c D OS S IER — COM PLOT I SM E Rédaction : Jean-Luc Fournier Photographie : Nicolas Rosès - Simon Woolf - SkyNews - DR
Complotisme « D’un coup, nous vivions dans deux mondes différents…» Nous avions rendez-vous avec Stéphane* dans un restaurant de Kehl, juste avant la fermeture administrative décidée par le Land du Bade-Wurtemberg le 11 janvier dernier. Ce jeune cinquantenaire est cadre commercial pour le compte d’une société qui l’emploie des deux côtés du Rhin. Il nous raconte ici la lente dérive de sa compagne vers les territoires sombres du complotisme et le combat qu’il a alors mené « avec les moyens du bord » pour sauver son couple, sans être aujourd’hui très sûr d’y être totalement parvenu. Un témoignage glaçant, le récit de faits qui peuvent tous nous concerner brutalement et à n’importe quel moment…
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n ne peut pas mesurer, à l’évidence, le courage qu’il faut pour prendre la décision d’affronter les questions (forcément trop intrusives) d’un journaliste sur des événements qui mettent en jeu l’intimité d’une vie de couple au plus profond. Alors, même rassuré par de nombreuses conversations téléphoniques durant lesquelles nous n’avons pas cessé de lui garantir l’anonymat qu’il exigeait, Stéphane a eu besoin de très longues minutes pour parvenir à raconter l’engrenage dans lequel son couple a bien failli imploser en vol durant les derniers mois de 2020. Mais peu à peu, les mots sont devenus plus assurés, les circonstances se sont précisées et il a fini par se raconter avec, en toile de fond, l’espérance que son « témoignage puisse servir à quelques personnes qui le liront » et qui seraient elles aussi engagées dans ce combat qui ne laisse aucun répit. Entretien.
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Le complotisme a fait une entrée fracassante dans votre vie personnelle et de façon finalement assez récente. Quel a été le processus ?
« Oui, cela s’est passé dans la sphère privée, dans mon couple. Je partageais une vie commune avec ma compagne depuis une vingtaine d’années. Nous sommes dans la même fourchette d’âge, elle a longtemps été enseignante et n’exerce plus depuis quelques années. Cela s’est manifesté au début de l’automne dernier l’an passé. Et cela s’est concentré essentiellement au départ à
l’approche des élections américaines Trump/Biden. Depuis longtemps, elle avait une sympathie avouée pour Trump mais c’était resté comme une plaisanterie entre nous deux : j’étais bien sûr très éloigné de son opinion et je lui disais souvent que pour moi, Trump c’était Depardieu à l’Élysée : la grande gueule, le mec qui s’impose par son physique… Mais elle avait un réel penchant pour ses égarements et ses débordements. Son analyse n’était absolument pas politique, c’était le personnage qu’elle appréciait. Ça restait bon enfant. Et puis là-dessus se sont profilées les élections, on devait être courant septembre ou tout début octobre… Je me dois de préciser qu’auparavant, je n’ai jamais décelé le moindre signe avant-coureur. Au printemps, au début de la pandémie, elle a été une des premières à se procurer les masques, par exemple. Parallèlement, à la même époque, elle a commencé à rechercher plein d’informations sur internet à propos de la Chine et de ce qui s’y passait à propos du virus. Elle ne cherchait pas ses informations sur les principaux médias mainstream, c’était tous azimuts. Très vite, elle a commencé à évoquer le fait que les chiffres diffusés par la presse étaient falsifiés et que c’était le fait du gouvernement chinois… Elle n’avait pas forcément tort, sur ce sujet…
Tout à fait. Mais elle avait aussi déniché des images en dehors des sites traditionnels, des images qui montraient des charniers à ciel ouvert et qui révélaient l’ampleur de la pandémie. En ce qui me concerne, je savais
№40 — Avril 2021 — Or Norme a dix ans