OR NORME numéro 16 / avril 2015
STRASBOURG / L’INFORMATION AUTREMENT
DESTINATIONS DE LÉGENDE LO NDRES /// C H YPRE
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PÉ TRA
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CUBA
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DOSSIER
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E DI TO PAR JEAN-LUC FOURNIER
/// NOUS NE SAVIONS PAS... On s’était quitté juste avant noël et ce même édito titrait alors : « De l’art ! De la culture ! » Et nous vous donnions alors rendez-vous pour ce numéro de printemps que vous avez aujourd’hui en main. Nous ne savions pas que dix-sept personnes allaient être massacrées à Paris, parce que journalistes, parce que policiers, parce que juifs… Nous ne savions pas qu’à peine quelques jours plus tard, plus de quatre millions d’entre nous (dont 45 000 à Strasbourg) allaient marcher si dignement et si pacifiquement. Nous ne savions plus que le peuple français était capable d’une telle mobilisation… Nous ne savions alors pas qu’un numéro horssérie de Or Norme allait sortir à peine un mois plus tard et que nous allions le fabriquer en urgence, des larmes plein nos yeux… Depuis, il y a eu Copenhague. Et Tunis. Et tous ces drames dont l’écho nous parvient plus assourdi mais qui n’en sont pas moins considérables. L’alliance du fanatisme et de la folie embrase la planète. Et cela va durer… Que pouvons-nous faire, vous, moi, nous les gens ordinaires ? A coup sûr rien qui ne puisse éradiquer d’un geste ces dangers et cette folie. Ce que nous pouvons faire, en revanche, c’est mieux cultiver ce qui a émergé ce 11 janvier dernier et ce que nous aimons appeler l’esprit Charlie. « Ils pensaient les enterrer mais ils ne savaient pas que c’étaient des graines ». C’est l’une des jolies phrases qui a surgi de l’infinie tristesse dans laquelle nous étions plongés. Les graines ont poussé : elles se nomment solidarité, fraternité, empathie, et bienveillance les uns pour les autres. L’esprit Charlie nous fait comprendre qu’il faut plus de tout ça. Ne le perdons pas de vue… Ce numéro 16 de Or Norme Strasbourg est consacré, comme chaque numéro de printemps, à la thématique Destinations de légende que vous plébiscitez depuis quatre ans maintenant. Nous nous sommes envolés pour Londres et en sommes revenus avec l’idée de vous faire partager notre fascination
pour la ville la plus « Or Norme » d’Europe. Au passage, comme le veut désormais notre formule, nous avons retrouvé des Alsaciens qui vivent et qui travaillent là-bas. Vous le lirez, s’ils aiment évidemment leur cité d’adoption, ils ne sombrent pas dans l’optimisme béat que certains cultivent ici, pour l’herbe qui serait plus verte dans le pré pas très loin. Londres n’est pas le paradis que d’aucuns nous vantent à longueur d’édito ou de messages sur les réseaux sociaux. Pas un enfer non plus, loin de là. Différent, tout simplement… Nous vous parlons aussi de Pétra, de Chypre… Et pour le reste, les pages de votre revue présentent, comme toujours, des histoires de gens qui osent, qui entreprennent et qui se battent au quotidien. Ce que nous pouvons faire, c’est notre métier. Du mieux que nous le pouvons… Bonne lecture et… Restez Charlie ! Restez Or Norme !
DOSSIER
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DOSSIER
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SOMMAIRE AVRIL 2015
ORNORME 16
58 - SEA SHEPHERD 60 - CARLO PETRINI 62 - CHARLIE TROIS MOIS APRÈS 68 - COMPAGNIE PATSHIVA 70 - BIBOUILLE 72 - LA POPARTISERIE 06 - ENTRETIEN AVEC FRÉDÉRIQUE NEAU-DUFOUR
12 - DOSSIER
DESTINATIONS DE LÉGENDE
74 - L’AGENDA OR NORME 76 - SAXOPEN 2015 14 - LONDRES
78 - LE GOLF ENFIN POPULAIRE
46 - PETRA
82 - LE CLOU
48 - CHYPRE
84 - SOPHIE DUPRESSOIR
50 - SÉGOLÈNE LE MONTAGNER
88 - PORTFOLIO NICOLAS ROSÈS
52 - JACQUES MARMET 56 - GENEVIÈVE ENGEL JULIETTE LUTTMANN
DOSSIER
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ENTRETIEN
FREDERIQUE
NEAU-DUFOUR
/// ENTRETIEN JEAN-LUC FOURNIER PHOTOS MÉDIAPRESSE
“ LES ALSACIENS PENSENT QUE LE RESTE DE LA FRANCE LES REGARDE DIFFÉREMMENT… ”
La jeune directrice du Centre européen du résistant déporté a soudainement fait son apparition sur la scène strasbourgeoise en recevant fin janvier dernier le prix du Club de la Presse et en intervenant, à peine quelques jours plus tard, avec des propos plein de bon sens, au cœur de la polémique suscitée par le livre de Michel Cymes, Hippocrate aux enfers, consacré aux médecins de la mort dans les camps nazis. Rencontre avec Frédérique Neau-Dufour, son punch et sa passion pour l’histoire… Un mot tout d’abord sur ce Prix du Club de la Presse de Strasbourg. Il vous a été attribué pour, je cite, votre « travail enthousiaste, communicatif, traité avec respect et profondeur pour mieux construire le monde de demain » J’imagine que ce Prix et cette citation vous sont allés droit au cœur… « J’ai été très honorée, évidemment. Ce Prix n’a pas été décerné qu’à moi mais à l’ensemble de mes collaborateurs au Centre européen du résistant déporté au Struthof. De plus, en effet, il fait écho à nombre de valeurs que nous défendons : des valeurs d’humanité, de respect, notamment. En ce moment, ces valeurs sont menacées…
Votre discours, lors de la réception de ce Prix, a été écouté par un public exceptionnellement silencieux et attentif. Il faut dire que vous avez alors évoqué, notamment, quelques grandes figures disparues de la résistance et de la déportation que aviez manifestement « invitées » à vous accompagner pour l’occasion. C’était très impressionnant… En effet, j’ai tenu à préciser que je n’étais pas venue seule. J’ai évoqué Sylvia, qui fut ma nourrice au Burundi, où je suis née en plein massacre entre Hutus et Tutsis. Sylvia a été tuée en 1994 dans les contrecoups du génocide rwandais. Je suis aussi venue ce soir-là avec la reporterphotographe Camille Lepage, que je n’ai pas connue personnellement et qui a été tuée en Centrafrique. Le soir de la remise du Prix, ces deux femmes victimes de la terreur donnaient la main à Pierre Rolinet, résistant déporté au Struthof puis à Dachau, qui vit toujours et qui professe un message d’humanisme et de confiance en l’homme. J’ai évoqué aussi Romain Gary, ce Français libre engagé aux côtés du Général de Gaulle mais aussi écrivain ardent, doublé d’un écorché vif. Romain Gary préconisait, plutôt qu’un devoir de mémoire stérile et auto-nourri, un magnifique « devoir d’imagination » : « la vie, c’est fait pour recommencer », disaitil, et non pour « recueillir pieusement la poussière » des insoumis. Et puis, deux autres femmes étaient également avec moi ce soir-là : Geneviève de Gaulle et Germaine Tillion qui vont entrer au Panthéon le 27 mai prochain… C’est intéressant de parler de ces deux femmes. Ce sont des résistantes exceptionnelles et pourtant, elles sont très
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loin d’être connues du grand public… Vous avez raison. Seuls les milieux intellectuels concernés par la problématique de la mémoire les connaissent. Elles ne sont pas devenues des icônes pour le grand public… Cela relève du phénomène social : ce qui excite les gens aujourd’hui, ce ne sont pas les références morales. On préfère l’amusement, la distraction, le paraître… On ne peut que constater que le rôle de l’enseignement a été mis en échec sur ces sujets, non ? Je ne suis pas d’accord avec vous. Ne jetons pas la pierre aux enseignants, ils ne peuvent pas tout apporter à eux seuls. Sans eux, ce serait encore pire, à mon avis. Non, il faut se poser d’autres questions. De quelle façon choisit-on de vivre dans ce monde ? Qu’estce qui est important ? Le défi consiste à faire connaître l’existence de gens comme Geneviève de Gaulle ou Germaine Tillion à des populations qui en ignorent l’existence. Ces deux femmes ont incarné les valeurs de la République en des temps qui étaient incroyablement durs et âpres. Comment les rendre populaires, autant que certaines idoles d’aujourd’hui ? Moi, je pense que Geneviève de Gaulle et Germaine Tillion sont beaucoup plus « rock’n roll » que certaines vedettes actuelles… Germaine Tillion, sa vie incroyable du premier jour au dernier, aurait pu être l’héroïne d’un film à succès. C’est presque étrange qu’aucun scénariste ou réalisateur ne se soit emparé d’un tel destin… Je crois que cela est dû à l’extrême modestie avec laquelle ces deux femmes ont vécu. A longueur d’interview, Germaine Tillion (disparue en 2008 à l’âge de 101 ans - ndlr) n’a cessé de dire haut et fort que tout ce
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ENTRETIEN
qu’elle a fait était normal, tout simplement normal. Et pourtant, vous avez raison, elle a vécu une vie d’exception. Songez qu’à peine âgée de vingt ans, dans les années vingt, elle a passé deux années dans les Aurès, avec son seul cheval, à mener une aventure ethnologique dans un pays qu’elle ne connaissait pas, avec une langue inconnue et une tribu, les Chaouia, dont elle ne connaissait rien, au départ. Elle n’avait pas froid aux yeux, Germaine Tillion ! Ce n’était pas une intellectuelle de bureau. Ce genre de femmes était à l’aise partout, le monde était leur terrain de jeu et d’étude… Je voudrais revenir avec vous sur un autre temps fort qui vous a fait apparaître en pleine lumière ces derniers temps. C’était quelques jours à peine après le Prix du Club de la Presse. Vous étiez présente à la salle blanche de la Librairie Kléber le soir où la grande polémique autour du livre de
surtout, personne n’a à rougir de son passé et aucun Français n’est en droit de juger qui que ce soit dans ce domaine. Dans l’affaire qui a surgi lors de la parution du livre de Michel Cymes, tous les ingrédients étaient réunis pour un psychodrame : il y a ces corps, ces morceaux de corps plutôt, dont l’évocation est violente, répugnante même. Il y a cette Université de Strasbourg, nazifiée à l’époque, et cette autre Université de Strasbourg, la vraie, celle qui s’est exilée en Auvergne et qui a amplement résisté. Il y a aussi la rumeur, cette rumeur qui s’est installée dans les années cinquante et qui dit en dépit de toute évidence que les restes des Juifs sont restés dans les caves de l’institut d’anatomie de l’ancienne Reichsuniversität. Il y a enfin Michel Cymes, qui n’est ni historien, ni alsacien (ce qui n’est quand même pas une tare !), qui parle en tant que petit-fils de déporté, et dont la parole médiatique est immédiatement soupçonnée de raviver les anciennes douleurs. Dans ce contexte déjà survolté, le docteur Federmann avait une intention louable : celle qu’on n’oublie pas les 86 malheureux Juifs. Mais sa façon d’attirer l’attention sur tout ça les jours précédents a au contraire eu pour effet de relancer la rumeur, que Michel Cymes a subie sans s’y attendre : rien, dans son livre, n’établit la présence de corps dans les caves… Quand on y pense, tout cela est un peu fou ! Je me suis sentie moralement obligée d’intervenir à la fin du débat car il me semblait que 70 ans après que ces événements aient eu lieu, il était dommage d’en être encore à polémiquer. En Alsace, une partie de l’histoire reste à écrire, notamment à partir de 1945. Le seul moyen pour régler cette histoire est de prendre le temps de l’apaisement, et, ensuite, mettre au travail les historiens et les archivistes, ou simplement reprendre les travaux universitaires qui existent déjà sur le sujet, et ainsi produire pour le grand public les pièces qui concernent la rumeur. Je n’ai rien dit d’autre ce soir-là. Depuis, je pense que l’Université de Strasbourg est allée dans cette direction et qu’elle réfléchit sur le long terme à travailler sur l’histoire d’après 1944. Soixante-dix ans après les tragédies des années quarante, on estime à à peine 2 000 le nombre de déportés qui sont encore parmi nous et beaucoup disparaissent, semaine après semaine. Le temps des témoins s’évanouit avec eux. Voici venu celui des historiens. C’est un défi en matière de transmission de la mémoire… A l’évidence, oui. Les témoins avaient, ont encore, une forte légitimité, une autorité naturelle, et qu’ils sont les seuls à avoir, vis à vis des jeunes qu’ils rencontrent. Aujourd’hui arrive le temps d’un défi à relever : celui de continuer à transmettre le message de ces hommes et de ces femmes qui ont résisté et payé le prix de cette résistance. On a des outils pour y parvenir : une masse de témoignages écrits et enregistrés est disponible. Mais je crois aussi dans la force des lieux de mémoire comme le camp du Struthof. Visiter le camp, c’est recevoir un témoignage, un témoignage qui, certes, ne parle pas tout seul car il nécessite un décryptage, un travail de préparation en amont de la visite. Mais ce lieu a sa force, son atmosphère. Bien expliqué, bien médiatisé, il dit des choses. Comme un témoin. C’est par l’émotion, c’est par le ressenti que peuvent s’ouvrir les portes de la connaissance. Quand les jeunes sont sur la place d’appel et qu’on leur suggère qu’il y fait très froid, qu’on y est là debout depuis 4 heures du matin. Tu imagines, quatre heures du matin ? Quand on interpelle les jeunes comme ça, ça fonctionne, croyez-moi…
“ LA DÉFENSE DE NOS VALEURS RÉPUBLICAINES NE S’EXPRIME QU’À LA LUMIÈRE DE NOTRE HISTOIRE NATIONALE… ” Michel Cymes s’est dénouée. Et vous n’avez pas hésité à intervenir… Pour moi, ce qui s’est passé les jours précédents cette interview de Michel Cymes à Kléber et cette polémique sur ce qui était advenu après-guerre des restes des 86 Juifs assassinés par les nazis en 1943 au Struthof sont l’expression d’un syndrome alsacien, je crois qu’on peut dire ça comme cela. La résurgence d’un traumatisme dont j’ai vraiment pris conscience depuis quatre ans que je vis et travaille en Alsace. Ce traumatisme est fondé sur des non-dits ou plutôt sur des maldits, ainsi que sur un déficit d’écoute des autres Français. Certains Alsaciens considèrent que la Seconde guerre mondiale représente une marque indélébile, ils pensent que le reste de la France les regarde différemment, d’un œil suspicieux, en raison essentiellement du drame de l’incorporation de force. Je pense que c’est en grande partie inexact. D’abord, 70 ans après la fin de cette guerre, les Français ne connaissent pas toujours bien l’histoire et encore moins ses spécificités alsaciennes ! Mais
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Pour rester dans le même registre de transmission de la mémoire, on s’aperçoit que les documentaires ou fictions de qualité qui ont été diffusés depuis cette série d’années mémorielles qui a commencé en 2010 ont tous rencontré un grand succès d’audience… Oui et c’est réjouissant ! Le film, laTV et internet qui les relaie, c’est efficace en matière de transmission de la mémoire. D’ailleurs, au Struthof, on a des demandes croissantes pour obtenir des autorisations de tournage. Et les succès d’audience que vous évoquez prouvent que les Français sont très attachés à l’histoire. On le voit avec les ventes des livres historiques, par exemple : leur succès ne se dément pas et la vitalité de ce secteur éditorial est énorme. C’est parce que notre peuple a eu une histoire exceptionnelle. Ce qui vient de se passer en janvier dernier est exemplaire, à cet égard. La défense
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de nos valeurs républicaines ne s’exprime qu’à la lumière de notre histoire nationale. Tout le monde comprend bien que les menaces qui planent au-dessus de nos sociétés rendent de plus en plus nécessaire l’enseignement de l’histoire de notre pays. L’Exécutif de notre pays doit continuer à défendre cet enseignement car il est salvateur. L’histoire est une science d’avenir. Elle ne se répète jamais vraiment, il n’y a pas de redite ni de paraphrase mais les grandes tendances déjà enregistrées dans le passé peuvent cependant ressurgir sous une apparence nouvelle… A vous écouter, à vous voir vous enflammer quelquefois, on vous sent habitée par l’histoire. Une passion dévorante ? Oui, c’est ça. A Sciences-Po Paris, je ne me sentais pas trop de préparer l’ENA. J’ai donc suivi la filière Histoire. Et là, franchement, quand vos profs s’appellent Olivier Wieviorka ou Jean-Pierre Azéma et que Michel Winock est votre directeur de thèse… Je vous coupe. Là, c’est carrément le gratin en matière d’histoire de la seconde guerre mondiale… On peut dire ça en effet. Ce fut… génial, tout simplement génial. Une fois agrégée d’histoire, je suis entrée comme chargée d’études à la Fondation Charlesde-Gaulle et j’y ai fait la vraie connaissance du Général. Je me suis occupée notamment de la Boisserie à Colombey-les-deuxEglises puis de la création du Mémorial Charles-de-Gaulle. Le résultat a été à la hauteur des espérances. J’ai aussi fait un bref passage au secrétariat d’Etat aux Anciens Combattants à l’époque où Hubert Falco était en charge. Un remaniement plus tard, cette fonction avait disparu du nouveau gouvernement ! Comme la directrice de l’époque du Centre européen du résistant déporté quittait son poste, ça m’a intéressé d’autant que je sentais que j’aimais l’Alsace, par intuition… Depuis quatre ans, j’aime ces lieux et le camp du Struthof génère une force incroyable. Et la mémoire de la Résistance, il faut l’entretenir, la garder bien
vivante. Il reste à augmenter la notoriété du lieu dans le reste de la France. Ce qui est passionnant c’est que se mêlent sur ce site plusieurs mémoires : celle des NN, les Nacht und Nebel, les résistants déportés mais aussi la mémoire de la Shoah sur laquelle on travaille beaucoup. Enfin il y a la mémoire alsacienne car, juste après la guerre, au Struthof, de nombreux Alsaciens ont été traités très brutalement, certains d’entre eux sans grand souci de justice. Tout cela s’est passé là. Ce sont toutes ces mémoires que je suis chargée d’entretenir, c’est mon travail et en effet, il est passionnant… » ◊
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LONDRES CE Q UE SE RÉ I N V E N T ER V E U T DI RE Des titans de verre et d’acier sortent de terre comme si le mot d’ordre était « Il est interdit d’interdire ! ». Toutes les audaces sont permises, sur les bords de la Tamise comme sur les plus antiques des friches industrielles de l’East End. Et un peu partout, de vrais créateurs s’en donnent à cœurjoie. A force de nous entendre dire que Londres était devenue en à peine quelques années la ville plus « Or Norme » d’Europe, nous sommes allés voir. Et nous avons été fasciné… /// REPORTAGE JEAN-LUC FOURNIER PHOTOS MÉDIAPRESSE - DR
MY GOD ! A deux pas des deux tours néogothiques du célèbre Tower Bridge, l’iconoclaste Boris Johnson, le maire de la ville, a autorisé Sir Norman Foster à déployer son talent high-tech pour construire le City Hall, un bulbe de verre de dix étages qui abrite une partie de l’administration municipale. Avec leur inimitable sens de l’humour, les Londoniens l’ont aussitôt surnommé « the glass testicle »…
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FRENCH FLAIR Jean Nouvel a brisé le signe indien qui voulait qu’aucun architecte français n’ait réussi à construire un immeuble dans le périmètre de la City. Son centre commercial One New Change (du nom de la rue où il se situe) permet aujourd’hui au dôme de la vénérable cathédrale Saint-Paul de se mirer dans les façades de verre d’un immeuble dont le Prince Charles s’était juré d’empêcher la construction par tous les moyens. Raté ! Là encore, ORNORME STRASBOURG / décembre 2014a prévalu… 15 l’audace
BREAKFAST ON THE TOP
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Au 40ème étage de la Heron Tower, le petit-déjeuner du Duck & Waffle est un des endroits les plus cosmopolites des petits matins londoniens. Les noctambules et les touristes y côtoient les hommes d’affaires de la City voisine dont certains préfèrent entamer leur matinée dans ce lieu plutôt qu’à leur bureau du tout proche « Gherkin » (le cornichon), encore une œuvre de Norman Foster, le « Baron des berges de la Tamise » comme le surnomment les Londoniens. ORNORME STRASBOURG / décembre 2014
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ART & CULTURE
LAST FRONTIER Chassés de leurs traditionnels quartiers de Shoreditch ou encore Brick Lane par la faute d’une ahurissante spéculation immobilière, les créatifs et alternatifs londoniens ont peu à peu migré aux confins de l’East End. Mais ils butent désormais sur ces palissades en bois qui marquent le début de l’ex-Parc Olympique de 2012 où s’élèvent déjà des appartements pour yuppies à plus de… 20 000 £ le m2 !
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The Shard
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DESTINATION DE LÉGENDE
LONDRES TO UT ES LES AUDACES SONT PERMISES !
C’est entendu : l’explosion verticale de Londres est plus près de l’anarchie architecturale que du développement raisonné. En attendant, elle accompagne à merveille l’image que souhaite se donner la capitale britannique, celle d’une mégalopole vibrante et énergisante, capable de ringardiser d’un coup ses consœurs du vieux continent… /// ILLUSTRATION LYDIE GRECO
THE SHARD Rien que le nom de l’immeuble représente déjà cette forme d’audace subtile que seuls les Anglais savent mettre en œuvre avec autant d’effronterie. A la vue des plans et images de synthèse qui leur avaient été fournis, les dignes fonctionnaires d’English Heritage, un établissement public qui gère les monuments historiques et donne également son avis sur toute nouvelle construction, avaient commenté ainsi, en grinçant, le projet de ce nouvel immeuble situé à deux pas du Tower Bridge, dans le quartier de Southwark : « Un éclat de verre transperçant le cœur du vieux Londres ». Dès les autorisations obtenues, le fond d’investissement du Quatar, propriétaire de l’immeuble, l’a donc baptisé… The Shard, le « tesson de bouteille ». Quand on règle rubis sur l’ongle le chèque final du plus haut immeuble d’Europe (1,8 milliard d’euros - l’appartement le plus abordable était vendu 45 millions d’euros
à l’ouverture de la commercialisation), on peut se permettre tous les pieds-de-nez ! The Shard est vite devenu le nouvel emblème de Londres depuis son inauguration le 5 juillet 2012, peu de temps avant le coup d’envoi des Jeux Olympiques. Et c’est vrai qu’il en jette, avec ses 309,60 mètres de haut qui étincellent à quelques encablures de la Tamise, de la gare de London Bridge (actuellement en pleine rénovation) et du King’s College. D’autant que les quartiers qui l’environnent directement figurent encore parmi les plus anciens de la capitale anglaise, renforçant ainsi le contraste… L’ORGUEILLEUSE CITY Juste en face de Southwark, sur l’autre rive, la City n’est pas en reste. Sa skyline est dominée par la silhouette massive et étrange du walkie-talkie, ce gratteciel inauguré il y a moins d’un an au 20 Fenchurch Street. L’œuvre de l’Urugayen Rafael Viñoly n’a laissé personne
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indifférent, c’est le moins que l’on puisse dire, en tout cas pas les voisins immédiats ou plus lointains, sous le feu des intenses réflexions du soleil dûes aux formes concaves des façades. La concentration des rayons solaires est à certains endroits si intenses que la température directe peut monter, en été, à… 90°. Un journaliste d’un tabloïd londonien s’est même amusé à faire cuire un œuf sous le feu solaire. Plaintes, campagnes de presse, tollés divers et variés : en ce printemps 2015, on est en train de terminer la pose de panneaux de réflexion censés régler le problème… A 200 millions de £ le chèque
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final, on aurait sans doute pu espérer moins de tracas. Une parfaite illustration de la frénésie qui règne à Londres dès qu’il s’agit d’un projet architectural de grande envergure : manifestement, on est loin d’instruire les dossiers d’autorisation avec la vigilance préventive qui devrait s’imposer… A côté de tous ces épisodes, le bon vieux « cornichon », le « Gherkin » de Norman Foster conserve la sympathie des Londoniens. Au 30 St Mary Axe, son haut en forme d’obus, ses entrelacements de verre et d’acier avaient intrigué au moment de sa construction, il y a à peine plus de dix ans. Mais ses manifestes options « écologiques » ont rassuré, de même que sa hauteur raisonnable, 181 m, 41 étages. Le « cornichon » est devenu très vite et reste un signal qui a conquis les Londoniens. A ses pieds, vers la mi-journée, des dizaines de marchands ambulants s’installent pour assurer le repas de midi de centaines d’employés qui ne s’accordent que quelques minutes pour grignoter sur le pouce. Un chouïa d’humanité dans un univers d’acier et de verre où, derrière les façades fumées, s’activent des milliers de « yuppies » obsédés par la performance et impatients d’escalader les escaliers de la « réussite »… ◊ The Gherkin
En début de soirée, des centaines de bus entament un intense ballet au pied des immeubles d’affaires de la City : ils sont pris d’assaut par les cols blancs pressés de rentrer chez eux…
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DÈS L’AUBE LA PERFO RMANCE À TOU T PRIX
/// ILLUSTRATION LYDIE GRECO
Il s’appelle Dan. 25 ans. Il habite « Fordham, un tout petit village près de Colchester, à près d’une heure de train de Londres, quand tout va bien… » précise-t-il luimême, faisant allusion aux nombreux dysfonctionnements dont souffre encore le réseau régional anglais après les vagues successives de privatisation. Nous l’avons rencontré un matin de semaine. Il n’était pas encore… 6h et, quasi seul, il était déjà à l’œuvre près de la gare de Liverpool Street, connecté à internet dans un de ces innombrables « Prêt à manger » (c’est le nom de la marque, en français dans le texte) qui parsèment Londres. « J’arrive toujours vers 5h à Londres 4 jours sur 5 de la semaine. Le vendredi, c’est plutôt 8h… D’abord, j’évite le rush dans les transports. A cette heure-là, c’est beaucoup plus cool. Et puis, ça me permet de gagner du temps de travail. J’attends dans ce bar que le personnel de nettoyage ait fini son travail dans nos bureaux de la Heron Tower où je travaille. Je bosse, je relève mes mails, je réponds à certains d’entre eux, je suis sur le net et je me connecte aux marchés asiatiques.
Vers 6h30, je serai à mon bureau et le premier meeting de la journée est à 8h. Je vais m’arrêter 30 minutes pour grignoter quelque chose vers 12h30 puis de nouveau le bureau jusqu’à 17h. Mais quelquefois, ce sera 18h30, voire plus quand il y a des urgences… » Dan est analyste financier, il travaille pour le compte d’une énorme banque internationale qu’il ne souhaite pas que nous citions et sur laquelle il ne nous en dira guère plus. Quand on lui fait remarquer le rythme de travail effréné qui est le sien, il soupire : « On n’a pas vraiment le choix quand on est comme
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moi en début de carrière. Alors autant s’astreindre à cette discipline de fer. Je suis célibataire, pas encore en charge d’une famille. Je me donne à fond à mon job et je ne suis pas le seul : tous mes collègues de travail, disons ceux qui ont moins de 35 ans, font comme moi. C’est le prix à payer pour être très performant. C’est comme ça… et d’ailleurs, mon contrat ne m’impose pas ces horaireslà. Pas plus que de consacrer aussi une large part de mon week-end à… ce que je n’arrive pas à boucler dans la semaine normale. C’est mon choix… » Et quand, dubitatif, on lui demande si ce rythme invraisemblable (il avoue luimême ne dormir que cinq heures en moyenne par nuit, samedi et dimanche compris) ne lui procure pas trop d’inquiétude sur sa santé future, il nous lance en riant : « D’habitude, je ne me pose pas ce genre de question aussi tôt le matin !.. » avant de redevenir sérieux et de nous répéter : « C’est comme ça… » La vie d’un jeune businessman ordinaire… ◊
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LES DOCKLANDS LA COURSE VERS L’EST
Depuis près de vingt ans, le centre de gravité de Londres s’est subitement déplacé vers l’Est de la ville. Et les deux rives de la Tamise sont concernées, dans un foisonnement de constructions nouvelles, de réhabilitations et d’innovations. Pas toutes réussies…
LES DOCKLANDS, MIRAGES DE VERRE ET D’ACIER Dans le prolongement direct de la City, au-delà du Tower bridge, de l’autre côté du fleuve, les Docklands sont un autre exemple de cette exubérance architecturale londonienne. Jadis, ces lieux furent un peu les greniers de Londres : les navires remontaient la Tamise et déversaient là, à l’entrée de la ville, leurs stocks de nourriture et de marchandises. Jusqu’à un passé somme toute assez récent, les Docklands étalaient leur paysage de vieux entrepôts en brique
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rouge et de silos le long d’interminables quais de déchargement. En vingt ans, tout a changé radicalement. On a imaginé pouvoir construire là « The New City », un méga quartier d’affaires agrémenté de commerces et d’hôtels de luxe, doté même d’une marina capable d’accueillir les yachts des milliardaires. Une sorte de mélange sans complexe entre Manhattan, Wall Street, Silicon Valley et Miami Beach. Adieu les vieux docks, ouste les classes sociales modestes qui résidaient là et bonjour les immeubles à 20 000 £ le m2 ! Sauf que la crise immobilière du début des années 2000 et
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son homologue financière de 2008 sont passées par là, bien avant que ce projet mégalo soit achevé. Les promoteurs y ont laissé plus que des plumes : aujourd’hui encore, si les immeubles sont bel et bien là et partent à l’assaut du ciel, la nuit venue, de nombreux étages restent dans le noir le plus complet. Inoccupés, depuis l’inauguration. Des centaines et des centaines de millions de livres sterling se sont évaporées. Certaines entreprises se sont hasardées à s’y installer mais elles n’ont guère été rejointes depuis. Les pubs et les restaurants ne se comptent pas par centaines et la DLR, la ligne de
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métro Docklands Light Railway qui, sans chauffeur, relie ces nouveaux quartiers au reste de Londres, est rarement surbookée. Reste qu’une étrange poésie urbaine naît de la visite de ces lieux : les immeubles au verre aveuglé au-dessus de Canary Wharf s’harmonisent finalement assez bien avec les pans de murs de brique rouge des vieux pâtés de maisons (du moins ceux qui ont survécu et ont été restaurés). Les portions d’autoroutes et de voies urbaines s’entrelacent et se glissent entre les gigantesques panneaux publicitaires lumineux. Les Docklands ont certes raté leur phase de lancement mais n’ont peut-être pas dit leur dernier mot. Si les urbanistes résistent à l’éternelle mégalomanie financière, ce gros quartier de l’East End de Londres peut encore faire parler de lui… ◊
Si l’esthétique urbaine vous parle, si vous avez « l’œil photo » une petite balade originale à partir de la station de métro Canary Wharf, sur la DLR. Descendez le Heron Quay en direction de l’Isle of Dogs (l’île aux chiens). Du haut de la rambarde, vous aurez ainsi une vue imprenable sur les Docks, juste de quoi faire fonctionner votre imagination en pensant qu’en ces mêmes lieux se dressaient les fumeries d’opium et les maisons closes de ce qui fut à partir du XVIIIème siècle le tout premier quartier chinois de Londres, un endroit chaud de la capitale où les jeunes British bon teint de l’époque venaient s’encanailler. En se marrant, le confrère journaliste anglais qui nous a raconté cette anecdote a ajouté : « On ignore encore le nombre de blennorragies qui ont été ainsi importées dans les beaux quartiers de Kensington ou de Chelsea… ». Humour anglais. Tout en bas de la rampe, vous arrivez à un rond-point
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absolument quelconque, enfin, pas tout à fait car en son centre, à la place de quelques platanes qui n’ont pas résisté à la circulation infernale, se dresse devant vous un incroyable « arbre à feux rouges ». C’est l’œuvre d’un artiste français d’art contemporain, Pierre Vivant. Cette sculpture de 80 mètres de haut comporte 75 feux lumineux qui s’allument et s’éteignent au hasard. Selon son créateur, « le dessin mouvant des feux de signalisation reflète le rythme ininterrompu des activités domestiques, financières et commerciales environnantes ». De temps à autre, un automobiliste qui se hasarde là pour la toute première fois s’arrête net à l’entrée du giratoire et se demande bien comment comprendre ces 75 feux rouges, oranges, verts qui clignotent frénétiquement devant lui. Drôle… ◊
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L’ART CONTEMPORAIN A BAT SES CA RT ES. . .
Londres a misé sur l’art contemporain sans doute plus que n’importe quelle autre capitale européenne. De la Tate Modern sur les rives de la Tamise à la flopée de galeries privées qui se bousculent au centre et jusque dans les espaces publics, l’audace est là aussi bien présente. Et c’est un régal pour les yeux… /// ILLUSTRATION LYDIE GRECO
Le 5 mars dernier, Boris Johnson, le fantasque maire de Londres, s’est offert un de ces moments qu’il adore tout particulièrement. Adepte des provocs et excès en tous genres (et des retombées médiatiques qui s’en suivent), le maire a dévoilé officiellement la dixième œuvre artistique en une décennie qui prenait place sur le 4ème pilier de la célèbre place de Trafalgar Square, au pied de la colonne où l’Amiral Nelson continue à narguer les visiteurs français plus de deux cent ans après la bataille navale qu’il remporta mais où il perdit la vie… Sur les trois autres piliers aux coins de la place figurent des sculptures archiclassiques comme par exemple des statues équestres des rois Charles I ou George IV. Pour une sombre raison que
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nous n’avons pas réussi à découvrir, le 4ème pilier, n’a jamais été occupé. Depuis dix ans, Boris Johnson crée donc l’événement en y installant une œuvre d’art qui ne laisse jamais le public insensible… Juste avant le 5 mars, c’était un jeune coq tout bleu qui trônait là. En ce début de printemps 2015, on dirait bien que le truc qui a atterri sur le socle est venu tout droit du Natural History Museum tout proche. Non, ce n’est pas le squelette d’un dinosaure mais bien celui d’un cheval, sculpté par l’artiste allemand Hans Haacke qui a souhaité « que les deux autres chevaux de la place accueillent avec bienveillance le nouveau venu… ». En se marrant, Boris Johnson lui a rétorqué qu’il voyait dans le Gift Horse de Haacke « le symbole des excès de sa municipalité en
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matière de politique d’austérité »… Reste que l’installation de cet immense cheval à un des endroits les plus traditionnels de la capitale britannique est un parfait exemple de l’audace londonienne en matière d’art contemporain.
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VASTE, LUMINEUSE, FORMIDABLE ET… GRATUITE !
De tous les endroits des bords de la Tamise que l’expansion de Londres a transformés, la Tate Modern est sans doute le plus emblématique. Sur la rive Nord, la cathédrale St Paul et la City attiraient depuis toujours les visiteurs. Mais pile en face, sur la rive Sud, ce n’étaient alors que vieux entrepôts portuaires mornes et crasseux, dominés par une haute tour d’usine surplombant le triste parallélépipède de briques rouges d’une centrale électrique construite dans les années quarante. A la fin des années quatre-vingt dix fut donné le coup d’envoi de cette politique d’envergure qui allait bouleverser le visage de Londres. La zone en question
était à l’épicentre de ces transformations. Dans un premier temps, on envisagea de détruire cette verrue disgracieuse. Puis, on se ravisa… La Tate Britain Gallery était chaque année obligée de faire des choix drastiques entre ses collections classiques et son fabuleux fond d’art moderne et contemporain. En deux coups de cuiller à pot (ça peut aller vite outre-Manche), on décida de déménager le contemporain en créant la Tate Modern. Et pour faire bonne mesure, on décida aussi de relier les deux rives par le Millenium Bridge, une passerelle piétonne au design qui n’est pas sans évoquer notre passerelle strasbourgeoise des Deux Rives. Et c’est ainsi qu’en 2000 fut inaugurée la Tate Modern par Sa Majesté Elisabeth en personne… De sa fonction initiale, le musée a gardé l’immense espace qu’occupait auparavant la salle des turbines. A peu près les dimensions d’une cathédrale pour ce qui sert aujourd’hui de hall d’accueil mais aussi de lieu d’expo (les araignées géantes de Louise Bourgois y avaient trouvé un écrin idéal il y a quelques années…) Epoustouflant ! Pour le reste, les deux architectes suisses Herzog et de Meuron ont agencé les 34 000 m2 disponibles sur six étages en réussissant à marier parfaitement le passé industriel du lieu avec les salles d’expos consacrées à l’art contemporain. La Tate Modern, tous les jeunes londoniens y vont pour ainsi dire les yeux fermés. Et pour cause, seule l’expo-phare est payante, toutes les autres salles sont en accès gratuit. Et dans ces salles, une débauche de Rothko, Mondrian, Henry Moore, Giacometti, César, Matisse, Miró, Magritte, Picasso, Dali, Klein, Pollock… et on en passe.
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Il n’y a rien de plus délicieux que de se retrouver là un après-midi de semaine, loin des foules du week-end : il y a toujours quelques classes de collégiens londoniens revêtus de leurs uniformes scolaires que les animateurs culturels de la Tate prennent en charge et qui croquent à tout va les œuvres sur leur cahier de dessin. A l’heure du tea-time, la terrasse panoramique offre une vue inouïe sur la City, et juste avant de partir, la boutique est remplie de bouquins et de gadgets où, chose rare en pareil lieu, on a à peu près réussi à éliminer le toc qu’on trouve encore abondamment dans certaines boutiques similaires sur le continent (on ne citera pas les noms, on n’est pas des délateurs…) 27
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A l’heure où vous lirez ces lignes, laTate Modern exposera (jusqu’au 9 août) la première rétrospective en Grande-Bretagne de Sonia Delaunay. On y retrouvera très certainement les gigantesques toiles de cette pionnière de l’abstraction géométrique, exposées dans l’immense hall de la Tate. On se régale à l’avance des belles taches de couleur lumineuses qui vont ressortir sur le fond noir des murs. Tiens, rien que pour ça, vous devriez prendre séance tenante votre billet d’avion ou votre ticket Eurostar pour Londres…
ET LE PRIVÉ N’EST PAS EN RESTE… La capitale britannique regorge de lieux, connus ou moins, où l’art contemporain surprend, interpelle et finit par charmer. La White Cube Gallery en fait partie. Elle est présente sur deux sites à Londres. Préférez celui du 144 - 152 Bermondsey Street (dans le sud-est de Londres) inauguré en 2011 et qui est venu en renfort du White Cube du 25 - 26 Mason’s Yard, dans le centre. Les expos temporaires y sont renouvelées mois après mois (tout est parfaitement détaillé sur www.whitecube.com). La galerie s’est surtout fait connaître en exposant les œuvres les plus provocantes de l’iconoclaste Damien Hirst (l’artiste n’hésite pas à travailler à partir de… cadavres d’animaux et il a même utilisé un vrai crâne humain datant de plusieurs siècles). Le tout Londres, pourtant amateur d’excentricité, avait quand même un peu grogné. Mais, il y a peu, la Tate Modern a présenté une énorme rétrospective de ses œuvres et a fait taire les râleurs.
dont on vous parlait plus haut). Attention : la Saatchi Gallery ferme quelques fois plus de trois semaines entre deux expositions – se renseigner sur www.saatchigallery.com - et sa situation privilégiée au centre de Londres fait qu’elle est assez souvent privatisée en soirée, ce qui vous empêche d’y accéder dès le milieu de l’après-midi. Quoiqu’il en soit, et nombre de nos amis londoniens qui nous ont aidé à préparer ce numéro Destinations de légende nous l’ont confirmé, on n’est jamais déçu par les expos montées ici. La Saatchi Gallery reste au sommet de l’art contemporain londonien. ◊
The Saatchi Gallery
Un autre lieu à ne pas rater : la Saatchi Gallery, du nom de son fondateur Sir Charles Saatchy, un des plus grands magnats de la pub qui ait jamais œuvré à Londres et qui est devenu aujourd’hui LE mécène anglais de l’art contemporain, devant Jay Joplin le fondateur du White Cube (ces deux-là ne cessent de se tirer la bourre au sujet des œuvres de Damien Hirst The White Cube
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CES MURS
Q U I NE PA RLE N T PLU S G U È RE. . . /// Après avoir fait ses classes à Bristol, le génial et mystérieux Banksy s’exprima à fond à Londres et pour cela, il avait choisi les murs de Shoreditch ou des rues perpendiculaires de Brick Lane. Aujourd’hui, on conserve pieusement ses œuvres passées et celles de ses potes graffeurs mais, spéculation immobilière oblige, ce n’est plus là que ça se passe…
Il y a des situations qui ne trompent pas. Mi-novembre dernier, au coin de Redchurch Street et Club Row, en plein quartier de Shoreditch. La pâle et grise lumière matinale est rompue par un inhabituel éclairage d’un blanc violent qu’on aperçoit à plusieurs centaines de mètres, en remontant la rue. Ce sont les mégas spots d’une équipe de tournage publicitaire. Une flopée de jeunes branchouilles (c’est le monde de la pub, coco !..) s’affairent autour
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d’une grande brune au format mannequin qui, manifestement, se les pèle dans sa petite robe verte acidulée (plus tard, elle en enfilera une rose). Le shooting consiste à la figer quand elle sort de la petite épicerie qui fait le coin et sur l’étal de laquelle s’entassent d’immenses bottes de carottes bien rouges aux feuilles bien vertes aussi (normal, c’est du plastique). Et, au vu des moyens techniques considérables déployés là, on devine qu’on est en train de shooter les photos publicitaires d’une campagne du printemps prochain pour un grand créateur de fringues de luxe… Le printemps suivant, justement, on y était de nouveau pour compléter nos pages londoniennes de ce numéro. La petite épicerie du coin était redevenue ce qu’elle était déjà depuis quelques années : un petit magasin de fringues vintage des années 60, toutes spécialement fabriquées il y a quelques mois pour le touriste crédule. Sa patronne loue sa boutique et son emplacement stratégique pour des tournages pendant les mois creux… C’est comme ça partout : dès que vous voyez les pubeux arriver en rangs serrés sur un quartier et tourner leurs pubs toutes semblables, à grands coups de clichés pauvres en imagination, vous pouvez en conclure tranquillement que les bobos pullulent tout autour et que l’ambiance que vous avez toujours aimée trouver dans ces lieux est morte et enterrée.
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A Londres, on appelle ça la gentrification. La boboïsation, en « français ». C’est ce que Lydie, la jeune graphiste alsacienne que nous vous présentons par ailleurs (voir page 40) nous a confirmé : « Ici, les prix de loyers sont devenus démentiels en à peine trois ans. Ils ont triplé voire quadruplé dans certains secteurs. C’est de la folie et cela explique pourquoi les créatifs ont fui ce quartier. Aujourd’hui, Shoreditch n’est plus arpenté que par les touristes et les habitants du quartier qui sont généralement des commerçants ou des jeunes cadres qui travaillent dans le secteur financier. Les artistes sont loin… » On se souvient en effet de ce qui se passait là il y a à peine quelques années, disons une dizaine. Aujourd’hui encore, on en retrouve les traces. Ces graffeurs un peu fous (mais talentueux et audacieux en diable) qui bombaient les murs avec, pour quelques-uns, un sens artistique tout à fait accompli. Si on retrouve les grandes fresques de Banksy que les propriétaires des immeubles, aidés par la municipalité, entretiennent avec soin (impact touristique oblige), on découvre encore de temps à autre quelques grafs audacieux, dérangeants, travaillés ou simplement beaux, artistiquement parlants… Mais l’essentiel de la « production » est devenue effarante de banalité, quasi semblable à celle de toutes les banlieues du monde. Si le temps du Shoreditch alternatif et si créatif est donc bel et bien passé, tout n’est cependant pas perdu ! Car c’est ailleurs que ça se passe… ◊
A Q U I A PPA RT I E NT LE
STREET ART ?
C’est le pochoir d’un petit garçon, pieds nus, qui coud à la machine une guirlande de petits drapeaux anglais. Le pochoir s’appelle Slave Labour, « Travail d’esclave » et il a été peint sur un m2 en juin 2012 au bas d’un mur de Haringey, dans le nord de Londres, à l’évidence pour railler les festivités du Jubilé de diamant de la reine. Sans aucun doute possible, son auteur est le plus célèbre des street artistes anglais, l’invisible et insaisissable Banksy. Son style et, surtout, la force très politique du message ne trompent pas… Le propriétaire du mur ne s’y est pas trompé non plus : près d’un an plus tard, il a fait découper cette partie du mur et il n’a pas hésité à la proposer à la vente via un trader américain, Fine Arts Auctions à Miami. La mise aux enchères a démarré à 500 000 $. On ne sait pas à quel prix l’œuvre a été acquise mais elle a bel et bien été vendue à un collectionneur américain. Entretemps, fidèle à son humour, Banksy est revenu clandestinement sur les lieux et a peint un petit rat très explicite à proximité immédiate du trou béant où apparaissait le petit esclave. Le rat exhibe une pancarte sur laquelle est inscrit « Why ? » Un comité d’habitants a tenté d’organiser une levée de boucliers, via Tweeter notamment : « La communauté de Haringey estime que cette œuvre lui a été données gratuitement et qu’elle doit la garder ». En vain : le trader américain est resté inflexible, estimant qu’à partir du moment où l’œuvre avait été vendue par le propriétaire du mur, « tout était légal à 150% ». Depuis, des deux côtés de l’Atlantique, les experts s’étripent pour déterminer à qui appartient le Street Art. De façon totalement cynique, Stephan Keszler, un galeriste de Southampton qui a exposés d’autres pochoirs de Banksy, découpés en Palestine où ils avaient été clandestinement réalisés, n’a pas hésité à déclarer : « La loi est avec nous, nous n’avons pas besoin de l’autorisation de Banksy . 50 000 personnes les ont découverts alors que seulement quelques Palestiniens les voyaient, et qu’ils étaient voués à disparaître ». Ben voyons… Sur le site Pest Control qu’il utilise pour homologuer ses œuvres, Banksy a demandé à la galerie de remettre en place ces œuvres. Demande bien sûr totalement ignorée… On en est là pour l’heure. Slave Labour n’a pas fait sa réapparition. Mais, depuis ce consternant épisode, beaucoup de marchands d’art ont pris le parti des artistes, refusant de vendre des pièces reconnues ou signées par leur auteur. « Nous ne vendons rien qui ait été enlevé à la rue car nous ne voulons pas aller contre l’artiste » a déclaré Lock Kresler, codirecteur des ventes chez Christie’s à Londres, cité par le journal Le Monde. Il ajoutait aussi : « Nous faisons authentifier toutes les pièces de Banksy qui nous sont présentées par le biais de Pest Control. » D’autres sociétés de vente comme Sotheby’s procèdent de la même manière… ◊
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THE LAST FRONTIER /// Chassés par la colossale spéculation immobilière du centre de Londres, les jeunes artistes créatifs (graffeurs, peintres, plasticiens, musiciens…) se retrouvent aujourd’hui au fin fond du East End londonien. Nous sommes allés voir…
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PAS S ION CR ÉATION AU
WHITE BUILDING /// ILLUSTRATIONS LYDIE GRECO
« C’est autour de Hackney que ça se passe aujourd’hui »… Hackney… Un improbable quartier au nord-est de Londres dont une grande partie a été rasée pour faire place aux installations olympiques de 2012, aujourd’hui regroupées sous le vocable « Parc Olympique ». En avant donc pour la station de métro Hackney Wick. Au fur et à mesure du voyage, des immeubles collectifs de plus en plus décrépis qui se dressent au milieu d’un paysage d’entrepôts et de petites unités industrielles, une sorte de Plaine des Bouchers, pour donner un repère strasbourgeois… Mais immense, interminable, tentaculaire… COWORKING A destination, une station toute proprette nous attend. Normal : elle fut une des principales qui desservait le stade olympique tout proche. Sous un beau soleil de début de printemps, on peut sans hésiter se diriger
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vers les installations olympiques qu’on devine au loin. On marche alors dans un quartier en pleine mutation : certes, les entrepôts ou petite unités artisanales dominent encore. Leur activité est bien réelle : camions, camionnettes, livreurs, la noria habituelle. Mais on comprend que de vieux bâtiments sans doute depuis longtemps désertés ont retrouvé depuis peu une nouvelle jeunesse en même temps qu’une destination inédite : ici un bar un rien branché, là, une galerie d’art, un peu plus loin un espace de coworking, le Hub 67, construit avec des
ART & CULTURE
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containers empilés ou juxtaposés dont les occupants se sont occupés (et plutôt bien…) de la décoration extérieure. Fin du fin, alors qu’on s’apprête à franchir un pont au-dessus du Regent’s Canal qui serpente dans le nord-est de la capitale, on tombe sur The White Building un imposant bâtiment qui fut il n’y a sans doute pas si longtemps un entrepôt ou une petite usine. L’endroit est stratégique : le long du canal, tout à côté du dernier petit pont. Au-delà débute le parc Olympique (d’ailleurs, le White Building fait face à ce qui fut le stade de lutte des derniers JO, en 2012). Toute la partie du bâtiment, le long du canal, a été réaménagée. Un grand bar, la Crate Brewery, est le point central de ce lieu où les alternatifs se côtoient toute la journée, pour se détendre ou travailler, et même une partie de la nuit comme nous le confirme Ted, un serveur barbu : « Nous avons rejoint ces lieux il y a plus d’un an. En fait, plusieurs micro-sociétés nous avaient précédés ici et elles sont toujours là : il y a une petite agence de communication qui édite un fanzine gratuit sur les musiques d’aujourd’hui et qui est distribué dans tous les endroits de Londres où les jeunes se concentrent. Il y a aussi un pool de designers de vêtements urbains, deux ou trois types qui ont créé un label musical, installé un studio d’enregistrement et qui programment aussi des concerts dans le
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centre. Les dernières installées sont deux filles qui recyclent les vieux meubles et les gros objets de décoration dont les gens se débarrassent. Elles les rénovent et les réinjectent dans le circuit commercial. Trois ou quatre boutiques bien en vue les revendent du côté de Covent Garden et à Soho. Je crois que leur business marche très bien… Enfin, juste au-dessus de nous, à l’étage, il y a «Space», une galerie d’art qui commence à se faire un nom sur Londres. Malheureusement, elle est fermée cette semaine. Et puis, il y a nous. On a emménagé notre bar et notre restau il y a un peu plus d’un an. En fait, d’habitude, on n’ouvre pas si tôt (il est dix heures, ce matin de début mars dernier – ndlr) car en fait, on ferme souvent très tard ou plutôt très tôt, 2 ou 3 heures du mat. Souvent, le service restau du soir se prolonge par un concert ou un set en livre improvisé par un groupe de passage. Et on a un DJ du vendredi au dimanche soir. On a un avantage : on ne dérange pas les voisins, d’abord parce qu’ils sont rares et ensuite parce qu’ils sont… avec nous, pour faire la fête ! » Et Ted de nous montrer ces alignements de péniches le long du Regent’s Canal : « Ne t’y trompe pas, elles sont toutes habitées même si à cette heure-là, ça ne se remarque pas forcément. Soit ils dorment encore soit ils sont déjà partis bosser… » Ted nous le confirmera plus tard : beaucoup de jeunes familles, certaines avec des enfants en bas âge, ont choisi d’habiter ainsi. Elles ont aménagé
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leur petit nid dans ces péniches toute en longueur qui, effectivement, sont amarrées sur au moins trois cent mètres de part et d’autres du White Building. « Et leur intérieur est plutôt luxueux. Rien à voir avec un squat… » se sent-il obligé de préciser. « Si tu reviens un matin vers 7h, tu peux très bien voir un jeune père de famille, tout ce qu’il y a de plus traditionnel avec son costard, enjamber son vélo pour rejoindre le métro qui va l’emmener à son travail au cœur de Londres ! Un peu plus tard, la maman va elle aussi sortir de chez elle pour emmener les enfants à l’école. Deux nouvelles classes vont ouvrir à la rentrée prochaine dans une école flambant neuve, de l’autre côté de la voie ferrée par laquelle tu es arrivé. Ça bouge fort par ici, crois-moi. Et le bon plan, c’est de se regrouper pour acheter des plateaux entiers des petites usines aux alentours. Avec un peu d’investissement et pas mal d’huile de coude, on se fabrique son loft ou son espace de travail à peu de frais, c’est super cool de pouvoir vivre loin du centre et surtout pouvoir travailler à deux pas. Le must, c’est quand même de rejoindre l’hyper-centre de Londres en vélo, via la piste cyclable qui suit la rive du canal. On peut y être en un peu plus de 40 minutes, la piste débouche directement à proximité de la gare de St Pancras… ». /// BRASSERIE CRATE THE WHITE BUILDING Unit 7 & 14A - Queens Yard Hackney Wick - London On peut réserver sa table : bar@cratebrewery.com
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LA DERNIÈRE FRONTIÈRE… Quand on lui explique ce qui nous a amené ici, Ted s’enflamme soudain : « Je trouve ta démarche étonnante et vraiment exceptionnelle. Un magazine de Strasbourg qui s’intéresse à nous parce qu’une graphiste française t’a filé le tuyau, je crois que les gens du coin vont avoir hâte de te lire sur internet. On aimerait bien que certains magazines londoniens en fassent de même, tu vois… Je vais t’en dire plus sur ce qui se passe ici. Beaucoup d’entre nous, il y a encore quelques années vivaient et travaillaient à Shoreditch ou dans d’autres endroits de l’Est de Londres. Mais les loyers sont devenus de plus en plus chers et la vie tout court aussi. Tout le monde a eu la pression des propriétaires qui, du jour au lendemain, pouvait augmenter le loyer de 20 ou 30% sans qu’on puisse faire quoique ce soit. Autour de nous, on s’est aussi aperçu que tout changeait : les petites boutiques devenaient des magasins quasiment luxueux, le petit pub du coin se transformait en restaurant huppé, ça ne nous amusait plus du tout. On a vite compris qu’il nous fallait trouver d’autres endroits pour continuer à vivre comme on le souhaite. Notre chance a été les Jeux Olympiques. L’East End s’est retrouvé quasiment coupé en deux avec les gros aménagements qui ont été réalisés pour les JO. Si tu te balades dans le parc Olympique, tu te rendras compte de son gigantisme. Le quartier d’Hackney a lui aussi été coupé en deux. Le pont que tu vois devant notre entrée, c’est notre dernière frontière, en quelque sorte. Au-delà, ces grues que tu aperçois sont en train de construire des immeubles où les appartements sont
déjà en vente à 20 000 £ le m2. Un centre commercial, le plus grand d‘Europe paraît-il, est ouvert, il n’y a que des marques de luxe ! Au-delà de ce pont, c’est un peu comme un autre monde. Ici, pour l’heure, nous n’intéressons personne. C’est le Hackney traditionnel sauf que les petites boîtes industrielles sont en train de disparaître : soit elles n’ont pas surmonté la crise soit elles vont chercher ailleurs un endroit à l’accès plus facile. C’est pourquoi des gens comme nous sont venus s’installer là et comme le bouche à oreille fonctionne, le flot ne se tarit pas. On est tous plus ou moins soit dans les domaines de la création artistique ou autre, soit dans les nouvelles technologies. Et toutes les origines et toutes les nations sont représentées. Quelquefois, je me dis que toute la jeunesse du monde s’est donné rendezvous ici ! Beaucoup de micro-entreprises qui s’étaient installées dans la Tech City ont fini par pousser jusqu’à chez nous. Des endroits comme le nôtre ou le Hub 67 que tu as dû voir en arrivant, il y en a plein qui poussent dans un rayon d’à peine deux kilomètres. On essaie tous de travailler en priorité avec ceux qui nous entourent. On se sent bien ici et je te le dis d’autant plus sincèrement que je vais bientôt quitter cet endroit. Je suis en fait mi-anglais, mi-gallois et mes pas vont me conduire vers Cardiff où je vais essayer de créer quelque chose qui ressemble au White Building… » Sincèrement, après une matinée passée avec la chaleureuse bande du White Building, nous avons été définitivement persuadés que ça se passe désormais là, en effet. Et l’image employée par Ted (« the Last Frontier ») nous a en fait plongé dans une grande perplexité.
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En regardant la carte de l’East End londonien de très près, nous avons en effet bien compris que la course vers l’Est des créatifs de la capitale anglaise s’arrêterait forcément là, au bord des rives du Regent’s Canal. Bien sûr, il faudra sans doute très longtemps (et c’est heureux…) avant que la gentrification phagocyte aussi ces endroits-là et les gens du White Building et leurs voisins vont pouvoir mettre à profit le long répit qu’ils se sont offerts pour développer les contours de ce qui nous a paru être comme une nouvelle façon de vivre, de travailler, de consommer. Plus en accord avec certaines valeurs qu’ils défendent bec et ongles. Retrouver la solidarité active qui fut aux avantpostes des années 60/70 mais incarnée aujourd’hui par des mômes de vingt ans, ça fait plutôt du bien ! En attendant, vous pouvez d’ores et déjà suivre nos pas (voir les indications pratiques dans les pages finales de ce dossier). Hackney Wick n’est certes pas la station de métro la plus connue des visiteurs de Londres mais croyez-nous, faites le voyage, vous ne le regretterez pas ! ◊ 39
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LES ALSACIENS D E LONDR ES
Lors des périples que nous réalisons pour chacun de nos numéros « Destination de légende », un des meilleurs moments est celui où nous rencontrons les Alsaciens qui vivent dans les villes et pays que nous traversons. Bien souvent, ce sont eux qui nous ont indiqué ces endroits qui ne figurent dans aucun guide car nous sommes en contact très en amont avec eux. Au point qu’ils finissent souvent par revendiquer d’être encore plus « Or Norme » que nous…
CHARLES BILGER Président de l’Union des Alsaciens de Londres ///
Ce jeune cadre financier de 29 ans travaille pour la Bank of New-York dans l’Asset Management (la gestion d’actifs) pour le compte des clients français de cette banque. Après être sorti de l’Ecole de Commerce de Nice, il a entamé un long parcours de stages internationaux aux USA, puis à Paris, Francfort, Stockholm mais c’est Londres qui l’attirait depuis toujours. « Oui, on peut parler d’un coup de foudre » nous dit-il en nous accueillant à l’Institut Français de Londres, dans le quartier de Kensington tout près de son domicile. « Je parlais bien l’Anglais, évidemment, mais Londres c’est la plus grande ville d’Europe et c’était évident pour moi de vouloir travailler et vivre ici. Ceci dit, rien n’est donné : quand je suis arrivé ici, je n’avais pas de boulot. Et vu le prix des loyers, après avoir payé mes trois mois de caution pour entrer dans mon appartement, je me suis très rapidement dit que si je ne trouvais pas un job convenable dans les quatre mois à venir, je rentrerais en France. Ca fait maintenant quatre ans et demi que je suis là… » Sur la vie quotidienne dans cette capitale qui semble pulser en permanence, Charles est quasi dithyrambique : « Je 40
me souviens de mon passage à Paris. Au bout de peu de temps, le train-train métro/boulot/dodo s’était vite installé. Ici, c’est impossible. Ça bouge constamment. Je dis toujours que la vie à Londres c’est comme l’interface d’un IPhone, tout le temps dynamique. A Londres, tu ne t’ennuies jamais : il y a infiniment plus de choses à faire que tu n’auras jamais le temps de faire. Le mardi, on lit Time Out, le mercredi on finalise sa shortlist de sorties pour les jours à venir, on jette un œil sur quelques magazines gratuits, on prête attention au boucheà-oreille et au final, on s’aperçoit qu’on ne parviendra sûrement pas à tout voir et tout faire. Entre mon métier et les loisirs, j’ai rencontré beaucoup de gens qui ont fini par constituer un réseau avec lequel je parviens à faire ouvrir certaines portes. Mais je sais aussi que beaucoup de relations sont au final assez éphémères. Côté travail, on est dans l’exigence en permanence, le rythme est incroyable mais à 17h, c’est fini. Dans nos métiers, les équipes françaises restent un peu plus tard, sans doute parce qu’elles savent que de l’autre côté de la Manche, leurs collègues travaillent plus tard en soirée. Ma boîte voudrait bien que je rentre en France mais moi, je ne suis pas d’accord, alors je cherche un autre job ailleurs. Je sens que j’ai encore beaucoup de chose à réaliser ici pendant encore deux ou trois ans ». Le rythme trépidant imposé par Londres ne semble pas affecter plus que cela le jeune cadre financier qui, pourtant, avoue que « de temps en temps, dire stop à tout et ne plus rien faire, c’est bien aussi. J’avoue que rentrer en Alsace me fait un bien fou, ça me revigore, je me repose. Je recharge mes batteries et quand je rentre ici, j’ai toujours quelques bonnes bouteilles de vin dans mon sac. Savoir que l’Alsace est à moins de deux heures de vol, c’est important pour moi et ça me ORNORME STRASBOURG / avril 2015
permet d’atteindre mes objectifs… » Et parmi ces objectifs à atteindre figure le renouveau de l’association des Alsaciens de Grande-Bretagne que préside Charles. Quand nous l’avons rencontré début mars dernier, il rentrait de France où il était allé assister aux obsèques de son prédécesseur, Jean Michel Ditner, le président «historique» de cette association, un homme qui a beaucoup compté pour Charles : « Jean-Michel avait 76 ans et il était à Londres depuis près de vingt ans. Son exceptionnelle carrière professionnelle dans le monde entier lui avait permis de bénéficier d’un réseau vraiment extraordinaire dont il a fait profiter tous les Français de Londres, pas seulement les Alsaciens. Il fut un mentor pour moi, il a juste eu le temps de m’apprendre ce qu’il fallait » nous a-t-il confié avec une intense émotion dans la voix. « Oui, j’aimerais bien pouvoir faire en sorte que l’association ait un impact encore plus fort à Londres. C’est pour moi un vrai objectif. » ◊ /// POUR CONTACTER CHARLES BINGER ET LES ALSACIENS DE LONDRES : charles.bilger@gmail.com
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CLAIRE PETITDEMANGE Etudiante Erasmus ///
Elle nous l’a répété au moins une demidouzaine de fois dans ce restaurant près de Picadilly Circus où nous nous sommes rejoints : « Culturellement, Londres, c’est extraordinaire ! » Et de nous détailler les musées qui sont tous gratuits. « Pas comme les sorties, les bars, les boîtes qui sont hors de prix, inaccessibles pour une étudiante comme moi » rajoute Claire Petitdemange. Agée de 22 ans, la jeune Neudorfoise s’est résolument plongée dans la vie anglaise grâce à une année Erasmus décrochée sur le quota des échanges entre Strasbourg et l’Université de Kingston, à une demiheure au sud de Londres. « C’est une petite ville très bourgeoise, calme et tranquille. J’y suis arrivée l’été dernier et de Londres, je ne savais que ce que j’avais vu dans les films. C’est l’aspect capitale, mégalopole, qui m’a attirée. Je ne suis pas déçue. J’adore me promener le nez en l’air un peu partout et Soho est le quartier que je préfère. Je me sens un peu comme une touriste à plein temps car ce ne sont pas les douze heures de cours hebdomadaires qui me contraignent en quoi que ce soit. Moi qui étais très speed auparavant à Strasbourg, ça m’a changée ! Pour être franche, je me sens un peu entre parenthèses ici, un peu en vacances. En fait, vu les moyens financiers réduits que sont ceux des étudiants, on est en recherche permanente des bons plans pour sortir, pour s’amuser. Dans ma bande, il y a une étudiante Russe qui est là depuis six ans et deux Italiens qui ont fui l’Italie pour vivre la belle aventure anglaise. C’est tout à fait l’ambiance du film « L’auberge espagnole ». Etudier et habiter à Kingston, c’est plutôt le bon plan car à Londres, un simple studio c’est 1000 £ le mois ! » Claire s’avoue séduite par « l’English way of life » : « Les Anglais assument à fond leur personnalité. On peut le remarquer au niveau de leur look. Alors qu’en France on a un peu tendance à s’habiller
toutes pareilles, ici c’est la singularité qui prime. Même quitte quelquefois à friser le ridicule. En ce moment à Londres, les filles s’habillent très court avec un maximum de fond de teint sur le visage ! Et tout cela se fait de façon très cool. » Et quid sur le plan juridique, puisque Claire est en 3ème année de droit ? « Là, on est dans le droit anglo-saxon, traditionnellement bien moins protecteur pour l’individu. Certes, on peut trouver vraiment très vite un job à Londres mais il ne faut pas perdre de vue qu’on le perd tout aussi vite ! Ce qui fait que le niveau de précarité est considérable. La flexibilité, c’est simple, elle est totale ! Une semaine tu travailleras quarante heures et la semaine suivante, ce sera zéro. Et tout cela au bon vouloir de ton patron qui change d’avis quand il veut et comme il veut. C’est à son entière discrétion, tu dois t’y soumettre ou t’en aller. On est bien sûr très loin de ce qui se passe en France… » Claire n’avoue qu’un seul vrai regret alors qu’elle s’apprête dans peu de temps à quitter l’Angleterre : « Je sens que j’ai mûri par rapport à ma relation aux autres. Ca vient du fait de côtoyer des gens très différents, des gens à qui je n’aurais peut-être jamais adressé la parole si je n’étais pas à l’étranger, comme eux. Mon regret provient des étudiants anglais euxmêmes : il y a un problème de fond qui fait que souvent, une forme de jalousie s’établit vis à vis des étudiants sous statut Erasmus. Ils savent que les études elles-mêmes ne nous coûtent rien alors qu’eux, ils payent ces mêmes études. Alors, ils sont un peu froids avec nous et au final, je n’aurais pas beaucoup échangé avec eux. Et c’est dommage… » Un bilan personnel néanmoins résolument positif pour cette jeune étudiante strasbourgeoise qui a goûté au système Erasmus et qui se verrait bien poursuivre l’an prochain. Elle nous dit qu’elle postule pour Paris, Strasbourg et Madrid. Mais c’est en prononçant ce dernier nom que ses yeux brillent le plus : une forte envie d’auberge espagnole, sûrement… ◊
RICHARD WEISS Restaurateur à Chelsea ///
Âgé de 46 ans, ce Colmarien d’origine vient de réaliser un de ces rêves en ouvrant son propre restaurant dans le cossu quartier de Chelsea : « Moi qui sortais d’une dernière expérience qui ne s’était pas bien terminée à cause d’un propriétaire disons… pas très correct qui a vu son bail rompu à la veille de Noël et qui nous a donc fait ce cadeau de fermer le restaurant illico, je ne cherchais pas forcément un tel lieu car Chelsea était a priori bien trop cher pour moi et ce restaurant un peu vieux. Mais bon, tous comptes faits, le coup était intéressant. Et voilà comment on a ouvert La Brasserie Gustave ! » Richard Weiss mise vraiment tout sur la réputation gastronomique française dans ce quartier huppé de Londres où les professionnels prolifèrent toute la semaine. Le nom de son restaurant dit tout et la carte aussi : elle annonce les entrées et les plats principaux en français, carrément ! Il faut dire que les noms parlent, pour tous les gastronomes de la planète : escargots à la Bourguignonne, terrine de fois gras, coquilles St Jacques, Châteaubriand Rossini, cassoulet au confit de canard et on en passe… C’est tout le terroir français qui défile sous les yeux des businessmen locaux et leur affole les papilles ! Ajoutez à cela une belle cave de vins (c’est tout sauf un hasard car Richard s’est vu décerner les titres de « meilleure carte des vins de Grande-Bretagne » et « meilleure carte des vins au verre au monde » en 2000) et vous comprendrez bien que La Brasserie Gustave voit son aura largement dépasser les limites du seul Chelsea… L’intéressé commente ça avec beaucoup d’humilité, surtout soucieux de nous expliquer que la restauration est avant tout affaire de travail, de passion et d’exigence. Toute notions qui, manifestement, l’accompagnent depuis toujours, comme en témoigne un CV conséquent où on relève, pêlemêle, un apprentissage à Ribeauvillé
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LONDRES puis quelques séjours dans de beaux établissements suisses ou allemands puis « conscient qu’il me manquait l’expérience d’un hôtel de luxe et le parler anglais », un premier séjour à Londres pour combler ces manques. Un instant consultant en vins fins en Afrique du Sud, Richard Weiss revient à Londres comme chef sommelier en 1999, au Brauwn’s Hôtel, un cinq étoiles situé sur Mayfair avant d’assurer la réouverture du restaurant Green House, un deux étoiles Michelin. En 2004, il entame une intense activité de consultant en restauration et vins fins qui, pendant sept ans, le passionnera. « En plus des produits à partir desquels j’imaginais une politique marketing et promotionnelle, en continuant mon activité de conseil en matière de vins, j’incitais mes clients à soigner l’attractivité de leur lieu, je les guidais pour qu’ils soient certains d’offrir le meilleur rapport qualité-prix et je les incitais à aborder d’autres concepts pour séduire une nouvelle clientèle, pour développer leur business. C’est ainsi que j’ai pu me faire un nom à Londres, cette ville qui est très exigeante en matière de restauration et que j’ai réussi à faire progresser mes clients dont plusieurs groupes internationaux. » Ouverte depuis dix mois, La Brasserie Gustave a reçu un superbe accueil de la part des journalistes gastronomiques anglais : « Michelin s’est fendu d’une belle appréciation sur Facebook, l’Automobile-Club, la référence des guides gastronomiques en Angleterre, nous a accordé deux rosettes. A trois, c’est l’équivalent du macaron Michelin. On est content, la critique londonienne nous a reconnus mais le but suprême, c’est que nos clients soient heureux et satisfaits. Le macaron, je l’aimerais surtout pour ceux qui bossent en bas et préparent chaque jour les produits frais. Oui, pour eux, il me ferait plaisir… » Ce que Richard aime le plus dans sa vie londonienne, c’est que le regard critique n’existe pas. « On ne sent pas observé en permanence » dit-il, « tu rentres dans un pub en pleine City vers 17h30 et tu vois le patron d’une multinationale qui boit une bière et qui discute avec son voisin de bar qui est un balayeur. Et de quoi ils parlent ? Neuf fois sur dix, de foot. Il n’y a pas de jalousie par rapport au statut de l’autre. Et on ne jalouse pas l’argent que l’autre possède. J’adore aussi le vrai cosmopolitisme qu’on rencontre ici. Ils ont construit un sacré empire, les Anglais, on le sent : Australie – Indes – Caraïbes – Afrique du Sud, etc, etc… C’est extraordinaire ! Et en tant que sommelier, je sens que leur culture vinique grandit : le Commonwealth importe ses vins, les
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Etats-Unis aussi, je découvre plein de nouvelles choses chaque semaine. Je ne pourrais pas revenir travailler en France, même à Paris ou à Monaco où l’aspect cosmopolite existe pourtant. Ici, j’ai la pleine reconnaissance de mon labeur, je travaille, je donne du travail à d’autres personnes et je me plais à Londres. Ici, on a la liberté de travailler, de gagner de l’argent, on peut le revendiquer sans problème alors qu’en France, on le cache. Ce qui gâche tout en France, c’est la jalousie vis à vis de ceux qui ont réussi. Il m’arrive parfois d’avoir une pointe de nostalgie en pensant aux asperges blanches du Sundgau ou à l’agneau pascal sur les tables alsaciennes mais la nostalgie s’arrête là. La France, c’est le plus beau pays du monde, mais pour la retraite ! » conclut Richard en ponctuant sa boutade avec un rire tonitruant ! ◊ /// LA BRASSERIE GUSTAVE 4 Sydney Street Londres-Chelsea +44 20 7352 1712 www.brasserie-gustave.com
LYDIE GRECO Graphiste Illustratrice ///
Cette jeune femme de 27 ans, originaire de Molsheim, a déjà beaucoup voyagé. Au sens propre mais aussi au sens figuré, en ce qui concerne les expériences professionnelles. L’époque où elle exerçait son métier de graphiste en freelance à Strasbourg (en même temps elle était serveuse chez « Jeannette et les Cycleux ») est désormais lointaine. « Oui, j’ai la bougeotte » avoue-t-elle. « Ça doit venir de mes parents : mon père, italien d’origine, est arrivé en France à l’âge de 17 ans. Ma mère a toujours eu la bougeotte elle aussi… » Depuis, New York l’a accueillie à deux reprises, notamment dans un studio de création graphique où elle s’est initiée à l’animation 2D pour le compte de musées ou d’architectes : « mais c’était compliqué là-bas, notamment question visa. Dommage, car c’est une ville que j’adore vraiment pour la liberté qu’elle
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nous offre et les opportunités culturelles. Un vrai rêve éveillé, pour moi. Mais il m’a fallu rentrer et j’ai décidé de tenter ma chance à Londres » nous raconte-telle dans un pub cossu du centre de la capitale britannique. « Je suis arrivée avec mon seul bagage et l’adresse d’une amie qui m’a hébergée pendant deux semaines. C’était en novembre, il y a quatre ans. En janvier suivant, j’étais embauchée dans un grand groupe et on m’a offert là des responsabilités qu’on nous donne en France quand on a 35 ans, au mieux ! Je me rappelle bien que je suis arrivée dans un univers d’hommes en costards, tous avec leur PC. Moi, en bonne créative que je suis, j’avais mon Mac. Ça tranchait … En fait, j’ai vécu personnellement ce que n’importe quel jeune Français peut espérer vivre ici, pour peu qu’il parle bien l’anglais. On jettera bien sûr un coup d’œil sur son CV mais, dans le fond, les écoles qu’il a faites, les diplômes, tout ça n’aura qu’une importance relative. Dans mon cas, l’école que j’avais faite n’était pas connue internationalement mais on s’en foutait. Ils se sont dits : « elle est douée, on la prend, on va lui apprendre ce qui lui manque pour travailler et, si ça marche, on pourra faire un bon bout de chemin ensemble… Ce qui fut le cas. Je viens de quitter ce groupe car je souhaitais développer mon activité personnelle en free-lance, ce que je faisais parallèlement à ce job. Mais ce fut une belle expérience. En tout cas, ici, un jeune qui vient et qui demande un stage, il l’obtient, en général. Et s’il est doué et bosseur, les propositions viendront toutes seules. C’est là la grande différence avec la France : ici, tu arrives, et tu obtiens un numéro de sécu en 5 minutes au Job Center et ensuite tu cherches, et tu bosses… En France, c’est beaucoup basé sur la culture du réseau. Si tu ne connais personne, c’est très dur d’entrer dans le circuit. » Lydie nous confirme assez vite qu’elle mène une vie trépidante à Londres. Manifestement bien intégrée, elle porte un regard objectif sur ce qui l’entoure : « Pour les Londoniens, c’est le duo amourhaine vis à vis de leur ville. Il y a trop de monde ici, c’est vraiment surpeuplé. En 2010, ils étaient en dessous des 8 millions d’habitants et dans moins de cinq ans, en 2020, nous serons 10 millions. Alors la ville s’étend et s’étend sans cesse mais tout le monde veut continuer à venir travailler au centre. Les loyers sont donc hors de prix. Ceci dit, quand tu es bien intégré, tu peux très bien manger pour 10 £ car tu as un choix de restos ahurissant. J’ai même déniché récemment un restaurant géorgien, c’est
LONDRES dire… Tous les pays du monde sont ici. Quand tu en as marre de l’Angleterre, et bien tu vas t’amuser dans une soirée brésilienne, c’est pas plus compliqué que ça. Cette ville a des atouts uniques, comme le fait qu’il y a de vrais forêts en plein centre. Pas des parcs, des forêts. Les Londoniens sont marrants : dès qu’il y a un peu de luminosité, ils sortent les ray-ban et les t-shirts… » Lydie est amoureuse de Londres, c‘est manifeste… Et elle n’est pas loin d’en connaître les moindres recoins. Ce soir de novembre dernier, elle nous parlera longtemps de sa véritable tribu, les « starving artists » qu’on pourrait traduire par les jeunes artistes débutants, très créatifs, et qui n’ont pas de mécène pour vivre de leur art. Elle sait où ils se trouvent et c’est elle qui nous aura incité à aller traîner nos semelles (et notre appareil photo) du côté de Hackney Wick, dans le East End. Quand on l’a retrouvée, début mars dernier, elle nous a indiqué le bon plan du Duck & Waffle en pleine City. Et les adresses Or Norme de Londres des pages suivantes lui doivent beaucoup également… On ne pouvait donc pas moins faire de demander d’illustrer quelques-unes des pages de ce dossier à cette petite Française pleine d’audace et qui a hâte de croquer le monde. Lydie ? Or Norme, assurément… ◊
JEAN-GUILLAUME KLEIS Créateur de sites internet et//innovateur / Nous avons rencontré Jean-Guillaume sur son lieu de travail au cœur d’Islington, un de ces quartiers populaires du nordest londonien qui constituent la « Tech City ». L’impasse dans laquelle se situe son bureau, Torrens Street, donne le ton : immeubles de briques rouges crasseux, petits entrepôts aux fenêtres aveugles, tout est là pour faire cliché, jusqu’au
vieux ferrailleur ferblantier dont l’atelier, toujours en activité (pour combien de temps encore ?), ferme la rue. Dickens au XXIème siècle, dépaysement garanti… Mais, comme souvent à Londres, les apparences sont diaboliquement trompeuses. Si, effectivement, les petits métiers qui occupaient les lieux il n ‘y a encore pas si longtemps ont quasiment totalement disparu, ils ont été remplacés par un nombre impressionnant de start-up en tous genres qui « coworkent » à tout va dans les étages des immeubles décrépis. D’où le nom de Tech City dont a hérité le quartier… Jean-Guillaume Kleis travaille donc au 4ème étage d’un de ces immeubles. Nous sommes au « Islington Impact Hub », « The Original Hub – Since 2205 », est-il écrit à la craie sur un classique tableau noir sur le palier où l’on apprend aussi que ce groupe privé de hubs représente 50 sites dans toute l’Angleterre qui accueillent 7000 membres. Ça donne la mesure du phénomène… Et là-haut, Jean Guillaume Kleis n’est pas seul. « Nous sommes en permanence une bonne vingtaine de personnes qui bossons ici en open space » nous raconte-t-il tranquillement. « Toutes sont, comme moi, des entrepreneurs et évidemment une immense majorité est branchée nouvelles technologies… » Âgé de 26 ans, Jean-Guillaume est déjà un « vieux » londonien en quelque sorte. « En fait, je suis arrivé ici à l’âge de 17 ans en droite ligne de Saverne où je vivais chez mes parents. Londres est l’endroit où mon père a été muté, dans le cadre de son travail dans le groupe Kraft-Suchard. J’ai donc passé mon Bac ici, au Lycée français et je dois dire que ce séjour primitif à Londres m’a ouvert les yeux, donné de l’ambition. Ensuite, j’ai fait une prépa d’école de commerce pendant deux ans à Paris puis j’ai intégré l’EM de Lyon, avant d’enchaîner les stages, surtout dans le trading financier. Cependant, l’idée de faire quelque chose pour moi ne m’a jamais quitté. En 2ème année d’EM à Lyon, en profitant du savoirfaire d’un co-locataire, je me suis mis à créer des sites internet pour des PME, des petits commerçants. A cette époque, je me disais que ça me permettrait peutêtre de déboucher sur autre chose. Et ça a été le cas quand j’ai créé des sites comparatifs de sites bancaire qui sont très bien référencés sur Google. Je me rémunère sur le trafic que je génère… » Logiquement, l’appétit venant en mangeant et l’expérience nourrissant les nouvelles idées de projets, JeanGuillaume a fini par dénicher la belle idée, la pépite : « Avec Vincent, un ami connu à l’EM Lyon et qui vit d’ailleurs toujours là-bas, nous avons créé stuffi.fr,
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un site high-tech qui apporte beaucoup d’infos en avant-première sur les objets interconnectés. Et ça marche : nous sommes souvent de plus en plus cités par les grands médias comme RTL ou Le Monde. Nous sommes régulièrement invités par de sites de e-commerce ou par des fabricants sur les grands événements mondiaux. En janvier dernier, nous étions au Consumer Electronic Show de Las Vegas, le plus grand salon mondial de high-tech grand public. Depuis six mois, nous sommes vraiment pris au sérieux et c’est évidemment très gratifiant. stuffi. fr, c’est aujourd’hui 150 000 visiteurs uniques chaque mois. Nous visons les 400 000 à la fin de l’année ! La structure est une vraie start-up : outre Vincent, mon associé et moi-même, nous avons avec nous cinq ou six rédacteurs free-lance qui rédigent les articles destinés à être mis en ligne sur le site. Notre moteur, c’est évidemment la passion et on nous dit souvent qu’elle se ressent dans l’écriture. Si tout va comme on le souhaite, on créera notre société indépendante à la fin de l’année. L’aventure est belle… » De fait, stuffi.fr est un modèle de site d’actualité. Au moment où nous bouclions la rédaction de cet article, il affichait un reportage très complet et très bien documenté sur Baselworld, le plus grand salon mondial de l’horlogerie de luxe qui se tient chaque début de printemps à Bâle. En temps réel, stuffi. fr répertoriait toutes les marques qui se lançaient dans la montre connectée, la smartwatch, relevant « l’indécision des horlogers suisses », annonçant une montre « bling-bling » en train d’être conçue par un grand couturier en collaboration avec un chanteur de renom, relevant aussi que nombre de ces objets présentés à Baselworld n’étaient encore qu’à l’état de « concept ». Bref, du bon vrai boulot de journaliste et pas seulement de chroniqueur fasciné par la nouveauté : Jean-Guillaume Kleis et son associé peuvent être fiers de leur bébé… Le jeune Savernois se sent bien à Londres (sa copine, qui travaille à la White Cube Gallery dont nous parlons par ailleurs n’y est, à notre avis, pas pour rien), au point qu’il envisage même d’y acquérir un appartement malgré « les délirants prix au m2 ». « Beaucoup de mes amis ne se voient pas rester ici car tout va trop vite, tout est trop cher, trop, trop, trop… C’est vrai que cette vie peut épuiser car on est toujours à fond : à fond dans le job, à fond dans les loisirs, à fond dans les amitiés, à fond tout le temps et partout… J’avoue que quand ma sœur m’invite chez elle à Obernai, c’est un choc ! Les petits oiseaux, le silence… je revis. Je me fais plaisir, je m’apaise enfin… » ◊ /// WWW.STUFFI.FR
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ART & CULTURE
NOS BONS PLANS /// ORNORME STRASBOURG / décembre 2014
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TRADI T IONN E LLE , IN S OLI TE , F O N C E US E , D É JA N T É E , I N V E NT I V E ...
N OTR E LOND RES
OR NORME
L E POL LO CK’S TOY M USE UM Une vraie découverte Or Norme. Sur trois niveaux (et cinq salles à l’accès tortueux mais magique), c’est l’univers fantastique du jouet ancien qui s’étale sous vos yeux. Sincèrement, on se croirait dans un film de Tim Burton. Les jouets populaires du 19ème et du 20ème siècle et de tous les pays sont tous là : poupées, clowns, lanternes magiques, stéréoscopes, kaléïdoscopes, chevaux à bascule, trains électriques, camions de pompiers, garages, meccanos, théâtres animés, jouets en bois, sans oublier les illustresTeddy Bears et on en passe… Une collection fantastique (et qu’il serait impossible de réunir aussi complètement aujourd’hui) basée sur les derniers stocks et les acquisitions à l’étranger de la marque britannique Pollock, basée à Hoxton. La boutique au rezde-chaussée est un ravissement elle aussi… Votre âme de môme ne vous a jamais vraiment quitté ? Alors ce lieu délicieux est fait pour vous ! /// POLLOCK’S TOY MUSEUM
Bien sûr, il y a Westminster et Big Ben (photo ci-dessus), Buckingham Palace et sa relève de la garde, le British Museum et la fameuse pierre de Rosette, la National Gallery et ses empilements de chefs-d’œuvre, Covent Garden et ses boutiques bobo, la Tour de Londres et les bijoux de la Couronne… Mais vous n’avez pas besoin d’Or Norme pour découvrir ou revoir tout ça. En revanche, grâce à plein d’amis londoniens dont certains figurent dans ces pages et nos propres découvertes lors de nos errances urbaines, nous vous avons sélectionné quelques agréables surprises… LES PEINTURES MURALES DE
JEAN C O CT EAU
Cet endroit-là, on a adoré le découvrir. L’église Notre-Dame de France n’est évidemment pas très connue des Londoniens et pourtant elle se situe quasiment sur Leicester Square, une des places les plus fréquentées du centre de Londres. Le bâtiment est très quelconque mais il a une vertu essentielle : son calme vous apaise formidablement quand vous y pénétrez, loin de l’extrême agitation de Soho. Son intérêt est dans une petite chapelle sur la gauche de la nef où Jean Cocteau a réalisé en 1960 des peintures murales exceptionnelles, dédiées à la Vierge. La sobriété du trait et de la mise en couleur est subjugante et il paraît que l’artiste a dû œuvrer protégé par une palissade tant les Londoniens avaient déjà été atteints par sa notoriété en France et tenaient à assister à son travail. Clin d’œil : Jean Cocteau s’est représenté lui-même au pied de l’autel… /// NOTRE-DAME DE FRANCE 5 Leicester Square / Métro : Leicester Square
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1 Scala Street / Métro : Goodge Street www.pollockstoytheatres.com
P O RTO BELLO ROAD M ARK E T NOTTING HILL Il y a certes beaucoup de monde le week-end mais le marché de Portobello Road à Notting Hill a réussi à ne pas tomber dans les excès de son homologue de Camden où c’est la véritable cohue autour du grand n’importe quoi. Ici, le long des petits immeubles aux couleurs pastel, on peut encore dénicher le vieil objet patiné par le temps, un précieux microsillon des Beatles ou encore une loupe du 19ème siècle… Certes, le toc n’est pas totalement absent, mais Portobello Road se visite autant pour les stands que pour l’ambiance..
DEUX PUBL ICATION S
BAR B E R & PA R LO U R À SHOREDITCH Un concept-store de trois étages magnifiquement agencé où on peut voir un film à l’Electric Cinema au sous-sol, déjeuner, acheter ses produits frais et même se faire raser (pour les messieurs) au rez-dechaussée et se faire pomponner (pour les dames) à l’étage -ongles, coiffure et boutique beauté-. A la sortie, prenez quand même le temps de jeter un coup d’œil à certains murs peints aux alentours, quelquefois on y retrouve la poésie des origines… /// BARBER & PARLOUR 64-66 Redchurch Street (entrée par Club Row) Métro : Shoreditch High Street
Et les sites internet dédiés. On les trouve à peu près partout où ça bouge bien, dans le nord de Soho, dans les parages de la Tech City et plus généralement dans l’est et le nordest de Londres. LE FLANEUR est édité trimestriellement et est disponible gratuitement dans les pubs et restos. Concerts, expos, sorties… à profusion. Dans le numéro de mars dernier, on a même relevé quelques citations pour lier connaissance dont celle-ci, excellente : « Dites-moi, embrassez-vous des inconnus ? Non ? Alors, je me permets de me présenter… » POSITIVE NEWS : trimestriel, lui aussi. Sa petite équipe rédactionnelle est abritée au Impact Hub Islington où nous avons rencontré Jean-Guillaume Klein (voir page 41). Ce tabloïd de 24 pages est bourré de nouvelles positives (comme l’annonce son titre). « Nous sommes la génération qui va créer une économie plus équitable » revendiquait la Une du numéro 82 où on lisait aussi en pages intérieures dans une interview de la jeune Rhiannon Colvin, co-fondatrice de la start-up AltGen : « Je suis heureuse qu’il y ait une crise économique » ces mots soulignant que les jeunes de 18 à 29 ans créent leur propre entreprise et travaillent ensemble et non l’un contre l’autre « à se battre pour obtenir un poste. » On a remarqué aussi deux pages sur le Constructive Journalism : comment le journalisme hyperlocal peut se mettre à la disposition des petites communautés. Démarche passionnante. Bravo à cet excellent confrère ! /// WWW.POSITIVENEWS.ORG.UK
LA BI BL IOTHÈQUE DE L’I NSTI TUT F RANÇAI S On est bien d’accord, une capitale ça se découvre à pied ! Bon, quelquefois, on a le droit aussi d’avoir un coup de barre. Si vous en avez marre de vous vautrer dans le premier pub venu, (et si vous êtes dans le quartier de Kensington), n’hésitez pas à pousser les portes de l’Institut Français de Londres. Au rez-de-chaussée, un cinéma (avec une excellente programmation) et un bar pour les assoiffés. Et à l’étage, une de ces splendides bibliothèque english style où il n’est nul besoin d’être adhérent pour pouvoir feuilleter les quotidiens et les magazines français. Le tout dans un silence religieux et reposant…
U P P E R ST R E E T À ISLINGTON On est là dans un Londres encore peu connu des touristes et encore populaire malgré la prolifération des start-up (on est en pleine Tech City). Au nord-est du centre, Upper Street déroule son long ruban de commerces entre les stations Angel et Highbury & Islington. Jean-Guillaume Kleis nous a donné ce tuyau et il a eu bien raison : toutes les gastronomies du monde (ou presque) sont ici, à des prix plus qu’abordables et avec une qualité au top. Impossible de vous détailler tout ça mais une chose est sûre : chacun y trouvera son extase des papilles. Le soir, Upper Street s’anime bien et s’y promener tranquillement est un plaisir… Là où on a craqué ? au 287, en voyant la vitrine du pâtissier Ottolenghi…
BRIGHTO N
/// INSTITUT FRANÇAIS 17 Queensberry Place Métro : South Kensington www.institut-francais.org.uk
Il fait beau à Londres ? Doux ? Et même chaud (rêvons-un peu) ? Vous en avez marre de l’hyper-agitation de la ville ? Pas de panique, il y a un remède. Vous filez à la gare de Victoria Station et vous sautez dans le premier train pour Brighton. A moins d’une heure de la capitale anglaise, c’est un petit air de Deauville qui vous attend. Tout au bout de l’unique rue commerçante, c’est la célèbre jetée et ses attractions foraines, ses bars alignés à la queue-leuleu, ses petits restos fish and chips. Après un bel aprèsmidi estival, quand le soleil a plongé face à vous dans la mer après son dernier show, vous rentrez le soir sur Londres, parfaitement no-stress…
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PÉTRA
LA C H ATOYAN T E Entre la mer Rouge et la mer Morte, en bordure du désert du Wadi Rum, Pétra vous donne, plus qu’aucune autre cité perdue, le sentiment d’être un explorateur. Spectaculaire et inoubliable… /// TEXTE ET PHOTOS VÉRONIQUE LEBLANC
Décoller pour la Jordanie au printemps 2013 fut épique… Il s’agissait de partir pour une « zone à risques » et le pilote exigea plus de carburant qu’à l’ordinaire, histoire de pouvoir se dérouter vers un aéroport sûr en cas de nécessité. Or, du carburant en plus, ça fait du poids supplémentaire et il fallut débarquer quelques passagers dont nous faisions partie. Restait à prendre le vol suivant pour finalement atterrir à Aman avec, en tête, le sentiment étrange de se poser dans le seul pays à peu près en paix de la région. Aujourd’hui, les choses ont changé pour le pire. Daech est passé par là… Et nos souvenirs de Pétra, destination finale de notre voyage, se sont teintés de quelque chose en plus, comme une profondeur de champ supplémentaire, un attachement encore plus fort à la ville rouge des Nabatéens, survivante
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des siècles si magnifiquement griffée par les sables et l’érosion. Il est vrai que déjà à l’époque nous avions croisé des membres des forces spéciales françaises en permission d’un jour, escaladant avec nous le sentier rocailleux qui mène au temple du « Sacrifice ». Ils étaient là pour former des soldats jordaniens…
ORNORME STRASBOURG / avril 2015
LE KAZNEH FILMÉ DANS « INDIANA JONES » Pétra se mérite si l’on veut faire plus qu’y passer un jour en profitant des chevaux et des ânes mis à disposition des touristes. Il faut la découvrir à pied, éprouver son ampleur dans les muscles, grimper à flancs de collines pour découvrir ses trésors les mieux cachés. Y accéder représente déjà une petite marche d’un kilomètre et demi, entre les parois du Sîq. Mais au bout de ce canyon, c’est le choc face au mythique tombeau du Kazneh… Celui-là même que filma Spielberg dans « Indiana Jones et la dernière croisade ». Il faut poursuivre, grimper au monastère du Qasr-alBint, un des rares monuments du site construit plutôt que creusé dans la roche, contempler le théâtre romain édifié, tout comme les deux autres lieux, au cours
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du règne du roi Arétas 1er, de -9 à l’an 40 de notre ère, explorer les temples rupestres, ne rien rater des mille et une merveilles d’un site inscrit depuis 1985 au patrimoine mondial de l’UNESCO. La ville rouge, oui. Ou plus exactement « la bariolée » selon une des étymologies possibles de son nom sémitique « Raqmu ». La pierre y est partout présente, moirée du jaune au violet en passant par le rose, sublime dans la lumière de fin d’après-midi. SUR LA ROUTE DES ÉPICES L’heure de gloire de Pétra débuta au 8e siècle avant J.-C. lorsque les Nabatéens la firent prospérer grâce à sa position sur la route des caravanes transportant l’encens, les épices et autres produits précieux entre l’Egypte, la Syrie, l’Arabie du Sud et la Méditerranée. Elle compta jusqu’à 25 000 habitants avant de décliner vers le 8e siècle lorsque la modification des routes commerciales et un séisme entraînèrent son abandon progressif. Redécouverte au XIXe siècle, elle reste un lieu hors du temps animé de tentes bédouines où se rafraîchir pour souffler un peu avant de se relancer à sa découverte. Et même s’il n’est jamais agréable de se cogner aux touristes on ne peut que lui souhaiter d’en accueillir encore et encore. Ce serait bon signe pour la région tout entière. ◊
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L’AUTRE CHYPRE AU-D EL À D U MU R /// TEXTE ET PHOTOS CHARLES NOUAR
Dans l’avion, une journaliste pour la Deutsche Welle s’inquiète. Théoriquement passer du Nord au Sud et inversement ne devrait pas poser de difficultés selon le droit européen. Officieusement, ses contacts auprès des autorités chypriotes grecques indiqueraient le contraire. Motif sous jacent : accepter que des citoyens de l’Union ou de tout autre pays gagnent la partie grecque par le Nord reviendrait implicitement à reconnaître « l’annexion turque » et la RTCN, la République Turque de Chypre Nord. L’air de rien, le ton est donné mais pas forcément du côté attendu, rappelant cette période où franchir la Ligne Verte et échapper au regard des miradors des deux armées relevait au mieux du défi administratif, au pire de la démence... Finalement, les jours suivants nous rassureront sur ce point : franchir la ligne ne relève dans la 50
pratique que de la formalité, qui plus est pour qui traverse Nicosie par la Buffer Zone, sous contrôle de l’Onu. CHANGEMENT DE DÉCOR Mais ce qui surprend peut-être le plus, de retour à Chypre Nord, après 15 ans d’absence, est ce changement de décor. Les routes, les rues, les façades des maisons poussiéreuses de Lefkosa – l’appellation de la partie turcophone de Nicosie – ou de Famagousta ont en grande partie cédé la place à de nouveaux immeubles sans grande personnalité mais qui témoignent d’un réel développement urbain. Dans ces rues, des enseignes, aussi, de constructeurs automobiles, asiatiques mais également... européens, en dépit de l’embargo imposé au Nord.
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Entre deux vitrines, des bars lounge, des clubs, voire des complexes ouverts à toutes les permissivités, aux abords de Lefkosa, où il n’est pas rare, nous indique un chauffeur de taxi, de croiser une clientèle chypriote... grecque. Et puis, phénomène nouveau, les casinos ont fait leur apparition de ce côté de l’île, adossés à des hôtels haut de gamme dont ceux de la chaîne Merit, géant turc du secteur hôtelier. La raison, nous indique l’un de leurs représentants, la décision d’Erdogan, quelques années en arrière, de les interdire sur le continent. De peur que la manne financière générée ne prenne la direction de pays comme la Bulgarie, leur présence a été facilitée en RTCN, avec pour conséquence première, pour cette partie de l’île, d’en tirer de nouveaux profits pour se développer.
retourner vivre dans un pays qui n’est pas le sien au motif que ses parents ou grand-parents y seraient nés ou, plus cyniquement encore, qu’il serait le fruit d’un mariage mixte? Qui plus est quand, de l’autre côté de l’île, nul ne trouve à redire quant à la donation de la nationalité chypriote « grecque » à des migrants russes en dédommagement de quelques investissements financiers au Sud...
AURAIT-ON IDÉE DE DEMANDER À UN GAMIN DE RETOURNER VIVRE DANS UN PAYS QUI N’EST PAS LE SIEN ? L’embargo dans tout cela ? Un peu comme à Cuba, au final. Beaucoup de vent, de gesticulations et et de pressions politiques pour une issue assez fataliste en soi. Soit le Sud de l’île accepte de revoir quelques exigences à la baisse comme la demande - entendue sur place d’un haut fonctionnaire chypriote grec associé aux négociations de paix – d’exiger le départ de l’île de l’ensemble des militaires, ainsi que des « colons » et de leur descendance, soit le Nord continuera inévitablement à se développer lentement mais sûrement aux dépends du Sud et, réalité économique et géostratégique oblige, à voir progressivement l’étau de son isolement se desserrer. Parce qu’en écho à ces exigences politiques,le discours entendu dans les rues du Nord est invariablement le même : loin d’être rejetée, la présence militaire turque reste inversement perçue comme un gage de sécurité, nul n’oubliant, au delà de la réécriture grecque de l’Histoire, que celle-ci, à la différence du régime des Colonels, ne résulte pas d’une volonté d’oppression mais de protection des populations turcophones. Parce que dans ces mêmes rues, nul n’imagine expliquer à des gosses issues de la deuxième ou troisième génération de migrants que le pays dans lequel ils sont nés n’est pas ou pourrait ne plus être le leur. Parce que ces gens là, anciens migrants ou descendants de ceux-ci, ne sont depuis longtemps plus ou n’ont jamais été turcs. Aurait-on simplement idée, aujourd’hui en France, de demander à un gamin né dans l’Hexagone et donc français, de
UN TERRITOIRE ENCORE PRÉSERVÉ DES VAGUES DE MICKEYS Face à la mer, sur la terrasse d’un petit restaurant de poisson à proximité de Famagousta, alors que les vagues s’abattent sur le petit muret la séparant de la mer, c’est un sentiment mitigé qui se dégage de tout cela. Un sentiment de gâchis infini de voir cette île, membre de l’Union européenne, scindée en deux, faute d’une histoire récente qui n’a jamais su ou voulu se réconcilier avec elle-même. Un sentiment d’espoir, aussi, à voir que du côté « civil » les initiatives se multiplient pour passer outre les vétos politiques. Des jeunes des deux communautés qui se rencontrent et confrontent cette même histoire, au travers d’événements culturels, de discussions, de débats en plein cœur de la Buffer Zone de Nicosie. Un nouvel archevêque qui, sous les auspices de la diplomatie suédoise, reconnaît pour la première fois l’autorité du grand Mufti du Nord sur la partie Sud, et le grand Mufti la nomination d’un évêque au Nord. Des deux chambres de commerce de l’île qui travaillent, en dépit des entraves politiques, à permettre à un Chypriote grec de pouvoir recevoir et appeler au Nord et à un Chypriote turc de faire de même au Sud. Car oui, là-bas, si les hommes peuvent désormais franchir le mur, les ondes locales ne le peuvent toujours pas...
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Sentiment, enfin, peut-être plus égoïste, de se dire que, malgré cette aberrante situation, séjourner en tant que touriste dans le Nord est peut-être une aubaine. Parce que territoire encore préservé des vagues de Mickeys et des flots ravageurs du tourisme de masse. Parce qu’ici, peutêtre bien plus qu’au Sud, on y trouve encore des plages, des monuments, parfois une culture, préservés. Le paradoxe de l’isolement, sans doute, mais pour combien de temps dans un Nord qui, seul ou avec le Sud, finira à un moment ou à un autre à repousser les limites de son isolement du moment. ◊
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SÉGOLÈNE
AU V EN T D U L AR G E Strasbourgeoise depuis quelques mois, Ségolène le Montagner est conductrice de TER en Alsace et, à chaque fois qu’elle le peut, largue les amarres pour de lointaines destinations. Une fraîcheur et une énergie « Or Norme ». /// TEXTE VÉRONIQUE LEBLANC PHOTOS DR
La première fois que j’ai rencontré Ségolène c’était chez Fred, le brocanteur du Boulevard de Nancy. C’est comme ça chez lui, on rentre pour chiner, on se voit offrir un café, on bavarde et l’on croise les Strasbourgeois les plus incroyables. Ségolène n’échappe pas à la règle. Je n’ai vu que ses yeux au premier abord, le reste de son visage était emballé entre le col montant de son blouson et un bonnet bien enfoncé. Un regard d’enfant… Il faut dire qu’elle n’est pas bien vieille. Vingt-deux ans et « déjà deux tours du monde à son actif » m’a appris Fred. « En train et en cargo, le moins possible en avion », a précisé l’intéressée en m’annonçant qu’elle était « dans la vraie vie, conductrice de trains à la SNCF ». Assurément un personnage Or Norme, une interview « Destinations de légende » s’imposait. Rendez-vous fut pris. Où ça ? Chez Fred évidemment. C’est donc bien calées dans d’improbables fauteuils kitsch que nous avons poursuivi notre conversation.
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« POURQUOI PAS MOI ? » Aux origines était Quimper où Ségolène est née en 1992. « La passion des trains m’est venue dès l’âge de huit ans, raconte-t-elle, et j’en ai fait mon métier ». Apprentie de 16 à 18 ans à Lyon, elle a saisi l’opportunité d’une formation SNCF pour accéder à la conduite et devenir la plus jeune conductrice de trains en 2010. Son installation à Strasbourg date de mars 2014. C’est par choix qu’elle est venue en Alsace et elle ne regrette rien, « la région est belle, les transports bien développés, la nature jamais loin et l’Allemagne très proche ». « En plus, Strasbourg est une très belle ville. » Une très belle ville qu’elle quitte pour prendre le large à chaque fois qu’elle le peut. En train bien sûr. Elle en aime le rythme, le défilé des paysages par la vitre. Et puis en cargo. Fille de moniteur de voile, Ségolène a toujours aimé la mer et s’échappait volontiers dans l’univers industriel du port du Havre quand elle était encore bretonne. Elle a vu un jour un cargo larguer les amarres et s’est dit « pourquoi pas moi ? ».
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Un petit tour sur Internet lui a appris qu’un « Cargo Club » se réunit tous les premiers mercredis du mois dans les locaux de la librairie « Ulysse » à Paris. « Des gens qui ont voyagé en cargo, ou qui en rêvent, s’y retrouvent », explique Ségolène qui a décidé de les rejoindre. Elle avait 19 ans et a très vite embarqué sous pavillon français vers La Martinique et la Guadeloupe. « Un voyage extraordinaire dès le départ de Rouen, au milieu des grues… » Son périple devait durer 10 jours, il fut prolongé de sept avant un retour en France par avion. « Cinq passagers à bord et l’on s’est très bien entendus, tout comme avec
les membres de l’équipage qui aiment parler de leur métier. » « ON NE PENSE PAS PAREIL QU’À TERRE » Pour Ségolène, la mer représente « un arrêt dans le temps » scandés par les repas au carré des officiers, un barbecue rituel à chaque traversée, des karaokés si l’équipage est philippin... Certains passagers peignent, elle lit et écrit « parce qu’on ne pense pas pareil qu’à terre »… Elle a aussi profité de ces moments suspendus pour apprendre l’anglais en suivant les leçons prodiguées par un officier ukrainien durant ses heures de quart matinales. Mais ça c’était lors d’un autre voyage, de la Fosse-sur-Mer à NewYork. La découverte de Manhattan au lever du soleil lui reste à jamais en mémoire. « Aborder New York par la mer, c’est magique… » Mais tous ses voyages l’ont marquée car « chacun a son petit truc bien à lui ». De Zeebrugge à Beyrouth ; de Charleston à Sydney en passant par le Canal de Panama (infesté de crocodiles !) et l’Equateur ; de Singapour au Havre via le Canal de Suez… Une part du voyage en cargo, l’autre en avion. A chaque fois des
rencontres, le choc de l’arrivée dans un port – invariablement « mythique » -, le plaisir de regarder charger les cargos… « Fabuleux », dit-elle. UNE PASSION POUR LA RUSSIE Elle raconte les paysages australiens qui l’ont enthousiasmée bien qu’elle ait préféré les rapports humains tels qu’ils se nouent en Amérique, et se souvient de mille anecdotes… Mais c’est la Russie qu’elle évoque avec le plus de passion. Partie de Moscou pour parcourir en train 6 000 km en direction de Severobaïkalsk, elle a rencontré Youri qui lui a proposé de partager son repas. « Nappe, couverts,
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poulet, gingembre, salière, cognac…, il a tout sorti d’un panier et on s’est mis à discuter tout un après-midi ». Trois jours et demi de voisinage ferroviaire ont mis Ségolène en confiance et elle a décidé d’accepter l’invitation de Youri et sa femme, contactée par téléphone. C’est donc dans la ville industrielle de Bratsk qu’elle est descendue, accueillie à bras ouverts dans une famille où elle s’est sentie chez elle dès le premier jour. « Ils m’ont emmenée en balade autour de la ville et le dimanche, ils se sont débrouillés pour que je prenne l’hydroptère qui dessert les villages de bûcherons non accessibles par la route. » Ségolène est ensuite partie pour Irkoutsk où l’attendait le fils de Youri mais à peine dans le train, un appel de ses nouveaux amis lui demandait de revenir les voir après avoir découvert le lac Baïkal (photo ci-contre). « Le plus bel endroit que j’ai jamais vu, dit-elle de ce lieu hors du monde. Il m’a coupé la respiration. Personne d’autre que des pêcheurs, le calme absolu et un immense sentiment de liberté. » ET PEUT-ÊTRE UN JOUR LA GRÈCE À CHEVAL De retour à Bratsk, elle a « vécu à la russe » pendant une semaine, entre les courses, la cuisine, les séances aux Banya, un barbecue le long de la rivière, un 28 septembre, par une température de 1°… Elle a aussi vu Moscou et Vladivostok mais a raté d’autres étapes sans regret. Ces jours passés auprès de la famille de Youri lui ont donné plus de souvenirs qu’il n’en faut, une connaissance du pays et de ses habitants qu’elle n’aurait pas acquise autrement et surtout des amis avec lesquels elle est toujours en contact. « On s’envoie un message par jour et je leur adresse des cartes postales de tous les endroits où je vais. Ils font partie de ma vie. » Ségolène les reverra bientôt. Au printemps ou en septembre. Elle a d’autres projets à l’horizon des mois qui viennent. Une traversée en cargo mixte (fret et passagers) vers la Norvège avec dans la foulée le train jusqu’en Suède, en Finlande, en Estonie et en Lituanie. Istanbul peut-être, mais en train. D’ici trois-quatre ans, elle envisage de découvrir la Grèce en compagnie de sa jument Mayleen. « Ça dépendra d’elle mais c’est l’un de mes objectifs… » En janvier 2016, en tout cas, elle embarquera à bord d’un cargo céréalier en direction du Brésil. A pied, à cheval, en train ou en cargo, par monts, par vagues et par vaux, contre vents et marées, Ségolène ne cesse d’élargir ses horizons. ◊
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RENCONTRE
L’OPTICIEN
Q U I CA R ES S E L ES ÉTOIL ES
Rien ne prédestinait Jacques Marmet à devenir un des rares êtres humains qui peut se vanter d’avoir conquis les plus hauts sommets de la planète. Cet opticien strasbourgeois dit joliment : « Quand je ne fais pas de lunettes, je suis en montagne ! » Si vous ne savez pas ce qu’être passionné veut dire, lisez ! Et si vous savez, dégustez… /// TEXTE JEAN-LUC FOURNIER PHOTOS MÉDIAPRESSE - DR
« Je ne suis pas sûr que mes balades en montagne vont intéresser vos lecteurs ». C’est la toute première réponse que nous avait faite ce presque sexagénaire quand nous avions sollicité une rencontre. Trop modeste, M. Marmet, trop modeste… Alors on s’est retrouvé tout près de son magasin d’optique près de Saint-Pierrele-Jeune. Et il est arrivé, démarche sportive et tout de noir vêtu. Nous avons écouté cet Ardennais de naissance nous raconter ses aventures professionnelles. D’où il ressort, pour faire court, que sa première rencontre avec Strasbourg date de la fin des années soixante-dix quand il avait supervisé les travaux d’une boutique d’optique qui devait s’installer dans un centre commercial naissant et qu’il devait diriger. « Ce n’était pas mon rêve, mais bon, je me suis laissé convaincre par mon père, qui était également opticien. Ça a bien marché mais j’ai démissionné en 1985, pour ouvrir un centre de distribution de lentilles de contact, place Broglie. Trois ans plus tard, j’étais… à Paris, pour ouvrir un centre du même type puis un concurrent m’a appelé pour diriger un réseau de franchise, avec un concept de distribution de lunettes sans vitrine.
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Bref, à force d’accumuler les expériences dans un milieu qui me plaisait, j’ai fini par me dire qu’il faudrait peut-être que je pense plutôt à moi puisque je savais tout faire dans ce domaine. Voilà comment je me suis installé à mon compte début 90. Ça aurait pu être à Paris mais j’ai choisi Strasbourg parce que mon épouse était d’ici. Je me suis acheté un magasin que je possède encore. Et j’en ai ouvert un second, rue de l’Eglise… » LA DÉCOUVERTE DES SOMMETS Notre opticien a toujours été amoureux du sport - tennis de table, canoë de vitesse sur plan d’eau, vélo (tous les dimanches, il fait encore ses 100 km hebdomadaires), le ski également, appris quand il avait 20 ans sur les douces pistes du Jura, près de SaintMorez, le temple de la lunetterie. C’est un autre commerçant de Strasbourg, Bernard Gillet, un habilleur, qui va tout déclencher. « Il me contacte un jour : tu sais skier ? Je lui dis que oui et nous voilà partis pour Heidelberg, en Suisse, et là je découvre qu’il est un très grand skieur qui adore les couloirs vertigineux. Cette première sortie a été…
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sportive, pour moi. Bernard était aussi alpiniste. Un autre jour, il me demande de l’accompagner au Mexique pour réaliser avec lui une trilogie sur les plus grands sommets du pays. Je n’avais jamais encore gravi un sommet, je n’avais aucune expérience. Là-bas, J’ai tout découvert. J’avais 39 ans et malgré mon inexpérience, j’ai été parmi ceux qui sont arrivés au bout. Nous étions une vingtaine, et seuls six d’entre nous y sont parvenus… » Il faut croire que l’ami alpiniste avait vu juste, concernant Jacques Marmet. Un peu plus tard, il le convainc de tenter l’ascension de l’Aconcagua, un sommet de 6900 m, toujours en Amérique du sud, sous la direction d’un guide haute montagne, Bernard Muller. Par hasard, ce dernier a un désistement : Jacques saute sur l’occasion, sans trop se poser de questions. Mais sur les pentes du géant sud-américain, ça ne se passe pas forcément comme prévu. L’épouse de Bernard Muller est la célèbre alpiniste Laurence de la Ferrière, elle dirige le groupe. « A 4h du matin, nous avons retardé notre départ pour attaquer le sommet final. Trop de vent. Puis, à 6h, allez, on y va ! Je me sentais bien ce
SÉLECTION LIVRES
matin-là, j’ai pris beaucoup d’avance en progressant. Soudain, derrière moi, il n’y avait plus personne. J’ai donc suivi la trace en solitaire puis je suis arrivé dans la Canaletta, le couloir final. Je savais qu’il fallait les attendre, Laurence me l’avait dit. Mais j’ai quand même attaqué, toujours tout seul. Une première chute, pas énorme, m’a sonné et vexé en même temps. Puis une deuxième, un peu plus haut. Puis j’ai aperçu Laurence, et j’ai réalisé que je n’étais pas dans le bon couloir ! Il m’a fallu entreprendre une traversée horizontale très difficile. On a fini par se croiser, pas loin du sommet. Eux, ils redescendaient. Elle m’a ordonné : descends avec nous ! Mais j’ai rétorqué : non ! Je veux le voir ce sommet. J’y vais ! Alors, elle m’a simplement dit : démerdes-toi ! J’y suis parvenu, seul. Le temps qu’un autre guide me rejoigne et qu’il fasse la photo, j’ai entrepris de redescendre. Mais, comme tout le monde, j’ai été victime de la décompensation. On se vide, littéralement… J’ai mis un temps infini pour descendre et la nuit a fini par me rattraper. Je n’avais pas de lampe frontale, je ne voyais plus rien et j’ai un peu paniqué. Je me disais que Laurence savait que j’étais encore dans la montagne, qu’elle allait bien finir par m’envoyer des fusées éclairantes. Mais
j’ai attendu longtemps, en vain… J’ai fini par m’arrêter et… par m’endormir. Ça, c’est une des grandes facultés que j’ai, m’endormir vite. Et dans mon rêve, j’ai entendu qu’on criait mon prénom : Jacques ! Jacques !! Ce n’était pas un rêve, pas très loin une frontale s’agitait dans la nuit. C’était mon compagnon de tente qui, malgré sa fatigue après l’ascension s’était convaincu de remonter à ma recherche. Mon sauveur ! J’avais des débuts de gelure aux doigts, aux orteils. Sans lui, soit j’y restais, soit j’étais bon pour l’amputation. Evidemment, l’explication avec Laurence a été sérieuse : « Tu es incompétent. Tu n’as rien à foutre avec nous dans la montagne, tu l’as bien cherché, rentre chez toi » m’a-t-elle crié. Et moi, je lui ai répondu : « Si je tente l’ascension, c‘est pour arriver au sommet ! Pour vivre cette putain d’émotion-là… » TOUJOURS PLUS HAUT L’aventure aurait pu s’arrêter là. Mais c’était mal connaître l’appétit de Jacques Marmet. Après quelques cours de perfectionnement, sur tous les terrains des sommets autour de Chamonix, c’est à une véritable boulimie que se livre ce fou de montagne : dans la même année, en 1996, il réussira l’ascension
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du Kilimandjaro, en Afrique, du Cervin en Suisse, et de pas moins de six sommets de plus de 5000 m en Equateur ! « Ma seule motivation : je voulais que le sommet suivant soit plus haut que le précédent ! Je frôlais l’addiction » se souvient-il aujourd’hui. Avec dans la tête une idée qu’il va garder longtemps secrète, de peur qu’on lui rétorque qu’il n’a pas le niveau : la conquête d’un des mythiques 8000 ! A sa grande surprise, quand il ose enfin, Bernard Muller lui répond : « Zéro souci ». « J’ai souffert sur mon premier 8000, le Cho Oyu, au Tibet. A cause du manque d’oxygène, bien sûr, ce phénomène bien connu des himalayistes. Le plus on monte, le plus la pression barométrique est moindre. Au sommet de l’Everest, par exemple, avec la même aspiration, on avale 1,2 litre d’air, pas 4 comme on le fait normalement. C’est ce manque d’oxygène dans le sang qui provoque les oœdèmes pulmonaires ou cérébraux qui ont tué les 182 personnes qui sont mortes là-haut. Les Américains ont calculé qu’on rentrait dans la dead zone vers 7500 m… » L’Everest, justement. Le plus haut sommet du monde, le rêve de tant de grimpeurs. Jacques Marmet va le conquérir en 2004, devenant ainsi le 54ème Français à réussir cet exploit, le
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2000ème humain aussi. Depuis, 2000 autres y sont parvenus. Mais avant cette réussite, il y eut un échec, que Jacques raconte aussi volontiers qu’il conte son exploit de 2004. « En 2001, j’ai divorcé et j’ai débuté la vie avec une nouvelle compagne. Deux mois après, je lui ai annoncé que je partais pour l’Everest. Elle était d’accord à condition que je puisse lui donner de mes nouvelles. Je savais que c’était possible parce que Jean-Marc Porte, le rédac-chef de Trek Magazine aurait avec lui un téléphone satellitaire, un truc très rare à l’époque, et qu’il était OK pour que je m’en serve. Au cours de l’approche du sommet, j’entendais la petite voix de ma compagne qui me disait : « Sois prudent, reviens vite… ». Peu à peu, j’ai été comme cannibalisé par cette petite voix et cette histoire amoureuse. Après une nuit blanche où quelqu’un a été victime d’un œdème cérébral, je me suis dit que je l’aimais trop et que je devais donc rentrer. On ne peut pas être à deux endroits à la fois sinon, on rate tout ! J’ai donc pris la décision de rentrer, de tourner le dos à l’Everest… » Un retour évidemment cahotique, une longue marche à pied pour redescendre, un trajet en 4x4 pour franchir la frontière népalaise, puis la galère pour retrouver Katmandou et surtout, récupérer des billets d’avions après une semaine d’attente. Après un nombre conséquent d’escales, au moment de l’arrivée à Strasbourg, une grève des taxis à Entzheim ! « Je voulais lui faire la surprise » se souvient-il. « Sur le palier, je me suis aperçu que je n’avais pas les clés pour rentrer chez moi ! J’ai erré toute la matinée. Puis, j’ai sonné et j’ai entendu sa voix : « C’est qui ? » C’est moi ! « Mais tu es qui ? ». C’est moi ! C’est moi !! » Aujourd’hui encore, quand il raconte ce souvenir, Jacques Marmet est ému… Trois ans après, il va donc vaincre le plus haut sommet du monde. Avec là encore une superbe anecdote : « Presque au sommet, j’ai ressenti comme un état de grâce. Le soleil me percutait en pleine gueule car évidemment, il n’y a pas làhaut 8 km d’air pour en amortir les effets. Puis, au sommet, je me suis congratulé avec mon sherpa qui était d’origine grecque et qui, du coup, vivait lui aussi un moment privilégié puisqu’il devenait le premier Grec à réussir l’ascension. Et tout à coup, j’ai réalisé que j’étais le premier crétin au monde à vaincre l’Everest et qui avait oublié son appareil photo au camp de base ! Heureusement, mon sherpa avait une caméra dans son sac… »
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Au sommet du Vinson, en Antartique, à 4892m d’altitude
JAMAIS EN MANQUE DE RÊVE Jacques Marmet ne s’est bien sûr pas arrêté là. Il faut l’entendre raconter aujourd’hui comment il a réussi le challenge des Seven Summits, conçu par l’Américain Richard Bass, basé sur l’ascension de la plus haute montagne de chaque continent. « J’ai été le 6ème Français, le 129ème homme au monde, à le réussir. » Sans une once de prétention, calmement, comme si vous et moi nous racontions comment nous avons réussi une superbe randonnée sur un des sentiers des Vosges, il témoigne aussi de la réalité « plus qu’évidente » du réchauffement climatique : « Aller au Tibet aujourd’hui, c’est comme la roulette russe. En 2010, j’avais atteint l’altitude de 7200 m en sept jours. Deux ans plus tard, au même endroit, un sérac s’est détaché à 4h du matin, il a tout arraché le Camp 3 et il y a eu 20 morts, dont 3 Français, tous emportés dans leur sommeil. A 4 h du matin, un tel événement est illogique ! Du jamais vu ! Ça veut dire que même si on fait tout dans les règles, on n’est plus à l’abri de rien. L’Himalaya, c’est plus ça : je vise maintenant le continent sud-américain, la plus belle montagne du monde, dit-on, les 6000 m de l’Alpamayo, au Pérou. Ce sera pour dans les mois qui viennent. J’ai tout mon temps… » Evidemment, une question nous brûlait les lèvres : qu’ y a-t-il en finalité de tout ça ? Car il est évident que nous ne sommes pas là qu’en présence d’un grimpeur, futil désormais très expérimenté. Un instant, Jacques Marmet sourit quand on lui confie qu’on le sent serein, calme, sûr de lui puis il se prête au jeu des confidences presque intimes : « Ce que je garde de meilleur, c’est la rencontre avec les gens,
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et nos conversations, même quand elles sont silencieuses comme avec cette vieille mama tibétaine avec qui j’ai partagé le thé seul avec elle dans sa maison. Je ne parlais pas sa langue, elle ne parlait pas la mienne mais elle m’a servi plusieurs tasses de thé en une demi-heure. Et quand j’ai voulu lui laisser quelques dollars, elle a formellement refusé. Etre reçu comme ça à Strasbourg ? C’est impossible bien sûr… En marchant, je dis bonjour à absolument tout le monde. Quelquefois, on engage la conversation et c’est magique. J’ai aussi beaucoup changé, côté spiritualité. J’ai été catholique pratiquant, puis j’ai pratiqué de moins en moins. Pas besoin d’église quand on a rendez-vous sur d’autres terrains avec tant d’autres fidèles pour prier ou communier. Dieu est en nous et partout, donc je peux prier n’importe où. En expédition, je prie encore plus. Et quand on réussit un sommet, il y a toujours une énorme étreinte entre tous les gens de la cordée, on peut facilement se mettre à pleurer tous ensemble, làhaut. Mais si tu rencontres une de ces personnes place Kléber quelques mois plus tard, il ne se passera rien. Ce n’est qu’en vivant ces choses exceptionnelles qu’on peut ressentir tout ça. Il y a comme une forme d’accomplissement à réussir de telles choses. Je suis demandeur de ça, c’est ma came, c’est ce que je vais chercher. Quelquefois, dans le boulot, après une somme de travail considérable, quand je fais le montage d’un verre et que je sais que je vais livrer un beau produit, bien fini, je ressens un peu ça aussi… D’ailleurs, quand le soir arrive, je veux terminer le job avant de rentrer chez moi. C’est comme un sommet, je veux y être… » Pour finir, on en vient à parler de l’âge qui avance : « Je ne m’interdis toujours rien » dit Jacques. « Je me dois juste d’accepter de prendre un peu plus de temps pour réaliser les ascensions et pour récupérer ensuite aussi. Je dois m’y faire, c’est tout. Et puis, j’ai appris qu’un Japonais avait fait l’Everest plusieurs fois. L’an passé, lors de sa dernière ascension, il avait 90 ans ! » Là, au-delà du sourire, on a vu clairement une petite lumière illuminer l’œil de cet homme « Or Norme »… ◊
RETRO
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STRASBOURG, BOUGE-TOI !
« D ES C O LS À 4200 M, D ES LACS SA L ÉS. .. »
Geneviève Engel (à gauche) et Juliette Luttmann
Il est probable que ces deux femmes devaient se rencontrer tant elles possèdent en elles cette « gnake » qui soulève les montagnes et sont adeptes de relever les défis qui se présentent. En l’occurrence, elles n’ont que quelques mois devant elles pour réunir le budget qui leur permettra de partir pour l’Argentine sur les traces du Dakar et pour le compte d’une association qui leur tient à cœur. /// TEXTE ALAIN ANCIAN PHOTOS DR
En 2013, Juliette Luttmann, 40 ans aujourd’hui, s’est trouvée. Dis comme ça, cela peut surprendre mais pourtant, ce n’est ni plus ni moins que la vérité. Cette dynamique employée au service Evénements de la Ville de Strasbourg nous raconte tout, avec une forme de jubilation qui prouve à quel point l’expérience l’a marquée : « Pour sortir de mon quotidien, j’ai décidé de relever un vrai défi. Pour moi, il était gigantesque ; il s’agissait de participer à un rallye-raid, le Rallye Rose des Sables, durant onze jours au Maroc, dont deux en autonomie totale. C’est simple : je partais du zéro absolu. Je n’avais jamais conduit un 4x4, jamais ouvert un capot de voiture, je n’avais aucune notion, même primaire, de mécanique et encore moins de conduite sur des terrains désertiques. Je me suis donc lancée avec ma coéquipière Olivia, car il s’agissait d’un rallye 100% féminin. Pourquoi ce coup de folie ? Outre le fait de sortir de mon quotidien, donc, il y a avait aussi le désir de venir en aide à une association, les Enfants du Désert.
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L’expérience a été totale et magnifique : on est arrivé 67èmes sur 209 équipages. J’ai beaucoup appris sur ma propre résistance aux événements et surtout, j’ai appris à repousser mes limites psychologiques. Tout se passe dans la tête, j’ai pu le mesurer très concrètement sur le terrain où j’étais en totale osmose avec Olivia avec laquelle j’ai formé un binôme parfait. Nous nous sentions vraiment responsables l’une vis à vis de l’autre. De toute façon, l’année qui avait précédé était déjà un aboutissement car on se décarcasse pour réunir le budget
ORNORME STRASBOURG / avril 2015
et faire toutes les démarches. Le résultat final, le classement, ce n’est que la cerise sur le gâteau, la perf purement sportive est secondaire, pour moi… » Evidemment, après avoir goûté à ça, on n’a qu’une envie : repartir de nouveau pour une aventure similaire, à la première occasion. Quand Juliette a eu vent de la mise sur pied du Trophée Rose des Andes qui se déroulera l’an prochain sur les pistes sud-américaines empruntées désormais par le rallye Paris-Dakar, elle a su immédiatement qu’elle en serait. Mais, problème : sa coéquipière, enceinte, lui a annoncé qu’elle ne partirait pas… UNE PHOTOGRAPHE-AVENTURIÈRE « D’abord, j’ai un peu paniqué » avoue Juliette. « Par expérience, je connais désormais l’importance de former un duo parfait, complice, en osmose. Je me suis dit que ça allait être compliqué… Mais le hasard a bien fait les choses : en me promenant sous une pluie battante, place d’Austerlitz, j’ai rencontré Geneviève… »
Geneviève Engel : cette jeune cinquantenaire est bien connue du monde de la presse et de la communication à Strasbourg. Cette talentueuse photographe professionnelle écume les manifestations de toutes natures à Strasbourg depuis des lustres. En outre, elle est une vraie aventurière, parcourant la planète à la recherche des rencontres, son Canon toujours à portée de main. Une baroudeuse… « Le défi sportif me plait bien » nous confirme-t-elle. « Moi, quand il y a un défi à relever et que le challenge est tout sauf simple, ça me va bien ! Mais la dimension humaine et humanitaire me passionnent aussi : on va œuvrer au bénéfice d’une fondation d’équithérapie, qui utilise le cheval comme partenaire thérapeutique auprès d‘enfants handicapés. Il y a là-bas une équipe médicale professionnelle complète qui adapte les séances à la pathologie de chaque enfant. On a choisi de donner un maximum d’argent pour cette association… » LA DIFFICILE BATAILLE DU SPONSORING Les deux coéquipières ont déjà une stratégie bien établie : Geneviève a mis en vente quelques photos d’art en novembre dernier -« ça a bien marché » dit-elle-, une deuxième édition aura lieu en novembre prochain. Au programme il y aura également des vide-greniers, des actions lors des Marchés de Noël, et puis une action dans les supermarchés (1 € = 1 km) – « on va passer tout le samedi dans les galeries marchandes avec notre boîte »rigolent-elles. Une grande bourse aux vêtements d’enfants sera organisée par leurs soin en juin prochain à la Salle de la Bourse. Bref, les deux complices se démènent comme des folles… Côté sponsoring pur, deux partenaires les ont rejointes : AJ Pub, une société de publicité par l’objet d’Illkirch et IT Fixing, une société primée au titre de l’innovation basée à Diemeringen. Elles discutent avec d’autres…
Et elles s’imaginent déjà sur les pistes sud-américaines : « Ca va être fabuleux. Je sais qu’il va y avoir des cols perchés à 4200 m d’altitude qu’il va falloir franchir, des lacs salés aussi…» rêve Juliette. En l’entendant dire ça, Geneviève se souvient brutalement qu’elle est photographe professionnelle : « Je te préviens, je vais être insupportable car je ne vais pas pouvoir m’arrêter pour photographier comme je veux !.. » ◊ /// JULIETTE LUTTMANN – 06 22 61 48 76 GENEVIÈVE ENGEL – 06 72 00 66 63 lespimentsroses@gmail.com www.trophee-roses-des-andes.com www.enfantsdudesert.org
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RENCONTRE
LE PIRATE
É TA I T À STR AS B OU R G
Sacré bonhomme qui a captivé et même subjugué la grande salle de la Cité de la Musique et de la Danse le 22 mars dernier dans le cadre de la Fête Européenne de l’image sous-marine et de l’environnement. Paul Watson, le fondateur de Sea Shepherd, a été accueilli comme une rock-star par un public conquis d’avance… /// TEXTE JEAN-LUC FOURNIER PHOTOS SABINE TRENSZ – DR
Quel charisme et quelle prestance ! Un show très rodé, bien servi par la traduction simultanée de la jeune directrice de Sea Shepherd-France, seule sur scène avec le boss, Captain Watson en personne. L’évocation d’une vie consacrée à la lutte contre les massacreurs des mers : un débit de passionné, une aura lumineuse et une force de conviction renversante. Plus de 90 minutes suivies par une salle bondée, certains spectateurs suivant même la conférence sur des écrans vidéo dans le hall de la Cité de la Musique et de la Danse. Et, pour finir, une séance d’autographes d’anthologie. Pas de doute : Paul Watson est une rock-star. UN ACTIVISME FORCENÉ Rendez-vous était pris pour une interview au calme dans les étages, après la dernière signature, grâce à l’entregent de l’ami Pierre Mann, fan du Captain.
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L’homme est spectaculaire avec sa belle crinière blanche qui tranche avec l’éternel sweat noir au dos duquel s’affiche la tête de mort, l’emblème du pirate. Il est d’une redoutable efficacité en interview car il sait que les médias sont sa meilleure arme. Aux origines était l’enfance : l’anecdote du castor, ami du petit Paul tué par un piège de trappeur ne l’aurait-il pas rendu activiste dans l’âme très tôt ? Il confirme : « Cet hiver en effet, j’ai commencé à marcher dans les sentiers de piégeage et à libérer les animaux, et détruire les pièges. J’ai également eu l’occasion à cette époque de lire les livres d’un Canadien très célèbre nommé Grey Owl, qui, dans les années 1920, avait fait la même chose, libérant les animaux des pièges. Il y avait donc déjà une histoire de personnes qui étaient préoccupées par la protection de la nature au Canada. J’ai eu la chance d’être élevé dans un village de pêcheurs dans l’Est du Canada donc j’étais bien
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familiarisé avec l’océan à un âge précoce. J’ai senti que les océans étaient vraiment le fondement de la vie sur cette planète. » Dès 1977, Paul Watson était déjà le chef d’expédition de Greenpeace pour les campagnes de phoques au large du Labrador. C’est lui qui avait amené Brigitte Bardot sur la glace, lors d’un épisode resté célèbre. Ce que l’on sait moins, c’est que la rupture du Captain avec Greenpeace, qu’il avait co-fondé, date de cet événement là aussi. Il avait fermement tenu tête à un des vice-présidents qui voulait prendre la place d’un cameraman aux côtés de l’actrice française dans un hélicoptère. Trois mois après, Paul Watson claquait la porte de Greenpeace et fondait Sea Shepherd ! Le pirate était né ! Paul Watson relativise à peine : « Le truc que j’ai toujours aimé chez les pirates c’est qu’ils font les choses. Ils ne restent pas assis à en parler. Ils agissent réellement et ils font avancer les choses ! Nous
avons combattu les Japonais pendant de nombreuses années, et cette année, ils n’ont tué aucune baleine. L’année prochaine, ils ont l’intention de revenir, mais bien qu’ils vont le faire illégalement, ils ont réduit leurs quotas de 1035 à 333. Donc, ils ne sont plus la nation numéro 1 tueuse de baleines sur la planète. La nation numéro 1 est la Norvège, suivie par l’Islande, suivie par le Danemark. Donc, nous allons déplacer nos efforts pour l’Atlantique Nord pour empêcher les Norvégiens, les Danois, et les Islandais de massacrer les baleines… » Cet activisme forcené lui vaut d’être aujourd’hui pourchassé par Interpol sur plainte des états qu’il empêche de sévir conter les cétacés. Paul est donc condamné à ne plus entrer sur le territoire de nombre de pays, dont l’Allemagne, au passage. Ce qui ne le perturbe manifestement pas : « Heureusement, les États-Unis et la France ont revu cela et dit que c’était ridicule. Donc ils ne vont pas va prendre des mesures contre moi. Mais je dois effectivement être prudent avec ça… » Incorrigible optimiste, le plus célèbre pirate de la planète veut croire qu’un relais politique peut être pris à l’occasion de la prochaine conférence sur le climat de Paris, en décembre prochain. Et pour cela, il veut inciter François Hollande à prendre la tête
d’un grand mouvement : « C’est l’occasion pour la France d’affirmer vraiment une position de leadeship. Personne ne l’a fait auparavant. Le président Hollande a la possibilité de devenir non seulement un grand leader en France, mais un grand leader dans le monde entier. En disant simplement : « Quelque chose doit être fait. La France va prendre la direction des opérations. Et on va arrêter de parler et se mettre à agir. » S’il le faisait, je pense que cela ferait une différence incroyable, pour la première fois. ». Et quand il s’avise de
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notre moue légèrement dubitative quant à la matérialisation de ce vœu, il insiste : « Je ne peux que lui accorder le bénéfice du doute. La France a un lien intime avec nos océans, il n’y a pas un pays qui soit mieux adapté pour mener la lutte contre le changement climatique que la France. » Et Captain Watson concluera avec une belle leçon pour l’avenir de son combat : « Sea Shepherd est un vrai mouvement maintenant. Nous avons actuellement plus de cent personnes sur les bateaux en mer, lors des campagnes que nous menons et qui sont de plus en plus nombreuses chaque année. Sea Shepherd ce n’est pas que moi, Sea Shepherd c’est littéralement des centaines et des centaines de personnes à travers le monde et nous espérons qu’il y en aura bientôt des milliers et des milliers. C’est ce que j’ai toujours voulu faire, créer un mouvement. Je ne vais pas prétendre que je peux sauver le monde ou sauver les océans par moi-même. Mais un mouvement peut le faire et c’est qui va se passer, je l’espère… » ◊ /// WWW.SEASHEPERD.FR
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RENCONTRE
CARLO PETRINI « LES JE U NES ON T DAN S L EU R S MAIN S L’AV E NI R D E N OT R E AL IMEN TAT ION »
Venu à Strasbourg à l’invitation de l’Institut de l’Ethique Alimentaire, le fondateur de Slow Food a accepté de répondre aux questions de Or Norme. Avec une passion intacte… /// ENTRETIEN BENJAMIN THOMAS PHOTOS ALBERTO PEROLI - DR
Vous avez créé Slow Food il y a presque 30 ans. Quel regard portez-vous sur ces trente dernières années et particulièrement sur l’impact des actions menées par l’association dans la centaine de pays où elle est représentée ? Trente ans c’est longtemps, et long a été le chemin de Slow Food. Au début, nous étions des amis animés par le désir de continuer à profiter des plaisirs de la table et de la convivialité, un aspect encore très important aujourd’hui. Mais c’est la recherche de ce plaisir qui nous a amenés, jour après jour et année après année, à nous poser de nouvelles questions. La nourriture a changé le goût, qu’est-ce qui a été à l’origine de ce changement ? D’où viennent les matières premières qui la composent ? Comment sont-elles produites ? Comment ont-elles voyagé ? Au nom de la baisse des prix, jusqu’où sommes-nous prêts à aller à sacrifier la qualité ? Et qui paie la facture des coûts cachés de ces choix ? Comment tout cela influence-t-il le système alimentaire en ce qui concerne l’environnement et 62
les aspects socio-économiques d’un territoire ? C’est l’ensemble de ce parcours, certainement pas terminé, qui nous a amenés à une nouvelle vision de la gastronomie, celle d’une matière complexe, pour laquelle on a besoin d’une approche holistique. Dans ces 30 années nous avons réalisé que la nourriture est un plaisir, mais c’est aussi l’économie, l’écologie, la sociologie et l’histoire qui dictent son présent et son avenir. Pour moi, c’est cette bonne direction, qui permet à chaque région et pays dans lequel Slow Food est représentée de développer des nouveaux projets, très différents, liés à ses territoires, et de porter ces questions à l’attention de gens. La route est longue, mais par sa nature interdisciplinaire, la nourriture a le pouvoir d’unifier les théories de ceux qui travaillent pour un système plus durable, et pas seulement en termes d’alimentation.
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RENCONTRE
Ces dernières décennies ont été marquées par des scandales retentissants en matière d’agroalimentaire. A l’évidence, l’industrie agroalimentaire reste toujours aussi puissante et ses lobbys sont parmi les plus représentés à Bruxelles. Vous sentezvous quelquefois découragé face à un tel constat ? Certainement pas. Je pense que si nous nous étions découragés devant la puissance des lobbys, nous n’aurions même pas dû commencer, ou au moins nous aurions déjà arrêté depuis longtemps. Par sa nature, Slow Food est actif sur plusieurs fronts : en effet, en plus d’une relation régulière avec les institutions gouvernementales ou autres, l’engagement de l’association est régulièrement consacré à l’information et à l’éducation de gens, qui sont les mêmes qui décrètent l’avenir des gouvernements et des industries. Notre expérience nous enseigne qu’avec le soutien de gens, les batailles peuvent être gagnées. En 2006, il y a donc près de 10 ans, vous avez publié le livre « Bon, propre et juste » dont l’édition française a été préfacée notamment par le Chef étoilé Alain Ducasse. Vous souhaitiez alors concourir à « une nouvelle définition du concept de qualité et à changer les principes de la gastronomie, en les adaptant aux défis de notre temps ». En quoi aurionsnous progressé depuis dix ans sur ces points-là ? Je pense que certains progrès ont été réalisés et continuent d’être réalisés. Avec «Bon, propre et juste» nous sommes arrivés à une première définition d’un nouveau paradigme dont notre alimentation quotidienne fait partie, et ce concept est maintenant assez bien compris et pas seulement par ceux qui sont impliqués dans la gastronomie. Les scandales alimentaires, le nombre croissant de maladies liées à l’alimentation, et même la crise économique ont fait que ce nouveau concept de qualité est de plus en plus matière à réflexion, quelque chose qui va bien au-delà des grands chefs et de restaurants étoilés.
Chaque consommateur conscient des conséquences de ses choix alimentaires quotidiens a le grand pouvoir d’influencer le système alimentaire auquel il appartient, et c’est pour cette raison que nous aimons appeler les consommateurs des « coproducteurs ». L’offre est toujours influencée par la demande… Sur un plan plus personnel, vous avez déployé depuis trente ans une incroyable énergie pour mener les combats de Slow Food. Comment voyez-vous les toutes prochaines années en ce qui vous concerne ? Les énergies ne manquent pas, ni à moi ni à l’association, d’où continuent à émaner des nouvelles idées et des nouveaux défis. Mais, au-delà de la rhétorique, aujourd’hui nous sommes très attachés à la valorisation des jeunes du mouvement. En effet, ce sont les jeunes qui ont l’énergie, qui connaissent les nouveaux moyens de communication, qui ont la sensibilité de leur temps et qui manifestent une nouvelle mentalité, globale fort heureusement, et qui ont dans leurs mains l’avenir de l’alimentation. Je souhaite que les jeunes qui choisissent de se consacrer à la terre puissent le faire avec fierté, car ce sont eux et personne d’autre qui continueront à nourrir le monde. Et je souhaite que les jeunes militants et les jeunes gens en général les reconnaissent et les soutiennent, en comprenant qu’ils sont leurs pairs et qu’il assureront notre survie à tous. Notre mission est de les soutenir et de leur communiquer notre expérience sur ces sujets, mais aussi de croire en leurs capacités. Moi, j’y crois beaucoup ». ◊
L ES PROCHAINS RENDEZ-VOUS D E L’INSTITUT D’ÉTHIQU E AL IMENTAIRE ///
SAM E DI 18 AV R IL À L A L I BR A I R I E K L É B ER 11H 3 0 - PAS CA L BA R B OT ( L’Astrance, Paris ), Georges Métaillé, ethnobiologiste, spécialiste de le fermentation en Chine et Yumiko Aihara journaliste gatronomique spécialiste de le fermentation au Japon feront « L’éloge du pourri ». Débat animé par Caroline Champion, philosophe. Buffet royal en fin de séance.
16 H 3 0 - EST H É T IQUE, É T H IQ UE & CUI S I NE Analyse du changement du statut de la cuisine, l’éthique à travers la saisonnalité et les interdits alimentaires. Rencontre avec Viktoria Von Hoffmann, auteur de « Goûter le monde », Nicolas Buisson, Top Chef sur M6 et Camille Lessecq, pâtissier.
Vous êtes venu à Strasbourg pour une conférence organisée par une association qui agit et travaille pour la création d’un institut d’éthique alimentaire, notamment soutenu par l’Université. L’éthique en matière d’alimentation, réclamée à corps et à cri par les consommateurs, a-t-elle une petite chance d’être également au centre des préoccupations des industriels du secteur ? En un mot, derrière les grandes déclarations d’intention, la loi du « business as usual » ne risque-t-elle pas d’être encore longtemps de mise ? Encore une fois, pour que cela se réalise, nous ne devons jamais cesser d’informer les gens.
18H – E LOGE P O L I T IQ U E DU CH OCO L AT Serge Guérin est convaincu des vertus 100% civiques du cacao, un merveilleux liant social et un véritable art de la rencontre. La session sera suivie d’une dégustation.
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C H AR LI E. T ROIS M OI S P LUS TAR D...
LA CONFÉRENCE
CITOY EN N E D E STR AS B OU R G
Il y a trois mois, le 11 janvier, plus de quatre millions de personnes défilaient dans les rues ensoleillées de France. En hommage aux victimes de l’obscurantisme, la barbarie, la folie extrêmiste. Pour nos valeurs, celle de notre République. Nous étions debouts. Silencieusement, très dignement, formidablement debouts… Que reste-t-il de ces heures-là ? Ceux qui n’en étaient pas (ah ! le profond silence de certains exhibitionnistes habituels, squatteurs des réseaux sociaux…), les cyniques, les calculateurs, et plus généralement les lobbyistes de leur seule personne ou les indifférents de tout vous diront : rien, comme d’hab… Bien sûr, ce n’est pas vrai. Depuis, des choses se sont produites, des gens se sont rencontrés, se sont parlés, se sont (re) découverts : aujourd’hui, ils travaillent. Il y a même des administrations qui se bougent, à l’instar de ce qui se passe ici ou là dans l’Education nationale, la culture, le social et même la justice… L’esprit de janvier, l’esprit Charlie ne s’est pas éteint. Quelque chose a bougé: il se pourrait bien que les fraternités nouvelles qui se sont alors révélées soient à l’origine de la renaissance d’une évidence qui s’était endormie ces dernières décennies : le plus important n’est pas dans le culte de la performance et dans l’adoration du veau d’or consumériste. C’est de nos vies dont il s’agit, de nos valeurs, de l’empathie et de la solidarité entre nous tous, ici et maintenant. Et c’est parce que nous nous sommes toutes et tous laissés enfermer dans l’individualisme durant si longtemps que nous avions perdu ça de vue. Cette évidence qui a revu le jour en janvier, c’est qu’en jouant collectif, on représente une très grande force. « C’est quand ils deviennent un peuple que les gens sont impressionnants ». Cette belle phrase est de Pascal Coquis. Elle ouvrait son édito des DNA le 12 janvier dernier, au lendemain de la Marche… Trois mois plus tard, beaucoup veulent rester impressionnants ! JEAN-LUC FOURNIER
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Dans le mois qui a suivi les événements de janvier dernier, les habitants de Strasbourg ont pu prendre la parole autant qu’ils le voulaient lors de plusieurs rencontres thématiques organisées en fin d’après-midi. Ont alors émergé de passionnants échanges d’expériences, des témoignages et des espoirs. Plein d’espoirs… /// TEXTE BENJAMIN THOMAS PHOTOS MÉDIAPRESSE - DR
Les journalistes et les représentants strasbourgeois du monde de la communication qui avaient répondu présents au déjeuner des traditionnels vœux du maire à la presse le 13 janvier dernier avaient été impressionnés par les mots de Roland Ries. S’exprimant sans note à peine quelques jours après les tragédies et l’énorme marche républicaine du dimanche précédent, le maire de Strasbourg avait proclamé, d’une voix forte et assurée : «Trois cibles ont été visées : la presse, les policiers et les Juifs. Pour ma part, j’en citerais une quatrième : la liberté d’expression et de pensée. Les terroristes se sont attaqués au socle républicain qui nous unit. Je n’avais jamais pour ma part assisté à une manifestation pareille, de toute ma carrière ; et pourtant j’en ai arpenté quelques-unes. (…) Il y avait de la fraternité et de la bienveillance réciproque. Ce furent des instants très forts et très rassurants. (…) Il va falloir préserver ce talisman républicain qui nous a réunis… Des mots forts, manifestement sincères, mais qui n’ont pas empêché certains sceptiques professionnels de s’exprimer dès le dessert et le café avalés sur l’air du « encore de belles paroles mais quid des actes ?.. » Et bien, les sceptiques avaient tout faux…
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DANS UN TEMPS RECORD… A peine une semaine plus tard, la Conférence citoyenne de Strasbourg était lancée. D’abord par le biais d’un site internet sur lequel chaque citoyen était invité à déposer ses réactions et ses suggestions concrètes. Une première étape à laquelle succèdait immédiatement le cœurmême de l’opération superbement baptisée « Ouvrons-là ! » : un programme de rencontres thématiques dans toute la ville auxquelles le grand public était invité à assister et à nourrir de ses suggestions. Les thématiques, bien évidemment, regroupaient l’essentiel des grands sujets soulevés par les événements tragiques du mois précédent : l’éducation, l’accès à la culture, le rôle des parents et des familles, la liberté d’expression, l’accès à l’emploi pour les jeunes, les bienfaits du sport pour le mieux vivre ensemble, la laïcité et les religions… Toutes ces rencontres se sont déroulées sur un rythme très soutenu puisqu’un mois pile après ce 19 janvier, date de lancement de l’opération, une grande réunion finale a tiré le bilan de ce mois de dialogues. Le cahier des charges arrêté par la Ville de Strasbourg était d’une limpide simplicité : dialoguons, échangeons, suggérons et inventons
SÉLECTION LIVRES
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RESTONS CHARLIE
sur chacun des thèmes proposés. Et faisons-le simplement : la parole devait être la plus libre et la plus fluide possible, aucune tribune ni prise de parole spécifique pour les élus qui, à l’instar de n’importe qui, pouvaient participer mais parmi le public, en citoyen lambda. La presse a été systématiquement invitée à chaque session. Seul le modérateur était aux manettes afin de faire respecter l’égalité de parole et garantir la sérénité des débats. UN BILAN PLUS QUE POSITIF Nous avons assisté à l’ensemble de ces sessions organisées tant dans les quartiers qu’au centre-ville, et même de l’autre côté du Rhin, dans une école professionnelle de Kehl pour le thème de l’emploi des jeunes. Et qu’avons-nous constaté ? Une réalité réjouissante tout d’abord : quand on donne vraiment la parole au citoyen, quand celui-ci sent que les dés ne sont pas pipés (notamment quand il constate que les politiques ne monopolisent pas la parole…), quand s’instaure un climat d’écoute et de dialogue et que chacun ne se contente pas de réciter sa profession de foi habituelle, et bien ça marche !
Le dialogue accouche de bonnes idées, les témoignages, même maladroitement ou timidement formulés, rapprochent les individus (pas un seul soir sans que les débats, toujours aussi sereins, se soient poursuivis sur le parking voisin où chacun avait laissé son véhicule). Et surtout, on s’est parlé sans hargne, en tolérant la diversité des opinions. Il en fut ainsi par exemple un vendredi soir de février au Centre socio-culturel de Cronenbourg, sur un thème, «laïcité et religion», qui aurait pu pourtant être le prétexte à bien des éclats de voix ou des débordements verbaux. Et bien non: pendant près de deux heures, chacun s’est écouté (jeunes comme moins jeunes), chacun a pu sur ce thème, oui, sur ce thème, répéter que les valeurs républicaines se devaient d’être respectées et les femmes voilées n’étaient pas les dernières à appeler à ce respect-là. A tel point que la directrice de ce centre pouvait témoigner d’ellemême juste après les débats : « Je n’ai jamais vu une telle qualité de débat dans mon établissement. Il faudrait que cela soit refait plus souvent… » On rétorquera bien sûr que n’assistaient à ces débats que des citoyens convaincus par les valeurs républicaines qui ont été sans cesse mises en avant et la nécessité de les exprimer haut et fort après les tragiques événements des semaines précédentes. C’est évidemment vrai mais aucune présence n’étant filtrée aux entrées, ces soirées ont donc prouvé qu’une immense majorité des citoyens de ce pays sont favorables au vivreensemble et au respect des valeurs républicaines. Bien sûr, cet exercice de la prise de parole entièrement libre aura vu quelques associations très présentes sur le terrain être tentées de vanter leurs actions, (les professionnels de la profession existent dans ce milieu-là aussi) à l’image par exemple des syndicats d’enseignants présents à la soirée finale du 19 février et qui ont quelque peu malmené le Recteur - régulièrement soupçonné de verser dans l’autocratie depuis sa prise de fonction- pour son manque de sens du dialogue et de la concertation. Mais ces petits excès n’ont jamais réussi à entraver le bel esprit de ces soirées décidément très citoyennes.
ET MAINTENANT ? Cette Conférence citoyenne de Strasbourg aura donc eu pour première utilité de prouver que les capacités de dialogue et de suggestion des Strasbourgeois sont immenses, pour peu qu’on ne contraigne en rien leur liberté de parole, sur le fond comme sur la forme. Tout ce bouillonnement aura aussi permis de voir des contacts se nouer, des échanges s’opérer et des projets s’élaborer, à l’image par exemple du Bâtonnier de l’Ordre des avocats de Strasbourg qui a confirmé que ses confrères réfléchissaient à des interventions dans les milieux scolaires sur le thème des droits et des devoirs des citoyens, à l’image aussi de ces parents d’un groupe scolaire qui, leur propre pratique à l’appui, ont réclamé qu’on instaure comme « une école des parents » afin que les valeurs républicaines soient mieux comprises et intégrées, à l’image enfin de ce père de famille marocain, présent à la quasi totalité des sessions, qui témoignait de l’importance des mots et s’est mis à l’ouvrage pour réaliser un lexique des valeurs républicaines à l’usage des très jeunes enfants ! On lui suggère ce titre : « Notre République expliquée aux enfants » Au dernier Conseil municipal, on vient de voter favorablement à une suggestion de Roland Ries : baptiser l’espace public face à la Médiathèque Malraux « Place de la liberté de pensée ». Un geste purement symbolique bien sûr. Mais il est des symboles qu’il faut savoir exprimer et mettre en avant… ◊
DOSSIER
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RESTONS CHARLIE
L’HOMME
Q U I B R A NDI S SAIT S ON C R AYON. . .
Notre numéro spécial « Restons Charlie » sorti au lendemain des événements a reçu un fantastique accueil à Strasbourg (ses 30 000 exemplaires se sont littéralement arrachés). Sur sa Une, il y avait cet homme qui brandissait un crayon géant, une image captée par l’objectif talentueux de Gilles Varela, du quotidien 20 Minutes. Cet anonyme avait sans doute une belle histoire à nous raconter. Le hasard a bien fait les choses. Nous l’avons retrouvé… /// TEXTE JEAN-LUC FOURNIER PHOTOS GILLES VARELA / 20 MINUTES - MÉDIAPRESSE
C’est peu dire que cette Une de notre numéro spécial sorti au lendemain des tragiques événements aura marqué les lecteurs : beaucoup d’entre vous nous ont interpellés, nous demandant si nous connaissions personnellement l’homme qui brandissait son crayon géant place Kléber. Non, nous ne le connaissions pas. Et Gilles Varela, le photographe qui avait shooté cette photo place Kléber le soir du massacre du 5 janvier dernier, ne le connaissait pas non plus. Un anonyme, dans une foule de 5 000 personnes qui s’étaient spontanément réunies ce soir-là. Autant dire une aiguille dans une botte de foin... 68
Mais voilà : alors que nous nous demandions bien comment faire pour retrouver l’inconnu au crayon, il nous a appelés, tout simplement ! Luimême n’avait pas eu connaissance immédiatement de sa présence en Une de Or Norme. Ce sont ses amis qui ont attiré son attention, en nombre. In-extremis, il s’est alors procuré un exemplaire et nous a alors contactés pour en obtenir d’autres, afin de les faire parvenir à ses nombreux amis dans toute la France. Nous avons alors fait la connaissance de Armand Erb, l’homme au chapeau et au crayon géant. Et effectivement, il avait une belle histoire à nous raconter… ORNORME STRASBOURG / avril 2015
IL FALLAIT QUE JE SOIS LÀ… C’est sans doute la jovialité qui caractérise le plus cet ex-ingénieur de 68 ans, spécialiste en énergétique, qui a également professé à l’INSA de Strasbourg. Sincèrement étonné de notre démarche (« je n’ai pas grand chose à vous raconter, je suis un citoyen tout à fait normal » nous a-t-il d’abord affirmé), Armand Erb nous a ensuite raconté l’anecdote de ce fameux crayon. « Le soir des assassinats à Charlie Hebdo, j’avais entendu parler de cette mobilisation spontanée place Kléber, à l’appel du Club de la Presse de Strasbourg. Evidemment,
DOSSIER
je voulais en être… Moi, je suis plutôt quelqu’un de ponctuel, aussi j’avais pris de l’avance. Mais, en chemin, je me suis soudain souvenu de ce crayon géant qui traînait quelque part dans un carton dans ma cave. Ni une ni deux, j’ai fait demitour et je l’ai retrouvé… Malgré ce détour, je suis quand même arrivé en avance, à tel point qu’à un certain moment, je me suis demandé si les gens allaient répondre présent. Mais tout le monde est arrivé en même temps et, d’un seul coup, la place Kléber était noire de monde et nous étions 5 000. Je me souviens qu’il y avait beaucoup de photographes de presse mais de là à me douter que je ferais la Une de Or Norme… » Nous avons longuement parlé avec cet homme pétri de convictions profondes et qui, comme beaucoup, s’est senti personnellement atteint : « Le hasard a fait que j’étais justement en train de lire Cabu, dans le Canard Enchaîné, quand j’ai appris son assassinat. D’abord, ça m’a paru irréel, insensé puis j’ai réalisé qu’en assassinant Cabu, les terroristes avaient assassiné aussi le Grand Duduche et qu’au final, c’est ma famille qu’ils avaient touchée. A partir de cet instant, je me suis dit qu’il fallait que je sois là… » Bien sûr, Armand a été parmi les plus de quatre millions de Français qui ont marché le dimanche suivant. Et depuis, il suit quasi quotidiennement les suites des
événements du mois de janvier : « J’entends les déclinologues de service qui se plaisent à dire que l’esprit du 11 janvier est retombé comme un soufflé. Mais l’optimiste que je suis se retrouve dans cette citation faite à l’Assemblée nationale au lendemain des événements : « Ils pensaient les enterrer mais ils ne savaient pas que c’était des graines ». Comme un pop-corn en latence, l’explosion se refera en tant que besoin, au moment qu’il faudra. En tout cas, la réaffirmation gouvernementale du principe de la laïcité m’a paru opportune. Et j’en dirais de même sur le plan local avec la Conférence citoyenne qui a été lancée par le maire de Strasbourg qui a débouché sur des mesures concrètes. La France est le pays en Europe qui comprend la plus forte collectivité musulmane d’une part, et notre pays est aussi celui qui possède cet acquis historique inédit qu’a constitué le passage d’un obscurantisme religieux à la séparation total du spirituel et du politico-économique. Alors, oui, ce pays particulier se doit d’être le fer de lance d’un « Islam des lumières », compatible et harmonieusement adapté à notre civilisation occidentale. Là encore, Strasbourg a une carte à jouer : notre Université a une très grande réputation en matière de théologie et pourrait devenir le précurseur de l’enseignement d’un « Islam de France ». Je rejoins ce que disait Alain
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Duhamel dans une chronique publiée dans les DNA : « Un Islam de France n’est pas une utopie mais il reste à bâtir ». Plus récemment, Armand Erb s’est senti très concerné par les autres attentats qui sont survenus en Suède et enTunisie : « Dans ce dernier cas, je constate que les terroristes agissent en ciblant très bien les symboles de leurs actes criminels : les journalistes, la liberté d’expression et maintenant, en Tunisie, l’économie-même des pays. Nous n’en avons pas fini de cette lutte. C’est pour ça que je réaffirme plus que jamais que « Je suis Charlie… » « L’homme qui brandissait son crayon » place Kléber est solide dans ses convictions : son compte Facebook affiche son « pèlerinage » place de la République à Paris, au pied de la statue dont l’image a fait le tour du monde en janvier dernier. En même temps, il est allé se recueillir rue Appert où se situait le siège de Charlie-Hebdo et, tout près de là, boulevard Richard Lenoir, là où a été exécuté Ahmed, le policier. En même temps, Armand Erb reste un éternel optimiste. Sur le carton de son pot de départ de l’INSA, il a inscrit cette citation de Eugène Ionesco : « Un monde sans humour est un monde sans humanité… » ◊
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ÉVÉNEMENT
PATSHIVA
Q UA ND LES F EMMES D U N EU H OF SE R AC O NT EN T AV EC L E CH OEU R /// TEXTE CHARLES NOUAR PHOTOS T.GREGOIRE - ATHANE ADRAHANE - DR
Etonnant, parfois, ce qu’il peut émerger d’une rencontre au coin d’un bout de table. La rencontre : celle de Fatou Traore et Dounia Depoorter, en Avignon. La table, celle de Chinatsu et Clément Dazin, invités du In 2014 et produits par les Migrateurs, dirigés par le Strasbourgeois Jean-Charles Herrmann. A la même table, une chargée de mission de la direction de la Culture de la Ville de Strasbourg. La discussion s’engage rapidement entre elle, Fatou et Dounia. Se poursuit le lendemain puis les jours suivants. Les deux jeunes femmes, invitées alors du Théâtre des Dom expliquent progressivement ce qu’elles font, leur compagnie Patshiva, leur complémentarité entre une chef de choeurs – Dounia – et une chorégraphe - Fatou. Ces vingt-cinq femmes qui les accompagnent dans des chants mêlant les cultures, jusqu’à se fondre dans une même cérémonie aux accent de Tout Monde que ne renierait pas le poète Edouard Glissant.
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25 FEMMES ET UN QUARTIER
Cet esprit de rencontres, de partage, de rituels sans cesse réinventés au contact des autres, de gens souvent ordinaires, issues de toutes cultures, de tous héritages, de toutes couches sociales, c’est à cette occasion qu’il s’est trouvé un nouveau port d’attache, cette fois strasbourgeois. C’est ici même, au cœur de ces échanges qu’est née, que s’est construite, cette autre rencontre à venir, mi-juillet, au cœur du Neuhof et aujourd’hui pleinement portée et initiée par la Ville de Strasbourg, séduite par
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le sens de leur démarche. Depuis, les échanges se sont multipliés entre les deux artistes et les services culturels de l’Eurométropole. D’autres rendezvous ont affiné l’aventure, aussi, entre Bruxelles, où résident les deux artistes, et Strasbourg : imaginer une rencontre, inscrite dans le cadre du dispositif expérimental de «résidences artistiques partagées» mené par la Ville sur la période 2014-2015, entre les 25 femmes de Patshiva et les habitants du quartier sud de Strasbourg. Une rencontre aux allures citoyennes parce qu’ « au-delà du travail artistique, soulignent Fatou et Dounia, un chœur ce sont avant tout des citoyens et des citoyennes qui se réunissent à un moment donné pour servir ‘Polis’, la ville, la société ». « Le chœur est la voix du peuple, précisentelles. Il représente une émanation du public. Quand on pratique la danse ou la musique, on se rend compte que c’est par l’écoute que démarre cette «cérémonie» collective, c’est par l’écoute qu’il se passe quelque chose ».
LE CHŒUR S’INSTALLE Venues en repérage le 9 mars dernier dans le cadre de ce projet, Fatou et Dounia ont multiplié les rendez-vous, entre ces femmes de Mozaïque, la directrice de l’école de musique, en passant par l’équipe du Django et autres acteurs sociaux. Ont pris des premiers contacts aussi avec des habitantes du quartier et, surtout, ont commencé à les écouter. « Ecouter, recevoir, dialoguer et puis faire quelque chose ensemble », voilà le coeur du projet, résument en une phrase les deux artistes qui imaginent déjà des possibilités d’ateliers : « venir avec un objet, une robe, une photo, une musique, une histoire… et bâtir un voyage autour de cela, car se raconter c’est aussi se réinventer. Créer aussi un espace où les femmes du quartier vont pouvoir se maquiller, s’habiller, se prendre en photo, se dessiner » ; sortir de leur quotidien, partager leurs richesses et les mettre en lumière. Des idées, pour l’heure encore aux allures de work in progress mais qui, déjà, ont fait le tour de nombreuses femmes du quartier, séduites par ce nouvel imaginaire dont elles seraient les co-auteures, avec ce choeur domicilié huit jours et huit nuits durant dans cette cité que d’aucuns jugent bien trop souvent hâtivement interdite alors qu’y bat le cœur d’un monde qui a bien plus d’histoires à conter que quelques gros titres de presse écrite. ◊
CONFRÈRE
LES FA MIL L ES VOTEN T
BIBOUILLE !
Coup de chapeau (mérité) à un vrai confrère, le magazine Bibouille qui cible les familles avec enfants et qui tient à ce que le format papier conserve ses lettres de noblesse… /// TEXTE JEAN-LUC FOURNIER PHOTOS MÉDIAPRESSE - DR
Pour tout vous dire, quelques-uns d’entre nous, à la rédaction d’Or Norme, ont dépassé l’âge d’avoir de jeunes enfants. Mais il nous arrive de consulter les magazines gratuits et, depuis un certain temps, nous avions pensé à nous intéresser à Bibouille. Pour quelques raisons toutes simples : voilà un magazine qui ne sacrifie pas aux travers trop souvent de mise dans le secteur de la presse gratuite (déguiser la pub en article rédactionnel et du coup confondre sciemment communication et presse, par exemple), qui fait la part belle à l’écrit (sans charabia branchouille) et qui a du sens, loin du grand cirque consumériste. On est donc allé toquer à la porte, pour voir comment ça se passait. Et on a passé un bon moment…
CHAQUE ÉDITION EST UNE MISE AU MONDE… Elle est plutôt relax, Emilie Schelté, quand elle nous reçoit dans les bureaux de Bibouille, rue du 22 novembre à Strasbourg. A 37 ans, la rédactrice en chef mesure le chemin parcouru, depuis son diplôme de fac de lettres jusqu’ à son arrivée dans l’équipe de Bibouille, il y a dix ans. « Bibouille existait depuis trois ans. Sur une idée de Nicolas Schelté, Antoine Neumann, le boos, associé et directeur artistique de l’agence Candide qui édite le support, ainsi que Salomé Risler qui assure la mise en page et Valérie Dietrich qui contribue aux rubriques édito-loisirsjeux. Leur raisonnement était tout simple : Émilie Schelté
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il n’existe pas de magazine dédié au jeune public de familles avec enfants. Alors faisons-le et aidons ainsi les parents dans l’organisation des loisirs de leurs enfants… » Au départ, ce bimestriel (six numéros par an) n’était qu’un guide. « Avec l’essor d’Internet, on en a fait un vrai magazine » raconte Emilie. « Un vrai magazine, c’est à dire un média qui affiche du contenu rédactionnel, des rubriques, de l’information quoi… Le site sert à mettre l’agenda à jour, en temps réel. On a tenu à l’outil papier et on a eu raison car les parents-lecteurs nous ont réservé un très bel accueil. Ils ont bien compris que le magazine papier était là parce que nous avions des choses à dire et pour ça, le net ne fonctionne pas. Cette cohérence-là passe encore par le papier, c’est évident. On est à fond dans la culture jeune public et nous sommes perçus exactement pour ce que nous sommes : un magazine qui s’intéresse aux parents qui ont des enfants ! » Bibouille est disponible gratuitement et diffusé dans les deux départements alsaciens à raison de 20 000 exemplaires (boutiques pour enfants, lieux publics, crèches, médiathèques,..) . La publicité est donc la seule ressource du support (une problématique qui ne nous est pas inconnue à Or Norme -ndlr). Pour autant, Emilie et la société éditrice revendiquent une grande rigueur sur ce sujet : « D’abord, nous ne sommes pas des adeptes de la pub axée sur la seule consommation, on a toujours combattu pour que la publicité apporte un supplément d’information à nos parentslecteurs. Les institutions culturelles sont bien sûr parmi nos annonceurs, c’est évident, mais on ressent l’impact des coupes budgétaires. Néanmoins, les annonceurs comprennent notre exigence et nous suivent. Reste que, pour notre petite équipe d’une dizaine de collaborateurs, chaque édition de Bibouille est comme une mise au monde, sauf que c’est tous les deux mois ! » Assurément, Bibouille est un magazine qu’on prend le temps de lire (c’est agréable…) et qu’on conserve parce qu’il affiche une vraie expertise en jeune public et… en jeunes parents. Son numéro 67 sera encore disponible au moment où vous lirez ces lignes. Outre un très bel édito, plein de nostalgie, signé Valérie Dietrich, Bibouille de mars-avril s’intéresse au carnaval (avec une superbe iconographie), nous entraîne en Belgique autour des animations consacrées à ce pays par la Ville de Strasbourg, chronique âge par âge l’offre culturelle du moment, fête l’arrivée du printemps, guide ses lecteurs dans la jungle des nouvelles technologies et, pour autant, n’oublie pas d’attirer l’attention sur quelques livres (vous savez, ce drôle d’engin qui fonctionne sans piles, sans écran, sans souris et qui fait encore rêver les enfants et les parents). Vous avez compris, à Or Norme, nous sommes des fans de Bibouille ! Et on voulait simplement que ça se sache… ◊
/// BIBOUILLE L’ALSACE EN FAMILLE redaction@bibouille.net www.bibouille.net Tél : 03 88 32 11 67 www.le-clou.com
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STRASBOURG, BOUGE-TOI !
LA POPARTISERIE
UNE E X PO SOMP T U EU S E À V EN IR
Un peu plus d’un an après son ouverture, le succès de la Popartiserie est au rendezvous. De quoi combler Solveen Dromson et Erwann Briand même s’ils estiment qu’il convient désormais de porter tous leurs efforts sur leur raison d’être de galeristes : la vente des œuvres. En attendant, une nouvelle exposition d’envergure s’annonce… /// TEXTE JEAN-LUC FOURNIER PHOTOS MÉDIAPRESSE – DR
Les deux animateurs de la Popartiserie sont revenus sceptiques de leur visite à Art Karlsruhe. « On a constaté que les arts urbains n’ont pas encore leur place dans ce type de salon alors qu’ils cartonnent dans les ventes aux enchères » annonce tout de go Erwann. « En fait, une seule galerie de Mannheim exposait du street art. Donc, ça se vend chez Artcurial ou Sotheby’s mais pas dans les galeries classiques. On est donc forcément déçu parce qu’on cherchait des artistes avec qui éventuellement travailler. C’est compliqué, les arts urbains… » finit-il par soupirer. Solween confirme : « J’ai pas eu de whaooh ! Pas de quoi casser la tirelire le jour de mes quarante ans… A la Pop, depuis un an, on a eu des ventes sur des coups de cœur, surtout sur des petits budgets ou alors sur des sommes au-
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dessus de 10 000 €. Mais rarement. En revanche, tous les budgets intermédiaires genre de 3 à 5000 €, là ça ne le fait pas… » Tous deux estiment que leur priorité va donc être désormais de faire venir les collectionneurs des autres régions. Une boutique en ligne, qui est sur le point d’être finalisée, devrait les y aider. « On est sur le segment le plus compliqué du marché de
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l’art » poursuivent-ils. « Nous nous sommes systématiquement remis en question lors de cette année d’ouverture, à chaque fois qu’une difficulté se présentait. On a beaucoup innové dans l’événementiel, les concerts, les privatisations du lieu, même dans les conférences et les ateliers pour enfants. Le succès a été au rendez-vous : pour l’exposition « Dali fait le mur », il y avait cent personnes qui faisaient la queue sur le trottoir. Maintenant, il nous faut passer au stade du business, on est une SARL, on est des marchands d’art. Les artistes nous font confiance, on parie sur eux et nos efforts se voient sur les murs ! La finalité, c’est de vendre et ce n’est évidemment pas la partie la plus évidente de notre métier. Il faut que notre programmation soit plus incisive. Continuer à promouvoir les jeunes artistes mais aussi faire venir des gens plus connus. Nous nous devons de
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penser « national » car les collectionneurs sont à ce niveau-là. Nous avons été élus meilleur lieu culturel de l’année à Strasbourg. Cette reconnaissance de la part des internautes nous a fait du bien car il prouve qu’on suscite de l’enthousiasme et qu’on est sur le point de vraiment décoller. Il ne manque pas grand chose mais le but est bien entendu que les œuvres des artistes se vendent. Quand, chaque mois, on aura réussir à vendre nos trois grosses œuvres, ce sera bien… » LES SUPERBES PHOTOS DE FERIAL HART ARRIVENT ! Loin d’être découragés, Solveen et Erwann vont encore nous faire vibrer en exposant jusqu’au 9 mai les photos de Ferial Hart. Née à Alger en 1965, diplômée des Arts Décos de Nice, cette photographe a longtemps œuvré dans la création de pochettes de disques et d’affiches de films. Ferial Hart a photographié Patti Smith, Bono ou encore Arthur H, mais elle est surtout connue pour ses portraits de Street Artistes, Jef Aérosol, Speedy Graphito ou encore C215. Elle exposera aussi quelques photos de Strasbourg ou de Mulhouse mais aussi de Berlin, son dernier périple.
Ferial Hart n’a pas son pareil pour montrer le temps qui passe, ce temps qui laisse ses traces, dégrade, altère et finit par magnifier le monde. Ses photos, très travaillées, sont somptueuses, croyeznous sur parole. L’événement culturel du mois de mai, c’est à la Popartiserie. ◊
/// FERIAL HART ET PISCO jusqu’au 9 mai à la Popartiserie 3 rue de l’Ail - 67000 Strasbourg
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L’AG ENDA
OR NORME DEUX MANIFESTATIONS À NE PAS RATER L’IN T ÉG R AL E D E TR U F FAU T AU STAR J US Q U’AU 12 M A I P R OCH A I N
TRUFFAUT
21 films, 3 couts métrages et une séance de chaque film présenté par des spectateurs de tous âges. Incontestablement « Truffaut est un élément du patrimoine » dit joliment Stéphane Libs, le boss du Star. « Chacun a son Truffaut préféré, chacun peut se servir… » L’opération a été superbement lancé dans les salles par une succession de teasers dont les comédiens étaient tous… des amateurs strasbourgeois de François Truffaut. Plus de trente déjà que François Truffaut a inscrit « The End » sur son générique personnel. Il n’était âgé que de 52 ans. A bien regarder aujourd’hui sa filmographie, les titres de films parlent effectivement à tout le monde. Certains d’entre eux ont été érigés au rang de chefs-d’œuvre du cinéma français : Le dernier métro – L’enfant sauvage – Fahrenheit 451 – La femme d’à côté –Jules et Jim – La nuit américaine – Les 400 coups – Vivement dimanche … A vrai dire, on aurait presque envie de les citer tous. L’Intégrale de Truffaut projeté au Star fait écho à la même manifestation qui a pris fin à la Cinémathèque de Paris en janvier dernier. Les Parisiens s’étaient déplacés très nombreux pour l’occasion, espérons qu’il en sera de même à Strasbourg. 10 planches relais de l’exposition de la Cinémathèque Française de Paris sont présentes au Star. ◊
L ES FI L M S DE L A R É T R OS P ECT I V E « T R UFFAUT L’I NT ÉGR A L E » BAISERS VOLÉS
L’ARGENT DE POCHE
LA CHAMBRE VERTE
LE DERNIER MÉTRO
LES DEUX ANGLAISES
L’ENFANT SAUVAGE
ET LE CONTINENT LA FEMME D’À CÔTÉ FAHRENHEIT 451
L’HOMME QUI AIMAIT
L’HISTOIRE D’ADÈLE H.
LES FEMMES
JULES ET JIM
DOMICILE CONJUGAL
LA MARIÉE ÉTAIT EN NOIR
UNE BELLE FILLE COMME MOI
LA NUIT AMÉRICAINE
LA PEAU DOUCE
VIVEMENT DIMANCHE !
L’AMOUR EN FUITE
LES QUATRE CENTS COUPS
LA SIRÈNE DU MISSISSIPI
TIREZ SUR LE PIANISTE
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/// LE PROGRAMME SUR : www.cinema-star.com
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DOSSIER
L’E LSASS ROCK & J I V E FEST IVAL La première édition de ce festival a eu lieu l’an passé à Colmar. Les amoureux du vintage, les fans des années 50 et les amateurs de burlesque avaient découvert ce rendezvous où le festif domine totalement à travers des shows, des animations, des workshops, des spectacles en tous genres. Cette année, le Festival s’installe à la Brasserie Schutzenberger à Schiltigheim. Les Pin-Up d’Alsace, qui répondent aux doux noms de Coco Das Vegas et de Luna Moka, ont mobilisé leurs amis de l’association VDK (des pros de l’organisation de concerts) pour mettre sur pied un beau programme de quatre jours lors du week-end de l’Ascension. Bolides d’époque, effeuillage burlesque, cours de danse, cinéma drive-in, concours du plus beau couple vintage, le tout sur une bande-son des 50’ et des 60’ qui va rythmer le week-end. Chaque soirée se clôt avec un concert ou un show-case. Prévente des billets Fnac et France Billet. Entrée gratuite pour les conducteurs de voitures anciennes « 1967 ». Les billets pour le Strasbourg Nurlesque Fest by Luna Moka sont à prendre à part. /// BRASSERIE SCHUTZENBERGER 8 rue de la Patrie Schiltigheim Tram : Rives de l’Aar
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ÉVÉNEMENT
SAXOPEN 2015
L E R E ND E Z-VO U S MON DIAL D U SAXO, C’EST À ST R ASB O U R G EN J U IL L ET P R OCH AIN
Philippe Geiss
Branford Marsalis pour président d’honneur, 2 000 musiciens de 47 nationalités, 400 événements en six jours, un concert worldwide. Pour sa 17ème édition internationale, réunie cette année à Strasbourg, le Congrès et Festival mondial du saxophone SaxOpen pousse la note haut, très haut. L’événement de l’été strasbourgeois ! /// TEXTE CHARLES NOUAR PHOTOS DR
Après Minneapolis (2003), Ljubljana (2006), Bangkok (2009) et St Andrews (2012) c’est à Strasbourg que SaxOpen posera les valises de sa 17ème édition. SaxOpen ? Le congrès mondial du saxophone, qui s’est cette année donné pour objectif d’associer la recherche à la fête en créant un festival adossé au congrès. Cahier des charges : rassembler tous les styles de musique - de la musique classique au jazz, en passant par la musique contemporaine, les musiques du monde et les musiques électroniques - , tous les types d’interprètes - professeur, grand soliste, étudiant, amateur, etc. -
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et les professionnels de la musique. Et, surtout, de s’adresser à tous les publics sur un territoire le plus large possible, tant physique au travers de nombreuses prestations musicales principalement étalées du centre-ville à l’Université, que numérique par l’intermédiaire de World streaming show et d’une Web TV. Pour se faire une petite idée de l’apport digital, plus de 30 concerts et initiatives mondiales seront diffusés en live depuis Strasbourg pour la première journée mondiale du saxophone. Le soir, un spectacle live multimédia, spécialement créé pour le festival et regroupant des
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musiciens jouant en live synchronisé depuis leurs villes d’attache, sera diffusé sur Internet et écrans géants. Quant à la web TV, deux concerts également live y seront diffusés tous les jours, couplés à un talk-show quotidien ou encore à des directs depuis les coulisses du festival. Une carte numérique qui se retrouvera jusqu’au Shadok, qui présentera, en partenariat avec l’Université de Strasbourg, une exposition « musique et numérique » tout le mois de juillet prochain.
BRANFORD MARSALIS ET JEAN-MARIE LONDEIX POUR PRÉSIDENTS D’HONNEUR
Branford Marsalis
En tout et pour tout, pas moins de 400 événements, 2 000 musiciens de 47 nationalités et 25 000 spectateurs sont attendus sur les six jours du Festival. « Une lourde responsabilité » mais aussi « un honneur », confie Philippe Geiss, en charge de la direction artistique de SaxOpen. Parce que « réaliser ce projet ambitieux est une magnifique occasion de montrer au monde le potentiel de créativité et d’esprit d’entreprise de Strasbourg et de sa région », poursuit l’homme qui, « à l’heure où le monde est en crise », souhaite « apporter, grâce à la musique, un message de tolérance et de partage en tissant des liens humains forts entre tous les participants, musiciens et publics, physiques ou virtuels ». Le tout, accompagné pour présidents d’honneur de SaxOpen, de personnes dont les seuls noms résument la hauteur des ambitions des organisateurs : l’immense Branford Marsalis et Jean-Marie Londeix, perçu par ses pairs comme représentant l’excellence de l’école française du saxophone. De quoi pousser la note haut, très haut, pour cette 17ème édition.
Jean-Marie Londeix
/// DU 9 AU 14 JUILLET 2015 www.saxopen.com
SPORT
LE GOLF
E NFI N P OP U L AIR E. . .
Les chiffres nationaux sont là pour prouver que ce sport, qui s’est longtemps cantonné dans l’élitisme le plus strict, est devenu enfin populaire. Pour parvenir à ce renversement spectaculaire, tout a reposé et repose encore sur une foule d’actions bien précises. Nous sommes allés voir de quoi il en retourne au Golf de la Wantzenau… /// TEXTE ALAIN ANCIAN PHOTOS MÉDIAPRESSE
Au Golf de la Wantzenau, c’est Patrice Perrichon, le directeur-adjoint, qui a tous les chiffres en tête : « En France, en 1980, nous étions 20 000 licenciés. Aujourd’hui, nous sommes 450 000. Dont 1 500 au seul Golf de la Wantzenau ce qui nous classe dans le top ten des golfs français. Spectaculaire, non ? » sourit-il. Spectaculaire, en effet. Il en est manifestement fini du temps où ce sport cultivait le snobisme voire même l’esprit de caste le plus hermétique qui soit. A l’instar de ce qui se passe depuis très longtemps aux Etats-Unis ou en Angleterre, le golf français a fait sa mue.
AGIR, SANS CESSE AGIR
Patrice Perrichon
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« Pour parvenir à ce résultat, il a bien sûr fallu mettre en route une foule d’actions » se souvient Patrice. « Elles sont toutes axées sur la formation et la découverte. Côté formation, il y a notre école de golf. Un seul exemple : en 2004, nous avons débuté notre baby-golf, pour les très jeunes de 4 à 6 ans. En un peu plus de dix ans donc, 136 mômes ont débuté avec ce concept. Puis notre école de golf, sur la même période, a accueilli 600 jeunes, de 7 à 17 ans. Elle est classée aujourd’hui 47ème sur 194 clubs au Mérite Performance de la Fédération
SPORT
Française de Golf et 11ème sur 194 au Mérite Espoirs. Ces statistiques montrent bien la démarche que nous suivons ici. A la fin de l’Ecole de Golf, rien ne s’arrête pour autant. Nos jeunes ont alors le choix : soit ils optent pour intégrer notre Pôle Espoirs et rejoindre nos équipes engagées en Championnat de France et alors, leur licence annuelle ne leur coûte que 200 € soit ils deviennent des adhérents traditionnels et là encore, le Golf de la Wantzenau leur fait bénéficier de tarifs attractifs : 200 € jusqu’à 20 ans, 500 € entre 20 et 25 ans, et 1000 € de 25 à 30 ans. Rapporté au mois, ce ne sont pas des sommes extravagantes. On n’est plus dans le sport élitiste d’antan… » Parallèlement à son école de golf, le Golf de la Wantzenau a développé considérablement ses séances initiationsdécouvertes. Depuis 2003, ce ne sont pas moins de 3 000 personnes qui ont pu ainsi découvrir ce sport, auxquelles il faut rajouter 5 000 autres par le biais des entreprises. « Avec un taux de retour très performant » affirme Patrice Perrichon. « Entre 2002 et 2005, qui fut l’époque où le golf s’est le plus investi dans sa popularisation, 50% de ces gens adhéraient ensuite au club. Aujourd’hui, on est sur un taux de 20% qui reste tout aussi performant… » De nos jours, le golf colle au plus près des besoins de ses clients. A la Wantzenau, on a investi considérablement dans les structures d’apprentissage ; practice neuf, compact 12 trous, deux puttinggreen et un chipping pour travailler les approches. « On suit la demande » dit Patrice, qui se sent bien épaulé dans sa démarche par les trois Pros du club, Sean McLaughlin, le plus canadien des Pros alsaciens, Olivier Sabourin et Laurent Ebel « qui sont mobilisés tous les trois sur tous les axes du développement du golf et font un travail formidable ». Le 18 septembre prochain, un Pro/Am (un Pro accompagné de trois amateurs) va réunir 22 Pros d’Alsace, de FrancheComté, de Lorraine et des Vosges pour venir en aide aux finances de l’association
Albatros (lire plus avant). « Ce sera la mobilisation générale » annonce Patrice. « Et le Rugby-Club de Strasbourg sera de la partie, il se mobilisera lui aussi » ajoute celui qui est également vice-président du club de rugby de Strasbourg, bien parti pour atteindre ses objectifs annoncés dans le numéro de Or Norme de septembre dernier.
Olivier Sabourin
Sean McLaughlin
HANDIGOLF L’ASSOCIATION ALBATROS : UNE PIONNIÈRE ! « En 2005, après le succès du Championnat d’Europe Handigolf organisé à la Wantzenau, Patrice Perrichon et le Head-Pro de l’époque souhaitaient vraiment mettre sur pied quelque chose pour les golfeurs alsaciens handicapés. Je me suis proposé pour donner un coup demain et je me suis retrouvé Président. J’y suis toujours… » rigole Bernard Dal. Cet ex-ingénieur en technique brassicole est intarissable dès qu’il s’agit de parler de tout ce qui est réalisé au Golf de la Wantzenau pour tous les publics handicapés : « Nous avons accueilli les premiers enfants il y a dix ans, c’étaient des poly-handicapés de l’Institut Arham de Strasbourg. Et chaque année depuis, nous enchaînons les sessions de découverte avec les enfants des instituts qui viennent de plus en plus nombreux. Une école de golf pour handicapés fonctionne le jeudi. Pour être honnête, il y a bien eu quelques réticences, au début, parce que les populations handicapées dérangent certains, mais aujourd’hui, après dix ans de travail, l’association Albatros et ses adhérents handicapés sont totalement intégrés au Golf de la Wantzenau : les enfants mangent en terrasse ou à l’intérieur du restaurant avec les golfeurs valides, on fait partie des meubles. 23 enfants font partie de notre école de golf, une demi-douzaine de bénévoles les encadrent avec et les trois Pros du club s’investissent à fond à nos côtés. Ils ont puissamment contribué à l’intégration de nos adhérents… »
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Cet ex-handballeur de niveau national n’a découvert le golf que vers la cinquantaine quand sa vie professionnelle, hyperbookée jusque là, lui a enfin laissé un peu de temps libre. Mais la vie de l’association Albatros lui apporte bien des récompenses : « C’est mon truc. Je l’ai fait pour ces populations-là avec lesquelles on passe de très bons moments. Il y a des sourires, des plaisanteries, on a un retour de vie formidable. Le fameux vivre ensemble, on le pratique tous ici… » conclut-il. ◊
André Jouvent (à gauche) avec Bernard Dal
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SPORT
L’EXTRAORDINAIRE PARAGOLFEUR LA M AC H I NE QU I C H AN G E TOU T. . .
Albatros s’est récemment doté d’une machine réellement extraordinaire, le Paragolfeur. Construit par l’Allemand Otobock, cet engin révolutionne la pratique du golf pour les handicapés, comme nous le précise André Jouvent, 56 ans, paraplégique depuis être tombé d’un toit en 2002 : « Je pratiquais le golf depuis l’âge de 13 ans. J’ai appris l’existence d’Albatros il y a deux ans seulement. Désormais, je m’entraîne sérieusement grâce à cet engin qui a été conçu par un sud-africain lui aussi devenu paraplégique. Je suis en train de m’habituer tout doucement à cet appareil qui nous a été livré début février dernier. Je commence à le prendre en main maintenant. Mon objectif est de repartir en compétition pour le bénéfice du club et de parvenir au plus haut niveau possible. J’espère que mon exemple va faire en sorte que d’autres personnes, qui sont dans la même situation que moi, viennent nous rejoindre. Ce serait formidable… » Nous avons assisté aux premiers essais du Paragolfeur, aux mains d’André. Au départ, l’engin se comporte comme un fauteuil roulant électrique, capable de conduire le golfeur à peu près partout sur n’importe quel terrain de golf. Arrivé au pied de la balle, André actionne une petite manette qui fait se déployer lentement le dos et l’assise de la machine, pendant que le bassin du joueur est solidement arrimé par une large sangle. Finalement, il se retrouve dans une position classique debout et il peut ainsi frapper la balle, tout comme un golfeur valide. L’engin (évidemment construit en toute petite série) a coûté 26 000 € à Albatros. Les dons des particuliers et des premières entreprises seront complétés par les bénéfices espérés du Pro/Am de septembre prochain. ◊
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STRASBOURG, BOUGE-TOI !
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WINSTUB
LE CLOU
C O R I NNE , L A PAS S ION N ÉE
Elle a repris il y a quelques années un flambeau qui avait été porté très haut par Marie, qui l’avait précédée au sein d’une des plus célèbres winstubs strasbourgeoises. Faites la connaissance de Corinne, la passionnée… /// TEXTE ERIKA CHELLY PHOTOS MÉDIAPRESSE
L’endroit ne change pas, toujours blotti au pied de la cathédrale, dans une des plus belles rues piétonnes de Strasbourg. Dès l’entrée, c’est aujourd’hui le large sourire de Corinne qui vous accueille. « L’esprit du lieu a été soigneusement préservé » revendique-t-elle. « Dès qu’on rentre au Clou, la magie opère. C’est petit, c’est convivial, le décor n’a pas changé et l’approche personnelle avec le client a été préservée. Ce lieu a une âme, c’est certain… »
Côté assiette, le restaurant est dorénavant supervisé par Hubert Lépine, le Chef du tout proche Kammerzell. Et le Wädele braisé au Pinot noir reste le hit de la carte. Sa texture caramélisée plaît beaucoup. « Les femmes préfèrent le Pot-au-Feu Grand-Mère » précise Corinne. « Il est moins copieux… » Et tous les autres classiques de la gastronomie alsaciennes sont bien sûr au rendez-vous. La clientèle continue de faire la part belle aux hommes d’affaires, pour le déjeuner de midi. Les étrangers, qu’il proviennent des institutions européennes ou qu’ils soient simplement de passage représentent 30% des clients. Bien sûr, il y a une large palette d’habitués strasbourgeois. Et Corinne les connaît tous. Enthousiaste de nature, elle nous confie même : « Le jour où je viendrai au Clou à reculons, j’arrêterai ! Mais ce jour-là n’est pas prêt d’arriver : chaque matin, quand je me réveille, je me dis que j’ai déjà hâte d’y être… » ◊
JUSQU’À MINUIT Le Clou regorge en effet d’anecdotes, depuis des décennies. Elles sont souvent liées au monde du spectacle : on ne compte plus les acteurs de théâtre ou de cinéma, les chanteurs aussi, qui ont poussé la porte un soir après le spectacle ou le concert à Strasbourg. L’endroit est en effet réputé accueillant, il sert jusqu’à minuit et cela se sait. « Je me souviens d’un soir où Serge Lama chantait à Strasbourg. C’était il y a deux ans et il est arrivé avec son attaché de presse. Ils ont dîné tous les deux, un peu à l’écart. Un grand Monsieur, on a fini la soirée autour de lui… » se souvient Corinne.
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/// LE CLOU 3, rue du Chaudron 67000 STRASBOURG Tél : 03 88 32 11 67 www.le-clou.com
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LE VRAI REGARD D E S OP H IE
Primés lors de la dernière édition des Rendez-vous de l’Image de Strasbourg, les beaux tirages de Sophie Dupressoir nous ont séduits car, à l’évidence, il y avait un vrai regard derrière ces clichés. Nous avons voulu en savoir plus… /// TEXTE JEAN-LUC FOURNIER PHOTOS SOPHIE DUPRESSOIR
« Je suis née à Saint-Tropez ». Sophie nous dit ça tranquillement puis surveille notre réaction du coin de l’œil. « Je sais, ça fait son effet mais c’est beaucoup moins glamour qu’on l’imagine. En fait, mon père était militaire et travaillait à l’usine de torpilles. Je n’y ai vécu que deux ans, avec ma sœur jumelle… » Après cette belle entrée en matière, on apprend au fil de la discussion que Sophie Dupressoir a déjà vécu plusieurs vies, en fait. L’ Afrique, avec cinq ans passés à Abidjan, l’a beaucoup marquée. Puis ce fut le retour en région parisienne, les études, HEC notamment. Une carrière qui s’amorce : une filiale de la Générale des Eaux et un poste dans les finances et la gestion des parcs de loisirs. Bien… Sauf qu’un jour, une question envahit l’esprit : « Mais qu’est-ce que je fais là ? ». A partir de là, généralement, soit on s’envole, soit on s’éteint à jamais… Photo extraite du travail primé par les Rendez-vous de l’image 2015
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PHOTO Marco et Sefika
SOPHIE S’EST ENVOLÉE… « J’avais quelques économies. Je me suis financée une année de DEA sur l’Afrique avec une thèse au Mali sur l’agro-économie. Pendant trois ans, j’ai mené beaucoup d’enquêtes. C’était passionnant. Puis ce fut l’arrivée de mon premier enfant. Les seuls postes proposés étaient perdus au fin fond de l’Ethiopie, par exemple. Inaccessibles dans ces conditions. J’ai donc travaillé pour les Offices agricoles du ministère de l’Agriculture pendant cinq ans. Puis ce fut la naissance de mon deuxième enfant. Nous avons quitté Paris pour Bruxelles, où mon mari travaillait au cabinet de Pascal Lamy qui était Commissaire européen au Commerce. C’est à Bruxelles que j’ai repris le contact avec la photo, j’ai suivi des cours du soir sur le développement, les tirages… Au bout de sept ans, en 2009, l’idée de de rentrer en France s’est fait forte. Nous avions envie d’éviter Paris. Ce fut Strasbourg où mon mari travaille dans un groupe bancaire. En 2010, j’ai eu la chance de décrocher un stage à Arles, avec Eric Bouvet, un photographe réputé. C’était dans le cadre des Rencontres photo de Pâques. Je dois dire que ça m’a vraiment décoincée au niveau de la photo. J’ai appris à ne plus avoir peur des gens, à me rapprocher sans crainte du sujet. Aujourd’hui, j’ai même tendance à être trop près » souritelle. « PERSONNE NE T’ATTEND. ALORS, FONCE ! » Début 2001, c’est décidé, Sophie se lance à fond dans la photo. Le reportage terrain, le documentaire, l’attirent irrésistiblement : « J’aime comprendre ce qui m’entoure. Et le reportage au long cours est un bon moyen pour ça. A un certain moment, je me suis dit : personne ne t’attend, alors fonce ! Je visitais la Croatie en voiture. J’ai fait un crochet
par Sarajevo, manière de ne pas passer à côté de cette ville qui a tant souffert de la guerre. J’ ai alors passé deux jours dans les quartiers de la périphérie là où les cicatrices du conflit sont encore très visibles. Sarajevo est une ville très photogénique, on s’y perd facilement et il y règne encore une vie collective qui est passionnante à observer et à partager. Quelque chose s’est passé. J’y suis revenue, seule cette fois. Et j’en suis à mon septième séjour, deux semaines à chaque fois. L’idée est de documenter ce qui reste du siège, de la guerre. Le tout sur fond du deuil qui n’a jamais été fait. J’avais envie de juger par moi-même de tout ça, de ce travail de réconciliation qui
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n’a pas été entrepris. En partant des gens de la rue, les humbles…» Nous étions venus rencontrer une photographe primée dont le regard sur les plages du débarquement nous avait séduits (voir les photos des pages 83 et 84). Mais au final, nous avons découvert un reporter ! Le travail sur Sarajevo est terminé, les photos ont été exposées et vont se réunir sans doute dans un livre, si un éditeur s’y intéresse. Cela serait mérité. A Sarajevo, Sophie a côtoyé Marco , ce croate qui fut un défenseur de la ville assiègée, un homme 87
en pleine dégringolade sociale : « Grâce à lui, j’ai fait plein de rencontres. Le « fixeur » idéal… » dit-elle. Marco lui a présenté Sefika, une vieille dame de 75 ans, la mère d’un de ses compagnons de combat, décédé. Il s’en occupe comme de sa propre mère aujourd’hui… « Avec Sefika, on se parle mais on ne se comprend pas. Cependant, ça n’a aucune importance. Elle m’a emmenée un jour sur la tombe de son fils. Et m’a permis de photographier ce moment-là. Cette grand-mère est bosniaque et musulmane. Marco est croate et catholique et tout se passe bien entre eux : ils sont comme mère et fils. Il y a certes encore quelques mariages mixtes à Sarajevo. Mais les jeunes fréquentent des écoles qui sont séparées. Ça fera plus tard des adultes qui ne se
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fréquenteront pas beaucoup… » Dans l’attente du livre qui, espéronsle, verra le jour, (Or Norme lance un appel du pied aux éditeurs qui lisent notre revue), nous vous présentons quelques photos de ce très beau travail de reportage sur Sarajevo. Nous ne savons bien sûr pas ce que Sophie Dupressoir fera figurer dans sa biographie de la quatrième de couverture. Nous osons une suggestion : « Sophie Dupressoir - Reporter ». ◊
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PORT FOLIO N IC OL AS R O SÈS
CU BA Comme un film des années 50 qui défile, cette série noir et blanc raconte un carnet de voyage made in Caraïbes. Parti à la recherche de réponses explicites, Nicolas Rosès revient avec des clichés qui illustrent l’atmosphère de cette île si atypique. Il a en mémoire ce territoire riche de rencontres humaines, de découvertes culturelles et de questions politiques. Aujourd’hui, à l’heure du rapprochement américano-cubain, l’histoire est à nouveau en marche. ◊ Photographies / Tirages originaux en vente sur : www.nicolasroses.com contact@nicolasroses.com
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OURS numéro 16 / avril 2015
OR NORME STRASBOURG 11 Boulevard de l’Europe 67300 Schiltigheim CONTACT josy@mediapresse-strasbourg.fr DIRECTEUR DE LA PUBLICATION Josy Falconieri josy@mediapresse-strasbourg.fr DIRECTEUR DE LA RÉDACTION Jean-Luc Fournier jlf@mediapresse-strasbourg.fr RÉDACTION Alain Ancian Erika Chelly Jean-Luc Fournier Véronique Leblanc Charles Nouar Benjamin Thomas BULLETIN D’ABONNEMENT À renvoyer soigneusement rempli, accompagné de votre chèque, à : MÉDIAPRESSE STRASBOURG ABONNEMENT OR NORME STRASBOURG 3 rue du Travail 67000 Strasbourg
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DÉPÔT LÉGAL : AVRIL 2015. ISSN 2272-9461 magazine.ornorme.strasbourg
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