Caractères | Or Norme #29

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EDITO

CARACTÈRES ‘‘Le caractère est, dans le monde, un pouvoir plus sûr que l’esprit.’’ La conversation (1812) - Jacques Delile

À l’heure où j’écris cet éditorial, Pierre Terrasson est à Strasbourg depuis quelques jours et, pour beaucoup d’entre nous, sa présence et celle de ses photos, nous renvoient à une part intime de notre histoire, de nos histoires.

Ne manquez pas l’occasion de mieux le connaître au travers du très bel entretien qu’il a accordé à Jean-Luc Fournier, et courez voir jusqu’au 24 juin chez Aedaen Gallery, l’exposition « Pierre Terrasson – À bout portraits » qui lui est consacrée.

Le photographe iconique de la scène musicale des années 70 à 90 a enfermé dans ses clichés tellement plus que de simples images : le son, les effluves, la violence et l’amour, la folie et le goût d’une époque qui nous revient « comme un boomerang ».

Dans ce numéro 29 vous découvrirez d’autres caractères, différents de celui de Pierre, mais qui vous montreront à quel point Strasbourg génère aujourd’hui des énergies qui nous permettent de dire que, décidément, ça bouge dans notre ville et que, quand elle le veut, elle peut, elle aussi, faire preuve d’un caractère qui a pu parfois lui manquer dans le passé.

Et en partageant avec lui quelques moments précieux autour d’une bonne côte de bœuf et d’un Saint-Joseph issu de sa propriété familiale, on comprend mieux comment il a su faire passer toutes ces émotions dans son travail. Pierre est un ogre : il dévore la vie et se nourrit des vibrations qu’il ressent si profondément chez les autres, comme si son appareil photo était en émoi permanent.

Alors merci Dimitri Liénard, merci Aëlle, Alexandre Früh, Christophe Kocher, Bo Johnson, David Ferdermann et toutes celles et tous ceux qui contribuent à ce que, en cette aube d’un été que nous vous souhaitons flamboyant, Strasbourg soit Or Norme.

Patrick Adler directeur de publication


CONTRIBUTEURS

OR NORME

VÉRONIQUE LEBLANC

ERIKA CHELLY

La plus française des journalistes belges en résidence à Strasbourg. Correspondante du quotidien « La Libre Belgique », elle est un des piliers de la rédaction de Or Norme, depuis le n° 1. Sa douceur est réelle mais trompeuse : elle adore le baroud et son métier. On l’adore aussi.

Elle hante les « backstages » parisiens (souvent) et alsaciens (parfois), elle est incollable sur l’art et les artistes contemporains. Malgré ses 35 ans, elle a tout lu de Kerouac et de la « beat generation » et elle écoute Tangerine Dream en boucle. Décalée avec son époque. Or Norme.

ÉRIC GENETET

ALAIN ANCIAN

Journaliste, il écrit aussi des livres édités par Héloïse d’Ormesson. Fan de football et de tennis, il a également touché à la radio et même à la télé.

Journaliste à Or Norme depuis le n° 1, il se passionne pour les sujets sociétaux et n’a pas son pareil pour nous expliquer en réunion de rédaction toutes les incidences de telle ou telle mesure sur la vie des « vrais gens ». L’honnêteté pousse à dire que les faits lui donnent rarement tort…

CHARLES NOUAR Journaliste, à Or Norme depuis le n° 1, il écrit également des pièces de théâtre et se passionne pour… la cuisine thaï. Fan de l’Ailleurs sous toutes ses formes, véritable citoyen du monde, il est capable de citer de mémoire des pans entiers de textes d’écrivains lointains.

BENJAMIN THOMAS Ce journaliste est d’une polyvalence rare tant sa curiosité personnelle et professionnelle est insatiable. Sport, culture, cinéma, opéra, théâtre, mais aussi pêche à la ligne, rando dans les Vosges, vététiste, acteur de théâtre amateur. Où s’arrêtera-t-il ?



ALBAN HEFTI

VINCENT MULLER

Ch’timi de naissance et alsacien d’adoption, ce jeune photographe est arrivé à Strasbourg il y a sept ans, sans la moindre ligne sur son carnet d’adresses mais avec une volonté de fer. La photo de presse et de reportage est sa passion, son œil est innovant et très créatif.

C’est avant tout l’un des plus réputés des photographes portraitistes en Alsace. Ses clichés des écrivains des Bibliothèques idéales ont fait le tour des réseaux sociaux. Il n’a pas son pareil pour, très rapidement, créer une ambiance particulière qu’on retrouvera sur les visages qu’il capture.

RÉGIS PIETRONAVE

JEAN-LUC FOURNIER

Son nom sonne comme celui d’un bandit corse mais il n’a jamais vécu sur l’Île de Beauté. Il est le responsable commercial de Or Norme, c’est dire si notre revue qui ne vit que grâce à ses annonceurs compte sur lui. Il a la pression mais son large sourire ne le quitte jamais.

ORNORME STRASBOURG ORNORMEDIAS 6 Rue Théophile Schüler 67000 Strasbourg CONTACT contact@ornorme.fr DIRECTEUR DE LA PUBLICATION Patrick Adler patrick@adler.fr DIRECTEUR DE LA RÉDACTION Jean-Luc Fournier jlf@ornorme.fr

Directeur de la rédaction, il a créé Or Norme en 2010 avec une forte conviction : la presse gratuite n’a aucune raison de se cantonner à quelques vagues articles publi-rédactionnels au milieu de nombreuses pubs. Pari réussi : Or Norme est reconnu comme un magazine de journalistes.

RÉDACTION redaction@ornorme.fr Alain Ancian Nathalie Bach Erika Chelly Jean-Luc Fournier Éric Genetet Thierry Jobart Véronique Leblanc Amélie Meynier Charles Nouar Barbara Romero Benjamin Thomas ILLUSTRATEUR Julien Schleiffer

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JULIEN SCHLEIFFER Graphiste, animateur, généraliste 3D et développeur web, notre illustrateur Julien Schleiffer est aussi un spécialiste en image animée. Il développe également ses talents en écriture filmique. Outre son travail qu’il exerce en indépendant, il enseigne également à l’Université de Strasbourg.

PATRICK ADLER Directeur de la publication de Or Norme, il est aussi le co-fondateur de Aedaen Place et de Aedaen Gallery, deux lieux qui sont vite devenus le QG de la rédaction. Décidé à travailler « dans le plaisir permanent », il adore également écrire et la rédaction a accueilli bien volontiers sa belle plume.

PHOTOGRAPHES Franck Disegni Alban Hefti Vincent Muller Nicolas Rosès CONCEPT & CRÉATION GRAPHIQUE Izhak Agency CORRECTION Lisa Haller PUBLICITÉ Régis Pietronave 06 32 23 35 81 publicite@ornorme.fr

IMPRESSION Imprimé en CE DISTRIBUTION Impact Media Pub TIRAGES 15 000 exemplaires Tous déposés dans les lieux de passage de l’agglomération. Liste des points de dépôt sur demande. Dépôt légal : Juin 2018 ISSN 2272-9461 Photo de couverture : Franck Disegni


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GRAND ENTRETIEN 14 PIERRE TERRASSON ‘‘De belles histoires, des histoires de mecs et de pros… ’’ OR BORD 20 PORTRAITS Faiseurs de leur rêve

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THIBAUT FAVROT ‘‘Maintenant, je la tiens, ma chance !’’

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VIVIEN LATUNER Pokaa man

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SANDRINE ANKAOUA Le long chemin vers soi-même

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ÉMILIEN DENNER Taillé pour la F1

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JEUNES ÉTUDIANTS EN ARCHITECTURE Strasbourg de demainarmi les projets récompensés

36

IZIS GOÏTA, COUTURIER ‘‘Strasbourg m’a choisi’’

22

40 AELLE Un amour 42

BO JOHNSON Cet artiste fait bouger les lignes

44 NAWELLE’K La p’tite bombe 26

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DAVID FEDERMANN Le meilleur du Jazz Nouvelle Vague

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ALEXANDRE FRÜH Scénographe engagé

OR SUJET 54 HÔPITAL EN SOUFFRANCE Les personnels soignants n’en peuvent plus 58

HÔPITAUX EN DÉTRESSE Patients en danger

ORNORME N°29 CARACTÈRES

62 URGENCES ‘‘On est submergé...’’

SOMMAIRE

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54

MÉDECINS ET PERSONNELS SOIGNANTS Ils n’en peuvent plus !..



OR CADRE 72 1968 En mai de cette année-là… 80

LE VENT DE MAI Le bel alizé de Lionel Courtot

OR PISTE 84 VIOLENCE FAITE AUX FEMMES Classement sans suites ?

72

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CHRISTOPHE KOCHER L’étonnant pasteur

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VOIX SANS FRONTIÈRES La chorale des ‘‘enfants-soldats’’

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MAYIHA-TA (DADOU) ET NADINE RODRIGUES Ils ont fait chanter les enfants-soldats d’Ouganda

98

DOSTENA LAVERGNE ποιήτρια (poétesse)

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DIMITRI LIÉNARD Six jours plus tard...

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SYLVIE BOCQUI Ce genre de fille...

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RÉSEAUX SOCIAUX Méchants !

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80

ÉVÉNEMENTS 114 LES ÉVÉNEMENTS OR NORME 116

VU D’ICI

120 PORTFOLIO Les piétons de Strasbourg 84

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SOMMAIRE

ORNORME N°29 CARACTÈRES

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126

À NOTER

128

OR CHAMP Carmen, un caractère de femme par Philippe Arlaud


NOUVELLES SCÈNES MUSIC MACHINES

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GRAND ENTRETIEN

PIERRE TERRASSON

Photos :

Franck Disegni Jean-Luc Fournier

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OR NORME N°29 Caractères

LE GRAND ENTRETIEN

Texte :

‘‘De belles histoires, des histoires de mecs et de pros… ’’ Le photographe emblématique de la scène rock des années ’80 et ’90 raconte dans cet entretien en toute liberté ses rencontres avec les Vanessa Paradis, Alain Bashung, Jacques Higelin et autres Serge Gainsbourg… Il brosse le portrait d’un petit môme des années cinquante qui a trouvé sa voie avec la photo et n’a jamais cessé d’y respirer l’air du grand large… C’est une de ces rencontres qu’on attend toujours avec une vraie impatience et qui finit par se matérialiser dans ce mythique atelier-studio de la cité de la Maladrerie à Aubervilliers. Des portes métalliques taguées de partout qui s’ouvrent sur un génial capharnaüm comme on les aime : sur deux étages, un studio photo et des pièces aux murs entièrement recouverts de tirages, de pochettes de disques ou de post-it où on lit des noms célèbres à n’en plus finir. Là, seul le propriétaire des lieux peut retrouver sans hésiter un document ou un objet dans ce bordélique et génial empilement. Nous sommes dans l’antre d’un sacré personnage… Or Norme. Je sais que ton adolescence, notamment au niveau scolaire, a été très chahutée, disons… Hormis les trois premières années de ma vie que j’ai passées à Dijon, où je suis né voilà 66 ans maintenant, j’ai vécu tout mon enfance et ma jeunesse à Colombes dans les Hauts-de -Seine. Mon père était un artiste de chant lyrique, il a fait le Conservatoire puis a dirigé plusieurs opéras dont, peut-être certains de tes lecteurs s’en souviendront-ils, l’Opéra du Rhin à Strasbourg pendant un peu plus de dix ans, à partir de 1980. Pour ma part, j’ai eu une jeunesse agitée en matière scolaire car, à part la philo ou le dessin, pas grand chose d’autre ne m’intéressait. J’ai dû faire une dizaine de boites avant le bac, tu vois… de l’internat, des boîtes privées, bref j’ai étudié là où on voulait bien m’accueillir… D’ailleurs, le bac, je ne l’ai pas eu, finalement… Cependant , je dis depuis toujours que j’ai un bac +6 parce que je suis entré

aux Beaux-Arts. À cette époque, on pouvait y rentrer sans le bac, sur dossier. Tu montrais tes dessins, tes trucs et voilà… Évidemment, aujourd’hui, un truc pareil serait impossible. Donc, retiens bien et n’oublie pas, je suis bac +6, j’ai un diplôme supérieur en arts plastiques, hein ! Or Norme. Donc, tu dessinais beaucoup à cette époque. Et la photo ? Oui, je dessinais et je faisais aussi de la photo. J’ai pris quelques cours à la maison des jeunes de Colombes et, vers quinze ans, j’ai eu un labo dans le pavillon familial. Enfin, l’agrandisseur ressemblait plus à une boite de conserve qu’autre chose mais ça me permettait de développer et tirer les photos de mes potes que je faisais. Ensemble, on se prenait déjà pour des poètes maudits : Verlaine, Rimbaud, Apollinaire, on s’écoutait pousser les cheveux, tu vois… (grand éclat de rire), on se prenait un peu pour ce qu’on n’était pas. On se lisait des poèmes, on discourait… Curieusement, j’ai fait très peu de photo pendant mes années aux Beaux-Arts. Figure-toi que je faisais de la mosaïque, c’est fou, hein ? Je faisais des tables, de la déco, jusqu’à des tombes en granit… Or Norme. Là, on était au tout début des années ‘70, j’imagine que les Beaux-Arts de Paris devaient encore surfer sur Mai 68, non ? Oh oui ! Aujourd’hui, quand tu passes devant l’immeuble, c’est tout lisse, bien propre. À l’époque, c’était tagué, graffé, collé… Ces gars-là avaient quand même réalisé toutes les affiches de 68, et ce n’était pas rien... Sur un mur, dans un amphi, il restait une phrase : « Le fond de l’ère effraie !... » Et bien, on n’a pas arrêté de disserter sur ce thème-là, avec un prof. On vivait formidablement libres, il y avait une forme de romantisme et aussi une grande liberté sexuelle. Et on bossait tous azimuts. Faut dire qu’on avait des profs comme César, par exemple, le haut de gamme, quoi ! On était des touche-àtout, ça partait dans tous les sens… Or Norme. Comment se sont passés les débuts en photo ? Côté photo, je n’ai jamais suivi d’études, j’ai tout appris sur le terrain. Vers la fin des années ’70 début des années ’80,


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Photos :

Franck Disegni

Texte :

Jean-Luc Fournier

LE GRAND ENTRETIEN OR NORME N°29 Caractères

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‘‘Elle avait une relation avec la lumière, les éléments, les volumes que je n’ai que très rarement rencontrée chez les autres.’’


quand je suis arrivé ici, à Aubervilliers, je suis tout de suite tombé sur cet atelier que j’ai transformé peu à peu en studio, ce qui m’a donné un sacré avantage par rapport à beaucoup d’autres photographes. J’ai également eu de très bons assistants, très techniques, qui n’ont pas spécialement cherché à faire une carrière de photographe, qui ont fait partie d’un tas de mecs bien plus forts que moi techniquement et qui m’ont toujours bien conseillé. J’ai vu assez vite que je parvenais à vendre mes photos de concerts. Je faisais des fêtes politiques comme la fête de la JOC (Jeunesse Ouvrière Chrétienne – ndlr) avec des mecs comme Julien Clerc, Little Bob… Or Norme. Comment on passe de photographe de la scène de la fête de la JOC à Aubervilliers au stade de photographe incontournable de la scène française et même internationale ? Je crois bien que c’est grâce à une curiosité insatiable. Certains photographes se sont spécialisés sur telle ou telle niche tandis que moi, durant ces années-là, j’ai profité de tout. Il y avait tant à faire et tout m’intéressait, tous azimuts. Au début, j’y allais carrément au flanc. Vers la fin des années ’70, il y avait les deux magazines rock incontournables, Rock&Folk et Best et un troisième canard, en noir et blanc, seule sa couv était en couleur. Il s’appelait Rock en Stock et ils achetaient les photos 10 francs. Alors, tu leur amenais un tirage, ils te filaient 10 balles et après, ils en faisaient ce qu’ils voulaient… Finalement, dans les années ’80, j’ai enchaîné les reportages de concerts avec les post-punk comme les Cure, Siouxies, la Bat Cave de Soho, à Londres, et je n’arrêtais pas : oui, j’étais curieux de tout… Or Norme. Les temps étaient bien différents d’aujourd’hui, certes, mais comment es-tu parvenu à gagner leur confiance et devenir en quelque sorte le photographe qu’ils souhaitaient voir travailler sur leurs concerts français ?

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J’étais pote avec eux mais juste pour établir une bonne qualité de contact, je n’ai jamais fait ami-ami, je les ai toujours regardés comme des modèles et conservé une bonne distance. Ils avaient bien sûr un droit de regard sur mes photos, j’ai toujours trouvé normal de les leur montrer et on détruisait celles qui ne leur plaisaient pas. Du coup, ils avaient totalement confiance en moi et quand ils repassaient deux ans plus tard pour un nouvel album, ils souhaitaient que ce soit moi qui les suive. Une bonne part de ma crédibilité provenait du fait que je collaborais avec la vraie presse rock. Avec un tout petit magazine, Guitare & Claviers, j’ai réussi à me retrouver à Londres en train de photographier Andy Summers, le guitariste de Police ou encore Jean-Michel Jarre ou Daniel Balavoine que j’ai photographié quinze jours avant sa mort. Ce serait impensable aujourd’hui des trucs pareils. La photo s’est complètement banalisée, elle est devenue pourrie, con, tout ce que tu veux, tout le monde publie les

mêmes photos libres de droit que tout le monde a, c’est comme ça. C’est devenu tellement naze que j’ai vite arrêté tout ça vers 1990. À ce moment-là, je suivais Vanessa Paradis et côté scène, j’étais avec Patrick Bruel, j’étais passé à autre chose… Or Norme. Justement, parle-moi de cette relation tout à fait particulière que tu as réussi à nouer avec les plus grands, Vanessa Paradis, Bruel donc, mais aussi Serge Gainsbourg, Alain Bashung, Jacques Higelin qui vient de nous quitter (cet entretien a été réalisé à Aubervilliers le 11 avril dernier, la veille des obsèques du chanteur au cimetière du Père-Lachaise –ndlr)… Paradis a été mon premier contact avec la Variété, moi qui auparavant photographiais Lou Reed, les Cure ou les Stranglers, tu vois… J’ai même fait des photos de cul pour Vertiges et Pulsions, un petit canard qui appartenait à Rock en Stock pour qui j’ai fait deux ou trois sujets avant d’arrêter. Franchement, c’était pas mon truc. Le rédac chef de Rock News, un petit canard qui faisait partie du même groupe, me propose de photographier Vanessa Paradis. Je me dis : pfff… Vanessa Paradis… « Tu sais, Joe le Taxi », qu’il rajoute. Ouais, je connais, je soupire… Et puis, elle vient ici, dans mon studio, à Aubervilliers, du haut de ses seize piges. Je monte vite fait un fond d’image, je vais récupérer mes boîtiers et quand je la retrouve, elle est allongée par terre, sur le fond et je réalise que c’est un OVNI cette petite nana-là. Elle avait une relation avec la lumière, les éléments, les volumes que je n’ai que très rarement rencontrée chez les autres. Lou Reed, dont je te parlais, c’était une horreur à photographier : c’était un mec super raide et pareil pour beaucoup d’autres musicos, ces guitaristes coincés qui s’accrochaient désespérément à leur guitare. Alors cette nana de seize ans qui bougeait comme une dingue en studio, je ne l’ai pas lâchée pendant trois ans. Un de mes plus beaux coups a été de lui faire avoir une pleine page dans les Inrocks, je parle bien des Inrocks des années ’80. Eric Muller, un vieux pote qui y travaillait, avait lancé un sujet sur les photographes, j’en étais et chacun d’entre nous pouvait proposer une photo de l’artiste avec lequel il travaillait volontiers. J’ai proposé Vanessa, il ne m’a pas pris au sérieux mais quand il a vu l’image, il la publiée sans hésiter. Après, tout s’est enchaîné, je lui ai fait trois pochettes de disques et j’ai été son photographe sur le film Noces Blanches où je faisais ce que je voulais sur le plateau. Pendant trois ans, j’ai essayé de lui apporter mon côté vieux routard du rock. Je lui ai fait découvrir Lou Reed par exemple et plein d’autres. Et puis, comme elle avait seize ans, elle avait été suivie à fond par la presse jeune là où, en général, on tire un fond rose derrière et on fait des photos alors que moi, je la collais sur des chaînes rouillées dans des docks à Boulogne-sur-Mer, tu vois le truc… des photos de nuit, dans des endroits bien glauques, bien pourris et en plus, elle adorait ça ! Avec sa mère ça allait, c’était quelquefois limite avec sa maison de disques qui me disait : « Attends,


Terrasson, on ne peut quand même pas publier ça… » mais bon, elle a aimé mon côté rock et moi, je me suis vraiment plié à un sacré boulot, en apprenant du reste beaucoup avec elle. Puis on s’est séparé, parce que c’est comme ça. Et puis, il y a eu Bruel, l’époque de Casser la voix. J’ai fait toute la Bruelmania de la fin des années ’80, début ’90. De la folie pure ! J’étais sur la scène très près de lui, il pouvait s’asseoir peinard devant un public de nanas qui chantait toutes les chansons à sa place et à tue-tête. Avec lui, j’ai fait cinquante couvertures de magazines, c’était insensé…, au point de monter ici une agence de vente en interne, puisque j’étais exclusif sur lui. Avec un vendeur au téléphone, Christiane, ma femme, qui s’occupait de la compta, un autre vendeur qui passait sa vie sur un scooter pour montrer les photos au tout Paris de la presse. Avec Patrick, ça a été une autre histoire de belle confiance entre mecs et entre pros…

Photos :

Franck Disegni Jean-Luc Fournier

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OR NORME N°29 Caractères

LE GRAND ENTRETIEN

Texte :

Or Norme. C’est en traînant souvent sur les plateaux télé que tu fais les belles rencontres qui vont marquer à jamais ta carrière. Alain Bashung, Jacques Higelin, Serge Gainsbourg : à chaque fois, c’est une autre très belle histoire qui naît…

‘‘J’ai fait toute la Bruelmania de la fin des années ’80, début ’90. De la folie pure !’’ Alain, je me suis mis à le côtoyer par le biais de commandes de magazines de musique, dont une journée entière chez lui à Crespières, dans les années ’80. L’heureuse époque où on pouvait passer beaucoup de temps avec les gens, en toute intimité. Même en studio ici, il venait le matin, on lui faisait le make-up, on shootait, on se faisait livrer des pizzas et on recommençait la séance ensuite. C’était bon enfant… Pareil avec Serge. On se retrouvait carrément chez eux quelques jours plus tard, même le week-end : j’arrivais avec ma table lumineuse, on triait les diapos, on bossait pendant que nos gosses respectifs jouaient ensemble. C’était direct, simple, sans chichi… Avec Jacques Higelin, c’était la période des grands concerts avec Madonna ou Dylan, au Parc de Sceaux. Je me souviens des photos de ses concerts à Bercy. J’étais perché dans les cintres, pile au-dessus de la scène. Quelle époque !.. Jacques, je l’ai accompagné à Calvi où il avait installé sa mère et j’ai fait ces fameuses photos à l’arrache, une heure avant de prendre l’avion. Hier, après avoir appris sa mort, je me suis refait le film à l’envers, j’ai réécouté ses albums et je me suis

souvenu de ces jours passés en Ardèche, près de mon père, où les deux se tiraient la bourre question musique… La dernière fois que je l’ai vu, c’était il y a une dizaine d’années, lors d’un concert de sa fille Izia, au Bataclan. Il était là, dans le noir, tout au fond… Sincèrement, l’annonce de sa mort m’a fait beaucoup de peine, j’ai allumé une bougie chez moi… Avec Serge, mes premières photos datent de la fin des années ’80, ce sont des photos de répétition de ses concerts à Mogador ou au Palace. Puis, mes bonnes relations avec Jean-Yves Legras, du magazine Best, qui était bien le seul photographe salarié de toute la presse rock, ont fait qu’un jour, il m’a ramené Serge dans mon studio, ici, à Aubervilliers… Impensable, aujourd’hui. Il m’en a ramené d’autres : Jean-Louis Aubert, Charlélie Couture, Mick Jagger, les deux frangins d’Indochine, Scorpion au grand complet qui ont accepté de faire une pyramide avec le chanteur et sa boule à zéro qui touchait le plafond ! Les mecs débarquaient avec des Mercedes six portes, tu te rends compte ? Comme ce jour où David Hallyday est arrivé avec la Ferrari rouge de son vieux et que je lui ai dit : mais putain, je la mets où ta Ferrari, mec ? On est en plein Aubervilliers ici !.. Pour revenir à Serge, il est venu avec Bamboo en 1984 pour une prise de vues et ensuite, ça s’est bien passé ensemble : on parlait peinture, tu vois, ça le changeait et moi aussi. Il avait le même boitier Nikon que moi, un F2, alors il s’est mis à me demander des conseils pour la photo. C’était complètement fou avec Serge, quelquefois : chez lui, il me triait des tirages photo tout en jouant du Chopin au piano. Toutes ces années-là, Serge faisait partie des gens que je voyais régulièrement, chaque fois qu’ils sortaient un album. La photo nous reliait en permanence. C’est Jack Ralite, le maire d’ici, qui est décédé récemment, qui s’était démerdé pour que je puisse faire sa fameuse photo de Serge en tôle au commissariat d’Aubervilliers. Moi, j’avais été collé en garde-à-vue un an avant, pour violence à agent, alors je connaissais bien le terrain, tu vois… Un an plus tard, je suis revenu au même endroit, mais avec Serge : les keufs m’ont dit : « mais, on vous connaît, vous… ». J’ai dit ; oui, oui, je viens avec Gainsbourg, voilà… Et on a pu faire la photo de Serge menotté surplombé par la Marianne de l’époque, Catherine Deneuve… On a fait les photos à toute vitesse parce qu’il était en retard pour récupérer Lulu et le ramener rue du Moulinet, chez Bamboo. On a traversé tout Paris à fond la caisse, ensuite… Serge était d’une générosité folle et je me souviens de ce jour où il s’est aperçu qu’un de mes tout jeunes assistants avait eu un accident et qu’il lui manquait deux dents. Il lui en parle et lui dit qu’il fallait s’en occuper. Le gamin lui répond qu’il n’avait bien sûr pas de fric pour deux bridges. Combien ça coûte deux dents ? lui demande Serge. Et il lui a fait un chèque de 10 000 F pour qu’il se refasse faire les dents… Or Norme. Dernière question, et pourtant j’en aurais bien trois cents autres. Les photos de concerts se sont arrêtées quand ?


‘‘C’était complètement fou avec Serge, quelquefois : chez lui, il me triait des tirages photo tout en jouant du Chopin au piano.’’

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Vers 1995, à peu près. Les maisons de disque ont soudain été gérées tout à fait différemment. Quand tu allais faire un petit bonjour dans les majors, tu n’entendais même plus de musique… Ils m’ont tellement gavé avec tout ça que j’ai décidé de ne plus les côtoyer. J’ai dû arrêter complètement la presse il y a cinq ans, à peu près après avoir travaillé comme portraitiste pour un magazine, Respect, qui s’adresse aux minorités et qui n’est aujourd’hui publié que sur le net. J’ai publié pas mal de bouquins, notamment avec mon pote et voisin Didier Daeninckx. Mais je continue quand même avec des petits groupes, ceux qui ont un minimum de moyens car je

travaille toujours en argentique, que je numérise ensuite, à l’Hasselblad, format carré. Bon, ne rigole pas, je me sens isolé, OK, mais je te jure que physiquement, je ne suis pas à l’aise avec le numérique. Je suis un mec mécanique, j’ai besoin d’avoir des crans de diaph, de la lumière qui rentre à telle ou telle vitesse, j’ai besoin de choisir un film, je suis une caisse à outils, faut être taré tu vois… Mais moi ça me va d’être taré : j’ai besoin de toute cette chaîne et le tout numérique ne m’intéresse pas. Et puis avec l’argentique, tu te donnes la chance et le temps de trier tes photos à un autre moment et avec un autre regard. Tu ne jettes rien dans l’instant. Et si ça se trouve, tu vas trouver le lendemain un vrai intérêt à une photo que tu aurais sans pitié balancée la veille. Je peux utiliser des clichés mais deux ou trois ans après, j’ai toujours mon film et là, je peux tirer un truc que pourtant, je trouvais naze à l’instant où je l’ai fait. Cet espace-temps, je le garde pour moi, voilà…

«Pierre Terrasson - À bout portraits» Jusqu’au 24 juin chez Aedaen Gallery, du jeudi au dimanche, de 12H à 20H.


PORTRAITS

Faiseurs de leur rêve

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OR NORME N°29 Caractères

OR BORD

Depuis son tout premier numéro, Or Norme affiche en pleine lumière celles et ceux qui réalisent leurs rêves que ce soit dans le domaine professionnel, associatif ou tout simplement humain. Ils sont souvent discrets mais toutes et tous sont des passionnés… Or Norme.


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OR NORME N°29 Caractères

OR BORD Photos : Documents Remis

Texte : Benjamin Thomas


THIBAUT FAVROT ‘‘Maintenant, je la tiens, ma chance !’’ À peine âgé de trois ans, il skiait déjà, avec ses parents, sur les pistes les plus douces du Champ du Feu. Vingt ans plus tard, le Strasbourgeois Thibaut Favrot vient d’intégrer l’élite du ski français et ne doute pas une seule seconde qu’il va progresser aux côtés des meilleurs slalomeurs géants du monde…

a nouvelle est tombée il y a quelques semaines et ce solide gaillard la commente avec la joie dans la voix : « Moi qui, depuis cinq ans, m’entraînais avec le groupe B, celui de la Coupe d’Europe, je m’entraîne désormais, depuis début juin, avec l’équipe de France de Coupe du monde de slalom géant. C’est un rêve qui devient réalité : pendant tout cet été, je vais travailler chaque jour avec la meilleure équipe de slalom géant du monde, l’équipe de France. Quatre de ses skieurs sont dans les quinze meilleurs mondiaux, les quatre autres dans les trente-cinq meilleurs. » UN RUDE PROGRAMME D’ICI OCTOBRE PROCHAIN

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« Je réalise à peine que je vais travailler avec des stars du ski, comme Alexis Pinturault » (trois médailles olympiques, un titre de champion du monde et deux fois vainqueur de la Coupe du monde du combiné – ndlr) poursuit-il, « ou encore Steve Missilier,

‘‘Je réalise à peine que je vais travailler avec des stars du ski, comme Alexis Pinturault.’’

le médaillé d’argent des Jeux de Sotchi. Ce sont des skieurs qui m’ont fait rêver quand j’étais plus jeune et je vais donc m’entraîner à leurs côtés. En ce mois de juin, on démarre un sacré programme qui doit nous amener au top pour l’ouverture de la prochaine saison, fin octobre prochain en Autriche. Jusqu’à fin juillet, on va suivre une intense préparation physique au Centre d’entrainement National du ski français, à Albertville. À partir de début août, on va chausser les skis sur le glacier des Deux Alpes puis ce sera le grand départ pour les montagnes de l’hémisphère sud où ce sera l’hiver. On s’entrainera à Ushuaïa, en Argentine pour être fin prêt pour la fin octobre et la première étape de la saison, sur le glacier autrichien de Solden… » Quel parcours que celui de Thibaut Favrot. De ses débuts il y a vingt ans au Champ du Feu, il se souvient du plaisir ressenti aux côtés de ses parents, les dimanches ou durant les petites vacances scolaires. «À six ans, mes parents, voyant que cela me plaisait et me voyant à l’aise sur les planches, m’ont inscrit au Club des Skieurs de Strasbourg et j’ai commencé le cycle des entrainements du mercredi et du dimanche, toujours au Champ du Feu et quelquefois, au Col du Bonhomme.


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Documents Remis Benjamin Thomas

Texte : OR BORD

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Ça m’a plu sans cesse, de plus en plus ! Vers dix ou onze ans, j’ai intégré le groupe Alsace Ski Compétition du Comité du ski du Bas-Rhin et je dois à mon entraîneur, Dany Iselein, la paternité de la construction de mon projet sportif. Grâce à lui, je me suis mis à penser au haut niveau. J’ai en effet débuté très bas, au niveau des courses régionales : sincèrement, je n’étais pas bon, je n’avais pas le niveau. Avec les années, j’ai rattrapé mon retard, j’ai atteint le niveau national, je me sentais de mieux en mieux. J’avais quinze ans quad je suis entré sur la scène internationale mais il m’a fallu attendre l’âge de dix-huit ans pour intégrer l’équipe de France de ma catégorie. Ce fut un très long chemin…» UN MENTAL, DE GUERRIER Côté études, Thibaut a mesuré très vite les efforts qu’un sportif de haut niveau doit effectuer : « Dès le collège, je loupais déjà pas mal de cours car les compétitions étaient quelquefois en semaine. Pas possible, pour les mêmes raisons, de m’inscrire au lycée à Strasbourg alors j’ai intégré les rangs du lycée de Sainte-Marieaux-Mines pendant deux ans avant d’être accepté au lycée du pôle France, à Albertville, où on peut suivre ses cours pendant l’été. Ce fut une super chance. J’ai eu

mon Bac S en 2013 puis j’ai passé mon DUT Techniques de commercialisation trois ans plus tard. Je me suis inscrit en Licence mais sincèrement, c’est ma carrière sportive qui est devenue aujourd’hui ma priorité. Car cette intégration dans le groupe Coupe du Monde est une porte qui s’ouvre pour aller beaucoup plus haut. Les moyens d’entraînement dont je vais disposer dans un mois vont être exceptionnels, les budgets déployés sont beaucoup plus importants, le staff d’entraîneurs aussi. Franchement, c’est le top. L’équipe de France est si forte, je vais pouvoir progresser avec elle. Maintenant, je la tiens ma chance et il ne faut pas que je la laisse glisser entre mes mains ! Plus jeune, je sentais que mon faible était le mental. C’est sûr que venant de si loin, de la plaine d’Alsace alors que tous les autres sont des montagnards, fils de moniteurs de ski, je vais être un peu différent de mes coéquipiers mais mes origines m’ont forgé un mental de guerrier. Et je compte bien m’en servir et en profiter… » conclut Thibaut Favrot. Sûr que le sachant désormais au cœur du saint des saints, on va suivre la saison de Coupe du monde de slalom géant dès l’hiver prochain avec un œil beaucoup plus attentif…


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C’est qui Maurice ? - Photos : M. Grasso, F. Kobi

SAISON 2018-2019


VIVIEN LATUNER

Pokaa man

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Maria Fernandes Barbara Romero

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Texte :

De l’énergie à revendre, des idées qui fusent, une attitude posée, beaucoup d’humour, et un ego au placard : rencontre avec Vivien Latuner, cofondateur de Pokaa, le média numérique strasbourgeois qui monte, qui monte...

Quand il a démarré l’aventure Pokaa avec son amie Maria Fernandes en avril 2014, Vivien était un peu lost in translation. Il venait de planter coup sur coup ses études en génie civil et en éco. Son projet de start’up « Stop pasta » pour aider les jeunes à trouver du boulot partout en Europe sur lequel il bossait depuis deux ans avec son frère venait d’être avorté. « C’était une période un peu compliquée, confie-t-il. À 23 ans, j’ai réalisé que je n’avais que mon bac en poche, je cherchais un but. » C’est à ce moment-là qu’il déménage de la rue de la Nuée Bleue à Homme-de-Fer. Avec Maria, ils se baladent alors dans le quartier et découvrent What the cake ? et La Mandragore. Maria, qui est photographe, prend quelques clichés. « Je me suis dit : mais c’est dingue, cela fait 4 ans qu’on est à Strasbourg et aucun média ne parlait de ce genre d’adresses. Ils n’étaient pas sur les réseaux sociaux, ils ne s’adressaient pas à nous. » Et l’aventure Pokaa commence. « Le surnom de Maria, c’est Pocahontas, d’où Pokaa. J’ai commencé à écrire sur des restos, des artistes. Elle faisait les photos. Au bout d’une ou deux semaines, des gens nous écrivaient. Au bout d’un mois, on était une dizaine dans l’équipe : on découvrait notre ville et on partageait nos découvertes avec les autres. » AMOUREUX DE LEUR LIBERTÉ Grâce à un petit patrimoine familial, Vivien se lance à 100% dans l’aventure : « Je me sentais plus vivant dans ce projet qu’en faisant le tour du monde. Les trois premières années, je ne me suis pas payé. Depuis septembre, je me verse un salaire microscopique et ça fait plaisir d’y être arrivé ! » À l’inverse, tous ses collaborateurs sont payés. « Au bout d’un an et demi, on avait 15 000 followers, on s’est structuré en association. »

‘‘Ce qu’on écrit a un impact. On a un côté média local auquel je tiens.’’ Aujourd’hui, avec ses 72 000 followers sur Facebook, 20 000 sur Instagram et ses 600 000 pages vues entre son site et son appli, Pokaa passe à la vitesse supérieure en créant une société et en embauchant trois salariés à temps plein dans un premier temps. « On s’est voulu un média dans le contenu, on continue comme cela, on apprend tous les jours », souligne Vivien. Loin d’avoir pris la grosse tête, le rédacteur en chef garde les pieds sur terre et son sens de l’éthique. « On a connu un petit flottement lorsque l’on cherchait notre modèle économique, reconnaît-il. On a pris un gros virage l’an dernier. Je commençais à ressentir la fatigue de faire 15 000 métiers en même temps, sans salaire, et en plus en étant critiqué.


Nouvelle Classe A Ce que je faisais me passionnait, mais j’avais besoin de me projeter. J’ai grandi dans un village du HautRhin, dans un cadre terre-à-terre. J’avais besoin de sentir que les choses se construisaient. » Le nouveau modèle financier de Pokaa : un hybride entre média classique et guide de sorties, avec des bannières pubs et des partenariats. « Nous ne faisons pas de publirédactionnels, nous sommes trop amoureux de notre liberté pour ça. Nous avons 200 partenaires, mais aucun gros mécène. Donc si on en perd un, cela ne nous met pas en péril. »

C’est bien plus qu’une voiture. Elle vous connait, vous écoute, vous comprend et vous parle. Elle apprend à vous connaître pour anticiper vos besoins. Comment ? Découvrez-le chez votre Distributeur Kroely.

« NOS LECTEURS, CE SONT NOS VOISINS » Pour le partenariat, Pokaa fonctionne sur le modèle du « Client mystère ». « Dans tous les cas, nos clients n’ont aucun regard sur le contenu, insiste Vivien. Notre modèle plaît aux restaurateurs qui font bien leur boulot… Et le tri, on le fait en amont. » L’entrepreneur a en revanche lâché cette partie de son job après avoir testé pas moins de 200 restos ! Avec Maria, ils se sont aussi entourés de belles personnes, passionnées par l’aventure. « On a un ton léger car il y a de la légèreté entre nous. On s’amuse et on bosse en même temps. Notre cadre de travail est agréable. C’est la clé. » En revanche, Vivien prend à cœur le sérieux des infos livrées : « Ce qu’on écrit a un impact. Nous allons mettre un cadre juridique à notre structure pour être tout à fait transparents. On a un côté média local auquel je tiens. Nos lecteurs, ce sont nos voisins. » Ce qu’il aime, c’est humer la ville, la sentir. Et partir d’une feuille blanche pour développer des centaines de projets. « Le but n’est pas de faire de l’argent mais de continuer ce délire et d’aller plus loin. » Prochains en date : la V2 de leur application, la mise en place de vidéos avec une personne dédiée, et pourquoi pas un petit tour vers le print… Mais à la sauce Pokaa, évidemment. « Pokaa, ce n’est pas un blog, mais un courant, une façon de penser. Cela peut continuer après moi ! Mais on a créé quelque chose, un point de contact avec les gens. Tous les jours on reçoit des infos. C’est ce qui me conforte dans l’idée de grandir… »

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Le blog : www.pokaa-strasbourg.fr

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SANDRINE ANKAOUA Le long chemin vers soi-même

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TOUT CHAMBOULER Alors, Sandrine raconte d’abord le grand chamboulement survenu: « Ma vie professionnelle avait débuté par trois ans aux Antilles, dans le marketing, l’événementiel et la publicité. À mon retour à Strasbourg, en 2006, c’est la maladie qui me surprend et me force à m’interroger sur le sens de ma vie tant personnelle que professionnelle. Je comprends que mon corps est en train de m’alerter, que ma vie ne me correspond plus. Je décide alors de prendre un nouveau chemin, de divorcer et d’entamer une psychanalyse. Je pars à la redécouverte de moi-même dans le but de me reconnecter avec mes valeurs profondes. Grâce à la psychanalyse, je comprends également que je dois me réorienter professionnellement, mais quel métier exercer ? Très honnêtement, je manquais alors de confiance en moi… » soupire Sandrine. La jeune femme se lance alors dans un bilan de compétences qui l’éclaire là encore sur sa vraie personnalité : « Cette démarche me donne la voie à suivre pour que je puisse m’épanouir : je dois travailler à mon

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Jean-Luc Fournier

Elle a eu ce courage de nous aborder, presque timidement, au sortir de la présentation officielle du livre de l’ami Philippe Studer sur l’entreprise libérée. « J’aurais moi aussi deux ou trois choses à raconter sur mon parcours personnel. Depuis notre première rencontre, Philippe a eu des mots qui m’ont touchée : se réaliser, oser, vivre ses rêves…c’est ce que je vis actuellement et je voudrais témoigner que c’est possible… »

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Se croire perdue, larguée dans un univers qui ne correspond plus rien à ce dont on a toujours rêvé, la confiance en soi brisée. Puis, juste à temps, se redresser, se convaincre que l’histoire ne peut plus s’écrire comme ça et soudain tout mettre en œuvre pour se retrouver. De plus en plus parmi nous vivent cette situation-là mais beaucoup en restent au stade du désir d’une autre vie. Sandrine Ankoua, elle, a décidé de raconter sa renaissance…

compte dans le bien-être. Je reprends mes études avec un master création d’entreprise à l’EM Strasbourg que je complète avec une formation en sophrologie et en massages : je sens que je dois créer ce lien entre le corps et l’esprit. Tout cela devient une réalité tangible en 2008 quand je crée l’Ilozen : centre de bien-être et de sophrologie. L’Ilozen est devenu somme toute très vite une référence » poursuit Sandrine. « Mais peu à peu, au fil des années, je comprends que c’était un ‘‘pas-sage’’ pour aller vers autres choses ». GRÂCE AU CERCLE DES PASSEURS… C’est un accident physique qui va provoquer le déclic salvateur. Rupture des ligaments croisés du genou, le genre de truc empoisonnant au possible dont on met des mois de rééducation à se remettre, à grands coups de créneaux horaires interminables où il faut serrer des dents et ne pas trop céder au découragement. « C’est là que j’ai compris le sens de mon chemin » dit Sandrine. « Mon besoin de vivre à l’extérieur, avec la nature, d’aller à la rencontre d’autres cultures, d’autres horizons, correspond à mes aspirations profondes. Il est temps pour moi de réaliser un rêve que je ne m’étais jamais autorisée à vivre à cause de la pression sociale, le travail, les responsabilités, bref toute la culture qui m’environnait. Je comprends qu’il faut que je parte à la découverte de l’autre, que cela peut m’emmener très loin, mais pas seulement au sens géographique du terme. Depuis, je me suis organisée en conséquence … » sourit-elle, avant d’ajouter joliment : « Tout cela s’est cristallisé quand mon genou m’a obligée à m’arrêter pour repartir d’un nouveau pied et entreprendre de nouveaux pas ». Une première rencontre avec Philippe Studer est l’occasion de s’imprégner de sa connaissance des peuples racines. Puis, l’été dernier, Sandrine fréquente, dans la Drôme, l’École de la nature et des savoirs et découvre le Cercle des passeurs : Lorenza Garcia et sa passion pour les indiens Navajos, Xavier Perron qui sait tout des Massaïs africains et Eric Julien, le spécialiste des traditions des Kogis colombiens. « C’est ma rencontre avec un couple de chamans suisses, Katia et Hervé, qui va guider mes premiers pas vers la découverte d’un autre monde » raconte Sandrine. « Ils m’ont proposé un séjour en Équateur, avec la rencontre d’un chaman à la lisière de la forêt équatoriale auprès des peuples premiers, les Shuars, notamment… »


Là-bas, c’est la découverte de l’ayahuasca, ce breuvage à base de lianes beaucoup décrié après quelques expériences imprudentes. « Quand on respecte le protocole, la diète et que l’on est encadré par un chaman, l’ayahuasca provoque des visions qui sont comme une très large ouverture de la conscience qui donne ainsi accès à des choses profondément enfouies en soi. Je ne me suis jamais sentie aussi détendue et avec un tel lâcher prise… » se souvientelle, «c’est comme si j’avais fait un reset complet, j’ai eu la sensation de vivre une renaissance. J’ai vécu un moment magique avec mon ‘‘baptême’’, le jour de la pleine lune de mars dernier. C’était aussi le jour de Pessah (la Pâque juive - ndlr) et pour moi qui suis juive, cette synchronicité de date est importante. Le reste du voyage s’est effectué avec cette sensation de bénéficier d’un regard neuf sur tout ce qui m’entourait, et cette gratitude que je m’accordais enfin pour m’être offerte ce dont j’avais le plus envie. Aux Galapagos, où j’ai fait escale, j’ai vu des animaux et des plantes qui n’existent nulle part ailleurs dans le monde. En atteignant la ligne imaginaire de l’équateur, j’ai eu la sensation unique de franchir une polarité étrange et d’être au bout du monde. Dans le nord du pays, j’ai grimpé jusqu’à 4 300 m d’altitude lors d’une randonnée, pas à pas, lentement : jamais je ne me serais sentie capable de ça auparavant mais si j’y suis parvenue, c’est en reconnaissant mes faiblesses, en osant les avouer donc en acceptant d’être accompagnée. Et cela valait la peine : comme nous sommes sur l’équateur, la végétation que l’on rencontre

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si haut est incroyable, inouïe. Au plus haut où tes pas te mènent, tout reste vivant autour de toi. C’était magique… tout comme ce long sentier autour d’un lac d’altitude qui m’a permis une intense méditation sur le chemin parcouru durant ce voyage, tout un symbole… » conclut-elle avec des étincelles au fond des yeux.

‘‘Mon besoin de vivre à l’extérieur, avec la nature, d’aller à la rencontre d’autres cultures, d’autres horizons, correspond à mes aspirations profondes.’’ Sur le chemin de l’autre, tout autour de la planète, la prochaine étape sur le chemin entrepris par Sandrine est pour dans quelques semaines. Ce sera l’Ouest américain, ses parcs nationaux et ses immenses espaces (un crochet en territoire navajo, décrit par Lorenza Garcia au Cercle des passeurs, est bien sûr prévu). « Ce sera en camping-car, au plus près de la nature et des gens » dit-elle. « Je vais prendre mon temps… » ajoute-t-elle avant de questionner toujours aussi timidement : « Et si je racontais ça sous forme de carnets de voyage sur l’appli ornorme ? » Pour ne rien vous cacher, on a dit oui tout de suite…


ÉMILIEN DENNER

Taillé pour la F1

Émilien Denner est né avec le printemps, un 21 mars à Strasbourg, comme un certain Ayrton Senna. Plutôt destiné au basket, il y a deux ans, il n’avait jamais touché un volant. Aujourd’hui, à 16 ans, il est l’un des meilleurs pilotes de kart au monde, il court chez CRG (comme Hamilton ou Schumacher avant lui), au plus haut niveau de ce sport très exigeant. Il défie des pilotes âgés de 20 à 35 ans, là où s’épanouissent les futurs grands champions, ceux que l’on retrouve en Formule 1.

il enregistre les clients, la mine renfrognée d’un ado contrarié. Chaque soir, Éric lui suggère de faire un tour avec un kart grand public, mais Émilien refuse. Trois jours avant la fin des vacances, il sympathise avec un jeune allemand ; ils parlent de Pokémon GO avant que son nouvel ami lui propose de rouler avec lui. Par timidité, pour ne pas le décevoir, Émilien accepte et prend le volant. C’est la révélation. Il roule vite, très vite. Il ne lui faut pas beaucoup de temps pour réaliser le record du tour, le meilleur sur vingt mille clients, c’est aussi spectaculaire qu’incroyable. À partir de ce moment-là, Émilien, comme touché par la grâce, n’a qu’une obsession, il souhaite accéder à la compétition. Encore plus de vitesse, plus de finesse de pilotage, sur une machine de 30 chevaux, le résultat est le même, il est toujours très à l’aise.

Eric Genetet - DR

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Texte & Photos :

UNE PROGRESSION SPECTACULAIRE Le jeune Strasbourgeois vient de remporter sa plus belle victoire, avant la suivante. C’était en avril à Lonato Del Garda en Italie : une vitesse incroyable, une gestion de course digne des plus expérimentés, premier du début à la fin et pour finir la Marseillaise qui résonne quand les moteurs sont coupés. « Personne n’a réussi à me chercher », dit Émilien avec le regard gorgé de certitudes, comme ceux qui savent que rien ne les fera dévier de la bonne trajectoire, celle de la gloire. Pour l’atteindre, il disputera les championnats d’Europe cet été et les championnats du monde avec un objectif clairement identifié, même si cela paraît follement prématuré, rester devant. DES DÉBUTS PROMETTEURS Son papa, Éric est un vrai passionné de sports mécaniques, son père, le grand-père d’Émilien, disputait des courses de côte. Éric a baigné dans le milieu des odeurs d’essence et de cambouis, il ne rate pas un grand prix de F1, soit à la télé, soit parfois sur place. Sans imaginer un avenir mécanique pour son fils, lorsqu’il était bébé, il habillait Émilien avec des tee-shirts Ferrari. Il y a trois ans, Éric prend la gestion d’un circuit international de karting à côté de Karlsruhe. Émilien est un ado comme les autres, il ne porte aucun tee-shirt rappelant les sports mécaniques. Pendant l’été 2016, il passe son temps à jouer sur sa PlayStation. En août, il vient, à contrecœur, donner un coup de main sur la piste. Pendant un mois, il distribue les feuilles de chrono,

Alors, il ne s’arrête pas là, sa nouvelle passion l’anime de la tête aux pieds, il passe à la catégorie reine où se battent des pilotes adultes très expérimentés, le vivier de la Formule 1. Sur une machine de 50 chevaux, il encaisse 4g dans chaque virage, c’est éprouvant physiquement, mais Émilien n’a peur de rien, il roule au feeling, il sent instinctivement comment entrer dans les virages, comment freiner, accélérer, rouler « fin » comme il dit. Pendant plusieurs semaines, il améliore ses chronos et le voilà dans le championnat allemand. Après les trois premières étapes, il est deuxième du général. C’est tellement spectaculaire que son père l’inscrit dans des courses internationales. UN PHÉNOMÈNE QUI VEUT ÉCRIRE L’HISTOIRE Depuis quelques mois, il dispute le Championnat du monde KZ avec un kart qui passe de 0 à 100 en deux secondes quatre, exactement comme en F1. Ceux qui réussissent à ce niveau ont tous commencé à cinq ou six ans, ils accumulent de l’expérience pendant de longues saisons. Pas Émilien. La presse allemande le nomme « le jeune prodige français ». En Angleterre on parle d’une « ascension historique dans le sport mécanique ». Giancarlo Tinini, le PDG de CRG – Kali Kart, l’écurie d’Émilien, la référence mondiale des grands champions comme Michael Schumacher, Lewis Hamilton ou Marc Vestappen, dit qu’en 30 ans de carrière de haut niveau, il n’a jamais vu un pilote se développer aussi vite. Les mots de Jonathan Thonon,


6 fois champion du monde dans la même catégorie confirment que le jeune Strasbourgeois est un phénomène : « Ce qu’il réalise en si peu de temps est surnaturel, impossible, mais lui, il le fait, je suis impressionné par son talent. Je suivrai sa route vers l’histoire. » Il a bien compris qu’Émilien allait écrire l’histoire, la grande. L’ARGENT, LE NERF DE LA COURSE

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Le père et le fils sont unis dans une aventure aussi soudaine qu’extraordinaire. Éric suit Émilien partout, il s’occupe de tout l’administratif et de la recherche de l’argent, le nerf de la course. Pour l’instant sans-le-sou, il roule néanmoins sur les traces des plus grands, et si tout va bien, cela signifie surtout si les finances suivent, il réalisera ses rêves : « C’est très compliqué financièrement, l’argent est au-dessus du talent, les écuries ne financent pas tout. Pour courir, il faut arriver avec ses sponsors ou avoir un compte en banque bien garni », explique Éric Denner. LA F1 À L’HORIZON Le jeune homme est inscrit au CNED pour ses études à distance depuis six mois, un mode de vie qui lui va bien. « Émilien est très solitaire, presque dénué de sentiment, une froideur incroyable parfois » dit son père. Sa person-

nalité construit peu à peu le pilote qu’il devient, un pilote doté d’un gros mental, « Denner d’acier », un cerveau bien équipé pour aller loin et respecter son plan de carrière : l’an prochain il fera des tests en F3 avant d’y courir en 2020 et 2021. La F1 est à l’horizon 2024 au plus tard. Émilien peut rêver d’une voiture rouge, habillé de la combinaison de l’écurie au cheval cabré comme quand il était bébé dans sa poussette, bien avant de prendre les commandes de sa vie.


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Texte : Benjamin Thomas

Photo : Or Norme – Documents remis

JEUNES ETUDIANTS EN ARCHITECTURE Ils imaginent le Strasbourg de demain Chaque année, les jeunes étudiants de l’École nationale supérieure d’architecture de Strasbourg (ENSAS) planchent sur des concours d’aménagement du territoire. Après la place d’Haguenau il y a trois ans ans, l’aménagement des gares de banlieue en 2016, la cohabitation vélos-piétons l’an passé, l’édition 2018 portait sur l’aménagement de la partie urbaine de l’A35, après l’avènement du futur GCO. Et force est de constater que les jeunes futurs architectes ont de l’imagination et du talent…

rchitecte diplômé depuis un an, le Strasbourgeois Tristan Siebert (26 ans) a déjà eu l’occasion de se confronter à la réalité du terrain puisqu’il termine un stage d’un an dans une société d’aménagement public de la banlieue parisienne. Il a été partie prenante du concours 2018 en tant que membre de l’association organisatrice, Travailleurs étudiants strasbourgeois accros à l’architecture (TESAA). Créée dans les années 90, cette association, au départ, fonctionnait comme une sorte de « bureau de placement » pour les jeunes architectes diplômés de l’ENSAS. En partenariat avec l’ASEAO (l’Association strasbourgeoise des étudiants en aménagement et urbanisme), TESAA organise donc ces concours auxquels participent volontairement des équipes d’élèves-architectes. Tristan Siebert l’affirme volontiers : « Le principal mérite de ces concours est de permettre aux étudiants de sortir d’une forme de routine des études et d’entrer en contact avec des opérationnels sur le terrain et des décideurs aménageurs ou politiques. Quelquefois, le concours permet de prendre conscience de certaines réalités. L’an passé, avec le thème de la cohabitation vélos-piétons, on a vraiment pu se rendre compte du manque

d’un projet global pour ce que l’on appelle le Ring, c’est-à-dire l’axe Avenue des Vosges, boulevard Wilson, Gare, boulevard de Metz, boulevard de Nancy où malgré la circulation d’une densité impressionnante, il n’existe que très peu de pistes cyclables sécurisées, sans parler des traversées piétonnes qui posent aussi pas mal de problèmes. » GCO oblige (et préemptant sa réalisation effective), on sait qu’un projet de réaménagement en boulevard urbain de la portion urbaine de l’A35 est une option sérieuse retenue par les élus. C’est donc sur ce sujet qu’a porté le concours de cette année. « On a demandé aux étudiants de réfléchir à un schéma de mobilité à l’échelle de l’agglomération » précise Tristan Siebert « et en même temps aux répercussions que cela pourrait avoir dans la partie urbaine de la traversée de Strasbourg. Bien entendu, on leur a précisé que ce n’était pas un concours

‘‘Malgré la circulation d’une densité impressionnante, il n’existe que très peu de pistes cyclables sécurisées...’’


Ci-dessus : Les 3 équipes lauréates de gauche à droite : Deuxième prix : Roots-Route : Gardy Justine - Pfeil Sophie - Delrocq Mathilde Premier prix : Badr Raissouni (Henri Castanier absent) Troisième prix : Vecteur de cohésion : Bescont Céline - Maillotte Clara - Guillot Claire Ci-contre : Tristan Siebert

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de plans de masse où on devait uniquement montrer combien d’immeubles on pourrait caser ici ou là. Ce qu’on attendait d’eux était qu’ils nous fournissent des idées nouvelles et originales sur le devenir des espaces et terrains à aménager. On n’a pas lâché comme ça les étudiants dans la nature : on a fait venir des intervenants professionnels lors de temps forts afin qu’ils aient des points de vue différents. Autre précision : on ne les a pas obligés à prendre en compte le GCO, la question centrale portait sur l’aménagement urbain de l’A35, là où transitent aujourd’hui tant de véhicules, du nord au sud. On leur a donné tout ce matériel, tout en ayant bien conscience

qu’ils n’étaient pas en mesure de produire ou bénéficier d’éléments essentiels, comme des études de circulation. On leur a néanmoins communiqué les études existantes » conclut Tristan Siebert.


JEUNES ÉTUDIANTS EN ARCHITECTURE

Parmi les projets récompensés

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Texte : Benjamin Thomas

Photo : Or Norme – Documents remis

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M AT H I L D E D E L R O C Q , JUSTINE GARDY ET SOPHIE PFEIL Dans leur projet joliment nommé « Routes-Roots », les trois étudiantes s’orientent vers « un développement écologique, social et inclusif de la ville. » Elles imaginent s’appuyer sur les 14 gares de l’Eurométropole pour créer un « RER interurbain », complétant l’offre Tram et Bus actuelle, ces gares devenant de « nouvelles polarités attractives et pouvant participer à la construction identitaire des quartiers. » Le boulevard urbain succédant à

H E N R I C A S TA N I E R E T B A D R R A I S S O U N I Le projet « Strasbourg en bonne voie » préconise de prioriser un travail de requalification de la vaste zone enclavée située entre la gare centrale et Cronenbourg qui, selon eux, « freine l’étendue de la ville vers l’ouest et engendre l’isolement et le délaissement de certaines zones ». S’appuyant sur un constat imparable – « le trajet entre la place de la gare de Strasbourg et la patinoire de l’Iceberg dans le quartier de Cronenbourg se voit obstrué par des lignes de chemin de fer, une friche industrielle, les anciens remparts de la ville, un cours

d’eau, puis, enfin, l’A 35 » – les deux jeunes étudiants de l’ENSAS proposent de « délocaliser les dépôts SNCF au nord (...) et d’ouvrir la gare vers l’ouest (…) ainsi que de créer de nouveaux passages pour faciliter le franchissement du glacis et du cours d’eau ». À terme, un véritable parc urbain serait ainsi créé. L’actuelle A 35 serait réduite à deux voies semi-enterrées, limitée à 70 km/h. Le réseau d’axes ainsi créé serait pour l’essentiel piétonnier et/ ou réservé pour les transports en commun.

l’actuelle A35 comporterait, selon le projet Routes-Roots, des voies de bus réservées et des pistes cyclables, et la déclivité actuelle serait exploitée par l’intégration de la pente dans les projets de construction des bâtiments s’intégrant dans « un quartier écologique ». Dans le projet Routes-Roots est revendiquée explicitement la « réalisation d’une couture urbaine entre quartiers »


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IZIS GOÏTA, COUTURIER ‘‘Strasbourg m’a choisi’’

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Texte : Véronique Leblanc

Photos : Alban Hefti

Izis Goïta a de la classe. Une classe « haute couture ». Mais il sait parler de son métier avec simplicité et chaleur. Rencontre « good vibes » avec un créateur persuadé que l’on peut se faire un nom hors des cénacles parisiens. « C’est ma mère qui m’a donné ce prénom » confie Izis Goïta, troisième enfant d’une fratrie de sept né à Sikasso, une des plus grandes villes du Mali, à 375 km au sud-est de Bamako. Son père, diplomate, a été en poste en France et c’est à Paris qu’Izis a découvert la haute couture française dès l’âge de sept-huit ans. Sa mère l’avait emmené voir une exposition consacrée à Madame Grès et cela l’a « fasciné ». « J’avais l’impression de toucher à la perfection… » Sa passion de toujours, le dessin, lui a permis de rester connecté avec le monde de la mode tout en se formant à un métier « très structuré » : le génie civil. Une étape qu’il ne regrette pas, car il est persuadé que cela concourt à donner « une ligne architecturale » à ses créations. « STRASBOURG M’A CHOISI » Si c’est pour Paris qu’il a quitté le Mali à 21 ans pour travailler dans le mannequinat, c’est à Strasbourg qu’il a créé sa maison de couture. Strasbourg qu’il n’a pas choisie mais « qui l’a choisi ». Pour le meilleur. « J’ai eu l’impression d’y naître parce que c’est ici que ma passion s’est concrétisée. Elle est devenue mienne » dit-il. On lui avait pourtant répété que hors de Paris point de salut dans la haute couture, mais il n’en a eu cure, sa passion est en lui et elle peut s’exprimer où qu’il soit. C’est donc à Strasbourg où il s’est installé après son mariage en 2008 que tout a véritablement

commencé. Installé dans une maison début de siècle du Conseil des XV, il s’est lancé dans la confection de robes et de costumes de mariage avec un succès qui lui a valu d’être lauréat « Talent d’avenir » de Fond’action Alsace en 2013. Il tient au « sur mesure », mais en élargissant cette notion, car « chacun est unique et créer un vêtement ne relève pas que de chiffres ». « À chaque fois, c’est une personne à part entière que j’ai en face

‘‘Aucune imprimante 3D ne pourrait rendre compte de la qualité du regard.’’ de moi et aucune imprimante 3D ne pourrait tenir compte de la perception du regard », dit-il. « J’écoute beaucoup. C’est de la qualité de la rencontre que naît la création et cette création ne se décrète pas. Elle advient ou pas, les énergies se communiquent ou pas… Dès le premier contact, on sent si une connexion s’établit. » « SE RAPPROCHER DE LA FEMME DANS SON QUOTIDIEN » Il y a un an, Izis a élargi sa gamme aux « petites robes noires ». Pour toucher à cette pièce emblématique de la haute couture française, pour « sortir » de la robe de mariage et « se rapprocher de la femme dans son quotidien ». Il s’est aussi intéressé au jacketing qui s’est imposé à lui à


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prêt à porter féminin

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Ouvert du mardi au vendredi de 10h à 19h et le samedi de 10h à 18h au 6 rue Frédéric Piton


Suisse et d’Allemagne, précise-t-il. Ils viennent chercher ici une touche d’élégance française, une fluidité, une manière de souligner la ligne sans pour autant coller au corps… Tout ce qui me passionne, car pour moi un vêtement est fait pour bouger. »

de Suisse et d’Allemagne.

Ils viennent chercher ici une touche d’élégance française,

une fluidité, une manière de

souligner la ligne sans pour

autant coller au corps.’’

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Texte : Véronique Leblanc

Photos : Alban Hefti

‘‘J’ai des clients qui viennent

Site : www.izisgoita.fr

la demande « des messieurs qui accompagnaient leur épouse ou leur future épouse dans l’atelier ». Ils souhaitaient « une veste portable partout, au travail et pour les sorties entre potes ». Élégante, mais pas guindée. Dynamique. Des créations qu’il a complétées en revisitant le manteau Chesterfield aux lignes très architecturées. Le tout à chaque fois en « sur mesure » et aux prix du prêt-àporter haut de gamme. DES CLIENTS SUISSES ET ALLEMANDS Strasbourg n’est pas Paris, mais la ville de cœur du couturier présente des atouts dont la dimension transfrontalière n’est pas le moindre. « J’ai des clients qui viennent de

Les matières sont essentielles à ses yeux. Soie, coton, alpaga, cachemire… Elles doivent « tenir dans le temps » y compris lorsqu’il s’agit de définir le dress code du personnel d’entreprises telles que l’Hôtel Hannong pour lequel il a créé des « tenues élégantes accordées à un lieu plein d’histoire » ou bien encore les salons de thé Christian où le personnel porte désormais des tenues inspirées des costumes alsaciens et créées avec les tissus de la maison Bossert de la rue des Bouchers. « LE DRESS CODING C’EST S’IMPRÉGNER DE L’HISTOIRE D’UNE ENTREPRISE » « Cette activité va être au cœur de 2018 » assure Izis en évoquant un projet pour une enseigne prestigieuse de l’hôtellerie strasbourgeoise dont il préfère tenir le nom encore secret. La perspective le réjouit, lui qui au départ pensait que le dress coding ne représenterait « pas beaucoup de création ». Or, c’est tout le contraire, constate-t-il. « À chaque fois, il faut rentrer dans l’histoire d’une maison, s’en imprégner tout comme on le fait lorsqu’on rencontre une cliente. C’est très enrichissant et c’est un vrai défi d’aider l’entreprise à définir son identité tout comme on le fait pour le particulier ». TRAVAILLER EN MUSIQUE « Un vêtement dit beaucoup, souligne Izis, à soi-même et aux autres ». Il est donc essentiel de trouver le diapason lors de la rencontre et de ne pas le perdre lors de la phase de création. Izis travaille en musique. Musique de film lorsqu’il travaille à des pièces de la vie telle qu’elle va, musique d’exception lorsqu’il fait naître une robe de mariage. La Callas envahit alors l’atelier parce que « de la pureté de la voix naît la pureté de la pièce »


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AELLE Un amour

Vanessa Moselle Eric Genetet

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Texte :

Photo :

Elle commande un thé noir, mais sans conviction, juste parce que nous sommes assis l’un en face de l’autre, au café du cinéma Odyssée et qu’il est de bon ton de choisir un truc à boire. Aelle n’est pas fille à se perdre dans les détails, elle n’est pas fille à se perdre tout court, elle sait où elle va, depuis longtemps, depuis son enfance à Issenheim, depuis qu’elle fait vibrer ses cordes vocales. C’est un état d’esprit. LE RÔLE DU SOLEIL

ENREGISTREMENT CHEZ CABREL

Si elle sait où elle va, c’est sans doute grâce au socle, sa famille, dans laquelle elle tenait un rôle, déjà, un rôle pas simple à jouer, celui du Soleil, un rôle qui lui colle à la peau. Dans cet univers, les mots sont essentiels ; avec une maman professeure de lettres, elle baigne dans cet amour-là. Pas un hasard si elle attache une réelle importance à la poésie du texte : « Ce n’est pas seulement un prétexte, c’est incontournable dans ce que je fais. Les mots sont les premiers vecteurs, le premier passage vers le partage ».

Ses chansons pop seront regroupées dans un album baptisé Amours qui sort ces jours-ci. Le clip, la tournée, tout est calé, rien n’est laissé au hasard. Ou alors, il faut qu’il soit heureux, le hasard, comme celui qui l’a mené à Astafort, la ville des rencontres de Francis Cabrel. Depuis 22 ans, le chanteur, radar détecteur de talents, accueille une fois par an une quinzaine d’artistes sélectionnés pour écrire des chansons et monter un spectacle. Celui de 2017 n’avait jamais été d’aussi bonne qualité. Un état de grâce. La petite troupe improvisée a vécu dans un état d’euphorie : « J’avais conscience, ce qui est rare, que l’on était en train de vivre quelque chose de génial ». Tellement génial que Cabrel promet une suite. Pour la première fois, il propose la production d’un album collectif. Deuxième séjour à Astafort pour Aelle, au mois de janvier dernier. Une expérience extraordinaire dans la maison de Cabrel qui « laissait les clés, mais il venait tous les jours ». Elle enregistre deux titres (qui seront gravés également sur l’album Amours) dans un état de joie complet : « Je suis sincèrement heureuse, je ne projette rien, je n’attends rien », mais on chuchote une tournée en France pour les membres de cette belle aventure.

Après le bac, elle démarre par le théâtre, une licence et une maîtrise d’arts du spectacle, son premier rôle de comédienne arrive très vite, elle est la journée à la fac et le soir sur scène. Après, elle crée sa propre compagnie, L’Indocile. Elle a écrit une quinzaine de spectacles qui tournent régulièrement au fil des saisons culturelles, des petits miracles permanents : « Je fais du spectacle vivant, car ce sont de beaux moments de rencontre ». LES PIEDS SUR TERRE Anne Laure Hagenmuller est une artiste des pieds à la tête, et la distance entre les trois est imposante, au-dessus de la moyenne ; forcément un peu en marge, depuis toute « petite », les gens s’adressent à elle comme à quelqu’un d’un autre âge : « Ça calibre les choses en soi ». Aelle est grande, élancée et lancée vers le succès, cela ne fait aucun doute, mais les chemins de traverse qu’elle emprunte pour arriver à destination sont singuliers, Aelle joue la comédie, ou alors elle chante quand ça la chante.

L’AMOUR AVEC UN S Depuis toujours, elle est enthousiaste. C’est un joli cadeau de la vie l’enthousiasme, ce qui n’empêche rien, et surtout pas d’être très mélancolique. Enthousiaste et mélancolique, sont deux mots qui tracent bien son portrait. Ajoutons l’hypersensibilité. Aelle sent les gens, elle ressent les choses, une sorte d’intuition qui ne protège pas,


‘‘On peut trébucher d’amour, on peut aimer longtemps, profondément, ou cinq minutes.’’ car vivre, intensément, c’est parfois s’exposer, se cogner, on ne peut pas avoir sa carapace tout le temps sur le dos, être en contrôle permanent.

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Alors, elle se sert de tout ça pour sa vie d’artiste, profondément fascinée par la nature humaine, par l’amour aussi, avec un s à la fin, comme le titre de son album, Amours. Elle chante, elle écrit pour dire les choses, les décrire, sans forcément les expliquer, enfin, un peu quand même : « Je suis en ouverture profonde avec les autres, dans une intensité de rapports que je ne provoque pas, je ne rencontre pas à moitié. Parfois la limite n’est

pas très claire pour moi, mais je m’en fous. Dans la journée, il y a plein de fois où j’aime. Amour avec un s, ça veut aussi dire cela : aimer, ça arrive à plein de moments, on peut trébucher d’amour, on peut aimer longtemps, profondément, ou cinq minutes. J’accepte, je suis ouverte à ça de manière plus apaisée, cela fait partie de moi, de mon chemin. » Vous la croiserez peut-être en Alsace ou en France, Aelle jouera les titres d’Amours dans un nouveau spectacle dans lequel, une fois encore, elle tiendra le rôle du soleil.


BO JOHNSON

Cet artiste fait bouger les lignes

Photo :

DR Barbara Romero

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OR BORD

Texte :

Convaincu que Strasbourg compte une pépinière d’artistes de folie, le chanteur Bo Johnson a décidé de se retrousser les manches et d’organiser une fois par mois les Strasbourg Live Session (SLS), réunissant des artistes aux univers éclectiques dans des lieux atypiques. À la galerie d’art Horéa, au musée Vaudou, au salon de coiffure Yannick Kraemer prestige, au Star Saint-Exupéry et bientôt au café de l’Opéra (ou au Musée d’art moderne, soyons fous !), les premières « Strasbourg Live Session » de Bo Johnson ont trouvé leur public. L’idée ? Réunir le temps d’une soirée un DJ, plusieurs chanteurs et des performers (danseur, comédien, artiste peintre, sculpteur) dans des lieux hors du commun. « Quand je suis rentré de ma tournée de 8 mois au Canada et aux Etats-Unis, je me suis dit, “mais c’est dingue, on a des talents fous à Strasbourg, il faut qu’on se réunisse, que je crée un tremplin où tous les corps artistiques se rejoignent.” », confie Bobby Atangana, alias Bo Johnson. Le chanteur de soul et de blues de 31 ans est aussi diplômé d’un Master 2 en marketing événementiel et management. « Après la musique, mon autre passion, c’est d’organiser des événements artistiques. Même si nous sommes tous d’univers différents, on se retrouve pour fêter l’art. » « BOBBY EST COURAGEUX » En cette belle soirée de fin avril, direction le salon Yannick Kraemer prestige rue des Serruriers. Lumière tamisée, sets de DJ, doux effluves de cuisine africaine concoctée par la maman de Bobby, les premiers participants se retrouvent joyeusement autour d’une coupette en attendant les shows. Le maître des lieux, Yannick Kraemer, se réjouit d’accueillir la centaine de convives attendue dans son salon historique. « Bobby est courageux. Il arrive à transformer des lieux qui ont une âme en leur donnant une autre âme. J’ai confiance en lui, c’est un artiste fantastique qui sait réunir d’autres artistes géniaux ! Je ne pouvais pas lui dire non. »

De son enfance difficile marquée par la mort de son père très jeune, de sa dualité qui lui a causé un mal-être certain, des gens qui lui ont fermé les portes ou essayé de briser ses rêves, Bobby a su tirer une force incroyable. « On m’a souvent bloqué les portes et fait comprendre que la différence nuit. J’en ai souffert dans mon enfance. Mais aujourd’hui, je préfère voir le beau et ne pas vendre la difficulté », sourit l’artiste. Alors, même s’il doit courir après les artistes pour les convaincre de se produire sans cachet — son rêve sera tout à fait accompli lorsqu’il pourra les payer — même s’il ne fait aucun bénéfice, même s’il doute parfois et qu’il fait la moue si son haut degré d’exigence n’est pas atteint, Bobby voit bien qu’il apporte un truc en plus à Strasbourg. « Pour la première, je n’avais aucun partenariat, à la deuxième, j’en avais dix, pour la troisième, 18… C’est encourageant ! Au musée Vaudou on a accueilli 150 personnes, alors qu’on en attendait 80. » Pour récompenser les artistes, Bo a négocié des gratuités à ses partenaires. « La Music Academy international de Nancy, une référence dans le milieu, leur offre des formations. Nos artistes coups de cœur se produiront à la Fashion week de Strasbourg dont je suis devenu le directeur artistique. Certains pourront aller au Sankofa Soul contest, le premier tremplin soul international… » De beaux gestes à des perles trouvées par Bobby pour ses Strasbourg Live Session. À l’instar de la voix suave et puissante de Meelady, de l’énergie de dingue de Christopher Giroud et des pas envoûtants sur le Boléro de Ravel du danseur et chorégraphe Abdoulaye Konaté capable d’embarquer le public pour un pas de deux ! Sans oublier bien sûr la voix à coller des frissons de Bo pour qui le live est un moteur.


‘‘ On m’a souvent bloqué les portes et fait

comprendre que la différence nuit. J’en ai souffert dans mon enfance. Mais aujourd’hui, je préfère voir le beau et ne pas vendre la difficulté’ ET POURQUOI PAS AU CANADA ET AU CAMEROUN ?

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« Après les SLS qui se dérouleront chaque année de janvier à juin, j’aimerais créer des ponts avec les festivals où je me produis au Canada ou au Cameroun. Je vois cela sous la forme d’échanges entre les artistes strasbourgeois et étrangers, à travers notamment l’enregistrement d’EP et, rêve ultime, la création d’un festival électro au Cameroun, mon pays d’origine. » D’ailleurs Bo ne se dit pas Français, mais « Camerounais-Alsacien »

ou « Alsacien -Camerounais » : « J’adore Strasbourg, même si elle m’énerve parfois ! Quand je suis loin, j’ai toujours le besoin de revenir. » Au moment où l’on écrivait ces lignes, Bo Johnson rêvait « d’obtenir » la place Golbéry pour organiser leur fête de la musique le 21 juin avec La Clandestine, RBS et la SLS. On a peu de doutes sur ses capacités de conviction… À suivre sur la page Facebook Strasbourg Live Session


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OR BORD Photaos : DR

Texte : Barbara Romero


NAWELLE’K

La p’tite bombe

L’artiste aux multiples influences Nawelle’K vient de sortir son premier clip « Is it love ». Un univers à l’image de l’autodidacte de 26 ans, pétillant, coloré, et empli de doutes… vite balayés par la musique. La pop, le reggae, le R’n’B, le jazz. La musique de l’auteure, interprète et compositrice Nawelle’K se nourrit de tous les styles de musique. « Je n’ai pas d’univers propre. Dan (le compositeur canadien Daniel Berthiaume, ndlr) me dit qu’on ne peut pas faire ça, et finalement on y arrive ! J’aimerais que chacun puisse s’identifier dans ma musique. » Sa rencontre avec Daniel Berthiaume a été déterminante dans le lancement de la carrière de la jeune femme de 26 ans. Comme une révélation. « Mon ancien boss parisien me l’a présenté. On s’est un peu regardés en chiens de faïence. Moi je le trouvais vieux. Lui, l’auteur-compositeur aux multiples prix de l’équivalent des Victoires de la musique au Canada, se demandait qui j’étais. Finalement, on a eu une alchimie de dingue ! Il m’a dit, pour demain matin, tu me fais un truc à la guitare. Notre premier morceau « Without Colors » est né. » DEVANT 70 000 PERSONNES AU CHAMP DE MARS

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C’est aussi avec lui que Nawelle a sorti l’hymne pour les 70 ans du Secours populaire français en août 2015, qu’elle interprétera deux jours plus tard devant 70 000 personnes au Champ de Mars. « C’était dingue ! Dans ma loge, on était réuni avec une quinzaine de potes, les autres artistes n’en revenaient pas. J’ai ouvert le concert puis notre morceau passait en boucle toute la journée. Un moment fort. » Très entourée et soutenue par ses amis et sa famille, Nawelle y puise sa force. Son oncle lui a offert sa première guitare quand elle était en seconde au lycée, alors qu’elle ne s’en sentait pas capable. « Je lui disais, ‘‘Mais non, mes mains sont trop petites !’’ Et finalement, j’ai appris à jouer en regardant Youtube. » Plus tard, lorsqu’elle

débarque à Strasbourg en 2014, la jeune femme est poussée par ses amis de promo de l’Ecole de communication de Strasbourg. « Ils ont ressorti une reprise que j’avais faite de Foster the People, ‘‘Pumped up pick’’, sur Facebook. Et cela a super bien pris… » Pudique et réservée, Nawelle commence à comprendre qu’elle a un potentiel. Bercée depuis son enfance par les sons de Bob Marley, Manu Chao ou Bob Dylan, la jeune femme originaire de Forbach a dû travailler dur pour prendre confiance en elle. « Je n’osais même pas chanter devant ma mère quand j’étais jeune ! Elle me disait ‘‘Mais arrête de chanter bêtement, chante vraiment !’’ ».

‘‘Aujourd’hui je prends

un plaisir fou sur scène, alors qu’avant j’avais

peur d’être jugée, j’étais repliée sur moi-même.’’ De rencontres en rencontres, de sollicitations en sollicitations, d’encouragements en encouragements, Nawelle se libère. « Quand j’ai fait la première partie de Vianney aux Aviateurs en 2016, et qu’il m’a lancé ‘‘C’est top !’’, je me suis dit que cela devenait un peu réel. » Encore introvertie sur scène, Nawelle prend alors des cours d’improvisation, de scène et de chant avec Nathalie Bonnaud, coach de la Nouvelle Star. « Elle m’a bien décoincée ! Aujourd’hui je prends un plaisir fou sur scène, alors qu’avant j’avais peur d’être jugée, j’étais repliée sur moi-même.


Photos :

DR

Texte :

Barbara Romero

Maintenant j’emmène le public, je fais des blagues entre deux morceaux. C’est cool d’avoir des gens qui croient en toi, cela m’a donné une énergie positive. »

OR BORD

www.nawellek.com Facebook : @NawelleK.Off

Plus que le Champ de mars, plus que sa rencontre avec Vianney, plus que son concert aux Arènes de Metz, Nawelle retient sa prestation sous le chapiteau de Strasbourg mon amour en février dernier. « Je n’avais plus aucun complexe, je me suis éclatée ! L’équipe que j’ai, ce sont mes amis, c’est stimulant. »

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UN CLIP EN FAMILLE ET ENTRE AMIS C’est d’ailleurs avec ses amis qu’elle a écrit le script de son clip ‘‘Love is all’’ à découvrir sur Youtube, Facebook et sur son site nawellek.com. « C’était un jour où j’étais vraiment dans le bad. Dans ce métier, parfois tu as de bonnes nouvelles, parfois des mauvaises. Là je me demandais ‘‘Pourquoi fais-tu de la musique ?’’ Mon ami Olivier qui a ouvert sa boite de production et Selim, animateur radio à Paris, m’ont dit : ‘‘Il faut montrer ce contraste entre les moments down et la musique qui te rend heureux.’’ On a écrit le script en 1h30. »

En avril, Nawelle s’entoure de ses amis et de sa famille pour tourner le clip entre Forbach et Strasbourg. « Je voulais que tous ceux que j’aime s’éclatent ! Même si cela ne marche pas, j’aurai un super souvenir », confie-t-elle ses yeux en amande brillants. La jolie brunette à l’éternel bonnet ou casquette vissés sur la tête telle une protection, s’émeut encore d’avoir des images immortalisées de son grand-père, de sa maman, de son père, dans ce premier clip. « Ma grand-mère a refusé, elle ne voulait pas se voir, cela m’attriste un peu. Je suis très proche de ma famille qui me soutient aujourd’hui à 100% alors que lorsque j’ai été diplômée et que j’ai dit ‘‘Je veux être chanteuse’’, ma grand-mère m’a rétorqué : ‘‘Mais ce n’est pas un métier ça !’’ » Ce mois de juin s’annonce prometteur pour Nawelle, avec un EP de cinq titres bouclés qu’elle et Dan s’apprêtent à présenter aux maisons de disque. « Mon souhait le plus cher c’est que ça marche. Que Dan, ce monstre de la musique, une vraie star au Canada qui a connu quelques déconvenues liées à ses droits, puisse construire son garage et avoir la belle vie qu’il mérite. » Une bien belle personne que ce petit bout de femme !


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DAVID FEDERMANN Il brasse le meilleur du Jazz Nouvelle Vague

Photos :

Bartosch Salmanski Charles Nouar

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Avec l’EP Water’s Edge, à paraître le 23 mars en amont de la sortie de son troisième album Poolside prévue pour l’automne, le Strasbourgeois David Federmann signe sans doute l’une de ses plus belles réalisations, sur laquelle s’invitent, notamment, sous le soleil rasant d’un début de printemps, Maeva, Awa Sy, Valli et neuf grands noms du jazz. « Toi, tu la classerais dans quel compartiment stylistique, ma musique ? » Ce devait être notre deuxième conversation téléphonique avec David Federmann, suivie d’autres et de quelques échanges Messenger, le temps de s’apprivoiser, de creuser un peu le personnage. « Electro-Jazz, autre ? C’est important vis-à-vis des diffuseurs. Ils ont besoin de savoir ». « Franchement ? Tes précédents morceaux m’ont renvoyé aux belles heures de l’acid jazz, milieu des années 90 avec des groupes comme Galliano et l’album ‘‘The Plot Thickens’’, plus particulièrement. Là, sur ‘‘Water’s Edge’’, plutôt des influences

‘‘Une jolie bulle esthétique, douce, sensuelle,dansante.’’ revisitées d’un Saint Germain ou d’un Stéphane Pompougnac. Un côté lounge électro jazz. Après, tu sais, nous, les journalistes, dès qu’on ne sait pas coller une étiquette musicale, on invente des termes, si possible incompréhensibles et sans aucun sens, parce que ça fait « connaisseur » : une façon de combler un vide culturel criant tout en paraissant

hyper calés. Pas certain dès lors que le terme soit d’une si haute importance pour qui prend le temps d’écouter ». Parce que s’il est une chose à faire avec ‘‘Water’s Edge’’, c’est bien de l’écouter. Mieux : de le ressentir, cet EP de six titres, tant celui-ci sonne comme une jolie bulle esthétique, douce, sensuelle, dansante. Un peu à l’image du clip ‘‘Cherry Tree’’, réalisé par David lui-même, et premier sorti, avec la voix de Maeva, chanteuse réputée de la scène soul hip-hop strasbourgeoise. RENCONTRES FORTUITES L’esthétisme, la délicatesse, l’élégance : trois termes qui définissent sans doute mieux que tout autre notre interlocuteur téléphonique. Et raconter une histoire. Multiple et reliée. Multiple parce que chaque morceau de ‘‘Water’s Edge’’ porte en lui une aventure, une écriture associée, des rencontres souvent improbables. Avec neuf musiciens de jazz qui se relaient par groupe de trois à cinq sur chaque partition, en attendant que d’autres les rejoignent – une vingtaine en tout – sur l’album ‘‘Poolside’’. Avec Awa Sy sur le titre ‘‘Dream it’’, inspiré de la voisine de David, Babou « qui dit faire tout ce qu’elle veut avec ses rêves », jusqu’au retour à la réalité, les yeux une fois rouverts. La seconde : Awa, rencontré bien avant sa participation à ‘‘The Voice’’. « Elle était alors serveuse dans un resto. Quand je l’ai vue, je lui ai dit qu’elle était le sosie craché de Left Eye, la rappeuse de TLC ». « Mais je suis vraiment chanteuse, en fait », lui a-t-elle répondu. « Du coup, j’ai tenté, l’ai invitée et on a enregistré ‘‘Dream it’’ dans la foulée avant de la retrouver quelques temps après, devant ma télé ». Karen Luke, elle, « ça s’est passé à Belleville. J’étais sur la terrasse d’un café avec des amis, on m’a invité à aller chercher ma conso à l’intérieur et j’ai vu qu’il y avait une soirée ‘‘Open Mic’’ avec plein d’Américains, d’Anglais, de slameurs. Entre deux gars se pointe alors une grande timide de 40 ans qui se met à


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Photos :

Bartosch Salmanski

Texte :

Charles Nouar

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déclamer un texte qui est mot pour mot celui de la chanson : une histoire d’amour qui vient de finir, encore un peu douloureuse. Je trouve ça charmant, je vais parler à la fille et on fait le morceau titre de l’EP, ‘‘Water’s Edge’’, dans la semaine qui suit ». Et puis, last but not least, Valli : chanteuse du groupe ‘‘Chagrin d’amour’’, rencontrée à France Inter alors que l’ingé son de métier, David, s’occupe des habillages sonores. Même topo : coup de cœur, proposition d’enregistrer un texte posé sur une de ses musiques restée sans voix depuis un certain temps. Rencontre enfin, avec lui-même, en session de travail quotidienne, où il enchaîne les créations de rythmiques, de beats : une vingtaine par jour. Lorsqu’une prend, il développe une harmonie dessus. Un processus de création « sans doute lié à mon origine de percussionniste ». Puis vient l’orchestration, les arrangements et, seulement, après, les textes, en partie co-écrits avec son frère Joseph.

TRAVELING MUSICAL ‘‘Water’s Edge’’: une histoire de rencontres ? Inévitablement. Mais de rencontres liées, reliées, comme une élégante nage synchronisée, entre plusieurs vies, plusieurs villes, de Strasbourg à Stockholm, Paris ou d’autres ailleurs où l’autre note que David entend donner à son album se décline en technicolor, chacun des clips qu’il n’écarte plus de réaliser lui même ayant idéalement vocation à former un grand travelling musical. Presqu’à l’image un film de Sofia Coppola où des vies, nos vies se racontent dans une ambiance lancinante, détachée de toute contrainte temps et de carcans. Juste un moment doux, beau, séduisant comme une conversation entre amis sous les reflets bleus aqueux d’un soleil rasant d’un bord de France. Site web et pré-commande du vinyle et Digipack : www.VMAJ7.com


En 200 ans, tout a changé sauf nos valeurs. 51 Depuis son origine en 1818, la Caisse d’Epargne n’a cessé d’innover pour que l’intérêt particulier rejoigne l’intérêt général, et réciproquement. 200 ans après, notre ambition est restée la même : construire ensemble un avenir meilleur en étant utile à tous et à chacun.

BPCE - Société anonyme à directoire et conseil de surveillance au capital de 155 742 320 euros - Siège social : 50, avenue Pierre Mendès France 75201 Paris Cedex 13 - RCS Paris n° 493 455 042 - ALTMANN + PACREAU - Crédit photo : Joseph Ford.


Photos :

Vincent Muller - DR

Texte :

Patrick Adler

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ALEXANDRE FRÜH

Scénographe engagé

Il travaille sur une péniche et habite dans celle d’à-côté… Alexandre Früh, qui a créé l’Atelier Caravane, ne vit pourtant pas au fil de l’eau… En effet, ce scénographe et muséographe, né à Paris d’un père strasbourgeois et d’une mère colmarienne, a su très tôt prendre les décisions qui l’ont porté vers le métier de passion qu’il exerce aujourd’hui. Après un passage à l’école Boulle, et une expérience de menuisier, Alexandre Früh a exercé en tant qu’ébéniste pour les antiquaires du Louvre. C’est après cette expérience qu’il rejoint Strasbourg pour intégrer les Arts Déco. C’est là qu’il découvre « la liberté d’être artiste ». Élève de Sarkis qui l’a beaucoup influencé et lui a ouvert les yeux sur la scénographie, il obtient son diplôme et participe à des expositions pendant deux ans à travers l’Europe, dans le cadre du programme Germination. Mais, devant la nécessité de gagner sa vie, il va intégrer une agence de communica-

tion dirigée par André Rodeghiero auprès de qui il participe à sa première exposition en tant que scénographe. C’est la révélation : il découvre ainsi que ce métier réunit de manière extraordinaire tout ce qu’il avait appris aux Arts Déco, à l’école Boulle, et à l’occasion des expositions auxquelles il a participé. Manipuler du son, de l’image, du public, et en tenir compte, tout cela l’a de suite passionné, et l’idée de raconter une histoire par le cheminement qu’on propose au public avec les oeuvres qu’on manipule l’émerveille à chaque fois. Deux ans après cette première expérience de scénographe il crée son entreprise et met son savoirfaire au service de premières expositions plutôt régionales.


Au rythme de cinq à huit expositions par an, l’Atelier Caravane a de très belles références et vient de réaliser récemment une superbe exposition intitulée Nicolas Régnier, l’homme libre au musée d’arts de Nantes. Mais les yeux d’Alexandre s’allument quand il évoque la première exposition qu’il a réalisée intégralement, à la fois en tant que scénographe et commissaire d’exposition, et pour laquelle un musée suédois lui a fait entièrement confiance. Dada is Dada, présenté en 2017 au musée d’Umeå fut ainsi la première d’une activité qu’il souhaite développer. « L’idée c’était: qu’est-ce que ça veut dire de faire une exposition Dada aujourd’hui ?… A priori c’était une expo à ne pas faire… Mon idée était de faire une scénographie déplaçable, où tout était sur roulettes ! J’ai dessiné tout le mobilier et le Guardian a cité l’exposition parmi les 20 à voir absolument en Europe l’an dernier ! »

Dada is Dada - Umeå 2017

Très vite cependant le regard qu’il porte sur la peinture intéresse des conservateurs et des commissaires d’exposition qui comprennent qu’ils ont affaire à quelqu’un capable de raconter une histoire aux visiteurs. Sans doute, la conviction qu’Alexandre a, qu’on peut faire comprendre au public qu’il est possible de regarder des œuvres et suivre une exposition sans lire de suite les cartels, mais simplement en ressentant d’abord les émotions et le mouvement de l’exposition, constitue son principal atout. Ce talent le conduit en 2004 à être contacté par le Louvre qui lui confie trois expositions coup sur coup : sur les primitifs français et la peinture du XIVe siècle, sur l’histoire des Ivoires et enfin sur Rosso Fiorentino.

‘‘Il 53 s’agit de faire danser le public et de l’emmener sur un chemin auquel il ne s’attendait pas…’’

Alexandre Früh est également enseignant en muséographie et scénographie à la HEAR, où son grandpère a été professeur, et c’est une activité à laquelle il tient énormément. Transmettre ses convictions sur la scénographie est un engagement, presque un acte politique, et pour lui ce n’est en aucun cas un problème de forme ou de décor… « Il s’agit de faire danser le public et de l’emmener sur un chemin auquel il ne s’attendait pas… » Artiste dans l’âme, Alexandre a également repris les couteaux et les pinceaux pour sa pratique personnelle et passe aussi du temps sur le théâtre pour lequel il travaille avec la compagnie Talon Rouge et Catherine Javaloyès mais aussi avec Lionel Courtot. L’homme est riche de toutes ses rencontres et, à l’évocation de l’invitation du musée Picasso de Barcelone à la prochaine foire d’art contemporain ST-ART 2018, il ne peut s’empêcher d’évoquer Emmanuel Guigon, directeur du musée catalan, avec qui il a adoré travailler : il est celui qui lui a laissé le plus de liberté et avec qui il a fait plusieurs expositions qui ont marqué ceux qui ont eu la chance de les visiter à Besançon : Fourier en 2010, et Grandville, un autre monde, un autre temps en 2012. La tête pleine de projets, Alexandre Früh espère pouvoir montrer un jour son talent au Musée d’art contemporain de Strasbourg (MAMCS), au pied duquel la péniche de l’Atelier Caravane pourrait même venir accoster !


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Texte :

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OR SUJET OR NORME N°29 Caractères

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HÔPITAL EN SOUFFRANCE Les personnels soignants n’en peuvent plus Partout en France, les personnels des hôpitaux publics, accablés depuis des années par les vagues de réductions financières drastiques qui s’enchaînent, disent leur immense fatigue et leur révolte. À Strasbourg comme ailleurs, c’est désormais au grand jour qu’ils clament leur crainte : voir se paupériser le service public hospitalier français, qui faisait l’admiration du monde entier il y a si peu de temps encore.


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C’EST NOTRE SANTÉ QUI EST EN DANGER… Depuis plus d’un an, nous avions décidé de nous intéresser à cette politique drastique de réductions budgétaires dont est victime l’hôpital public, chaque année de plus en plus importantes depuis une quasi décennie...

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OR NORME N°29 Caractères

OR SUJET

En décidant la publication de ce dossier dans le présent numéro de Or Norme il y a quatre mois maintenant, nous ne pensions pas que l’actualité viendrait souligner notre enquête de façon aussi tragique. La mort, le 29 décembre dernier, de Naomie Musanga qui, seule à son domicile et souffrant d’intolérables douleurs au ventre, a composé le numéro d’urgence qui l’a mise en contact avec une opératrice du Samu qui n’a pas décidé, avec un sidérant et incroyable dédain, de donner suite à son appel au secours, a provoqué un véritable séisme au sein de l’hôpital public français. Dès les faits avérés, et seulement après que l’enregistrement audio de cette tragique conversation téléphonique ait été rendu public par la famille de la victime, le mois dernier, des enquêtes administratives et une enquête préliminaire du parquet de Strasbourg pour « non-assistance à personne en péril » ont été ouvertes et la famille de la malheureuse jeune femme a porté plainte. Laissons donc le temps à l’administration et à la justice de suivre leurs cours… mais, bien sûr, la légitimité de notre choix d’enquêter sur les conditions budgétaires qui contraignent si sévèrement tous les établissements hospitaliers publics de notre pays a été d’autant renforcée après la révélation du si triste destin de cette jeune femme de 22 ans dont le seul crime aura été de ne pas avoir réussi

à convaincre verbalement une standardiste auprès de laquelle elle appelait au secours… Dans les pages qui suivent, des personnels hospitaliers et des médecins témoignent à visage ouvert des extrêmes difficultés qu’ils rencontrent au quotidien pour nous soigner. Oui, nous soigner, vous, moi, nous tous, tant il est évident que nous sommes tous susceptibles un jour ou l’autre de nous retrouver à l’hôpital public et d’avoir à compter sur son efficacité, son savoir-faire, son dévouement, sa bienveillance… Dans les colonnes qui suivent, vous ne trouverez pas de reportage effectué dans les services du Nouvel Hôpital Civil de Strasbourg. Nous avions en effet souhaité réaliser ce reportage pour bénéficier d’une vision aussi large que possible de la situation du NHC dans son ensemble. Sa direction a refusé de nous autoriser l’accès à l’établissement. Nous aurions également aimé recueillir l’opinion du directeur du NHC et nous entretenir avec lui de la situation précise et des pistes d’avenir envisagées. Vous ne trouverez pas non plus de trace de cet entretien, la direction ayant également répondu par la négative à notre demande d’interview. Aussi surprenant que cela puisse paraître, la réalité est qu’en 2018, à Strasbourg, un magazine d’information se voit contraint de publier une enquête sur l’hôpital public, sans que le point de vue de la gouvernance de l’établissement, pourtant dûment sollicitée, ne figure dans ses colonnes…


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OR SUJET

Texte :

Patients en danger C’est le titre alarmiste du livre de deux professeurs ardents défenseurs du service public hospitalier français. L’un d’eux est Christian Marescaux, l’ancien chef de l’unité neuro-vasculaire du CHU de Hautepierre, à Strasbourg qui signe dans ce livre des pages accablantes regroupées sous le chapitre « Le destin funèbre d’un lanceur d’alerte ». Un témoignage édifiant… Plus un mètre carré de libre dans la célèbre salle blanche de la librairie Kléber le vendredi 18 mai dernier. Le public est venu en masse pour écouter le témoignage du professeur Philippe Halimi, chef de service de radiologie de l’hôpital européen Georges-Pompidou à Paris et son collègue strasbourgeois le professeur Christian Marescaux, les deux co-auteurs du livre-choc Hôpitaux en détresse – Patients en danger (Editions Flammarion) qui d’entrée, figure dans les meilleures ventes des essais. Plus de deux ans après le suicide du professeur Jean-Louis Mégnien à l’hôpital Georges-Pompidou, Philippe Halimi, son ami proche, revient d’abord longuement sur la mort de ce praticien émérite, aimé de tous, et n’hésite pas à dénoncer « ce mal insidieux qui divise les équipes et laisse à terre des gens qui perdent le goût de travailler, parfois même le goût de vivre… » Il est beaucoup question de harcèlement dans les témoignages présentés dans le livre, on y parle de « méthodes managériales nuisibles », de « mises au placard ou en recherche d’affectation », et on y lit notamment cette phrase terrible : « Dans le milieu hospitalier, le harcèlement a été utilisé, consciemment ou non, comme technique de management. La méthode est tellement efficace que l’harcelé, se sentant fautif, se tait et s’efface, parfois par le suicide, et n’a plus les ressources de combattre celui qui l’agresse ». « ON EST EN TRAIN DE TUER L’HÔPITAL PUBLIC » Christian Marescaux, le professeur strasbourgeois, a noté dès 2007 des dysfonctionnements graves dans son hôpital de Hautepierre et a choisi de les

dénoncer, en ne cessant de donner l’alerte. Il a payé très cher son attitude responsable en étant soumis pendant plusieurs années à une campagne d’intimidation, de harcèlement et de calomnies à laquelle ont participé tour à tour, écrit-il dans le livre, « la direction générale du CHU, le conseil départemental de l’Ordre des médecins du Bas-Rhin et les responsables des pôles de neurologie et de radiologie ». Depuis, on lui a retiré la direction de son unité, le faisant ainsi littéralement disparaître des organigrammes du CHU de Hautepierre. Dans le livre, Christian Marescaux signe quelques lignes qui fournissent une parfaite introduction à notre enquête sur la situation actuelle de l’hôpital public : « La direction (de l’hôpital public – ndlr) fait tous les jours la démonstration de son incapacité à faire vire un CHU ; aligner des chiffres, mettre la pression sur les personnels pour un meilleur rendement, imposer des économies à tous les étages et le silence dans les rangs, considérer le patient comme un client qui doit consommer du soin comme un produit banal, tout ceci est en train de tuer l’hôpital public. Mais avant la mort de l’hôpital, c’est celle des personnels qui menace de s’étendre. Mort professionnelle pour certains, quand d’autres ont choisi de ne plus vivre, tout simplement, pour ne plus souffrir » UN SYSTÈME QUI N’A PLUS DE SENS Ce sont donc bien les drastiques économies budgétaires auxquelles sont contraints l’ensemble des établissements hospitaliers français qui sont au centre de cette situation plus qu’alarmante. Christian Marescaux l’affirme : « Les économies qu’on nous impose n’ont aucun sens : c’est comme si on demandait à une entreprise de transport de virer ses chauffeurs et de faire ensuite une économie drastique sur le carburant en empêchant ses camions de rouler en argumentant : “on n’a plus les moyens donc on fait des économies en pratiquant comme ça”. C’est absurde, non ? Et bien, c’est ainsi que fonctionne l’hôpital public aujourd’hui : on va acheter des machines, mais on va virer le personnel qui pourrait faire tourner ces machines ! Je ne crois évidemment


À gauche : Pr. Philippe Halimi À droite : Pr. Christian Marescaux

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pas que ce soit un système économique performant. Et ce système fou a bien sûr des conséquences sur les patients : il y a un énorme mensonge caché derrière ces questions d’économies. Tous les cas auxquels j’ai été confronté, dans lesquels les gens ont été maltraités, les familles baladées ou ridiculisées, les soins mal faits qui ont abouti à des drames, voire à des décès, ont coûté cent fois plus cher que le soin de base qui aurait guéri. Qu’il y ait des économies à faire, certes, mais il y aussi à mieux comprendre comment il est possible qu’il y ait autant de flous dans l’utilisation des crédits par les hôpitaux. Dans le livre est cité cet exemple à Strasbourg où le directeur de l’hôpital, pour régler son compte à un patron de service de radiologie qui lui déplaisait, a pu prendre la décision, à lui seul, d’acquérir un robot d’une valeur de plus d’un million d’euros pour faire de la radiologie interventionnelle, robot qui s’est avéré complètement défaillant d’emblée. Il s’est avéré qu’au moment même où l’hôpital de Strasbourg achetait la machine, son fabricant américain était en faillite parce que deux de ses dirigeants étaient poursuivis pour corruption, accusés d’avoir falsifié les signatures de médecin et corrompu les médecins pour pouvoir placer leurs machines… » conclut-il implacablement avant d’en arriver aux termes que nous entendons souvent, dès qu’il s’agit de faire passer un message induisant les impératives nécessités d’économies budgétaires au sein des hôpitaux publics français : « On vous parle souvent de mutualisation des personnels » s’écrit Christian Marescaux « et on veut ainsi populariser l’argument des nécessaires efforts que pourraient faire les médecins et les infirmiers pour se remplacer les uns les autres en cas de besoin. C’est comme si on réglait ainsi les problèmes

‘‘Dans le milieu hospitalier, le harcèlement a été utilisé,

consciemment ou non, comme technique de management.’’ de la SNCF et d’Air France en s’organisant pour que les conducteurs de train puissent suppléer les pilotes et vice-versa. On admet que les médecins soient spécialisés, c’est important, soit. Mais vous voyez le véritable mépris de classe qui existe quand on fait en sorte que les infirmières ne le soient pas. Ça voudrait dire que les infirmières sont interchangeables à volonté, qu’elles n’ont pas besoin d’apprendre, de se perfectionner : si on a un problème d’infirmière en chirurgie, on peut faire appel à une infirmière de gériatrie. Si moi, neurologue, on m’avait nommé en chirurgie ou en gynécologie, j’aurais été un danger mortel pour les patients. C’est pareil pour une infirmière ! Comment voulez-vous que les gestes paramédicaux soient correctement effectués par des gens qui ne connaissent pas le service, son fonctionnement ou ses besoins ? Permettez-moi de revenir un instant sur ce drame de cette jeune femme à qui la standardiste du Samu a parlé comme une chienne,


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Texte : OR SUJET

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je n’hésite pas à le dire : ce drame inadmissible a un rapport avec la mutualisation des compétences : si l’administration décide qu’une standardiste est capable de faire le tri des situations médicales d’urgence, on est dans le déni total. Le tri est le geste médical le plus compliqué et c’est donc le geste par essence qui devrait être effectué de la façon la plus médicale qui soit. Les mots qui sont employés par tous ceux qui prônent les économies par tous les moyens sont des mots qui mentent : mutualiser, ça veut dire qu’on n’a pas besoin de compétences, et les standardistes, on les appelle des assistants à la régulation médicale. Ce sont des standardistes, ce n’est pas péjoratif bien sûr, mais il faut qu’on arrête les grands mots, ce sont des standardistes, point ! La réalité est simple : on demande à des standardistes mal payées de juger de la gravité des urgences parce qu’on ne veut pas demander au Samu et aux urgences de répondre avec des personnes compétentes ! » UN GÂCHIS TERRIBLE Aux côtés de Christian Marescaux, le professeur Philippe Halimi constate que « les problématiques de dysfonctionnement de l’hôpital qui finissent par influer sur la qualité des soins sont maintenant clairement mises sur la place publique. Dans l’hôpital où je travaille, j’ai des collègues chirurgiens qui me disent qu’ils sont en train d’apprendre l’espagnol, car leurs infirmières de bloc parlent très mal le français et donc, pour pouvoir leur demander le bon instrument, il faut qu’ils se mettent à l’espagnol ! Vous voyez bien qu’on est en train de mettre en permanence rustine sur rustine là où on peut encore les mettre, mais on sait très bien que ça ne se passe pas bien… On reste dans un système extrêmement rigide qui veut imposer à tout prix les choses. Il va bien falloir quand même réinsuffler de l’argent. Cela fait

plus de dix ans qu’on nous impose des économies et ça n’est jamais assez. On nous supprime donc de plus en plus de moyens et ça n’arrête jamais. C’est ce type de management qui est étudié désormais dans les écoles de management du monde entier et qu’on appelle “le management à la française” : un management vertical, sans rétroaction, et qui va dans le mur. Le monde de l’entreprise le sait bien : vous ne pouvez pas bien faire marcher une entreprise si vous n’avez pas l’adhésion de la majorité du personnel. Même les managers les plus durs disent que cette forme de management à la française est inutile parce qu’au départ, il se peut que vous amélioriez à la marge, mais très vite, le personnel n’adhérant pas, ça chute lamentablement. Depuis dix ans, on est dans une incroyable politique de restrictions budgétaires et pourtant, on continue à perdre de l’argent. Ça ne marche pas donc il faut, à un moment donné, revenir en arrière. Ce qui est terrible dans notre pays, c’est qu’on veut aller jusqu’au bout de la logique jusqu’à aller dans le mur, voire même persister dans l’épaisseur du mur ! Le bilan est terrible : on entend encore dire que le système de soins français est le meilleur au monde. C’est faux ! Depuis des années, on ne cesse de dégringoler au classement, on doit être aujourd’hui aux alentours de la 15ème place… C’est un gâchis terrible : je le redis, on a des équipes médicales fantastiques en France, mais elles sont paralysées par un système absurde qui provoque un manque de moyens, le manque d’initiatives qu’on leur accorde puisque ce sont des comptables qui dirigent l’hôpital public et non des médecins et le manque de considération envers les personnels soignants : la réalité du terrain est celle-là, elle est évidemment très loin des grands discours… » PRENDRE LE FLAMBEAU DE LA RÉVOLTE Le témoignage à charge des deux professeurs est accablant. Christian Marescaux souligne que ce sont « les équipes de soin qui permettent de tenir dans cette situation ! Cette notion d’équipe qui est évidemment indispensable pour le bon fonctionnement de l’hôpital, c’est ce que l’administration va démolir. Le principal reproche qu’on a pu m’opposer lors de mon parcours de professeur à l’hôpital, c’est d’avoir mis sur pied des équipes solidaires. Lors de l’audience du procès en diffamation que m’a fait l’hôpital il y a deux ans, des représentants de la totalité du personnel paramédical étaient présents et ils avaient même fait savoir à la direction qu’ils prenaient une journée de congé pour être présent au tribunal à mes côtés. Ça signifiait évidemment que cette équipe fonctionnait bien, qu’elle était soudée et très efficace. Mais une fois cette équipe démolie, je n’étais soudain plus rien et il était alors facile de me virer… »


Et c’est le professeur Halimi qui va enfoncer le clou encore plus profond, en parlant de l’avenir des jeunes médecins au sein d’un système tout entier dominé par les financiers qui dirigent désormais les hôpitaux : « Ce que vient de souligner Christian est essentiel à comprendre. Il a été victime de ce que souhaitent les actuels directeurs des hôpitaux publics et c’est tout sauf le hasard : comme l’équipe est une chaîne soudée par une forte solidarité, ils n’ont pas les moyens d’y entrer. Alors, ils la cassent et c’est là que commence cette lente érosion du système public de santé : à partir du moment où le pouvoir est offert à cette administration-là, les secrétaires des médecins-chefs de service ne dépendent plus d’eux, mais d’un secrétariat général de l’établissement, les manipulateurs de radiologie vont dépendre d’une infirmerie générale de l’hôpital et tutti quanti. Donc, à un moment donné, quand les dysfonctionnements sont avérés, vous n’avez plus la main sur rien. C’est pourquoi mes plus jeunes collègues n’en peuvent plus : ils voient bien que le chef de service expérimenté que je suis est réduit à la portion congrue. Et ça ne les intéresse plus de poursuivre leur voie, ils n’ont pas envie de subir encore plus ce système-là. Aujourd’hui, il faut bien réaliser que voir un collègue qui a cinquante ans et qui s’arrête brusquement n’est pas une chose rare. C’est donc très clair : d’un côté, il y a des

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‘‘Mes plus jeunes collègues n’en peuvent plus...’’ pertes considérables de personnels de soins et, à l’autre bout de la chaîne, des jeunes médecins qui ne veulent plus faire carrière à l’hôpital. Je prétends que ce qui se passe actuellement met en jeu la survie du système hospitalier public qui, pourtant, a fait l’admiration de tant et tant de générations de citoyens. C’est bien pourquoi j’encourage tous mes collègues et les personnels hospitaliers à prendre le flambeau de la révolte en se disant : je ne suis pas sûr qu’on y arrivera, mais ce qui est sûr, c’est que si on ne bat pas, notre système hospitalier public ne survivra pas… » Après le témoignage accablant de ces deux professeurs, nous restait à nous pencher sur la réalité concrète de l’hôpital public strasbourgeois. Au Nouvel Hôpital Civil (NHC), le service des Urgences est sous tension depuis une éternité et est particulièrement emblématique des immenses difficultés auxquelles les personnels de santé doivent faire face jour et nuit. C’est donc là que nous avons enquêté…


URGENCES

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Or Norme. De tous côtés, les témoignages des personnels hospitaliers concordent : les gens se sentent fatigués et même, parfois, se disent usés… C’est tout à fait vrai. À Strasbourg, nous sortons du plus difficile des hivers que j’ai pu vivre depuis 2007, date de mon entrée dans ce service. C’est assez facile à décrire : tu commençais le matin et ton service était déjà plein. Concrètement, très tôt, tu n’avais déjà plus de brancard disponible. Il fallait donc essayer de faire sortir les gens qui étaient là pour espérer accueillir de nouvelles personnes et ce, du matin au soir. À côté de ça, la pression était constante puisque le Samu recevait des appels de gens qui devaient être hospitalisés. À la fin, tu en es réduit à n’être qu’un manager de flux : tu as un flux entrant, les patients qui arrivent, un flux sortant de patients que tu dois hospitaliser et tu as un stock de brancards disponibles sur lesquels tu dois pouvoir mettre les gens. Il te faut manager ces flux en permanence, donc ton boulot perd en qualité, tu n’échanges plus beaucoup avec tes patients : quelquefois, tu passes tellement de temps à dénicher un lit pour ton patient que lorsque ta démarche aboutit favorablement, tu n’as même pas le temps de lui annoncer toi-même la bonne nouvelle. Ce sont les brancardiers qui, dans ce cas-là, attirent ton attention et te demandent d’expliquer au patient dans quel service il va aller… Or Norme. Le professeur Christian Marescaux, que nous avons rencontré, dit clairement que les patients sont de plus en souvent en danger…

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Le Docteur Syamak Agha Babaei, 41 ans, prend en charge des patients depuis onze ans au service des urgences de l’actuel NHC. Délégué de l’Association des Médecins Urgentistes de France, le syndicat présidé par Patrick Pelloux, le témoignage de ce médecin urgentiste dit mieux que tout le découragement et la fatigue qui gagnent les personnels de ce service et les questions qui les assaillent au cœur des batailles qu’ils mènent au quotidien…

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Texte :

‘‘On est submergé…’’ Et il a tout à fait raison de le dire. C’est bien pourquoi, aux Urgences, nous nous sommes mobilisés autant en étant en grève une bonne partie de l’hiver. Ceci dit, on a tous travaillé car nous étions réquisitionnés, c’est la règle dans un service comme le nôtre. Que disions-nous si ce n’est cette évidence ? Quand on doit faire face à un tel débit de patients entrants pour lesquels nous n’avons pas de solutions, il y a un vrai risque, celui de ne pas être à même de détecter un danger à temps. Il faut bien comprendre qu’un patient qui nécessite d’être hospitalisé et qui ne trouve pas la place adéquate et qui, donc, reste aux urgences a plus de chances d’y mourir. À certains moments cet hiver, on avait beaucoup de monde en permanence, des gens dans un état plutôt grave et inquiétant, loin du profil « bobologie » qui est souvent mis en avant par la ministre de la Santé pour parler des gens qui viendraient encombrer les Urgences avec des pathologies tout à fait mineures. Non, on avait des gens pour qui être hospitalisé était une nécessité mais on ne trouvait pas les lits d’hospitalisation dont nous avions besoin. Et là, on touche à une des conséquences de ces années et ces années de coupes drastiques dans le budget de l’hôpital : à force de fermer des lits, à force de manquer d’anticipation sur ces pics de fréquentation, on en est arrivé à la situation extrême de cet hiver. Ce n’est pourtant pas difficile à comprendre : l’hiver, c’est chaque année, la grippe, c’est chaque année et les autres problèmes aussi. En revanche, l’anticipation, c’est jamais… Comment se fait-il qu’un modèle qui se veut au top du management soit incapable au final de planifier une réponse adaptée à des phénomènes épidémiologiques qui sont parfaitement prévisibles ? On connaît les données statistiques des services d’urgences des hôpitaux français : chaque année, les recours augmentent. Un français sur trois se rend chaque année aux Urgences, ce sont donc plus de vingt millions de personnes qui s’y rendent ! C’est devenu un endroit où on va couramment. À cela s’ajoutent plusieurs phénomènes, comme la population qui, en moyenne, vieillit et devient polypathologique : on a un diabète, une insuffisance cardiaque ou les reins qui sont impactés, une insuffisance respiratoire chronique, bref des pathologies plus difficiles à traiter. Et on a aussi, heureusement, une population qui vit plus longtemps qu’auparavant grâce


à notre système de santé justement. Et des gens qui vivent plus longtemps sont également malades plus longtemps, parfois. Tout cela explique le nombre de recours en augmentation dont je parlais. Enfin, pour expliquer cette hausse de fréquentation, il y aussi la diminution très importante, depuis plusieurs années, du nombre de lits de court séjour. Ce qui coûte cher à l’hôpital, ce sont les frais de personnels et le nombre des personnels soignants est conditionné par le nombre de lits. Au NHC, on a fermé 25 lits de gériatrie il y a cinq ans. La direction de l’hôpital s’est engagée à les rouvrir. Et c’est là que l’on se rend compte que s’il est très facile de fermer des lits, il est beaucoup plus compliqué de les rouvrir : il faut réengager du personnel médical compétent et ça, ça ne se fait pas du jour au lendemain…

‘‘Ils ont voulu, de façon purement idéologique, imposer à l’hôpital public un modèle qui est celui de l’entreprise privée. Et ça ne marche pas.’’ Or Norme. La gestion même de l’hôpital public a changé. La tarification à l’activité (TAA) est venue supplanter le système traditionnel de financement… Oui. Avant 2007, c’est la dotation globale de fonctionnement qui générait les budgets pour leur partie principale, budgets qui étaient ensuite abondés s’il s’avérait qu’il y avait plus de besoins. Depuis qu’on a mis en place un taquet (on a fixé à 2 % le taux maximum d’augmentation des dépenses de santé), on a imaginé la TAA pour tenter de contenir l’augmentation des dépenses. C’est le modèle de financement de base de la médecine libérale — je fais un acte, il est rétribué tant… —, on s’est dit qu’on pouvait financer les hôpitaux sur ce modèle. Seuls certains services dits d’intérêt général, dont les Urgences ou le Samu, justement, échappent à la tarification à l’activité. La conséquence de ce nouveau modèle n’a pas mis longtemps à apparaître : la quasi totalité des hôpitaux s’est retrouvée rapidement en déficit. Facile à comprendre : l’hôpital public, par

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définition, accueille tout le monde notamment tous ces gens aux pathologies compliquées, qui, en plus de leur problème aigu, ont du mal à marcher, sans parler de la présence d’un problème de maintien à domicile en cas d’isolement social. Bref, le système public de santé s’est trouvé désavantagé par rapport aux cliniques privées qui, elles, ne sont pas tenues d’accepter tout le monde. Pour couronner le tout, se voyant structurellement en déficit, les hôpitaux publics ont tous pensé que la meilleure manière d’obtenir plus d’argent était de multiplier les actes. Et cette inflation des actes a creusé à son tour les déficits. Un système pervers, je ne vois pas d’autre mot. On a voulu appliquer à l’hôpital public un mode de gestion managérial qui est normalement celui du système marchand. L’évidence est là : appliquer les préceptes de management de l’entreprise privée à un secteur qui a des impératifs et des nécessités qui ne peuvent être rentables est un échec. Rééduquer une personne âgée à la marche, traiter son infection, mettre en place tout ce qu’il faut pour son retour à domicile, ça prend

Ci-dessus : Docteur Syamak Agha Babaei


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quelquefois beaucoup de temps. Et ce temps-là, dans le modèle de la tarification à l’activité, il n’est ni valorisé ni pris en compte. Les gens qui ont mis en place ce système sont des idéologues, ils ont voulu, de façon purement idéologique, imposer à l’hôpital public un modèle qui est celui de l’entreprise privée. Et ça ne marche pas. Il suffit de voir comment le personnel est géré : quand je regarde le service des urgences du NHC, le turn-over des personnels infirmiers est ahurissant ! Et ça, ça n’interpelle personne, on se dit que c’est normal tant travailler aux Urgences est difficile. Mais si dans une entreprise, ou même dans une administration, 80 % du personnel d’un service ou d’un département demandait à partir, on se poserait sûrement la question de savoir si ces personnes sont bien dans leur travail et

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en profondeur du système de santé publique dont

nous avons besoin.’’

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pourquoi un tel nombre de personnes souhaitent changer de job, non ? Enfin, il faut ajouter à tout ça un manque flagrant de démocratie sociale. Nous qui travaillons au quotidien dans ce type de services, nous avons des idées, il faudrait quand même qu’à un moment ou à un autre, on nous écoute… Nous savons mieux que tout le monde comment améliorer la gestion d’un service d’Urgences. Quelqu’un qui n’y a jamais ni travaillé ni mis les pieds va avoir beaucoup de mal à le faire, ça me paraît évident. Un mode de management plus ouvert et plus respectueux amènerait les uns et les autres à se sentir vraiment considérés. Et ce serait assez formidable d’enfin se sentir considéré : on fait un métier très pénible, très dur et exigeant mais ce métier nous plait. Parfois, on sauve des vies, et le plus souvent, on est dans des gestes de soin, on prend soin des gens et on est souvent le dernier recours quand les autres n’y peuvent plus rien, donc ce serait sympa d’avoir de temps en temps un petit mot de la part des gestionnaires, une petite visite, un « merci », « bravo », « c’est bien ce que vous faites… ». Même ça, on ne l’a pas. Or Norme. On parle souvent de maltraitance. C’est le cas ?

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OR NORME N°29 Caractères

OR SUJET

Texte :

‘‘C’est une réforme

On caricature souvent nos demandes de moyens supplémentaires mais pourtant, ce qu’on demande est à mettre en face de besoins qui sont pourtant spécifiques. Dans une garde normale au service des Urgences, je vais

prendre en charge une fin de vie, car un jour sur deux il y a une personne qui décède, je vais prendre en charge une personne violente parce qu’alcoolisée, je vais prendre en charge une tentative de suicide et puis, à côté, je vais devoir gérer des urgences vitales et d’autres, plus relatives, et enfin, des problématiques sociales. On voit bien qu’on ne peut pas traiter correctement tout cela, dans la même soirée et avec la promiscuité inévitable dûe à des locaux où on manque d’espaces. La situation actuelle produit en effet de la maltraitance : une personne qui reste allongée sur un brancard pendant 24 ou 48 heures est en situation de maltraitance, je suis désolé de le dire. Aussi longtemps sur un brancard, tu as mal partout, tu dois demander pour aller aux toilettes ou avoir un verre d’eau, tu es à la vue de tout le monde, ça circule tout le temps dans ce couloir, les lumières du plafond sont allumées en permanence… Il faudrait que certains passent 24 heures ainsi pour vraiment se rendre compte. Au-delà de cette maltraitance, je sais que nombre de médecins urgentistes comme moi ont la hantise de cette situation fréquente où on ne pourra pas s’occuper efficacement d’un patient parce que nous avons beaucoup trop de situations à gérer en même temps, parce qu’il y a trop de monde. Et si là, avec ce ixième patient, est-ce qu’on ne va pas commettre la faute fatale, indéfendable, parce que, tout simplement, on n’aura rien vu parmi toute cette agitation… Or Norme. Le président de la République a annoncé son intention de réformer le système en abandonnant la tarification à l’acte. Vous êtes ainsi un peu entendu, non ? J’espère qu’il le fera vraiment. Mais c’est une réforme en profondeur du système de santé publique dont nous avons besoin. Et pour que cette réforme soit enfin efficace, il faut prendre du temps. Il faut y associer, outre les experts et les politiques, les gens qui travaillent à l’hôpital et les citoyens. Une telle réforme ne pourrait se réussir que si elle était mise en place par bassin de vie. Il ne faut surtout pas que ce soit une réforme dictée d’en haut, avec une concertation numérique pour la forme, pour se donner une bonne conscience. Ça, il y en a vraiment marre ! Ça prendra plusieurs années pour mettre tout à plat et amener les améliorations indispensables mais, pour une fois, faisons une bonne réforme, consultons toutes les personnes qui travaillent dans le secteur de l’hôpital public et mettons en place une véritable consultation de tous les acteurs de santé, sans oublier les usagers. Et respectons ceux qui sont là. Car ils y croient : si j’étais allé dans le privé, j’aurais sans doute travaillé un peu plus mais j’aurais gagné trois fois plus. On est là parce qu’on croit au service public de santé et parce qu’on aime le métier qu’on fait. Donc, on pense avoir quelques idées sur la manière dont on peut améliorer les choses… »


Saison 18-19 La Pomme dans le noir

Clarice Lispector | Marie-Christine Soma 18 | 28 sept 2018

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Les Terrains vagues

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MÉDECINS ET PERSONNELS SOIGNANTS

Ils n’en peuvent plus… JEAN-BAPTISTE DEWIER Nicolas Roses – Or Norme – DR

Entré à l’âge de douze ans chez les sapeurs-pompiers, devenu pompier-volontaire à dix-huit ans et après dix ans de pratique, Jean-Baptiste Dewier réalise alors que son souhait est « d’être plus proche du malade, plus proche du soin et de m’impliquer dans les situations d’urgence ou de détresse. Je souhaitais aller au-delà de l’action de premier secours et travailler avec les patients, les malades, les familles… » dit-il en parlant de quasi vocation, en ce qui le concerne. APRÈS TROIS ANS… « Les urgences sont la porte d’entrée à l’hôpital » raconte Jean-Baptiste Dewier. « Les gens qui les fréquentent se font ainsi une idée de la façon dont fonctionne un hôpital mais c’est évidemment une vision partielle qui s’offre à eux. Car, cet hiver, on a connu des conditions d’accueil incroyablement compliquées avec des séjours de six heures dans une salle d’attente pleine pour des gens qui souffrent parce qu’on n’a plus une place de libre, avec des ambulances qui arrivent sans cesse et font la queue devant l’entrée et attendent quelquefois pendant cinq ou six heures. Alors, oui, vu de l’extérieur, les urgences sont l’endroit où il y a le plus gros flux de patients, ça tourne beaucoup, on ne sait pas ce qui peut arriver, c’est tout sauf la routine mais après avoir dit tout ça, nous savons tous que dans les autres services, les conditions de travail sont assez rudes aussi. Ceci dit, on sait bien que parfois, les gens pensent que nous ne sommes pas assez efficaces mais ils ne savent que ce n’est pas à notre niveau que ça bloque ! » Jean-Baptiste Dewier n’hésite pas à souligner que « depuis trois ans que je suis à Strasbourg, j’ai pu constater l’extrême dégradation de la situation du service. À mon arrivée, je me souviens qu’on gérait

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Texte :

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Jean-luc Fournier – Alain Ancian – Benjamin Thomas - Erika Chelly

Ce jeune franc-comtois d’origine (31 ans) est arrivé au service des Urgences du NHC il y a trois ans, après avoir débuté sa carrière dans le même service d’un petit hôpital du Jura. Son but était de « pouvoir acquérir une plus grande expérience, au sein d’un CHU dans une grande ville ».

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Photos :

INFIRMIER URGENTISTE

bien les flux, on pouvait les prévoir, anticiper les pics d’activité hebdomadairement, ou le jour, la nuit, durant les vacances… Depuis un an et demi, c’est fini : la nuit, le jour, le service est plein, les admissions sont permanentes et on a beaucoup de mal à trouver des lits dans les autres services ce qui est pourtant

‘‘Depuis trois ans que je suis à Strasbourg, j’ai pu constater l’extrême dégradation de la situation du service. ’’ l’essence-même de notre job ! Donc, les personnes restent dans les couloirs, à dormir la nuit sur des brancards ou carrément dans les ambulances, à l’extérieur, ce qui d’ailleurs provoque nombre de problèmes avec les sociétés ambulancières. Nous, on fait de notre mieux et on parvient tant bien que mal à conserver une relation correcte avec les chauffeurs ambulanciers ou les pompiers… » ÇA NOUS REND FOU ! Quand on aborde avec lui les risques que cette situation peut faire courir aux patients, l’infirmier urgentiste ne mâche pas ses mots : « Deux hôpitaux français, ces derniers temps, ont connu une situation de décès de patient dans leurs couloirs, du fait de la charge de travail et du peu de ressources dont ils disposaient. À Strasbourg, heureusement, on n’en est pas arrivé jusque là mais on a vu des situations se dégrader alors qu’une prise en charge normale l’aurait évité : ces gens étaient en attente dans un couloir avec leur ambulancier ou isolés dans un coin avec des patients partout et nous qui étions obligés de courir d’un endroit à l’autre, sans compter le manque de box, de matériel quelquefois. Avec ce flux tendu permanent, on n’a que quinze box alors qu’on peut avoir jusqu’à trente-sept personnes en attente de soin. La dernière fois où j’ai quitté mon service, les trente-sept brancards étaient utilisés et, de mémoire,


j’avais huit autres patients dans la zone d’accueil que j’avais déjà vus et qui étaient dans l’attente d’un brancard, huit attendaient dans le couloir avec leur ambulance à l’extérieur et cinq autres en salle d’attente dite piétons, qui étaient venus par eux-mêmes. Je résume : 37 patients en zone, aucun départ de prévu et 21 autres à installer ! Quand tu quittes ton service, tu te dis que tu ne peux plus faire ton travail, que tu ne fais que limiter les dégâts en faisant au mieux pour espérer que la situation ne se dégrade pas plus ! Ça nous rend fou quand, par exemple, tu pars le soir et que tu vois une petite mamie et que tu la retrouves le lendemain matin au même endroit, sur un brancard inconfortable au possible ! Déjà, ce serait inadmissible dans un petit hôpital sans grands moyens mais là, on est à Strasbourg, dans une capitale européenne ! On attend quoi pour prendre conscience de tout cela? Qu’un parlementaire européen se retrouve un jour aux Urgences et hurle au scandale ?... » LUTTER… « On paye cash cette politique de fermeture forcenée de 100 000 lits depuis dix ans (sur tout le territoire national –ndlr) et Emmanuel Macron vient de déclarer qu’il faut encore faire 1,8 milliard d’euros d’économies en plus. Mais où va-t-on aller les chercher ? On a déjà tellement tiré sur la corde… Est-ce qu’on veut ainsi casser le service public de santé ? On est clairement dans une stratégie bien connue, celle qui consiste à faire se dégrader sciemment une situation, donc créer d’énormes problèmes, alerter sur cette dégradation et annoncer qu’on est contraint de prendre des dispositions drastiques… Et les gens, qui ne sont pas bien informés, acceptent tout ça comme si on n’avait pas d’autre choix… » Une question nous trottait dans la tête depuis longtemps, à côtoyer ces hommes et ces femmes, tous amoureux de leur métier et à qui on impose des conditions aussi injustes et brutales. La motivation en souffre-t-elle, est-ce que le découragement ne menace pas ? « Bon, dans dix ans, peut-être aurais-je changé de travail » répond Jean-Baptiste « d’ailleurs, je vous avouerais que beaucoup de collègues en parlent. On se dit tous la même chose, au fond : je n’en peux plus, je vais faire autre chose. Et quand nous allons au fond des choses, on se dit même que non seulement on partira mais qu’on changera carrément de métier, fleuriste, commerçant, n’importe quoi mais plus dans l’hôpital public. Je connais des

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‘‘On a déjà tellement tiré sur la corde… Est-ce qu’on veut ainsi casser le service public de santé ?’’ collègues chez qui le stress a provoqué des ulcères, par exemple. Notre encadrement essaie de trouver des solutions mais c’est souvent deux pas en avant, et un pas en arrière. Et puis, c’est souvent Ubu aux Urgences, il y a des promesses tenues à moitié au mieux ou oubliées, carrément. Bref, les Urgences, c’est comme un manège en folie que personne ne maîtrise plus. Et à côté, il y a cette disparité entre l’hôpital public et les cliniques privées : on n’est pas dupes, on sait bien qu’ils peuvent, eux, refuser des admissions. Nous, on est obligé d’accepter tout le monde, on n’a pas le choix. Mais les cliniques privées bénéficient elles aussi des financements publiques alors, comment peut-on leur laisser le choix de prendre ou non des admissions ? Je ne comprends pas. Ou plutôt, je comprends trop bien… » conclut Jean-Baptiste Dewier avec un triste sourire au coin des lèvres qui en dit long…


MÉDECINS ET PERSONNELS SOIGNANTS

Ils n’en peuvent plus… celui du fait que la personne âgée doit être à domicile et pas à l’hôpital. Ça, on l’entend en permanence, on a parlé de ‘‘virage ambulatoire’’ mais nous, entre nous, on parle de ‘‘catapulte ambulatoire’’, pour signifier que la personne peut être éjectée de l’hôpital à la fin de la durée de séjour initialement estimée et ce, même si son état de santé ne le permet pas. Ce n’est pas partout mais on a déjà vu apparaître le phénomène : le patient doit sortir, il sort !

C AT H E R I N E F E R N A N D E Z

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OR SUJET

MÉDECIN HOSPITALIER

« J’avais le choix entre Strasbourg et Nancy pour faire mes études et il n’y a pas eu photo en faveur de Strasbourg » se souvient ce médecin hospitalier d’origine mosellane qui dirige et anime une équipe mobile de gériatrie de dix personnes, six médecins, quatre infirmières, deux psychothérapeutes plus le personnel de secrétariat. « Nous sommes une équipe pluridisciplinaire dédiée à l’aide à la prise en charge des personnes âgées où qu’elles soient : aux Urgences, dans les autres services, dans un EHPAD ou même à domicile. En général, nous sommes sollicités par un professionnel de santé qui a une difficulté de prise en charge d’une personne âgée voire même très âgée. En général, nous sommes appelés en deuxième recours, en quelque sorte, quand tous nos autres confrères de la chaine médicale sont en difficulté. C’est le cas quand il y a conflit, quand les parties prenantes au sein d’une famille ou entre un service et une famille ne sont pas d’accord ou quand c’est compliqué ou qu’il y a des suspicions de maltraitance, par exemple. Notre métier fait donc qu’on a une vision transversale de la prise en charge des personnes âgées à domicile ou secteur hospitalier. Et bien entendu, on collabore avec les urgences en permanence. » DES POSTULATS INSOUTENABLES « Depuis dix ans, mon regard s’est affuté. Plusieurs postulats se sont imposés depuis cette dizaine d’années : d’abord

Ces soins à domicile pourraient être une bonne chose à une condition cependant : qu’il y ait les moyens pour une prise en charge efficace, à tous les niveaux. Notamment celui de la santé, bien sûr, mais c’est loin d’être le cas avec les médecins de proximité, qui sont débordés de travail et qui savent que soigner une personne âgée prend beaucoup de temps et que c’est généralement compliqué. De plus en plus, l’hôpital veut se définir comme étant uniquement un plateau technique, où on fait des gestes où on réalise des interventions de très haute technicité, très bien, mais qu’en est-il alors de tout le volet médico-social qui fait partie intégrante des missions de l’hôpital public : la prise en charge des personnes âgées mais aussi des personnes vulnérables, des précaires, des gens isolés et de tous ceux qui ne pourront pas rentrer le soir chez eux après une intervention parce qu’ils ne sont pas en état de le faire et pour qui la moindre des petites bascules de la vie rend vite les choses ingérables parce qu’ils ont alors besoin d’une organisation pour les accompagner. Cet hôpital plate-forme technique n’est donc pas du tout adapté à ces populations dont nous nous occupons. Elles ont donc besoin d’une prise en charge réalisée par des équipes de soignants en nombre suffisant, bien formés, avec un service social qui soit opérationnel. Or, depuis dix ans au moins également, on a vu que tout cela diminue au fur et à mesure : bien sûr, il y a encore des infirmières dans les services mais quand elles ont absentes, elles sont de moins en moins remplacées donc s’instaure une réelle fatigue des équipes qui devient de plus en plus problématique. La pris en charge reste toujours aussi professionnelle et les équipes demeurent très vigilantes par rapport à une prise en charge optimale mais on constate chez ces personnels beaucoup moins d’empathie, de patience . Cela a une triste conséquence : ces personnels n’ont même plus le temps de s’asseoir une poignée de minutes pour converser avec


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Texte :

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ces personnes et c’est bien dommage car cela donnait du sens à leur travail. Autre postulat qui est apparu à la même période : la fameuse mutualisation des moyens. Derrière les grands discours, les soignants savent très bien qu’on les considère comme des pions qu’on peut déplacer à sa guise au sein d’un pôle. D’un jour à l’autre, on peut se retrouver dans n’importe quel service où la technicité est tout à fait différente, où les habitudes changent et où les patients ne sont pas du tout les mêmes. Et ça, c’est un vrai facteur de maltraitance institutionnelle parce que les infirmières et les aides-soignantes ont des compétences spécifiques à un service et que c’est très instabilisant de devoir être polyvalent en permanence. C’est vraiment considérer qu’il n’y a plus d’humain derrière le personnel soignant, qu’il n’y a plus qu’une fonction technique et que tout l’aspect positif de ce qui fait l’esprit d’équipe, l’entraide entre professionnels, l’accompagnement des stagiaires, l’aspect sécurisant pour les nouveaux arrivants de se fondre au sein d’une équipe qui assure, finit par devenir secondaire. On sent vraiment cette logique qui voudrait que les soignants soient interchangeables à volonté, quand on veut. Le troisième postulat est bien connu : l’hôpital public doit être rentable. C’est juste une hérésie puisque, par définition, il doit accueillir tout le monde puisqu’il a une mission de service public, tout ne peut pas être planifié, anticipé surtout avec la population de personnes âgées dont nous nous occupons, souvent dépendantes et qui nécessitent de trouver des solutions qui demandent du temps à s’élaborer. Évidemment, ce n’est qu’à l’hôpital public que l’on trouve ces situations-là, ce n’est pas une clinique privée qui va accepter de les traiter… » MALGRÉ TOUT, LES ÉQUIPES RÉPONDENT PRÉSENT Catherine Fernandez exprime sans détour sa grande crainte : « Nous sommes nombreux à penser qu’on est en train de créer, comme ce fut le cas en Angleterre, les conditions pour épuiser le service public de la santé, afin de mieux démontrer ensuite que ça ne marche pas et mettre la clé sous la porte. À l’arrivée, on va arriver à un système où la prise en charge sera très inégalitaire et pour moi, c’est là que les patients vont se retrouver en danger. Pour le moment, il y a encore cette illusion que, qu’on soit riche ou on soit pauvre, l’hôpital public va vous prendre en charge exactement de la même manière. L’illusion vaut aussi pour la considération que l’on a pour le service public de santé : excellence, qualité de la formation et de la recherche… Avec toutes ces politiques coercitives, on décourage les meilleurs éléments, le privé va leur ouvrir les bras et leur faire des ponts d’or. Qu’en sera-t-il ensuite, au final ? Le malaise est grand et il s’illustre par cette manifestation de ce collectif de médecins devant les bureaux de l’Agence régionale de Santé au début du printemps. Pour beaucoup, c’était la première manifestation de leur vie, c’est dire l’étendue du problème : c’est évidemment une

décision qu’il n’aurait jamais envisagée individuellement, manifester ne fait pas partie de leur culture mais là, ça leur a paru impératif de dire : ça suffit, on n’est plus d’accord ! Cet événement est très signifiant : il y a quelques années, nous avons tous eu envie de nous dire qu’on allait y arriver, que si on nous disait que nous étions mal organisés c’est qu’il y avait peut-être des raisons, ensuite on a vu arriver toute une kyrielle de consultants que si on faisait comme ci ou comme ça, ça marcherait formidablement mieux. Alors, on s’est réuni, on a réfléchi ensemble et tout ça sur notre temps personnel parce qu’on est bonne pâte, on a rédigé des quantités invraisemblables de documents. Puis, on n’a plus rien entendu pendant des mois et on n’a rien vu venir, au final… Sincèrement, on a tous joué le jeu, mais on a été bien naïfs… » Pour Catherine Fernandez, c’est la conscience professionnelle et le dévouement des médecins et personnels soignants qui permet encore à l’hôpital public de continuer à remplir ses missions : « En dépit de tout ce dont on vient de parler, malgré tout, les équipes continuent à répondre présent. Elles font du mieux qu’elles peuvent même si elles sont fatiguées, qu’elles ont le sentiment de devoir bâcler leur travail, parfois. Même si elles déplorent de ne plus pouvoir être en mesure d’accorder en permanence cette part d’humanité si précieuse à leurs patients, elles s’engouffrent encore dans cet accompagnement dès qu’elles le peuvent car elles ressentent encore une vraie appétence pour ça. Je pense sincèrement que nous sommes toutes et tous engagés pour faire de notre mieux, pour conserver et développer encore notre technicité, et que nous avons besoin d’être reconnus pour cette excellence professionnelle mais aussi relationnelle. Or actuellement, et cela fait longtemps et cela dure puisque le président de la République lui-même a récemment déclaré qu’il fallait encore en rajouter sur la baisse des moyens consacrés au service public de santé, les équipes de l’hôpital public pensent que cette reconnaissance-là leur est déniée… »


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Texte :

Il y a cinquante ans… Pétard, ça passe vite une vie ! Alors, forcément, les souvenirs défilent. Mais pas que... Il y a cinquante ans, mes seize ans même pas encore fêtés, je rêvais d’un ailleurs que je pensais alors improbable, dans cette petite ville industrielle du centre de la France où j’étais né et que je n’avais quittée que lors de quelques colonies de vacances, les mois d’été et deux inoubliables échanges scolaires en Allemagne et à Londres, cette capitale où flottait déjà un air étrange dès qu’on marchait sur les traces des Beatles ou des Stones (plutôt ces derniers, pour moi). Il y a cinquante ans, au tout début mai, je n’étais pas retourné dans ce collège campagnard où mon père m’avait exilé, me confiant à un couple d’enseignants de la famille, chargé de me remettre sur la bonne voie après quelques années de grand n’importe quoi dans un lycée où le bordel était la matière principale qui me voyait extrêmement doué. Merci à eux : dans leur environnement paisible, entouré des innombrables livres de leur bibliothèque et sans cesse en débat ensemble, je me suis spontanément et vite reconnecté avec ce que j’avais en moi depuis toujours mais ne pouvait s’exprimer là où j’étais auparavant… CES NUITS AVEC SI PEU DE SOMMEIL… Il y a cinquante ans, donc, mon amie d’enfance, mon aînée de trois ans et mon amoureuse par intermittence quand je la rejoignais plusieurs fois chaque année dans la proche banlieue parisienne où elle vivait désormais avec ses parents depuis leur déménagement quelques années plus tôt, m’appelle et me raconte que des choses sympas se passent à la Sorbonne où elle venait d’entrer en première année l’automne précédent. « Ils occupaient Nanterre et ils viennent de nous rejoindre » me dit-elle. Bien sûr, j’ignore évidem-

ment à ce moment-là qu’elle parle d’un petit rouquin insolent et de ses potes qui, depuis le mois de mars, s’activaient comme des fous pour que la mixité soit de mise à la piscine de leur université… « Ça serait bien que tu sois là », continue-t-elle. Et elle ajoute : « J’ai du temps, la Sorbonne vient de fermer, les cours n’auront plus lieu avant longtemps… » J’avoue aujourd’hui sans problème que je ne devine alors rien des événements à venir, seule la perspective de me retrouver à Paris avec elle et les joyeux lurons qu’elle évoque me fait prendre la vaillante Micheline (le TER de l’époque) jusqu’à Dijon et le train grande ligne pour la capitale, ensuite. Papa bossait comme un fou à l’autre bout de la France et n’avait pas le temps de s’occuper du quotidien de ses quatre enfants (dont une inattendue petite dernière de trois ans qui

‘‘Elle et moi avions bien

trop les jetons, à l’évidence, pour nous retrouver en première ligne…’’

occupait bien son monde) et maman avait reçu le coup de fil qu’il fallait de son amie parisienne pour la rassurer sur mon accueil (mon amoureuse avait bien fait les choses…). En fait de séjour chez les amis de la famille, je passerai infiniment plus de temps dans la petite


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chambre de bonne désertée par Lucie, une meilleure amie parmi tant d’autres, tout en haut du boulevard du Port-Royal. Nous nous en sommes longtemps amusés, des années après : il nous est arrivé quelquefois de courir à toute allure pour descendre le boulevard Saint-Michel voisin (où l’une de ses providentielles ruelles adjacentes) un peu poursuivis, parmi plein d’autres, par des messieurs en uniforme avant, tout au bout de la nuit, de remonter le même itinéraire, prudents et lents comme des Sioux, pour retrouver la fameuse chambre de bonne.

‘‘Le mois de mai de cette

Photos :

Henri Cartier-Bresson – Gilles Caron - DR Jean-Luc Fournier

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OR CADRE

Texte :

année-là a été le théâtre d’une gigantesque mise à jour du logiciel de la société’’

Pour être franc, je n’ai jamais lancé le moindre pavé ni descellé la moindre plaque d’égout (elle et moi avions bien trop les jetons, à l’évidence, pour nous retrouver en première ligne) mais, durant la dizaine de jours (et de nuits avec si peu de sommeil) que j’ai passés à Paris, j’ai dégusté avec avidité une flopée d’assemblées générales dont certaines homériques, marché des kilomètres et des kilomètres lors de manifs chaque jour inédites et formidables, cassé mes cordes vocales en gueulant à tue-tête tous les slogans qui faisaient quotidiennement et spontanément leur apparition, cavalé comme un fou quand ça devenait un peu chaud et eu l’impression d’être au cœur de ce bouillonnement formidable qui avait déjà commencé à enflammer tout le monde occidental. Ces jours-là ont été d’un romantisme absolu (ce genre de truc qu’on ne vit qu’à cet âge-là, bien sûr) et je sais intimement depuis le mois de mai de cette année-là qu’une énorme majorité de celles et ceux qui les ont de près ou de loin vécus ont éprouvé exactement la même chose. RESET… En outre, nous avons tous été acteurs et témoins à la fois d’un épisode fondamental. Le mois de mai de cette année-là a été le théâtre d’une gigantesque mise à jour du logiciel de la société française de l’époque.

Elle était plus que nécessaire. Nous, les mômes nés à la fin des années quarante ou au tout début des années cinquante, vivions dans une société figée, pétrifiée par les conséquences des événements du milieu du XXème siècle : cette seconde guerre mondiale inaugurée par l’effondrement brutal de la puissance de la France en juin 1940, poursuivie par l’omniprésent syndrome de Vichy et du roman national idéal fabriqué de toutes pièces ensuite — qui ne commencera à se purger qu’au milieu des années soixante-dix grâce à l’œuvre d’un historien… américain (!) — et dramatiquement prolongée par les guerres coloniales inavouées. Tout cela, avec la guerre froide entre l’occident et l’URSS, avait formé un imposant glacis idéologique et sociologique et il fallait bien plus que l’arrivée du rock’n roll et des yéyés pour que ça respire vraiment. Entre autres, on précisera aux plus jeunes lecteurs qu’avant le mois de mai de cette année-là, tu n’étais majeur qu’à vingt-et-un ans, que tu n’avais pas le droit de dormir à l’hôtel avec la nana qui te branchait sans montrer le livret de famille prouvant que tu étais marié et que l’épouse dûment enregistrée sur ledit livret n’avait pas le droit d’ouvrir un compte bancaire sans l’autorisation de son mari ! Côté contraception, n’en parlons même pas, la pilule (dont l’existence était devenue officielle l’automne précédent grâce à l’action courageuse du député gaulliste Lucien Neuwirth, seul contre tous, communistes compris) n’était prescrite que par de très rares médecins. Quant à l’avortement, si on n’avait pas les moyens de le confier aux cliniques huppées installées au-delà de la frontière belge ou néerlandaise, il fallait s’en remettre aux aiguilles à tricoter clandestines des « faiseuses d’anges » comme on les appelait. En « faisant un ange », il n’était pas rare qu’elles tuent aussi la malheureuse qui leur faisait confiance, quelquefois… DU BOUL’MICH À KEROUAC… Il fallait donc que ça respire et, ma foi, ça a bien respiré. Pour ma part, il m’a fallu, vers la mi-mai, au lendemain de la célèbre nuit des barricades où le Quartier latin s’est enflammé et à laquelle nous n’avons participé qu’à partir de deux heures au matin, longtemps bloqués que nous avions été ce soir-là à Fontainebleau à la soirée d’anniversaire d’un ami d’enfance (ah ! ces occasions ratées !…), j’ai dû répondre à la lancinante pression familiale et décidé de rentrer en Bourgogne pour rassurer les parents. Avec la ferme intention de refaire le voyage en sens inverse quelques jours après. Mal m’en a pris : je n’ai revu Paris qu’en août suivant, quand les bitumineuses


Jouissez sans entraves Henri Cartier-Bresson

de la Préfecture de police noyaient les pavés du Quartier latin sous l’asphalte, façon d’être tranquille à la rentrée au cas où « ça » recommencerait. Car le lendemain même de mon retour en Bourgogne, la grève générale a débuté. Plus le moindre train, plus d’essence et plus une station-service d’ouverte donc adieu le possible auto-stop. Sous un soleil de plomb et un ciel d’azur s’étalait une France soudainement complètement paralysée.

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Le reste de ces jours de mai de cette année-là, je l’ai donc suivi « par procuration ». Lors de ces journées estivales, je me suis trouvé un endroit à moi, parmi les genêts de la campagne voisine. J’y ai passé des heures délicieuses à dévorer un livre formidable qu’un pote de mon amoureuse, travaillant à la librairie Gibert-Jeune du bas du Boul’Mich’, avait chouravé (avec quelques autres…) et m’avait remis subrepticement dans l’entrebâillement d’une petite porte dérobée de la rue Saint-Séverin, la veille de

mon départ. J’en avais entamé la lecture dans le train et… on me l’a gentiment « emprunté » lors d’un moment d’inattention au buffet de la gare de Dijon. De retour à la maison familiale, j’ai cassé la tirelire pour acquérir le seul exemplaire qui était en vente à la petite librairie de mon bled. L’écrivain s’appelait Jack Kerouac et le livre Sur la route venait juste d’être édité en langue française. Quand j’y songe, j’ai eu cette chance formidable : je venais de passer une dizaine de jours au cœur d’événements exceptionnels et, chaque jour et chaque nuit se prolongeaient désormais dans un bouillonnement tout aussi intense : sous le soleil, je découvrais cet incroyable livre qui m’apprenait, page après page, qu’il suffisait de le vouloir vraiment pour que la liberté devienne ta molécule essentielle et, la nuit venue, j’étais à l’écoute fébrile des voix de ces journalistes asphyxiés par les lacrymos et qui nous faisaient tout vivre des « événements ».


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Photo : Gilles Caron

‘‘Le mois de mai de cette année-là a été le théâtre d’une gigantesque mise à jour du logiciel de la société française de l’époque’’ Le mois de mai de cette année-là finit par se terminer. En une nuit, les syndicats et le gouvernement s’enfermèrent au ministère du Travail, rue de Grenelle, et en ressortirent le lendemain matin (ah ! les images découvertes des années plus tard des tout jeunes Chirac et Balladur et leur visage aux traits tirés, mangé par une barbe inhabituelle) avec

un SMIC augmenté de près de 35 % et une flopée de droits nouveaux pour les salariés. De quoi, pour le Parti Communiste et sa fidèle CGT, siffler la fin de la grève et faire en sorte de remettre la France « en état de marche ». Le temps aussi pour nous autres, étudiants, (traités chaque jour de petits bourgeois par le PC) artistes, enseignants, universitaires et autres tendres branleurs de toutes sortes de comprendre que nous venions d’écrire quotidiennement et sans même nous en rendre compte vraiment, du moins à l’époque, une histoire qui allait nous marquer pour toujours, et avec nous la société française. « L’ESPRIT DE MAI » « Ma pauvre Cécile, j’ai 66 ans » pourrais-je chanter en parodiant Michel Delpech. Il y a cinquante ans, le mois de mai de cette année-là m’aura offert le plus précieux des viatiques : il faut toujours, et avec un acharnement de folie, suivre sa route et pister ses rêves jusqu’à plus soif. Ces dernières années, il fut souvent de bon ton de rendre le mois de mai de cette année-là responsable de tous les maux actuels de la société française.


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cheveux noirs qui dégringolaient généreusement sur ses épaules et pointait parmi les « maos », une des tribus les plus étranges que j’ai pu à l’époque observer et écouter lors des interminables AG de la Sorbonne. Alors, oui, bien sûr, on peut gloser sur July et ses trois quarts de siècle qu’il affiche aujourd’hui au compteur du temps qui passe,ses piges grassement rémunérées lors de quelques émissions TV et ce ton un rien « donneur de leçon » qu’il lui est arrivé d’afficher plus souvent qu’à son tour.

‘‘Il faut porter en soi un chaos pour mettre au monde une étoile dansante.’’ Quelle vaste blague, quelle pitoyable foutaise ! On sait bien d’où est venue cette drôle d’idée : de personnages politiques (et d’éditorialistes encore aigris) en panne de charisme et en mal d’idées nouvelles, donc prompts à remuer la bonne vieille tambouille de l’histoire, de préférence accommodée à leur façon. Bien sûr que ces dernières décennies affichèrent leur lot de soixante-huitards se coulant placidement dans le moule confortable de la bienpensance très individualiste du monde contemporain. Tiens, parlons d’un des plus célèbres d’entre eux : en 1968, Serge July avait 26 ans, des

Mais ce serait oublier qu’au sortir de 68, lui et quelques autres créèrent de toutes pièces Libération, ce quotidien qui réinventa alors la presse quotidienne de ce pays et que Serge July porta à bout de bras avec une ingéniosité et un talent indéniables pendant plus de trente ans… À la clé, cette simple question aux actuels trentenaires ou quadragénaires, eux aussi pris dans le maelstrom de notre monde d’aujourd’hui : « Au fait, où en êtes-vous, vous-mêmes, avec vos rêves, vos projets, vos actes ? Qu’êtes-vous en train de bâtir ?... » Cinquante ans après, Mai 68 est aussi le prétexte à nombre d’émissions de télé et à une importante production de livres. Le pire (quelquefois) y côtoie le meilleur (souvent). Si vous n’en lisiez qu’un, choisissez L’esprit de mai de l’écrivain, éditeur et cinéaste Hervé Hamon. (Editions de l’Observatoire — 16 €, pub gratuite…). Il y écrit ce qui est peut-être l’essentiel : « Ce fut un mouvement créatif et drôle où l’on pouvait dire “ je” au sein de la foule solidaire, où aucune question n’était interdite, où aucun débat n’était hors-sujet. Une société s’est alors mise à jour, de l’ouvrier au professeur, du médecin au paysan. Sans oublier l’essentiel : les femmes… » Deux citations, tirées du livre aussi : un vers de Louis Aragon (« cette géniale vieille crapule stalinienne », comme l’écrit avec tendresse Hervé Hamon) : « Un temps à craindre le pire Il fait beau comme jamais… » et, cette dernière, de Nietzsche, lue sur un mur du quartier Latin, en mai de cette année-là : « Il faut porter en soi un chaos pour mettre au monde une étoile dansante ». Un vœu qui peut se transmettre entre génération...


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LE VENT DE MAI Le bel alizé de Lionel Courtot

Photo :

Nicolas Roses Jean-Luc Fournier

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Texte :

Le metteur en scène strasbourgeois n’était pas encore né en mai 68. Pour autant, il a tout compris du vent qui a soufflé sur la France de l’époque. Avec quatre comédiennes et un texte formidables, soutenus par une bande-son subtilement choisie, il a présenté sa nouvelle pièce Le vent de mai au Préo de Oberhausbergen à la mi-mai et ce fut un moment magique… C’est le noir complet. Puis on entend Sans la nommer et la voix de Georges Moustaki qui chante la « révolution permanente » : « C’est elle que l’on matraque, Que l’on poursuit que l’on traque. C’est elle qui se soulève, Qui souffre et se met en grève. C’est elle qu’on emprisonne, Qu’on trahit qu’on abandonne, Qui nous donne envie de vivre, Qui donne envie de la suivre, Jusqu’au bout, jusqu’au bout… ». La lumière jaillit : on est au début des années soixante, dans le dortoir d’un pensionnat catholique perdu au fond d’une campagne lointaine. À cette veille de leur rentrée en terminale, trois copines de toujours Clémence, Marie et Babette attendent le « bachot » un peu comme une clé vers la liberté. Une nouvelle élève arrive : Clara est mutique, sèche et peu communicative. Très vite, son « secret » sera au grand jour : elle est pied-noir, avec sa famille elle vient d’être chassée d’Algérie, comme tant d’autres qui s’estiment trahis par le général de Gaulle. Dans sa longue traversée en bateau, Clara a abandonné son romantisme en fond de cale… UNE HISTOIRE DES ANNÉES 60 On est donc là à l’automne 62 et on discerne déjà le parti-pris de Lionel Courtot : dérouler ces années soixante à travers le prisme de ces quatre adolescentes si représentatives de ce temps-là : « Je n’étais en effet pas né en 68 » confirme le metteur en scène

avec un petit sourire au coin des lèvres « mais bien sûr, comme beaucoup, j’ai peu à peu réalisé que ces événements ont profondément changé le visage de notre pays. Pour moi, mai 68 aura essentiellement provoqué la prise de parole des femmes et la fin de cette vieille société patriarcale et catholique… J’ai beaucoup été aidé par Romain Goupil, que je connais bien et qui fut un acteur de premier plan de ces événements, à l’époque : il m’a aidé à comprendre certains décalages, comme Clémence, qui justifie son activisme aux côtés des manifestants :

‘‘Ce sont les enfants de Rimbaud qui étaient dans la rue, en mai de cette année-là.’’ ‘‘Ce qui compte, c’est l’engagement. Pour les idées, on verra plus tard…’’. Ça, Romain l’a entendu de ses oreilles en 68…» En permanence seules en scènes, ces quatre jeunes filles (puis jeunes femmes au fil des années qui passent) sont interprétées par des comédiennes remarquables, Virginia Danh, Morgane George, Aline Stinus et Fanny George dont on connaissait déjà les talents de chorégraphe mais beaucoup moins ceux de comédienne. Le flair de Lionel Courtot est passé par là…


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Photo :

Nicolas Roses

Texte :

Jean-Luc Fournier

Ci-dessus, de gauche à droite : Aline Stinus - Fanny George Lionel Courtot - Morgane George Virginia Danh

Le bac en poche, les quatre complices deviendront étudiantes à Paris. Les caractères s’affirmeront : Clémence, qui a la rébellion dans les gènes, épousera rapidement toutes les causes des étudiants avant de se lancer corps et âme dans la lutte féministe tandis que Marie, encore si imprégnée du modèle familial, se mariera dans le seul but de pouvoir fonder une famille. De son côté, Babette, issue d’une famille paysanne, aura beaucoup de mal à vivre à fond la contestation tant elle est irréductiblement romantique. Clara, elle, luttera en permanence contre sa haine du général de Gaulle et la nostalgie de son «pays natal». Quand surviendront les événements de mai 68, toutes se retrouveront face à elles-mêmes et leurs vies en seront marquées à jamais…

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“ET FOUS LES ENFANTS DE RIMBAUD…” Le vent de mai est un spectacle incroyable de sensibilité et de talent. Tout se conjugue pour donner le frisson et les années s’écoulent, ponctuées par les hits de l’époque qui rythment l’intrigue ; on y entend, entre plein d’autres, Simon & Garfunkel, les Stones, Françoise Hardy, Stand by me, le somptueux Mai, Mai, Mai, Paris Mai de Claude Nougaro… Quand les musiques résonnent, les comédiennes se transforment en danseuses sous la houlette de Fanny George, qui remet ainsi «sa casquette de chorégraphe», pour le grand plus grand plaisir de nos yeux. Parmi les grands moments, la célèbre nuit des barricades du 10 mai 68 est ici évoquée par les quatre comédiennes sous les spots rouges et une scène nimbée de fumée artificielle. Elles construisent leur barricade avec quatre simples tabourets de bois mais le bruit et la fureur de cette nuit-là sont incroyablement restitués. Il en faut du talent pour parvenir à ça…

Un autre moment de grâce fera certainement l’unanimité : seule sur scène, la magnifique Virginia Danh, qui, en plus de ses études d’art dramatique s’est aussi formée aux arts du cirque, s’empare d’une perche suspendue aux cintres sur les premières mesures cristallines de la guitare de JeanMichel Caradec interprétant Mai 68. Quand Virginia s’envole dans les airs, s’en suivent trois minutes inoubliables, où les arabesques dessinées par sa longue chevelure de jais et les rais bleutés de la lumière disent mieux que tout l’esprit de ce «Vent de mai». C’est un moment d’une poésie absolue où le temps n’existe plus : les soixante-huitards aujourd’hui sexagénaires ont les larmes aux yeux à l’écoute de cette chanson exhumée du tréfonds des décennies par l’incroyable Lionel Courtot (mais comment fait-il, bon sang ?..) et les plus jeunes retiennent leur souffle en écoutant Caradec : «Perché sur une barricade, L’oiseau chantait sous les grenades Son chant de folie était beau Et fous les enfants de Rimbaud Au Royaume de France…» Bravo M. Lionel, vous avez tout compris, ce sont les enfants de Rimbaud qui étaient dans la rue, en mai de cette année-là. Les programmateurs des centres culturels et théâtres de France tiennent là un petit bijou. Tout le mal que l’on souhaite à Lionel Courtot, ses comédiennes et son équipe technique (à féliciter elle aussi) est que cet alizé de mai souffle bientôt partout… www.atelierdupremieracte.fr info@atelierdupremieracte.fr


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VIOLENCE FAITE AUX FEMMES

Photos :

Nicolas Roses - Violence Femmes Info – Bertrand Guay - DR Amélie Deymier

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Texte :

Classement sans suites ? À partir du récit de l’agression de l’humoriste Karen Châtaigner, un état des lieux de la manière dont la parole des femmes victimes de violences est accueillie, et souvent mal entendue, dans le système judiciaire français. Pour Karen Châtaigner, « l’humour fait la force », l’humour est sa force : « Un bouclier pour se défendre, quelque chose pour piquer, un outil pour parler des sujets tabous, sensibles ou graves » comme la place des femmes dans la société, dont elle ne cesse de déconstruire les stéréotypes dans ses conférences-spectacles. Karen dit aussi avoir une grande gueule qui lui est souvent très utile, mais qui peut parfois lui porter préjudice. Ce fut le cas, selon elle, à l’automne dernier dans la forêt de Pourtalès. C’est là que nous avons recueilli le récit de son agression. « TU CONNAIS LE #BALANCETONPORC ?... ET BIEN T’ES MON PORC DE LA JOURNÉE ! »

225 000 C’est le nombre de femmes qui déclarent avoir été victimes de violences physiques et/ou sexuelles par leur conjoint ou ex-conjoint. Moins d’une femme sur 5 déclare avoir porté plainte*.

Un samedi de novembre en 2017. Karen part faire son footing quotidien. Un moment pour elle dans un endroit où elle se sent libre, où elle se sent bien. Karen croise une autre joggeuse - complicité tacite entre deux femmes qui n’ont pas peur de courir seule en forêt. Karen s’enfonce dans les bois, confiante, portée par l’instant. Au détour d’un sentier, elle tombe nez-à-nez avec un homme, la quarantaine trapue dans une tenue de joggeur flambant neuve. Pas vraiment un profil de tueur. De toute évidence il lui a pris comme une envie de se soulager. Monsieur prend le frais au milieu du chemin « sa petite virgule à la main ». C’est vrai qu’il n’y a pas beaucoup d’arbres dans la forêt de Pourtalès. Karen et sa grande gueule ne peuvent s’empêcher de le lui faire remarquer, même si elle a entendu mille fois qu’il est dangereux pour une femme de courir seule dans les bois. L’homme, le sexe fort, la défie du regard... et du reste. « La petite virgule s’est tout à coup transformée en une grosse épée ». Karen n’apprécie pas du tout la vue. Elle assène : « Tu connais le #balancetonporc ?... Et bien t’es mon porc de la journée ! ». Et enchaine son portable à la main : « On fait une photo ? ». Les porcs n’aiment pas prendre la pause, Monsieur range son épée, prend un air pincé et lui envoie un : « Non mais ça

va pas ! » censé la culpabiliser et le délester avec ça de sa honte à lui, avant de repartir en courant la queue entre les jambes. Karen n’a pas non plus peur des mots. Elle a dit ce qu’elle avait à dire, ce qu’elle devait dire. Elle reprend sa course, retourne à son moment à elle, l’image du porc et de son épée s’estompant un peu plus à chaque foulée. Karen arrive bientôt dans une clairière où elle a l’habitude de s’étirer. C’est là, dans ce moment de vulnérabilité, alors qu’elle est toute à ses muscles endoloris par la course, toute à la récupération de son souffle, qu’il surgit de nulle part. « Il m’a poussée par terre. Et là, t’es juste une victime, t’es plus qu’une proie. Il essayait d’aller sur moi pour attraper mon portable, mais ça je ne l’ai compris que plus tard. Alors j’ai battu des pieds de toutes mes forces pour ne pas le laisser s’approcher. Et j’ai appelé à l’aide comme jamais de ma vie j’ai crié. C’était instinctif.» « MON MARI N’Y EST POUR RIEN, J’ÉTAIS LÀ » Heureusement pour Karen des promeneurs interrompent l’agression. L’autre joggeuse, qui-n’a-pas-peur-de-courir-seule-en-forêt, arrive à son tour. « La première chose qu’elle a dite c’est : mon mari n’y est pour rien, j’étais là. » Une parole mensongère qui encore aujourd’hui révolte Karen : « Elle m’a déçue... Il y a des femmes qui soutiennent ces attitudes-là, parce-que c’est son mari, parce-qu’on lui a appris à le protéger... » Cette parole sème suffisamment de doute pour influencer la réaction des témoins : « J’avais mal, j’étais choquée... personne ne m’a aidée à me


Karen Châtaigner

relever, personne n’a appelé la police. Personne ne s’est... investi dans un discours quelconque. » Sous le choc, Karen retourne à sa voiture en claudiquant, escortée mais sans aucun soutien physique ou moral. « Je suis rentrée dans ma voiture et j’ai éclaté en larmes ». Quand son amie Véronique arrive sur le parking du parc de Pourtalès une demi-heure plus tard, Karen est confuse, elle tremble de tout son corps et dit ne pas vouloir porter plainte, juste rentrer chez-elle. « Tu es blessée, tu ne veux pas te montrer aux autres, comme les animaux blessés quand ils se cachent, c’est exactement la même réaction... Si Véronique n’avait pas insisté, je n’y serais pas allée ». UNE SENTINELLE REVÊCHE…

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Aux urgences de Sainte-Anne, Karen est accueillie comme une patiente, pas comme une victime. Aucun protocole, aucune prise en charge particulière. Elle est simplement invitée à patienter en salle d’attente. Idem pour le médecin. C’est l’infirmière qui saura trouver les mots justes : « Quoiqu’il en soit vous êtes une victime et vous n’avez à vous justifier de rien... Elle a vraiment dit ce qu’il fallait dire ». Quelque peu revigorée par cette parole, soulagée par le décontractant musculaire prescrit pour détendre son corps tétanisé, Karen est

conduite par son amie au commissariat central de Strasbourg pour déposer plainte. « De tout ce qu’on a vécu dans la journée, c’était le pire moment » se souvient Véronique. Après quelques minutes d’attente les portes s’ouvrent enfin sur une sentinelle revêche, « bazooka en main », qui leur demande pourquoi elles sont là ? Karen, dont la jambe la fait énormément souffrir, prend le temps de s’asseoir. « Je me suis dit : ‘‘maintenant on m’écoute !’’ ».


Mais le hall est plein à craquer. Un policier leur explique qu’il y a 4h d’attente et conseille à Karen d’attendre lundi pour porter plainte dans le commissariat de son quartier. Véronique est hors d’elle. Elle questionne le policier quant aux chances de retrouver l’agresseur : « le policier a haussé les épaules l’air de dire : en gros tu déposes plainte mais il ne va rien se passer. J’étais choquée ».

‘‘Déposer plainte n’est pas anodin,

Photos :

Nicolas Roses - Violence Femmes Info – Bertrand Guay - DR Amélie Deymier

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derrière, il y a la possibilité de se

confronter à son agresseur ou à un classement sans suite s’il n’y a pas assez de preuves’’

C’est à cause de ce genre de témoignage que les militantes féministes du groupe F et du Tumblr « Paye ta police » on eu l’idée de lancer début mars le #payetaplainte sur le modèle du #MeToo. Dans les dix premiers jours elles ont récolté plus de 500 récits. Neuf sur dix racontaient une mauvaise prise en charge. Si Lucie Groussin du Groupe F précise que cet appel n’est pas « une étude scientifique », il n’en démontre pas moins des « faits récurrents, massifs et signifiants ».

93 000 C’est le nombre de femmes qui déclarent avoir été victime de viol ou tentative de viol. Parmis elles, 9 victimes sur 10 connaissent l’agresseur et moins d’une victime sur 10 déclare avoir déposé plainte*.

« QU’EST-CE QUI SE PASSE UNE FOIS QU’ON A DIT #METOO » ? Karen trouve finalement une écoute, un suivi et un soutien, deux jours plus tard dans le commissariat de son quartier : « Le lendemain le policier qui avait pris ma plainte m’a appelée pour savoir si j’avais réussi à dormir, si j’allais mieux. » Le surlendemain c’est une assistante sociale qui la contacte comme Annick Lecerf qui reçoit les victimes au commissariat central de Strasbourg : « Notre travail consiste à faciliter la parole et à aider les personnes dans leurs démarches avant et après le dépôt de plainte qui n’est pas une fin en soi. Il s’agit d’évaluer les besoins, pas la demande. Et ensuite, d’orienter les personnes vers les associations qui pourront les aider » Elle ajoute : « Déposer plainte n’est pas anodin, derrière, il y a la possibilité de se confronter à son agresseur ou à un classement sans suite s’il n’y a pas assez de preuves. » Ce qui peut générer un fort sentiment d’injustice et d’insécurité chez les

victimes. Les moyens sont donc là, mais pas assez déployés. Léa Tolédano, avocate au barreau de Strasbourg, confirme : « Pour être tout à fait honnête il y a à boire et à manger... Il y a des policiers qui sont très bien formés et il en a d’autres où c’est catastrophique. Tout dépend de sur qui vous tombez ». C’est pour cela que le CIDFF, le Centre d’information sur le droit des femmes et des familles, présidé par Léa Tolédano, organise chaque année des formations sur les violences sexistes à destination des professionnels, y compris des policiers et des gendarmes qui le souhaitent. Alain Schmidt, officier de police judiciaire (OPJ) à la gendarmerie de Molsheim a suivi cette formation. « J’appellerais plutôt ça de l’information. Tous les ans on participe à quatre journées de réunion avec différents acteurs qui interviennent au niveau justice, social, médical, etc. C’est suite à ces quatre journées qu’on nous met l’étiquette de référent VIF ». VIF pour violence intra-familiale, car 70% des violences faites aux femmes sont des violences conjugales. Une formation « assez sommaire » reconnaît Alain Schmidt. « En fait le référent VIF donne beaucoup de lui-même. J’ai déjà passé 4h avec certaines personnes à discuter avant que l’on attaque la procédure. Il faut prendre le temps et avoir les moyens de le prendre. Ça dépend beaucoup de la sensibilité des enquêteurs. C’est pour ça que quand on demande des référents VIF, ça ne se bouscule pas au portillon. Il faut avoir le sens de l’accueil, de l’écoute ». L’accueil est en effet très important, c’est un premier filtre déterminant : « Quand une personne se présente, ça va très vite, on peut très vite passer à côté. Un mot et elle fait demi-tour, on l’a perdue. Ce sont les première secondes, les premières minutes qui définissent tout le reste. Si vous n’êtes pas mis en confiance tout de suite, si on vous donne l’impression de prendre ça à la légère, c’est fini. » Depuis une dizaine d’années les gendarmes travaillent avec des ISG, des intervenantes sociales de gendarmerie. Elles assurent un suivi et ont un réseaux d’intervenants sociaux qui permettent d’essayer de trouver des relais possibles adaptés au rythme de chaque situation. L’OPJ quant à lui a un rôle « de courroie de transmission. Il doit faire accoucher d’une parole et la retransmettre au magistrat ». Ensuite, « on a trois minutes pour résumer la situation au magistrat et lui fournir assez d’éléments pour être sûr que


Alain Schmidt

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la personne va être poursuivie. » dit Alain Schmidt. « C’est comme partout, il y a des enquêteurs moins bons que d’autres, il y en a qui n’ont pas envie d’aller creuser et de chercher... » Il ajoute : « L’avantage avec un petit parquet comme à Saverne (dont dépend la gendarmerie de Molsheim) c’est qu’il y a trois magistrats qui connaissent tous les OPJ. Ils savent que quand tel enquêteur leur dit un truc, ils peuvent y aller, que son dossier va être bétonné. C’est une relation de confiance. Ce que n’ont pas forcément les enquêteurs qui travaillent sous le ressort du TGI de Strasbourg qui est une véritable usine, où vous avez une vingtaine de magistrats qui sont d’astreinte à tour de rôle et sont submergés ». Conséquences, certaines enquêtes qui auraient été poursuivies à Saverne, vont être classées sans suite à Strasbourg. Comme l’a très justement dit Tarana Burke, la fondatrice du #MeToo, lors de la conférence United State of Women Summit à Los Angeles le 5 mai : « Me Too, ce sont deux mots magiques qui ont galvanisé le monde... Le travail qui doit avoir lieu maintenant, c’est : qu’est-ce qui se passe une fois qu’on a dit #MeToo ».

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Dans cinq mois, la plainte de Karen sera définitivement classée sans suite. Son agresseur restera probablement impuni. Mais Karen veut aller de l’avant : « C’est un état d’être une victime. Je me battrai toujours pour ne pas en être une ». C’est pour cette raison que dès qu’elle a pu à nouveau s’appuyer sur sa jambe, la première chose qu’elle a faite, c’est de mettre ses baskets et de retourner en forêt ». * Violences faites aux femmes en France en 2016 (source : stop-violences-femmes.gouv.fr)

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CHRISTOPHE KOCHER L’étonnant pasteur

Photo :

Alban Hefti – Nicolas Roses Alain Ancian

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« Il faut sauver Saint-Guillaume ! » C’est par le biais de cet appel aux dons financiers devant permettre la restauration complète de l’atypique église du quai de Bateliers que nous avons fait la connaissance de Christophe Kocher, le pasteur de la paroisse. Le moins que l’on puisse dire est que nous avons découvert un personnage surprenant… Ce quadragénaire, natif de Niederbronn, nous reçoit dans une salle de réunion du presbytère de SaintGuillaume, niché au fond d’un petit jardinet le long d’un mur de la vénérable église qui marque l’entrée du quai des Bateliers à Strasbourg. Et tout de suite, nous sommes frappés par le ton apaisé de sa voix, prélude à un dialogue ouvert où la précision des mots n’aura d’égale que la franchise des propos. « ON NE FAIT QUE CONSTRUIRE, ET ENCORE CONSTRUIRE… » Et c’est sans la moindre forfanterie que Christophe Kocher nous raconte son arrivée à Strasbourg, en 2009. « J’ai été sollicité par le Conseil presbytéral de la paroisse : en fait, ses membres cherchaient le mouton à cinq pattes » se souvient-il avec un petit sourire entendu. « Le pasteur recherché devait être de théologie assez libérale, capable de gérer une structure importante qui se rapproche plus de l’entreprise qu’une paroisse ordinaire, capable de comprendre les enjeux du monde moderne et, cerise sur le gâteau, il devait s’y connaître en musique, eu égard à la tradition du lieu (la réputation du chœur amateur de Saint-Guillaume, fondé en 1885, a depuis longtemps largement dépassé les frontières strasbourgeoises – ndlr). Sur ce dernier point, il se trouve que j’avais fait les classes du Conservatoire, parallèlement à mes études. Pour le reste, je suis titulaire d’un MBA Marketing. Mon profil a paru convaincant, et j’ai donc quitté l’église protestante de Lausanne où j’exerçais pour rejoindre Saint-Guillaume… »

Immédiatement, le ton a été donné : « En fait, la paroisse avait accumulé les difficultés durant la décennie précédente. On m’a assez bien résumé la situation : ‘‘À Saint-Guillaume, il est minuit moins le quart, soit tu réussis, soit on ferme !..’’ C’était un vrai défi à relever et pendant pas mal de temps, ma formation et les missions de consultant que j’avais menées précédemment m’ont été fort utiles, je l’avoue. Il a fallu assainir une situation très dégradée et il m’a fallu ‘‘prendre sur moi’’, comme on dit. C’est simple : pendant des mois, j’étais pasteur le jour, et je faisais le secrétariat le soir et la nuit venus. On est parvenu ensuite à embaucher un administrateur qui a remis peu à peu les choses en état, ce qui fait que deux ans après mon arrivée, j’avais à mes côtés une nouvelle équipe assez formidable et, devant moi, des perspectives beaucoup plus positives. Entretemps, j’avais acquis la conviction que ce lieu et cette paroisse recelaient des potentiels énormes qui étaient très loin d’être tous exploités. Et depuis, en fait, on ne fait que construire et encore construire car il reste encore beaucoup de défis à relever… » (lire plus avant l’encadré sur l’imposant chantier en cours) LGBT : UN ACCUEIL INCONDITIONNEL… Hormis les membres de la paroisse protestante de Saint-Guillaume, les Strasbourgeois (et même le reste de la France) ont entendu parler pour la première fois du pasteur Kocher lors des intenses débats et polémiques autour du mariage pour tous. Une fois la loi votée, la question de la bénédiction des unions civiles entre personnes du même sexe s’est posée à l’Eglise protestante. Christophe Korcher se souvient bien des débats d’il y a quatre ans maintenant : « En fait, je me suis assez vite rendu compte qu’ils étaient pipés. La vraie question n’était pas de savoir s’il fallait bénir ou non ces mariages, à grand renfort de références théologiques ou de textes de la Bible : non, la vraie question était celle de l’homosexualité. Sincèrement, quand j’ai entendu ce qui pouvait être dit, dans des lieux sacrés, par des gens se réclamant du Christ, tous ces propos qui excluaient, qui méprisaient parfois, je me suis dit qu’il fallait faire quelque chose, tout simplement. Il fallait qu’au beau milieu


de tout ce qu’on entendait, il fallait une réelle parole d’Eglise car les médias risquaient d’être réduits à affirmer que les Chrétiens étaient contre les homosexuels. Pour moi, les personnes homosexuelles se devaient d’être accueillies dans les communautés de foi telles qu’elles sont, inconditionnellement. On a donc organisé une première célébration dans le cadre de la Marche des visibilités en 2014 et, avec les personnes qui sont venues, nous avons ensuite défilé au sein de la Marche. À la suite de ça, on a reçu ici quelques courriers anonymes très agressifs et sectaires. Certains me prédisaient l’enfer… Ensuite, on a constitué un groupe interreligieux qui comprend même deux imams inclusifs, ce qui est quand même assez exceptionnel. Il faut imaginer une célébration à l’église, avec un imam qui psalmodie en arabe, le chantre de synagogue qui l’accompagne au piano et le rabbin libéral qui est là lui aussi : oui, ce sont des choses extraordinaires. On travaille aussi avec un évêque gallican, et aussi, bien sûr, avec les catholiques qui nous soutiennent, disons un peu plus discrètement… Plus généralement, je pense que, dans une paroisse, on doit être au diapason de la vraie vie et que le christianisme et l’Évangile nous appellent à dépasser les frontières, décloisonner et surtout, à accueillir et respecter l’autre tel qu’il est, avec ses convictions, sa culture, ses modes de vie… On a beaucoup à apprendre des autres, surtout quand ils ne pensent pas comme nous… »

‘‘Sincèrement, quand j’ai

entendu ce qui pouvait être dit, dans des lieux sacrés, par des

gens se réclamant du Christ, [...]

je me suis dit qu’il fallait faire 89 quelque chose.’’

Depuis, le petit groupe de départ s’est renforcé et a organisé pas mal de rendez-vous autour de formations au dialogue interreligieux ou à l’inclusivité. Les médias nationaux (locaux, aussi) ont popularisé la démarche de Christophe Kocher qui a donc ainsi pu marteler son credo : « Deux personnes qui s’aiment d’un amour sincère, se respectent, se rendent heureuses, c’est déjà une bénédiction ! En tant que pasteur, je ne fais que placer dessus des mots, des signes qui ont essentiellement valeur de reconnaissance sociale… » Le Conseil presbytéral n’a pas été en reste, souhaitant qu’il y ait plus de célébrations inclusives à l’église Saint-Guillaume, allant même, en septembre 2016, jusqu’à élever le statut du groupe au rang de commission paroissiale. « J’ai bien sûr applaudi des deux mains » raconte le pasteur Kocher « car cela voulait clairement signifier que ce n’étaient pas des actions qui se matérialisaient en dehors de l’Eglise mais bien en son sein. Cette commission est présidée par Joan Charras-Sancho, une théologienne avec qui je travaille depuis cinq ans sur ces sujets »


Photo :

Alban Hefti – Nicolas Roses Alain Ancian

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Pour autant, rien n’est jamais acquis en matière de tolérance. Ainsi, lors des trois jours de Protestants en fête, une manifestation dédiée à la fraternité qui a eu lieu à l’automne dernier, certaines mouvances évangélistes ont menacé de boycotter l’événement au prétexte que le programme prévoyait une célébration inclusive à Saint-Guillaume. « À ce moment-là, tous les pasteurs de Strasbourg se sont mis derrière moi, comme un seul homme. Ils ont tous signé un courrier envoyé à la présidence de la Fédération protestante de France, précisant que cette célébration à Saint-Guillaume était partie intrinsèque du protestantisme strasbourgeois » se réjouit encore aujourd’hui Christophe Kocher. « Avec l’expérience, conclut-il, j’ai le sentiment qu’on peut réussir beaucoup de choses sur les bases que nous avons imaginées à Saint-Guillaume : loin de la provocation gratuite, du militantisme agité, il faut expliquer, parler avec les gens, essayer de leur faire comprendre tous les enjeux. Dans ces moments-là, on vit des choses incroyablement fortes, sur le plan humain et s’il y a des moments où on fait Eglise, au sens fort du terme,

ces moments-là en font absolument partie : comme lors de cette célébration où je souhaitais la bienvenue à tous, quelle que soit l’orientation affective et sexuelle. Un couple de femmes assez avancées en âge a fondu en larmes quand j’ai dit : ‘‘Sentez-vous chez vous’’. Plus tard, après la célébration, elles m’ont avoué que jamais elle n’aurait pensé pouvoir vivre de tels moments... ». Bien sûr, si les célébrations inclusives et les initiatives de la commission ad’hoc ne constituent qu’une petite partie de tous les événements proposés par la paroisse Saint-Guillaume (il faut quand même l’édition annuelle d’une brochure de 64 pages pour tous les présenter), on ne peut qu’être admiratif devant l’énergie déployée par l’étonnant pasteur Christophe Kocher, la force de ses convictions et sa farouche détermination à accueillir tous les humains franchissant le seuil de son église. L’essentiel de son travail va désormais se focaliser sur la levée de fonds en cours, pour financer le vaste chantier de rénovation de l’église (voir encadré ci-dessous).

IL FAUT SAUVER SAINT-GUILLAUME

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Un chantier à 3 millions d’euros À l’origine, dès 1298, le lieu a été occupé par un couvent. Un siècle plus tard, c’est une église catholique qui a été édifiée. L’église Saint-Guillaume est devenue protestante en 1534 et a très tôt fait entendre une voix singulière, audacieuse et différente, avec, au sommet de son célèbre clocher dissymétrique (l’alignement sur les immeubles alentours en est la cause) son ancre, souvenir du temps où elle était l’église des bateliers de Strasbourg. Cette ancre a inspiré son nom à la brasserie voisine l’Espérance, rue des Veaux, et sa célèbre bière Ancre. Outrages du temps, SaintGuillaume est menacée, rongée par une humidité sournoise qui la fragilise. C’est un vaste et long chantier qui s’ouvre, phasé en deux tranches : char-

pente, chapelle, vitraux, drainage dans un premier temps, tribune ouest, nef, narthex, jubé et chœur ensuite. Le coût global des travaux est estimé à trois millions d’euros. Un prêt de la moitié a été contracté par le Conseil presbytéral, pas possible d’emprunter plus afin d’éviter d’être endetté pour deux décennies et ne plus avoir de moyens pour faire vivre la paroisse. Un « fund raiser » a été embauché et une agence de communication mandatée pour parvenir à lever un maximum de fonds, sous l’égide de la Fondation du Patrimoine. Les dons (entreprises et particuliers) peuvent être adressés en ligne via www.fondation-patrimoine.org/55219 ou par chèque à l’ordre de la Fondation du Patrimoine.

Paroisse Protestante Saint-Guillaume, 1, rue Munch, 67000 Strasbourg. Téléphone : 03 88 36 01 36. Mail de contact : info@saint-guillaume.org


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VOIX SANS FRONTIERES

La chorale des ‘‘enfants-soldats’’

Or Norme - DR Jean-Luc Fournier

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En partant pour un énième reportage au sudSoudan il y a à peine plus d’un an, la journaliste strasbourgeoise d’Arte, Sophie Rosenzweig, n’imaginait pas une seconde que ce qu’elle y découvrirait allait l’amener aussi loin sur le chemin de son autre passion : le chant choral. Récit d’une histoire incroyable… À 57 ans, Sophie Rosenzweig est résolument loin des clichés du grand reporter télé qui débarque en urgence sur les lieux de conflit, gagne le rooftop du Hilton local, enfile le gilet pare-balles déniché par un de ses assistants, présente son journal en effectuant des lancements « où l’angoisse s’entend dans la voix » et repart très vite « parce-que-l’info-ne-s’arrête-jamais ! »… Non, si vous veniez à la croiser au marché, par exemple, jamais vous ne pourriez deviner que la femme à côté de vous devant l’étal des primeurs est cette journaliste aguerrie qui en est à son cinquième passeport rempli à ras bord de visas du monde entier. Sophie a toujours eu la passion de la musique et c’est d’ailleurs la pratique de son instrument de prédilection, le violoncelle, qui lui valut un scoop extraordinaire à l’aube de sa carrière, à l’automne 1989, à Berlin, lors de la chute du Mur quand, journaliste débutante à ce qui était encore Antenne 2, elle aperçut la silhouette furtive de l’immense Mstislav Rostropovitch transbahutant son violoncelle avant de s’installer au pied du Mur, à Check-Point Charlie, sous les caméras en direct de la chaîne française rameutées par les soins de la jeune journaliste… CÔTOYER LA DÉTRESSE HUMAINE Sophie Rosenzweig est donc un des piliers de la rédaction de Arte depuis plus de vingt-cinq ans et enchaîne les grands reportages de par le monde. « Quand je suis partie pour couvrir les événements du sud-Soudan en avril 2017, j’ai découvert ces

milliers et milliers de réfugiés qui, à pied, de nuit pour ne pas être interceptés, gagnent l’Ouganda voisin pour échapper à une mort certaine. Là-bas s’est construit, à Bidi-Bidi, le plus grand camp de réfugiés du monde qui doit aujourd’hui abriter plus de 270 000 personnes sur une surface équivalente à celle de la ville de Strasbourg. Nous en étions à l’époque à la création de ce camp, les femmes et les enfants étaient 4 000 à arriver chaque jour… Dans un camp voisin, à Lira, je me suis intéressée aux enfants-soldats ougandais qui concentrent toute l’horreur de cette guerre. Enlevés dans leur village par la LRA (l’armée loyaliste - ndlr), on leur met une Kalachnikov dans les mains, et leur ‘‘examen de passage’’ consiste à abattre froidement un membre de leur propre famille. Ce n’est qu’ensuite qu’ils accèdent au statut de combattant... » « Ces enfants-soldats sont un peu à l’écart des installations du camp et l’horreur de ce qu’on leur a fait vivre les a rendus muets et complètement enfermés en eux-mêmes. J’ai été plus qu’émue par tout ce que j’ai vu là-bas, malgré ma longue expérience professionnelle où j’ai été souvent amenée à côtoyer la détresse humaine. Je me suis demandé ce que je pouvais faire à titre personnel et l’idée a jailli de ma pratique du chant au sein des High Rock Gospel Singers… » Ce groupe a vu le jour à Hautepierre (High Rock…) en 1997, sous la houlette du pasteur Frédéric Setodzo, dont Sophie a fait la connaissance en 2010, lors d’un tournage pour Arte. Ce géant débonnaire, à la voix grave et pénétrante, se rappelle forcément bien des mois qui ont suivi : « J’ai choisi le gospel comme outil pour que les jeunes de ce quartier, qui sont souvent d’origine africaine ou maghrébine, puissent, en chantant, commencer à dépasser leurs difficultés, tout comme l’ont fait les noirs des EtatsUnis, dans les plantations ou dans les ghettos, en ‘‘inventant’’ cette musique. En chantant parmi nous, ces jeunes se socialisent aussi et ils apprennent également à aller au-devant des autres. Pour moi,


c’est être pasteur autrement… Très vite, j’ai sollicité Sophie pour nous accompagner sur la route des esclaves, au Bénin, elle a ainsi pu tourner un film pour France 2… » QUEL CASTING ! « Et je me suis ainsi mise au chant Gospel, d’abord avec les Freedom Voices, puis avec les High Rock » proclame fièrement Sophie. Ce qui n’est pas anodin pour la suite de l’histoire. « J’ai tout de suite pensé à l’idée de résilience » poursuit-elle. « En Afrique, tout le monde chante, quasiment partout, d’un bout à l’autre du continent. Je me suis basée sur mon histoire personnelle : je ne veux pas rentrer dans les détails mais le chant m’a permis d’entamer mon travail de résilience. Je suis persuadée que l’expérience vécue peut se transmettre par le chant. En voyant chanter et vivre, tout simplement, ces gamins de Hautepierre, en voyant Frédéric travailler avec eux, je me suis dit qu’ils pouvaient donner des clés de compréhension à d’autres gamins, ces jeunes enfants-soldats qui ont été enlevés à six ans et libérés à dix-sept et qui, pour l’instant, n’ont aucun moyen de comprendre ce qui leur arrive. Les jeunes africains des High Rock Gospel Singers de Hautepierre sont en fait des africains ‘‘bounty’’ comme on dit, c’est-à-dire blanc à l’intérieur et noir à l’extérieur, et ils peuvent là-bas retrouver des racines : les enfants réfugiés de Bidi-Bidi leur apprennent une forme d’africanité et eux leur apprennent à retrouver leur voix. Ce qui valorise d’ailleurs de façon importante le travail qu’ils ont appris ici. Et c’est aussi pour moi une façon de

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dire merci : le premier qui m’a appris à chanter, c’est Frédéric, et ce qu’il m’a apporté m’a aidée considérablement à tenir debout à un moment de ma vie. Je dois plein de choses à sa pratique a capella de la musique… »

À gauche : Sophie Rosenzweig À droite : Pasteur Frédéric Setodzo

C’est sur cette base, et toujours avec la proche complicité de Frédéric Setodzo, que Sophie a réuni quelques proches ami(e)s pour créer et présider l’association Voix sans Frontières, le support de toutes ces actions en faveur des enfants-soldats d’Ouganda. Parallèlement, Frédéric s’est concentré à sélectionner deux jeunes membres de sa chorale, Dadou et Nadine (lire plus avant) : « Il fallait qu’ils soient capables de communiquer sur le terrain avec le langage de la musique et de faire redécouvrir aux jeunes réfugiés l’inestimable richesse de leur patrimoine musical» dit-il.

‘‘Nous en étions à l’époque à la

création de ce camp, les femmes et les enfants étaient 4 000 à arriver chaque jour… ’’ Les premiers fonds engrangés par l’association, (avec d’entrée une précieuse subvention accordée par la Ville de Strasbourg) un premier séjour sur place a pu être monté en février


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Jean-Luc Fournier

dernier, grâce notamment à la parfaite implication de Jane Ekayu, qui a créé il y a neuf ans la Fondation Children of Peace qui a accueilli plus de 900 enfants pour les protéger des conséquences des conflits. Huit jours intensifs (exclusivement du chant, de 9h à 18h) où Sophie et Frédéric ont volé de surprise en surprise. « Ce qui a été génial, c’est que les enfants-soldats sont restés d’abord très méfiants vis-à-vis de ce qui leur était proposé. Puis, très vite, ils ont en quelque sorte testé les deux choristes strasbourgeois. Leurs voix n’étaient pas encore très installées mais ils étaient très danseurs, des danseurs-guerriers en quelque sorte. Et ils ont incité Dadou à entrer dans leur danse. Il s’est donné à fond et il a réussi. À partir de là, la glace était brisée et tout devenait possible… » sourit Sophie. « C’était comme un examen de passage » renchérit Frédéric, « on a vite compris que tout allait dans le bon sens. Chaque matin, les soixante jeunes réfugiés attendaient avec impatience devant la porte du hangar où on chantait… ». « On est même allé jusqu’à proposer un concert final commun avec les enfants de l’école voisine, car les jeunes enfants-soldats, dont certains sont nés de viols, sont à l’écart des autres jeunes réfugiés scolarisés. Ce qui fut fait et c’était d’autant plus formidable que ces enfants-soldats sont devenus du coup comme des vedettes » raconte Sophie qui précise que, depuis ce séjour initial, les nouvelles provenant d’Ouganda sont bonnes : « On a réussi à former un premier encadrant, aussi le travail se poursuit. En mai, nous sommes retournés sur place pour que Frédéric en forme deux autres qui seront capables de faire avancer le projet tout au long de l’année, grâce à des bandes-son que

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‘‘Chaque matin, les soixante jeunes réfugiés attendaient avec impatience devant la porte du hangar

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où on chantait.’’ Frédéric et Dadou préparent et qu’ils leur sont envoyés via internet… En Ouganda, les enfants préparent activement le concert du 14 juin prochain » Entre-temps, Voix sans Frontières a reçu de nombreux soutiens, profitant du très beau réseau de sa présidente. « Ce concert se déroulera à Lira dans le centre où résident les ex-enfants soldats de l’association ‘‘Children of Peace’’. Ce concert aura un invité exceptionnel puisque le ‘‘papa’’ de la fête de la musique sera présent à Lira ! Jack Lang ancien Ministre de la culture et actuel président de l’Institut du monde arabe viendra

soutenir le travail de ces enfants, qui chanteront avec les High rock pour la fête de la musique. Car, pour 2019, se prépare une première mondiale, la première interprétation de l’hymne de la Fête de la musique qui a été composé tout spécialement par Angélique Kidjo (trois Grammy Adwards à elle seule -ndlr). C’est Jack Lang lui-même qui a convaincu la chanteuse béninoise, que Times Magazine a surnommé ‘‘la diva africaine’’, de composer cet hymne. Elle viendra en personne le chanter l’an prochain en Ouganda et ce sera bien sûr un événement considérable en Afrique. La chorale des enfants-soldats de Lira sera sur scène. Ils seront soutenus par quelques-uns de nos High-Rock Gospel Singers » dit Sophie. Qui ajoute aussitôt avec une belle excitation dans la voix : « Grâce à Evelyne Noiriel et Georges Prats de la société strasbourgeoise Boulevard des Productions, qui soutient Voix sans Frontières depuis le début de sa création, une captation de ce concert est en cours de préparation pour une diffusion live dans les 130 pays du monde qui organisent la fête de la musique… » Enthousiastes, Sophie et Frédéric tiennent aussi à rendre hommage à la Strasbourgeoise Elisabeth Shimmels, qui dirige l’Alliance française de Kampala et à l’Ambassadrice de France en Ouganda, Stéphanie Rivoal qui toutes deux « se démènent pour que les projets de Voix sans Frontières aboutissent… » Parmi ces projets, créer des chorales dans des camps de réfugiés d’autres régions du monde, toujours en lien avec l’implication des jeunes choristes strasbourgeois des High Rock, avec, à terme, un lien fort entre toutes ces chorales des camps. « La voix comme passeport » comme dit superbement Frédéric. « Et toujours le travail de résilience comme objectif » ajoute sa complice journaliste.


SOIS TOI TOUJOURS PLUS RAPIDE PHOTOGRAPHIE RETOUCHÉE

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DEFY PORTÉE PAR SELENA GOMEZ.


MAYIHA-TA (DADOU) ET NADINE RODRIGUES

Ils ont fait chanter les enfants-soldats d’Ouganda Or Norme. Un mot tout d’abord sur votre parcours personnel…

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Nadine Je suis d’origine portugaise et ai vécu au Luxembourg, où habitent mes parents. Je suis arrivée à Strasbourg en 2010 pour suivre mes études de psychologie. Je n’en suis jamais repartie et ma passion personnelle pour la musique et le chant m’a fait entrer en contact avec les High Rock Gospel Singers, dont on n’arrêtait pas de me parler en bien. Je me suis inscrite en septembre 2011 et l’histoire d’amour continue… Je suis une formation d’assistante sociale mais le reste de mon temps est consacré à 80% à la musique. Dadou Je suis d’origine camerounaise et je suis arrivé dans la chorale en 2005, après que des amis qui connaissaient tout de ma passion pour la musique m’aient un peu forcé la main en insistant beaucoup. Je n’ai plus quitté les High Rock depuis et je m’y épanouis vraiment.

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‘‘Quand ils nous ont annoncé ce projet en Ouganda avec

les enfants-soldats dans les

camps de réfugiés, on a bien

mis une demi-heure à réaliser que c’est à nous que tout cela était proposé… ’’

J’ai terminé mes études et je cherche un emploi dans les relations publiques. Pour moi aussi, c’est la musique qui occupe la plus large place dans ma vie. J’ai d’ailleurs beaucoup de projets en commun avec Nadine… Or Norme. L’aventure vécue grâce à Voix sans Frontières… N. Sophie m’a parlé pour la première fois de l’association lors d’un concert qu’on a donné en Tunisie, dans la cadre d’un festival de musiques sacrées. En janvier,

Dadou et moi avons été invités par Sophie et Frédéric à une réunion dont nous ne connaissions rien du thème. Quand ils nous ont annoncé ce projet en Ouganda avec les enfants-soldats dans les camps de réfugiés, on a bien mis une demi-heure à réaliser que c’est à nous que tout cela était proposé… Ce qui était formidable, c’est que ce projet nous -je me permets de parler aussi pour toi, Dadou- ressemblait formidablement et qu’il regroupait toutes les valeurs et les centres d’intérêt que Frédéric nous a transmises avec les High Rock. Ça cadrait même avec tout ce qu’on aimerait faire de nos vies. Ce projet est tombé du ciel… Or Norme. Et sur place ? D. Ce qui a été vraiment magique, en tout premier lieu, c’est l’expérience humaine que nous avons vécue. Dans le contexte des enfants-soldats et des réfugiés, on aurait pu se demander où tout cela nous emmenait. Nous avons rencontré des gens en attente de quelque chose mais nous l’avons présenté comme un partage, un échange et pas comme un apprentissage au sens classique. On a beaucoup parlé, puis on a chanté et au bout de 24 heures, on a commencé à tisser des liens extraordinaires. Et tout s’est enchaîné… N. C’était comme une partie de ping-pong. On leur donnait quelque chose, ils nous renvoyaient autre chose, un vrai échange. Ils nous ont réellement intégrés dans leur quotidien, dans leur vie. C’était incroyable. Quand on chantait ensemble, il y avait une énergie très particulière qui émanait de tous. Ils chantaient et dansaient en même temps, la terre tremblait sous leurs pieds… Dans une semi-pénombre car le soleil se couchait, on s’est à un moment retrouvés entourés par tous ces enfants, ils se sont mis à genoux pour prier et nous avons fait de même. C’était bouleversant…, mes larmes coulaient toutes seules, je n’avais jamais ressenti une telle énergie nulle part… D. Il faut dire que Voix sans Frontières n’avait pas en soi la simple idée de travailler la technique vocale, c’était beaucoup plus large que ça. Le partage a été extrêmement profond et important. La thérapie par la musique a débuté ainsi, en fait… Ils ne savaient plus à quel point ils avaient de la valeur, en tant qu’être humain. Ces jeunes étaient comme éteints, on a alors vu leur visage s’illuminer, leurs yeux se mettre à pétiller, leur sourire


Nadine Rodrigues et Mayiha-Ta (Dadou)

apparaître. Ils ont réalisé qu’ils comptaient, qu’ils étaient importants. C’était incroyable…

20 ans de High Rock Les High Rock Gospel Singers fêteront leur vingtième anniversaire le 24 juin prochain lors d’un grand concert au Palais de la Musique et de la Danse de Strasbourg (17h). A ne pas rater : les entendre chanter, c’est du plaisir direct en intra-veineuse !

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N. On avait un vidéaste avec nous, qui filmait tout ça. Ce n’est qu’en regardant la vidéo qu’ils ont réalisé ce qui s’était passé pendant cette semaine et à quel point ce qu’ils avaient réalisé ensemble était beau. Ça les a incroyablement touchés et émus. Ils ont créé une chanson qu’ils ont d’ailleurs appelée Children of Peace. La chanson dit «Tu peux être ce que tu veux, tant que tu y crois et tant que tu travailles pour ça… » Quand on pense à tout ce qu’ils ont vécu et le regard que la société de là-bas porte sur eux, c’est évidemment un message très fort… Or Norme. Trois mois après votre retour, en quoi êtes-vous tous deux plus riches qu’avant ? N. J’avais déjà conscience que la musique avait un énorme pouvoir. Avec cette expérience, je sais que la musique est une arme, dans le sens positif du terme bien sûr, qui peut faire réaliser des choses magnifiques. Ces enfants nous ont ouvert les yeux sur beaucoup de choses, mon retour ici a été très dur à gérer… D. Bien sûr, on les a aidés à reprendre confiance en eux, on les a réinstallés dans le fait d’avoir plei-

nement conscience de leur valeur. Mais eux aussi m’ont beaucoup apporté : j’ai vraiment réalisé tout l’impact de ce qu’on peut donner à un être humain. Quelquefois, on l’oublie ici, quand on est installé dans notre quotidien… N. On n’a qu’une hâte, retourner en Ouganda, les retrouver… D. Oui, il faut bien avouer qu’ils nous manquent terriblement…


DOSTENA LAVERGNE

ποιήτρια

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*MOT GREC SIGNIFIANT : POÉTESSE

La simple idée d’une interview où elle ne serait pas dans son rôle habituel de journaliste - poser des questions - mais dans l’obligation tacite d’y répondre l’avait un rien amusée une quinzaine de jours avant le rendez-vous fixé à une terrasse près de la gare centrale, sous le généreux soleil de l’épisode estival précoce de début avril dernier. Un peu crispée au départ mais au bout de quelques secondes, après lui avoir fait remarquer que c’était apparemment plus facile de poser des questions que d’y répondre, Dostena Lavergne est partie d’un généreux éclat de rire et on a pu dérouler le fil de son histoire peu commune. « Je suis née à Plovdiv », dit-elle avec cette pointe d’accent slave mais dans un français impeccable « C’est la deuxième ville la plus importante de Bulgarie, qui est aussi la ville européenne la plus ancienne puisqu’on y trouve des traces de plus de 6 mille ans d’histoire continue et des vestiges d’à peu près toutes les cultures antiques, des temples, des églises, des mosquées… comme dans les autres villes levantines des Balkans (du Levant, là où le soleil se lève – ndlr). Juste pour signifier l’énorme richesse culturelle de ma ville natale, il y avait au XIXème siècle des maisons d’édition qui publiaient des ouvrages en bulgare, bien sûr, mais aussi en grec, turc, arménien, hébreu et aussi en français, d’ailleurs. Mon père était journaliste et ma mère prof d’université, ils travaillaient à Sofia et j’ai donc vécu essentiellement avec mes grands-parents. Ce fut une enfance vécue en toute liberté, on rentrait à la maison à 23 h après avoir joué avec des gamins de mon âge pendant des heures dans les rues d’un quartier populaire, formé au début du XXème siècle par des réfugiés égéens, suite aux guerres balkaniques. Plus tard, j’ai fait mes études dans le lycée des civilisations et lanques de l’Antiquité, le grec ancien, le latin bien sûr, et même le sanskrit pour certains.

J’ai grandi dans cette Bulgarie des années 80, un pays qui ne correspondait pas aux clichés généralement entretenus : on était très informés de la culture occidentale à travers la littérature, les romans, le cinéma ou encore la musique qui étaient en accès plutôt libre, loin de la censure totale que les Occidentaux imaginaient. Quand je suis arrivée en France en 1993, j’ai vite réalisé que les gens d’ici ne connaissaient que fort mal notre culture, notre façon de vivre, de penser… Dans un essai que j’ai écrit en 2009, je dis que finalement, malgré la chute du Mur de Berlin et tous les bouleversements à l’Est, du point de vue de l’esprit et de la culture, la rencontre entre l’Est et l’Ouest est encore à venir. Elle a été empêchée par des clichés et par cette idée d’une victoire absolue de la démocratie occidentale contre le “diable” du totalitarisme communiste. Or, aussi bien le capitalisme et encore plus le néolibéralisme, partagent avec ce “diable” un matérialisme qui nie le besoin de la société et de la culture d’un sens métaphysique, de l’incalculable, d’où à mon avis la crise éthique et civilisationnelle que l’on vit de nos jours. On ne pourra s’en sortir qu’à travers une prise de conscience des liens et la parité entre l’Ouest et l’Est européens. On a besoin d’un vrai élargissement intellectuel et spirituel, d’un “fertilisant” puissant qui seul pourra sauver l’élargissement politique et économique. » « J’AI APPRIS À AIMER L’ALSACE » Sacré parcours que celui de Dostena : à 17 ans, elle réussit un premier concours qui lui permet de passer un an aux États-Unis, dans le cadre d’un échange binational. Là-bas, elle réussit un diplôme américain qui aurait pu lui permettre de poursuivre son aventure d’outre-Atlantique mais la famille (c’est loin l’Amérique — !) l’a incitée à rentrer en Europe. « Ma tante et mon oncle Alsacien habitaient et habitent toujours à Strasbourg, c’était plus proche de la Bulgarie et il y avait plus de valeurs communes entre nos deux pays qu’avec les États-Unis », dit-elle aujourd’hui en riant. Elle apprend alors seule le français et passe un concours au bout de quelques mois (en écrivant sa copie en latin… « Heureusement, l’examen portait sur un texte de Roland Barthes qui écrit presque en latin ! » plaisante-t-elle) et, passionnée d’an-


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thropologie, bénéficie d’une bourse accordée par l’Université de Strasbourg pour aller étudier un an au réputé Institut d’ethnologie de Neuchâtel. De retour en Alsace, elle s’oriente vers les relations internationales et les sciences politiques, en prévision d’un éventuel retour en Bulgarie.

Depuis 2013, Dostena est devenue journaliste dans l’édition quotidienne des DNA, en charge notamment de l’actualité culturelle (Région culture, Reflets), tout en s’occupant des cours en anthropologie politique et en anthropologie de l’art contemporain qu’elle donne à l’Université de Strasbourg.

Ce retour n’aura pas lieu. C’est l’amour qui va décider de l’avenir de Dostena. Un mariage en Alsace à l’âge de 21 ans, puis une fille, Marie. Il lui a fallu accepter de vivre en Alsace : « Pour moi qui suis une méditerranéenne, je craignais le manque de lumière et je n’aurais donc pas spontanément choisi de vivre ici. Mais voilà : j’ai même travaillé pour la revue Les Saisons d’Alsace en tant que coordinatrice éditoriale tout en poursuivant une thèse en anthropologie politique à l’EHESS à Paris et en continuant à manager ou concevoir des projets et des festivals littéraires à l’étranger, Grèce, Egypte, Slovaquie, notamment… À travers la revue j’ai appris à mieux connaître et à aimer la culture et l’histoire de la région, au point que, désormais, l’Alsace me manque quand je la quitte un peu trop longtemps… »

« TU ES MAGIQUE, TU ES POÈTE !.. » C’est donc l’écriture qui semble l’avoir définitivement saisie. Son CV aligne déjà des collaborations à des revues européennes de sciences sociales ou d’ethnologie réputées, ainsi que la signature de nombre de livres (à paraître prochainement, un alléchant : ‘‘Les Think Tanks : imposteurs de la démocratie’’). Très tôt, Dostena s’est notamment retrouvée plongée dans l’univers de la poésie : « J’ai commencé à écrire des poèmes… sans même savoir écrire » se souvientelle en souriant, « c’est ma grand-mère qui rédigeait les sensations que je lui décrivais… J’ai ce souvenir particulier d’un jour où nous étions toutes les deux à la montagne - les Rhodopes, là où dit-on est né Orphée. J’étais face à une fenêtre par laquelle


j’admirais un grand pin. Il s’est mis à pleuvoir. Alors j’ai ouvert la fenêtre et commencé à lui adresser des mots, comme une espèce d’incantation primitive, mue par un profond émerveillement. Pour moi, l’émotion et la connaissance logique s’allient dans la poésie, dans cette “imagination cognitive” dont parle l’anthroposophe Rudolf Steiner. On a tellement fragmenté le savoir, notre façon de percevoir l’univers qu’on a tendance à considérer la recherche et la poésie comme deux mondes séparés. Moi, au contraire, j’apprends à mes étudiants en ethnologie que pour faire un bon travail d’ethnographie, le plus important est que cela leur tienne à cœur et qu’ils conservent la capacité à s’émerveiller, à

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‘‘J’ai commencé à écrire des poèmes sans même savoir écrire.’’ redécouvrir des choses qui soutiennent la vie et sont d’une simplicité si éblouissante qu’on finit par ne plus les voir, ensevelies sous des tonnes de discours ou de préjugés. La poésie à laquelle j’aspire, peut créer du réel et du vrai avec des mots qui ont la capacité de nous sauver du “refroidissement ultime dans les machines”, du cauchemar transhumaniste — une éternité physique sans âme. C’est un pari avec le temps, “exercice, insoutenable de sincérité” dont je parle dans mon dernier recueil de poèmes.» « Longtemps, ici en France, je me suis cachée être poète alors que j’étais traduite et publiée dans des langues que je ne parle pas, et invitée aussi par des festivals de par le monde. Comme en Colombie, où on lit de la poésie devant 10 000 personnes et des enfants viennent te demander des autographes parce que tu es poète. Pour eux, tu représentes la figure d’un magicien, d’un prophète même. Ici, quand tu te dis poète, et qu’en plus tu es une femme, tu risques d’être vite, parfois inconsciemment, associée à la caricature de la bourgeoise “sensible” qui brode des mots pour combler un vide existentiel… Non, au contraire, la poésie est une entreprise risquée qui demande du courage parce que les mots ont une puissance dont on a oublié la portée ! Surtout la puissance de transformer ce sentiment de fatigue et d’usure que nous ressentons tous un jour ou l’autre face à une civilisation atteinte par le désir de mourir en se vidant d’abord du peu de sens et d’éthique qui lui restent… Parce que, comme le dirait le grand

poète anglais Percy Bysshe Shelley dans son “Défense de la poésie”, elle est à la fois le centre et la circonférence du savoir, son alchimie secrète transformant en élixir les eaux empoisonnées qui coulent de la mort dans la vie…» IL EST TEMPS À la fin de l’année passée, Dostena a publié Il est temps, son premier recueil de poésies en langue française, son cinquième toutes langues confondues. Très bien édité, ce beau livre contient une trentaine de poésies et est illustré par des œuvres surprenantes de Valer, un peintre bulgare contemporain qu’elle a tenu à présenter dans un très bel avant-propos. On y lit notamment ces lignes : « Heureusement, il y a toujours des artistes qui ne cèdent pas aux sirènes de passage et œuvrent avec persévérance pour rétablir et révéler les liens, là où la funeste fragmentation du monde décourage notre espoir métaphysique, notre confiance dans la beauté que nous portons et transmettons de génération en génération…» On ne la connaîtrait pas un peu qu’on jurerait, sans doute de façon mesquine, qu’elle a trouvé là, l’air de rien, le moyen de parler d’elle. Mais non : on constate assez facilement combien poésies et illustrations se répondent l’une à l’autre et célèbrent, à parité, comme Dostena l’écrit merveilleusement cette « inspiration rendant la vie respirable et désirée, comme le ciel ». « Il était temps pour moi de redevenir entière ici où j’ai construit une vie. Ce recueil est un acte d’amour et d’espoir qui puise sa force dans toutes les cultures que j’ai appris à aimer, notamment à travers la littérature, comme par exemple la Grèce dont j’ai traduits des poètes ou des auteurs d’essais philosophiques. Et si mes poèmes ont atteint le cœur d’Isaka, une compositrice, musicienne et chanteuse française, une alsacienne, et femme sauvage, c’est qu’ils ont réussi à prendre racine ici et pourront je l’espère fleurir, donner des fruits et nourrir ‘‘son peuple’’ » conclut-elle.

LE 9 JUIN À 16H À LA LIBRAIRIE KLÉBER Le recueil de poèmes Il est temps (Editions Belladone, Paris, 2017, 14€) de Dostena sera présenté sous la forme d’une lecture musicale, mise en musique par Isaka dont le piano et le chant accompagneront « À fleur de mots » la voix de la poétesse. Certains textes sont ainsi devenus des chansons, d’autres cheminent en musique. Le spectacle accompagnera également le vernissage de l’exposition éponyme de l’artiste Valer, dont les dessins et les tableaux illustrent le livre de Dostena.


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DIMITRI LIÉNARD Six jours plus tard... Retour avec le héros de cette soirée incroyable qui a vu le Racing terrasser Lyon grâce à ce coup franc phénoménal de Dimitri Liénard qui a littéralement fait exploser la Meinau et, dans la foulée, toute l’Alsace. S’il a été absolument certain de jouer la saison prochaine en L1 avant même le dernier match à Nantes, le Racing le doit à ce joueur atypique et à son inspiration de génie à la 96ème minute de ce match de légende…

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Six jours pleins. Il aura fallu six jours pour qu’enfin, Dimitri Liénard puisse trouver le quart d’heure nécessaire pour répondre à nos quelques questions. In extremis, à la veille du dernier match contre Nantes et juste avant de s’envoler en vacances, au début de la semaine suivante. Ce sont d’abord des excuses que nous livre ce garçon poli et sincèrement respectueux, des excuses pour nous avoir fait patienter durant cinq jours. On lui dit que ce n’est rien, qu’on en a vu d’autres et que l’essentiel est bien de pouvoir enfin se parler. D’ailleurs, ce délai n’est-il pas au fond une bonne affaire ? La fièvre retombée, comment le héros de la 96ème minute analyse-t-il son exploit ? « ET J’ENVOIE LA PRALINE… » À peine une demi-seconde de réflexion et Dim se lance : « Et bien, tout compte fait, je crois que c’est aujourd’hui un sentiment de fierté absolue qui domine. Jamais de la vie je n’aurais imaginé vivre un tel moment. Car un geste pareil, c’est forcément particulier : un but sur coup franc direct, on ne le marque pas en claquant des doigts (sic), ce n’est pas un truc que tu réussis à chaque fois. Sur ce coup-là, t’es tout seul avec toi-même et, comme ce n’est pas le premier que je tire, je sais très bien ce que je dois faire. Sauf que là, c’est le dernier instant du dernier match de la saison à domicile, je suis naze de fatigue, il y a 2-2 au tableau d’affichage, et même si je ne connais bien sûr pas les résultats des autres matchs, je suis assez lucide pour me dire que si je le rentre, ça pourrait bien signer notre maintien en Ligue 1. Ce qui est drôle, c’est que ce n’est pas moi qui dois forcément le tirer, on est un peu décalé du côté gauche, c’est pour un droitier, normalement... C’est pour Gonç (Anthony Gonçalves – ndlr), mais

il me dit : “Je suis mort, tire-le, j’ai confiance en toi”. Un instant, je me dis que je ne suis pas Beckham, moi, et que moi aussi je suis mort, à bout de souffle. Et Anthony insiste : “Si tu le sens, tire-le !’’. Pendant que l’arbitre fait respecter le placement du mur à 9 mètres, je dis à Gonç : “Si je le tire, je cherche la lucarne côté ouvert !”. “Tu peux le faire” il me répond. Et à ce moment, je pense de nouveau que je suis crevé. Et je me dis en un dixième de seconde que c’est le coup franc ultime, qu’il n’y aura rien derrière, juste le gong. L’arbitre siffle. Je respire un grand coup et j’envoie la praline ! Je me souviens que j’ai vraiment pris le temps de bien regarder si c’était au fond et ensuite… pfff… ça a été la folie, un truc inexplicable avec des mots. Depuis six jours, je n’entends plus parler que de ça. Du coup, je me dis que je vais laisser une trace, voilà… » UNE SAISON DE FOLIE Désarmant de naturel et de spontanéité, Dimitri Liénard répond sans hésiter à notre envie de connaître son avis sur cette première saison de Ligue 1, pour lui depuis toujours et pour le Racing depuis si longtemps : « Bon, je vais faire simple. C’est désormais évident pour tous, je pense : à Strasbourg, il n’y a rien de normal : une saison “normale”, ça ne peut pas exister. Cette saison au plus haut niveau a

‘‘Après ce coup franc, on a tous respiré et tout le peuple du Racing avec nous...’’


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été littéralement épuisante. Jusqu’à Noël, il y a eu des hauts et des bas après un début difficile où il nous a fallu prendre la mesure de la Ligue 1, mais globalement, surtout après le coup de tonnerre de notre victoire contre le PSG et le public de la Meinau en feu, on a été pas mal du tout. Puis, juste avant la trêve, tout s’est déréglé et c’est devenu une saison de folie, des semaines et des semaines où plus rien n’allait. Jusqu’à ce coup-franc contre Lyon… Du coup, les jours qui ont suivi, nous les joueurs, le staff, les dirigeants, on s’est tous redécouverts comme de nouvelles personnes, plus détendues, plus cool. Moi-même, à la maison, je me suis senti si bien, un sacré changement par rapport à ces derniers mois. Je voudrais profiter de cette question que vous me posez pour dire aux gens que nous, les joueurs, nous nous sentons souvent comme des machines et c’est

normal car, toutes les semaines, on est conditionné pour être au top, individuellement comme collectivement. Un peu comme une écurie prépare sa F1 pour le Grand Prix suivant. Mais nous restons cependant des humains, avec nos joies, nos doutes… Je ne sais pas si tout le monde se rend compte de cette pression-là : bien sûr on est très bien payés, bien sûr qu’on fait un métier qui fait envie, mais il y a des enjeux démentiels chaque semaine et quand on sort d’un long tunnel comme nous venons de le faire, on mesure bien toute cette pression qui a été en permanence autour de nous depuis août dernier. Alors oui, après ce coup franc, on a tous respiré et tout le peuple du Racing avec nous et même quasiment tous les Alsaciens : c’est ce soulagement que je retiens, c’est ce qui me rend heureux. Par-dessus tout… »


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Franck Kobi RCSA – DR Jean-Luc Fournier

Texte : OR PISTE

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LE RÊVE ET LA FÊTE CONTINUENT… Et quand on lui fait remarquer qu’il vit un moment rare et un rêve quasi éveillé, lui qui a accompagné le Racing à quasiment toutes les étapes de sa remontée des tréfonds de la hiérarchie du football, Dimitri devient quasi volubile : « J’ai bien sûr été incroyablement sollicité depuis que j’ai rentré la praline contre Lyon. Mais je ne me prends sûrement pas pour Messi ou Zidane, ça il n’y a pas de risque. Je vais vous dire un truc : je suis resté amateur dans l’âme. Je suis devenu professionnel, mais cette fraîcheur, je l’ai conservée. Je n’ai quasiment aucun filtre : je suis honnête, ouvert, joyeux, mon sourire est spontané et je ne triche pas. Je n’ai pas oublié qu’il m’a fallu me battre pour m’imposer et je crois que c’est cette fraîcheur de vie avec tous, quels qu’ils soient, qui a fait celui que je suis. J’ai beaucoup pensé à ça ces derniers jours : j’ai trente ans, mais je me sens plus frais que certains footeux de vingt-cinq ans qui sont passés par les centres de formation et qui ont déjà cinq ou six ans de professionnalisme derrière eux. Si je parviens à continuer à jouer sans me prendre la tête, je sens que je peux encore gratter de petits exploits (sic) comme celui de la semaine passée… »

Réellement impressionné par cette « boule de positivité » qui nous faisait face, on n’a pas pu s’empêcher d’évoquer avec Dimitri les mois et années à venir et les limites qui s’imposent à tous, en football comme ailleurs. Il a souri, et toujours aussi calmement, a répondu : « Où est ma limite ? Sincèrement, je n’ai jamais senti que j’en avais une jusqu’à présent, et sans vantardise, je n’en ai toujours pas. Je suis naturel depuis toujours, alors peut-être que ça va me jouer des tours dans l’avenir, mais je n’ai pas l’intention de changer quoi que ce soit. On verra bien… En tout cas, c’est bientôt fini quand on est footballeur professionnel à trente ans ? Non, certainement pas… » Comment dire ? Après le si beau retour du Racing au sommet du football français vécu il y a pile un an et que nous avons tous fêté comme il se doit, le rêve et la fête continuent après le maintien, surtout acquis de cette façon-là par un groupe de joueurs qui aura tout donné pour y parvenir. Après, le scénario contre Lyon, le coup franc de Dimitri Liénard, ce fut… la praline sur le gâteau, tout simplement… Et le pâtissier est un mec bien, pour parfaire le tableau. Dimitri a raison : à Strasbourg, à la Meinau, rien n’est normal… Tant mieux !


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SYLVIE BOCQUI Ce genre de fille...

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Nicolas Roses Nathalie Bach

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Son premier texte avait été finaliste pour le Goncourt du Premier roman et le prix Lilas en 2013. Les éditions Arléa publient à nouveau l’auteure Strasbourgeoise Sylvie Bocqui. Ce genre de fille signe un style définitivement rare et singulier.

« Elle écrit lentement, court vite, pense sans arrêt ». Elle voudrait se présenter ainsi, ne parler que de ce qui la nomme, la définit, l’emporte au rythme de vies croisées, rencontrées, rêvées. Celles qu’elle écrit. Surtout. La sienne, Sylvie Bocqui aime à en protéger le privé, mais semble ne faire mystère de rien. Elle est native d’une ville dont elle n’a jamais aimé la sonorité et préfère dire être née en Lorraine. Elle est arrivée à Strasbourg à l’âge de vingt ans, après, sourit-elle, de vaines études. Elle y vit avec son mari et ses deux enfants. Elle y travaille. Elle est rédactrice audiovisuelle pour la chaîne Arte. Elle se dit heureuse même si elle se sent toujours « homeless », déplore ses propres anglicismes, étudie la philosophie, déménage souvent. Si sa biographie ressemble un télégramme, son existence se résume où elle le décide. Le mystère, elle l’incarne. AIDER LES GRENOUILLES À TRAVERSER LA ROUTE C’est à voix basse et minimale que sa blanche écriture transparaît, elle parle comme elle écrit,

‘‘J’ai commencé à courir parce que je n’avais pas de force. Cela m’en a donné d’une façon extraordinaire...’’

à vif. « C’est pour cela que j’écris. Pour retenir les choses avant qu’elles ne s’échappent, tenter de donner une revanche à l’aquoibon. Le temps et l’histoire se tiennent la main mais peut-on écrire sur les choses qui sont en train de se faire, je pense que non, il faut qu’elles soient révolues, ou au bord de disparaître. C’est la pointe de cette écriture qui m’intéresse, y être et ne plus y être, c’est un rare moment d’ubiquité et les mots ne peuvent être que blancs, c’est la seule couleur possible même si ce n’est pas une couleur. C’est aussi une note, difficile à tenir, mais j’aime bien cet exercice. Si je veux écrire sur le chant d’un oiseau, il est évident qu’au moment même où je l’écris, ce n’est plus un chant d’oiseau, ce sont des mots et déjà l’oiseau ne chante plus, déjà, c’est fini. Parce que la vie est comme ça. Ce moment joyeux recouvert par la tristesse de sa disparition. Et en même temps, cette vie, il faut la célébrer. » Elle court, comme elle écrit. Aussi. « J’ai commencé à courir parce que je n’avais pas de force. Cela m’en a donné d’une façon extraordinaire. Courir, c’est pétrir, les mots, le sol.» Jusqu’à la frontière de l’Alaska ou dans la forêt voisine, elle travaille son souffle, celui qui domine son écriture et lui donne cette musicalité presque atonale. Pendant des années, en vraie marathonienne, elle affûte son corps à l’image de sa pensée, à l’image de sa vérité, du sens, de son essentiel. « Je crois que les danois m’aiment pour ça, pour cette vérité.» C’est dans une émission, danoise justement, qu’elle est citée parmi les trois meilleurs


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romans français lorsque paraît Une saison traduite par Hans Peter Land. Là-bas comme en France, on la compare à Duras ou Bunuel pour la force cinématographique de sa langue. Elle s’émeut de se remémorer tout cela, évoque sa gratitude et la fidélité qu’elle éprouve pour Mallarmé, Rilke, Char, Lévinas, confie s’être nourrie avec Maurice Blanchot, depuis toujours. « Oui, cela a changé les choses d’être publiée avec tout le bonheur que cela représente mais la difficulté aussi. Tout à coup il fallait sortir, faire des mondanités, alors que ce que j’aime c’est écrire, seule, ou aider les grenouilles à traverser la route. » Ses immenses yeux bleus rient souvent. « Pur ravissement » est une de ses expressions favorites, qu’elle emploie pour décrire un moment, une rencontre, comme celle, profonde, avec Catherine Guillebaud, son éditrice « Ce qui me touche chez elle, ce n’est pas tant qu’elle aime ce que j’écris, c’est sa façon de l’aimer. »

en l’occurrence rajoute une latitude supérieure à acquérir et dont on sort augmenté. Cela aurait pu aussi être une histoire entre deux hommes, mais le genre dont je parle est féminin, ou du moins a le souhait d’être adoubé en tant que femme. Dans sa solitude, ne plus être une réfugiée du genre » Il ne faudrait pas trop se fier aux allures de tanagra de Sylvie Bocqui. Tout chez elle travaille en un contrepoint puissant dont elle aime habiter les extrêmes.

Nicolas Roses

Fidèle à sa liberté. Elle préfère…

Nathalie Bach

CE GENRE DE FILLE

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Auteure en sa demeure, la sienne avec certitude, elle encourt les possibles en absolus fondus mais choisis, « Un amour, un premier amour qui a priori ne va pas de soi, ici entre deux femmes

‘‘Ce qui me touche chez elle, ce n’est pas tant qu’elle aime ce que j’écris, c’est sa façon de l’aimer.’’

Ce genre de fille À Editions Arléa – 16 €

« Je n’aimais pas quelqu’un de mon sexe, j’aimais quelqu’un de mon genre. Je voulais être quelqu’un de ce genre, le sien, ce genre de fille. »

dise enfin quelque chose de ce trouble, ou cesse de dire n’importe quoi. Elle n’a pas répondu n’importe quoi. Elle a fait un pas en avant. »

Pour son second roman, Sylvie Bocqui a capté cette solitude qui appartient à celles et ceux dont le premier regard, celui de la mère peut-être, a failli. Et dont on ne se remet jamais vraiment. S’il est question d’une histoire d’amour entre deux femmes, le titre, éminemment subtil, aborde et grève ce sujet au bord de rives bien plus vastes, où à travers la fascination, l’identification, la quête du genre et de l’amour cherchent une réponse éperdue. « J’ai demandé si c’était bien. Elle n’a pas répondu. Il fallait que quelqu’un

L’auteure d’Une saison (paru en 2013 chez Arléa) avait déjà ébloui par son écriture serrée et sa façon unique de mettre des mots sur l’indicible. Avec une précision de diamantaire, encore, toujours, elle sait les arrimer au cœur d’une partition particulière où chante ce « je » tremblant sur le fil du dire, d’aimer, de vivre, un « je » qui convoite une consistance et une identité. Elle confie n’être pas vraiment romancière et avoir peu d’imagination. C’est ce que disent tous les grands auteurs. Ce genre de fille est un bouleversement.


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RÉSEAUX SOCIAUX

Méchants !

DR Thierry Jobard

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Il est arrivé une aventure extraordinaire à un jeune Grec. Il est berger (et vu l’état dans lequel on a mis la Grèce, cela peut paraître un sort enviable) et, suite à un glissement de terrain, a découvert un véritable trésor. Entre autres merveilles, une bague, qu’il a mise à son doigt. Il va vite se rendre compte que cet anneau est magique (encore un) et lui permet de devenir invisible lorsqu’il le tourne. « Sur de son fait, il se fit mettre au nombre des bergers qu’on députait au roi. Il se rendit au palais, séduisit la reine et avec son aide, attaqua et tua le roi, puis s’empara du trône. » comme l’écrit Platon(1). Cette aventure est un mythe, ce mythe est celui de Gygès. Que peut-on en retenir aujourd’hui ? Qu’il est diablement tentant de faire des choses peu recommandables dès qu’on en a la possibilité. Qu’entre satisfaire ses envies et obéir à la loi morale le coeur balance assez peu. Qu’en tout âge et tout lieu, anonymat et impunité sont de puissants stimulants.

‘‘Parce qu’à cela on peut ajouter ces autres pratiques délicieuses que sont le flaming, le bashing, le revenge porn, l’étiquetage, l’intimidation, la diffamation...’’ Cette invisibilité a d’ailleurs produit de nos jours une formidable incarnation, ou disons, un avatar: le troll. Le troll s’invite dans les réseaux sociaux et, par le biais de fake news, de provocations, d’insultes, cherche à générer des polémiques. Vous me direz qu’il ne faut pas avoir grand chose à faire de son existence pour se livrer à ce genre d’activité. Je vous répondrai que vous n’avez pas tort. Bien entendu, le vocabulaire est tout élégance et gracieuseté: « Évidemment que ces gros *** sont d’accord. Juste des *** qui lèchent les *** des ***»; « Cette *** m’a vraiment énervée. Va te faire ****, espèce de grosse **** ****!!», « Attends que je te **** la ****, tu vas voir je t’***** et te ****** dans les******* du ******* ******* *****************…. ». Bref des poètes.

L’un d’eux l’avoue sans détours: «C’est juste bête et méchant. Il ne s’agit ni de convaincre la personne ni les autres qui la suivent. »(2) Oh mais tout va bien alors! C’est qu’on a failli s’inquiéter dites donc. C’est juste « bête et méchant »… À la réflexion, c’est déjà beaucoup. Parce qu’à cela on peut ajouter ces autres pratiques délicieuses que sont le flaming, le bashing, le revenge porn, l’étiquetage, l’intimidation, la diffamation, les attaques ad personam, les citations tronquées ou sorties du contexte, les procès d’intention et autres détournements. Et la liste n’est pas close. Ce qui nous fait tout de même un beau palmarès. Il y a eu des réputations salies, il y a eu des vies brisées, il y a eu des suicides d’adolescents. Ces choses-là ne sont pas anodines. On peut se dire avec raison que l’anonymat permet beaucoup. Mais il n’est pas même une condition essentielle puisque des personnages publics peuvent s’injurier à loisir via les réseaux sociaux. On twitte, on retwitte, on s’entwitte, et l’amour du genre humain en prend un sacré coup dans l’aile. Et la question se pose aux victimes novices : mais pourquoi diable sont-ils aussi méchants ? Méchant est-il d’ailleurs le bon terme ? Il semble puéril, manichéen, simpliste. C’est pourtant celui que l’on choisira ici parce qu’il est clair: est méchant celui qui fait volontairement du mal. Cependant Socrate n’a-t-il pas dit que « nul n’est méchant volontairement » ?(3) Certes. Pour lui le méchant est avant tout ignorant, ignorant du bien, et malheureux et la seule chose qui est véritablement, c’est le bien, donc le vrai. Mais la récidive ? « -Hé bien mon jeune ami, tu as volé ce vélo, ne sais-tu pas que cela est mal ? -Non? Sans déconner ? -Si fait. -Ah ben non, je savais pas, au temps pour moi! -Mais c’est tout de même le troisième que tu voles. Quel usage ferais-tu de trois vélos ? -Wesh, j’sais pas. -Pourquoi as-tu fait cela alors ? (s’ensuit un discours moralisateur que je laisse à chacun le soin d’imaginer) -Bah…pour le fun -Tu veux dire pour le plaisir ? -Bah ouais ».


plutôt que son devoir. Il y a certes une loi morale mais elle doit s’appliquer aux autres, pas à moi. Le méchant refuse cet impératif catégorique: « Agis de façon à traiter l’humanité, aussi bien dans ta personne que dans la personne des autres, toujours en même temps comme une fin, et jamais simplement comme un moyen ». On voit donc que celui qui fait le mal agit bien de sa propre volonté et que c’est toujours le rapport aux autres qui pose problème. Or dans un système économique qui prône la concurrence de tout et de tous, il semble bien plus délicat de traiter l’autre comme une fin et jamais simplement comme un moyen. D’ailleurs, que reste-t-il de cet autre, mon semblable, lorsque l’on est derrière un écran ? Ramené à un pseudonyme, un profil, une image, peut-on croire qu’il sera mieux respecté ? « Sur Twitter, l’autre devient, sous l’oeil sans regard d’une bande d’anonymes scélérats, une abstraction que l’on peut torturer en silence et sans éclaboussures, l’esprit léger »(4). Et avec 280 signes pour s’exprimer, on peut être sûr que n’advient pas le règne de la nuance.

Il semblerait que les temps ont changé depuis la Grèce antique. Et ce surtout depuis que nous sommes entrés dans cette période bénie qui est celle du néolibéralisme. C’est du moins l’hypothèse qu’avancent certains. Nous verrons qu’ils ont des arguments.

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Reprenons donc. Le méchant aime faire du mal et il y prend plaisir. C’est un trait de caractère, une habitude prise. On ne s’aventurera pas à entrer dans le débat, jamais clos (et moins encore depuis 1945) sur l’origine du Mal pour les philosophes. Retenons tout de même deux idées, l’une d’Hannah Arendt, l’autre de Kant. On connaît la notion de banalité du mal avancée par la philosophe lors du procès Eichmann. Son trait constitutif est une absence de jugement, autrement dit une forme de profonde bêtise selon Arendt (donc une incapacité à voir le réel et d’être dans un rapport d’humanité avec les autres, ici, pour Eichmann, les Juifs). C’est une « impuissance de l’imagination » qui empêche le génocidaire de faire le lien entre son travail de bureaucrate et les hommes, femmes, enfants, qui en sont les victimes. De fait, Eichmann était bien un antisémite et un acteur sur le terrain plutôt qu’un simple gratte-papier obéissant. Kant parle lui de mal « radical ». Pas de mal absolu mais un mal qui, selon son étymologie, se trouve à la racine même de l’homme. L’homme est libre; être méchant ce sera choisir systématiquement son intérêt personnel

Pour autant, la méchanceté n’est pas une idée neuve sur terre. il y a des exemples plein les manuels. Le numérique a simplement favorisé et répandu l’accès de chacun à la parole. Notez bien que je ne parle pas de dialogue puisqu’il ne s’agit plus vraiment d’échanger des arguments construits mais le plus souvent de se foutre promptement sur la gueule. Pour François Jost, sémiologue, c’est la banalisation du fait de se donner en spectacle d’une part, la généralisation des dispositifs de notation d’autre part (les hôtels, les livres, les films, et puis les cobayes de la télé-réalité) qui ont contribué à répandre sadisme et stigmatisation. Plus encore, la méchanceté 2.0 permettrait d’attaquer les experts, les élites, et leur discours: « Le langage de l’élite serait intellectuel, triste, artificiel, alors que celui de ses opposants, internautes ou animateurs de télévision, serait dans l’émotion, l’amusement et le parler-vrai »(5). En somme, une facette de ce populisme dont on parle beaucoup sans jamais très bien savoir ce qu’il est. Une simple erreur et l’on se retrouve cloué au pilori, rabaissé, démoli. Et si besoin est, on peut toujours retrouver une phrase, un geste, un regard, exhumé du maelström numérique. Or nous faisons tous des erreurs. C’est dire le potentiel de saloperies qui s’entasse. Rien ne se perd, rien ne se créé… Et si justement, tout se transformait ? Dans un sens bien précis, celui de l’expression de violence qu’est la méchanceté. Car enfin, celle-ci d’où vient-elle ? Nous n’avons fait jusque-là qu’en pointer les manifestations. Peut-on avancer qu’il ne s’agit pas simplement d’un renouvellement de la forme mais, bien plus profondément, d’un nouveau fond mauvais ?


Ce n’est pas dans la fascination de son surgissement qu’on trouvera une réponse mais dans les mécanismes qui le produisent. Récemment, un psychologue canadien, Steven Pinker, s’est félicité de la baisse tendancielle et ininterrompue des actes violents dans nos sociétés(6). Le fait est que, statistiquement, le taux de violence entre individus décroît continûment depuis cinq cent ans. Mais quelque chose en nous résiste à cette idée.

‘‘Nous passons notre

temps à acheter, acquérir, accumuler. Comme par

peur du manque. Or, c’est le manque qui manque

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DR Thierry Jobard

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désormais.’’

Un regard sur notre monde suffit pour cela, même si l’on peut enfumer le débat en opposant violence et perception de la violence. La vie ne tient pas dans les chiffres. Le nombre d’homicides a chuté, c’est entendu. Mais il n’est pas besoin de tuer pour être violent. Qu’on annonce du jour au lendemain à l’ouvrier que son usine, où il travaille depuis 25 ans, va fermer, et qu’il a le choix entre perdre son emploi ou s’installer en Bulgarie, n’est-ce pas une forme de violence ? Une violence bien organisée, procédurière, propre sur elle, mais une violence quand même. Et qu’on ne me dise pas que la violence symbolique frappe moins fort: elle peut frapper à mort. La violence ne diminue pas, elle prend d’autres visages. La méchanceté en est un. On peut penser la violence comme une économie. Qui dit économie dit flux, échanges, transferts. Et puisque nous vivons dans une société de marché, tout entre dans cette logique: les émotions, les affects sont échangeables et monnayables. Les images, les modes, les styles de vie, les techniques, les carrières… sont convertibles dans le signe des signes: l’argent. « Par leur mouvement sans but, leur surenchère en acte, le désir consumériste aussi bien que l’obsession du rendement optimal produisent en nous une violence vide, à vide, la violence délirante et répétitive (« toujours plus ! ») d’un élan sans objet ni véritable sujet », écrit François Cusset (6). Et tout cela dessine « un nouveau rapport du désir à la frustration, du signe à l’affect, de la répression au transfert ».

À cela s’ajoute une autre réalité, plus enfouie mais convergente avec ce qui vient d’être décrit. Elle fait débat parmi les psychanalystes mais, pour certains d’entre eux (Charles Melmann, Jean-Pierre Lebrun), c’est une « nouvelle économie psychique » qui émerge, une mutation anthropologique dont les signes cliniques sont déjà tangibles. Nous passons notre temps à acheter, acquérir, accumuler. Comme par peur du manque. Or, c’est le manque qui manque désormais. Le manque, le vide, l’écart, qui sont constitutifs de notre existence. Les psychanalystes savent cela et ce n’est certainement pas le « développement personnel » qui peut appréhender cette réalité essentielle de l’humain. Sans manque, pas de véritable désir. Cet « hédonisme de survie » en vient à nier la nécessité d’autrui pour se construire. L’autre devient un obstacle à la satisfaction de nos désirs (à moins de le considérer comme moyen et non comme fin). Le différent, le dissemblable ne sont plus tolérés, sauf à servir pour colmater les brèches narcissiques dont le manque de confiance en soi. De là ces explosions de violence, de là cette haine qui affleure en permanence, de là ce flot de méchanceté qui se répand, a fortiori sur le net où tout peut s’exhaler. Nous passons d’une structure patriarcale, autoritaire, incitant au refoulement des désirs à une société individualiste, permissive et narcissique. Cela ne peut se faire sans modification de notre psyché. Selon le schéma psychanalytique classique, nous sommes tous des névrosés, à nous de nous débrouiller avec ça. Désormais c’est la perversion qui paraît s’implanter. Soit la volonté de jouir sans limite et d’utiliser l’autre selon son bon plaisir. Elle ne désigne plus une pathologie médico-légale mais une réalité à laquelle nous avons tous, plus ou moins, affaire. Moins de refoulement donc mais un démenti de ce qui s’oppose au plaisir et à la jouissance: tout tout de suite. Comme l’écrit J.P. Lebrun: « Nul ne peut se revendiquer seulement de lui-même »(8). Voilà ce qui s’annonce maintenant: non plus « Aime ton prochain comme toi-même » (On n’y a jamais cru ? Peut-être, mais ça avait de la gueule). Mais « Aime toi toi-même, sans ton prochain, même contre ton prochain ». Voilà une autre définition de la méchanceté. Le plus dangereux n’est pas le plus visible, le plus bruyant, mais ce qui couve sourdement en nous. Mes amis, cela ne nous promet pas des lendemains qui chantent.

Sources : (1) Platon, République, Livre II (2) https://www.streetpress.com/sujet/1505978206-pourquoi-les-trolls-detwitter-trollent (3) Platon, Gorgias (4) Les conspirateurs du silence, Marylin Maeso, Editions de l’Observatoire (5) La méchanceté en actes à l’ère numérique, François Jost, CNRS éditions (6) La part d’ange en nous, Les Arènes, 2017 (7) Le déchaînement du monde, François Cusset, éd. La Découverte, 2018 (8) La perversion ordinaire, Jean-Pierre Lebrun, Denoël, 2007


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LES ÉVÉNEMENTS

Alban Hefti - Nicolas Roses

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ÉVÉNEMENTS

Photos :

Retour sur la venue de Costa-Gavras au Club des Partenaires Or Norme ainsi que sur les Internationaux de Strasbourg pour lesquels Or Norme a réalisé le numéro hors-série « Terriennes ».


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VU D’ICI… Le bloc-notes de l’actualité des derniers mois, malicieusement ou plus sérieusement revisitée par Or Norme.

DR — ActuaLitté—strasbourg.eu—Le Grand Eicart Eric Genetet

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ÉVÉNEMENTS

Texte :

Photos:

23 MARS Arnaud Beltrame, le lieutenant-colonel de gendarmerie qui s’était substitué à une otage retenue par l’assaillant djihadiste est décédé, portant à quatre morts le bilan de la folie meurtrière de Radouane Lakdim.

02 MARS

14 MARS

Un beau jour ou peut-être une nuit pour 120 battements par minute et Au revoir là-haut, grands vainqueurs de la 43e cérémonie des Césars. Hubert Charuel fait une entrée très remarquée avec Petit paysan qui obtient trois Césars. Jeanne Balibar, meilleure actrice pour Barbara, réussit l’exploit de sauver cette soirée de l’ennui, avec un discours emballant. Je m’étais endormi, quand soudain…

Le chef alsacien Antoine Westermann vend son restaurant parisien Drouant à la famille Gardinier. C’est un peu moins d’Alsace dans les rues de Paris. Heureusement que l’on a gardé la Maison sur les Champs.

05 MARS Auteur, scénariste, réalisateur, producteur, critique, essayiste, faiseur d’aphorismes, moraliste et grand digressif, André S. Labarthe meurt à l’âge de 86 ans. Il était l’auteur de nombreux ouvrages publiés chez les Strasbourgeois des éditions Limelight.

16 MARS Strasbourg, première ville cyclable de France. C’est le résultat de l’enquête menée par la Fédération des usagers de la bicyclette (FUB). Strasbourg devance Nantes et Bordeaux. La ville se distingue particulièrement grâce à l’accès facile aux magasins et ateliers de réparation, et grâce aux aménagements comme les doubles sens dans les rues à sens unique. 21 MARS

08 MARS Les pages jaunes et le bottin, c’est terminé. Quelques semaines plus tard, même punition pour les télégrammes. Place au tout numérique.

À l’issue de son deuxième jour de garde à vue, l’ex-chef de l’État, Nicolas Sarkozy est mis en examen dans le cadre de l’enquête portant sur le possible financement libyen de sa campagne de 2007. La France a peur.

26 MARS Une octogénaire survivante de la Shoah est brûlée dans son appartement. Le parquet de Paris ouvre une information judiciaire pour assassinat à caractère antisémite. Le silence qui avait suivi l’assassinat de Sarah Halimi il y a un an dans le même arrondissement est moins fort. Deux jours plus tard, plus de 700 personnes participent à une marche blanche qui s’élance de la place Kléber. 27 MARS Une information qui n’a rien d’un détail : la Cour de cassation a validé la condamnation de Jean-Marie Le Pen à 30 000 euros d’amende pour avoir encore et encore qualifié les chambres à gaz de «détail» de l’histoire de la Seconde Guerre mondiale. Cette sentence est comme la bêtise, définitive.


Or Norme. Pourquoi ce livre sur Joseph Mengele ? Il y a plusieurs choses et vraisemblablement cela tient beaucoup au caractère inouï de son histoire, bien sûr liée aux crimes monstrueux de celui qu’on a appelé l’ange de la mort à Auschwitz, mais également parce qu’il n’a jamais été attrapé. Et puis cette histoire d’un criminel surpuissant après-guerre, qui a multiplié les naissances de jumeaux en Amérique du Sud et notamment au Brésil....tout ça corroboré par toute une littérature dans les années 60-70 et par des films, surtout : « Marathon Man » inspirée de sa vie, et encore plus directement « Ces garçons qui venaient du Brésil » où Gregory Peck interprète clairement le personnage de Mengele. Ensuite, je suis tombé à plusieurs reprises sur Mengele en préparant le film « Fritz Bauer, un héros allemand ». Et puis, c’est toujours l’après qui m’intéresse : comment peut-on se remettre de tels évènements quand on est une victime, et comment, pour le meurtrier, vit-on après avoir fait le mal ? Or Norme. Pourquoi cette appellation de roman-vrai ?

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C’est la vraie histoire de Mengele en Amérique du Sud. Après, c’est aussi un vrai travail littéraire et comme on ne saura jamais tout sur les trente ans que Mengele a passés en Amérique du Sud, le passage par le roman était indispensable. Et puis, un personnage comme ça ne méritait pas de s’installer dans un roman historique classique : pour moi, il s’agissait simplement de raconter sa descente aux enfers et donc j’ai travaillé non pas comme un historien, mais j’ai énormément lu et je suis allé sur place, je suis allé à Günzburg, en Argentine à Buenos Aires, je suis allé voir toutes les maisons et les appartements où il a vécu. Je suis

‘‘Il ne s’agissait pas d’être là énième marionnette de

Mengele car son nom même fait frémir [...]’’


30 MARS

14 AVRIL

Brigitte Bardot demande à Nicolas Hulot d’abandonner le GCO. « Je reçois actuellement des témoignages d’Alsaciens scandalisés par la position de votre ministère sur le Grand contournement ouest de Strasbourg qui semble refaire surface malgré de fortes oppositions », écrit-elle. Aucun mépris.

Donald Trump annonce une opération militaire contre la Syrie avec la France et le Royaume-Uni, pour punir le régime de Bachar al-Assad qu’il accuse d’une attaque à l’arme chimique contre des civils. C’est à cet instant que certains pensent à lui pour le prix Nobel de la paix ? 15 AVRIL

La SIG a remporté sa 2e Coupe de France face à Boulazac. Le premier titre de la saison qui prouve que le club alsacien peut remporter des finales… En attendant celle de Pro A ? 22 AVRIL Un manifeste rédigé par Philippe Val réunit près de 300 personnes qui dénoncent un « nouvel antisémitisme ». Parmi les signataires, Joseph Doré, ancien archevêque de Strasbourg, Olivier Guez, prix Renaudot 2017…

Alsacien de cœur, son père était originaire de Didenheim, le chanteur Jacques Higelin meurt à l’âge de 77 ans. Le même jour Véronique Colucci, l’exfemme de Coluche, laisse sans voix les 71 000 bénévoles des Restos.

Un classement établi par l’institut NewCorp donne la capitale alsacienne 3e des villes où il fait bon vivre. Elle est aussi : sûre (2e), respectueuse de l’environnement (2e), bien gérée et proche de ses habitants (3e), mais seulement 11e ville la plus « branchée ». Pour remédier à cela, on attend le retour d’Arsène Wenger. L’entraîneur alsacien des Gunners, 68 ans, a indiqué qu’il quittait Arsenal après vingt-deux ans de carrière à Londres et un joli palmarès. Le coup du siècle serait son retour au Racing.

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Danielle Dambach (écologistes et divers gauche) remporte la municipale anticipée de Schiltigheim avec un enthousiasme beau à voir. L’ancienne adjointe de Raphaël Nisand est la première femme maire de Schilick. 18 AVRIL

Eric Genetet

DR — ActuaLitté—strasbourg.eu—Le Grand Eicart

06 AVRIL

ÉVÉNEMENTS

Texte :

Photos:

27 AVRIL

21 AVRIL

Le dirigeant nord-coréen Kim Jong Un et le président sud-coréen Moon Jae-in débutent leur sommet historique, après une poignée de main hautement symbolique sur la ligne de démarcation militaire qui divise la péninsule. Et ce Nobel pour Trump, alors ? 06 MAI L’Alsacienne Audrey Kessouri (lire son interview dans Or Norme N°23) vient d’être élue Miss Ronde univers. C’est mieux que Delphine Wespiser.

07 MAI La France et la Belgique sont tristes. La chanteuse Maurane est morte. Retrouvée inanimée quelques jours après sur retour sur scène. Elle avait 57 ans.

13 AVRIL

12 MAI

Il avait reçu l’Oscar du meilleur réalisateur pour Vol au-dessus d’un nid de coucou et Amadeus. Miloš Forman est mort à l’âge de 86 ans

Dimitri Liénard, symbole d’un Racing d’une intensité remarquable, réalise le geste parfait ; son coup franc offre la victoire et le maintien à tout un peuple. Strasbourg reste en Ligue 1. (Lire aussi page 102)


Exposition

Association Regards sur l’Art Contemporain en Alsace

Regards / Cinquième

Il y a plusieurs choses et vraisemblablement cela tient beaucoup au caractère inouï de son histoire, bien sûr liée aux crimes monstrueux de celui qu’on a appelé l’ange de la mort à Auschwitz, mais également parce qu’il n’a jamais été attrapé. Et puis cette histoire d’un criminel surpuissant après-guerre, qui a multiplié les naissances de jumeaux en Amérique du Sud et notamment au Brésil....tout ça corroboré par toute une littérature dans les années 60-70 et par des films, surtout : « Marathon Man » inspirée de sa vie, et encore plus directement « Ces garçons qui venaient du Brésil » où Gregory Peck interprète clairement le personnage de Mengele. Ensuite, je suis tombé à plusieurs reprises sur Mengele en préparant le film « Fritz Bauer, un héros allemand ». Et puis, c’est toujours l’après qui m’intéresse : comment peut-on se remettre de tels évènements quand on est une victime, et comment, pour le meurtrier, vit-on après avoir fait le mal ?

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artistes

Or Norme. Pourquoi cette appellation de roman-vrai ?

Région Grand Est - Direction de la Communication - Mai 2018.

Or Norme. Pourquoi ce livre sur Joseph Mengele ?

‘‘Il ne s’agissait pas d’être

Stephan Balkenhol, Myrtille Béal, Louis Danicher, MichellàDéjean, Daniel Depoutot, de énième marionnette C’est la vraie histoire de Mengele en Amérique du Sud. Après, c’est aussi un vrai travail littéraire Gangloff, Sophie Hasslauer, Damien Deroubaix, Daniel Dyminski, Catherine Mengele car son nom même et comme on ne saura jamais tout sur les trente ans que MengeleMadia, a passés enGermain Amérique du Sud, Bernard Latuner, Kim Lux, Anna Roesz,fait Daniel Schlier.[...]’’ frémir le passage par le roman était indispensable. Et 119

du 1 au 25 juin 2018 puis, un personnage comme ça ne méritait pas de s’installer dans un roman historique classique : pour moi, il s’agissait simplement de raconter sa descente aux enfers et donc j’ai travaillé non pas comme un historien, mais j’ai énormément lu et je suis allé sur place, je suis allé à Günzburg, en Argentine à Buenos Aires, je suis allé voir toutes les maisons et les appartements où il a vécu. Je suis

er

Maison de la Région • 1 place Adrien Zeller • Strasbourg du lundi au vendredi de 9 h à 18 h • Entrée libre

www.grandest.fr


PORTFOLIO

LES PIÉTONS DE STRASBOURG À événement exceptionnel, effectif exceptionnel. Arnaud Delrieu, le piéton de Strasbourg, a été rejoint par son compère photographe, Nicolas Roses, pour capturer ces clichés de l’Industrie Magnifique sur les vingt-quatre sites de cet événement strasbourgeois du mois de mai dernier. Regards décalés..

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À NOTER « PAR-DESSUS TOUT, L’OBJET PHOTOGRAPHIQUE » À LA CHAMBRE

Photos:

Joël Hellenbrand – Olivier Cullmann - DR Véronique Leblanc – Alain Ancian

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ÉVÉNEMENTS

Texte :

Kitsch mais pas que… Un mug avec la reine d’Angleterre, à moins que vous ne préfériez Obama sur un porte-clés ou que vous ne rêviez d’une assiette avec Harry et Meghan … Kitsch certes, mais pas que. Le transfert de photographies sur des objets du quotidien a depuis longtemps colonisé notre environnement. Décor, illustration, message ? Quel sens ont ces portraits de familles ou de célébrités que l’on appose « par-dessus tout » ?

La Chambre, 4 Place d’Austerlitz - www.la-chambre.org Du 30 juin au 30 juillet et du 16 au 26 août, les mercredi et dimanche de 14 h à 19 h.

Ils ne datent pas d’hier. Le premier brevet pour un nouveau système de reproduction basé sur les procédés de la décoration céramique date de 1854, celui destiné au métal est quasi contemporain et, aujourd’hui, les techniques du numérique nous permettent de faire nos courses avec la frimousse de la petite dernière imprimée sur le cabas. Le souvenir se doit d’être utile. Initialement proposée par le musée Canéphore Niépce de Châlons-sur-Saône, l’exposition présentée par la Chambre cet été se concentre quant à elle sur les figures de pouvoir et intègre une dimension participative. Si vous possédez vous aussi des objets photographiques, n’hésitez pas à les apporter à la galerie. Vous avez jusqu’au 24 juin et, promis juré, vous pourrez les récupérer.

NÉS QUELQUE PART

Pour changer de regard sur le monde Après Paris, Lyon, Roubaix, Marrakech et Bordeaux, le parcours immersif et participatif. Nés quelque part fait étape à Strasbourg, place du Château jusqu’au 28 juin prochain. L’occasion de vivre une expérience culturelle originale et d’être sensibilisé aux enjeux du développement durable et de la solidarité internationale. Proposée par l’Agence Française de Développement, en partenariat avec la Ville de Strasbourg et l’association Ars Anima, cette manifestation inédite mêle parcours scénographique, spectacle vivant et jeu de rôle.


MUSIQUES CONTEMPORAINES Une opportunité pour les jeunes artistes

academie.ensemble-linea.com ou/www.facebook.com/ Ensemble-Linea

Pour sa 5ème édition, l’Académie Internationale d’Été de Musique Contemporaine de l’Ensemble Linea ouvre ses portes aux étudiants et jeunes interprètes professionnels désireux de découvrir ou de se perfectionner en musique contemporaine au contact de musiciens expérimentés et d’envergure internationale. Cette année, l’Académie Linea s’agrandit et ouvre deux classes supplémentaires de guitare et de saxophone pour proposer au total 11 classes instrumentales et une classe de direction d’orchestre. L’Académie d’Été aura lieu à la Cité de la Musique et de la Danse de Strasbourg du lundi 27 août au dimanche 02 septembre 2018.

Le design comme source d’inspiration

FESTIVAL DES ORCHESTRES UNIVERSITAIRES EUROPÉENS Ce fut une symphonie sans frontières L’orchestre universitaire de Strasbourg a accueilli début juin l’édition 2018 de l’European Student Orchestra Festival (ESOF). Une dizaine de formations venues de Berlin, Freiburg-im-Breisgau, Aarau, Genève, Uppsala, Pise et Toulouse ont permis au public de (re)découvrir des œuvres du grand répertoire symphonique mais également des pièces originales, issues du répertoire national des pays représentés.

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L’ESOF 2018 a été également rythmé par des à-côtés musicaux et des rendez-vous culturels qui ont fait vibrer Strasbourg au rythme du festival. academie.ensemble-linea.com ou www.facebook.com/Ensemble-Linea

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OR CHAMP

Carmen, un caractère de femme Par Philippe Arlaud - Metteur en scène - scénographe Photo : Nikolai Schukoff

QUI EST-ELLE ? Particulièrement sûre d’elle, du moins en apparence, volontaire, elle sait ce qu’elle veut, va droit au but, choisit ses partenaires, est toujours à l’initiative, décide pour tout et pour tous de l’heure et du moment. Elle impose son rythme à l’histoire et à l’opéra…. Derrière un bouclier qu’elle s’est construit, Carmen ne s’autorise que rarement à laisser paraître ses émotions ou ses sentiments et le regrette ensuite. Ainsi Carmen jette la fleur qui ensorcèle et rejette la bague de Don José, par ce dernier geste elle consomme la rupture et implique la mort. Carmen est l’opéra le plus joué au monde ! Qu’est ce qui captive toujours autant les spectateurs ? Au delà de l’image simpliste, de castagnettes et de tambourins pour agence de voyage, ce n’est pas sa beauté, son déhanchement ou sa danse qui nous séduisent, c’est bien sa beauté intérieure, et ce qu’elle représente, qui est fascinant pour nous tous : Carmen est au-dessus des lois. Carmen que « nul ne peut apprivoiser », n’accepte aucune aliénation, pas même celle de l’amour... Aucun chef, aucune règle, elle ne croit en rien, n’accepte que le hasard, les cartes, le destin. Bizet-Meilhac-Halévy ont scénarisé la tragédie de Mérimée en un opéra passionnel, bref, intense, violent. Ils ont donné naissance à un mythe, qui comme Œdipe, Elektra, Faust ou Don Giovanni est né dans le feu et le sang, l’amour et la liberté, le sexe et la mort... Carmen commence comme une opérette, finit comme une tragédie, dans un réalisme cru qui frôle la vulgarité. De petits personnages médiocres qui, sérieux, s’élèvent au-dessus de leur petitesse, un Don José benêt, une Carmen jouisseuse vulgaire, une Micaela oie blanche, un Escamillo cabotin, qu’on aime malgré tout. On s’intéresse à eux, on compatit à leur douleur, on se passionne pour les rapports entre ces êtres, de force, d’amour, d’attraction, de désir, de répulsion, de violence, de jalousie, d’envie, de sadisme, de tendresse, d’innocence, d’argent, de pouvoir.

129L’AMOUR : « l’oiseau rebelle que nul ne peut apprivoiser »

Il y a l’amour faux semblant, celui qui permet d’obtenir un renseignement, de l’argent, de survivre, et il y a l’amour désintéressé, sans limites du corps et de l’esprit, l’amour total léger, indépendant mais total « je vais danser en votre honneur », je te donne mon esprit, mon art, ma passion, ma force, mais si tu n’es pas un homme libre tu ne peux les recevoir. « Ce que je veux c’est être libre et faire ce que je

veux », n’est pas là un désir de libertinage mais une affirmation d’indépendance face à un Don José égoïste, faible et paternaliste. Elle échangera donc une désillusion contre une illusion, une apparence, un dieu, un semblant d’absolu, un toréador, à n’importe quel prix, le prix du rêve : « Devant la mort même je répéterais que je l’aime », Carmen veut rêver ! LA LIBERTÉ : Carmen n’est pas un Don Giovanni au féminin, elle vit dans l’humilité et la pauvreté qui l’oblige à la clandestinité, Don Giovanni est un libertin, un « Dissoluto punito », un orgueilleux décadent, qui vit du vice et du mépris. Carmen est à la recherche de la liberté absolue, qui ne se marchande pas, qui ne se discute pas, une idée de pureté, celui de la plus grande vertu. Le ‘viva la liberta ‘de Don Giovanni est un affront à la bourgeoisie, à l’aristocratie, au peuple, c’est une souillure de l’idée de liberté. Pour Carmen « la chose enivrante, la liberté, la liberté », c’est l’immunité face à toute coercition ! Carmen se rebelle contre toute forme de règle ou d’ordre qui rabaisse la dignité des personnes. Oui j’affirme cette liberté jusqu’au suicide : j’accepte la mort s’il doit être le dernier acte libérateur : « Frappe moi donc ou laisse moi passer » LA MORT : La main glacée du commandeur est un défi, un orgueil suprême chez Don Giovanni, « Questo è il fin de chi fa mal », une mort logique, bon débarras ! ... La mort de Carmen c’est le début d’une vraie libération, un cri du peuple désespéré, plutôt mort qu’esclave : il faut vivre libre ! Carmen révolutionnaire ? Carmen Marianne de Delacroix ? Carmen résistante ? Carmen féministe ? Carmen terroriste ? ... Carmen ne meurt pas par accident, elle y va. C’est un être engagé et déchiré, qui va vers son destin : joyeuse, elle danse au dessus de sa tombe avec l’impudeur du désespoir. Cette désinvolture rieuse, cette légèreté tourbillonnante, c’est une pulsion suicidaire : «laisse-moi passer» laisse moi m’empaler sur ton couteau, un geste ultime de liberté « Tue-moi, frappe-moi donc », suicide, délivrance, extase. Et le mythe est né, dans la peur, le feu, le sang, l’amour et la liberté, le sexe et la mort. Ce qui nous bouleverse tant dans la mort de Carmen à la fin de la pièce, n’est ce pas un peu de notre liberté qu’on assassine ?


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