fout encore lĂ â? Ă quoi bon se battre, quand tant de gens brillants quâon connait, tous autant que nous sommes, ont dĂ©jĂ jetĂ© lâĂ©pongeâ?
SORTIE DâĆUF
«âTu parles de quoi Jajaâ? Du rĂ©chauffement climatiqueâ?â». «âTu crois vraiment que jâen ai quelque chose Ă cirer du climatâ? Tu mâas bien vuâ?â», je lui ai renvoyĂ© dans ses poils dâhumain. «âSĂ©rieuxâ! Yangzhou, Gdansk, Munich, Kryvyi rih, Zaporijia, Perzemysl, Strasbourgâ: Ă moi tout seul je fais le bilan carbone de dix Yann Arthus-Bertrand, si lâon compte mon temps passĂ© en zones industrielles. «âEt puis dâabord on ne dit pas rĂ©chauffement, mais dĂ©rĂšglement climatique.
Il ne tâa tout de mĂȘme pas Ă©chappĂ© que mĂȘme au Qatar et en Arabie Saoudite y a plus de rĂ©chauffementâ? Les premiers te mettent la clim dans des stades ouverts, les seconds construisent des pistes de ski au milieu du dĂ©sertâ». Et puis, Ă quoi bonâ? Poutine a dĂ©jĂ tout rĂ©glĂ©. Plus de chauffage, plus dâĂ©lectricitĂ©, plus de gaz, plus de pĂ©trole. Lâon peut critiquer autant quâon veut le bonhomme, mais avouez quâen moins de temps quâune sortie dâĆuf de pingouin, le gars a fait mieux que lâensemble de la communautĂ© mondiale Ă©cologique rĂ©unie. Quant au reste des prĂ©occupations de la classe politique, il les gĂšre dĂ©jĂ avec brioâ: surconsommation alimentaire, pauvretĂ©, migrationsâ; le tout sur fond de Wagner. MĂȘme le Pangolin nâa pas mieux faitâ! «âEn moins de temps quâune sortie dâĆuf â jâte dis â, le mec nous a fait un strikeâ: plus de cĂ©rĂ©ales, dâengrais, câest davantage de famines, dâĂ©meutes de la faim et des mecs qui finiront dâici peu par se tirer dessus sans avoir eu Ă sâoffrir une scolaritĂ© amĂ©ricaine. Tu vas voirâ: dâici peu, mĂȘme lâOcean Viking, on nâen entendra plus parler faute de croisiĂ©ristes ». Cerise sur le gĂąteauâ: avec moins dâhumains, on tend vers le plein emploi Ă lâĂ©chelle






mondiale. «âJâte lâdis, Tatoâ: Poutine câest le Einstein du xxie siĂšcle, le mode dâemploi de la bombe en plus. Câest le Free du momentâ: Il a tout compris ».
ĂGAREMENTS

Tato Ă©tait sans voix. Je le revois encore, interdit, qui me fixait, comme Pouxit aurait pu le faire un soir dâĂ©lections aprĂšs avoir soupĂ© un bol dâalgues vertes. Un peu comme moi qui dĂ©visage Tato lorsquâil gobe la derniĂšre sardine grillĂ©e du dĂ©jeuner, sans le moindre soupçon de culpabilitĂ©. Ou, alors, avec un peu de recul, lorsque sa conscience lui joue des tours, tel un archevĂȘque qui comprendrait que mettre la main au panier nâest pas une discipline sportiveâ; encore moins spirituelle. Ironie de lâactualitĂ©, câest alors que M gr Jean-Pierre Grallet reconnaissait «âsâĂȘtre Ă©garé⻠que la SIG Ă©garait son entraĂźneur Lassi Tuovi. De quoi me faire aimer un peu plus encore le footâ: au Racing, cette annĂ©e au moins, pas de risque de sâĂ©garer. Les lois de la physique sont formellesâ: pour sâĂ©garer faut-il encore prĂ©alablement avancer. Et lĂ , aucun risque, au point que sâil fallait attribuer un animal Totem au Racing, je lui choisirais le paresseuxâ: le seul animal dont lâextrĂȘme lenteur rend quasi impossible la dĂ©tection de ses mouvements par ses prĂ©dateurs. Avec 11 points en 15 matchs, je parierais mĂȘme que peu de ses adversaires lâont vu sortir des vestiaires avant la 90e
« FJANDINN, HVERNIG ER REYKJAVĂK STAFSETT?!»
Non, par «âlĂ â», jâentends «âchez nousâ», Ă Stras, capitale de lâAlsace, mais Ă condition de ne pas se dĂ©velopper plus vite que Mulhouse, Colmar ou SĂ©lestat. Capitale du Grand Est, pour peu que le GrandEst nâexiste pas. De lâEurope, pour peu que recouvrir un tram dâun «âHappy 70th birthday Parliamentâ» ou dâun «âFjandinn, hvernig er ReykjavĂk stafsett?!â»* suffise Ă asseoir son osmose transpartisanne dans la dĂ©fense dâun siĂšge que nul ne semble encore vouloir si ce nâest pour gratter quelques millions Ă lâĂtat Ă des fins toutes autres quâeuropĂ©ennes. Capitale des Droits de lâHomme qui se rĂ©sume au travail dâune institution, dâune Cour ou de quelques citoyens bĂ©nĂ©voles pour combler lâabsence de logements, de nourriture, de cours de langue intensifs, pour des femmes et des enfants dont on ne cesse de vanter la bravoure de leurs frĂšres
et Ă©poux qui protĂšgent, bien malgrĂ© eux, nos frontiĂšres extĂ©rieures. «âAppartenance Ă notre belle famille europĂ©enneâ», quâils disent. Chair Ă canon pro-europĂ©enne, plutĂŽt, ouiâ! Si tu vas au Neuhof, ce nâest pas une Ă©quipe dâadministratifs, mais Kim, un migrant sud-corĂ©en qui les aide Ă se nourrir. Au port du Rhin, ce sont des dĂ©placĂ©s temporaires ukrainiens qui le font. Entre Strasbourg et Kharkiv ce ne sont pas des officiels qui financent et qui livrent des ambulances en mode Mario Kart sur une route jonchĂ©e de missiles, mines et autres roquettes, mais des Ă©tudiants Ă©trangers comme Pablo, qui tâenvoie des «âselfies cĆurâ» pour te signifier quâil est encore en vie dans une zone de guerre dont il ne maĂźtrise que cinq mots. Au centre-ville, ce nâest pas la capitale des droits de lâhomme qui augmente ses capacitĂ©s enseignantes, mais des gars comme Ădouard, un Allemand qui vit Ă Strasbourg, qui les supplĂ©es pour un forfait de 23 euros annuels versĂ©s Ă son association. Je veux bien quâon me parle dâautres nationalitĂ©s, mais pas de privilĂšges autres que la rapiditĂ© dâobtention dâun titre de sĂ©jour pour celles et ceux dont on vante le courage et la rĂ©silience Ă longueur de rĂ©ceptions officielles. 316,20 euros mensuels pour une mĂšre et sa filleâ: câest aujourdâhui tout ce que lâĂtat â pas mĂȘme la ville â offre Ă des citoyens dâun pays membre du Conseil de lâEurope pour leur Ă©pargner le jeu de la roulette russe. Capitale europĂ©enne des droits de lâhomme, mes ailesâ!
DĂNI DE LUCIDITĂ
Alors, je le regarde, ce grand sapin de NoĂ«l solidaire et je mâinterroge. Câest quoi la

prochaine Ă©tapeâ? Financer sur les fonds publics un rĂ©cital Ă la con pour leur dire combien on les aimeâ? Jouer Ă pierre feuille ciseau avec la prĂ©fĂšte quand ils finiront sous des tentesâ? Nous dĂ©sespĂ©rer dâun ou deux degrĂ©s de moins pour faire face Ă notre facture Ă©nergĂ©tiqueâ? PolĂ©miquer sur ce quâil est permis ou non de vendre sur le MarchĂ© de NoĂ«l pour ne pas nous Ă©loigner de nos fondamentauxâ? DĂ©fendre la munsterflette contre la tartifletteâ? Des tartes, oui, jâte disâ!
Tu vois, Tato, je lâaime notre ville, tellement. Mais parfois elle me fait honte, notre capitale qui, aprĂšs lâavoir aussi Ă©tĂ© de PĂąques, le sera mondialement du Livre en 2024 â notre grande fiertĂ© du moment ou du moins de quelques-uns, Ă lâheure oĂč tant de parents prĂ©fĂšrent pourtant planter leurs gosses devant Animal Crossing, Tik ToK et autres Disney+ plutĂŽt que de les emmener dans une bibliothĂšque ou sur un terrain de sport non genrĂ©, comme on dit dĂ©sormais, de peur de froisser quelques radicaux ou radicales de la syntaxe. Câest vraiment ça, notre ville, Tatoâ? Des mots, juste des mauxâ? En capitalesâ? «âUn jour, une chanteuse nord-irlandaise a dĂ©clarĂ© que sa ville, Belfast, Ă©tait la plus belle au monde, pour peu quâon la quitte souvent pour rĂ©ussir encore Ă lâaimerâ», mâa alors rĂ©pondu Tato, alors que le ciel gĂ©nois commençait Ă se couvrir. « Alors profite, profite de lâinstant, Jaja. Profite des vagues, de la plage. Et la prochaine fois quâon passe par le Saint-Bernard plutĂŽt que par le Gothard, de tes amis Ă plumes. Parce que câest ça, aussi, Strasbourgâ: une ville frontiĂšre qui te permet de tâen Ă©loigner quand elle te fait pleurer ». S
* M..., ça sâĂ©crit comment ReykjavĂk ?
«âStrasbourgâ: une ville frontiĂšre qui te permet de tâen Ă©loigner quand elle te fait pleurer.â»

Lâactu Jak Krok'
Retrouvez chaque semaine sur notre page Facebook le regard sur lâactualitĂ© de lâillustrateur Jak Umbdenstockâ!






Ă V ĂNEMENTO R EMRON
OR NORME CHEZ AEDAEN ET ST-ART
Le 16 novembre dernier, le Club des Partenaires Or Norme sâest rĂ©uni lors dâune magnifique soirĂ©e chez Aedaen Place, avant de se retrouver pour le vernissage de ST-ART le 24 novembre.








S B O U T E I L LES PLEINES DE V I E S
Les beaux verres à vin me font un petit quelque chose. Dans la continuité du bien boire, on joue de leur forme pour étaler les attraits du vin.
Les verres tulipe, idĂ©aux pour la dĂ©gustation dâun effervescent, sâentrechoquent Ă lâoccasion dâune fĂȘte, ou cĂ©lĂšbrent les coquillettes au jambon du mardi. Ă chacun ses petits bonheurs.
Puis la bouteille terminĂ©e sâen va rejoindre la benne Ă verre. Issue de la tradition des arts du feu, la flĂ»te dâAlsace avec son surplus dâĂ©lĂ©gance nây Ă©chappe pas. Du cĂŽtĂ© de Lutzelbourg, lâatelier SâGlĂ s leur offre une retraite dorĂ©e.
SituĂ© dans une ancienne usine dâagrafes, le PĂŽle Konzett est un lieu oĂč cohabitent diffĂ©rents crĂ©ateurs et entrepreneurs. Câest dans cet Ă©cosystĂšme que le talent de Maya Thomas trouve ses aises depuis aoĂ»t 2021. Parce quâon vit dans une poubelle qui grandit chaque jour un peu plus, lâenvie de faire quelque chose qui a du sens anime la Strasbourgeoise de cĆur.
Maya aime le verre. Lâobjet certes, mais surtout la matiĂšre, quâelle recycle avec habiletĂ©. La partie supĂ©rieure des bouteilles est dĂ©coupĂ©e, passĂ©e au four, puis aplatie. Les piĂšces ainsi profilĂ©es sâassemblent et composent des vitraux. La partie infĂ©rieure trouve Ă©cho dans les arts de la table. La matiĂšre sâaffiche alors en verres, bocaux, et carafes.
Feuille jaune, marron glacĂ©, chĂȘneâŠĂ lâatelier SâGlĂ s, les couleurs sont automnales. Les flĂ»tes au teint chlorophylle â celles qui fricotent avec le kitsch â prennent des airs sobres, minimalistes, et design. VĂ©ritables phĂ©nix du folklore Alsacien.
Un systĂšme de rĂ©cupĂ©ration de bouteilles, mis en place avec une poignĂ©e de professionnels, permet dâobtenir une matiĂšre premiĂšre ayant dĂ©jĂ quelques gouttes de vĂ©cu. Les flacons sont ensuite coupĂ©s Ă lâaide dâune scie Ă eau Ă lame diamantĂ©e. Câest que la duretĂ© du verre appelle les mĂȘmes outils que ceux des tailleurs de pierre. DiffĂ©rents ponçages permettent, notamment, de sĂ©curiser le toucher de bouche des verres. Lâeau accompagne les gestes prĂ©cis et artistiques de lâartisane verriĂšre. Le polissage, la gravure, le nettoyage, puis lâemballage prĂ©cĂšdent la commercialisation.
Ă lâapproche de NoĂ«l, les commandes sâaccumulent. Les crĂ©ations dĂ©filent dĂ©jĂ sur quelques tables strasbourgeoises, dont lâhĂŽtel LĂ©onor et le restaurant La Fignette. En cette fin dâannĂ©e, je ferai une infidĂ©litĂ© Ă mon amour pour les verres Ă pied en allant zieuter les rĂ©alisations de lâAtelier SâGlĂ s. Maya, elle, travaille le verre vide, mais apprĂ©cie son verre parĂ© du cĂ©page Auxerrois. E











































SPECTACLES FESTIVAL, LIVRES GALERIES, ETC.
Chaque trimestre, la rĂ©daction de Or Norme a lu, Ă©coutĂ©, visionnĂ© l'essentiel de ce qu'on lui fait parvenir. Cette sĂ©lection fait la part belle Ă ses coups de cĆur...
1KFESTIVAL Ă PĂŽle-Sud,
«âLâAnnĂ©e commence avec ellesâ»
Créé par la directrice du Centre chorĂ©graphique JoĂ«lle Smadja afin de «âdonner de la visibilité⻠aux spectacles Ă©crits, pensĂ©s et dansĂ©s par les femmes, ce festival dĂ©clinera onze propositions tout au long de janvier. Elle nous en parle.
Quel Ă©tait votre objectif en crĂ©ant ce festivalâ?
Toucher Ă la question du «âelleâ», montrer ce qui nâest pas visible. La question du genre nâest pas le sujet en soi, mais jâai constatĂ© que les sujets traitĂ©s par les femmes nâĂ©taient pas les mĂȘmes que ceux dont sâemparaient les hommes. Je voulais sortir de lâombre des questionnements plus larges qui correspondent Ă de nouvelles gĂ©nĂ©rations de public, entamer une rĂ©flexion qui nâexistait pas avant et qui correspond Ă une sociĂ©tĂ© nouvelle oĂč la complexitĂ© inhĂ©rente Ă la vie trouve enfin sa place.
Quels sont ces sujetsâ?
Le viol par exemple, traitĂ© tout en dĂ©licatesse dans Rain de Meytal Blanaruâ; la femme scandaleuse du XIXe siĂšcle abordĂ©e par la vie de la danseuse dâavantgarde Ida Rubinstein dans Ida donât cry me love de Lara Barsaqâ; la question des origines, le travail sur la figure du monstre et les croyances dans Mascarades, solo sans concession de Betty Tchomanga⊠Les onze piĂšces sont puissantes tant dans lâoriginalitĂ© des propos que dans la maniĂšre de les prĂ©senter.
Des spectacles dont vous ĂȘtes persuadĂ©e quâils peuvent parler Ă tous⊠Câest ce qui ne cesse de me surprendre avec la danse. Il suffit dâĂȘtre accessible Ă lâĂ©motion pour ĂȘtre spectateur ou spectatrice. Il nây a pas besoin de «âsây connaĂźtreâ» pour ressentir. a
Imagesâ: Betty Tchomanga, Mascarades


EXPOSITION 2K
Michel Bedez, artiste autodidacte, Ă©mergent sur le tard, prĂ©sente ses Idoles au MusĂ©e Wurth en lisiĂšre de lâexposition Art Brut. Un dialogue singulier avec la Collection WĂŒrthâ». Au cĆur du Val dâArgent, dĂšs le plus jeune Ăąge, Michel Bedez est fascinĂ© par les statues polychromes de la petite Ă©glise, les lĂ©gendes des forĂȘts habitĂ©es, les tarots sur les tables des bistrots.
Câest ainsi que sont nĂ©es ses «âIdolesâ», ses petits dieux qui ont le pouvoir de soigner les maux des hommes et de la sociĂ©tĂ©, un mĂ©lange du saint et du paĂŻen, du cĂ©leste et du tellurique. Au MusĂ©e WĂŒrth, Michel Bedez a créé une chapelle paĂŻenne, un sanctuaire populaire, une caverne ombrageuse pour les installer et retrouver lâĂ©motion du sacrĂ©. Les statues sont prĂ©sentĂ©es sur un monticule de charbon qui rappelle lâhistoire des origines du crĂ©ateur. a


Imageâ: Michel Bedez /LoĂŻc Bosshardt
S ur quelques deux mille Ćuvres encore non attribuĂ©es appartenant Ă des juifs spoliĂ©s par les nazis, notamment au profit du plus grand voleur jamais rĂ©fĂ©rencĂ©, Hermann Goering, vingt sept sont en Alsace et actuellement exposĂ©es Ă la Galerie Heitz, sous la dĂ©nomination MNR soit MusĂ©es Nationaux RĂ©cupĂ©ration, ce qui signifie sous la protection de lâĂtat, leurs propriĂ©taires Ă©tant encore inconnus. Elles sont simplement rĂ©pertoriĂ©es, et Ă la garde des musĂ©es.
DĂšs 1940 en raison de ces vols et des ventes des juifs euxmĂȘmes pour avoir un peu dâargent avant de fuir ou de se cacher, le marchĂ© de lâart explose. Puis quand la spoliation est prouvĂ©e, la plupart des biens sont restituĂ©s, grĂące notamment au travail clandestin de Rose Valland, sorte dâespionne de lâart rĂ©pertoriant ce quâelle voit disparaĂźtre, puis de Hans Haug, qui a recherchĂ© et restituĂ© ces Ćuvres. Ce sont de trĂšs belles Ćuvres dâart, exposĂ©es avec goĂ»t, souvent de poĂštes du Nord, avec quelques nus languides et doux, des paysages fins comme celui de Sisley, quelques meubles, un petit coffre en bois, une boĂźte en cuir. Le plus Ă©mouvant est le petit portrait anonyme, datant du XVIe siĂšcle dâun Enfant tenant une poire, ayant traversĂ© le temps et les saccages, mais ayant gardĂ© son innocence. a
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EVE dâEurope, EVE dâAsie
Du rĂȘve Ă la rĂ©alitĂ©, il ne faut parfois que la force dâune amitiĂ©. Celle qui lie Catherine Bolzinger, cheffe du ChĆur philharmonique de Strasbourg et directrice artistique de Voix de Strasâ Ă Selvam Thorez directeur du ChĆur amateur de lâAsian UniversitĂ© for Women de Chittagong au Bangladesh a donnĂ© naissance Ă EVE (Empower Vocal Emancipation), projet au long cours dont la premiĂšre tournĂ©e sera lancĂ©e en fĂ©vrier au Parlement europĂ©en et se terminera en mai Ă lâambassade de lâUnion europĂ©enne Ă Dacca.
Musique française et musiques orientales traditionnelles dialogueront dans un élan vocal né de la rencontre entre des chanteuses de 15 pays et 4 continents différents.

PortĂ©e par les valeurs dâĂ©galitĂ©, de solidaritĂ© et dâĂ©mancipation fĂ©minine, cette synergie culminera avec une crĂ©ation du compositeur Lionel Ginoux Ă partir des chants collectĂ©s auprĂšs des chanteuses du chĆur asiatique.
Heureux de cette perspective «âde partage musical et dâĂ©change culturelâ», celui-ci se dit persuadĂ© quâil est «âindispensable dâavoir des temps pour connaĂźtre lâautre et sâenrichir de nos diffĂ©rencesâ».

On ne saurait rĂȘver plus belle invitation aux concerts qui se tiendront en fĂ©vrier Ă Strasbourg, Breitenbach et Mulhouse, mais aussi Ă lâUNESCO Ă Paris, Ă GenĂšve et Ă Kehl avant de se lancer dans une tournĂ©e de printemps au Bangladesh. a
Au pays des merveilles Nathalie Bittinger
AgrĂ©gĂ©e de Lettres modernes et maĂźtre de confĂ©rences en Ă©tudes cinĂ©ma Ă lâUniversitĂ© de Strasbourg, Nathalie Bittinger a dĂ©jĂ Ă©ditĂ© plusieurs ouvrages dont Or Norme vous a parlĂ©.
Pour ces fĂȘtes de fin dâannĂ©e 2022, elle nous a mitonnĂ© un amour de beau livre sur tout le cinĂ©ma dâanimation japonais qui, dans le sillage du maga dont les ventes explosent littĂ©ralement, a le vent en poupe.

La Strasbourgeoise a rĂ©ussi ce petit prodige de rĂ©unir une vĂ©ritable somme scientifique sur ce cinĂ©ma particulier tout en lâĂ©crivant et lâillustrant comme un ouvrage trĂšs grand public. Câest vraiment le cadeau idĂ©al pour un adepte du genre, mais aussi pour le nĂ©ophyte qui, comme nous, y apprendra beaucoup de choses. Pour couronner le tout, la maquette est sublime et lâobjet magnifiquement Ă©dité⊠a
AupaysdesmerveillesâTrĂ©sors
delâimaginationjaponaise, NathalieBittinger

Vous avez adorĂ© ou vous avez Ă©tĂ© intriguĂ© par les mystĂ©rieux Elfes dont nous parlons dans les pages de notre dossier spĂ©cial Islande de ce magazine. Alors, faites comme nous lors de notre voyage lĂ -bas et plongez-vous dans la lecture de ces vingt petites histoires tirĂ©es du folklore islandais. Chacune est accompagnĂ©e dâun commentaire passionnant sur le contexte dans lequel elle sâenracine. Vous finirez par dire (et penser) comme tous nos interlocuteurs de la terre de glace et de feu nous lâon ditâ: «âBien sĂ»r, les Elfes nâexistent pas. Mais bon⊠on aime cette idĂ©e quâils puisent ĂȘtre rĂ©elsâŠâ» a
Les lecteurs de Or Norme se souviennent des belles images de StĂ©phane Spach publiĂ©es en portfolio dans notre numĂ©ro 30 de septembre 2018. Difficile de rĂ©sumer ici lâunivers de ce photographe inspirĂ©. Dans sa prĂ©face, joliment titrĂ©e «âLe Temps et lâIntemporel, dans les choses muettes de StĂ©phane Spachâ», JĂ©rĂŽme ThĂ©lot Ă©voque «âun platonisme photographiqueâ». Câest une superbe mĂ©taphore. Ce livre photo se feuillette avec dĂ©licatesse et envie⊠a

C'est tous les ans le mĂȘme (trĂšs beau) rite. Les marchĂ©s de NoĂ«l sâinstallent et Simone Morgenthaler est au rendez-vous pour un nouveau livre. Cette annĂ©e, elle ausculte avec talent les mots orduriers du dialecte alsacien qui sont quelquefois de vĂ©ritables «âbombes atomiquesâ» dâune poĂ©sie et dâun humour ravageurs.

Tiens, au hasard de ces dĂ©licieuses 200 pagesâ: «âdâMĂčckeversschissenitĂ petefrĂ tzâ», littĂ©ralementâ: la gueule tapissĂ©e de chiures de mouchesâ».
Comme tu es vulgaire, Simoneâ! Comme câest bon⊠a

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Quelle excellente idĂ©e dâĂ©ditionâ! PlantĂ©e au beau milieu dâun immense couloir migratoire, notre cathĂ©drale sert dâĂ©tape et dâabri (de garde-manger, aussi) Ă de trĂšs nombreuses espĂšces dâoiseaux.
Paulien Bugeaon et CĂ©dric Chambin, tous deux passionnĂ©s de nature ont passĂ© deux ans Ă explorer et recenser les traces dâoiseaux et du monde sauvage au cĆur de notre ville. Le photographe Alain Mauviel a immortalisĂ© cet incroyable microcosme vivant. Le livre est surprenant et superbe⊠a

C'est un Ă©norme pavĂ© de prĂšs de 1â000 pages superbement Ă©ditĂ© par lâAtelier Contemporain qui rĂ©unit les Ă©crits du prolixe peintreĂ©crivain-polĂ©miste, ordonnancĂ©s et Ă©clairĂ©s par lâĂ©ditrice Christine Gouzi. PrĂšs de six dĂ©cennies de textes, notes, Ă©crits en tous genre qui, ainsi rassemblĂ©s et commentĂ©s, laisseront donc dĂ©sormais une trace unique dans lâhistoire de lâart⊠a


L'Ă©diteur strasbourgeois FrançoisMarie Deyrolle (LâAtelier Contemporain) rend un formidable hommage Ă Michel Butel, le journalisteĂ©crivain crĂ©ateur de lâAutre Journal, dont nous sommes nombreux, dans cette profession, Ă nous rappeler quâil fut parmi nous un des tout meilleurs. Quelle belle idĂ©e de rééditer, en fac-similĂ©, les 56 numĂ©ros de LâAzur, une autre de ses crĂ©ations. La maquette a certes vieilli, mais bon sang, pas un mot qui ne soit pas frais comme un gardon. ParallĂšlement le mĂȘme Ă©diteur rĂ©unit dans Lâautre Livre les cinq magnifiques romans-rĂ©cits que Michel Butel, disparu il y a dĂ©jĂ quatre ans, publia⊠a



QUI SONT-ILSâ?
Pourquoi, en pĂ©riode de difficultĂ©s financiĂšres, sâen prennent-ils avant tout Ă la cultureâ?
Et pourquoi avoir visĂ© une institution comme les musĂ©es, en imposant dorĂ©navant deux jours de fermeture hebdomadaireâ? Sans doute avec la conviction que cela ne concernait quâun public restreint et passif â une «âĂ©liteâ»â! Quâune municipalitĂ© ignore le poids symbolique de la culture, est en soi trĂšs alarmant. Mais quâune telle ignorance sâexprime dans une ville comme Strasbourg â avec un urbanisme exemplaire, une tradition musicale unique en France, un patrimoine architectural et musĂ©al dâun intĂ©rĂȘt artistique exceptionnel, et je pĂšse mes adjectifs â câest une faute politique.
Et dâabord, savent-ils seulement de quoi la culture est le nomâ?
Hannah Arendt a rappelĂ© quâelle est devenue un bien public dans lâEmpire romain. Le mot «âcultureâ», et ceci devrait intĂ©resser les Ă©cologistes, vient du latin colere, câest-Ă -dire cultiver, veiller sur, honorer, prĂ©serverâ! Le mot tire son origine et son emploi du soin que prenaient les Romains de la natureâ: ils considĂ©raient devoir Ă la culture de lâesprit les mĂȘmes soins quâils apportaient Ă la nature.
Ă partir du siĂšcle des LumiĂšres, la notion de culture dĂ©signe des savoirs, des sensibilitĂ©s, la conscience dâappartenir Ă une histoire. Enrichir ces savoirs, affiner cette sensibilitĂ©, Ă©clairer cette conscience, câest se cultiver. Câest aussi contribuer Ă dĂ©velopper lâesprit critique. Câest lâun des objectifs de lâenseignement, mais aussi des institutions culturelles auxquelles il peut sâadosser â le théùtre, les musĂ©es â ou des outils Ă sa disposition comme la lecture, le cinĂ©ma, la musiqueâŠ
La mission dâun pouvoir politique, quel quâil soit, lorsquâil est en charge des affaires dâune ville, est dâassurer la transmission des biens culturels aux gĂ©nĂ©rations futures en garantissant leur conservation, leur promotion et leur accessibilitĂ©, car ils sont un bien commun. Comment osent-ils en disposerâ?
«âVerdirâ» la citĂ© ne doit pas avoir pour contrepartie de considĂ©rer le patrimoine ancien ou contemporain, cette composante essentielle de la culture, comme une variable dâajustement.
Qui sont-ilsâ?
Ce sont les nouveaux commissaires du peuple qui savent ce qui est bon pour lui. Et ce qui est bon pour le peuple passe nĂ©cessairement Ă leurs yeux par une redĂ©finition de la culture, voire une Ă©radication de ce quâils pensent ĂȘtre la «âhaute cultureâ». Car leur ennemi jurĂ©, câest lâĂ©lite. Une catĂ©gorie gĂ©nĂ©rique dâindividus qui auraient le privilĂšge dâaccĂ©der Ă la culture «âdu hautâ». Câest pourtant grĂące Ă cette «âĂ©liteâ» â mĂ©cĂšnes, collectionneurs, interprĂštes, enseignants, Ă©diteurs, etc. â que les Ćuvres laissĂ©es par les crĂ©ateurs du passĂ© existent encore.
Le terme «âparticipatifâ» est devenu le maĂźtremot de ces populistes qui se mĂ©prennent sur leur vĂ©ritable responsabilitĂ©. En instaurant le «âparticipatifâ», pensent-ils combler le vide de leur propre incultureâ? Le vide de leur inaptitude Ă faire le choix de la crĂ©ation, de lâinnovationâ? Le vide, enfin, de leur incapacitĂ© Ă avoir une vĂ©ritable conscience historiqueâ? a
Roland Recht, historien de lâart, universitaire et conservateur de musĂ©e, chroniqueur et critique dâart. Directeur des musĂ©es de Strasbourg entre 1986 et 1993.
Or Champ est une tribune libre confiĂ©e Ă une personnalitĂ© par la rĂ©daction de Or Norme. Comme toute tribune libre, elle nâengage pas la responsabilitĂ© de la rĂ©daction de la revue mais la seule responsabilitĂ© de son signataire.





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