Escapades l Or Norme #53

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LE MAGAZINE

D’UN AUTRE REGARD SUR STRASBOURG

b GRAND ENTRETIEN

CLAUDE ONESTA

« L’histoire est en marche, on va réaliser le hold-up du siècle… »

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a ACTUALITÉ

TOUS JEUX, TOUS FLAMME !

Jeux olympiques et paralympiques 2024

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№53 JUIN 2024 ESCAPADES

a ACTUALITÉ

MIKE HORN

Rencontre avec l’explorateur : « What we dream we can do ! »

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Escapades

c CULTURE

TRANSMETTRE LES ÉTOILES

La quête de Corentin Kimenau contre la pollution lumineuse

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4e édition

Semaine Européenne du Numérique Responsable

17 >> 22 juin

débats | ateliers | rencontres

Gratuit - au Shadok

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STRASBOURG ET EUROMÉTROP O L E

ESCAPADES

Je t’aimais Dans l’orage des sèves

Je t’aime Sous l’ombrage des ans

Je t’aimais Aux jardins de l’aube

Je t’aime Au déclin des jours

Je t’aimais Dans l’impatience solaire

Je t’aime Dans la clémence du soir

Je t’aimais Dans l’éclair du verbe

Je t’aime Dans l’estuaire des mots

Je t’aimais Dans les foucades du printemps

Je t’aime Dans l’escapade des saisons

Je t’aimais Aux entrailles de la vie

Je t’aime Aux portails du temps.

Andrée Chedid, L’escapade des saisons écrivaine et poétesse (1920-2011)

En cette veille d’été qui tarde à s’installer, j’ai, moi aussi, finalement cédé à l’escapade...

Fatigué d’écrire en vain via les réseaux sociaux, mon dépit d’une société qui semble partir à vau-l’eau sur tant de valeurs fondatrices de notre civilisation.

Dépité par des institutions telles que l’ONU, donneuse de leçons aux démocraties, et qui se décrédibilisent avec un comité des droits de l’Homme présidé par l’Iran et un comité des droits de la femme présidé par l’Arabie saoudite.

Certes, nous évoquerons dans ce magazine les élections européennes, mais nous avons souhaité également une trêve olympique... et pas seulement pour évoquer les jeux qui arrivent en France cet été !

Alors nous parlerons performance avec Claude Onesta, aventure avec Mike Horn, mais également avec d’autres, d’amour, de sexe, de vin, de choucroute, d’art, de lumière, d’Histoire...sans oublier la poésie !

C’est donc avec ce poème d’amour d’Andrée Chedid que j’ai souhaité vous inviter à la lecture de ce numéro 53 d’ Or Norme , et nous souhaiter à tous de belles escapades estivales.

Puissent-elles nous inspirer et contribuer à réparer le Monde.

a OR NORME – N° 53 3 №53 — Juin 2024 — Escapades

b Grand entretien

Claude Onesta

06-15

« L’histoire est en marche, on va réaliser le hold-up du siècle… »

E Société

118 Forces femmes Le coup de boost des plus de 45 ans

122 La choucroute d’Alsace IGP

Légume star de l’année

126 Vins Ceci n’est pas un vin

130 Itinerari Secrets et saveurs de la cuisine italienne

132 Événements partenaires

a Culture

40 Audiodescription

Emeline Chiron crée

des images avec des mots

44 Hugo Invernizzi

Un pied dans la peinture

46 Huit décennies plus tard... « Bonsoir, je suis Henriette... »

50 Le jour où...

Georges Clooney a sauvé les vitraux de la cathédrale

54 Hélène Rastegar (↖) Au pays de son père

56 Transmettre les étoiles

La quête de Corentin Kimenau contre la pollution lumineuse

70 Romain Schmitt

Le maestro de Rififi

74 Morgane Royo

Contemporanéité et Caravage

78 Julie Doucet (←) Électron libre

82 Cinéma Rendre à la folie

toute son humanité

86 Roland Reutenauer

Le poète des paysages

114 Musique

Bruce Springsteen, Nebraska

134 Sélection

Événements, livres, expositions...

S Actualités

16 Tous Jeux, tous Flamme !

22 Justice Le procès des attentats de 2018

26 Parler sexe

Israël Nisand parle cash...

30 Mike Horn (↓) “What we dream we can do!”

38 Pap Ndiaye croit aux combats du Conseil de l’Europe

88 Élections européennes

La Space Odyssée d’Odette

92 Uzaje Réemploi à Strasbourg

96 Ordonnance verte

Strasbourg pionnière

100 Le parti-pris de Thierry Jobard Viles villes

106 Mari in Borderland

Mad Max: Fury Road

108 Moi Jaja Est-ce que ce monde est sérieux ?

116 Dessin L’œil de Victoria

a Portfolio

60 Corentin Kimenau

Q Or Champ

142 Lev Fraenckel

Sauver l’école ou la changer ?

4 №53 — Juin 2024 — Escapades
SOMMAIRE JUIN 2024

SOLUTIONS TERRE CUITE | MUR-TOITURE-FAÇADE

La Terre demande toute notre attention

D’ÉMISSIONS CARBONE -15% 2023

2050 CARBONE NEUTRALITÉ

La Terre demande toute notre attention, est l’engagement de chacun d’entre nous à être, chaque jour, totalement impliqué à atteindre nos objectifs, ambitieux et passionnants, éthiques et pragmatiques, pour l’environnement.

Au programme : neutralité carbone en 2050, recyclabilité et réutilisation à 100% de tous nos nouveaux produits et préservation de la biodiversité dans tous nos sites. Parce que notre engagement doit être durable, nous avons créé notre programme d’actions collaboratives « Tous engagés pour la Terre ». wienerberger.fr

Claude Onesta

« L’histoire est en marche, on va réaliser le hold-up du siècle »…

C’est à Ivry, dans la proche banlieue sud-est de Paris. Un immeuble d’entreprises du tertiaire, comme il y en a tant. Il y a fort à parier que chaque jour, dans l’ascenseur, une multitude de cadres croisent sans vraiment le réaliser le chemin d’un homme qui possède le plus beau palmarès parmi les entraîneurs français et qui, méticuleusement, s’échine depuis plusieurs années à faire briller la France au firmament des médailles d’or des prochains JO. À l’Agence nationale du Sport, spécialement créée pour cet objectif, rencontre avec Claude Onesta, manager général de la Haute Performance…

b GRAND ENTRETIEN Jean-Luc Fournier Franck Disegni
Jeuxolympiques 2024 7 b GRAND ENTRETIEN — Claude Onesta №53 — Juin 2024 — Escapades

Il y a, d’entrée de jeu, des signes qui ne trompent pas… La poignée de mains ferme et généreuse, d’abord (avec le regard franc et direct qui va avec…), puis, dans la foulée, cet accent rocailleux du sud-ouest qui nous envahit chaleureusement l’oreille : quand on est né à Albi et que soixante-sept ans plus tard, on a conservé l’intégralité de cet accent-là, ça doit vouloir dire qu’on est resté 100 % authentique, non ?

Puis, un peu plus tard, le déroulé d’un CV édifiant dont la toute première ligne évoque des études de prof de gym volontairement délaissées (« j’étais hors-norme déjà, je ne me voyais pas fréquenter la salle des profs durant toute ma vie… ») pour devenir éducateur-entraîneur de handball dans son « club de toujours » (Toulouse – ndlr) « et pour zéro balle, car le club n’avait pas le sou, mais avec la 1re Division au bout du chemin. »

Enfin, arrive le temps où on décide de transmettre tout ce qu’on a reçu de tant et tant d’éducateurs passionnés, le temps où on devient l’un d’entre eux, pleinement, sans concession. Avec, bien plus tard, à la clé, le titre de meilleur entraîneur national tous sports

confondus avec ce stratosphérique palmarès qui dit tout : deux médailles d’or olympiques, une d’argent, quatre titres de champion du monde et trois de champion d’Europe ! Neuf finales mondiales jouées, une seule de perdue. Comment dire ? Ça doit être ça, la compétence totale, non ?

Alors, à une encablure du début des JO en France, on s’en est allés interviewer Claude Onesta. Parce qu’on savait qu’il avait deux ou trois choses importantes à nous dire… Un entretien qu’il faut entendre autant que lire, avec les R qui rrrroulent et cette inimitable faconde des gens du Sud…

Avant de parler de votre mission, celle qui va prendre fin le 11 août prochain quand la flamme olympique s’éteindra, on aimerait que vous reveniez sur certaines étapes de votre carrière professionnelle. Parce qu’elles disent beaucoup de l’homme que vous êtes… J’ai tellement bénéficié de tous ces gens qui se sont occupés de moi quand j’étais petit… Ils ont donné beaucoup de temps pour m’apprendre à devenir un sportif, à devenir un homme puis à devenir un vrai éducateur.

« Le sport de haut niveau, c’est un don, c’est un partage, c’est vivre avec les autres et vivre avec eux tous les projets. »

Après, est arrivé un moment où cela a été mon tour de rendre tout ça à d’autres. Je suis devenu cadre technique d’État Jeunesse et Sports et je me suis retrouvé chez moi, en Midi-Pyrénées, comme celui qui allait développer le handball en formant les joueurs, les entraîneurs, les dirigeants… À ce moment de ma vie, j’ai donc tout : j’ai un métier qui me fait bouffer et parallèlement, en entraînant mon club de toujours, j’ai cette passion dont j’ai tant besoin… Avec ce privilège de réaliser que je vais pouvoir ainsi aller au bout de mes idées et de mes expériences. J’avais compris depuis longtemps déjà qu’il y avait derrière tout ça la volonté claire de ne jamais me retrouver à être contraint par le système, cette liberté qui a toujours été mon objectif principal. Donc, en 2001, quand on m’appelle pour prendre la succession de Daniel Constantini à la tête de l’équipe de France de handball, je me suis dit que j’allais devoir accomplir cette mission en accord avec mes convictions profondes. Je pensais déjà que la vraie image du sport de haut niveau n’était pas celle que raconte tout le monde : l’endroit de la souffrance et de tous les sacrifices, une histoire de forçats. Non, le sport de haut niveau, c’est un don, c’est un partage, c’est vivre avec les autres et vivre avec eux tous les projets. Pour moi, c’en était fini du management militaire, très vertical, très descendant, avec le sachant et les apprenants. En gros « Ferme ta gueule, si je te dis de faire comme ça, tu fais comme ça… ». D’abord, quand j’étais joueur, je n’aurais pas aimé qu’on m’impose les choses de cette façon-là. Et puis ensuite, comme j’avais vraiment le sentiment d’être loin de tout savoir et tout maîtriser moi-même, je savais bien que si je ne m’associais pas à d’autres pour qu’on puisse tous ensemble cumuler nos savoirs, ça ne marcherait pas. Alors, j’ai tiré profit de cette multitude de compétences que nous possédions tous. Et au final, il y a eu cette réussite avec l’équipe de France, ces dix titres gagnés en seize ans, même moins si on considère le temps qu’il a fallu pour tout mettre en place…

Justement, parlons-en de cette réussite-là. Quel effet cela fait de se dire qu’on est l’entraîneur le plus titré de France, toutes disciplines confondues ? Ça a changé quelque chose chez vous ?

Non. Parce qu’aujourd’hui, au moment de quitter la scène à soixante-sept piges, je continue à douter. J’arrive au bout, je sais des choses bien sûr, mais je suis comme Gabin dans sa chanson : je sais qu’on ne sait jamais !

Bien sûr qu’à mon âge, tu sais un peu. Mais il y a ceux qui savent peu et qui l’étalent beaucoup et il y a ceux qui, tous les jours,

8 b GRAND ENTRETIEN — Claude Onesta №53 — Juin 2024 — Escapades

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se disent : ce que je sais aujourd’hui ne suffira peut-être pas demain pour résoudre les problèmes et il me faut donc trouver autre chose pour continuer à… Alors, qu’est-ce que ça fait de se dire qu’on est l’entraîneur le plus titré du pays ? Et bien, je suis passé également avec l’équipe de France par des moments de doute voire de lourdes tempêtes – on perd les Jeux à Athènes en 2004 où on finit cinquièmes – une vraie sensation d’échec où j’ai énormément appris en analysant après-coup cette contre-performance et réalisé que le groupe de joueurs et moimême avions de nous une image peut-être surévaluée. Tu te dis que, tout compte fait, on s’était auto-persuadé qu’on allait parvenir au podium et qu’on n’avait peut-être pas tous les ingrédients pour y parvenir… On a pas mal dérouillé à ce moment-là. Et six mois plus tard, on a un championnat du monde en Tunisie et on est à deux doigts de rentrer chez nous dès les matchs de poule. Si ça avait été le cas, mon histoire avec l’équipe de France se serait arrêtée net et je me serais retrouvé aligné avec d’autres couillons d’entraîneurs sur la pire étagère du sport français ! À l’époque, je n’étais évidemment pas le pire entraîneur, c’est pour ça qu’aujourd’hui, je n’ai aucun mal à penser que je ne suis pas le meilleur… Et puis, bon, je sais bien que mes joueurs, même sans moi, avaient suffisamment de talent pour pouvoir être titrés de temps à autre…

En revanche, je sais aussi que sans la mise en place de cette organisation et de l’état d’esprit que j’évoquais, on n’aurait jamais eu la continuité et la pérennité des titres que nous avons remportés. C’est cette collaboration, cette cohésion, cette dynamique collective qui ont rendu l’équipe plus forte, au point que même quand on arrivait au moment des matchs les plus difficiles, on n’était pas meilleurs que les autres, mais tellement plus solides et soudés qu’à la fin, quand ça devenait très, très compliqué, la bascule se faisait inéluctablement en notre faveur… Pour avoir initié ce projet-là dès le début des années 2000, je sais bien qu’à ce moment-là, beaucoup d’entraîneurs me regardaient en pensant que j’étais fou, comme un type qui vit dans un monde parallèle. Et puis, au fil des années, les mêmes revenaient vers moi et me demandaient des tuyaux. Aujourd’hui, on sait que ce chemin est possible…

Venons-en à aujourd’hui. Lors de la dernière Olympiade, celle de Tokyo, en 2021, la France escomptait une quarantaine de médailles et n’en a glané que trentetrois, dont dix en or. Ce dernier point est important, car seules ces médailles d’or concourent au classement des nations au niveau olympique. La France termine au 8e rang, ce qui, honnêtement, est le pire des classements depuis plusieurs décennies. Nous n’étions plus alors qu’à trois ans de l’organisation des Jeux dans notre pays. À un certain niveau, celui de

l’Élysée, on prend alors conscience de l’urgence de réagir. Et le président de la République fixe un objectif : celui d’être dans le Top 5 des nations olympiques lors des Jeux de Paris. C’est comme cela que cela s’est passé ?

Dès l’automne 2017, Laura Flessel (l’ex-championne d’escrime, alors ministre des Sports dans le premier gouvernement ayant suivi l’élection d’Emmanuel Macron –  ndlr) me demande conseil pour savoir comment se mettre en route pour obtenir de meilleurs résultats aux Jeux de 2024. À l’époque, elle évoque même quatrevingts médailles ! Je lui réponds : tu es bien gentille, mais tu te rappelles évidemment combien ça coûte de gagner une médaille puisque tu en gagné cinq dont deux en or ! (il se marre franchement – ndlr). Et, au-delà de faire des résultats, on me confie alors la mission de créer les conditions de la transformation du modèle sportif français. Ce modèle date des années soixante, de l’époque du général de Gaulle qui, après les piètres résultats aux jeux de Rome en 1960, avait piqué, dit-on, une colère noire au retour de la délégation en parlant d’une véritable honte pour le pays. Alors, il a lancé un grand plan : on a créé les sports-études pour permettre aux meilleurs de nos athlètes de s’entraîner tout en poursuivant leurs études, on a inventé les postes de cadres techniques et de directeurs techniques nationaux et on s’est mis à structurer considérablement tout ce champ du sport de haut niveau…

10 b GRAND ENTRETIEN — Claude Onesta №53 — Juin 2024 — Escapades
« Et le président de la République a fini par me tendre vraiment la perche : vous y allez ? »

De nouveaux et importants moyens financiers ont été débloqués…

Oui, et on a pu engager les choses sans punir qui que ce soit. Cela nous a permis de ne pas enlever d’argent à certains qui l’auraient bien sûr mal vécu. Tout l’argent supplémentaire que nous avions a été ciblé de façon très précise sur tout ce qui n’avait jamais été traité précisément…

En fait, vous avez expressément choisi d’agir auprès d’une population que vous connaissiez évidemment à merveille, celle des entraîneurs. Expliqueznous cette stratégie du « Plan coachs », comme vous l’avez nommée…

On a fabriqué en fait un modèle hybride entre celui des élites des universités américaines et celui du modèle d’État de l’Union soviétique d’alors…

C’est exactement ça. Et cette formule a transformé le sport français. Mais, à part quelques petites touches, il n’a jamais été réformé depuis six décennies. L’administration, elle, ne s’est pas transformée et il faut bien reconnaître que les moyens financiers n’ont pas toujours été à la hauteur. Et là, ce qui nous a soudainement obligés, ce sont les Jeux organisés dans notre pays. Si on s’était contenté de faire comme d’habitude, on n’aurait jamais été au rendez-vous. Donc, on me dit de venir, je prends trois ou quatre mois pour analyser tout ça et je me rends compte assez vite que cette analyse a déjà été faite auparavant par d’autres que moi, mais qu’il n’y a alors jamais eu la moindre volonté politique de mettre en œuvre cette transformation. À ce moment-là, il est évident que si rien ne se passe assez rapidement, l’évaluation qu’on fera après Paris 2024 va quelque peu piquer, comme on dit. Et le président de la République a fini par me tendre vraiment la perche : vous y allez ?

Soyez transparent, c’est vous qui lui avez inspiré le Top 5 ?

C. O. : Je l’ai évoqué… (large sourire –ndlr). Il m’a demandé de faire une note juste avant de recevoir les sportifs de la délégation française de Tokyo, de façon à nourrir un discours mobilisateur en vue des Jeux de Paris. Je lui ai dit d’abord ce qu’on pouvait raisonnablement estimer en termes de résultats puis ensuite je lui ai adressé une liste de courses (nouveau très large sourire – ndlr), c’est-à-dire tous les moyens financiers et humains à mettre en œuvre…

Et il dit « Banco » ?

Oui, il dit « Banco ! » Mais entre-temps,

j’ai eu la chance de voir arriver Jean Castex au poste de Premier ministre. D’abord, il est devenu le premier président de l’Agence nationale du Sport créée pour l’occasion et en même temps, il a été délégué interministériel aux Jeux olympiques. Pour être franc, je ne le connaissais pas du tout auparavant. Jamais entendu parler de lui ! Tout le monde me disait qu’il fallait que je le rencontre. Et moi je demandais qui il était… Il est délégué interministériel, me dit-on… Moi, les strates institutionnelles, ce n’est pas mon truc. Il est RPR, ajoute-t-on. Bof, c’est pas mon truc non plus… Et il a fait l’ENA… Pfff, là ça se complique… Bon, s’il faut vraiment le rencontrer, allons-y… Et je vois arriver un type qui parle… avec le même accent que moi. Oh ! merde ! je me dis qu’il y a au moins un truc qui peut nous raccrocher. Et en fait, je me rends compte que j’ai devant moi un homme charmant, qui bénéficie d’une compétence rare et on se met donc à partager cette aventure, lui, supervisant l’ensemble des ministères engagés sur le projet olympique, les constructions, l’organisation, etc. et donc, également le champ de la performance. Il devient immédiatement mon interlocuteur au quotidien, moi qui jusqu’alors étais tout seul dans la galère pour construire un monde qui n’existait pas, avec une administration qui se sentait dépossédée du bébé et qui ne le vivait pas très bien, pour employer un euphémisme, et des fédérations qui avaient l’impression qu’on venait leur dire chez elles comment il fallait faire… En gros, Jean Castex m’a dit tout de suite : si tu as besoin de quelque chose, dis-le-moi, j’arbitrerai ce qu’il faudra arbitrer. Il connaissait plus que parfaitement le projet et toutes ses problématiques et du coup, tous ceux qui voyaient ces changements d’un mauvais œil se sont faits assez vite discrets. C’est à partir de là qu’on a pu à fond s’engager dans cette histoire, le truc s’est accéléré…

On a agi avec pragmatisme. On sortait des Jeux de Tokyo, avec les résultats que vous avez déjà évoqués et on n’avait plus que trois ans devant nous. La réalité était là, incontournable : on allait devoir faire les Jeux de Paris avec quasiment les mêmes athlètes que lors des Jeux de Tokyo. Dans ces conditions, comment pouvait-on faire pour multiplier les bons résultats ? Einstein avait dit un jour un truc du genre : « La folie, c’est de faire toujours la même chose et de s’attendre à un résultat différent ». On était exactement face à cette problématique… Donc, j’explique au président de la République les réalités de ce métier d’entraîneur que je connais bien. Je lui raconte comment j’ai déjà constaté que nous avions de très bons entraîneurs qui, chaque jour, s’ingéniaient à améliorer la technique des sportifs sous leur responsabilité. Mais ça, ce n’est qu’une partie du métier. Le reste, c’est d’apprendre à l’athlète à gagner. Tu peux en effet travailler en permanence pour t’améliorer et ne pas être au rendez-vous le jour J. Pour avoir beaucoup discuté avec les coachs à Tokyo, j’ai eu le sentiment que le jour de la compétition, certains devenaient comme spectateurs de l’échec de leurs protégés. Alors que ce métier, c’est justement de trouver des solutions pour lutter contre ça. Sincèrement, jusqu’alors, on avait comme fonctionnarisé un métier qui, aujourd’hui, dans le sport moderne, ne peut plus fonctionner comme ça. C’est un métier qui est devenu instable, les contrats sont à durée limitée et les projets sont compliqués. L’insécurité y est permanente. Il nous fallait donc lancer ce Plan Coachs, avec des bases claires : beaucoup plus d’argent pour parfaitement motiver les coachs et faire qu’ils retrouvent de l’ambition, de la dynamique et de l’engagement. Faire en sorte que des gens qui se sont petit à petit usés au travail parce qu’on ne les a jamais vraiment ni écoutés, ni reconnus, ni valorisés entendent enfin : « Ce que tu

11 b GRAND ENTRETIEN — Claude Onesta №53 — Juin 2024 — Escapades
« Ce qui était un rêve fou en 2017, (...) devient en ce printemps 2024 un objectif à notre portée qu’il va nous falloir nous efforcer d’atteindre à tout prix cet été… »

fais, c’est bien et parce que c’est bien, on va te payer un peu plus cher, on va valoriser ainsi ce tu as déjà fait puis on va t’accompagner de manière individualisée, financer tes besoins, te payer peut-être un intervenant qui va te faire monter en compétence, etc. ».

On a monté également un programme de séminaires pour que les coachs puissent partager leur expérience et leur aventure. Un jour, il n’y a pas longtemps, la ministre m’a demandé comment ça se passait. J’ai résumé en une phrase : « Ils ont tous grandi de dix centimètres, ils ont relevé la tête, ils respirent, ils ont repris de l’énergie, ils vont repartir à la guerre avec le couteau entre les dents. »

Et le résultat de tout ça se voit déjà dans le comportement de nos sportifs dans leurs championnats du monde ou d’Europe de 2023. Comparés aux mêmes championnats en 2019, juste avant Tokyo, avec pratiquement les mêmes athlètes, on a doublé le nombre de podiums. Ça, c’est du factuel, ce n’est pas du rêve ou de l’espérance. Voilà le résultat d’un accompagnement plus précis au niveau des entraîneurs qui ont répercuté cet état d’esprit auprès de leurs athlètes. Tout ça monte en puissance et je pense que ce qui était un rêve fou en 2017, un rêve qu’il fallait s’efforcer de porter en 2021, devient en ce printemps 2024 un objectif à notre portée qu’il va nous falloir nous efforcer d’atteindre à tout prix cet été…

Une étude très sérieuse, Gracenote, de l’Institut Nielsen confirme vos dires. Ce « tableau virtuel des médailles – VMT »

été publié au début du mois d’avril et on y lit textuellement : « La France, pays hôte, devrait augmenter fortement son nombre de médailles par rapport aux 33 médailles remportées à Tokyo. Le tableau virtuel des médailles place la France en troisième position pour les médailles d’or, derrière les ÉtatsUnis et la Chine, et son total prévu de 28 médailles d’or ne serait pas loin du nombre total de médailles de la France aux derniers Jeux olympiques… » Ce n’est pas la première fois que cette étude est publiée et généralement, lors de chaque Olympiade, ses prévisions se réalisent…

C’est une entreprise commerciale. Pour que son produit se vende, il faut qu’il soit juste… Moi, je suis plutôt quelqu’un de raisonnable, donc ces prévisions me paraissent peut-être excessives, mais eux agissent beaucoup sur un paramètre que nous ne savons pas bien évaluer : l’influence du home advantage, celui de « jouer à domicile ». Ils l’ont étudié et mesuré depuis quatre ou cinq Olympiades, je pense qu’ils savent le jauger à bon escient… Peu importe, dirons-nous. Quoi qu’il arrive, pour nos couleurs, on peut donc s’apprêter à vivre nos meilleurs JO depuis 1900…

Sans m’avancer trop, je pense que ce sera le meilleur résultat que nous n’avons jamais fait.

Vous avez même dit : « L’histoire est en marche, on va réaliser le hold-up du siècle »…

Je suis dans mon rôle en disant ça. J’ai managé des équipes toute ma vie, je sais donc très bien que si tu te mets toi-même en protection, tu vas très vite te retrouver devant un problème : comment vas-tu dès lors demander aux autres de se jeter à l’eau ? Donc, le premier qui doit plonger, c’est moi ! Je le fais d’autant plus facilement que je me sens tout à fait libre. Si demain on vient me dire que je n’aurais pas dû faire ci ou ça, je m’en fous : ce que j’ai gagné, personne ne me l’enlèvera, donc d’une certaine façon, ça ne fera jamais de moi le dernier des derniers. Et puis, j’arrive au bout de mon parcours, donc je n’ai plus à penser au coup d’après. Ce qui nous bouffe tous aujourd’hui, dans le sport comme ailleurs, c’est que tu n’as même pas le temps d’arriver au bout d’une action que tu es déjà en train de te projeter sur la réalisation de la suivante. Moi, derrière les JO, je rends les clés et je pense que j’aurais fait ma part du travail dans le sport français. Alors, je le redis très clairement : je crois qu’on va faire une performance majeure qui sera en total décalage avec ce qu’on pouvait espérer il y a encore trois ans. Moi qui ai marché toute ma vie sur toutes sortes de chemins, je suis convaincu qu’il n’y a que les utopistes qui font changer le monde. Tous les normés ne font que le faire vivre au ralenti. Dans l’histoire de l’humanité, si tu n’as pas un jour Christophe Colomb, ce fou qui monte sur un bateau et quitte le port sans vraiment savoir où il va, avec de l’eau et de la nourriture qu’il espère suffisante… Il part quand même, il va explorer. En ce qui me concerne, ce n’est pas dans ma nature de faire et refaire ce que les autres ont déjà fait. Même en ayant bien pris la mesure de tout ce qui a pu être réalisé jusque-là…

On a nettement le sentiment, et aussi peut-être l’espoir, que, quel que soit le rang atteint par la France l’été prochain lors des JO, la donne aura changé pour le sport français…

Ce serait prétentieux de ma part d’affirmer ça. L’avenir le dira… Mais je pense que c’est la mission que j’ai acceptée dès le premier jour. On ne m’aurait demandé que de faire des médailles… Des médailles, j’en ai eu plein, honnêtement je ne les ai jamais exposées et je ne sais même pas où elles sont rangées chez moi. Ma mission, je vous l’assure, est allée bien au-delà de la seule performance de notre équipe de France olympique. J’en ai pris des coups, bien plus que tous ceux encaissés lors de ma propre carrière d’entraîneur et de sélectionneur. Ces dernières années, j’ai travaillé dans un monde que je ne connaissais pas,

12 b GRAND ENTRETIEN — Claude Onesta №53 — Juin 2024 — Escapades
B C D E F G
A 0 g CO 2/km
« Je suis en train de terminer ma dernière mission d’éducateur, ce drôle de type qui, obstinément, s’applique pour qu’un jour, son élève n’ait plus besoin de lui et puisse alors voler de ses propres ailes. »

en dérangeant des gens qui ne voulaient pas que ça change. Et d’ailleurs, franchement, j’aurais été à leur place, peut-être que j’aurais réagi comme eux l’ont fait… Mais, parvenir à faire changer les gens en si peu de temps, parvenir à les embarquer dans une telle aventure, ce fut formidable…

Aujourd’hui, il n’y a plus de conflit parce que tout le monde a compris que la réalité de ce qui nous attend nécessitait de faire tout ce qu’on a fait. Et surtout, tout le monde est bien conscient que le sport français n’a jamais eu autant de moyens que ce dont il dispose aujourd’hui et qu’il n’a jamais eu autant d’outils performants que ceux qu’on a mis à sa disposition. Ces avancées sont fondamentales, on ne reviendra plus en arrière. D’une certaine façon, on a tracé les axes prioritaires pour les vingt prochaines années… alors oui, ça valait le coup de ne pas renoncer à cette mission, car j’avoue que plus d’une fois, j’ai été proche de renoncer. Quand tu es un sportif, tu peux peut-être battre les Américains, les Russes ou les Chinois, mais Bercy, la haute administration, pfff… À chaque fois, c’est cette liberté que j’ai gagnée sur tous les terrains du monde qui me motivait pour continuer. J’avais prévenu tout le monde : si on me contraignait à déconstruire quoi que ce soit, ou si on m’emmerdait pour des histoires débiles et que ça commençait à tourner en rond, je me barrais dans le quart d’heure ! N’empêche : je savais bien que pour cette gigantesque transformation, il fallait quelqu’un comme moi, protégé par une notoriété certaine, reconnu pour son parcours dans le haut niveau. Je reconnais qu’on m’a laissé toute liberté d’action. Je n’ai jamais perdu de vue que si je ne m’attaquais pas à cette mission, j’allais finir comme pas mal d’autres qui avaient cerné le truc et n’avaient jamais pu le mettre en œuvre. Leurs rapports sont sur des étagères, depuis des décennies. Alors, oui, je suis en train de terminer ma dernière mission d’éducateur, ce drôle de type qui, obstinément, s’applique pour qu’un jour, son élève n’ait plus besoin de lui et puisse alors voler de ses propres ailes. Voilà, ça va arriver dans quelques semaines, maintenant… b

14 b GRAND ENTRETIEN — Claude Onesta №53 — Juin 2024 — Escapades

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Tous Jeux, tous Flamme !

Partenaire premium des Jeux olympiques et paralympiques de Paris 2024 et parrain officiel du Relais de la Flamme, la Caisse d’Épargne et son antenne du Grand Est sont totalement investies pour faire de l’événement un rendezvous utile pour tous.

Être utile aux athlètes, aux territoires et à la société, c’est tout le sens du « pacte utile » créé en 2022 par la Caisse d’Épargne, afin que les Jeux olympiques et paralympiques de Paris 2024, dont elle est l’un des principaux partenaires, puissent trouver des résonnances bien au-delà des seuls jours de compétition qui embraseront le pays. Au cœur de ce programme d’engagement, la construction d’espaces pour favoriser la pratique sportive, le soutien aux athlètes, sans oublier le partage d’émotions, au travers des différentes cérémonies pour lesquelles elle offre une multitude d’accès.

La Caisse d’Épargne Grand Est Europe a pris toute sa part dans ce vaste dispositif national. « En termes d’équipements, nous avons acheté en 2022 un terrain mobile de basket 3x3 et en avons fait don à la Ligue du Grand Est qui le prête à des collectivités et à des associations », débute Marie-Christine Rouard, directrice de la communication de l’antenne régionale. « Concernant le relais de la Flamme olympique », poursuit-elle,

« nous avons notamment eu la charge de recruter 32 relayeurs individuels pour son passage dans la région. Dix d’entre eux ont été tirés au sort à partir d’une plateforme dédiée qui a recueilli plus de 2000 candidatures, alors que les 22 autres ont été choisis par nos soins, parmi nos clients et nos collaborateurs. Pour réaliser cette sélection, on est parti sur une idée simple : trouver des personnes ordinaires qui font des choses extraordinaires ».

DEUX FEMMES EXEMPLAIRES

Les noms de Constance Schaerer et d’Ilhame Raguig se sont vite imposés pour figurer sur la liste alsacienne. Toutes deux ne s’attendaient pas à un tel honneur. « Quand on m’a annoncé la nouvelle, j’ai été “choquée”, flattée et très reconnaissante. Porter la flamme, c’est un truc de ouf ! », se souvient la première. « J’ai vécu ça comme une très grande surprise », embraye la seconde. « Ce sera une grande fierté de représenter mon sport qui sera absent des Jeux ». La boxe française,

« Concernant le relais de la Flamme olympique, nous avons notamment eu la charge de recruter 32 relayeurs individuels pour son passage dans la région. »

Marie-Christine Rouard, directrice de la communication de la Caisse d’Épargne Grand Est Europe.

17 S ACTUALITÉ №53 — Juin 2024 — Escapades
Olivier Métral DR
Paul Bulai
Olivier Métral – Sabrina Schwartz
S ACTUALITÉ — RELAIS DE LA FLAMME
Jeux olympiques 2024

dont Ilhame est sans doute la plus grande ambassadrice, ne figure effectivement pas dans la liste des disciplines olympiques, malgré son introduction aux Jeux de Paris en 1924, en tant que sport de démonstration. Multiple championne de France, d’Europe et du monde, cette gestionnaire de clientèle patrimoniale au sein de la Caisse d’Épargne a remporté un tout autre combat en 2022, en se relevant d’un cancer du sein diagnostiqué à l’âge de 35 ans. Deux mois seulement après une longue année de traitements, elle renfile les gants pour repartir à la conquête de ses titres. « Il n’était pas question pour moi de mettre un terme à ma carrière à la suite de cet épisode ». En mai 2023, elle récupère de haute lutte sa ceinture nationale – « physiquement, je suis allée au bout du bout » –, avant de décrocher l’or au Championnat d’Europe, à Zagreb, six mois plus tard.

Constance Schaerer, de son côté, vit le rêve de son père par procuration. De manière testamentaire, même, puisqu’il avait émis le souhait, avant de se succomber en 2007 à un cancer du pancréas, que ses cendres soient dispersées sur les plus

hauts sommets de chaque continent, ceux qu’il aurait lui-même voulu atteindre. Le Kilimandjaro, en Afrique, le Mont Blanc, en Europe, et l’Aconcagua, en Amérique du Sud, ont déjà été gravis par la jeune femme de 25 ans. Fondatrice de l’association « 7 sommets contre la maladie »*, qui accompagne des enfants dont les parents souffrent d’un cancer, Constance s’attaque ces jours-ci à sa seconde ascension du Denali, en Alaska – sa première tentative ayant échoué l’an dernier, avec un retour prévu à Strasbourg quelques jours seulement avant d’y porter la flamme olympique, le 26 juin prochain, et se fixe comme objectif l’Everest en 2025. « Paradoxalement, le Denali me fait plus peur que l’Everest », racontait-elle avant son départ, « les mauvaises conditions météo y sont permanentes ».

UNE AVENTURE HUMAINE HORS NORME

Dans ce qu’il dégage en termes de détermination, les parcours sportif et humain de Constance et d’Ilhame se superposent à ceux des athlètes que la Caisse

18 S ACTUALITÉ №53 — Juin 2024 — Escapades
Constance Schaerer Ilhame Raguig

d’Épargne soutient dans leur rêve olympique. Ils sont près de 250 à l’échelle nationale, 8 dans le Grand Est, dont 3 sur le seul secteur strasbourgeois : le paratriathlète Jules Ribstein, le basketteur Léopold Cavalière et l’escrimeuse Sara Balzer. « Ils bénéficient certes de notre soutien financier, mais aussi du support moral de toute une entreprise qui pousse derrière eux », souligne Marie-Christine Rouard. « Les échanges à bâtons rompus que nous organisons entre eux et nos collaborateurs dépassent le simple cadre sportif. Ce sont des rencontres humaines très fortes, véritablement inspirantes et pour tout dire exceptionnelles ».

Il est des flammes dont on voudrait qu’elles ne s’éteignent jamais. S

« Ce sont des rencontres humaines très fortes, véritablement inspirantes et pour tout dire exceptionnelles. »
Marie-Christine Rouard
19 S ACTUALITÉ №53 — Juin 2024 — Escapades
*
7 sommets contre la
Instagram : @7sommetscontrelamaladie
Marie-Christine Rouard porte la flamme olympique entourée de collaborateurs.
Association
maladie

Paré pour les paralympiques Jules Ribstein

Quadruple champion du monde, le paratriathlète

Jules Ribstein ambitionne d’ajouter un titre paralympique à son riche palmarès.

À38 ans, Jules Ribstein règne sur sa discipline. Amputé au-dessus du genou de la jambe gauche en 2008 après un accident de moto, le paratriathlète alsacien a décroché un premier titre national en 2018 et, depuis, engrangé deux titres continentaux d’affilée (2019 et 2021) et quatre couronnes mondiales (2019, 2021, 2022, 2023). Désormais, il ne manque plus qu’une médaille olympique au palmarès du licencié à l’ASPTT Strasbourg. Absente des Jeux paralympiques de Tokyo en 2021, sa catégorie sera remise au programme de Paris 2024 et le numéro 1 mondial ne change pas une méthode qui a fait ses preuves.

« Ma préparation physique pour ces Jeux paralympiques n’est pas différente des autres années. Tous les ans, j’ai une échéance à la même époque, les compétitions mondiales se déroulent en octobre ou en novembre, la course des Jeux, elle, aura lieu le 1er septembre, donc il n’y a pas de raison de modifier quoi que ce soit. En revanche, mentalement, depuis le milieu de l’année dernière, je suis une préparation psychologique pour réussir à faire abstraction de la pression et des circonstances particulières qui entourent cet événement. »

En septembre, Jules Ribstein sera le favori de l’épreuve, statut qu’il a désormais l’habitude d’endosser, mais qui est de plus en plus difficile à défendre. « L’approche et l’excitation ne sont pas les mêmes suivant qu’on défend un titre ou qu’on participe à une compétition pour le décrocher. Je pars avec la pancarte dans le dos par rapport aux autres participants, c’est beaucoup plus

difficile. Lors du Championnat du monde en septembre 2023, je gagne avec seulement 20 secondes d’avance ce qui prouve que la concurrence est toujours plus relevée ». S’imposer au bout de 750 m de natation, 20 km de cyclisme et 5 km de course à pied nécessitera de réaliser une performance de très haut niveau. « J’ai envie de chercher une médaille d’or, j’en ai

Jules Ribstein est champion de France, d’Europe et du monde de paratriathlon dans la catégorie PTS2.

effectivement les capacités, convient Jules Ribstein. Mais je veux faire ces Jeux pour représenter mon pays de la meilleure façon qu’il soit, que le jour de la compétition j’utilise au mieux mes capacités par rapport aux conditions de la course. Et puis, une fois que le départ est donné, on se mettra en mode automatique ». La tête au service des jambes. S

20 S ACTUALITÉ №53 — Juin 2024 — Escapades
S ACTUALITÉ — ATHLÈTES
2024
Jeuxolympiques

Rose des sabres Sara Balzer

En dominant la Coupe du monde de sabre féminin

cette saison, Sara Balzer a consolidé son statut de favorite pour les prochains Jeux olympiques de Paris. La gestion de la pression constituera l’une des clés de sa réussite.

La date du 29 juillet est cerclée de rouge dans son agenda. C’est ce jour-là que l’escrimeuse strasbourgeoise fera son entrée, sabre en main, sur la piste du Grand Palais, avec l’espoir de décrocher l’or en individuel, en toute fin de soirée. Sa préparation à l’événement n’a guère différé des saisons précédentes, l’année étant jalonnée des mêmes compétitions. « J’ai toutefois mis l’accent sur la récupération, la nutrition et les soins extérieurs, comme l’ostéopathie », précise-t-elle. Dans ce sport, la pression est épuisante et la régénération, essentielle. En cela, le yoga est d’une aide précieuse ».

TOUT MON TEMPS EST CONSACRÉ À L’ESCRIME

Numéro un mondiale et victorieuse de la dernière manche de la Coupe du monde à Plovdiv, Sara concentre avant tout son attention sur elle plutôt que sur ses principales adversaires. « Je travaille sur moi, sur mon escrime, sur mes points de progression, en essayant de ne pas m’éparpiller ». Raison pour laquelle elle a mis sur pause ses études en communication digitale. « Je ne voulais pas avoir la contrainte des cours. Tout mon temps, de 9h le matin à 19h le soir, est consacré à l’escrime ». Bourreau de travail, Sara ne s’est accordée que quelques jours de repos avant de préparer les championnats d’Europe, qui auront lieu à Bâle, du 18 au 23 juin prochains. « Mais c’est difficile de lâcher complètement prise. Même dans ces périodes de coupure, on n’oublie pas l’objectif ». S

« Je travaille sur moi, sur mon escrime, sur mes points de progression, en essayant de ne pas m’éparpiller. »
21 S ACTUALITÉ №53 — Juin 2024 — Escapades
Sara Balzer, née à Strasbourg, est une escrimeuse française dont la spécialité est le sabre, qu’elle manie de la main gauche.
S ACTUALITÉ — ATHLÈTES
Olivier Métral DR
Jeuxolympiques 2024

Le procès des attentats de 2018 comme un (quasi) ultime épisode… Justice

Un avocat strasbourgeois, Arnaud Friederich, a représenté une quinzaine de parties civiles lors du procès des attentats de 2018 à Strasbourg. Voici son regard sur cinq semaines d’un procès hors normes, totalement délocalisé à Paris en raison des nombreuses mesures de sécurité qui ont été nécessaires.

Tout jeune cinquantenaire, Arnaud Friederich est avocat-associé au Cabinet Alexandre-Levy-KahnBraun & Associés, un des plus réputés cabinets d’avocats de Strasbourg, qu’il a rejoint, en tant que collaborateur, dès sa prestation de serment il y a près de vingt-cinq ans. Avocat généraliste dans l’âme, Arnaud Friederich s’est « frotté successivement au droit civil puis au droit commercial » avant, en 2007, d’avoir à plaider pour le compte d’une famille partie civile dans l’affaire Pierre Bodein (dit Pierrot le Fou – ndlr). « Un premier procès d’Assises important pour moi, car j’ai eu ensuite à plaider, à raison d’un procès tous les deux ans environ, dans des affaires de même ampleur, jusqu’au procès des attentats de Strasbourg, tout récemment… » résume l’avocat.

Pour qui avez-vous plaidé à Paris, dans le cadre du procès des attentats strasbourgeois de 2018 ?

Je représentais quinze parties civiles, c’est dire autant de victimes aux caractéristiques très différentes. Il y avait la

famille de Pascal Verdenne, une des victimes décédées le soir de l’attentat, je défendais ses enfants et leur mère. Je défendais aussi une des deux personnes étant courageusement intervenues pour tenter de maîtriser le terroriste devant le bar Les Savons d’Hélène : il s’agissait d’un musicien, collègue de Damian Myna qui luttait à mains nues, au corps à corps avec Chérif Chekatt (Or Norme avait recueilli en exclusivité le témoignage de Damian Myna – lire notre numéro n° 32 de mars 2019). Son ami, Tom, que je représentais au Palais de Justice de Paris, a pris ce soir-là une balle et un coup de couteau dans l’omoplate lors de sa lutte avec le terroriste. Ces deux amis, on les a appelés les « héros très discrets » tant ils ont été très réservés et humbles après leur acte héroïque le soir du 18 décembre 2018. J’ai enfin défendu d’autres personnes qui ont eu à croiser Chérif Chekatt lors de ses exactions terroristes, rue des orfèvres, au pont Saint-Martin et jusqu’au surlendemain, le 13 décembre, quand il a été abattu par les forces de Police rue du Lazaret.

22 S ACTUALITÉ №53 — Juin 2024 — Escapades S ACTUALITÉ — PROCÈS

En tant qu’avocat, comment abordet-on, tant sur le plan purement professionnel que sur le plan humain, un procès qui, forcément, concerne une si importante communauté, c’est-àdire tous les habitants de l’agglomération de Strasbourg, leurs proches, quelquefois très loin d’Alsace et les Alsaciens en général ? Car personne, évidemment, n’a rien oublié de ces 48 heures dramatiques… Il nous a en effet fallu nous impliquer dans trois dimensions. La première a été évidemment celle du préjudice subi par les victimes elles-mêmes, comme lors de n’importe quel autre procès. Le deuxième environnement à prendre en compte est l’environnement sociétal. Dans cette affaire, au-delà bien sûr des souffrances premières, celles des victimes, c’est la société tout entière qui a eu également à souffrir. Ce point représente d’ailleurs par nature la définition du terrorisme. La troisième dimension, celle que vous évoquez relevait de la matière identitaire territoriale. Sur ce point, mis à part le procès

« Je ne vois pas un autre procès qui ait autant souligné l’identité de Strasbourg, sa région et leur communauté tout entière. »

d’Oradour-sur-Glane (du nom de ce bourg limousin qui a vu un épouvantable massacre en juin 1944, ses habitants ayant été quasiment tous exterminés par les soldats de la division SS Das Reich avec, parmi eux, des Alsaciens-Mosellans incorporés de force, pour la plupart – ndlr), je ne vois pas un autre procès qui ait autant souligné l’identité de Strasbourg, sa région et leur communauté toute entière, y compris les millions de touristes puisqu’à cette période de Noël, on évolue au sein d’un melting-pot absolu. C’est le monde entier qui est là, dans une atmosphère festive tout à fait unique. Durant toute la durée de ce procès, je n’ai jamais perdu de vue ces trois dimensions avec, bien sûr, la spécificité de ces débats, celle qu’ils étaient menés dans le cadre d’une cour d’assises spécialement composée en matière de terrorisme, ne comportant que des magistrats professionnels.

On peut deviner que pour l’avocat que vous êtes, la donne a donc été très différente du cadre d’une cour d’assises

23 S ACTUALITÉ №53 — Juin 2024 — Escapades
« Je pense que c’est le soulagement qui a dominé, avec le sentiment d’avoir été entendu, et que leurs souffrances et leurs vies brisées avaient été prises en considération. »

traditionnelle. Cette composition spéciale a changé beaucoup de choses ?

On reste toujours dans le cadre de la justice traditionnelle : lors du jugement, il s’agit au final de répondre à des questions en se basant sur son intime conviction. Ce point est très important, il n’y a pas besoin d’avoir une preuve formelle. Mais évidemment ça change tout d’obtenir l’intime conviction d’un jury populaire comme dans une cour d’assises classique et de l’obtenir d’une cour composée uniquement de magistrats professionnels, tous férus de droit et possédant des qualifications juridiques très poussées.

Et puis, il y avait une autre spécificité à ce procès : le coupable n’était pas à la barre…

Oui, l’auteur principal des faits a été abattu. Mais une dimension s’est imposée : il fallait juger ses complices et ceux qui ont été impliqués dans le cadre de ce qu’on qualifie « d’association de malfaiteurs terroristes ». J’avais longuement préparé mes clients à cette dimension-là, mais aussi au fait que le procès n’allait pas avoir lieu à Strasbourg et que le jugement n’allait pas non plus y être rendu. Ceci pour des raisons de sécurité très particulières et drastiques dont la mise en œuvre ne pouvait s’exécuter que dans le cadre du Palais de Justice de Paris. Compte tenu de tout cela, beaucoup

de victimes et de parties civiles, sans parler des Strasbourgeois eux-mêmes qui auraient voulu assister au procès, ont renoncé à être présents.

Un mot sur les accusés présents dans le box…

Compte tenu du caractère évident de terrorisme, tous, au départ, avaient été mis en cause sous cette qualification. Et puis au cours de l’instruction, et ça s’est bien matérialisé lors des débats, s’est creusé un fossé entre celui qui a été mis en accusation sur des faits liés au terrorisme et les trois autres (un quatrième, absent du box pour raisons de santé, sera jugé plus tard – ndlr), qui l’ont été pour des faits de « simple association de malfaiteurs ». Le jugement concernant l’accusé principal, Audrey Mondjehi, a été de trente ans de prison avec une période de sûreté de vingt ans et une interdiction définitive de séjour sur le territoire français, à sa libération. Il a d’ores et déjà fait appel, il y aura donc un nouveau procès d’ici dix-huit mois…

Le point très particulier du fait de savoir comment le terroriste avait réussi à pénétrer dans le périmètre soi-disant hautement sécurisé du Marché de Noël a-t-il été abordé ?

Vous pensez bien que oui, et par de nombreux avocats dont moi-même. Nous n’avons obtenu aucune réponse

sur ce point précis, de même que sur la découverte d’éléments importants qui auraient pu laisser présumer qu’un passage à l’acte pouvait être imminent, lors de la perquisition au domicile du terroriste effectuée le matin du 18 décembre, en présence de deux personnes de la DGSI (Direction générale de la sécurité intérieure – ndlr) puisque Chérif Chekatt était fiché S… On sait que cette perquisition a sans doute hâté son passage à l’acte le soir même…

Comment vos clients ont-ils accueilli ce verdict ?

C’est toujours très compliqué de se réjouir d’une peine aussi lourde, mais je pense que c’est le soulagement qui a dominé, avec le sentiment d’avoir été entendu, et que leurs souffrances et leurs vies brisées avaient été prises en considération.

Ce procès a duré cinq longues semaines. Comment les avez-vous vécues, sur tous les plans, aussi bien professionnel qu’humain ?

J’ai voulu m’impliquer pleinement, et j’y suis parvenu. Comme cela se passait à Paris, j’ai tenu à garder le lien avec les parties civiles qui n’étaient pas physiquement présentes. Chaque soir, je les appelais au téléphone, pour leur faire un compte-rendu de la journée et pour répondre à leurs questions. J’ai été présent à toutes les audiences et je peux dire que j’ai bossé énormément, d’autant qu’il a bien sûr fallu assurer le suivi des autres affaires sur lesquelles je travaillais également. Bref durant ces cinq semaines, je me suis consacré exclusivement à mon activité professionnelle et je me suis organisé en conséquence – je rentrais à Strasbourg, auprès de ma famille, le samedi midi et je repartais en fin d’après-midi du dimanche… Aujourd’hui (cette interview a eu lieu une quinzaine de jours après la fin du procès – ndlr), je ne me sens pas « vidé », je suis heureux de m’être autant impliqué, je suis satisfait du résultat, mais je vous avoue que je suis très heureux aussi d’être revenu à une activité normale, entre guillemets. Oui, j’ai dû mobiliser de considérables ressources d’énergie, mais les victimes m’ont abondamment démontré leur gratitude à ce sujet. Au final, j’ai donc vécu une expérience professionnelle et humaine de tout premier ordre, j’en ai bien conscience… S

24 S ACTUALITÉ №53 — Juin 2024 — Escapades

osez sport le

Israël Nisand parle cash… Parler sexe

Néo-retraité – mais il reçoit encore en consultation au Centre Médico-Chirurgical et Obstétrical (CMCO) de Schiltigheim –, le Professeur Nisand ne compte plus ses interventions en milieu scolaire où il sensibilise les adolescents sur les questions les plus intimes qu’ils peuvent se poser. Révulsé par la non-application quasi systématique de la loi de 2001 relative à l’éducation sexuelle dans les établissements scolaires, il accuse : « C’est la pornographie qui, désormais, tient lieu d’éducation sexuelle pour nos enfants… »

À la lecture de votre livre paru en mars dernier (Parler sexe – Éditions Grasset), on ne peut qu’être impressionné par ce que vous dénoncez comme un énorme scandale : la loi pourtant en vigueur depuis un quart de siècle n’est tout simplement pas appliquée…

Cette loi prévoit trois heures d’éducation à la vie affective pour les plus jeunes et à la sexualité à partir de 13-14 ans et ce depuis le Cours préparatoire et jusqu’en Terminale, soit durant tout le cycle scolaire. Et c’est vrai, cette loi n’est appliquée quasi nulle part. Je suis allé rencontrer plusieurs ministres pour leur demander que soit enfin appliquée la loi de la République. Tous, gênés, m’ont fait part des oppositions rencontrées de la part des parents d’élèves catholiques. Alors, ça sert à quoi de faire des lois si les textes ne servent qu’à décorer vos étagères ? Abrogez cette loi, leur ai-je dit à tous. Leur réponse : non, on ne veut pas l’abroger… Nous vivons au cœur d’un État qui, sciemment, ne se préoccupe pas de l’application de certaines lois qu’il promulgue, pourtant…

J’ai notamment rencontré Luc Chatel quand il était ministre de l’Éducation nationale. Je lui ai demandé d’envoyer une circulaire à tous ses chefs d’établissement, leur enjoignant de recenser les ressources humaines qu’ils avaient prévues pour appliquer la loi. Dans mon esprit, le but était de leur faire prendre conscience à tous que l’application de la loi de 2001 n’était pas facultative. « Non, je ne peux pas faire ça », m’a-t-il rétorqué.

On s’aperçoit donc que dans les rares établissements où cette loi est appliquée, cela relève de la seule bonne volonté d’une infirmière scolaire, par exemple, ou encore d’un professeur-documentaliste au sein du Centre de documentation et d’information (CDI)… Tout à fait. Et encore, il faut que ces personnes aient en elles une très forte conviction sur ces sujets. C’est incroyable !

Une autre loi n’est également pas appliquée, celle qui concerne la protection des mineurs. Et là, ça devient gravissime…

26 S ACTUALITÉ №53 — Juin 2024 — Escapades Jean-Luc Fournier Nicolas Rosès S ACTUALITÉ — ISRAËL NISAND

Les entrepreneurs multimilliardaires du net peuvent diffuser leurs images pornos comme ils veulent, personne ne dit quoique soit. Tu ferais ça dans la rue en essayant de vendre ces images à des mineurs, tu terminerais en cellule…

Il y a en fait un effet de ciseau entre une réalité : on n’éduque pas nos enfants à la vie affective et à la sexualité et, un état de fait, la pornographie le fait à notre place. Et c’est sordide : on montre des images de zoophilie, filmées en Californie et nos enfants pensent que c’est la norme. Un jour, l’un d’entre eux a levé la main : « Monsieur, comment cela ça se fait que les femmes aiment sucer le sexe des chiens ? » Ils ont douze ou treize ans, ils n’ont aucun moyen de se défendre contre ça ! Le plus c’est transgressif, le plus les milliardaires du net vendent leurs vidéos… Mais, eux-mêmes savent très bien comment protéger leur propre progéniture de leurs abominations. Je viens de lire cette info incroyable : le patron américain de Tik-Tok a inscrit ses enfants dans une école internet free et a interdit sa propre application sur leur mobile. Il a 41 ans, il

sait très bien à quel point il fait du mal aux enfants et aux ados, des autres... Une étude fait apparaître qu’un enfant se voit imposer sous ses yeux sa première vidéo alors qu’il n’est âgé que d’à peine onze ans. Par instinct, pour se protéger, il n’en dira rien à personne dans son entourage familial. Il sera à la fois choqué, mais aussi excité, sexuellement… Et c’est la réunion de ces deux émotions fortes qui provoque l’addiction. Certains de ces gamins en sont à trois heures par jour ! Ils sont souvent traumatisés par ces images et finiront par ne parvenir à l’érection qu’à la vision d’images très transgressives et quand ils se retrouveront dans une vraie relation, celle-ci ne les excitera pas suffisamment…

Vous recueillez beaucoup de témoignages en ce sens ?

Oh oui ! Grâce au système de petits papiers anonymes qu’ils peuvent déposer avant mes interventions, car, tout comme nous, leur sexualité se nourrit de l’ombre. Jusqu’à l’arrivée du Covid, je faisais une intervention de deux heures par semaine.

« Une étude fait apparaître qu’un enfant se voit imposer sous ses yeux sa première vidéo alors qu’il n’est âgé que d’à peine onze ans. »
27 S ACTUALITÉ №53 — Juin 2024 — Escapades

« Alors, on continue à faire business as usual sur le dos de nos ados ou bien on respecte enfin la loi sur la protection des mineurs ? »

Et jusqu’à peu, il y avait un site internet, Info Ados, financé par l’Université de Strasbourg, sur lequel ils pouvaient déposer leurs questions et consulter les réponses : il y avait quarante questions par jour… Ce site n’existe plus, l’Université n’a plus assez d’argent. Je viens de relancer un Info Ados sur Paris, car ça me permet d’emmener des gens avec moi pour les former à l’exercice. Ici, j’emmenais des internes et leurs interventions dans les établissements scolaires étaient partie intégrante dans leurs cursus, au même titre que de savoir parfaitement réaliser une césarienne…

Au bout du compte, en Alsace, nos interventions à tous sur tous les sujets ressentis intimement par les adolescents ont permis de diviser par deux le nombre d’IVG chez les mineures. Ces IVG sur mineures s’élèvent à 15 000 par an dans notre pays et concernent 90 000 femmes de moins de 24 ans par an. En Hollande, pays qui encourage une véritable éducation à la sexualité, il y a trois fois moins d’IVG que chez nous… Ici, tout me sépare de mes collègues professionnels de l’IVG qui me critiquent, car je ne cesse de parler de prévention, je dis souvent que la meilleure IVG et celle qu’on n’a pas été obligé de faire, car on a su la prévenir. Alors d’un côté, j’ai les catholiques qui me lancent des tomates et de l’autre côté ces professionnels de l’IVG qui sont fous furieux contre moi. Et je dois même dire que les plus enragés sont à la gauche de la gauche, parmi ceux qui cherchent à banaliser l’IVG. Dans les statistiques qu’ils manipulent n’apparaissent pas les peines immenses que ressentent

les femmes, quelquefois bien des années plus tard, quand elles arrivent dans mes consultations, car elles ne peuvent pas avoir d’enfant. Chaque semaine, je vois des larmes couler et j’entends cette réflexion : « Jamais je n’aurais dû pratiquer cette IVG… »

Vous me paraissez très déterminé pour continuer à mener ce combat pour l’application de la loi de 2001 qui est le vôtre depuis une quinzaine d’années, maintenant…

Je n’ai pas l’intention de lâcher l’affaire. Ça bouge un petit peu, aujourd’hui. J’ai rencontré Brigitte Macron à ce sujet et elle a convenu que ça ne pouvait pas continuer ainsi. Le monde politique se rend bien compte que 100 % des parents sont derrière moi et que cela représente un incroyable moteur politique. Mais de l’autre côté, il y a les milliardaires du net, qui ont sûrement plus de poids que moi et qui ont la possibilité de glisser à l’oreille du gouvernement qu’il ne faut pas aller trop vite parce qu’il y a beaucoup d’argent en jeu.

Alors, on continue à faire business as usual sur le dos de nos ados ou bien on respecte enfin la loi sur la protection des mineurs ? Il y a cinq fournisseurs d’accès internet dans notre pays. Il est aisé de leur imposer d’en respecter les lois et de fortes amendes pourraient sanctionner leur aveuglement et au besoin l’interdiction définitive de diffuser sur le territoire national. En trois secondes, on peut enfin protéger nos adolescents.

C’est simple, je n’arrêterai jamais de demander l’application de la loi. » S

Israël Nisand, Parler sexe :

Comment informer nos ados Éditions Grasset, 2024

28 S ACTUALITÉ №53 — Juin 2024 — Escapades

Mike Horn “What we dream we can do!”

De passage à Strasbourg pour l’inauguration de la boutique de montres Panerai (dont il est l’ambassadeur), Mike Horn, sans doute le plus grand explorateur de ces dernières décennies, nous a accordé un entretien au cours duquel il s’est montré tel qu’il est : authentique, enthousiaste, préoccupé par la transmission vers les plus jeunes, et tout en émotions, qu’il partage avec générosité.

Mike, vous êtes l’ambassadeur de Panerai depuis 25 ans ; quel sens donnez-vous à ce partenariat qui est assez unique dans sa durée ?

Mike Horn  : Le partenariat a commencé sur une base qui n’était pas du tout commerciale. Lors d’un événement, Johann Rupert, le patron du groupe Richemont (propriétaire de Panerai –ndlr), a enlevé sa montre, sa Panerai, et il l’a mise autour de mon poignet. Et puis il a dit « j’aime ce que tu fais, j’aime ton authenticité, j’aime tes engagements. Et ça, ce sont les valeurs que je veux installer chez Panerai. »

C’est donc surtout une histoire de valeurs, et c’est pour ça que ça dure aussi longtemps. Ensuite, bien sûr, des montres ont été développées pour mes besoins. Mais franchement, si Panerai veut avoir plus de visibilité, Panerai doit sponsoriser Mbappé ou George Clooney ou quelqu’un d’autre, mais pas Mike Horn, Mike Horn c’est un blaireau qui va un peu aux pôles (rires) !

Plus sérieusement c’est Panerai, au travers de ces 24 ans de relations, qui m’a donné la possibilité de traverser le pôle Nord, de traverser le pôle Sud, de descendre l’Amazone à la nage, de faire 27 tours du monde, et ça ce n’est pas du bullshit, c’est du vrai !

31 S ACTUALITÉ №53 — Juin 2024 — Escapades S ACTUALITÉ — EXPLORATEUR

Vous êtes le témoin privilégié des changements climatiques que subit notre planète depuis des dizaines d’années, et vous vous sentez particulièrement concerné. Est-ce que vous pouvez nous en parler ?

MH : Pour moi, c’est sûr que quand tu vis dehors, (il y a une période où, en 5 ans, je n’ai dormi que trente-deux jours à la maison, dans mon lit), quand tu passes plus de temps à huit mille mètres d’altitude, dans la jungle, sur ton bateau, au pôle Nord, au pôle Sud, qu’à la maison, tu vois vraiment ce qu’il se passe à l’extérieur.

Et quand tu vois qu’un grizzly tue un ours polaire, tu comprends qu’avant, ici il y avait de la glace, et que maintenant il n’y en a plus ! Tu vois les glaciers qui tombent dans l’eau. Tu te dis, mais on ne peut pas être aveugle et ne rien faire.

Tu te dis : moi, je suis tout seul là-bas et je vois tout ça, et les gens qui sont à Paris, à Londres ou à Singapour, ils ne sont pas témoins de ça.

Je ne suis pas quelqu’un qui fait du greenwashing. Je vis, mais j’essaie de vivre correctement, parce que je vois quel impact on a sur le réchauffement de notre planète. C’est pour ça que j’essaie aussi de contribuer à changer nos habitudes.

Mais on ne peut pas changer un old dog (un « vieux chien »), comme on dit en anglais. Les vieux chiens, ils ont pris leurs habitudes et tu ne peux pas les changer. Ça veut dire que je peux changer les jeunes. Je peux influencer les jeunes.

Justement, vous avez montré que vous étiez particulièrement sensible à la transmission vers les plus jeunes. Vous avez impliqué vos filles très rapidement sur vos préoccupations et vos aventures. Comment est-ce que vous faites aujourd’hui pour transmettre aux jeunes générations ?

MH : On a un projet qui s’appelle Pangaea X, qui motive les jeunes pour faire des projets environnementaux qui peuvent sauvegarder notre planète, qui peuvent améliorer la vie dans le futur. C’est un programme où on inspire des jeunes étudiants à nous proposer des projets ou des idées que nous, avec eux, on peut mener dans la réalité.

C’est la troisième édition qu’on fait cette année. Et puis, vraiment, l’impact est énorme. Personne d’autre ne le fait. Mike Horn, c’est un blaireau. Il fait des expéditions. Mais pourquoi lui, de sa poche, il peut faire un projet comme ça et les gens qui gagnent des millions, ils ne font rien ? C’est un vrai sujet.

Je ne comprends pas. J’ai un salaire, mais je suis dépendant du sponsoring Je ne gagne pas des millions. Je dépense dans ce que je fais, ce que mes sponsors me permettent de dépenser.

Mais j’ai expliqué à Panerai que je veux motiver les jeunes, et que Pangaea X pourrait contribuer à ce programme d’éducation. Eh bien ils ont financé ce programme. Et ils l’ont fait sans communiquer. Sans profiter de ce qu’on a fait. Ça, c’est vraiment intéressant. Et ça, pour

« Je le dis souvent, et ce n’est pas une formule de style : chacun de nous a sa montagne à grimper. Quelquefois, elle est plus haute ou plus basse que les autres, mais en fait, l’effort est identique. »
32 S ACTUALITÉ №53 — Juin 2024 — Escapades

moi, ce sont des gens qui ont un cœur. C’est encore une justification de la longueur de ce partenariat. Et ça veut dire que j’apporte peut-être une valeur à travers l’éducation, à travers les partages, et des expériences comme celle qu’Édouard (Édouard Genton, qui a ouvert la boutique Panerai de Strasbourg – ndlr ) a partagé avec moi lors d’une expédition.

Édouard, Mike, parlez-nous de cette expédition que vous avez faite ensemble.

MH : Pour moi, c’était déjà un privilège de partir avec les gens qui croient en Mike Horn ! Qui lui font confiance. Qui se disent « je ne suis pas un pro de la survie, mais avec toi, j’ai confiance. »

Édouard Genton : C’était dans le Spitzberg, à Svalbard exactement. C’est très, très, au Nord. On avait pris un premier vol, on avait fait un Paris-Oslo. Et ensuite,

on a fait un Oslo-Svalbard et puis c’est encore quelques heures de vol ! Tu arrives à presque 80 degrés nord. Le pôle Nord est à 90. Quand j’en reparle comme ça, ce qui m’a le plus interpellé, je crois que c’est la luminosité qu’il y avait. J’ai pris quelques photos et on jurerait qu’il y a un filtre alors qu’il n’y en a pas. Et on voit des paysages blancs comme tu n’en as jamais vu ailleurs. J’espère que nos enfants pourront encore les voir...

On a fait plusieurs expériences extraordinaires, dont celle de descendre dans un glacier. J’ai vraiment pris sur moi car je suis claustrophobe... Ce n’était rien évidemment, par rapport aux risques que Mike prend quand il est seul... Et c’est vrai que c’était quand même très rassurant d’avoir quelqu’un comme lui à nos côtés pour aller dans ce type d’endroit et vivre ça.

MH : Je le dis souvent, et ce n’est pas une formule de style : chacun de nous a sa montagne à grimper. Quelquefois, elle est

plus haute ou plus basse que les autres, mais en fait, l’effort est identique. Ce que je ressens au moment où j’arrive vers mon objectif, pour moi, n’est pas plus grand que pour quelqu’un qui a gravi une montagne moins haute. On a tous les mêmes émotions : quand on est heureux, on est heureux. Quand on a peur, on a peur.

Un jour, vous avez d’ailleurs dit que pour réussir vos exploits, vous avez besoin des émotions et de l’amour. Vous avez notamment insisté sur le fait que pour survivre, il fallait avoir envie de rentrer à la maison pour retrouver ceux qu’on aime. Est-ce que ce n’est pas là votre moteur principal, finalement ?

MH : Tu sais, j’ai perdu ma femme d’un cancer et jamais dans ma vie, je ne pensais que je vivrai plus longtemps qu’elle. Je ne pouvais même pas l’imaginer parce que c’est moi qui prends des risques toute l’année. C’est moi qui devais partir… : je

33 S ACTUALITÉ №53 — Juin 2024 — Escapades
Entretien à la boutique Panerai à Strasbourg. De face à gauche : Mike Horn et Édouard Genton.

fais des choses folles, des choses dangereuses. Elle qui ne fumait pas, qui ne buvait pas, qui vivait une vie saine, qui avait un cœur d’ange, qui n’a jamais fait du mal à quelqu’un, c’est elle qui meurt... Est-ce que c’est juste ou pas ? On n’est pas là pour se poser la question parce que c’est la vie.

Mais il y a eu un moment où je lui ai dit que je ne pouvais pas vivre sans elle, mais qu’elle pourrait vivre sans moi. Je lui ai dit : « Je t’aime tellement... et je préfère mourir avec toi. » Et puis là, elle m’a dit

« Non, non, toi, tu ne dois pas mourir pour moi, tu dois vivre pour moi... parce que tu sais vivre ! »

C’est notre message, à elle et moi : Tu ne meurs pas pour quelqu’un parce que tu l’aimes. Tu vis pour les gens que tu aimes.

Et quand on comprend qu’en fait, quand on est en couple où qu’on aime quelqu’un, il faut le laisser vivre, c’est la plus belle preuve d’amour ; et c’est ça

qu’elle a fait pour moi, toute ma vie, en me donnant la liberté de partir, et de partir encore.

Et quand elle est morte, je voulais protéger nos filles, en les dissuadant de partir aussi dans des exploits ou des aventures risquées, de ne pas partir comme moi je suis parti parce que c’est dangereux. Et là, je me suis dit « Mais tu es un sale con, parce que tu es égoïste. Tu ne veux pas que tes filles meurent parce que tu serais infiniment triste... mais tu dois les laisser vivre ! »

Et quand on réalise ça dans la vie, on arrête de surprotéger ceux qu’on aime. On les laisse vivre. On les laisse vivre leur vie. Et c’est là où nous on vit mieux.

Après presque une trentaine de tours du monde, quel est votre prochain projet, au-delà de ceux que vous portez sur l’éducation des jeunes avec Pangaea X ?

« Tu ne meurs pas pour quelqu’un parce que tu l’aimes.
Tu vis pour les gens que tu aimes. »

MH : Là, maintenant, je suis sur un projet qui s’appelle What’s Left. What’s Left, c’est ce qui reste pour moi encore à faire de sympa ! (sic) Quelque chose que je voulais toujours faire, mais ce n’était pas le bon moment. Et en même temps, What’s Left, c’est ce qui reste de ce que j’ai vu en trente ans d’exploration.

Et donc actuellement, je suis au Groenland (Mike Horn a fait un aller-retour rapide entre Strasbourg et le Groenland – ndlr) : je voulais toujours rester coincé dans la glace avec mon bateau, comme les anciens explorateurs ! Quand leur bateau était écrasé par la glace et tout le monde crevait ! Je voulais vivre cela et là, actuellement, je suis au Groenland, pris dans la glace avec mon bateau. J’ai récupéré, comme dans les anciens temps, des chiens presque sauvages, mélangés avec des loups, que j’ai un peu domestiqués.

34 S ACTUALITÉ №53 — Juin 2024 — Escapades
J
« Alors j’ai pris le chef de la meute, je l’ai chopé par la nuque. Je l’ai regardé. Je lui ai craché dans sa gueule. Et quand il a vu que j’étais capable de le tuer, tout d’un coup, il a lâché. Là, tu sais qu’après cette expérience de domination, il ne va jamais te lâcher. Il va toujours t’obéir. »

JAprès trois mois, en travaillant avec ces chiens, ils ont commencé à tirer mon traîneau, à m’obéir. Je suis leur patron ! Au premier contact, c’étaient des sauvages, ils voulaient me mordre. Alors j’ai pris le chef de la meute, je l’ai chopé par la nuque. Je l’ai regardé. Je lui ai craché dans sa gueule. Et quand il a vu que j’étais capable de le tuer, tout d’un coup, il a lâché. Là, tu sais qu’après cette expérience de domination, il ne va jamais te lâcher. Il va toujours t’obéir !

L’autre jour, je suis parti avec mes trois chiens. Il neigeait énormément et je ne voyais plus la trace de la piste. J’ai dit aux chiens « Allons-y ! On va à la maison ! » Je les ai vu baisser la tête. Je me suis accroché avec des skis derrière eux. Je ne voyais plus rien. Ils m’ont emmené exactement là d’où on est partis !

Vous allez y retourner ?

MH : J’ai laissé mes chiens avec un jeune de mon équipe. Il est là pour prendre soin d’eux... Je suis là pour une semaine, mais j’y retourne dès la semaine prochaine.

Est-ce que c’est la première fois que vous venez à Strasbourg ?

MH : Non, j’y suis passé deux ou trois fois. Mais c’est la première fois que je reste un peu plus longtemps. On y est venus en famille... On adore Noël, les fêtes... les marchés de Noël. À Colmar, des fois, on passe, on vient là. Et la cathédrale, elle est quand même incroyable... De manière générale, j’aime découvrir des endroits que je ne connais pas : chaque fois, quand tu arrives dans un endroit et que tu rencontres quelqu’un d’autre, tu pars généralement moins con, et souvent plus intelligent (rires) !

En fait, j’aime bien cette philosophie de se dire que l’aventure te trouve, et se trouve partout.

Oui, en fait, si toi, tu es un aventurier, ce n’est pas l’aventure que tu trouves, c’est ton état esprit qui amène l’aventure là où tu es. S

Le mur que Mike Horn a signé à la boutique Panerai.

36 S ACTUALITÉ №53 — Juin 2024 — Escapades

Véronique Leblanc Nicolas Rosès

croit aux combats du Conseil de l’Europe Pap Ndiaye

Le Conseil de l’Europe a 75 ans cette année, mais peu de Strasbourgeois en connaissent l’histoire, les actions et les objectifs. Pap Ndiaye, représentant permanent de la France auprès de cette Organisation, lui rend toute sa perspective dans le fracas d’un monde en bascule.

L’année d’élections pour l’Union européenne est aussi celle du 75e anniversaire du Conseil de l’Europe. L’Europe des 27 et celle des 46, mais un seul et même continent frappé par une guerre que l’on croyait inimaginable. Pour le Conseil de l’Europe, la guerre de la Russie contre l’Ukraine a été un choc d’autant plus grand que ces deux pays comptaient au nombre de ses membres. Ce choc signet-il l’échec d’une Organisation créée en 1949 pour instaurer la paix ?

Le Conseil de l’Europe n’a pas été créé à partir d’une croyance naïve, il n’a jamais promis la paix éternelle. Il est né en réponse à deux guerres mondiales dont l’une a été génocidaire afin de protéger les principes fondamentaux qui avaient été foulés au pied par le nazisme alors même que nous étions entrés dans la « guerre froide » contre le stalinisme. Il s’agissait de créer un système de normes et de valeurs pour développer les droits de l’homme, la démocratie et l’État de droit ce qui n’est pas exactement « promettre la paix » même si les démocraties ne se

sont jamais fait la guerre entre elles. Mais elles doivent se défendre si besoin est…

Le droit ne supprime pas radicalement les entorses au droit. Il permet de les gérer d’une manière qui soit acceptable, efficace pour sortir par le haut. Face à la guerre en Ukraine, le Conseil de l’Europe n’est pas resté les bras ballants. Un mois après le début de l’agression, il a été la seule organisation internationale à exclure la Russie.

Et il a mis en place une série de dispositifs pour sanctionner le régime russe et soutenir l’Ukraine, notamment en créant un Registre des dommages causés par la guerre qui devrait mener à une indemnisation des victimes. Reste qu’à ce stade, on a du mal à imaginer Moscou verser des milliards de dommages de guerre… Le Conseil de l’Europe en est-il réduit aux vœux pieux ?

Penser l’après-Poutine est un impératif politique. La Russie survivra au dictateur et devra un jour verser des réparations.

En 1942, en pleine barbarie nazie, personne n’aurait imaginé que l’Allemagne s’acquitterait de dommages de guerre…

Le Registre des dommages créé par le Conseil de l’Europe est une immense base de données ultra sécurisée installée à La Haye. Il a déjà enregistré plus de 1 500 demandes. Le financement des réparations sera l’étape suivante et elle est d’ores et déjà en préparation.

L’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe s’est ainsi prononcée à l’unanimité en faveur d’un déblocage des avoirs russes gelés – quelque 300 milliards de dollars – mais cela nécessite un chemin juridique complexe si l’on ne veut pas risquer l’explosion du système financier mondial et la baisse de l’euro. C’est la première fois qu’un mécanisme de ce genre est mis en place et c’est le Conseil de l’Europe qui est aux manettes.

La résurgence du conflit au ProcheOrient a déclenché dans nos sociétés une montée historique de l’antisémitisme et des actes hostiles aux musulmans.

38 S ACTUALITÉ №53 — Juin 2024 — Escapades
S ACTUALITÉ — CONSEIL DE L’EUROPE

Strasbourg n’est pas épargnée… Comme le Conseil de l’Europe peut-il agir face à ces phénomènes ?

Cette résurgence est extrêmement préoccupante. La situation s’est incontestablement dégradée y compris à Strasbourg qui compte d’importantes communautés juive et musulmane, mais où l’histoire du dialogue interreligieux est un outil précieux sur lequel il faut s’appuyer.

Je tire deux enseignements de la situation actuelle. D’une part, l’importance de la parole politique et de la prise de position publique. Il serait bienvenu que les responsables mesurent leurs propos, refusent l’outrance et la violence verbale. D’autre part, l’impact des réseaux sociaux qui accélère le tempo des polémiques et donnent une caisse de résonnance à tout et n’importe quoi.

Dans ce contexte, les rapports et recommandations de la Commission européenne contre le racisme et l’antisémitisme du Conseil de l’Europe (ECRI) sont utiles pour favoriser une baisse

des tensions dans chacun des 46 États membres. Faire porter la responsabilité de la situation au Proche-Orient à nos compatriotes juifs et musulmans est inadmissible. Les actes répréhensibles doivent être sanctionnés, mais il faut aussi de la pédagogie, du dialogue, de l’empathie.

En 2023, Marija Pejcinovic Buric, Secrétaire générale du Conseil de l’Europe, a évoqué un « risque de retour à l’état sauvage » de l’Europe. En eston là ?

À certains égards oui, si l’on pense au retour de la guerre et à la montée des extrémismes populistes dans de nombreux pays. Mais nous ne sommes pas revenus aux précédentes périodes d’ensauvagement.

Les principes qui ont présidé à la création du Conseil de l’Europe et de la Convention européenne des droits de l’homme demeurent. Les grandes organisations n’ont pas sombré comme la Société des Nations dans l’entre-deuxguerres. L’ONU, le Conseil de l’Europe et

l’Union européenne sont attaqués mais ne sont pas en train de se défaire, les pays ne se claquemurent pas, on traverse le Rhin en tram de Strasbourg à Kehl, les frontières européennes se sont progressivement effacées.

Il faut mesurer le chemin parcouru, s’inscrire dans une perspective historique. Rien de pire que tout peindre en noir, cela empêche d’être à la hauteur du moment.

Heureux d’être devenu Strasbourgeois ?

Très. Culturellement, Strasbourg est une ville de premier plan et c’est aussi une ville frontière.

Symbole des déchirements de l’histoire, elle est devenue la capitale de grandes institutions internationales de promotion des droits de l’homme, de démocratie et d’État de droit et cela va encore s’accentuer. Les liens entre le Conseil de l’Europe, l’université et les lieux de culture vont être tissés de manière plus étroite pour le rayonnement de Strasbourg. Je suis heureux d’y contribuer ! S

39 S ACTUALITÉ №53 — Juin 2024 — Escapades

AUDIODESCRIPTION EMELINE CHIRON

CRÉE DES IMAGES AVEC DES MOTS

En quête d’une profession qui fait sens, Emeline Chiron a trouvé sa voie dans l’audiodescription. Reconversion réussie puisque, forte d’une expérience d’un peu plus de trois ans, elle vocalisera les Jeux olympiques et paralympiques pour France TV, expérience audiovisuelle inédite en Europe.

Même éloignée par les kilomètres imposés par la visioconférence, Emeline Chiron entend le rire de son collègue non-voyant, totalement emporté par l’histoire de Quatre mariages et un enterrement

« Les malvoyants ou non-voyants disent aussi qu’ils voient un film, précise l’audiodescriptrice. Régulièrement, on effectue une relecture avec un collaborateur non-voyant. On a ainsi un retour direct sur ce qui manque, ce qui est en trop ou ne va pas. Là, il était totalement dans le film. Il a eu la même expérience qu’un voyant, c’était vraiment satisfaisant ».

Cela fait un peu plus de trois ans maintenant que la Strasbourgeoise de 47 ans s’est reconvertie dans une profession méconnue, mais en plein essor depuis que les chaînes ont l’obligation de diffuser des programmes en audiodescription, quotas audiovisuels obligent. « Spontanément, les gens ont tendance à dire “Ah oui c’est ce qui s’affiche à l’écran ?”. Il y a un bug entre audiodescription et sous-titres. Souvent je dis : tu fermes les yeux et tu regardes un film. Forcément, tu rates toutes les expressions des visages, les décors, ce qui est implicite, les non-dits. Il faut donc poser un cadre, donner le contexte et évoquer l’intrigue, parler des costumes si c’est un film

Guylaine
Rosès
Gavroy Nicolas
a CULTURE — DANS L’OMBRE DES JO
40 a CULTURE №53 — Juin 2024 — Escapades

d’époque en pensant qu’on s’adresse à des personnes qui n’ont peut-être jamais vu, qui ont perdu la vue, récemment ou depuis longtemps ».

UN JUSTE ÉQUILIBRE À TROUVER

Il ne s’agit pas de tout raconter. Le dosage doit être précis, il convient de trouver le juste équilibre entre en dire assez, mais surtout pas trop. « Il ne faut pas abreuver

le spectateur d’infos. Il est parfois tentant de dire beaucoup de choses. Dans une salle de restaurant, tu peux dire que sur les tables, il y a des fleurs, une salière et une poivrière, un verre à vin. Mais l’info importante pour l’intrigue ou par rapport à l’intention du réalisateur, c’est qu’il y a une femme seule dans un coin ».

« Il ne faut pas prendre les spectateurs pour des idiots, précise encore Emeline Chiron. On ne fait pas une explication de texte ou d’images. Il faut donner des

Jeuxolympiques 2024 41 №53 — Juin 2024 — Escapades a CULTURE

« C’EST LIÉ À L’AUDIODESCRIPTION,

MAIS COMME CE N’EST PAS

ÉCRIT ET QUE C’EST IMPROVISÉ,

ON PARLE DE VOCALISATION.

CELA SE RAPPROCHE PLUS DU COMMENTAIRE. »

indices ». Et respecter le style : « Si c’est un programme jeunesse, il faut adopter un vocabulaire pour les enfants. Pour un film d’époque, on aura un style plus pompeux. Et pour un film d’action, on utilisera des phrases courtes et dynamiques : il le cogne, il réplique, il lui flanque un uppercut. Il faut toujours créer de l’image ».

« ON CONSTRUIT

L’AMBIANCE PARCE

QUE ÇA FAIT PARTIE DU MATCH »

Habituellement, la traductrice anglais et allemand prend son temps pour audiodécrire un film, un documentaire, ou l’épisode d’une série. Après un premier jet, la jeune femme reprend son texte, l’adapte au time code des copies de travail envoyées par les labos. Vérifie que l’identité du personnage est révélée au bon moment, qu’auparavant il n’est qu’un grand brun ou un petit moustachu, que les lieux sont mentionnés, l’époque respectée. Avant de laisser quelqu’un d’autre chuchoter à l’oreille du spectateur.

Mais cet été, pour les Jeux olympiques et paralympiques, l’ancienne cheffe de projet de l’agence de presse Plurimedia va parler, recrutée pour faire partie des vocalisateurs qui commenteront aux côtés des journalistes sportifs les épreuves de Paris 2024 pour France Télévisions. « C’est lié à l’audiodescription, mais comme ce n’est pas écrit et improvisé, on parle de vocalisation. Cela se rapproche plus du

commentaire. Sur un canal dédié, les personnes non-voyantes ou malvoyantes auront accès aux propos des journalistes sportifs que nous compléterons. »

Le match du Tournoi des VI Nations entre la France et l’Angleterre, au mois de mars, a fait office de test. « Notre rôle est de spatialiser. Les commentateurs ne disent pas où en est l’action de jeu, si c’est sur la ligne médiane, aux 40 m ou au 50 m parce que le journaliste part du principe que l’on voit la progression. Nous, on va insister là-dessus, poser les bases de chaque sport. Les dimensions d’un terrain, la hauteur de la barre transversale des poteaux... Au bout d’un moment, les beaux maillots blancs des joueurs sont marron de terre et vert d’herbe. Il y a toujours des plans sur les spectateurs costumés et maquillés. On construit l’ambiance parce que ça fait partie du match, développe celle qui avoue n’avoir que peu de connaissances dans le domaine sportif. Sur le 100 m par exemple, on ne va rien pouvoir dire durant les 9 secondes 60 de la course, mais on interviendra lors de la présentation des athlètes. On décrira leur tenue, on précisera s’ils ont des tatouages, s’ils font des signes au ciel ou comme Usain Bolt, prennent une posture particulière. Le sport rassemble, et cette fois il va véritablement rassembler tout le monde ! » C’est une certitude : cet été, l’universalisme cher à Coubertin ne sera pas un vain mot grâce à ceux qu’Emeline choisira avec soin… a

6E ÉDITION DU FESTIVAL ENTENDEZ-VOIR

Organisée par Vue (d)’Ensemble, association qui défend l’accessibilité à la culture pour tous, la 6e édition du Festival EntendezVoir fait la part belle à la culture, alors que Strasbourg est capitale mondiale du livre, et au sport, en cette année olympique, deux fédérateurs de la cohésion sociale. Cette année encore, de nombreuses animations sont organisées dans différents lieux culturels de la capitale alsacienne, dont des concours de chant et de podcast ouvert à tous. La programmation cinématographique s’accompagne d’une expérience inédite Planétarium du Jardin des sciences de l’Université de Strasbourg où, après la projection du film

Au-delà du soleil pour la première fois en audiodescription et en sous-titres, un « voyage dans l’espace » est également proposé par l’audiodescripteur Benjamin Kling, un des organisateurs du festival.

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42 a CULTURE №53 — Juin 2024 — Escapades

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HUGO INVERNIZZI UN PIED DANS LA PEINTURE

Désireux de partager sa passion pour l’art urbain contemporain, Hugo Invernizzi, basketteur de la SIG Strasbourg, a ouvert, avec son frère, une galerie sur les quais de la capitale alsacienne.

Sur un terrain de basket, la zone située sous chaque panier est appelée la raquette. Ou la peinture. Et Hugo Invernizzi n’aime rien tant que s’en éloigner. L’ailier de la SIG Strasbourg a ainsi fait du tir à longue distance sa spécialité, remportant même en 2014 le concours à trois points du All Star Game, rendez-vous annuel qui réunit les meilleurs joueurs du championnat. Un paradoxe ? Une fois qu’il a quitté le parquet, le Mulhousien de 31 ans cultive en effet une profonde passion pour... la peinture, au point d’avoir ouvert une galerie d’art urbain contemporain en janvier 2021. « Mon frère et moi avons une grande passion pour l’art, plusieurs artistes que l’on côtoyait nous disaient qu’on s’y connaissait bien et qu’on avait de bonnes idées, rembobine Hugo Invernizzi. Après le Covid, il y a eu de nombreux commerces libres à Strasbourg à des loyers abordables,

il fallait qu’on se lance. Et on a trouvé ce spot… »

Ce spot, c’est l’Inver Galerie, située quai des Bateliers, soit un grand espace visible de l’extérieur et trois salles en enfilade qui permettent une véritable scénographie. « On a pris ce local parce qu’on a l’impression d’avoir un cheminement pour voir chaque œuvre individuellement », explique celui qui endosse le costume de guide quand les visiteurs ont besoin d’être accompagnés.

DU PARQUET À LA TOILE

Cette appétence pour l’art remonte à l’enfance. Avec ses parents et son aîné Julien, aujourd’hui professeur d’Histoire-Géo, tous les étés, Hugo Invernizzi découvre de nouvelles villes, des musées, des églises, des cathédrales. Des voyages qui ont développé sa curiosité. « À 22 ans, j’ai signé avec le club de

Nanterre. À Paris, l’offre était énorme, tous les week-ends, j’allais aux musées, au Louvre, dans les galeries, explique le vainqueur de la coupe d’Europe FIBA avec la formation francilienne. Avec mon frère, nous sommes passionnés par l’art urbain. Parfois, en marchant dans la rue, on apercevait de grandes fresques sur les murs et comme nous sommes de nature curieuse, on allait voir qui était l’artiste, pourquoi il avait cette démarche. Aujourd’hui encore, on joue beaucoup à découvrir l’auteur d’un mur, c’est le principe de l’art de rue ».

L’ancien international a voulu recréer ce qu’il avait trouvé à Paris, une galerie qui innove et se renouvelle. « Au début, on faisait une nouvelle expo tous les mois, maintenant, on va en faire quatre par an, des solo show avec un seul artiste dans toute la galerie. On propose aussi des expos collectives, avec plusieurs artistes qu’on essaye de mélanger, si c’est pos-

a CULTURE — GALERIE
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sible. Mais il y aura de nouvelles choses chaque mois ».

Collectionneur avisé – il possède une centaine d’œuvres d’artistes brésiliens, portugais, américains, qu’il se réjouit de pouvoir faire grandir à présent qu’il a un nouvel appartement et plus de place, Hugo Invernizzi n’expose que ce qu’il aime. « On a commencé par quelques artistes désireux de nous aider. Après, des connaissances à eux nous ont recommandés parce qu’on travaille bien. Au début, on se disait que ce serait difficile d’avoir tel ou tel artiste coté. Au final, ce sont eux qui nous sollicitent pour exposer. Parfois, on est obligé de refuser, parce que les œuvres sont trop chères pour notre galerie ou que ce n’est pas notre style… »

Quand il est sur les routes avec son club, le finaliste de la Coupe de France 2024 joint souvent l’utile à

l’agréable. « À Ostende qui est connu pour l’art justement, je me suis levé plus tôt afin de me balader. Avant un déplacement, je checke sur internet ce qu’il y a à voir. À Monaco, je me suis rendu dans une galerie proche de notre hôtel. » Au lendemain d’un match, il n’est pas rare non plus qu’il ajoute quelques kilomètres à son compteur pour se rendre dans des foires d’art ou rencontrer des artistes. « Pour David Bruce, on est allé à Liège, dans son atelier voir comment il travaille, c’est super intéressant »

Un pied dans la peinture, l’autre sur un terrain, Hugo Invernizzi est dans un entre-deux qui lui va bien. a

« AVEC MON FRÈRE, NOUS SOMMES PASSIONNÉS PAR L’ART URBAIN. PARFOIS, EN MARCHANT

DANS LA RUE, ON APERCEVAIT DE GRANDES FRESQUES SUR LES MURS ET COMME NOUS SOMMES DE NATURE CURIEUSE, ON ALLAIT VOIR QUI ÉTAIT L’ARTISTE, POURQUOI IL AVAIT CETTE DÉMARCHE ».

Inver Galerie 44b quai des Bateliers,Strasbourg @invergalerie

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Jean-Luc Fournier Nicolas Rosès

HUIT DÉCENNIES PLUS TARD… « BONSOIR, JE SUIS HENRIETTE »

C’est une histoire sur la fragilité de nos vies et sur le destin qui, au-delà des circonstances, s’ingénie parfois à sceller des rencontres incroyables. L’une d’elles a eu lieu en janvier dernier à Strasbourg. Ses protagonistes sont un artiste français de légende, sa fille, son petit-fils et Henriette Urban-Lerner, aujourd’hui nonagénaire, qui nous a confié ses souvenirs de toute petite fille…

Pour la petite Henriette Lerner, alors seulement âgée de neuf ans, la vie a soudain basculé le 11 septembre 1942 et ses souvenirs de plus en plus diffus, plus de huit décennies plus tard, ne lui permettent plus que de raconter l’essentiel : « Comme beaucoup d’autres juifs, mes parents et moi avons été raflés dans notre maison de Lens et nous nous sommes dans l’après-midi retrouvés dans un train de voyageurs qui s’est arrêté à la gare de Lille-Fives, une gare de triage qui n’existe plus depuis longtemps aujourd’hui » se souvient Henriette en essayant d’être la plus précise possible dans son récit.…

« À un certain moment, maman a quitté le compartiment dans lequel nous nous trouvions et est revenue un peu plus tard accompagnée d’un cheminot. Je me souviens qu’elle m’a alors dit que je devais quitter le train et suivre cet homme, qu’il allait me sauver. J’ai obéi, j’ai quitté le train après avoir dit au-revoir à mes parents. Je ne pouvais évidemment pas deviner que je les voyais pour la dernière fois. Après la guerre, j’ai su qu’un autre train, les avait ensuite conduits à Auschwitz et qu’ils ont été assassinés là-bas. C’est un de nos voisins, lui aussi déporté mais qui a survécu, qui a témoigné de tout ça » raconte Henriette, la voix blême…

DES CHEMINOTS HÉROÏQUES

L’épisode est raconté avec respect et grand talent dans Sauvons les enfants, un documentaire réalisé par Catherine Bernstein, qui a été présenté à Strasbourg devant une salle comble le 21 février dernier, dans le cadre de Vrai de vrai, l’excellent Festival des Étoiles du Documentaire organisé par Le Lieu Documentaire.

Les cheminots de cette gare ont donc mis en œuvre l’un des plus grands sauvetages de juifs en partance pour Auschwitz et la petite Henriette fut parmi ces rescapés. « Je me souviens juste que ce cheminot m’a conduite dans une maison qui faisait face à la gare. J’ai été recueillie par la famille Fies qui y habitait et j’y suis restée quelques mois. Je me souviens que la toute première fois où je suis sortie en ville avec Mme Fies, j’ai été effrayée par le tout premier soldat allemand que j’ai vu et je me suis brusquement réfugiée derrière son dos. Elle m’a expliqué ensuite qu’il fallait que je me calme et que je ne montre rien. J’ai réalisé plus tard à quel point ces cheminots qui nous ont sauvés

a CULTURE — MÉMOIRES
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et cette famille avaient été courageux. Mais pour être franche et autant que je me souvienne, je n’avais cependant pas vraiment conscience du danger que nous courions… »

La douleur est encore là, même aussi longtemps après. Henriette ne parvient pas à répondre à la question sur les suites de sa brutale séparation avec ses parents. Les mots ne sont pas audibles, ils s’étranglent dans sa gorge…

Prise en charge plus tard par une « organisation juive » (elle n’a appris les détails que très longtemps après la guerre), Henriette a rejoint son oncle et sa tante dans le département de la Creuse, à une vingtaine de kilomètres du chef-lieu, Guéret, où, d’origine lorraine, ils s’étaient réfugiés dès le début de la guerre. Mais, après l’invasion de la zone libre par les troupes allemandes, les menaces de rafles se répétant de plus en plus, il a été décidé d’évacuer les enfants vers Limoges, dans une maison d’enfants.

Et c’est là que le destin va lui faire croiser le destin du mime Marcel Marceau (qui s’appelait encore Marcel Mangel – ndlr)…

« J’AI FINI PAR VIVRE AVEC CETTE ABSENCE »

Marcel Mangel a alors vingt ans. Sa famille d’origine polonaise (tout comme les parents d’Henriette) a fui Strasbourg pour se réfugier en Haute-Vienne où Marcel est devenu moniteur de théâtre, une simple « couverture » en fait car il a déjà rejoint les rangs de la Résistance locale et choisi son surnom, qui deviendra plus tard son nom de scène : Marceau.

Henriette ne restera que quelques jours à Limoges. Avec Juliette, une autre fillette de son âge, elle est confiée aux bons soins de son moniteur de théâtre qui doit les accompagner jusqu’à la maison d’enfants du couple Hagnauer à Sèvres, dans la proche banlieue parisienne, un internat qui cachait une centaine d’enfants juifs.

« Je n’ai aucun souvenir du voyage » dit aujourd’hui Henriette. « À vrai dire, je ne sais pas non plus pourquoi Juliette et moi avons été les seuls enfants transférés à Sèvres. En revanche, je me souviens bien de cette maison. Dans mon souvenir, elle était très belle, une grande cour, un grand jardin et tout autour l’immense forêt de Saint-Cloud où nous nous promenions souvent. Marcel est resté quelques mois avec nous, j’ai su plus tard qu’il avait suivi les cours de Charles Dullin et de JeanLouis Barrault qui lui enseignèrent les bases de l’art du mime. »

« À la maison de Sèvres, Marcel nous faisait jouer des saynètes de théâtre muettes. J’ai râlé plus d’une fois car jamais il ne me confiait un rôle. J’étais celle qui racontait au public… Il a fini par me donner un truc qui n’a duré peut-être que quelques secondes, mais au moins j’ai joué ! Un jour, il a attrapé la grippe et tous les moniteurs de la maison l’ont mis en boîte, comme s’ils l’enterraient. Il s’est volontiers prêté au jeu… Quelques

47 №53 — Juin 2024 — Escapades a CULTURE

mois plus tard, Marcel a quitté la maison de Sèvres, sans qu’évidemment nous ne sachions ni pourquoi ni où il était allé… »

Henriette reconnaît bien volontiers aujourd’hui que toutes ces années de guerre vécues au milieu des Allemands l’ont été « avec l’innocence de l’enfance ». En août 1944, quelques jours après la libération de Paris, elle se souvient des « troupes alliées qui paradaient sur les grands boulevards de Paris » puis de son oncle creusois, venue la chercher au pensionnat… Un peu plus d’un an plus tard, son oncle (devenu son tuteur) rejoindra avec sa famille sa ville d’origine, Merlebach, enfin libérée elle aussi comme toute l’Alsace-Moselle et c’est là, qu’un peu plus tard, elle apprendra le drame vécu par ses parents : « Un jour, j’ai écouté, à travers une porte entrouverte, le témoin rescapé d’Auschwitz qui a raconté la fin de mes parents. Maman est décédée à peine quinze jours après son arrivée au camp, papa a tenu un an de plus. Je n’avais pas onze ans quand j’ai entendu ce qui était arrivé à mes parents… Mes cauchemars ont commencé et, depuis, à chaque fois que je reparle de tout ça, ils reviennent… J’ai fini par vivre avec cette absence… »

« BONSOIR,

JE SUIS HENRIETTE… »

Henriette aura attendu près de 35 ans pour revoir le mime Marceau. « C’était à Paris, lors d’un de ses spectacles, en 1978. Je suis allée dans les coulisses, il ne m’a

bien sûr pas reconnue physiquement mais il s’est souvenu très bien qui j’étais quand je lui ai parlé. J’ai encore le programme qu’il m’a dédicacé, j’ai sa signature et il y a un mot : “À Henriette depuis 1944, rappelle-toi, aujourd’hui avec le cœur fidèle de Bip” (le personnage que le mime Marceau interprétait sur scène – ndlr). »

Encore plus tard, elle revit Marceau pour une dernière fois. « Nous étions dans les années 80 et le mime était venu jouer à Strasbourg. Nous nous sommes longuement promenés ensemble dans le quartier de la rue des Magasins, près de la gare centrale, là où il était né en 1923… » se souvient Henriette avec une grande émotion.

Enfin, il y eut cet incroyable moment, en janvier dernier au cinéma Star où Camille, la fille aînée de Marcel Marceau, était venue pour présenter le superbe documentaire L’Art du silence consacré à son père, disparu en 2007 (dans ce film apparaît le danseur professionnel Louis Chevalier, son fils, le petit-fils de Marcel Marceau, filmé dans une bouleversante évocation de l’art de son grand-père – ndlr).

Après la fin du film, un court débat avec le public avait été prévu par les organisateurs. À un certain moment, une vieille dame s’est dégagée du rang de fauteuils où elle avait vu le film et, au lieu de se diriger vers la sortie, a rejoint de son pas tranquille mais mal assuré le devant de la scène où Camille finissait de répondre à une question. Elle s’est emparée cal-

Henriette et Camille Marceau au Cinéma Star en janvier dernier. À l’arrièreplan, Louis Chevallier, le petit-fils de Marcel Marceau.

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« MES CAUCHEMARS ONT COMMENCÉ ET, DEPUIS, À

CHAQUE FOIS QUE JE REPARLE DE TOUT ÇA, ILS REVIENNENT…

J’AI FINI PAR VIVRE AVEC

CETTE ABSENCE. »

mement du micro et a dit simplement : « Bonsoir, je suis Henriette… »

Aujourd’hui encore sous le choc de cette rencontre totalement inattendue, Camille Marceau se souvient du moment avec émotion : « Ce passage du manuscrit de mon père consacré à cet épisode, nous l’avons tout de suite choisi avec ma sœur

Aurélia pour les lectures que nous donnons régulièrement du livre Histoire de ma vie (le livre a été présenté par les deux filles de Marcel Marceau en septembre dernier aux Bibliothèques Idéales à l’Aubette – ndlr). Alors, bien sûr, immédiatement, j’ai su qui était cette vieille dame devant moi, ma gorge s’est nouée subitement et les larmes sont montées dans mes yeux. Plus tard, j’ai longuement parlé avec elle et je l’ai trouvée bouleversante. Décidément, Strasbourg est pour moi une ville incroyable et représente une véritable croisée des chemins : mon père y est né, l’a quittée, y est revenu. Pour le centenaire de sa naissance en septembre dernier, nous sommes venues avec ma sœur Aurélia présenter le livre devant cette salle comble et ce fut un moment intense. Et voilà que quatre mois plus tard, en janvier dernier, dans cette salle de cinéma et en présence de mon fils Louis qui marche sur les pas de son grand-père, le destin me fait rencontrer Henriette. La fille de Marcel Marceau, son petit-fils et la vieille dame dont il a sauvé la vie il y a plus de huit décennies, tous trois réunis à Strasbourg si longtemps plus tard : je n’oublierai jamais ce signe du destin, jamais… » a

49 №53 — Juin 2024 — Escapades a CULTURE
La lettre de Camille Marceau reçue par Henriette

Alain Leroy DR ,The U.S. National Archives and Records Administration, Washington & archives de la Ville

LE JOUR OÙ… GEORGE CLOONEY A SAUVÉ LES VITRAUX DE LA CATHÉDRALE

Mis à l’abri en Dordogne à la veille de la guerre et rapatriés en Alsace sur ordre d’Hitler avant d’être raptés par les nazis et cachés dans une mine de sel près de Stuttgart, les vitraux de la cathédrale de Strasbourg ont été sauvés par une opération commando menée par George Clooney… enfin, presque.

Bon, reconnaissons-le d’emblée, le titre de cet article est racoleur. Et en (très grande) partie inexact. George Clooney n’a jamais sauvé les vitraux de la cathédrale de Strasbourg. Il ne les a pas sauvés, mais il a ressuscité les hommes qui les ont vraiment sauvés et les a, en cela, rendus immortels quand l’histoire les avait avalés.

Monuments men, le film qu’il a réalisé en 2014, c’est l’histoire incroyable et terriblement romanesque, mais vraie, d’un groupe de conservateurs de musée, d’historiens d’art, d’archivistes, de galeristes, d’architectes américains et anglais constitué en 1943 aux États-Unis et engagés dans une mission de sauvetage comme seules les grandes catastrophes en engendrent.

La mission première de cette section baptisée Monuments, Fine Arts, and Archives Program suggérée au président Roosevelt par George L. Stout, conservateur et directeur de musée dont s’inspire le personnage joué par Clooney, et placée sous la tutelle du ministère de la Guerre américain était de préserver le patrimoine culturel dans les zones libérées par les alliés et d’évaluer les dégâts.

Bientôt, alors que la guerre touche à sa fin et que les troupes d’Eisenhower enfoncent les lignes ennemies, il s’agira aussi de retrouver les millions d’œuvres d’art et de biens pillés par les nazis. Parmi ces œuvres d’art, les vitraux de la cathédrale de Strasbourg donc.

Le film, par ailleurs médiocre, de George Clooney ne raconte pas ça, il ne parle pas de ces vitraux, mais il dit tout le reste, les enquêtes de police comme un jeu de piste pour retrouver la trace des trésors volés, la quête de témoignages, la passion qui anime ces hommes, les Jeeps qui se faufilent à travers les balles parce que les combats se poursuivent, les cartes d’état-major que l’on déplie sur le capot encore chaud au milieu des décombres, les doigts qui suivent les lignes tracées qui sont des routes ou des chemins.

Au nombre de 350, issus de 13 nationalités, les Monuments men ont une grande liberté d’action, même s’ils sont placés sous la tutelle du Supreme Headquarters Allied Expeditionary Force (Shaef) et qu’il

a CULTURE — HISTOIRE
50 a CULTURE №53 — Juin 2024 — Escapades

leur faut composer la plupart du temps avec les décisions militaires sur les théâtres d’opération.

À cette époque-là, c’est une course à la fois contre la mort et contre la montre qui est engagée. Les Allemands ne sont pas encore totalement vaincus, ils se battent avec cette énergie qui est celle du désespoir. Et si les équipages alliés sont lancés à la poursuite de ces œuvres d’art, ils ne sont pas les seuls : les Russes aussi ont leurs spécialistes qui lorgnent pareillement sur ces trésors volés par les nazis partout en Europe de l’Ouest, mais aussi de l’Est. C’est à celui qui découvrira le premier ces biens uniques pour les rendre à leurs propriétaires ou les accaparer.

D’ailleurs, les hommes de culture et d’art ne sont pas les seuls à être envoyés

Une partie des vitraux représentant les empereurs du Saint Empire germanique déposés avant la guerre et spoliés par les nazis. Ils ont, depuis 1960, retrouvés leur place dans le bas-côté nord de la cathédrale.

« À CETTE ÉPOQUE-LÀ, C’EST UNE COURSE À LA FOIS CONTRE LA MORT ET CONTRE
LA MONTRE QUI EST ENGAGÉE. »

au front, des unités de scientifiques ont également été constituées – là aussi côté Alliés et Russe – pour récupérer des documents sensibles portant notamment sur les fusées V2 et les recherches sur la bombe atomique, mais aussi recruter les scientifiques nazis qui veulent fuir la débâcle. C’est une autre histoire, la même, mais une autre.

En attendant, voilà les troupes françaises et américaines en Alsace et donc tout de suite en Allemagne. Elles ont lancé l’offensive finale le 13 novembre 1944, mais les Monuments men n’ont pas attendu pour prendre contact avec Hans Haug, ancien directeur des musées de Strasbourg, Émile Herzog, l’archiviste départemental du Haut-Rhin, et quelques autres

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« locaux » qui leur font un bilan le plus complet possible de ce qui était et de ce qui a disparu.

L’Alsace est évidemment un cas à part dans le paysage français, au niveau culturel aussi. Au moment où plus de 600 000 personnes étaient évacuées vers le centre et le sud-ouest de la France, en septembre 1939, une partie des collections des musées de la région était mise à l’abri. Et donc les vitraux de la cathédrale des XIIe et XIIIe siècles représentant les empereurs germaniques qui avaient été précautionneusement déposés dès le lendemain de la signature du pacte germano-soviétique, le 23 août 1939.

Mgr Ruch, l’évêque de Strasbourg, et Charles Czarnowsky, architecte des monuments historiques de la ville, avaient supervisé cette délicate opération : ces vitraux avaient réchappé des bombardements du siège de 1870 et des flammes qui avaient ravagé le toit de la cathédrale et détruit la bibliothèque de la ville, ce n’était pas pour les exposer à une nouvelle guerre.

2 000 m2 de panneaux de verre, répartis dans 73 (certaines sources disent 75) caisses bourrées de foin et de papier pour absorber les chocs et les heurts ce long périple de 800 km et les voilà qui prennent la direction de la Dordogne et du château de Hautefort en compagnie de quelques inestimables manuscrits de la Bibliothèque humaniste de Sélestat et autres reliques colmariennes.

À l’abri. Mais pas pour très longtemps. Quand il visite la cathédrale de Strasbourg en vainqueur le 28 juin 1940, Adolf Hitler fulmine en voyant que sur le bas-côté nord de l’édifice des planches de bois clouées occupent les espaces vides, que ces vitraux, fruits du « génie allemand » comme il se plaît à croire soient aux mains des Français est insupportable au führer . Il exige leur retour sans délai au sein du Reich allemand dont l’Alsace fait désormais partie. Le régime de Vichy résistera mollement avant de céder.

En septembre 1941, les vitraux sont de retour à Strasbourg, dans une cathédrale que l’on dit « désaffectée » puisqu’aucun culte n’y est plus célébré. Ils sont remisés dans la crypte, les caves du lycée Fustel

« DES

VITRAUX DE LA CATHÉDRALE EN REVANCHE, AUCUNE

TRACE DEPUIS QUE,

de Coulanges, de la maison de l’œuvre Notre Dame et du grand séminaire. Une nouvelle fois mis à l’abri… mais à portée de mains.

LA GUERRE

FINIT TOUJOURS

PAR VOUS RATTRAPER

Seulement, la guerre finit toujours par vous rattraper, surtout quand vous l’avez provoquée. Et le 11 août 1944, la cathédrale est touchée par un bombardement allié qui détruit en grande partie le palais des Rohan voisin. Un mois et demi plus tard, le 25 septembre, la ville est encore frappée par les bombes. Il est temps de déménager ce que l’on

peut. Les nazis intensifient les transferts de biens vers des dépôts de repli provisoires en attendant de pouvoir tout rapatrier en Allemagne. Ils entreposent tableaux, sculptures, vases et meubles à Kaysersberg, Hachimette, Kientzheim, Scharrachbergheim ou au château du Haut-Koenigsbourg, le plus important d’entre eux. C’est là que le 14 décembre 1944, les larmes monteront

James Joseph Rorimer, à l’arrière-plan, et trois soldats américains en 1945 lors d’une mission de sauvetage d’œuvres d’arts spoliées par les nazis et entreposées au château de Neuschwanstein. C’est lui qui découvrira les vitraux de la cathédrale dans les mines de sel d’Heilbronn.

LES 16 ET 21 NOVEMBRE 1944, ILS ONT ÉTÉ CHARGÉS DANS DES CAMIONS POUR UNE DIRECTION ALORS INCONNUE. »
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aux yeux de Hans Haug quand il découvrira, intacts, La Crucifixion du retable d’Issenheim et La Vierge au buisson de roses qu’il avait cru perdus à jamais. Des vitraux de la cathédrale en revanche, aucune trace depuis que, les 16 et 21 novembre 1944, ils ont été chargés dans des camions pour une direction alors inconnue. Il faudra près de six mois d’enquête dans les archives allemandes, d’interrogatoires et de collectes de témoignages pour les retrouver, entassés dans une mine de sel à Friedrichshalle, près de Heilbronn, à une cinquantaine de kilomètres de Stuttgart, où les eaux du Neckar menaçaient de tout emporter.

Un travail titanesque mené conjointement par Hans Haug, membre de la Commission de récupération des œuvres d’art, spoliés et sortis du territoire par les Allemands durant l’Occupation et qui a retrouvé son poste de directeur des musées de Strasbourg, mais aussi Charles Czarnowsky, les personnels des musées et le capitaine des Monuments men Marvin C. Ross. En avril 1945, le groupe est rejoint par le lieutenant James Rorimer, futur directeur du Metropolitan Museum of Art de New York auquel Matt Damon prête ses traits dans le film. C’est lui qui découvrira, le 7 juin 1945, les vitraux et les autres œuvres d’art entreposées à Heilbronn, dans la future zone soviétique.

« LA CATHÉDRALE A RETROUVÉ SON ÂME »

Il faudra encore six mois, le temps que la situation se stabilise pour que les vitraux retrouvent Strasbourg. Une délégation comprenant Rorimer et des membres de son équipe, mais aussi Hans Haug, Charles Czarnowsky et six ouvriers alsaciens fait le voyage à la mi-septembre 1945, mais ce n’est que le 4 novembre qu’ils sont tous officiellement rendus par les Américains. Pour marquer ce moment historique (Un trésor inestimable nous est revenu, titrent les DNA le 6 novembre qui ajoutent qu’avec cette restitution « la cathédrale a retrouvé son âme ») une cérémonie officielle est organisée en présence

du général Keyes, commandant en chef de la VIIe armée américaine. James Rorimer y est décoré de la Légion d’honneur pour son action en faveur du sauvetage du patrimoine culturel.

Les Strasbourgeois et les touristes, eux, devront encore attendre quelques années pour admirer ces vitraux qui ne seront reposés en totalité qu’en 1960. La cathédrale pouvait à nouveau accueillir toute la lumière. a

La Vierge au buisson de roses, Martin Schongauer, 1473, huile et feuille d’or sur panneaux de résineux. Église des Dominicains, Colmar.

Hans Haug, emblématique directeur des musées de Strasbourg et artisan du retour des vitraux en la cathédrale.

53 a CULTURE №53 — Juin 2024 — Escapades
Archives de la Ville

Véronique Leblanc Alban

HÉLÈNE RASTEGAR AU PAYS DE SON PÈRE

« Shâd Bâsh : tout passe, alors vis dans la joie ». Le titre du film d’Hélène Rastegar est un proverbe persan, témoin de cette double culture qui façonne la jeune réalisatrice strasbourgeoise…

«

C’est quelque chose à part », dit-elle, « de différent par rapport à ceux qui ont une autre nationalité que celle du pays dans lequel ils vivent ».De mère française et de père iranien, Hélène a voulu connaître l’autre pays de ses origines, mais elle a mis dix ans à faire ce film qu’elle qualifie de « voyage initiatique ».

Au départ, elle voulait parler de cette opposition de gauche en exil dont fait partie son père opposant au shah qui dut ensuite fuir la République islamique pour trouver refuge à Paris. Très vite, elle a dû déchanter. « Ça ne marchait pas, je ne me sentais pas à la bonne place. Il a fallu du temps pour que j’admette que je devais faire un fim à la première personne en affrontant mon rapport à cette double culture ».

PASSEPORT POUR L’IRAN

Le film se noue autour d’une demande de passeport pour l’Iran. Projet fou ! Visiter la

terre de son père dans un monde à feu et à sang où le régime des mollahs foule au pied les droits des femmes.

Son père s’y est longtemps opposé, mais s’est incliné devant son obstination. Bon an mal an, tout en douceur, il a fini par l’aider dans les démarches quand bien même savait-il que son statut de binationale pouvait la mettre en danger. « En Iran, une Franco-Iranienne est considérée comme Iranienne. Dans ce pays c’est quitte ou double, pour un rien tout peut basculer vers la prison ou la mort. »

Alternant souvenirs d’enfance, dialogues avec ses parents ou avec des proches, repas de famille ou bien encore images documentaires, le film est émaillé de scènes en noir et blanc qui mettent en images les cauchemars qui ont tourmenté Hélène durant sa quête du passeport.

Cela ne va pas de soi aujourd’hui de se mettre en route vers l’Iran.

« Mon regard est celui d’une enfant de la deuxième génération, qui ne maîtrise pas

a CULTURE — LONG MÉTRAGE
54 a CULTURE №53 — Juin 2024 — Escapades

« EN IRAN, C’EST

QUITTE OU DOUBLE, POUR

UN RIEN TOUT

PEUT BASCULER

VERS LA PRISON

OU LA MORT. »

la culture, mais a quelque chose à dire. C’est aussi celui d’une fille sur son père et une réponse au regard des autres souvent coincé entre deux fantasmes, celui de la civilisation perse et celui du pays des terroristes fanatiques. Sans compter la méconnaissance géographique… Pour certains, par exemple, je suis Arabe, ils ne savent pas que l’Iran est en Asie. »

« JE CRAIGNAIS UNE FORME DE TRAHISON »

Tout en élan vers ce père « qui représente la tendresse », le film est tissé de gestes simples, de musique et de poèmes. « Il s’agit de mon premier long métrage, dit Hélène, il y aura un avant et un après, j’ai franchi un cap personnel et professionnel. »

Revenant sur le moment où elle a dû porter le voile pour la photo de passeport, elle dit qu’elle fera peut-être, un jour, un film sur la question du choix.

Mais elle ne sait pas… « en tout cas pas maintenant », « cela demandera à nouveau un cheminement ».

Se dire qu’elle devrait porter le voile en public au pays de son père après avoir été adolescente dans celui de sa mère l’a plongée dans un vertige qu’elle a résolu en renonçant à se rendre « en touriste » dans une dictature islamique. « Et puis, confie Hélène, quel sens cela aurait-il eu d’aller dans un pays que mon père a fui, même si ce n’est plus celui qu’il a connu. Je craignais une forme de trahison ».

Elle a par contre fait un magnifique voyage vers ce père trop absent de son enfance, visa pour l’Iran à lui seul. « Ce fut une mise au clair, une maturation, un passage à l’âge adulte. » C’est en cela aussi que Shâd Bâsh est universel. a

Spectres d’Europe

Chorégraphies

Pierre-Émile Lemieux-Venne / Lucas Valente / Alba Castillo

Ballet de l’Opéra national du Rhin

Colmar (Théatre) 7-9 juin

Mulhouse (La Sinne) 18-19 juin

Strasbourg (Opéra) 30 juin - 4 juillet

operanationaldurhin.eu

© Paul Lannes №53 — Juin 2024 — Escapades

TRANSMETTRE LES ÉTOILES LA QUÊTE DE CORENTIN KIMENAU

CONTRE LA POLLUTION

LUMINEUSE

Un documentaire, une marche.

Corentin Kimenau, Alsacien de 29 ans, s’est engagé dans la préservation du ciel étoilé.

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Les yeux vers les étoiles. Corentin Kimenau, un jeune homme de 29 ans originaire de Dabo, dans les Vosges centrales, garde le regard rivé vers le plafond céleste. Dans sa région natale, les étoiles brillent avec éclat lors des nuits dégagées, offrant un fascinant spectacle. C’est son arrivée à Strasbourg, pour ses études qui lui fera prendre conscience de sa chance d’avoir accès à ce trésor.

Son histoire – comme celle de son documentaire – commence avec l’acquisition d’un premier caméscope à l’adolescence. Il contemple, enregistre, apprend… Et se dirige vers des études en montage vidéo. Alors à Strasbourg, la réalité de la pollution lumineuse le frappe de plein fouet. « Je ne retrouvais plus le ciel que je connaissais », se souvient le jeune homme. Des enseignes, des lampadaires et autres sources de lumière artificielle éclipse les étoiles, privant l’œil urbain du ciel nocturne. Dans un monde où la lumière artificielle domine, Corentin ressent un appel irrésistible vers les grands espaces et le silence étoilé.

« UN APPEL À L’INFINI »

« Le silence, les grands espaces, c’est un appel à l’infini, à l’émerveillement, pour écouter le silence », partage Corentin Kimenau. Après avoir travaillé dans une boîte de production, Corentin décide de voler de ses propres ailes. En 2020, il se lance dans l’aventure de l’indépendance et réalise son premier documentaire intitulé Où sont passées les lucioles ? en parallèle de son emploi à temps plein. Ce documentaire, qui met en lumière les conséquences de la pollution lumineuse sur l’environnement nocturne, l’être humain et la faune marque le début de son engagement pour sensibiliser le public à cette problématique.

Pendant la réalisation de ce documentaire posté sur YouTube, Corentin rencontre Jean-Michel Lazou, correspondant Alsace Moselle de l’ANPCEN (Association Nationale pour la Protection du Ciel et de l’Environnement Nocturnes, cf. encadré ). Encore actif, et joint par téléphone, celui-ci se souvient de sa rencontre avec le jeune homme et rappelle l’importance du sujet : « La pollution lumineuse est un problème croissant dans le monde moderne, avec des conséquences dévastatrices pour l’homme, la faune et la flore. Les études montrent que l’exposition à une lumière artificielle excessive pendant la nuit perturbe les cycles naturels de sommeil et peut entraîner des problèmes de santé tels que l’insomnie, la dépression et l’anxiété chez les humains. De plus, la pollution lumineuse peut perturber les proces-

sus biologiques chez les animaux, en affectant leur comportement de reproduction, de migration et de recherche de nourriture ».

SOUS LE CIEL, À TRAVERS CHAMPS ET FORÊTS

En 2023, après avoir abandonné les droits de son documentaire, et participé à plusieurs évènements sur le sujet comme Le Jour de la Nuit, Corentin se lance dans un voyage à pied à travers la France. Accompagné de sa chienne Vega, il quitte Schiltigheim sous la pluie le 9 mai, entamant ainsi un périple de cinq mois jusqu’au sommet emblématique du Pic du Midi.

Pendant son voyage, il partage son expérience à travers des vidéos et photos

Marine Dumény Alban Hefti a CULTURE — VOYAGE
À
À L’ÉMERVEILLEMENT, POUR ÉCOUTER LE SILENCE. » 57 №53 — Juin 2024 — Escapades a CULTURE
« LE SILENCE, LES GRANDS ESPACES, C’EST UN APPEL
L’INFINI,

« ELLE EST TOUJOURS SEREINE, DU MOMENT QUE JE SUIS LÀ,

RIEN

NE LA

PERTURBE

ET ELLE N’A PAS BESOIN DE PLUS. C’EST

TOUTE UNE PHILOSOPHIE DE VIE QU’ELLE M’ENSEIGNE. »

postées sur les réseaux sociaux, attirant l’attention de millions de personnes. Grâce à une carte interactive préparée en amont, il invite les gens à se joindre à lui pour une journée, un verre ou même un hébergement.

L’arrivée au Pic du Midi, après avoir parcouru plus de 3 000 km à pied, séminaire sur la pollution lumineuse est son accomplissement. Il apporte avec lui non seulement son documentaire, mais aussi une expérience unique sous les étoiles. Parmi les moments marquants de son périple, Corentin se souvient des « petits cafés de village, des PMU qui sont de véritables “offices du tourisme” locaux », et d’une « nuit passée dans une église pour échapper aux vents violents, créant une atmosphère unique et mémorable, sacrée ».

« IL FAUT DÉCIDER DE LA TRACE QUE L’ON SOUHAITE LAISSER »

Aujourd’hui, Corentin Kimenau maintient le lien avec ceux qu’il a rencontrés ou l’ont suivi sur les réseaux, grâce à un système de correspondance personnalisée via son site internet. « Je ne suis pas trop branché messagerie instantanée, ce n’est pas du lien, je préfère parler aux gens ou prendre ma machine à écrire », partage-t-il. Il y vend également ses photographies. « Les lettres », reprend le jeune homme, « ont quelque chose de ponctuel et poétique, de beau. Les mots couchés sur du papier se relisent à l’infini avec toujours autant de force dans le message transmis. »

À travers Vega, sa chienne, Corentin voit le monde d’un nouvel œil : « Elle est toujours sereine, du moment que je suis là, rien ne la perturbe et elle n’a pas besoin de plus. C’est toute une philosophie de vie qu’elle m’enseigne ». Ce voyage, ce documentaire et cette philosophie sont une recherche de la beauté et de la préservation de notre ciel nocturne pour les générations futures. « Il me semble que chacun peut décider de la trace qu’il souhaite laisser en ce monde, sans parler de rechercher une gloire éphémère, on peut avoir beaucoup à donner à ce monde sous réserve de vouloir le faire ». a

L’ANPCEN a un rôle de sensibilisation et de conseils auprès des collectivités qui gèrent l’éclairage public, ainsi que des syndicats d’énergie, techniciens et citoyens. Ils aiguillent ceux-ci vers les bonnes pratiques à mettre en place et proposent des conférences et chartes d’engagement. Une carte de la pollution lumineuse est disponible sur leur site : www.anpcen.fr L’association recherche des bénévoles.

Où sont passées les lucioles, documentaire sur la pollution lumineuse sortit en 2021. Intagram :@nebuleuses_et_cacao @kimenau_corentin

Site internet : www.kimenau-corentin.com

Corentin Kimenau, Andromède, 2021
58 a CULTURE №53 — Juin 2024 — Escapades

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LA TÊTE DANS L’INFINI ÉTOILÉ

Dans ce numéro, Corentin Kimenau, originaire de Dabo, confie son engagement contre la pollution lumineuse et son souhait d’offrir le ciel étoilé à son prochain. Ce même ciel qui a su si bien veiller sur lui pendant son périple pédestre de 3000 km à travers la France, accompagné de la douce Vega, chien-loup tchèque de son état.

Les cadrages et multiples supports trahissent la formation en image du trentenaire. Capturées au numérique, avec un Sony A7SIII et des optiques « plutôt lumineuses », un téléobjectif ou des télescopes, les scènes nocturnes se font la part belle de cet extrait de traversée. Viennent également se greffer des photographies faites au Sony A7RII ou à l’iPhone.

Pourtant, la poésie n’est jamais bien loin chez Corentin Kimenau. Ainsi se font doucement reconnaître le grain caractéristique et la douceur de scènes immortalisées à l’argentique. Un Rollei 35 et de la Portra (160-400-800) tutoient les grands espaces, dans une recherche de teintes chaudes, un brin mélancoliques.

De quoi entrer dans cette saison printanière avec des envies de grands espaces, de simplicité et nous donner envie d’accrocher de nos yeux la fascinante voûte céleste.

www.kimenau-corentin.com

Le suivre sur Instagram : @kimenau_corentin

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ROMAIN SCHMITT LE MAESTRO DE RIFIFI

Originaire de Pfaffenhoffen où il a vu le jour il y a trente-six ans, Romain Schmitt est né sous une bonne étoile avec un père pianiste de jazz. Très vite serti dans le bain de la musique, il a choisi la batterie qui l’a mené directement au Conservatoire de Strasbourg. Depuis, il surfe sur les gammes de ses métiers : compositeur, arrangeur, directeur d’orchestre et, aujourd’hui, directeur musical de Rififi, la comédie musicale dont la première aura lieu à l’Espace K en octobre prochain…

Quand on le pousse un peu à se raconter, Romain Schmitt avoue volontiers avoir été primitivement un élève qui se reposait beaucoup sur ses facilités. « Ce n’est que vers l’âge de quinze ans que je me suis vraiment décidé à devenir un peu plus rigoureux avec moi-même et surtout, à investir un peu plus sur la musique. C’est à cette même époque que je me suis intéressé à la composition musicale, à l’harmonie, et j’ai assez vite compris l’importance des œuvres classiques, baroques et romantiques. »

Le démon de la composition musicale s’étant vraiment emparé de lui, Romain se souvient d’avoir commencé à écrire une symphonie dès l’âge de quatorze ans. « Bon, vis-à-vis de Mozart, c’était assez mauvais… » se marre-t-il aujourd’hui. Et, de fil en aiguille, la pratique de la batterie a fini par s’intégrer à un vrai projet musical, la création de Pepper Club – The Band. « À la base, raconte Romain, c’est un groupe soul-funk que j’ai monté pour produire de la musique d’ambiance avec des enregistrements studio de haute qualité, à l’atten-

a CULTURE — RIFIFI À L’ESPACE K 70 a CULTURE №53 — Juin 2024 — Escapades

tion des clients prestigieux des grandes marques de luxe, mais j’ai écrit aussi des musiques de film, pour les spectacles, les théâtres et notamment pour les spectacles de danse, ce qui m’a particulièrement intéressé, car je joue d’un instrument qui, justement, fait bouger les gens… »

RIFIFI , COMME UNE FORMIDABLE OPPORTUNITÉ…

Depuis déjà pas mal de temps, Romain Schmitt est donc plongé dans une forme de plénitude musicale : la composition, l’arrangement et la direction d’orchestre. Ce n’est donc pas tout à fait un hasard si la jonction avec le projet de comédie musicale de Jean-Luc Falbriard (lire Or Norme numéro 52 de mars dernier) a pu se réaliser. « Au début de l’été dernier, à la fin d’un stage de voix off-doublage à Strasbourg, on se donne rendez-vous dans un bar avec tous les stagiaires pour fêter la fin de cette formation et c’est sur le chemin de ce bar que je croise Jean-Luc Falbriard

que je connaissais déjà, car, beaucoup plus jeune, j’avais écrit la musique orchestrale d’un de ses spectacles. Et c’est lors de la discussion qui a suivi qu’il m’a dit qu’il avait écrit une comédie musicale il y a une quinzaine d’années et qu’il cherchait un compositeur pour écrire la musique de son projet… »

Les deux compères se retrouvent quelques jours plus tard et Jean-Luc avoue qu’il aimerait bien aller au bout de son projet « dans quelques années ». Immédiatement, Romain (après une simple lecture du pitch du livret) annonce tranquillement : « Tu sais quoi, on va la réaliser ta comédie musicale et la première aura lieu dans un an ! »

Immédiatement sur la même longueur d’onde et déjà complices, les rencontres se sont vite enchaînées. « Il y a un truc que j’essaie toujours de mettre immédiatement en œuvre » explique Romain Schmitt, « c’est celui d’entrer le plus précisément possible dans le cerveau de mon interlocuteur pour discerner avec certi-

« J’AI ASSEZ VITE COMPRIS L’IMPORTANCE DES ŒUVRES CLASSIQUES, BAROQUES ET ROMANTIQUES. »
Romain Schmitt en concert avec le Pepper Club en 2021.
71 №53 — Juin 2024 — Escapades a CULTURE

Jtude ce qu’il veut exactement. C’est une façon d’être vraiment raccord très vite entre ce que j’imagine déjà et la volonté du créateur de l’œuvre. C’est d’ailleurs la même technique que Pippa Simmons, que vous connaissez bien (lire Or Norme numéro 52 de mars dernier) met elle-même en œuvre et ça explique d’ailleurs pourquoi nous nous entendons aussi bien… »

TROIS ESTHÉTIQUES MUSICALES

Il ne faudra pas longtemps pour que le musicien et le metteur en scène scellent un accord formel et, quasi immédiatement, Romain Schmitt se met au travail : « J’ai fait un essai avec un des morceaux très inspirants du début de la comédie musicale, celui de quatre braqueurs qui arrivent dans une salle de spectacle et qui racontent comment ils vont dépouiller les gens. Non seulement, j’ai trouvé tout de suite la ligne mélodique de la chanson, mais, dans la foulée, j’ai fait l’arrangement et l’orchestration assez instinctivement, je suis parti sur un orchestre de sept musiciens, qui seront bien évidemment sur la scène dans la grande tradition des comédies musicales américaines, et j’ai, dans la foulée, réalisé les ébauches de plusieurs autres chansons. Tout ça a débouché sur une maquette audio, avec des sons assez basiques réalisés par ordinateur, et malgré la difficulté évidente d’imaginer ainsi comment tout cela allait sonner avec des vrais musiciens, JeanLuc m’a fait totalement confiance. Banco, on y va ! m’a-t-il dit tout de suite… » Et tout a pu s’enchaîner sans trop d’accrocs en commençant par la mise en mélodie de l’ensemble des chansons du livret : « Les textes de Jean-Luc étaient assez inspirants, je sentais bien le style et le genre musical à choisir pour chacune d’entre eux. Oui, tout s’est bien imbriqué pour les arrangements et l’orchestration et, bien plus tard, la sortie des partitions des quinze chansons commandées de cette comédie musicale qui se passe dans trois ambiances différentes : d’abord l’ambiance parisienne le musette ou encore la java puis c’est l’ambiance new-yorkaise avec le vrai jazz à laquelle succède la musique latine de La Havane,

trois esthétiques musicales très différentes que je maîtrise assez bien depuis que suis tout jeune. L’écriture des partitions se termine les jours prochains (cette interview a été réalisée à la mi-mars dernier – ndlr) et je dois dire que toute cette aventure a été, jusque-là, un vrai bonheur » raconte Romain.

Nous avons parfaitement ressenti à la fois la belle technicité musicale et la parfaite complicité qui unit toute cette équipe lors d’une sorte de « preview » organisée le 22 mars dernier à l’intention de certains partenaires mécènes du projet sur une scène annexe de l’Espace K. Croyeznous sur parole, ça promet vraiment. Nous aurons d’ailleurs l’occasion d’y revenir dans notre numéro de septembre prochain avec une rencontre avec Jean-Luc Falbriard, qui paraîtra à peine quelques semaines avant la première de Rififi a

À ÉCOUTER

www.pepperclubtheband.com

(allez donc jeter une oreille sur les enregistrements studio du groupe de Romain Schmitt, le talent dégouline de tous les morceaux…)

DOIS DIRE QUE TOUTE CETTE AVENTURE A ÉTÉ, JUSQUE-LÀ, UN VRAI BONHEUR. »
Romain Schmitt
« JE
72 a CULTURE №53 — Juin 2024 — Escapades

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MORGANE ROYO CONTEMPORANÉITÉ ET CARAVAGE

À travers l’objectif de son appareil, Morgane Royo fusionne la peinture et la photographie, héritage familial d’une vie nomade en Afrique. De ses récréations artistiques en confinement strasbourgeois à la construction de sa recherche, plongez dans l’univers de cette restauratrice d’œuvres peu commune.

Archéologue, photoreporter ou réalisatrice ? Enfant, Morgane Royo se rêvait déjà dans l’art. Bien lui en a pris, puisque cette restauratrice d’œuvres est également photographe. Et c’est une histoire de famille ! Née en Afrique, passée avec ses parents et sa sœur par le Sénégal et la Côte d’Ivoire, elle a toujours vu son père appareil photo en main. Photographe paysager, c’est aussi lui qui lui offrira son premier boîtier. Lorsqu’elle rentre en France à douze ans, dans le sud de la France, vers Montpellier, leur pèlerinage père-fille prend place dans l’exposition de photoreportages.

Arrive l’heure des grandes décisions. Pour son orientation, Morgane Royo est sûre d’une chose : elle souhaite mêler art, lettres et sciences dans son futur métier. Sans avoir de but précis, elle prépare sur un coup de tête, en quinze jours, les concours de l’INPI de Paris, pour la restauration des œuvres. Et c’est un coup de maître puisque voici ouvertes pour elles les portes du monde très fermé de la restauration. Là aussi son cœur balance et pour sa spécialisation dans le Master de ce diplôme d’État, il finira par pencher vers les manuscrits persans. Elle se mettra

À droite : Autoportrait à la fraise par Morgane Royo.

À gauche : Portrait de Ana de Mendoza, princesse d’Éboli, source d’inspiration.

a CULTURE — PHOTOGRAPHIE
Marine Dumény © Morgane Royo
74 a CULTURE №53 — Juin 2024 — Escapades
75 №53 — Juin 2024 — Escapades a CULTURE

à son compte puisque les places dans le public sont chères et aussi rares que les œuvres sur lesquelles elle travaille.

STRASBOURG, MON

AM… CONFINEMENT !

Rares, mais existantes ! Une ouverture de poste de restauratrice à la BNU de Strasbourg lui fait faire ses bagages. Direction le pays des cigognes, des bretzels et bienvenue dans la ville de Môman avec ses élégants colombages. Oui, mais voilà… En nous ouvrant la porte de son studio photo portatif, elle se souvient : « Nous sommes en 2019, je vis dans un 19m2 près de la sublime cathédrale de Strasbourg, et je suis… confinée ! ». L’œil pétillant de celle qui refuse de se laisser abattre se dirige vers les impressions A4 au mur. « Il me fallait un projet. Un projet prenant, qui se partage et me permette de communiquer avec l’extérieur ». Alors, pour sortir de la litanie répétitive et morose

« LA CRÉATIVITÉ HARCÈLE, L’ART DÉMANGE, LE CULOT FAIT

LE RESTE... »

des journées de confinements, pour se réapproprier un équilibre de vie, et parce qu’entre amies elles se lancent un jour un défi de se faire deviner une œuvre (cinématographique, littéraire, etc.) : Morgane Royo se met à créer. À l’aide d’un objectif. « J’avais débuté la photographie en argentique, puis avec un D80 offert par mon père. Avec cela j’avais un petit objectif 18-55 millimètres un trépied et puis par la suite ça a été de la débrouillardise avec un rideau une lampe de bureau des accessoires, etc ».

La première œuvre réalisée pour ses amis pendant le confinement fut celle d’entrer dans la reconstitution d’un maître italien. Sa première vraie photo du style a été réalisée en 2020. C’est d’ailleurs un portrait familial qui lui est cher. À la suite de cela, ses parents lui ont offert un studio mobile.

Un des principaux traits du travail de Morgane Royo, c’est l’intégration dans sa reconstitution d’éléments bricolés, créés

À gauche : Le prêteur et sa femme par Morgane Royo.

À droite : Le prêteur et sa femme par Quentin Metys, 1514

76 a CULTURE №53 — Juin 2024 — Escapades

de toutes pièces avec les moyens du bord. Du body painting, des collerettes en feuilles A4, des voiles en film alimentaire… tout est dans l’illusion ! « Pour la reconstitution du Prêteur et sa femme, la balance est remplacée par deux bouchons de vin et un bout de fil de fer », illustre la créatrice. Sa préparation, sa recherche, ce temps passé sur les décors et ses accessoires, sa quête constante de modèle qu’elle va même jusqu’à interpeller dans la rue, font partie de sa trame créatrice.

NOTION D’OMBRE ET DE LUMIÈRE

Pour son choix de tableaux, ce qu’elle met en valeur, c’est le feeling et l’intérêt technique qui s’y rapporte, ensuite : « Je me donne en général un mois pour réaliser un tableau, c’est-à-dire accessoirisation, recherche de modèles, confection des accessoires, du décor, calcul de la lumière, etc. ». D’ailleurs, cette notion

d’ombre et de lumière fait elle aussi partie intégrante de son travail intrinsèquement lié à la photographie, cette notion entre en résonnance avec les choix des tableaux qui l’inspirent, de Chagall à Caravage.

Morgane Royo ne cherche pas tellement à transmettre un message à travers son œuvre, mais plutôt une expérience, un esprit ludique, l’envie de faire sourire le spectateur de son œuvre. « Pour moi, c’est une activité récréative dans tous les sens du terme : de la création à la récréation en passant par la re-création. J’ai coutume de dire : “La créativité harcèle, l’art démange, le culot fait le reste.”

Cette activité, c’est un peu ce qui concentre mon équilibre intérieur. Une sensation d’accomplissement à la fin de chaque mois, quand j’ai réalisé une nouvelle œuvre ». D’ailleurs, cette sensation prendra plus de sens encore en octobre, puisque ses œuvres feront partie de l’exposition Art Photography, en octobre. a

Ci-dessus : Coquetterie complice, par Morgane Royo.

À gauche : Sous les oliviers (Coquetterie) par Francis Picabia 1925-1926

EXPOSITION

Strasbourg Art Photography, Médiatheque protestante du Stift (1b quai Saint-Thomas). Exposition de photographie contemporaine, tout au long de l’annee.

77 №53 — Juin 2024 — Escapades a CULTURE

JULIE DOUCET ÉLECTRON LIBRE !

En allant voir la « rétrospection » Julie Doucet au Musée Ungerer, on entre dans un vrai monde. En effet c’est un travail très particulier que propose cette auteure protéiforme née en 1965 qui a pratiqué la BD avant d’aller vers le graphisme, la gravure, l’édition de petits livres faits à la main, devenant une artiste à part entière. Le jeu de mots entre rétrospective et introspection est bienvenu, c’est son regard personnel sur le trajet déjà accompli mais toujours en devenir qui est le sujet de cette exposition.

Horoscope, 2023, encre noire sur papier. Collection de l’artiste

Cette sorte de « beau bizarre » est d’une grande force et trouve parfaitement sa place, de par son originalité, dans le musée du facétieux Ungerer. Dirty Plotte, la bande dessinée de Julie Doucet sur le mode des fanzines des années 60 et 70 est exposée, très noire avec un trait épais, proposant un féminisme transgressif abordant le corps de la femme par le biais des règles, de la sexualité ou du harcèlement sexuel.

Julie Doucet se sentant à l’étroit dans le format de la BD et ce monde masculin très stéréotypé, elle vire casaque dans les années 2000 vers plus de liberté personnelle et formelle. L’écriture et de l’image se croisent, cherchent à travailler ensemble, demandent un engagement subjectif à l’auteure. Car la grande question de Julie Doucet est peut-être bien celle du livre. Elle commence à les fabriquer elle-même et les édite sous le label personnel du Pantalitaire. Romansphotos ou accordéon dit leporello, des dessins poèmes visuels, carnets, collages vont de pair. Cette sortie du circuit commercial n’est pas sans risques

images ©
a CULTURE — ILLUSTRATION
Isabelle Baladine Howald Portrait par Prune Paycha –
Julie Doucet
78 a CULTURE №53 — Juin 2024 — Escapades

Mon forcast, 2010, collage sur papier. Collection de l’artiste

Dessin pour Rolling Stone, 24 août 1998, encre noire et gouache sur papier. Collection de l’artiste.

mais lui vaut une vraie reconnaissance et elle y gagne à être pleinement elle-même.

Les dessins frappent, les visages accrochent. Les nombreux collages font penser aux « cadavres exquis » de Dada, mots collés apparemment au hasard sous lesquels affleurent une signification joueuse, on pense aussi à Keith Haring (têtes carrées) ou même à Roy Lichtenberg. Et puis on les oublie, on découvre Julie Doucet. Sous cet apparent foisonnement, une force impressionnante, un travail obstiné, une recherche qui n’est pas gratuite. Idem pour les petits tableaux dans lesquels un carré de mots trouve sa contrainte. Le rouge, le noir dominent souvent dans les portraits (série Mellek). Quelques constructions en bois sont posées sur une étagère, rappelant le Bauhaus.

Julie Doucet, artiste contemporaine voyageuse qui a vécu un peu partout décide à un moment de ralentir un peu, elle fonde le Mouvement lent. Ces vingt dernières années sont pourtant intensément créatives.

Si on ne la connaît pas, il faut la découvrir. Le petit chemin qui va de l’entrée jusqu’à l’exposition est sinueux et on se dit que c’est normal. Il faut du temps et bien des recherches pour arriver à dire ce que l’on veut, qui l’on est, ce que l’on propose au regard de l’autre. Julie Doucet est en pleine maturité. a

« LES

DESSINS FRAPPENT, LES VISAGES ACCROCHENT. »

EXPOSITION

Julie Doucet. Une rétrospection Du 25 avril au 3 novembre 2024

Musée Tomi Ungerer/Centre international de l’Illustration 2 avenue de la Marseillaise

67000 Strasbourg

80 a CULTURE №53 — Juin 2024 — Escapades

Dani sur fond rouge, s.d., gravure sur bois en couleur. Collection de l’artiste

Hors les chemins

Opéra national du Rhin

Opéra

Picture a day like this George Benjamin

Ariodante Georg Friedrich Haendel

Les Trois Brigands Didier Puntos

Les Contes d’Hoffmann Jacques Offenbach

Peer Gynt Edvard Grieg

La Traviata Giuseppe Verdi

Brundibár Hans Krása

Giuditta Franz Lehár

Sweeney Todd Stephen Sondheim

Werther Jules Massenet

Danse

Noces Hélène Blackburn / Bruno Bouché

Casse-Noisette Rubén Julliard

William Forsythe

Kamuyot Ohad Naharin

operanationaldurhin.eu

Saison ’24’25
Illustration © Sarah Martinon
Dirty Plotte, septembre 1988, encre noire, collage et correcteur blanc sur papier. Collection de l’artiste.

CINÉMA RENDRE À LA FOLIE TOUTE SON HUMANITÉ

Du 28 février au 9 avril, le Cosmos proposait son neuvième cycle sur la santé mentale au cinéma, Ce monde est fou. Fragilité, névroses, traumatismes, pathologies diverses… Tant de thèmes traduisant implicitement le rapport que la société entretient avec ce qui est considéré comme hors normes.

Mais sommes-nous plus fous que le monde dans lequel nous vivons ? Sait-on encore ce que ce mot veut dire ?

Par le prisme du cinéma, il est ici creusé avec tendresse. À travers les trente-sept films proposés, c’est l’humain dans toute sa force et sa fragilité qui s’exprime. De Stanley Kubrick à Joachim Trier en passant par Raymond Depardon, le Cosmos proposait jusqu’au mois dernier un panel des plus éclectiques sur le sujet.

Retour sur deux des œuvres présentées, datant toutes deux des années 90. Une fiction culte signée Albert Dupontel et un documentaire réalisé par Nicolas Philibert, qui gagnerait à être (plus) connu. À (re)voir sans plus attendre.

BERNIE D’ALBERT DUPONTEL (1990) UN OVNI AUSSI NOIR QU’HUMANISTE

Du haut de ses trente ans, Bernie, bébé balancé au vide-ordures un soir de Noël, est complètement névrosé et déconnecté du monde réel. Il quitte l’orphelinat où il a grandi afin de se lancer dans une véritable quête d’identité, et sème alors le désordre partout où il passe. Petit, l’imprévisible personnage au rictus troublant faisait des feux d’artifice en crachant sur les fusibles d’un transformateur électrique. Loufoque et absurde, à la Benoît Delépine ou à la Bertrand Blier, ce film offre un scénario et une bande originale absolument déjantés.

Bernie est tantôt violent, tantôt touchant. Aussi beau qu’abominable. C’est trash, c’est drôle. S’il dérange, c’est peutêtre car il dépeint les réalités de notre système. Celles que l’on refuse d’admettre, celles que l’on ne doit pas montrer. Il a aussi le pouvoir de faire relativiser sur sa propre folie. Ne le sommes-nous pas tous un peu ? a

Léa Daucourt DR
a CULTURE — CYCLE COSMOS
J
82 a CULTURE №53 — Juin 2024 — Escapades
Bernie Noël dans Bernie (Albert Dupontel)

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LA MOINDRE DES CHOSES DE NICOLAS PHILIBERT (1996) : FOLIE DOUCE

À travers ce cycle, le Cosmos a également eu la volonté de rendre hommage à la psychiatrie publique. Ce documentaire a été tourné en été 1995. Pensionnaires et soignants de la clinique psychiatrique de La Borde se rassemblent pour préparer la pièce de théâtre qu’ils joueront le 15 août. Cette clinique est le lieu de la mise en pratique de la « psychothérapie institutionnelle ». Psychiatrie à visage humain, il y est question de partage des tâches et de reconnaître à chaque individu sa singularité, en construisant, au fil des rencontres, une thérapie sur mesure.

La musique, le théâtre, la peinture et la lecture relient les êtres. On prend le temps de les écouter, de les regarder, de se reconnaître en eux parfois. On y observe le temps qui passe, les petits riens, la solitude et la fatigue, mais aussi, et surtout l’attention profonde que chacun porte à l’autre. Les préjugés s’envolent, tout simplement, car les fous ne sont plus tenus à l’écart. « On est protégés ici, on est entre nous », confie l’un des pensionnaires, face caméra. Attendrissant d’humanité. a

a CULTURE — CYCLE COSMOS 84 a CULTURE №53 — Juin 2024 — Escapades
La moindre des choses de Nicolas Philibert.

ROLAND REUTENAUER LE POÈTE DES PAYSAGES

C’est le printemps sur la petite route de Wingen-sur-Moder. Roland Reutenauer habite ici depuis longtemps. Violettes et perce-neiges en fleurs, petite maison chaleureuse, envahie de livres, accueil généreux de la maîtresse de maison et du poète, prix Artaud en 1979 et Prix Guillevic en 2016, qui publie Une inconnue de passage à l’Herbe qui tremble.

Roland Reutenauer, vous avez publié plus de vingt livres. Quand la poésie est-elle devenue votre mode d’expression ?

Roland Reutenauer : Je commençais à lire de la poésie à l’adolescence : Baudelaire, Rimbaud, Verlaine, les surréalistes. J’étais attiré par ce genre qui condense la parole et accorde une égale importance à la forme et au fond. Je plaçais la poésie au sommet de la littérature, enracinée dans l’existence.

J’ai publié un premier recueil à 24 ans et un deuxième cinq ans plus tard. Avec le recul, j’ai jugé que je n’avais pas encore trouvé ma voix. Je débute ma bibliographie avec l’Équarrisseur aveugle paru quand j’avais 32 ans. Assez rapidement j’ai eu la chance que des critiques littéraires et des poètes confirmés m’encouragent ainsi à persévérer dans l’écriture.

Le sous-titre journal d’une rémission sans date est l’écho d’une maladie qui s’éloigne. Avez-vous senti une différence dans la manière de traiter les thèmes ?

R. R. : Depuis le début de la maladie, les paysages qui apparaissent dans tous mes recueils sont devenus essentiellement les paysages qui me sont chers et que j’ai sous les yeux depuis l’enfance. Un poème se termine par : comme le banal devient merveilleux / à l’approche de la fin

C’est, je crois, une expérience banale et commune, je l’ai fortement vécue un matin de mars en regardant le buisson du forsythia dans la cour. La réalité semblait se transfigurer, les couleurs semblaient se densifier. J’ai écrit les poèmes de mes deux derniers recueils avec la conscience aiguë de l’extrême fragilité et précarité de tout.

Ce qui caractérise votre écriture c’est une douce ironie. À quoi est due cette caractéristique, seriez-vous stoïcien ?

R. R. : Il s’agit d’auto-ironie qui voudrait, je pense, prévenir tout pathos. Oui, je crois l’être un peu, stoïcien. Il ne m’est pas difficile d’adopter une telle position aussi longtemps que la santé ne me quitte pas pour de bon. À l’approche de l’instant fatal, je crains que mon stoïcisme ne vole en éclats.

Roland Reutenauer, poète français né en 1943. Distingué à de nombreuses reprises, l’essentiel de son œuvre a été publié aux Éditions Rougerie et aux Éditions L’herbe qui tremble.

a CULTURE — POÉSIE 86 a CULTURE №53 — Juin 2024 — Escapades

L’autre caractéristique c’est l’inquiétude, me semble-t-il. La brièveté de la vie, le monde qui change, la nature et l’humanité en danger en sont-elles la cause ?

R. R. : Une certaine inquiétude ne me quitte jamais entièrement. Dire que la vie est brève relève d’un truisme que tout un chacun peut vérifier de façon intense s’il se retourne en fin de parcours. Une inquiétude oui, quand j’observe avec quelle obstination on détruit le vivant, faune et flore, la diminution du nombre d’oiseaux qui viennent picorer devant ma porte en hiver. Quand j’observe avec quelle désinvolture on saccage les paysages.

Rentré de l’hôpital / tu viens saluer le chêne / que tu plantais dans ta chambre / les yeux fermés.

La poésie est-elle pour vous l’expression d’une gratitude ?

R. R. : Le chêne derrière ma maison est ici l’objet de ma gratitude, sous la protection duquel je me plaçais dans la chambre d’hôpital.

L’émotion qui peut nous saisir devant un magnifique paysage, ou un paysage familier, le poème qui la fixe exprime implicitement, un sentiment de gratitude.

Vous êtes adepte d’une forme plutôt classique. Vous écrivez : Jeune tu te prenais / pour un apprenti faiseur d’étincelles / avec les silex de la langue. Est-ce qu’on simplifie son écriture avec le temps ?

R. R. : Dans le livre récent de Pascal Quignard, Les Heures heureuses, j’ai relevé cette formule : Poème par pure insurrec-

tion émotive. Les poèmes d’Une inconnue de passage peuvent se ranger dans cette catégorie de l’insurrection émotive Ces poèmes ont demandé à être « peaufinés » sans que soit défiguré le premier jet, pour traduire au mieux cette émotion qui devient ainsi lisible et communicable. « Apprendre à dire », préconisait René Daumal. Je m’y applique depuis de nombreuses années. a

Le poète est rentré chez lui, l’abatjour orange de sa lampe l’éclaire, attentif au poème, attentif aux oiseaux, attentif aux chevreuils de l’aube. Nous repartons, passons par la vieille forêt des comtes de Hanau, puis par les vignes. Bientôt : Février de cristal et de perce-neige sur les talus/ le soir ébrèche la transparence.

87 №53 — Juin 2024 — Escapades a CULTURE

Élections européennes

La Space Odyssée d’Odette

« J’aime bien Bernard Guetta. Il est sur quelle liste ? » « Renew ». « Je vais lire leur programme. Par contre, je te préviens : hors de question de voter pour Renaissance ! Plutôt crever que de voter pour le p’tit Roi ». Passé un léger moment d’inconfort « terminologique », ce soir-là, j’avoue qu’elle était plutôt en forme ma petite retraitée. Elle qui, vous l’aurez compris ne porte pas notre Président dans son cœur. Ou alors, lacéré à coup de faucille et ses restes aplatis au marteau.

88 S ACTUALITÉ №53 — Juin 2024 — Escapades
S ACTUALITÉ — ÉLECTIONS EUROPÉENNES

Odette – c’est son nom – fait rarement dans la demi-mesure. Très à gauche – le NPA, à l’écouter, ferait presque office de parti centriste, elle a depuis longtemps fait sienne une exigence de bon sens et d’humanisme. En d’autres termes : ne pas prendre les migrants pour des profiteurs sociopathes, lutter contre l’idéologie de la N du R, et arrêter de se foutre des classes moyennes de plus en plus cibles de la logique ultralibérale. N’en déplaise aux storytellers présidentiels, chez Odette, Macron, ça ne passe pas. Mais vraiment pas.

Seul souci : Odette est profondément pro-européenne et très touchée par la guerre en Ukraine. Alors tout ce qui se place aux extrêmes l’interroge : comment laisser tuer au nom de Pouchkine ou de Boulgakov ? D’un côté, la LFI s’enlise dans sa complicité silencieuse, de l’autre le RN et Reconquête – deux partis qu’elle exècre

– dans leurs amitiés coupables. Quant à l’Europe, l’Union n’est pas davantage leur préoccupation : Manon Aubry martèle que le 9 juin sera le premier tour des présidentielles. Jordan Bardella, lui, rêve déjà de législatives anticipées. Sur le projet européen : rien, nada.

« LA CAGE AUX FOUS »

Passons la liste « citoyenniste » de Lalanne et Dieudonné. Une bien belle « La Cage aux fous », terme emprunté à leur spectacle de 2003, qui réunirait selon leurs propres dires « une vingtaine de collectifs de résistants, complotistes et dissidents, gilets jaunes et patriotes (…) », pour faire « une liste unique de la résistance au service de la population qui refuse ce système politique totalitaire (français et/ ou européen) de violence qui nous détruit tous ». Des fois, un petit séjour en Russie

ou en Biélorussie ne ferait pas de mal à certains pour se remémorer le sens de certains mots…

Les Verts auraient pu séduire Odette. Mais, par sa gestion ubuesque de notre ville, notre Jeanne locale a fini de la convaincre du « tout sauf eux ». Marie Toussaint appréciera. Dommage, parce qu’historiquement, les écologistes sont l’un des partis les plus bosseurs du Parlement. Resterait bien alors Glucksmann, le nouvel espoir de la sociodémocratie hexagonale, qu’Odette n’aime pas, mais résolument engagé en faveur de l’Ukraine, pays qui, tout comme l’avenir de l’UE, n’a rien d’une Affaire étrangère. A minima littéraire, en relisant ces mots jadis écrits par le pasteur Martin Niemöller : « Quand les nazis sont venus chercher les communistes, je n’ai rien dit, je n’étais pas communiste. Quand ils ont enfermé les sociaux-démocrates, je n’ai rien dit, je n’étais pas

89 №53 — Juin 2024 — Escapades ACTUALITÉ  S

« Les europhiles les plus convaincus ont raison d’exprimer leurs craintes, à commencer par le Mouvement européen, présidé par un Strasbourgeois. »

social-démocrate. Quand ils sont venus chercher les syndicalistes, je n’ai rien dit, je n’étais pas syndicaliste. Quand ils sont venus me chercher, il ne restait plus personne pour protester ».

Le « non élu du cœur » d’Odette n’a de ce point de vue pas tort quand il insiste sur l’urgence qu’est celle de l’Union à se mettre en ordre de bataille. La déclinaison des souverainetés européennes à renforcer est légion : militaire, industrielle, sanitaire, pour n’en citer que trois, sur lesquelles ont commencé à se pencher Strasbourg et Bruxelles depuis la crise du COVID. Bien sûr, cela a un coût, pharaonique, auquel s’ajoute celui de la lutte contre le dérèglement climatique, la gestion de crises migratoires que le premier n’aura d’autres effets que d’accentuer. Mais quel sera, à l’inverse, le prix à payer de notre inaction ?

« LE MONDE

(SANS L’EUROPE) »

Les europhiles les plus convaincus ont raison d’exprimer leurs craintes, à commencer par le Mouvement européen, présidé par un Strasbourgeois. Mais imaginer une campagne inspirée d’un grand quotidien du soir, Le Monde (sans l’Europe), a quelque chose de désespérant tant « faire peur » avec des manchettes du type Choc mondial : Après les élections du 9 juin, l’Europe annonce sa fin a déjà

quelque chose d’inaudible dans les intentions de vote. Ma buraliste ne s’en cache pas et appelle à un Frexit ! Comme nos voisins d’outre-Manche ! « Parce qu’ils vont bien mieux depuis le Brexit ». Pas certain, cependant, qu’eux-mêmes partagent encore l’analyse.

Alors pour qui voter ? Pour Stéphane, rencontré au coin d’un demi à l’Atlantico : aucun ! « Tous se foutent de nous », « ils ne pensent qu’à leur gueule ». « Que veux-tu que je te dise ? ». Pauline, elle, dans son petit café non loin du pont du faisan avoue un certain vertige face aux multiples défis du moment, avec l’espoir que l’écologie ne sera pas oubliée. À voir…

FAIS (PAS)

COMME L’OISEAU

À l’heure où j’écris, Odette, elle, est un peu perdue. Aimerait juste qu’on lui explique la big picture, le projet – pas hexagonal, mais européen – que chacun prévoit de défendre. Instaurer des listes transnationales, comme en avait fait une priorité notre ancienne ministre chargée des Affaires européennes et directrice de l’ENA aurait pu aider à y voir clair. Une liste par groupe politique, un programme commun, à travers toute l’Union. Côté visibilité, en amont de l’élection, on pourrait faire pire. Mais ça, c’était avant qu’elle ne se mette à dos l’ensemble du groupe Renew qu’elle était promise à diriger. Et que ses collègues européens lui

chantonnent par la négative la chanson de Fugain : Fais (pas) comme l’Oiseau

À ce stade, j’en aurais presque oublié la liste LR, rattachée au PPE, conduite par François-Xavier Bellamy. L’ancien enseignant semble avoir trouvé comment remobiliser les électeurs. Simple : inviter Polska, la chroniqueuse d’Hanouna « révélée » sur l’effeuillé OnlyFans à venir découvrir à ses côtés les dessous de l’exercice parlementaire. De quoi lui mettre, à elle et ses abonnés, des paillettes militantes dans leur vie électorale. Mais pas sûr, néanmoins, que cela aidera Odette à dégrafer les étoiles de son cœur d’Européenne. S

90 S ACTUALITÉ №53 — Juin 2024 — Escapades

Un pôle réemploi à Strasbourg Uzaje

Spécialisée dans le lavage industriel de contenants alimentaires pour réemploi, l’entreprise Uzaje est en passe de se doter d’un nouveau centre à Strasbourg, avec l’ambition de couvrir un large territoire, bien au-delà des seules frontières alsaciennes.

92 S ACTUALITÉ №53 — Juin 2024 — Escapades
S ACTUALITÉ — INDUSTRIE
Emmanuel Auberger, président fondateur d’Uzaje

Il y a quelques semaines rue de Cherbourg, à Strasbourg. C’est là, au cœur du Port du Rhin, que sortira prochainement de terre le troisième centre de lavage industriel de contenants alimentaires de l’entreprise Uzaje, après ceux de Neuilly-sur-Marne (2021) et d’Avignon (2022). « La première machine de lavage sera installée début juillet et celle dédiée aux bouteilles au début de l’automne, mais le site ne sera vraiment pleinement opérationnel qu’en octobre ou en novembre », précise Emmanuel Auberger, le président fondateur de la société créée en 2019.

STRASBOURG, TOUT SAUF UN HASARD

Le choix géographique de cette nouvelle implantation n’a rien d’anodin et relève autant d’une forte sensibilité régionale à la consigne, dont le marché n’a jamais disparu en Alsace, que d’une stratégie de développement à l’échelle européenne, notamment vers l’Allemagne, toute proche. Capable de laver plusieurs centaines de millions de contenants par an, qu’ils soient de grande ou de petite taille, en verre, en plastique ou en inox, la future unité strasbourgeoise permettra à tous les acteurs de la distribution alimentaire et de l’industrie agroalimentaire d’accéder localement à un système de lavage pour réemploi. Car si les grands producteurs alsaciens de bière ou d’eau minérale, par exemple, disposent de leur propre unité de lavage, la quasi-majorité des autres acteurs du secteur restent aujourd’hui dans l’impasse, en raison de la lourdeur des investissements à réaliser comparée aux faibles volumes à traiter.

Encouragé par la loi anti-gaspillage pour une économie circulaire (Agec), qui fixe un objectif de 10 % d’emballages réemployés en France pour 2027, Uzaje compte s’attaquer à tous les marchés et à tous les contenants, consignés ou non. Dans la ligne de mire de l’industriel, les bacs inox de la restauration scolaire, les gobelets plastiques des festivals et des événements sportifs, les bouteilles d’eau, de vin et de bière des cafés, hôtels, restaurants (CHR), les flûtes alsaciennes des vignerons et même les pots de cornichons et les seaux de choucroute… Bref, tout contenant alimentaire est susceptible de transiter par le centre strasbourgeois. « Techniquement, on a réussi à lever tous les freins », se félicite Emmanuel Auberger, « y compris celui lié au décollage des étiquettes sur les

« La future unité strasbourgeoise permettra à tous les acteurs de la distribution alimentaire et de l’industrie agroalimentaire d’accéder localement à un système de lavage pour réemploi. »

bouteilles en verre ». Un procédé récent, mis au point par l’industriel, vient désormais à bout des plus réfractaires.

DE LA CAPTATION À LA LOGISTIQUE

Ce large objectif se confronte toutefois à deux problématiques majeures. La première concerne la récupération même de certains contenants, notamment des bouteilles ; l’autre tient directement à l’organisation du transport

entre le producteur, le distributeur et le laveur. Sur ce second point, Uzaje a intégré le réseau Alsace consigne et l’association allemande Mehrwegverband, dédiée à la promotion des contenants réutilisables outre-Rhin. « Ce sont des points d’échange qui permettent justement de mettre en relation les différents acteurs de l’économie circulaire afin notamment d’optimiser la logistique ». Quant à la « captation du gisement », c’est l’expression d’usage, elle relève de plusieurs modalités dont certaines restent

93 №53 — Juin 2024 — Escapades ACTUALITÉ  S

à organiser ou à développer. « On peut d’abord compter sur les RVM ( reverse vending machine ), ces distributeurs automatiques inversés que l’on retrouve notamment dans certains supermarchés et qui permettent de déposer ses bouteilles consignées. Il faut les déployer un peu partout », détaille Emmanuel Auberger. « Pour les CHR, la logistique existe déjà avec les distributeurs de boissons. On doit pouvoir facilement se greffer dans ce circuit », enchaîne-t-il. « Enfin, tout reste à faire ou presque dans les grandes zones œnotouristiques de la région », où les vignerons ont un rôle à jouer dans la récupération des vides. « La profession est suffisamment structurée pour que l’on puisse rapidement avancer sur ce sujet. Et peu importe si, aujourd’hui, il existe une vingtaine de formats différents de bouteilles. Si on préférerait traiter un modèle standardisé, on reste capable de tout laver. Lançons déjà le mouvement, sur ce type de contenant comme sur les autres. Les questions d’optimisation viendront plus tard ».

Connecté aux enjeux tout à la fois écologique, économique et énergétique de ce marché en pleine construction, Uzaje, qui inaugurera son centre strasbourgeois le 8 octobre prochain, bénéficie du soutien financier de l’Ademe (Agence de la transition écologique), alors que l’Eurométropole de Strasbourg et l’entreprise à mission Citeo accompagnent, de leurs côtés, les initiatives locales en faveur du réemploi. S

Centres de lavage (Avignon et Neuillysur-Marne)

94 S ACTUALITÉ №53 — Juin 2024 — Escapades
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Strasbourg, pionnière avec L’Ordonnance verte

Du bio, des infos et des livres pour maman et bébé

À destination des femmes enceintes strasbourgeoises, L’Ordonnance verte est une vraie bonne idée pour les sensibiliser aux méfaits des perturbateurs endocriniens durant la grossesse. Au programme, deux ateliers, la remise hebdomadaire de paniers de légumes bio en circuit-court, et en complément, la possibilité d’exercer une activité physique et un volet lecture pour bébé.

96 S ACTUALITÉ №53 — Juin 2024 — Escapades
S ACTUALITÉ — ORDONNANCE VERTE

Strasbourg chouchoute ses femmes enceintes. À l’initiative du docteur Alexandre Feltz, la Ville a lancé en 2023 L’Ordonnance verte, une expérimentation pionnière en France pour sensibiliser aux effets des perturbateurs endocriniens durant la grossesse et au-delà. « Différentes études nationales et européennes rendues par le réseau Environnement et Santé font état de trois populations particulièrement exposées aux perturbateurs endocriniens : les femmes enceintes, les jeunes enfants et les adolescents, révèle docteur Feltz, adjoint à la maire en charge de la santé publique et environnementale. Les perturbateurs endocriniens ont des effets délétères sur la mère et l’enfant à venir : obésité, diabète, troubles de l’attention et autistiques, cancers hormonaux dépendants, mais aussi troubles de la fécondité, stérilité ou puberté précoce sont en nette augmentation… » Un tableau alarmant qui a enclenché un plan d’actions à 700 000 € pouvant toucher chaque année 1 500 femmes enceintes strasbourgeoises.

REPENSER SON ASSIETTE POUR BÉBÉ ET LA PLANÈTE…

Au programme : deux ateliers animés par La Vie en vert et ses écoconseillers et diététiciennes, soit une vingtaine d’ateliers par mois organisés sur l’ensemble du territoire strasbourgeois. Le premier, « Vivre sa grossesse sans perturbateurs endocriniens » et comment s’en protéger. Le second détaille les astuces pour repenser son assiette pour bébé et la planète.

Clara, 37 ans, qui vient de donner naissance à son troisième enfant, se sent reconnaissante d’avoir pu intégrer le dispositif : « Même s’il y a des choses que l’on a déjà en tête, il y en a plein que l’on oublie. Ces ateliers sont une vraie sensibilisation et permettent d’avoir les bonnes informations sans faire de multiples recherches, souligne-t-elle. C’était l’occasion de revoir quels poissons privilégiés durant la grossesse, quel type d’ustensiles de cuisine utiliser, de découvrir les labels à connaître que ce soit pour l’alimentation, les cosmétiques ou la construction et la décoration. À la fin de l’atelier, on repart avec un nettoyant-désinfectant fait maison pour montrer que l’on peut faire ses produits d’entretien facilement et qu’il suffit de changer quelques habitudes. »

Clara, 37 ans, bénéficiaire de l’Ordonnance verte.

L’occasion aussi de revoir la pyramide alimentaire et des aliments à privilégier durant sa grossesse : « J’ai changé mon alimentation, confie la jeune maman. Souffrant d’un diabète gestationnel, j’étais déjà obligée de me poser des questions en amont, mais grâce à cet atelier, je n’ai plus mangé de farine blanche, j’ai augmenté ma consommation de légumineuses, et profité des conseils d’autres participantes pour cuisiner des céréales que je ne connaissais pas. »

Une fois ces ateliers suivis, les femmes enceintes bénéficient d’un panier hebdomadaire de légumes et légumineuses bio et de saisons pour une durée de deux à sept mois selon leur quotient familial. Concoctés par la Ferme Saint-André, ces paniers de trois kilos sensibilisent au bien-manger et invitent à repenser son assiette sur le long terme. « On estime qu’il faut deux mois pour changer ses habitudes, précise Laetitia Langlois, chargée de mission. Tout l’intérêt du dispositif,

97 №53 — Juin 2024 — Escapades ACTUALITÉ  S

c’est de ne pas arrêter une fois que l’on en est sorti et que ces bons réflexes perdurent après la naissance de l’enfant. » Ce que confirme Clara : « Toute ma petite famille a revu ses habitudes, rapporte-telle. J’ai certes réintégré le sucre depuis que j’ai accouché, mais nous mangeons moins de viande, nous mettons davantage de légumes bio, de céréales et de légumineuses dans nos assiettes. Cela demande un peu plus d’anticipation pour savoir comment cuisiner, mais on prend vite le pli. »

D’autant que les paniers sont plutôt bien faits : « En plus des légumes, la Ferme Saint-André nous propose chaque semaine trois idées de recettes. La

semaine dernière par exemple, j’avais des épinards, des pommes de terre, une salade, des carottes de couleurs, un sachet de lentilles vertes bio et une recette de terrine de lentilles et carottes, un cake épinards-féta… C’est vraiment génial, cela donne des idées pour des produits que l’on n’a pas forcément l’habitude d’acheter. De même, on n’aimait pas particulièrement les navets, mais avec leur recette, on a apprécié ! » Et niveau budget : « En réduisant la consommation de viande pour la remplacer par des œufs ou des protéines végétales, on peut le rééquilibrer, même si bien sûr le bio est plus cher, budgétise-t-elle. Dans le premier atelier, ils nous donnent quelques clés pour manger mieux sans se ruiner :

Du vinaigre blanc, des huiles essentielles de citron, de l’eau : un produit désinfectant simple et sain.

on peut manger local et de saison, réduire les quantités de protéines animales, privilégier le fait-maison et les promotions, cultiver son potager et pourquoi pas adopter des poules ! »

LA LECTURE

COMME SOURCE

D’APAISEMENT

ET DE LIEN

C’est aussi durant ces ateliers que Clara a découvert le dispositif « Le Sport sur ordonnance », lui permettant de suivre des cours de natation avec des mouvements adaptés à la grossesse, puis de reprendre le sport en douceur en post-partum. « Le seul bémol, c’est que les horaires ne sont pas adaptés lorsque l’on travaille, je n’ai pu commencer qu’en congé maternité, mais les cours étaient vraiment top. »

L’Ordonnance verte, c’est aussi une toute nouvelle expérimentation pour favoriser la lecture et l’écriture en s’appuyant sur Strasbourg, Capitale mondiale du livre de l’Unesco. À disposition des futures mamans, une sélection de livres pour bébé, la remise du Grand livre de cuisine des enfants d’Élisa Géhin, marraine de l’événement, des ateliers d’écriture thérapeutique et de bibliothérapie. « L’idée est de permettre aux femmes de découvrir l’intérêt de la lecture comme source d’apaisement, et de tisser un lien avec l’enfant par la lecture », précise Laetitia Langlois.

Un dispositif global vertueux, qui ne touche pas que les mamans et leurs bébés, « mais aussi les co-parents et la famille… On estime que plus de 1 300 personnes sont touchées par le dispositif, ce qui montre toute sa puissance », se réjouit le docteur Feltz. Déjà une trentaine de villes françaises se sont rapprochées de Strasbourg pour le dupliquer. S

98 S ACTUALITÉ №53 — Juin 2024 — Escapades
Pour s’inscrire : www.strasbourg.eu/ordonnance-verte

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Viles villes

On a souvent cette étrange impression, lorsqu’on visite nos villes, de manquer de dépaysement. On retrouve dans tous les centres-villes les mêmes enseignes, les mêmes chaînes, les mêmes banques. Il y a certes les monuments, impossible de passer à côté. À tel point qu’on se dit qu’entre consommation et visite de musées à ciel ouvert, nos villes ont beaucoup changé ces dernières années.

100 S ACTUALITÉ №53 — Juin 2024 — Escapades S ACTUALITÉ — LE PARTI-PRIS DE THIERRY JOBARD
Thierry Jobard DR

Ce sont de petites choses, de petites touches, qui transforment nos villes. Bien sûr, personne ne se plaindra de les voir embellir ainsi, bien propres, bien lisses. Du moins pour les centres-villes. Car dès la frontière passée, le paysage est moins glamour. Nous sommes toujours dans la ville, mais plus vraiment en ville, c’est la périphérie, la banlieue, les endroits qu’on ne visite pas. Là il n’y a plus de ces belles façades blanchies, de ces alignements impeccables. Plutôt des tours, des rocades, des hangars ; rien qui mérite une photo. De l’urbain, mais de la banlieue, mot qui fait frissonner. Entre les deux mondes, peu de rapports, des croisements tout au plus. C’est là le résultat d’une évolution assez récente, mais significative de l’ensemble de nos rapports sociaux.

Les rues piétonnières des villes sont devenues des galeries marchandes. Mais rien à voir avec les hideuses zones commerciales. Ici tout est stylisé. On n’ouvre plus un bar ou un restaurant, on crée un concept, excusez du peu. Et on rénove sans cesse. Auparavant, les boutiques étaient

refaites tous les sept ans, désormais c’est tous les trois ou quatre ans. Il faut que ça bouge et que ce soit beau, attirant, Dame, il faut appâter le chaland, être attractif. Cela participe d’une stylisation, d’une esthétisation générale des centres-villes. On appelle ça le city marketing. Autant les zones commerciales sont semblables dans toutes les régions, stéréotypées et anonymes, autant les villes doivent se singulariser, tout en gardant des repères communs. Les vieux quartiers sont réhabilités et revalorisés, les friches réinvesties, des bâtiments d’activités disparues comme des églises ou des commissariats de police transformés en hôtel classieux, afin que l’ensemble soit bien harmonieux et attirant.

IL FAUT QUE CE SOIT LUDIQUE, FESTIF ET CONVIVIAL

Mais le beau ne suffit pas, il faut également de l’intense. C’est pour cela que la ville devient également un décor pour toutes les manifestations qu’elle accueille.

101 №53 — Juin 2024 — Escapades ACTUALITÉ  S

Exemple de dispositif anti-SDF.

Elles ne cessent de se succéder. Comme le proclamait jadis un slogan des Galeries Lafayette : « Il s’y passe toujours quelque chose ». Il faut créer de l’événement, sans cesse. L’un chasse l’autre à grand renfort d’affichages, de sorte qu’il s’écoule rarement une semaine sans trouver quelque chose à voir, à entendre ou à faire. Mais que ce soit ludique. Et festif. Et convivial. Tous termes utilisés à satiété. On se sentirait presque obligé de s’amuser. Que certains puissent en déduire que nous vivons dans une société du spectacle ne serait pas pour nous surprendre. Ces activités non productives nécessitent des infrastructures dédiées et galeries, salles de concert, installations d’art contemporain fleurissent un peu partout. Il y a certes toujours eu des statues dans les espaces publics. Mais elles avaient pour fonction d’entretenir la mémoire collective non d’esthétiser la ville.

La notion de patrimoine est devenue incontournable, comme celle de culture. Mais tout devient patrimoine, des anciens

outils agricoles aux meubles d’antan, des paysages aux bretzels. Il faut conserver, entretenir, exposer. Ne parlons pas même des musées, il en existe pour tout et chaque petite ville se doit de posséder le sien. Si l’on pouvait mettre tout sous cloche, ce serait parfait.

ON VEUT QUE LA VILLE SOIT CONVIVIALE, MAIS PAS POUR N’IMPORTE QUI

Dans nos villes contemporaines, Baudelaire serait bien marri, lui qui aimait flâner par les rues. Simplement flâner ; ni boire, ni manger, ni consommer, ni payer pour quoi que ce soit. Et puis s’asseoir de temps à autre pour méditer quelques vers. Mais comment faire ? Avez-vous remarqué qu’il devient pour ainsi dire impossible de poser son derrière en ville ? Des entreprises se sont spécialisées dans la conception de ce mobilier nommé architecture hostile. Des sièges

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« C’est ainsi qu’un retraité californien peut être propriétaire d’un bien en France via un fonds de pension sans jamais y avoir posé le pied. »

Jindividuels, ou ischiatiques ; des bancs oui, mais on ne peut pas s’y allonger du fait de leur forme ou de leur relief. On veut bien que la ville soit conviviale, mais pas pour n’importe qui. Les SDF ne sont pas les bienvenus en ville. Il faut dire que ça fait tache dans le tableau. Fi, des gueux. Précisons que Sans Domicile Fixe ne veut pas dire sans abri. Mais dans les deux cas, le nombre de cas ne cesse d’augmenter, il a plus que doublé en dix ans. 141 500 en 2012, 330 000 aujourd’hui.

Ceci est notamment dû au trop faible nombre de logements disponibles. Ce qui conduit par exemple des salariés à revenir habiter chez leurs parents ou grands-parents, ou bien des couples divorcés à demeurer sous le même toit (+ 10 % en dix ans). Souvent il faut choisir entre payer un loyer moins cher là où il n’y a pas d’emploi ou bien travailler où le loyer est trop élevé. Le prix des logements a augmenté en France de 160 % entre 2000 et 2022 alors que le revenu moyen ne connaissait une hausse que de 45 %(1). La durée moyenne d’endettement est passée de 15 à 25 ans sur la même période, la dette passant de 55 à 106 % du revenu disponible. Mais s’il y a

des perdants, il y a forcément des gagnants. Une étude de l’Insee de novembre 2021 a montré que 3,5 % des foyers français (un million de ménages) détenaient au moins cinq logements chacun. À eux reviennent 58 % du parc locatif parisien, 56 % du parc marseillais, 62 % de celui de Lille. Des rentiers en somme.

On attend les Jeux olympiques dans la capitale. Mais le sport favori de certains Parisiens bien avisés n’est pas une discipline reconnue. Il consiste pour ces propriétaires à virer leurs locataires pour pouvoir louer leur bien en Airbnb. Riche et juteuse idée qui permet de louer à la nuit et de tripler sa mise. Car l’immobilier est devenu spéculatif. Ce qui n’a pas toujours été le cas et certainement pas à une telle échelle puisque le phénomène est devenu mondial.

SPÉCULATION, FINANCIARISATION ET INTERNATIONALISATION

C’est à partir des années 80 que la situation change. Les industries périclitent ou sont déplacées vers des pays à bas coût de main-d’œuvre. Dans les villes

104 S ACTUALITÉ №53 — Juin 2024 — Escapades

s’implantent des activités à forte valeur ajoutée (R&D, finance, informatique, services…) selon la tertiarisation de l’économie. En découlent une envolée des prix de l’immobilier, une gentrification des centres-villes et l’éloignement des catégories populaires. Les choses s’accélèrent durant les années 2000 ; on est passé du libéralisme au néo-libéralisme. Alors que les villes de monoactivités déclinent, les métropoles se développent et vont concentrer les infrastructures, les équipements et les investissements. Les politiques urbaines passent d’une politique de la demande à une politique de l’offre avec la privatisation de nombre d’équipements urbains (parkings, autoroutes, réseaux d’assainissement…). S’ensuit une compétition entre villes et territoires pour attirer les investisseurs. Comme l’écrit Gilles Pinson, on passe d’« une ambition de régulation et de redistribution à une optique de développement et d’attractivité ».(2) De nouveaux acteurs sont entrés dans le jeu. Des banques par exemple. BNP Paribas et Sogeprom (filiale de la Société Générale) sont dans le top 10 des promoteurs. Mais aussi des fonds

d’investissement, des gestionnaires d’actifs. Il y a spéculation et financiarisation. Et s’il y a financiarisation, il y a internationalisation. C’est ainsi qu’un retraité californien peut être propriétaire d’un bien en France via un fonds de pension sans jamais y avoir posé le pied. Il en attend de la rentabilité et si ce n’est pas le cas croyez-vous qu’il aura beaucoup de scrupules à revendre l’immeuble ?

Mais la ville c’est aussi un lieu de pouvoir. Or celui-ci a évolué lui aussi, ainsi que ses techniques. Pour le néolibéralisme, la démocratie c’est bien, mais c’est un peu lent, un peu aléatoire, on ne sait pas trop comment le peuple va voter aux référendums. Les politiques ne valent pas mieux. Il est préférable de laisser des experts collecter et analyser les données puis transmettre leurs conclusions aux hommes politiques qui se serviront de la communication pour informer les gens (on n’ose plus dire le peuple). Ces idées sont celles de Walter Lippmann, l’un des initiateurs du néolibéralisme durant l’entre-deux-guerres. (3) Très tendance n’est-il pas ?

Pour l’immobilier c’est un peu la même chose aujourd’hui. Des groupements de

bureaucrates, responsables d’agence, représentants des milieux économiques, culturels, associatifs, font leur petite sauce à l’écart des regards publics. On perdrait trop de temps à expliquer les choses et puis c’est « complexe ». Ce serait des discussions à n’en plus finir, des désaccords, des conflits. Le néo-libéralisme a horreur des conflits. Lui ce qu’il aime c’est le consensus : on discute autant que vous voulez, mais la décision est déjà prise. C’est pas mieux comme ça ?

Face à cela, que faire ? Toujours la même chose : s’intéresser, participer, revendiquer. Les collectifs de citoyens ça existe et le nombre ça compte. Comme l’écrit si joliment Mickaël Labbé, professeur de philosophie strasbourgeois : « il n’y a pas de “nous” sans “où” ». S

(1) Chiffres cités par Isabelle Rey-Lefebvre, Halte à la spéculation sur nos logements, rue de l’Échiquier, 2024

(2) Gilles Pinson, La ville néolibérale, Puf, 2022

(3) On pourra lire de Serge Audier Néo-libéralisme(s), une archéologie intellectuelle, Grasset, 2012

(4) Mickaël Labbé, Reprendre place, Contre l’architecture du mépris, Payot, 2019

105 №53 — Juin 2024 — Escapades ACTUALITÉ  S

MARI IN BORDERLAND Mad Max : Fury Road

Le monde moderne me fascine. Les ingénieurs, suivis de nos élus, tout particulièrement. La lutte contre les FSAP, ces substances chimiques nocives présentes dans de nombreux objets de notre quotidien, des poêles antiadhésives aux emballages alimentaires en est un exemple.

S ACTUALITÉ — UNE JOURNALISTE UKRAINIENNE EN FRANCE
106 S ACTUALITÉ №53 — Juin 2024 — Escapades

Cuire sans développer un cancer ou acheter une pomme sans autre emballage industriel devrait relever du bon sens. L’Europe y travaille. Un peu comme à l’idée de produire en toute souveraineté des voitures électriques propres alors que le marché de la batterie au lithium est détenu à 99 % par la Chine.

SHAHED ET GRAINES DE COURGES

Côté russe, équiper les S300 et autres Shahed de graines de courges ou de toute autre semence vendue chez Naturalia, plutôt que de poudre explosive, pourrait, à bien y réfléchir, tout autant participer à un environnement plus sain. Mais bon… Dans l’attente de Godot ou d’une révélation divine, l’Ukraine semble avoir pris le contrepied de ce courant espéré. Comment ? En encourageant nos ingénieurs à plancher jour et nuit sur la construction d’une nouvelle alternative automobile : une voiture sans toit, équipée d’un bidon en lieu et place du traditionnel réservoir de carburant fossile. Chacun ses moyens.

La clientèle : nos soldats et tout équipage médical au service de leur bien-être relatif. Le coût : environ 100 euros versés par chaque citoyen désireux de soutenir l’initiative, auxquels s’ajoutent environ 8 000 euros globaux par buggy, pièces et maind’œuvre compris pour transformer de vieilles boites de vitesse et volants d’Opel en engin de survie. Avantage économique en période de restriction d’activité dans l’Oblast de Zaporizhzhia : la floraison printanière à tout juste trente kilomètres du front d’ateliers d’assemblage, de soudure et de peinture – à priori chimique – pour en produire les cinquante premiers exemplaires. Pas certaine que le coût de réalisation rivalise avec ce qu’avait budgété en 2015 George Miller pour les décors de Mad Max : Fury Road, mais le résultat ne manquera sans doute pas de séduire les fans. Ceci sans compter qu’une poussette militaire pour enfant a également été développée pour les plus jeunes d’entre nous. Là où la France lance une offre de financement à 100 euros par mois pour un véhicule électrique, l’Ukraine lance donc la voiture bien plus kaki que verte. De quoi éveiller la curiosité des premières forces

armées françaises lors de leur arrivée en terre ukrainienne. Plan séquence : discussion mécanique autour d’un bortsch aux truffes du Périgord ou d’une fondue ukraino-savoyarde entre deux tirs de roquettes. Réalité : hormis Moscou et quelques extrêmes hexagonaux, nul n’imagine une telle scène dans la vraie vie.

MOSFILM ET POP-CORN AU CARAMEL BIO

En même temps, depuis que le Kremlin nous a révélé que Napoléon, plutôt que les Russes eux-mêmes, avait incendié la ville de Moscou pour être sûr de voir ses soldats s’affamer en plein hiver, ou que l’Élysée aurait joué un rôle dans l’attaque du Crocus en périphérie de Moscou grâce à ses liens privilégiés avec Daesch, plus aucun récit moscovite ne m’étonne vraiment. N’avons-nous d’ailleurs pas, selon le Kremlin, pour Président un juif nazi père homosexuel accessoirement islamiste et drogué ? Une bien longue liste pour un seul homme, mais que, dans sa bonté, un apparatchik du FSB a dû penser en accord avec l’universalisme ukrainien. S

107 №53 — Juin 2024 — Escapades ACTUALITÉ  S

Est-ce que ce monde est sérieux ? Moi Jaja…

Tato a eu une idée brillante : m’emmener au bord de l’eau. À la mer. Sur un petit voilier, pour fêter le retour du printemps. Un truc père-fils que le temps de travail des adultes ne permet que trop peu. Surtout si l’adulte en question a emprunté le bon passage piéton, comme dirait notre Président.

Ce jour-là, j’étais d’autant plus reconnaissant que les fins de mois ne sont pas simples. À mesure que l’on s’évertue à mettre un peu d’argent de côté, « Madame coût de la vie » nous abreuve de nouveaux caprices. « Que veux-tu y faire ? », me lance régulièrement Tato. « Pas comme si l’on devait répondre à cinquante crises non anticipées ou qu’on en déclenchait de nouvelles chaque jour qui passe ».

Un récent dossier du Monde a de ce point de vue laissé pantois mon humain préféré. Pas qu’il ait appris beaucoup de choses, mais le tout, condensé sur deux pages, lui a enlevé son sourire du jour. Le titre : Comment la Chine lamine l’industrie européenne Batteries : une position ultra dominante, avec 99 % de celles au lithium-fer-phosphate produites dans le pays de Xi ; panneaux solaires : des surcapacités et des prix cassés ; éolien : une

108 S ACTUALITÉ №53 — Juin 2024 — Escapades
S ACTUALITÉ — MOI JAJA Pink Jaja Charles Nouar

menace potentielle ; papier : un concurrent redoutable à l’export ; chimie : du dumping avéré  ; produits pharmaceutiques : l’acteur incontournable. Seule, entre guillemets, bonne nouvelle : textile et habillement : un leader en recul, mais au profit du Vietnam, du Bangladesh, du Pakistan ou du Cambodge, pays devenus plus compétitifs sur le marché international où s’approvisionnent nos grandes enseignes pour satisfaire les attentes des consommateurs du « Monde d’après »…

« COTON IMPRIMÉ SAUCISSE KNACK »

L’humain a, de mon point de vue, quelque chose de fascinant : déclarer la protection de la nature comme enjeu mondial et se rendre dépendant de qui flinguera le plus ses ressources naturelles. La bonne nouvelle, toujours entre guillemets, est qu’on n’en est plus à délocaliser notre

production. Plus de pertes sèches d’emplois. Plus besoin. Ils se sont déjà barrés pour ne plus revenir. Ne nous reste plus qu’à consommer ce que produisent les autres sans retour sur investissement, voiture électrique à 100 euros par mois incluse. Je passe sur les Temu et autres Shein, où le pack de cinq boxers coûte 8 euros quand un seul « en coton imprimé saucisse knack » de notre marque locale T’HEIM s’affiche à 45 euros. Un truc à finir cul nu, j’vous dis.

C’est sans doute là que j’ai compris comment Tato était parvenu à nous offrir ce petit écrin maritime. Exit Saint-Tropez, la Baule ou la Grande plage de Biarritz : direction quai au sable et Terrasse Rohan. On avait un temps déjà eu « Strasbourg sans la plage », notre maire Petit Poney Rose a lancé le voilier sans la mer. En même temps, pas simple de naviguer sur deux trois palettes de livraison floquées

d’une sorte de velum triangulaire pour y lire un extrait de bande dessinée rétrofuturiste. Je savais qu’à défaut de pétrole la France avait des idées, mais le concept est peut-être ici un peu poussé… Voilà pour l’idée brillante de Tato : voyager à travers le monde sur un submersible troué de toute part, dont les ragondins ne manqueront pas d’avoir la peau avant qu’il ne touche l’eau.

« LE

HULA HOOP POUR CONVAINCRE »

Au moins, Strasbourg lit. Dans les médiathèques, librairies, place de la gare. Avec l’ami Petit Césaire, perché sur un tas d’ouvrages de seconde main ; pour garder l’équilibre, le corps soutenu par le feu de signalisation posté face à l’entrée de la verrière. Tel Jack tentant de sauver Rose par sa prose dans Titanic, pendant qu’une horde de pigeons, face à lui, le

109 №53 — Juin 2024 — Escapades ACTUALITÉ  S
« Dany Laferrière, le temps d’une lecture publique, la taille cerclée dans un mouvement de bassin relativement
improbable que n’aurait pas manqué de saluer Annie Cordy dans son adaptation d’un titre

de Georgia

Gibbs. »

défit et picore avec une rare frénésie les semences de notre nouveau jardin potager expérimental.

Avec, aussi, pour conquérir le cœur des intellectuels, l’Académicien et prix Médicis 2009, Dany Laferrière, le temps d’une lecture publique, la taille cerclée dans un mouvement de bassin relativement improbable que n’aurait pas manqué de saluer Annie Cordy dans son adaptation d’un titre de Georgia Gibbs. Les Dernières nouvelles d’Alsace ont essayé d’expliquer le geste artistique : notre sans doute un jour panthéonisé « a donné sa définition du “bon écrivain”, en se livrant à un raisonnement par opposition et à grand renfort de déhanchements pour faire tourner un cerceau. Le hula hoop pour convaincre qu’un bon auteur se juge sur son œuvre et pas sur sa personne ». Du haut de mes plumes roses : rien compris…

Rien, à moins de vouloir réhabiliter Depardieu ou Polanski dans l’imaginaire d’une ville qui a fait de la lutte contre l’insécurité des femmes une priorité en restreignant l’éclairage public, la nuit tombée. Un truc qui n’a pas manqué de faire gueuler Tatane et ses copines qui, bien que dans une phase MILF très maturée, n’a pas manqué de me faire part de ses inquiétudes quant à la protection de son intégrité physique ; au point d’être devenue une experte en maniement des deux parties du cadenas en U, tel Jackie Chan ou Bruce Lee lors d’une présentation non plus de hula hoop mais de nunchaku. À bien les regarder, Tatane et ses frisettes m’évoquent pourtant bien plus

feu une artiste belge susmentionnée, que deux experts en arts martiaux.

Au moins, dans notre Ville les démunis semblent être bien mieux considérés. Accompagnés, même si la manchette actualisée de la partie vidéo de son site, renvoie en fait à une info du 21 mai 2022 : quand le Centre communal d’action sociale (CCAS) de la Ville de Strasbourg et le Centre créatif et artistique Les Bateliers organisaient « un atelier de peinture à destination des personnes sans domicile fixe ». Des petits pinceaux, quelques couleurs, de grandes feuilles, voire quelques planches à dessin sur toile en bois et l’aspiration d’y poser ses rêves ou la beauté du monde. « On est dans la rue. On dort dans la rue, mais on reste vaillants et positifs », communique l’une des « artistes » éphémères. « Positif » comme son vis-à-vis, un chouette type : « On est mieux ici que de trainer sur un banc ou dans la rue à boire ou à faire quoi que ce soit ». Oui : un « petit temps de respiration », « un moment convivial » offert par le politique, pour Marion Secco, responsable des structures d’hébergement Ville et Eurométropole. Rien contre elle. L’idée est plutôt belle, mais quid depuis le démontage des tonnelles ? La rue toujours ?

DÉPRESSION

ENTRE LA BAIGNOIRE ET FRIGIDAIRE

Se faire « démonter » c’est toujours et encore un peu ce que vivent l’été se rapprochant mes congénères

110 S ACTUALITÉ №53 — Juin 2024 — Escapades
J
Maître D’ Oeuvre sur Archipel 2, lot A. Wacken, Strasbourg. Maître d’Ouvrage : Vinci Immobilier / Demathieu Bard Immobilier
« Je sais bien que des auteurs comme Isaac Asimov auraient pu avoir leur place tant dans le cadre de “Strasbourg, Capitale mondiale du livre” ou de “Strasbourg, Capitale des politiques temporelles”, mais la science-fiction a ses limites, non ? »

Jukrainiens, récemment représentés dans le cadre de notre capitale littéraire par Andrei Kourkov, l’auteur de Le Pingouin. L’histoire d’un alcidé déraciné trainant sa dépression entre la baignoire et le frigidaire de son père d’adoption après que le zoo de Kyiv a fait faillite ; un humain écrivain au chômage avant de se voir recruté au sein d’un grand quotidien pour y écrire des nécrologies de personnalités encore en vie. Jusqu’à ce que celles-ci disparaissent pour de bon. « Une plongée dans le monde impitoyable et absurde de l’ex-URSS », dit la quatrième de couv. « Un décalage où l’absurde devient normal et le sordide comique », écrivait, à sa parution en France, Le Monde

Rire de tout. Jusqu’où... Sans doute, le temps passant, finirais-je par comprendre le sens de tout cela ou de trouver la réponse à cette autre question : comment, dans ma ville d’adoption, peut-on prendre autant de temps pour remplacer une maîtresse de maternelle – plus

de trois mois quand même ! – alors que l’élue en charge du dossier représente notre maire tout à la fois sur le quar tier concerné que sur les « politiques temporelles » ? Je sais bien que des auteurs comme Isaac Asimov auraient pu avoir leur place tant dans le cadre de « Strasbourg, Capitale mondiale du livre » ou de « Strasbourg, Capitale des politiques temporelles » – un autre statut récemment découvert en baladant mes oreilles sur les ondes radiophoniques strasbourgeoises, mais la sciencefiction a ses limites, non ?

Las de rêver des réponses, l’un de ces derniers samedis soirs, j’ai fini par me blottir contre Tato. Dans le « poste », comme il dit, il y avait ce type, candidat à The Voice. L’une des chansons qu’il offrait à entendre en était une de Francis Cabrel. Le titre, en Capitale ou non : Est-ce que ce monde est sérieux ? Des petits cerceaux vertigineux plein la tête, j’hésite encore. Kyiv me manque. S

112 S ACTUALITÉ №53 — Juin 2024 — Escapades

UN ROMAN EN POLE POSITION : LUNA JOICE, SALARIÉE DE

DS IMPRESSION, PUBLIE UN BEST-SELLER.

La passion peut prendre des formes surprenantes. Pour certains, elle se manifeste par des projets artistiques et littéraires qui captivent et ins pirent. C’est exactement ce qui s’est produit chez DS Impression, où une de nos talentueuses collaboratrices, sous le pseudonyme de Luna Joice, a réussi un exploit remarquable en publiant un roman en tête des ventes sur Amazon dans la catégorie «Romance». Le livre, intitulé «Pole Position», a non seulement conquis les cœurs des lecteurs, mais a éga lement donné lieu à une séance de dédicace mémorable dans les locaux de DS Impression.

Une aventure «enemies-to-lovers», dans l’univers de la Formule 1

Luna Joice, de son vrai nom Lucie Régnier, travaille chez DS Impression depuis plusieurs années. Passionnée par l’écriture et fascinée par le monde de la Formule 1, elle a brillamment combiné ces deux centres d’intérêt pour créer «Pole Position» Ce roman, qui mêle romance et compétition automobile, plonge les lecteurs dans les coulisses d’un sport palpitant.

Un succès fulgurant

Emy et de Clay, pilote de F1, dont les destins se croisent sur les circuits de course sur fond d’histoire d’héritage. Ce mélange d’adrénaline et de rivalité a séduit un large public, propulsant le roman sur le devant de la scène grâce à ses critiques élogieuses.

Une séance de dédicace

Depuis sa publication, «Pole Position» connaît un succès fulgurant. Il s’est rapidement hissé en tête des ventes sur Amazon dans la catégorie «Romance», témoignage de l’engouement des lecteurs pour cette histoire captivante et unique. Luna Joice y raconte l’histoire de

Pour célébrer ce succès, DS Impression a organisé une séance de dédicace dans ses locaux réunissant collègues et amis. Lucie Régnier a partagé son expérience d’écrivaine, ses inspirations et les défis qu’elle a rencontrés en jonglant entre son travail quotidien et l’écriture de son roman.

IMPRESSION XXL POUR LES MARQUES & LES RETAILERS : AFFICHE, PLV,

Un source d’inspiration pour tous

Cette réussite de Luna Joice (Lucie) est une source d’inspiration pour toute l’équipe de DS Impression. Elle

montre qu’avec passion, détermination et créativité, il est possible de réaliser ses rêves, même en dehors de son cadre professionnel habituel. Cette séance de dédicace a renforcé les liens au sein de l’entreprise, rappelant l’importance de soutenir et de célébrer les talents et passions de chacun.

L’histoire de Lucie Régnier est un exemple inspirant de ce que l’on peut accomplir avec passion et dévouement. Son succès est une fierté pour toute l’équipe de DS Impression et nous lui souhaitons de continuer à conquérir de nouveaux sommets, tant sur les circuits de la Formule 1 que dans le monde de la littérature. Bravo Lucie !

03 90 22 75 75 contact@ds-impression.com www.ds-impression.com

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MUSIQUE

BRUCE SPRINGSTEEN Nebraska

On m’a dit un jour « bah, Springsteen, en dehors de Born in the USA, Born to run et Streets of Philadelphia, il a fait quoi ? » Soyez rassuré, vous qui lisez ces lignes, l’auteur de cette question un peu imbécile était un « professionnel » de la radio. Mais passons. Enfin, pas tout à fait, parce qu’on va évoquer Born in the USA.

Mais avant tout, nous évoquons ici un possible suicide commercial pour Bruce Springsteen. Nous sommes en 1982. Bruce Springsteen est depuis près de 10 ans dans le circuit. Connu et reconnu, mais pas encore superstar. Il a pourtant quelques morceaux de bravoure, lui qui représentait dès ses débuts l’avenir du rock. Il est déjà le Boss, connu pour ses concerts interminables et bouillants.

Et puis voilà que Bruce Springsteen décide de revenir aux sources. De couper l’électricité. De se retrouver seul, tout seul, avec un blocnotes, un crayon, quelques instruments et un enregistreur 4-pistes. Enfin ça, c’est la légende. L’histoire, cependant, est à peine moins géniale. Le Boss a enregistré les démos de ce qui allait devenir Nebraska sur un 4-pistes, oui. Mais pour mieux tout passer à la moulinette rock en studio avec son groupe, le E-Street Band. Sauf qu’en studio, il s’aperçoit que la magie n’est pas la même. Alors, il décide, contre l’avis de son label, que les démos seront finalement l’album abouti.

Un disque absolu. Un chef d’œuvre, non pas du rock ou de la folk, mais un disque à ajouter au patrimoine culturel de l’humanité. Un disque plein de cette humanité, justement. À commencer par Nebraska, chanson titre reprenant un fait divers, le parcours d’un jeune tueur de 19 ans. Puis Atlantic City, histoire d’entrée dans la mafia pour un jeune du New Jersey… Quelque part entre The Four Seasons et les futurs Soprano (la série télé). Au total, en 40 minutes, Bruce Springsteen ne raconte rien d’autre que l’Amérique, comme une photo. Comme un journal intime. Comme un reporter chantant.

Et puis, il y a une chanson qui traîne. Une énième démo. Springsteen en sent le potentiel, mais décide finalement de ne pas la coucher sur ce vinyle. Pas encore prête. Alors qu’il la travaille depuis 1981 pour la BO d’un film avec l’alors jeune Michael J. Fox. Le Boss se dit qu’elle sera peut-être sur son album suivant. Et non seulement, elle y sera. Mais elle donnera son titre à l’album. Et la gloire pour de bon. Born in the USA a

114 a CULTURE №53 — Juin 2024 — Escapades
Food locale* DJ sets** 2ÈME ÉDITION Ateliers inédits tournée des la terroirs Bar éphémère L’ABUS D’ALCOOL EST DANGEREUX POUR LA SANTÉ, À CONSOMMER AVEC MODÉRATION Entrée 5€ www.latourneedesterroirs.fr 02.06 | Orschwihr 09.06 | Albé 16.06 | Kientzheim 23.06 | Orschwiller 30.06 | Wolxheim 07.07 | Wettolsheim 14.07 | Scherwiller 21.07 | Riquewihr CHAQUE DIMANCHE AU CŒUR DES VIGNES *Restauration locale ** Animation musicale Dégustations de vins de TERROIRS & GRANDS CRUS

L'actu L’œil

de Victoria Née en 1996, Victoria Grenier décide, après avoir commencé des études de médecine, de se consacrer au dessin et au cinéma. Diplômée de l’Atelier de Sèvres à Paris, elle est autrice-réalisatrice de dessins animés et de bandes dessinées... et originaire de Strasbourg !

S ACTUALITÉ — REGARD 116 S ACTUALITÉ №53 — Juin 2024 — Escapades

S

F E M M E S

LE COUP DE BOOST DES PLUS DE 45 ANS

Fondée en 2005, Force Femmes est la seule association française à accompagner les femmes de plus de 45 ans dans leur démarche de retour à l’emploi. L’antenne alsacienne, créée en 2020, est portée par un réseau de 70 bénévoles ultra engagés pour aider ces femmes, bousculées à un moment de leur vie, à retrouver confiance en elle et à rebondir.

Pas facile de se retrouver sur le carreau au-delà de 45 ans après des années de bons et loyaux services dans la même société. D’autant plus quand cela s’accompagne d’une rupture familiale. Fondée en 2005 à Paris, Force Femmes accompagne ces personnes chahutées dans leur parcours de vie et forcément désorientées.

Leur profil ? Des femmes de plus de 45 ans, diplômées, au chômage depuis moins de deux ans. En Alsace, on peut dire que l’on a particulièrement de la chance d’avoir un réseau ultra engagé de femmes actives. Elles évoluent dans des domaines variés tels que les ressources humaines, la communication, le marketing, les finances, le recrutement, voire occupent des postes de direction au sein d’entreprises, et s’investissent avec un plaisir non feint.

De gauche à droite, le premier cercle : Marie-Paule Spinner, Catherine Lux, Christine Meyer-Forrler, Marie Christine Rouard, Martine Stoffel-Casterot, Francine Jeanblanc, Fabienne Langrand, Marie-Odile Becker et Véronique Mazier

F O
R C E
E SOCIÉTÉ — PARCOURS
118 E SOCIÉTÉ №53 — Juin 2024 — Escapades
« DES

« Nous nous sommes retrouvées autour de Martine Stoffel-Casterot, l’ambassadrice de Force Femmes en Alsace, précise Marie-Christine Rouard, directrice communication de la Caisse d’Épargne Grand Est Europe. Elle a organisé en 2020 un événement à la CCI pour recruter le “premier cercle” de bénévoles. Nous étions sept au départ, dix aujourd’hui. »

ACCOMPAGNER POUR

REBONDIR, SANS FAIRE À LA PLACE DE...

Des personnalités, « qui partagent les mêmes valeurs humaines, le plaisir de s’impliquer pour accompagner des femmes en déséquilibre ou fragiles, confie MariePaule Spinner, directrice associée chez Decryptis. Nous sommes de la même génération, cela facilite le dialogue pour les accompagner et les voir rebondir. »

Mais attention, Force Femmes ne mâche pas le travail : « Notre rôle est de les accompagner, pas de faire les choses à leur place, souligne Martine Stoffel-Casterot, PDG de la chocolaterie Daniel Stoffel. Nous sommes là pour les aider à retrouver confiance en elle. »

Ce « Premier cercle » est entouré de 70 bénévoles actifs. « Chaque candidate est prise en charge par une ou un bénévole qui l’accueille et la suit durant tout son parcours au sein de notre association, de six mois à un an », précisent-elles.

La particularité de Force Femmes est de proposer à la fois un accompagnement individuel complété d’ateliers de formation sur l’épanouissement personnel, la confiance en soi ou la création d’entreprise. Sans oublier des « cafés réseaux » où les candidates se retrouvent entre elles pour échanger.

« J’ai particulièrement apprécié ces ateliers, confie Jana Lütcke, 53 ans, ancienne candidate et aujourd’hui bénévole. Ces échanges, ces rencontres, vous ne les trouvez pas ailleurs. On n’y parle pas forcément business, mais de ce dont on a besoin dans sa recherche d’emploi à savoir des conseils en image, la gestion des émotions... Car quand on perd son job, quand on monte sa boîte ou que l’on recherche un poste, c’est l’ascenseur émotionnel. »

Le bénévole référent est choisi en fonction des besoins de la candidate – coaching, business plan, etc. Les ateliers collectifs orientés davantage sur l’estime de soi et la réassurance. « Les entretiens individuels permettent de remettre le doigt sur ses compétences, ce que l’on a appris, ses réussites personnelles. Les ateliers collectifs permettent de porter un regard différent sur l’avenir, de se réapproprier certains outils comme réaliser

DES
EN DÉSÉQUILIBRE OU FRAGILES. »
PERSONNALITÉS, QUI PARTAGENT LES MÊMES VALEURS HUMAINES, LE PLAISIR DE S’IMPLIQUER POUR ACCOMPAGNER
FEMMES
119 SOCIÉTÉ  E №53 — Juin 2024 — Escapades
« DE

RAPPELER QU’UN ÉCHEC PROFESSIONNEL, UN LICENCIEMENT, NE REMET PAS EN CAUSE LA PERSONNE. »

un CV, communiquer sur les réseaux, ou se mettre en valeur. Nous avons une bénévole qui réalise des portraits de nos candidates pour LinkedIn, elles sont étincelantes ! C’est très positif ! Les ateliers offrent un élan collectif, et les cafés réseaux permettent de mettre le doigt sur les points communs de leur parcours de vie.

De rappeler qu’un échec professionnel, un licenciement, ne remet pas en cause la personne », rappellent-elles d’une seule voix.

UN NOUVEAU DISPOSITIF

POUR LES GRAINES

D’ENTREPRENEURES

Jana, par exemple, a intégré le dispositif Force Femmes Alsace en 2023, sur les recommandations d’une amie. « J’ai subi un licenciement économique en juin 2022 après 22 ans dans la même société, confie-t-elle. Si ce n’était pas surprenant après la pandémie, c’était tout de même un choc. » Elle a choisi de se réorienter pour créer une société d’accompagnement en cas de deuil dans le sens large du terme. « Moi-même j’ai vécu ma situation comme un deuil. Comme je suis formatrice et coach de formation, j’ai décidé d’aider les autres. Un bénévole de Force Femmes m’a accompagné pour le business plan, le prévisionnel, la comptabilité. En parallèle, j’étais suivie par Pôle emploi, c’était complémentaire. » Aujourd’hui, Jana a conservé des liens avec les autres candidates de sa

« promo » et propose en retour de l’expérience acquise chez Force Femmes ses services en atelier. De candidate à bénévole. « Je leur propose un atelier DISC (un outil de coaching individuel) pour mieux définir leur personnalité. Cela leur permet d’analyser leurs motivations, leurs propres valeurs, leurs besoins dans leur vie pro ou perso. »

Ce double accompagnement porte ses fruits avec 68 % des candidates accompagnées par l’antenne alsacienne qui ont retrouvé un emploi salarié ou créé leur entreprise !

Pour aller plus loin dans le coaching des graines d’entrepreneures, Force Femmes Alsace a lancé fin janvier le dispositif « Motivées pour créer », avec un premier groupe de quatorze candidates qui souhaitent créer leur activité ou leur entreprise. Pendant six mois, une dizaine d’experts bénévoles les accompagnera pour maîtriser les outils indispensables à la création d’entreprise comme l’étude de marché, le business plan, l’aspect juridique et social, la communication, pour évidemment terminer par... comment pitcher son banquier ! « L’idée est d’avancer dans leur projet puis de les mettre en relation avec les réseaux Entreprendre ou Force Active », précise Francine Jeanblanc, directrice de Talents first.

Depuis 2020, Force Femmes Alsace a déjà accompagné quelque 200 candidates dans leur parcours de reconstruction et de rebond. E

forcefemmes.com
120 E SOCIÉTÉ №53 — Juin 2024 — Escapades

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DE L’ANNÉE

Plus question de la confondre avec le plat du même nom ! En 2024, la choucroute d’Alsace fête sa cinquième année d’IGP et compte bien retrouver sa place dans l’assiette des Français.

a choucroute date du Moyen Âge. En Alsace, on la dégustait crue ou cuisinée avec du poisson d’eau douce. Après la guerre de 1870, ce chou fermenté voyageait à bord du train de la bière direction la capitale, exportant ainsi le concept des brasseries alsaciennes à Paris. Si la Chine revendique la paternité de la choucroute, c’est parce qu’on a découvert un procédé naturel de conservation des aliments lors de la construction de la Grande Muraille : la lactofermentation. Aussi appelée fermentation lactique, elle consiste à laisser macérer des légumes avec du sel. En l’absence d’oxygène, les micro-organismes néfastes s’évaporent tandis que les bons (les bactéries lactiques) foisonnent. Idéal pour renforcer la flore intestinale ! C’est la lactofermentation qui confère à la choucroute son goût acidulé et cette texture croquante. Composée à 90 % d’eau, elle est également une bonne source de vitamine C et

Lde fibres. Mais bien souvent, ce légume sain ne fait pas le poids face à la choucroute garnie, un plat copieux qui a emprunté son nom... Heureusement, l’AVCA (Association pour la Valorisation de la Choucroute d’Alsace), les choucroutiers et les chefs ont uni leur force pour faire rayonner la choucroute d’Alsace IGP !

SAVEZ-VOUS PLANTER LES CHOUX À LA MODE DE CHEZ NOUS ?

Plus de 70 % de la production française de choucroute est faite en Alsace. Cela représente près de 28 000 tonnes et 60 producteurs de choux, dont 84 % sont déjà labellisés IGP. Ils cultivent environ 600 hectares de choux destinés à la choucroute, dont la récolte a lieu entre août et novembre. Cette reconnaissance a contribué à accroître

E SOCIÉTÉ — GASTRONOMIE
Salomé Dollinger Bartosch Salmanski, Earl Angsthelm
122 E SOCIÉTÉ №53 — Juin 2024 — Escapades

la popularité du légume, qui représente aujourd’hui plus de 5 % du marché national de la choucroute, contre 1 % en 2019. La certification IGP, obtenue fin 2018 après 20 ans d’effort, y est pour beaucoup. « C’est un gage de qualité qui garantit l’origine et l’authenticité de la choucroute d’Alsace. On l’a attendu et on est aujourd’hui très fiers de l’avoir ! », s’exclame Yanis Angsthelm, quatrième génération de la choucrouterie Angsthelm & Fils Krautergersheim et, du haut de ses 24 ans, plus jeune choucroutier de la région. En 2017, son frère Johan et lui sont propulsés à la tête de l’entreprise familiale suite au décès de leur père, qui avait repris l’affaire en 1980. À l’époque, ils ont respectivement 27 et 17 ans. Depuis, ils travaillent main dans la main avec leur oncle, gérant de l’exploitation agricole qui leur fournit les choux, et commercialisent leur propre choucroute. « Avant, on faisait uniquement de la culture et de la transformation de choux. Aujourd’hui, on vend 10 % de choucroute crue et 90 % de cuite, transformée de manière traditionnelle. Chaque année en septembre, lors de la Fête de la Choucroute, on fait une démonstration de la coupe de la choucroute comme le faisaient nos parents. Notre vieille machine trône au milieu du village ! » Sur le site de la choucrouterie Angsthelm & Fils, on retrouve aussi des recettes qui donnent envie de cuisiner ce légume

« C’est un gage de qualité qui garantit l’origine et l’authenticité de la choucroute d’Alsace. »
123 SOCIÉTÉ  E №53 — Juin 2024 — Escapades

autrement. La source d’inspiration des deux frères ?

Le Petit Traité de la Choucroute (éditions Le Sureau) de Pierre-Brice Lebrun et Martin Fache, deux épicuriens passionnés d’Alsace.

DES ÉVÉNEMENTS HAUTS EN SAVEURS

D’ici 2030, l’AVCA compte doubler le volume national. Pour cela, l’association a notamment mis en place un champ expérimental pour tester une vingtaine de variétés de choux, plus résistantes et moins exigeantes en eau. Les critères de sélection ? « Les choux doivent être propres à notre territoire et faire plus de trois kilos pour faire ces longues lanières blanches, signe distinctif de la choucroute d’Alsace. Le goût doit aussi être franc et légèrement acidulé en fin de fermentation », explique Sébastien Muller, Président de l’AVCA et cinquième génération à la tête de La Maison de la Choucroute Le Pic à Meistratzheim. Ce champ d’essai tourne chaque année sur la zone d’appellation et permettra, à terme, de répondre aux besoins de la production de choucroute. Car pour produire un kilo de choucroute, deux kilos de choux sont nécessaires ! Et pour faire voyager la choucroute d’Alsace IGP par-delà les frontières alsaciennes, l’AVCA est devenue partenaire de Top Chef. En mars dernier, la Brigade cachée avait cuisiné une raviole choucroute/écrevisse et un bouillon qui changeait de couleur ! L’association a aussi inscrit la choucroute d’Alsace IGP au Concours Général Agricole du Salon de l’Agriculture de Paris. « Ce concours expérimental nous a permis de tester le concept, en faisant déguster, à un juré de professionnels et de consommateurs, des produits crus et cuits. L’année prochaine, ce sera un “vrai” concours avec une remise de médailles. La choucroute d’Alsace IGP deviendra alors le premier légume de France à concourir ! », dit fièrement Sébastien Muller.

À LA CARTE DES RESTAURANTS

Pour se délecter d’une bonne choucroute d’Alsace IGP, encore faut-il savoir la cuisiner… On s’inspire volontiers de la cheffe des restaurants Le Garden et La Table du 6717 au 6717, Nature Hôtel & Spa : Audrey Stippich. Étoile montante de la gastronomie alsacienne, elle a brillé au salon égast en mars dernier, où elle a remporté non pas un, mais deux trophées ! Pour le Trophée Émile Jung, elle avait cuisiné un croustillant de choucroute d’Alsace IGP, façon samossa, pour accompagner sa ballottine de sandre marbré au genièvre. « C’est un légume qui m’a toujours porté chance ! En 2023, j’ai remporté le concours du Meilleur Foie Gras d’Alsace, que j’avais servi avec des cannellonis, un jus de cuisson de chou gélifié et une confiture de choucroute. Pour la préparer, je rince le chou, mets le même poids en sucre, ajoute des aromates (cannelle, badiane…) puis laisse compoter. La choucroute en version sucrée, comme dans un cheesecake, c’est super pour ceux qui n’aiment pas l’acidité du chou. On revisite l’Alsace ! »

Autant d’idées rendant ses lettres de noblesse à la choucroute, et lui permettant de (re)conquérir le palais des Français… E

De haut en bas : Johan et Yanis Angsthelm de la choucrouterie Angsthelm & Fils à Krautergersheim. Avec Mathis, la relève est (déjà) assurée !

Sébastien Muller, Président de l’AVCA et 5e génération à la tête de La Maison de la Choucroute Le Pic à Meistratzheim.

Audrey Stippich au salon Égast 2024

Petit Traité de la Choucroute, Édition Le Sureau.

124 E SOCIÉTÉ 124 №53 — Juin 2024 — Escapades

LE SENS ET LA HAUTEUR DE VOS PROJETS

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PAS UN VIN CECI N’EST X X

Le french paradox1 fait généralement référence au phénomène médicodiététique qui encourage à une généreuse portion de beurre et de vin rouge. La France nourrit pourtant un lot d’incohérences beaucoup plus large. Outre l’écart entre le bonheur individuel et un pessimisme collectif très prononcé, la relation avec le bien boire présente aussi des tiraillements.

La culture du vin contribue à la fierté de la nation. Pourtant l’alcool est constamment contesté. Le défi du dry january (janvier sobre) fait d’ailleurs de plus en plus d’adeptes en France. La baisse de la consommation, les effets de l’inflation sur le pouvoir d’achat… Les vignerons s’adaptent afin de rendre le vin plus blanc que blanc. Plus léger que léger. Plus terroir que terroir. Et accessoirement, apaiser la culpabilité liée à chaque gorgée. Un défi qui ne va pas sans dénaturer l’art de vivre à la française.

Les boissons avec un taux d’alcool très faiblement élevé – voire sans – sont particulièrement recherchées. En CHR2, le chiffre d’affaires de la catégorie des boissons sans alcool a été multiplié par 1,5 depuis 20193. Résultat d’une quête de bien-être et d’équilibre, toutes les géné-

rations s’y mettent. À cela s’ajoutent le sans sulfite, sans intrant, sans sucre… le marketing du grand nettoyage est en plein essor. N’y a-t-il rien de bon à garder dans le jus de raisin fermenté ? Les dégustateurs sont devenus orpailleurs d’originalité. La mode est à la différence, et le vin dépouillé a le vent en poupe. Il serait néanmoins intéressant d’étudier la quantité d’acides et de sucres nécessaires à la réalisation d’un vin sans alcool.

En parallèle du mouvement « sans », le métier de sobrelier, quant à lui, se dessine. Ce dernier se targue d’étancher toutes les soifs, et ce, sans valeur alcoométrique. Un concept qui peut faire sourciller tant il correspond à la définition du sommelier ; en charge d’une carte des vins, il s’occupe aussi des eaux minérales, des jus, des cafés, et des infusions, le tout en harmonie avec le style

J Jessica Ouellet Caroline Paulus E SOCIÉTÉ — VINS
126 E SOCIÉTÉ №53 — Juin 2024 — Escapades

CERTAINS NE JURENT QUE PAR NICOLAS. NOUS ON A PIERRE, PAULE, JACQUES...

Au Théâtre du vin, nous avons 38 prénoms et une grande passion pour les conseils personnalisés. Et sinon, retrouvez-nous sur theatreduvin.fr

STRASBOURG - HAGUENAU - FEGERSHEIM - COLMAR - MITTELHAUSBERGEN

Le vin est la plus saine et la plus hygiénique des boissons est une citation attribuée à Pasteur

Jde l’établissement. Des sommeliers ordinaires s’intéressent donc aux kéfirs et aux macérations de plantes. Mais nommer les choses, ça rassure les gens. Ça donne aussi l’impression de savoir.

Le vin n’est pas une boisson alcoolisée comme les autres. C’est qu’elle demande un travail d’esprit et une curiosité intellectuelle. La vertu de l’oisiveté et la loi du moindre effort, actuellement plébiscitées, ne sont pas compatibles. Évidemment, une consommation excessive de vin présente des risques pour la santé. Le marketing du « sans » et la création de nouveaux concepts semblent pour autant ne pas être le chemin le plus efficace pour rabibocher les consommateurs avec les dives bouteilles.

Le 8 novembre 2023 se tenait la première Journée internationale de la consommation modérée de vin. Cette sensibilisation, initiée par l’association européenne Wine in Moderation (WiM), souligne l’importance d’impliquer les consommateurs dans la culture, l’histoire du vin et, en retour, encourage à faire des choix responsables et déguster avec modération. Les visuels mettant en scène des gens avec un verre à la main sont apparus en Italie, en Espagne, et au Portugal. La France s’est abstenue,

Promotion du vin français durant l’entre-deux guerres

puisque la campagne n’était pas compatible avec la loi Évin. Bien qu’elle incite à une consommation raisonnable, elle restait une incitation à consommer. Pendant ce temps, le rosé pamplemousse continue de se vendre à coups d’étiquettes tape-à-l’œil et de promesses désaltérantes. Vive les paradoxes français. E

1. Paradoxe français

2. Cafés, Hôtels, et Restaurants.

3. www.vitisphere.com

« LE VIN N’EST PAS
UNE BOISSON ALCOOLISÉE COMME LES AUTRES. C’EST QU’ELLE DEMANDE UN TRAVAIL D’ESPRIT ET UNE CURIOSITÉ
INTELLECTUELLE. »
128 E SOCIÉTÉ №53 — Juin 2024 — Escapades

I TINERAR I

SECRETS ET SAVEURS DE LA CUISINE

ITALIENNE

Lorsque l’on discute avec Giulia

Silvestrini et Paolo Funaro on se dit que l’amour fait des merveilles. Celui qui les lie depuis leur rencontre en Ombrie alors qu’ils étaient étudiants, celui de Strasbourg où ils se sont installés et enfin celui de leur belle Italie natale, de sa culture et de… son incomparable cuisine.

Prenez tous ces ingrédients gorgés de soleil, faites mijoter et savourez Itinerari le site qu’ils ont créé ensemble. « Notre projet est à multiples casquettes », expliquent-ils. Il inclut un blog où Giulia vous dira tout sur la culture culinaire italienne. Tout y compris l’impensable : la sauce bolognaise n’existe pas ! « Par contre, il y a des ragu, des ragu à la bolognaise, à la napolitaine, à la sicilienne… »

LA CUISINE ITALIENNE, TOUTE UNE HISTOIRE

Tous deux racontent l’histoire complexe de leur pays natal. Le Sud et ses créations culinaires « parfois extravagantes » nées des dominations culturelles, normande, arabe, albanaise etc., le Nord si différent. « L’émigration a surtout fait connaître la cuisine italienne familiale », constatent-ils, mais il existe une cuisine bourgeoise née de la mémoire des cours royales et ducales, elle s’est surtout affirmée après l’unification du pays.

C’est tout cela que raconte Itinerari. Un projet divisé en trois sections : un blog consacré à la culture et l’histoire incluant des techniques de base – comment faire un risotto, préparer des anchois sur sel, etc. – un site

marchand, supervisé par Paolo, entièrement consacré aux produits et un troisième volet dédié aux recettes en cours de réalisation.

DES PRODUITS D’EXCEPTION À DÉGUSTER

« Nous sommes partis à la recherche de petits et moyens producteurs », explique Paolo en évoquant des artisans qui grillent leurs artichauts à la main et les posent « un à un » dans le bocal ou bien encore un couple de scientifiques qui a décidé de « changer de vie » pour se lancer dans la culture du « riz carnaroli », LE riz du risotto, appelé aussi le « roi des riz ».

Il y a aussi les huiles d’olive de mer, de collines, de montagnes, les pâtes produites dans les Abruzzes au sein de la plus ancienne fabrique de pâtes d’Italie, les sauces tomates « incontournables », mais qui toutes ont une particularité traditionnelle ou novatrice.

« Tout ce que nous proposons a été goûté », précise Paolo alors que Giulia insiste sur la culture de la conserve aussi essentielle pour les cuisinières et cuisiniers italiens que les incontournables pâtes. E

itinerari.blog itinerari.fr

E SOCIÉTÉ — ITALIE
130 E SOCIÉTÉ №53 — Juin 2024 — Escapades

_ JEU + OR NORME CLUB

DES PARTENAIRES

Le 11 mars dernier le Club des Partenaires Or Norme a pu accueillir l’académicien

Erik Orsenna pour évoquer son dernier livre Nourrir sans dévaster. Comme toujours, convivialité et échanges passionnants !

É V ÉNEMENTO R EMRON

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E SOCIÉTÉ — ÉVÉNEMENTS OR NORME
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Alban Hefti 132 E SOCIÉTÉ №53 — Juin 2024 — Escapades

Premières mondiales à Strasbourg

Du 4 octobre au 3 novembre 2024 à l’Espace K

La comédie musicale

LIVRET ET MISE EN SCÈNE DE JEAN-LUC FALBRIARD

MUSIQUES DE ROMAIN SCHMITT - CHORÉGRAPHIES DE PIPPA SIMMONS

SCÉNOGRAPHIE DE MATHILDE MELERO - COSTUMES DE FLORENCE BONHERT ET MAGALI RAUCH

AVEC : JEAN-FRANÇOIS MARTIN, LÉA GUERIN, FRANCISCO GIL, ALEXANDRE SIGRIST, RAPHAËL SCHEER, DOMINIQUE GRYLLA, SABRINA RAUCH, JEAN-LUC FALBRIARD, MATHILDE MELERO.

L’Espace K - 10 rue du Hohwald, quartier Laiterie à Strasbourg

Billetterie ouverte

LE KAFTEUR PRÉSENTE
LA COMPAGNIE

SPECTACLES

FESTIVAL, LIVRES GALERIES, ETC.

Chaque trimestre, la rédaction de Or Norme a lu, écouté, visionné l’essentiel de ce qu’on lui fait parvenir. Cette sélection fait la part belle à ses coups de cœur...

Salomé Dollinger, Isabelle Baladine Howald, Jean-Luc Fournier

M. Bertola, musées de la Ville de Strasbourg

1KEXPO ET CONFÉRENCE

L’aile emporte avec elle le cheval et le chevalier, gravure hors texte pour Miguel de Cervantes, L’ingénieux Don Quichotte de la Manche, Paris Hachette 1863. Strasbourg, Bibliothèque des musées.

La Constellation Gustave Doré

Sans limite, l’imaginaire de Gustave Doré a bousculé les codes au point de renverser le rapport de subordination entre le texte et l’illustration. Il suffit, pour s’en convaincre de visiter la belle exposition consacrée à ce maître alsacien de l’image par les musées de Strasbourg.

Du Petit Poucet à Don Quichotte affrontant les moulins, de Pantagruel à Roland furieux en passant par La cigale et la fourmi ou Méphistophélès et Marguerite, les points de vue se décalent, se resserrent et vibrent d’une énergie jamais atteinte auparavant. C’est à cette nouvelle mécanique éditoriale que sera consacrée la conférence donnée en marge de l’exposition par son commissaire Franck Knoery.

Voyage dans l’œuvre graphique Doré, elle situera celle-ci dans le contexte des développements du livre illustré de la seconde moitié du XIXe siècle. Une rencontre avec un imaginaire hors norme servi par une maîtrise époustouflante des techniques. a

CONFÉRENCE : Le6 juinà18h30àl’auditoriumde laBibliothèquenationaleuniversitaire. Entréegratuite,maissurréservation.

EXPOSITION : LaConstellationGustaveDoré setiendrajusqu’au15 juilletà la Galerie Heitz du Palais Rohan.

a CULTURE — SÉLECTIONS
134 a SÉLECTION №53 — Juin 2024 — Escapades

L2KFESTIVALS

La Voix des forges parle d’amour dans les Vosges du Nord

a Voix des Forges est un festival lyrique installé depuis 2019 dans les Vosges du Nord. Pour sa 6e édition, la direction artistique a choisi une programmation ambitieuse entre héritage et création. Fil rouge de cette année, l’amour se déclinera tout au long du festival qui accueillera dès le week-end d’ouverture les plus beaux airs, duos et ensembles d’opéra sur ce thème inépuisable (L’Amour est un oiseau rebelle, vendredi 5 juillet).

La jeune compagnie d’opéra de poche La Chambre à Airs, quant à elle, présentera (dimanche 7 juillet) une version dépoussiérée et criante d’actualité de Rigoletto, d’après l’opéra de Verdi. Quelques jours plus tard, c’est à Carmen de s’imposer sur la scène des Forges de Jaegerthal pour trois dates (10, 12 et 13 juillet). L’occasion parfaite pour (re) découvrir cet opéra mythique de Georges Bizet revu par les artistes du festival accompagnés du Chœur des Industries. La Voix des Forges est avant tout un très beau projet humain (le véritable ADN du festival) qui vise à réconcilier l’excellence artistique, le projet social et la valorisation d’un territoire. Le succès ne se dément pas et si tout cela perdure, c’est grâce à un public toujours plus nombreux qui vient récompenser les artistes, les choristes, les partenaires et bien sûr les indispensables bénévoles. a

DWolfijazz 2024 une édition saisissante

u 19 au 28 juin prochains, le Fort Kléber de Wolfisheim va résonner des harmonies de Wolfijazz, l’incontournable festival du début d’été alsacien. Au programme (sous réserve au moment du bouclage de notre édition) : Brad Mehldau, Meute, Caravan Palace, Tiken Jah Fakoly, Kareen Guiock Thuram, Faada Freddy, El Comité, Photons (nouveau projet de Gauthier Toux), Symmetric, Orkestr.À invite Sara Lazarus (création menée par le saxophoniste alsacien Franck Wolf), Laurent Bardainne & Tigre d’Eau Douce...

Avec ses 119 000 festivaliers et festivalières et 190 concerts depuis sa création, toutes éditions confondues, le Wolfi Jazz, organisé par l’association Wolfi Jazz et labellisé Réseau Spedidam, est devenu un événement culturel majeur en Alsace et une référence dans le Grand Est.

Wolfi Jazz 2024 s’annonce comme une formidable expérience musicale et culturelle, unissant la musique, le patrimoine, la convivialité et l’engagement. Ne manquez pas ce rendez-vous au Fort Kléber de Wolfisheim pour célébrer la diversité musicale et l’âme du jazz. a

FestivalLaVoixdesForges, ForgesdeJaegerthal,route d’Obersteinbach à Niederbronn-les-Bains(à45 minutesdeStrasbourg) www.lavoixdesforges.com www.wolfijazz.com
136 a SÉLECTION №53 — Juin 2024 — Escapades

Entre silences et non-dits, les protestants d’alsace face au nazisme

Michel Weckel

près son retentissant essai de 2022 (Ces protestants alsaciens qui ont acclamé Hitler, Éd. La Nuée Bleue), Michel Weckel a continué sa collecte d’autres témoignages refoulés et d’autres sources oubliées qu’il partage dans ce livre qui, à l’instar de celui de 2022, va lui aussi faire grand bruit. Dans une remarquable préface, l’historienne Frédérique Neau-Dufour écrit : « C’est le livre d’un pasteur en rupture, taraudé par les errements de ses prédécesseurs qui devaient propager la foi et qui se sont mis au service d’une idéologie destructrice de toute dignité humaine. (…) Il ne s’agit pas du livre d’un historien, mais du livre d’un citoyen engagé. (…) Par souci de l’intérêt public, sans l’aval de la hiérarchie ecclésiastique et même contre certains membres de son Église, Michel Weckel cherche à faire du bruit pour que s’enclenche, enfin, un processus de recherche ». En couverture, le brillant dessin d’Ange Mercuri impressionne et donne le ton du livre : il a été réalisé d’après une photo originale de Ernst Decker, pasteur à Neuwiller-lès-Saverne qui a été un militant pro-allemand fanatique jusqu’à la fin de sa vie… a

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L’art, c’est la vérité absolue

LMonique

et Émile Jung, au Crocodile, une école de vie

Maurice Roeckel

es propos, aphorismes et phrases éparses du sculpteur Constantin Brancusi se trouvent pour la première fois rassemblés dans ce petit bijou de la collection Studiolo, édité par les Éditions L’atelier Contemporain. L’édition a été établie, annotée et préfacée par Doïna Lemny, historienne de l’art et conservatrice au centre Pompidou à partir des archives conservées dans le Fonds Brancusi de la Bibliothèque Kandisky au Centre Pompidou.

Outre les divers propos du sculpteur, autant de notes d’ateliers, l’édition présente des textes historiques importants publiés du vivant de l’artiste par ses amis écrivains, journalistes et artistes eux-mêmes, parmi lesquels Paul Morand, Roger Vitrac, Dorothy Dudley, Irène Codréano, Marcel Mihalovici et Béatrice Wood. Parmi les centaines des Écrits sur l’art de ce livre, celui-ci, intemporel : « Il y a des artistes qui travaillent pour tout le monde, et il y en a qui ne travaillent que pour eux… » a

L’art,c’estlavéritéabsolue, ConstantinBrancusi,Éd. L’ateliercontemporain,9,50 €

Généreux, gourmand, fédérateur… Cet ouvrage de 395 pages est à l’image du couple Jung qui, durant 38 ans, a fait rayonner le Crocodile à Strasbourg et par-delà les frontières alsaciennes. Un récit haut en saveurs, parsemé de témoignages et d’anecdotes, « dont une que j’ai apprise à travers le livre », confie Monique Jung. Il s’agit de la perte de leur 3e étoile, en 2002. À l’époque, son mari avait fait une annonce officielle à toute l’équipe… alors qu’il avait appris la nouvelle trois jours plus tôt, dans son bureau, avec leur sommelier Guillaume Robuchon : « à l’autre bout du fil, l’entretien n’a pas duré une minute. Nous étions là, tous les deux sous le choc, à nous regarder sans parler. Finalement, c’est lui qui a rompu ce désagréable silence m’enjoignant de ne rien dire à personne afin de ne pas perturber le service de ce samedi soir où le restaurant affichait complet ». Un dîner surprise fut organisé le lendemain par les collègues et amis du chef. De quoi le réconforter et continuer, ensemble, à faire briller l’aura du Crocodile. a

MONIQUE et ÉMILE JUNG Une école de vie MONIQUE et ÉMILE JUNG Une école de vie Cher(e)s lectrices et lecteurs En refermant ce livre vous aurez parcouru dans le sillage de Monique et Émile Jung, le vécu d’hommes et de femmes, dans et autour d’une entreprise, ce Crocodile, dont la seule raison d’être était et est de rendre tout simplement les gens heureux.
MauriceRoeckel,auto-édité,39 €
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AuCrocodile,uneécoledevie,
3K LIVRES

QMorgane Salmon. C’est comme ça

Daniel Payot

uel superbe livre que ce pavé de près de 170 pages, divinement bien illustré, que les Éditions L’Atelier Contemporain consacrent à l’œuvre exubérante de la céramiste strasbourgeoise Morgane Salmon. On connaît bien ses vases, ses bonbonnières, ses animaux et ses figurines parés d’une formidable gamme de couleurs au sein d’harmonies follement audacieuses regroupées dans des formes et des textures que la nature offre depuis toujours, cette même nature qui imprègne l’art de cette artiste accomplie.

Dans un texte d’une folle intelligence, l’enseignant et philosophe de l’art Daniel Payot ne convoque pas moins que Charles Darwin, Friedrich Nietzsche et l’ethnologue et africaniste Marcel Griaule. Quant à elle, la conservatrice en chef du Patrimoine Nadine Lehni évoque, entre autres, Dubuffet, Dufy, Damien Hirst et même « les célèbres fleurs agrandies de Georgia O’Keefe » avant de conclure en signifiant « une lointaine parenté avec Bernard Palissy ». Fermez le ban ! Au sein d’une formidable luxuriance iconographique, les échanges de l’artiste avec Jean Jérôme éclairent tant sa démarche que ses multiples sources d’inspiration. a

MorganeSalmon.C’estcommeça,DanielPayot,Ed ;L’AtelierContemporain,30 € ExpositionMorganeSalmonàlaGalerie Ritsch-Fisch,6RuedesCharpentiers àStrasbourgdu14 juinau13 juillet

3KLIVRES

a poésie de Jacques Goorma, autrefois adjoint à la direction du Maillon et responsable des Poétiques de Strasbourg est lumineuse, proche d’une grande sagesse. Son nouveau recueil chez Arfuyen, Lucarnes, confirme cette belle évolution.

LUne lucarne est une éclaircie, la possibilité de la lumière, voire la venue de la grâce, au bout d’une patience quotidienne. Douze vers sur chaque page, déposés dans du silence, traversés d’amour et d’oiseaux. Jacques Goorma offre ses lucarnes à nos regards et à notre écoute. Dans l’affreuse clameur actuelle du monde, c’est une halte de beauté, d’attention et de regards. Ne croyez pas que le poète vive dans une tour d’ivoire, non il sait simplement se mettre à l’écart et livrer avec précision et délicatesse son émotion devant la nature et la douceur de l’amour. L’autre y est accueilli avec générosité. Le caractère chinois, en couverture, signifie « bouche ». Chaque page est une petite bouche qui murmure les poèmes « elle est venue/l’inattendue l’éblouissante/sitôt disparue » les questions « avant de partir/comment/t’apprendre/à te passer de moi ? ». ? Une inquiétude rôde bien sûr, comment en serait-il autrement ? Mais se savoir mortel peut conduire à savoir goûter chaque instant comme quelque chose de rare : « une intime volte-face/suffit/pour s’ouvrir/à l’illimité ». a

Lucarnes,JacquesGoorma, Arfuyen 2024,119 p,14 €

140 a SÉLECTION №53 — Juin 2024 — Escapades

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PPar Lev Fraenckel, professeur de philosophie à l’Université de Strasbourg et créateur de contenu sur YouTube et Tiktok avec 300 000 abonnés Alban Hefti

SAUVER L’ÉCOLE OU LA CHANGER ?

lus de trois mille postes d’enseignants non pourvus en 2023. Depuis plus de dix ans, l’Éducation nationale est en crise : de moins en moins de candidats se présentent aux concours et on enregistre de plus en plus de démissions dans le corps enseignant. Autour de moi les collègues qui cherchent à se reconvertir sont de plus en plus nombreux alors même qu’ils ont rêvé d’enseigner depuis leur adolescence. Et pourtant, l’enseignement de la philosophie n’est jamais un métier choisi au hasard, c’est une vocation, une passion qui nous anime au plus profond de nous même.

Pour expliquer cette baisse d’attrait pour l’un des plus beaux métiers du monde, le chercheur et professeur des écoles Frédéric Grimaud n’hésite pas à parler de prolétarisation des enseignants, mais aussi de taylorisation du système éducatif(1)

Pour comprendre la genèse de ce processus d’industrialisation du savoir, il est important de remonter un peu dans le temps. Le système scolaire tel que nous le connaissons n’a pas toujours existé et sous l’ancien régime seule une petite minorité d’élèves avaient la possibilité de s’instruire dans des écoles. Avec l’industrialisation de l’économie, il a fallu créer toute une administration capable d’encadrer les ouvriers, il devenait impératif économiquement d’alphabétiser les

masses. Industrialiser l’artisanat et l’agriculture entraînait mécaniquement l’industrialisation de l’enseignement. Mais le problème de l’industrialisation, c’est précisément qu’elle a tendance à mathématiser le réel à l’ « arraisonner » pour pour qu’il se plie aux exigences de rentabilité. Si le sol ne produit pas assez, on le remplira d’engrais chimiques et de pesticides, si les plantes ou les animaux ne se plient pas suffisamment à nos exigences comptables, nous les modifions génétiquement et finalement si les humains eux-mêmes résistent, nous finissons par les transformer en machines. C’est valable pour les ouvriers, mais c’est aussi le cas des profs et des élèves : le plus important n’est pas de savoir si une étincelle s’est allumée dans l’œil d’un élève tout au long de sa journée d’école, mais de savoir si le programme a bien été achevé dans les temps prévus par l’administration.

Alors, faut-il envisager comme Ivan Illich dans les années 70 « une société sans école » ? Ivan Illich imaginait une déprofessionnalisation de l’éducation. Il avait pensé, bien avant l’avènement d’internet, une plateforme de mise en relation des individus qui souhaitent partager leurs connaissances librement. La révolution d’extrême gauche n’a pas eu lieu et les idées d’Illich sont tombées aux oubliettes de l’histoire comme tous les idéaux utopiques de cette époque révolutionnaire.

Et pourtant, sublime ironie de l’histoire, quelques décennies plus tard le capitalisme a accouché du rêve d’Illich : des plateformes de création de contenu où chacun peut s’inscrire, quel que soit son âge, sa condition sociale ou son niveau d’étude et transmettre sa passion gratuitement. Le savoir et l’enseignement font à nouveau rêver la jeunesse, mais dans un espace créatif où le savoir s’échange librement et où les meilleurs peuvent même espérer en vivre. Alors, faut-il remplacer le système scolaire par YouTube et Tiktok ? Loin de moi une telle idée, mais je crois que l’éducation nationale a tout intérêt à prendre la mesure du phénomène sociétal et intégrer au plus vite cette nouvelle forme d’éducation populaire et alternative qui a le mérite de décloisonner le savoir et le rendre plus attractif que jamais. « Là où croît le péril, croît aussi ce qui sauve » affirmait le poète Hölderlin, si la technologie représente un péril, alors utilisons là pour nous sauver.

(1) Enseignants, les nouveaux prolétaires : Le taylorisme en marche, ESF

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