Omnivore Magazine Volume_6

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Chœur de Lyon Au pAys des soviets hedone sAint-Géry L'AutArCie



Petites choses modernes La modernité. omnivore en porte depuis 10 ans une part en cuisine, dans son envie de rassembLer Les savoirs, de Les confronter pour mieux faire émerger Les personnaLités. dans son obsession de ne Laisser aucun apparent iconocLaste sur La touche pour peu que sa personnaLité nourrisse L’avenir. La modernité, vous Le Lirez dans ce numéro, est un vieux combat. eLLe émerge en cuisine au xviie siècLe pour ne pLus jamais quitter Les fourneaux. au risque de décLencher d’épiques combats entre anciens et modernes, d’aLLumer Les feux des contresens, de susciter des maLentendus et, forcément, de fermenter des aigreurs. pourtant être moderne ne signifie pas se renier ou combattre Le passé mais utiLiser L’histoire, Les racines, pour mieux appréhender Le présent, agir sur Lui pLutôt que Le subir. aLors, de La rue du niL au Lambic bruxeLLois, de La ferme de saint-géry aux vins natures de La contre-étiquette, ces petites et indispensabLes choses modernes…

Luc Dubanchet

SOMMAIRE P.04 entretien AveC BénédiCt BeAuGé P.08 niL Food street P.16 épique LAmBiC P.22 Chœur de Lyon P.26 omnivore Au pAys des soviets P.32 ChAmp LiBre

RéDACTION directeur de La rédaction Luc Dubanchet direction artistique Dimitri maj coordination esteLLe haLaDjian rédaction et photos Luc Dubanchet, marie-Laure fréchet, kim Levy, stéphane méjanès, nataLia paLacios, marc schwartz, bruno verjus photo de couverture © omnivore www.omnivore.com mARkeTINg & COmmeRCIAl directeur du déveLoppement omar aboDiD tél. : 01 44 31 52 18 • omarabodib@omnivore.fr directeur commerciaL jean-christophe tiraby téL. : 01 44 31 52 18 • jctiraby@omnivore.fr chargé d’affaires GuiLhem carLe-roux tél. : 01 44 31 52 18 • guilhemcarleroux@omnivore.fr OmNIVORe WORlD TOUR senior producer justine prot tél. : 01 44 31 52 18 • justineprot@omnivore.fr omnivore magazine est édité par sarL omnivore au capital de 486,40 euros • rcs paris b 450 370 929 imprimé par imprimerie jaurès • directeur de la publication : Luc dubanchet

P.36 Les GrAnds petits soLdAts de LA Jeune Cuisine P.44 hedone, in Love with Food P.48 sAint-Géry : LArd de L’AutArCie éLémentAire P.56 Cuisine réALité P.60 GuitArd hérAut 2013_volume 06

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“ LA modernité est une vieiLLe histoire ” BénédiCt BeAuGé


Après des études d’ArChiteCture et un trAvAiL de déCorAteur pour Le CinémA, BénédiCt BeAuGé se ConsACre à LA Cuisine. iL puBLie notAmment en 1998 Les Aventures de LA Cuisine FrAnçAise, indispensABLe pour Comprendre son évoLution depuis 1945. AveC son nouveL ouvrAGe “pLAts du Jour”, iL reCentre ses reCherChes sur L’idée d’innovAtion. LeCture sALutAire à L’heure de LA Cuisine mondiALisée… et pArFois éGArée. entretien Luc Dubanchet

omnivore : L’innovation en cuisine commence quand ? bénédict beaugé : on ne sait pas quand au juste, je pourrais m’en tirer en disant qu’elle commence à partir du jour où l’homme a commencé grâce au feu à se dire qu’il faisait de la cuisine ! mais plus sérieusement, c’est au xviie siècle qu’on prend conscience de l’innovation culinaire, qu’elle devient même une valeur revendiquée, une valeur positive, alors que jusque là on essayait de l’assimiler dans la tradition, de la passer en douce. mais l’essor de la conscience individuelle auquel on assiste avec le règne de Louis xiv va accélérer de manière significative le mouvement. cela est conjugué à la place très particulière qu’a la cuisine en france depuis la renaissance, époque où un certain nombre de goûts nationaux cherchent à se distinguer en europe. La france, elle, abandonne carrément le sucre et les épices pour construire un goût propre, très “nature” qui s’inscrit d’ailleurs parfaitement dans le système de pensée qu’on retrouve au xviie siècle où l’on ne cesse de faire référence à la nature. Qui sont les premiers à synthétiser cela ? La première trace écrite, c’est La varenne qui revendique déjà dans son titre, “Le cuisinier françois”, une identité nationale, ce qui n’était jamais arrivé avant. il y a déjà ce désir de se distinguer des voisins. ce qui est intéressant est la façon dont cette pensée culinaire s’inscrit dans la pensée raisonnable du xviie et comment le discours culinaire essaie d’adopter un mode de pensée rationnel. c’est une réflexion théorique qui se met en place sur la cuisine, un désir d’ordonner les choses, de penser la technique et pas simplement de l’appliquer. La cuisine n’échappe pas à ce qui se produit à l’époque pour tous les domaines, la littérature, la musique et l’architecture…

et c’est à ce moment là que les premières recettes de la cuisine moderne se mettent en place... oui grâce à cette façon rationnelle d’organiser les choses. Les recettes émergent d’abord de la manière de fonctionner par périodes de gras, de maigre etc… on finit par s’apercevoir que certains plats sont des récurrences et du coup on finit par les isoler pour en faire des recettes autonomes, de base. c’est évidemment le cas des fonds de sauce, des bouillons concentrés. d’ailleurs on parle toujours de l’influence italienne sur la cuisine française mais jamais de l’influence espagnole alors que les deux opérations de base viennent directement d’espagne : la liaison au roux – L’espagnol – et les astuces émulsionnées type mayonnaise. ces tours de mains deviennent des recettes à part entière. ce n’est donc pas étonnant si la cuisine ménagère apparaît elle aussi au xviie siècle ! oui, d’ailleurs “Le cuisinier françois” est un immense succès public, distribué par colportage dans des classes populaires à l’échelle du pays. bonnefons avec son “jardinier françois” et “Les délices de la campagne” va accentuer cette démocratisation amplifiée d’une certaine manière par le système politique mis en place par Louis xiv et qui conduit à la prise du pouvoir par la bourgeoisie. début xviiie, la cuisine a déjà fait sa révolution.

comment cela ? c’est la notion “d’individu dans la foule” qui va se répandre tout au long du xviiie siècle. Les français prennent une conscience très forte de leur unicité dans une société et d’une certaine manière le restaurant en est le catalyseur. c’est l’expression dans le domaine culinaire de cette tendance de se constituer en individu. L’individu n’est véritablement individu qu’au milieu de la foule et le restaurant est cela : on est un individu parmi les tables d’autres individus, on prend conscience de ce qu’on est pour soi et ce qu’on partage avec les autres. évidemment le discours du goût évolue, c’est la mise en avant du jeu entre une expérience personnelle et une expérience collective ; c’est vraiment la naissance de la modernité gastronomique. et c’est avant la révolution ! oui contrairement à ce qu’on pense et écrit, la cuisine bourgeoise date de 1746, le restaurant de 1763. Le restaurant apparaît au même moment que d’autres institutions, qui sont emblématiques du privé au public : le salon de peinture ou le concert spirituel qui ne peuvent avoir lieu que parce que l’individu est unique parmi ses semblables. c’est couplé à l’émergence de la bourgeoisie qui est l’expression de cette quête d’individuel. Le restaurant a donc une portée plus grande que ce qu’on veut bien lui attribuer. Le xviie marque l’innovation tous azimuts… dans sa deuxième moitié, on élimine tout ce qui pouvait rester des habitudes médiévales ou de la renaissance. dès les années

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Lorsqu’iL ouvre FrenChie en AvriL 2009, GréGory mArChAnd ne sAit pAs que, trois Ans et demi pLus tArd, LA rue du niL, Ce serA çA : son restAurAnt, son wine BAr et Bientôt un FrenChie-to-Go, mAis Aussi trois Boutiques ouvertes pAr terroirs d’Avenir et CeLLe de L’ArBre à CAFé. pLonGée dAns LA rue des mirACLes.

texte stéphane méjanès Photos Luc Dubanchet

07h00 La veille il a neigé. il fait un froid

de gueux. pas vraiment une surprise dans cette rue du nil. Lorsqu’elle s’appelait encore rue neuve-saint-sauveur, au moyenÂge, c’était l’une des portes d’entrée à la cour des miracles, ses canailles et ses indigents. L’atmosphère a bien changé. Les façades sont un peu grisâtres avant plusieurs ravalements programmés. Les échoppes de textile, d’afrique ou d’ailleurs, vestiges de la gloire passée de ce quartier du sentier, ne jouent pas dans la catégorie tape à l’œil. en revanche, en ce matin de février, c’est du haut de gamme qui dégueule des camionnettes bouchant la rue étroite aux égarés. ce ne sont pas des kilomètres de rames de tissu mais de quoi manger, et bien manger. dans cette ruelle de 72 m de long pour 5 m de large, on trouve en effet la plus réjouissante concentration de talents et de produits de tout paris. À faire saliver le gastronome le plus exigeant. au 5, trône le frenchie du chef grégory marchand. en face, au 6, son frenchie Wine bar. au 7, l’épicerie ouverte mi-décembre 2012 par terroirs d’avenir, fournisseur de produits frais pour

les (bons) restaurateurs. au-dessus du 7, les bureaux de terroirs, dans lesquels on a aussi fait une petite place pour sapiens, la société créée conjointement avec stéphane meyer, cueilleur d’herbes sauvages (mais pas que, on y reviendra). au 8, blotties l’une contre l’autre, la boucherie et la poissonnerie, opérationnelles depuis mi-janvier 2013. au 9, derrière une devanture encore anonyme, le chantier à peine entamé de la troisième adresse de greg marchand, frenchie-to-go, comme son nom l’indique. au 10, enfin (mais est-ce vraiment fini ?), les 15 m2 de carrelage rustique et de pierres apparentes investis par l’arbre à café, qui sélectionne, torréfie et distribue des cafés mono variétaux en direct trade.

07h05

dès potron-minet, le premier qui lève le rideau de fer, c’est andriy, boucher franco-russe formé à la fois par hugo desnoyer et yves-marie Le bourdonnec, rien que ça. pas de répit pour le veau et l’agneau des pyrénées, pour le porc basque ou noir de bigorre, pour les volailles de la sarthe. et pour cause, les travaux ne sont pas tout à fait terminés, les deux rôtissoires viennent d’être installées et tournent encore à vide, des étagères manquent. alors, il faut passer un coup de balai à la fraîche pour dépoussiérer avant d’attaquer la découpe de la bidoche, debout dans la minuscule chambre froide où rancissent de belles carcasses entières.

10h00

“on est mardi, c’est le mauvais jour.” clément, responsable de l’épicerie, et jérémy, son bras droit, sont un peu débordés. Les premiers clients arrivent mais il y a

des cageots partout. “même si c’est devenu tout de suite un gros client, l’épicerie en est un parmi d’autres au milieu de la tournée des restaurateurs avec lesquels nous travaillons, explique samuel nahon, cofondateur de terroirs d’avenir avec alexandre drouard. Le mardi, c’est la grosse livraison de la semaine, depuis notre entrepôt de bercy, pour la réouverture des restaurants fermés le dimanche et le lundi. il se trouve que l’épicerie reçoit souvent sa marchandise pile à l’heure d’ouverture. on fait avec.” une ambiance déballage de marché qui ne déplaît pas aux premiers chalands, compréhensifs. on est loin des codes de la grande distribution qui cherche à singer les commerces de quartier dans un décor à la soleil vert pour consommateurs pressés. ici, ça vit vraiment, à l’image des fruits et légumes, cabossés, non calibrés, avec des têtes qu’on ne connaît pas mais qu’on a tout de suite envie d’adopter.

11h20

hippolyte courty tourne la clef et ouvre la porte de son nouvel antre. il a créé l’arbre à café fin 2009 mais depuis, il n’avait jamais trouvé son pied-à-terre. quand gregory marchand lui a dit : “j’ai un truc pour toi rue du nil”, il a à peine réfléchi. “pourtant, ce n’était pas du tout ce que je cherchais, sourit-il. c’est plus petit que ce que je voulais mais l’opportunité était trop belle.” ces gars-là ne partagent pas que des produits et de bonnes adresses, ils ont la même idée du monde tel qu’il ne va pas et, sur-

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épique LAmBiC on LA dit unique Au monde. CAntiLLon BrAsse depuis quAtre GénérAtions Cette Bière AveC Les mêmes Gestes, un soin presque intéGriste. vin de GrAins, Bière nAture éLevée en Fûts, Le LAmBiC est Le ChAînon mAnquAnt pour tous Ceux qui CherChent LA vérité Au Fond du verre. texte et Photos marie-Laure Fréchet

il vient chaque année spécialement du japon pour assister au brassin public. depuis douze ans. “il ne pète pas un mot d’anglais. on ne se comprend pas. mais le japonais est aux anges. heureux comme pas deux”, explique jean van roy, arrière petit-fils du fondateur de la brasserie et désormais aux manettes. et de sortir son smartphone pour montrer les photos d’autres afficionados. des américains ceux-là, qui ont poussé le culte de cantillon au point de se faire tatouer sur l’avant-bras son logo emblématique. “il y a un retour affectif incroyable avec cette bière. il y a vingt-cinq ans, personne n’en voulait. mais maintenant, je dois bien dire que je suis le cul dans le beurre.” pourtant, rien n’a changé dans cette brasserie séculaire, si ce n’est peut-être le monde qui tourne un peu plus vite autour d’elle. L’histoire commence en 1900. paul cantillon installe sa brasserie à anderlecht. une parmi les quatre milles que compte la capitale belge. il n’est alors qu’un “speker”, un assembleur qui rachète du moût à un brasseur. en 1937, il investit dans le matériel qui va lui permettre d’assurer toutes les étapes de fabrication. Le même encore en service aujourd’hui. La brasserie sera reprise après la seconde guerre mondiale par marcel et robert, ses fils, puis par jean-pierre van roy, époux de claude cantillon, fille de marcel. Leurs enfants, jean et julie ont repris le flambeau. cantillon brasse à peu près 1 700 hl/an. de la petite bière au regard de la production belge qui tourne elle autour des 18 millions d’hectolitres. malgré la demande, impossible de produire plus. en fin de saison, la cave est remplie jusqu’à la gueule d’un millier de tonneaux. et seul le temps va déterminer le rythme d’ouverture des fûts… “c’est pour ça que je refuse le titre de maître brasseur,

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explique jean van roy. car le maître est celui qui contrôle. on ne maîtrise pas son lambic. on travaille avec lui. certains collègues ont déjà vendu leur bière quand la mienne n’a pas encore fermentée”. pour bien comprendre la particularité de la cantillon, il faut expliquer ce qu’est le lambic. une bière des origines, qui remonte aux temps où l’homme n’avait d’autre recours que de faire confiance à la nature. La fermentation alcoolique du moût n’était alors possible que grâce un processus spontané, déclenché uniquement par les levures sauvages provenant de l’air ambiant. progressivement, les brasseurs ont commencé à maîtriser ces levures et à les récupérer sur les brassins précédents, à la façon du pain, pour ensemencer l’orge liquide. La révolution industrielle du xixe siècle a achevé de les mettre au pas et amené la bière sur la voie de la productivité, avec son corollaire, l’uniformité. Le lambic a échappé à cette main mise de la l’homme et de la machine. il reste la seule bière issue d’une fermentation spontanée. L’autre particularité du lambic, c’est la notion de terroir qui s’y rattache. c’est la bière emblématique de bruxelles, attestée dès le xive siècle et la seule produite ici jusqu’au milieu du xixe siècle. on se perd en conjecture sur l’origine de son nom qui viendrait peut-être d’alambic ou de Lembeek, petit

village du brabant flamand, où l’on brassait aussi cette bière. mais parmi les bactéries et levures sauvages qui font sa particularité, on relève la brettanomyce bruxellensis, dont la présence n’est attestée que dans les environs de bruxelles (la vallée de la senne et le pajotteland), et la brettanomyce lambicus qui donne son goût typique à la lambic. elles ont la particularité d’absorber les sucres non fermentescibles ; d’où l’acidité caractéristique des lambics. jean Le roy va même plus loin et évoque lui un ensemencement micro-local, lié aux murs de sa brasserie ; comme si depuis le temps, celle-ci secrétait ses propres bactéries. un genre de brettanomyces cantillonarus en somme, indigènes du 56 rue gheude.

question de FeeLinG mais pour percer les ultimes secrets de la cantillon, il faut assister à un brassin. on brasse de fin octobre à début avril. en théorie. car réchauffement climatique oblige, cette période se décale progressivement vers novembre. Lorsqu’il fait trop chaud, la fermentation est trop rapide et le goût de la bière est alors moins équilibré. “en hiver, brasse qui veut, en été brasse qui peut”, disent les brasseurs de lambic. Lorsqu’il fait trop froid en revanche, on hésite aussi à brasser, car alors les bactéries s’endorment et le temps de fermentation s’allonge. un brassin, c’est trois jours de travail. un jour et demi rien que pour nettoyer les fûts. La bière fermente en effet de un à trois ans en barriques. “par tradition, explique le brasseur, on utilise des fûts d’occasion, seuls à même de développer des saveurs vanillées et boisées”. Le jour du brassage, on reproduit exactement les mêmes gestes qu’il y a cent ans. seule une pale mécanique a remplacé le fourquet traditionnel, prolongement du bras du brasseur (d’où son nom), qui servait autrefois à mélanger le moût. plus d’une tonne de mouture (65 % d’orge malté, 35 % de



Chœur de Lyon

Lyon, BeLLe endormie de LA GAstronomie FrAnçAise ? des indiCes ConCordAnts pourrAient Le LAisser penser mAis à y reGArder de pLus près, deux trentenAires ont modiFié Le tABLeAu, en à peine pLus d’un An. iLs s’AppeLLent Christophe huBert et GuiLLAume monJuré. texte stéphane méjanès et Kim Levy Photos Dimitri maj

Lyon n’a pas (encore) perdu la course pour devenir la nouvelle cité de la gastronomie française. mais il était moins une. La désignation a été repoussée à fin avril, ce qui laisse à la cité des gaules la possibilité d’écarter ses rivales ambitieuses, dijon, rungis ou tours. Lyon s’était sans doute endormie sur le titre honorifique attribué par curnonsky en 1935 de “capitale mondiale de la gastronomie”. aux confins de la bresse et du charolais (élevages), de la dombes (gibiers), de la savoie (poissons des lacs), de la drôme (légumes et fruits primeurs), de l’ardèche et du forez, des vignes de la bourgogne, du beaujolais et de la vallée du rhône, mais aussi terre natale d’eugénie brazier, de marie bourgeois, de fernand point et de paul bocuse, Lyon a toujours eu toutes les bonnes et les mauvaises raisons de ne jamais se remettre en question. ce n’est pas le succès de la dernière édition du sirha, fin janvier, qui a été de nature à faire bouger les lignes. Le grand salon été marqué par le triomphe tricolore au bocuse d’or, façon jeux olympiques ou coupe du monde de foot, mais aussi par le “dîner des grands chefs du monde”, venus rendre hommage à paul bocuse lui-même, figure tutélaire, statut du commandeur de la gastronomie lyonnaise et hexagonale malgré ses 87 ans. dans son ombre, peu de soleil. pourtant, dans le sil-

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lage de matthieu viannay (La mère brazier), authentique talent singulier mais héraut d’une tradition réinventée, la gastronomie lyonnaise a bel et bien vécu une remarquable année 2012. on le doit à deux trentenaires aux tempéraments radicalement différents. dans l’ordre alphabétique, christophe hubert (“L’effervescence”) et guillaume monjuré (“palégrié”).

homme LiBre Le premier a ouvert son restaurant le 15 novembre 2011 mais c’est tout sauf un perdreau de l’année. christophe hubert a fréquenté les cuisines du meurice, du grand véfour, et surtout, fait corps avec michel trama (L’aubergade, puymirol) puis mathieu viannay, et n’avait pas vocation à rester longtemps dans l’anonymat. en restant à Lyon, haut lieu d’une gastronomie codifiée depuis des lustres, donc, le gersois, guerrier ascendant

têtu, n’a pas choisi la facilité. il n’était pas attendu, ou alors au tournant. Le virage, lui, il l’a pris résolument au cours d’une année un peu folle qui lui a donné l’occasion d’être reconnu par ses pairs et par la critique, décrochant au passage quelques jolies breloques, la dernière en date, inattendue, à la sortie d’un certain guide rouge. ce fut le résultat du travail de fond d’un homme libre, sur lui-même et sur sa cuisine. L’émancipation du cuisinier enfin chez lui n’est pas une vue de l’esprit. christophe hubert a mené en à peine plus d’un an une petite révolution personnelle, poussé par les uns, scruté par les autres. en débarquant chez lui, quelques semaines après son installation, omnivore a joué ce rôle d’aiguillon sans lequel les déclics n’arrivent parfois jamais, christophe le reconnaît avec une vraie émotion dans la voix. sous ses dehors bourrus, le récent papa d’une petite matylda, second fruit de ses amours avec sa bouillonnante moitié, ewa, d’origine polonaise, dissimule une sensibilité que l’on ne soupçonne pas immédiatement mais qui transpirait déjà dès ses premières assiettes. au long d’un menu carte blanche bien dans l’air du temps, il cherchait dès le début à instiller une dose d’impertinence franchement bienvenue. Là ou d’autres se la jouent terremer à fond les saveurs, il se vautrait dans l’écume et le varech. mer-mer dans le tourteau en tartine inversée avec son aïoli léger. mer-mer encore dans la daurade royale à la plancha, chevauchée par deux coques débraillées et ointe de beurre aux algues.


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omnivore au pays des

soviets

nAtALiA pALACios est L’orGAnisAtriCe russe d’omnivore mosCou. eLLe revient pour nous sur LA CréAtion du FestivAL dAns une viLLe que rien ne destinAit à s’ouvrir à LA GAstronomie. pourtAnt LA GénérAtion de LA Jeune Cuisine AppArAît BeL et Bien désormAis sur LA pLACe rouGe. texte nataLia paLacios

toute petite, je me souviens, après la patinoire du parc gorky, d’être passé avec mes parents dans le presque unique café du coin pour prendre un chocolat chaud. ce souvenir est gravé dans ma mémoire comme un moment inoubliable, car dans le pays où à l’époque tout bien était commun et le marché du commerce libre prohibé, la restauration commerciale était inexistante ou inaccessible. Le petit nombre de restaurants moscovites était réservé aux visiteurs étrangers ou à la nomenklatura du pays. c’était il y a un peu plus de vingt ans. c’était hier. et ce chocolat chaud, certainement très médiocre, reste à ce jour le meilleur de ma vie. pirojkis, goulache, bœuf strogonoff, bœuf orloff – que connaissons-nous de la gastronomie russe à part quelques clichés du genre “café pouchkine”, d’ailleurs inventé par gilbert bécaud et apparu réellement après sa chanson ? rien, ou presque. réaliser un voyage gastronomique en russie ? quelle drôle d’idée ! dans ce pays du monde lointain, mais finalement à trois heures et demie de vol de paris, la mythologie révolutionnaire couleur rouge continue à nourrir les scénarios hollywoodiens plus que l’imaginaire

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culinaire. et la médiatisation internationale de la russie n’aide pas non plus à réveiller l’appétit. d’ailleurs de quelle gastronomie peut-il s’agir dans un pays dont toutes les traditions culinaires ont été anéanties après la révolution d’octobre comme des vestiges du monde bourgeois, où le système de productivité collective a détruit le moindre artisanat possible ? et où, en plus, l’hiver dure environ six mois par an dans la plupart des territoires ? même un grand chef expérimenté ne pourrait s’en sortir avec des conditions pareilles… La restauration actuelle âgée d’à peine une vingtaine d’années est passée par plusieurs stades. tout d’abord, par l’engouement pour la restauration rapide apparue avec un très marquant mcdonald sur la place pouchkine. Les marques multinationales du fast food ont vite rempli tous les coins de la ville : nourrir les 10 millions d’habitants qui demeurent dans la capitale est un gros business et tant pis pour les états d’âmes et les monuments russes. et l’âme dans l’assiette, le goût, ces choses essentielles de la cuisine ? mais de quelle âme s’agit-il quand les prix de location du mètre carré dans la capitale russe

sont parmi les plus élevés au monde ! Le seul moyen de survie dans des conditions pareilles est d’installer une petite usine avec une ou deux cents places assises dans un restaurant et de le faire marcher du matin au soir, si ce n’est pas 24 sur 24. et surtout de ne jamais prendre de risque et de proposer au client uniquement des choses qui vont plaire, qui ne vont pas déranger, déstabiliser, mettre en péril le chiffre d’affaire. un cercle vicieux. une impasse totale. L’histoire gastronomique courte de la russie contemporaine aurait pu s’arrêter là.

Chimie et desiGn L’idée du premier omnivore à moscou a paru presque forcée à Luc dubanchet, le créateur d’omnivore. il est allé à moscou la première fois avec une légère angoisse, renforcée par l’incompréhension de ses collègues. moscou ? ce n’est pas la peine de perdre son temps ! comment expliquer qu’il fallait vite créer un événement pour soutenir les concepts naissants qui osaient contredire l’ordre instauré par des groupes de restauration trônant sur le marché ? comment


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ChAmp LiBre

oLivier durAnd prAtique Le mArAîChAGe depuis un peu pLus de deux Ans. Cet inGénieur AGronome A pris son temps, BeAuCoup voyAGé, AvAnt de se poser à Côté de nAntes. ses LéGumes sont uniques. Lui Aussi. renContre.

texte et Photos stéphane méjanès

une grande planche de bois en guise de table. des cageots empilés pour s’asseoir. une vraie mandoline de professionnel, une petite bouteille d’huile d’olive épicée, un morceau de pain. une liste à la pré vert, un bric à brac pour pique-nique improvisé. dehors, la fameuse température ressentie affiche -5°c, dedans, on se (res)sent bien, entre 20 et 25°c. cheveu hirsute, moustache de gaulois de bande dessinée, olivier durand arrive directement du fond de sa grande et vénérable serre de verre quadragénaire, des légumes plein les bras. Locavore dans un rayon de 30 m. carottes, navets, radis, salades, endives, pousses de moutarde. avec des gestes d’une infinie délicatesse, il effeuille, taille, dessine un tableau végétal aux couleurs de l’hiver sur sa planche à découper. il tranche le pain par le milieu, fait couler un trait d’huile pour imbiber la mie, y dispose harmonieusement les morceaux de légumes, ajoute les jolis restes confits d’un filet de chevreuil cuit maison la veille, referme et tend le sandwich que l’on croque à belles dents. “il manque du sel, mais j’avais des japonais, hier, et quand ils ont vu la tête d’alexandre couillon sur le paquet (sel de noirmoutier auquel le chef de la marine – voir omnivore magazine vol_05 – prête son nom, ndlr), ils ont absolument voulu repartir avec. ils m’ont tellement bien accueilli là-bas, je ne pouvais pas dire non.” olivier durand dit ça avec le sourire. quoique. des années après être revenu du pays du soleil Levant, où il a passé douze mois du nord

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au sud et de fermes en fermes, il n’a rien oublié et sa gratitude se niche même dans les détails. cette hospitalité, martin, stagiaire depuis seulement trois jours, en est le témoin conquis. mais ce qui frappe surtout, c’est cette osmose avec ses légumes, en autarcie jusqu’au casse-croûte. elle recèle toute la vie de ce maraîcher de 33 ans, installé dans la banlieue nantaise, aux sorinières. vous n’en saurez pas beaucoup plus sur sa localisation géographique, il tient à son relatif anonymat. Liste rouge et jeu de piste sur google maps. d’ailleurs, ici, ce n’est pas vraiment chez lui. c’est chez denise et paul. La serre (3 000 m2) et le bout de terre autour (2 000 m2 supplémentaires), c’est un prêt. en échange, paul, 73 ans, a conservé quelques rangs et continue de cultiver son jardin à lui. “j’ai eu la chance que paul m’épaule au début. c’est un puits de savoir, il fait du maraîchage depuis qu’il a 14 ans. quand il m’a vu arriver, j’étais très à cheval sur la planification. il m’a dit : laisse tomber, il faut que tu sois aux champs. au début, j’ai eu du mal à m’y mettre, j’avais un peu peur, j’avais tellement de choses à apprendre, plein de cultures différentes à mener. maintenant, je sais qu’il a raison. Lui, avant que je n’arrive, il n’avait jamais vu une aubergine. pas grave, il observe et il s’adapte.”

de LA sève dAns Les veines si le retour à la terre n’était pas gagné d’avance, c’est que le garçon a un parcours à priori plus tertiaire que primaire. technicien (bts horticole en france), ingénieur agronome (en suisse), et anthropologue à ses heures perdues, il est allé un peu partout dans le monde confronter sa belle intelligence, son savoir encyclopédique et sa curiosité candide aux hommes, à leur terre et à leurs

pratiques. côte d’ivoire, angleterre, canada, japon, thaïlande, bolivie, suisse à nouveau, il s’était donné dix ans, il les a bien remplis. Le plus souvent possible sur le terrain, il a planté, cueilli, fertilisé, ensemencé, désherbé, fait de la virologie. Le reste du temps en mission d’accompagnement ou de recherches. en suisse, il a par exemple supervisé le travail de quarante producteurs de tomates. c’est là qu’il a connu gerrit hendrickx, expert discret mais mondialement réputé, l’homme qui a de la “sève de tomate dans les veines”. une rencontre décisive. “Lui, il était plus sur la plante, moi sur les qualités gustatives, sur la texture. on s’est enrichi de nos expériences. c’est là que je me suis rendu compte que sur deux sites, j’avais des différences au niveau du goût. À l’école, j’avais appris que le goût, c’était la variété. c’était faux. on peut jouer sur le goût du légume en fonction de la conduite des cultures, du coup de main du producteur, de son analyse du climat, du sol.” aujourd’hui, il appelle ça le “feeling”. pour lui, c’est la somme de toutes les expériences accumulées. y compris depuis la petite enfance, quand il regardait sa maman cultiver ses orangers, ses hibiscus, ses plantes vivaces. À 6 ans, il tourne mal, choisit le potager plutôt que le parterre de fleurs. son destin est scellé. même son père, chef étoilé à l’enclos de la cruaudière (saint-jean-de-boiseau, 44), qui n’appartient pas à la génération des cuisiniers-jardiniers, n’a pu l’empêcher de se détourner du droit chemin viandard. pire, celui-ci a fini par succomber à l’atavisme à l’envers : “au travers de mon parcours, après avoir arrêté la cuisine en professionnel, mon père a redécouvert les légumes”. rien à faire, il a la passion communicative. c’est,


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Les GrAnds petits soLdAts de LA Jeune Cuisine Photos Louis Décamps

L’An dernier, iLs étAient Les supers-héros de LA Jeune Cuisine à FAire Le tour du monde. quique dACostA en BLACk mAtAdor A étonné mosCou, JeAn-FrAnçois pièGe FAit Frissonner shAnGhAi en GéAnt vert ArrAChAnt sA veste de Cuisine… LA première CAmpAGne d’AFFiChAGe d’omnivore A eu un Fier suCCès. GooGLisées pAr dizAines de miLLiers, Ces AFFiChes hors du Commun, si Loin en AppArenCe de LA Cuisine, ont pourtAnt rAssemBLé Autour d’eLLes des miLLiers de FAns, Cuisiniers ou AmAteurs éCLAirés. en 2013, omnivore exporte une nouveLLe Fois son worLd tour à istAnBuL, mosCou, shAnGhAi, new york, sAn FrAnCisCo, montréAL mAis Aussi à rio et sydney. LA Jeune BriGAde de LA Jeune Cuisine pArt donC à LA Conquête de zones enCore pLus LointAines, à déFriCher et à ConvAinCre que LA Cuisine se déCLine d’ABord et AvAnt tout dAns LA CréAtivité. Le ComBAt est d’AutAnt pLus noBLe qu’iL n’est ni une Guerre ni une Conquête de territoire. mAis une oFFensive GénérALisée pour un Goût et surtout une Cuisine non Aseptisée. omnivore vous présente donC en AvAnt-première sA BriGAde d’intervention pour L’Année 2013. P. 36

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La briGaDe jeune cuisine Louis décamps, le photographe, était prêt, les costumes et les peintures aussi... Les portraits qui suivent ont donc été réalisés sans trucages, chaque chef acceptant avec humour de se déguiser et de se faire peindre le visage pour l’exercice. qu’ils en soient tous ici remerciés !


BénédiCt BeAuGé

Après des études d’ArChiteCture et un trAvAiL de déCorAteur pour Le CinémA, BénédiCt BeAuGé se ConsACre à LA Cuisine. iL puBLie notAmment en 1998 Les Aventures de LA Cuisine FrAnçAise, indispensABLe pour Comprendre son évoLution depuis 1945. AveC son nouveL ouvrAGe “pLAts du Jour”, iL reCentre ses reCherChes sur L’idée d’innovAtion. LeCture sALutAire à L’heure de LA Cuisine mondiALisée… et pArFois éGArée. entretien Luc Dubanchet

omnivore : L’innovation en cuisine commence quand ? bénédict beaugé : on ne sait pas quand au juste, je pourrais m’en tirer en disant qu’elle commence à partir du jour où l’homme a commencé grâce au feu à se dire qu’il faisait de la cuisine ! mais plus sérieusement, c’est au xviie siècle qu’on prend conscience de l’innovation culinaire, qu’elle devient même une valeur revendiquée, une valeur positive, alors que jusque là on essayait de l’assimiler dans la tradition, de la passer en douce. mais l’essor de la conscience individuelle auquel on assiste avec le règne de Louis xiv va accélérer de manière significative le mouvement. cela est conjugué à la place très particulière qu’a la cuisine en france depuis la renaissance, époque où un certain nombre de goûts nationaux cherchent à se distinguer en europe. La france, elle, abandonne carrément le sucre et les épices pour construire un goût propre, très “nature” qui s’inscrit d’ailleurs parfaitement dans le système de pensée qu’on retrouve au xviie siècle où l’on ne cesse de faire référence à la nature. Qui sont les premiers à synthétiser cela ? La première trace écrite, c’est La varenne qui revendique déjà dans son titre, “Le cuisinier françois”, une identité nationale, ce qui n’était jamais arrivé avant. il y a déjà ce désir de se distinguer des voisins. ce qui est intéressant est la façon dont cette pensée culinaire s’inscrit dans la pensée raisonnable du xviie et comment le discours culinaire essaie d’adopter un mode de pensée rationnel. c’est une réflexion théorique qui se met en place sur la cuisine, un désir d’ordonner les choses, de penser la technique et pas simplement de l’appliquer. La cuisine n’échappe pas à ce qui se produit à l’époque pour tous les domaines, la littérature, la musique et l’architecture…

et c’est à ce moment là que les premières recettes de la cuisine moderne se mettent en place... oui grâce à cette façon rationnelle d’organiser les choses. Les recettes émergent d’abord de la manière de fonctionner par périodes de gras, de maigre etc… on finit par s’apercevoir que certains plats sont des récurrences et du coup on finit par les isoler pour en faire des recettes autonomes, de base. c’est évidemment le cas des fonds de sauce, des bouillons concentrés. d’ailleurs on parle toujours de l’influence italienne sur la cuisine française mais jamais de l’influence espagnole alors que les deux opérations de base viennent directement d’espagne : la liaison au roux – L’espagnol – et les astuces émulsionnées type mayonnaise. ces tours de mains deviennent des recettes à part entière. ce n’est donc pas étonnant si la cuisine ménagère apparaît elle aussi au xviie siècle ! oui, d’ailleurs “Le cuisinier françois” est un immense succès public, distribué par colportage dans des classes populaires à l’échelle du pays. bonnefons avec son “jardinier françois” et “Les délices de la campagne” va accentuer cette démocratisation amplifiée d’une certaine manière par le système politique mis en place par Louis xiv et qui conduit à la prise du pouvoir par la bourgeoisie. début xviiie, la cuisine a déjà fait sa révolution.

1730, on pratique une nouvelle cuisine. et tous les livres qui paraissent alors jusqu’au xviiie font référence à la modernité. comme quoi la modernité est une vieille histoire. prenez par exemple l’apparition de la casserole ! est ce qu’on l’imagine parce que les anciens ustensiles n’étaient pas pratiques, ne permettaient pas d’utiliser ces nouvelles techniques… on ne sait pas. mais se mettent en tout cas en place un certain nombre de choses en parallèle qui fondent les bases de ce qui va se passer au xviiie siècle où tout le monde s’intéresse alors à la cuisine. La cuisine devient un objet de pensée intellectuelle.

comment cela ? c’est la notion “d’individu dans la foule” qui va se répandre tout au long du xviiie siècle. Les français prennent une conscience très forte de leur unicité dans une société et d’une certaine manière le restaurant en est le catalyseur. c’est l’expression dans le domaine culinaire de cette tendance de se constituer en individu. L’individu n’est véritablement individu qu’au milieu de la foule et le restaurant est cela : on est un individu parmi les tables d’autres individus, on prend conscience de ce qu’on est pour soi et ce qu’on partage avec les autres. évidemment le discours du goût évolue, c’est la mise en avant du jeu entre une expérience personnelle et une expérience collective ; c’est vraiment la naissance de la modernité gastronomique.

vous montrez bien dans le livre qu’elle s’accompagne de la volonté incessante de simplification. oui, le désir de clarté, la volonté de simplification touche un public de plus en plus large. il faut donc publier des versions plus légères. Le xviiie est aussi traversé de crises financières et cela joue. on le voit dans l’apparition de la cuisinière bourgeoise qu’on verra reproduit après la guerre de 14 où l’on s’intéresse à la cuisine régionale et après la seconde guerre mondiale avec la cuisine moderne qui se met en place. plus la société est touchée, plus la cuisine trouve des résonances dans ses tréfonds. comment situer antonin carême, brillatsavarin, Grimod et escoffier dans cette évolution ? évidemment leur rôle est plus contrasté qu’on ne veut bien le dire. comme toutes les pensées qui deviennent académiques, elles ont tendances à s’alourdir. c’est le cas de carême qui fait un travail phénoménal qui a fonctionné pendant presque un siècle sans quasiment de modifications. sa grande erreur a été de miser sur la cuisine décorative, mais cela satisfaisait les goûts d’une classe parvenue, qui avait besoin d’en mettre plein la vue… c’est plutôt grimod de la reynière qui a une pensée franchement réactionnaire, même si lui aussi a montré du génie dans la forme moderne qu’il a trouvée pour parler de la cuisine. mais c’est brillat savarin, le plus libéral au sens anglo-saxon, qui est vé-

et c’est avant la révolution ! oui contrairement à ce qu’on pense et écrit, la cuisine bourgeoise date de 1746, le restaurant de 1763. Le restaurant apparaît au même moment que d’autres institutions, qui sont emblématiques du privé au public : le salon de peinture ou le concert spirituel qui ne peuvent avoir lieu que parce que l’individu est unique parmi ses semblables. c’est couplé à l’émergence de la bourgeoisie qui est l’expression de cette quête d’individuel. Le restaurant a donc une portée plus grande que ce qu’on veut bien lui attribuer. Le xviie marque l’innovation tous azimuts… dans sa deuxième moitié, on élimine tout ce qui pouvait rester des habitudes médiévales ou de la renaissance. dès les années P. 6

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07h00

La veille il a neigé. il fait un froid de gueux. pas vraiment une surprise dans cette rue du nil. Lorsqu’elle s’appelait encore rue neuve-saint-sauveur, au moyenÂge, c’était l’une des portes d’entrée à la cour des miracles, ses canailles et ses indigents. L’atmosphère a bien changé. Les façades sont un peu grisâtres avant plusieurs ravalements programmés. Les échoppes de textile, d’afrique ou d’ailleurs, vestiges de la gloire passée de ce quartier du sentier, ne jouent pas dans la catégorie tape à l’œil. en revanche, en ce matin de février, c’est du haut de gamme qui dégueule des camionnettes bouchant la rue étroite aux égarés. ce ne sont pas des kilomètres de rames de tissu mais de quoi manger, et bien manger. dans cette ruelle de 72 m de long pour 5 m de large, on trouve en effet la plus réjouissante concentration de talents et de produits de tout paris. À faire saliver le gastronome le plus exigeant. au 5, trône le frenchie du chef grégory marchand. en face, au 6, son frenchie Wine bar. au 7, l’épicerie ouverte mi-décembre 2012 par terroirs d’avenir, fournisseur de produits frais pour P. 8

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07h05

dès potron-minet, le premier qui lève le rideau de fer, c’est andriy, boucher franco-russe formé à la fois par hugo desnoyer et yves-marie Le bourdonnec, rien que ça. pas de répit pour le veau et l’agneau des pyrénées, pour le porc basque ou noir de bigorre, pour les volailles de la sarthe. et pour cause, les travaux ne sont pas tout à fait terminés, les deux rôtissoires viennent d’être installées et tournent encore à vide, des étagères manquent. alors, il faut passer un coup de balai à la fraîche pour dépoussiérer avant d’attaquer la découpe de la bidoche, debout dans la minuscule chambre froide où rancissent de belles carcasses entières.

10h00 “on est mardi, c’est le mauvais

jour.” clément, responsable de l’épicerie, et jérémy, son bras droit, sont un peu débordés. Les premiers clients arrivent mais il y a

17h00 dans un coin du frenchie, ordina-

teur ouvert et papiers divers éparpillés, grégory marchand fait un signe de la main aux gens qui passent. par la vitre, il observe son cadre de vie quotidien avec émerveillement. “tu imagines ce coup de bol incroyable de pouvoir créer une rue de paris à notre image ? souffle-t-il. on a commencé à en parler avec les autres, on aimerait bien créer un collectif, pour les décorations de noël, pour créer des animations. on a toujours fait très attention à ne pas brusquer la rue. on va régulièrement voir les services de police pour prendre la température.” près du bar, Laura, responsable salle du frenchie et du Wine bar, et sommelière, a réuni ses troupes : aurélien, sommelier du Wine bar, romain, maître ès whisky, quentin, serveur, caroline, sommelière au frenchie, québécoise comme Laura mais avec l’accent, elle. au programme, la vie du restaurant, les bouteilles qui goûtent bien, celles qu’il faut terminer pour passer à autre chose. en cuisine, ça s’active déjà depuis plusieurs heures. harry le british, fidèle second et chéri de Laura, august le suèdois et ina la moldave, côté frenchie. matteo l’italien, mads le danois et françois le… français, qui est lui-même l’amoureux transi d’agathe, délicieuse stagiaire de luxe chez terroirs d’avenir, côté Wine bar. La boucle est bouclée.

17h45

vite, les experts de l’aménagement de cuisine sont arrivés. gregory marchand laisse tout en plan et va ouvrir le local de son futur frenchie-to-go. on y mitonne encore quelques plats cuisinés,

il y a des ananas dans des barquettes, du lait dans le frigo. c’est habité et désert à la fois. difficile d’imaginer le futur comptoir derrière lequel tout sera préparé à la commande. pas facile de se figurer la cuisine repensée, sa chambre froide ultra design, noire avec une petite fenêtre pour ne laisser voir que les salaisons, ou le fumoir haut comme une armoire. Le chef a le plan et les cotes en tête, discute l’emplacement de la plonge, des poubelles, prône les économies mais jamais sur l’essentiel. “il ne lâche rien, il sait ce qu’il veut, commente le cuisiniste. ceux qui s’en fichent, ce sont les mauvais. Lui, il a une vision.” un food truck et des chariots de hot dog qui sillonneraient le quartier, greg a déjà pensé à la suite.

19h15

clément découpe un dernier morceau de comté affiné 16 mois, pèse quelques hélianthis, des navets noirs de pardailhan et des oranges de sparte. andriy tranche du jambon blanc prince de paris, emballe des tendrons de veau et des coucous de rennes. Les habitués du soir viennent chercher leur dîner. Les boutiques restent ouvertes jusqu’à 21h, pour les habitants du quartier, les forçats qui rentrent tard du bureau. stéphane meyer revient lui de plusieurs rendez-vous, il va remonter travailler. il jette un œil au passage à ses bébés, fromages, vins et bière. La vigne, c’est son premier métier. La cueillette d’herbes sauvages, c’est un sacerdoce, un engagement utile, mais ça ne nourrit pas son homme. défendre les cuvées de son ami d’enfance, françois rousset-martin, dont un fantastique savagnin ouillé, et redonner ainsi son éclat au terroir de château-chalon, c’est tout aussi noble et économiquement plus viable. surtout quand il y ajoute d’autres vins naturels, comme les côtes du rhône de philippe viret, mais aussi des bières artisanales, un cru d’absinthe ou de la liqueur de gentiane. en remontant à l’étage, il retrouvera l’équipe de terroirs d’avenir qui prend les dernières commandes des chefs, éternels retardataires mais bichonnés au cas par cas, parce que la relation qui lie tous ces professionnels est loin d’être seulement commerciale.

19h35

au frenchie, les clients du premier service sont attablés depuis une demi-heure. on vient de partout pour la cuisine punchy de gregory marchand, on a réservé depuis longtemps, on ne laisse sa place à personne. en face, au Wine bar, sans réservation, les tabourets libres se font rares. on déguste

le vrai pulled pork de greg marchand, les pastas de matteo (on vous recommande les papardelle au ragoût de bœuf et raifort), ou le stilton de chez neal’s yard dairy. aurélien remplit les verres, un cellier des crays d’adrien berlioz (blanc de savoie) ou un côteaux du giennois de matthieu coste (rouge de Loire). arnaud daguin et christian aguerre terminent leur journée en compagnie d’amis corses. un couple se dévore des yeux et du sourire en grignotant du jambon noir de bigorre et des girolles pickles. une ex starlette du téléachat raconte ses déboires sentimentaux. des gens qui ne s’étaient jamais vus, voisins d’un soir, font connaissance. des américains patientent un verre à la main, espérant une annulation en face. ainsi ira la vie, jusqu’à 23h, guère plus, pour la tranquillité des riverains. “et si on ouvrait un bar de nuit ouvert jusqu’à 8h du matin ? après, les gens pourraient aller prendre leur petit-déjeuner au frenchie-to-go !” greg, va te coucher, demain est un autre jour !

il vient chaque année spécialement du japon pour assister au brassin public. depuis douze ans. “il ne pète pas un mot d’anglais. on ne se comprend pas. mais le japonais est aux anges. heureux comme pas deux”, explique jean van roy, arrière petit-fils du fondateur de la brasserie et désormais aux manettes. et de sortir son smartphone pour montrer les photos d’autres afficionados. des américains ceux-là, qui ont poussé le culte de cantillon au point de se faire tatouer sur l’avant-bras son logo emblématique. “il y a un retour affectif incroyable avec cette bière. il y a vingt-cinq ans, personne n’en voulait. mais maintenant, je dois bien dire que je suis le cul dans le beurre.” pourtant, rien n’a changé dans cette brasserie séculaire, si ce n’est peut-être le monde qui tourne un peu plus vite autour d’elle. L’histoire commence en 1900. paul cantillon installe sa brasserie à anderlecht. une parmi les quatre milles que compte la capitale belge. il n’est alors qu’un “speker”, un assembleur qui rachète du moût à un brasseur. en 1937, il investit dans le matériel qui va lui permettre d’assurer toutes les étapes de fabrication. Le même encore en service aujourd’hui. La brasserie sera reprise après la seconde guerre mondiale par marcel et robert, ses fils, puis par jean-pierre van roy, époux de claude cantillon, fille de marcel. Leurs enfants, jean et julie ont repris le flambeau. cantillon brasse à peu près 1 700 hl/an. de la petite bière au regard de la production belge qui tourne elle autour des 18 millions d’hectolitres. malgré la demande, impossible de produire plus. en fin de saison, la cave est remplie jusqu’à la gueule d’un millier de tonneaux. et seul le temps va déterminer le rythme d’ouverture des fûts… “c’est pour ça que je refuse le titre de maître brasseur,

frenchie & frenchie wine bar 5-6 rue du niL 75002 paris téL. : 01 40 39 96 19 www.frenchie-restaurant.com ouvert du Lundi au vendredi (19h-23h) terroirs D’avenir 7-8-9 rue du niL 75002 paris téL. : 01 45 08 48 80 ouvert du mardi au vendredi (10h14h30 et 16h30-21h), samedi (9h-21h) et dimanche (9h-14h30) L’arbre à café 10 rue du niL 75002 paris téL. : 06 25 13 18 46 www.larbreacafe.com

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Le conseiL Du sommeLier (thomas booGaerts) pour l’apéritif et pourquoi pas, comme le veut la tradition à bruxelles, avec une tartine de fromage frais, ciboulette, échalotes et quelque lamelles de radis.

GrAnd Cru BruoCseLLA Lambic trois ans d’âge “elle est parfaite pour faire découvrir la bière. on retrouve de belles notes oxydatives qui font penser aux vins du jura et à certains vins de Loire.” Le conseiL Du sommeLier sur une poitrine de volaille fermière cuite à basse température et recouverte d’une fine tranche de jeune comté, accompagnée de quelques coques ouvertes à cru, choux de bruxelles et jus de rôti de volaille avec un peu de jus de coques.

Le conseiL Du sommeLier des calamars en fines lamelles avec une écume de chou-fleur au beurre noisette et lamelles de chou-fleur. de petits morceaux de suprême de citron meyer apporte la fraîcheur.

pLats Du jour, sur L’iDée D’innovation en cuisine bénédict beaugé métaLLié, 250 pages, 18 €

explique jean van roy. car le maître est celui qui contrôle. on ne maîtrise pas son lambic. on travaille avec lui. certains collègues ont déjà vendu leur bière quand la mienne n’a pas encore fermentée”. pour bien comprendre la particularité de la cantillon, il faut expliquer ce qu’est le lambic. une bière des origines, qui remonte aux temps où l’homme n’avait d’autre recours que de faire confiance à la nature. La fermentation alcoolique du moût n’était alors possible que grâce un processus spontané, déclenché uniquement par les levures sauvages provenant de l’air ambiant. progressivement, les brasseurs ont commencé à maîtriser ces levures et à les récupérer sur les brassins précédents, à la façon du pain, pour ensemencer l’orge liquide. La révolution industrielle du xixe siècle a achevé de les mettre au pas et amené la bière sur la voie de la productivité, avec son corollaire, l’uniformité. Le lambic a échappé à cette main mise de la l’homme et de la machine. il reste la seule bière issue d’une fermentation spontanée. L’autre particularité du lambic, c’est la notion de terroir qui s’y rattache. c’est la bière emblématique de bruxelles, attestée dès le xive siècle et la seule produite ici jusqu’au milieu du xixe siècle. on se perd en conjecture sur l’origine de son nom qui viendrait peut-être d’alambic ou de Lembeek, petit

11h20

hippolyte courty tourne la clef et ouvre la porte de son nouvel antre. il a créé l’arbre à café fin 2009 mais depuis, il n’avait jamais trouvé son pied-à-terre. quand gregory marchand lui a dit : “j’ai un truc pour toi rue du nil”, il a à peine réfléchi. “pourtant, ce n’était pas du tout ce que je cherchais, sourit-il. c’est plus petit que ce que je voulais mais l’opportunité était trop belle.” ces gars-là ne partagent pas que des produits et de bonnes adresses, ils ont la même idée du monde tel qu’il ne va pas et, sur-

12h30

il a déjà enfilé son tablier bleu, son pantalon et ses chaussures règlementaires. il fait des allers-retours entre le 5 et le 6, entre le restaurant où tout a commencé et le bar où tout a continué. gregory marchand, c’est un peu le “godfather” de la rue du nil. L’image le fait sourire mais il bougonne un peu. “je suis plutôt un rassembleur qu’un parrain”. c’est exactement ça. en 2008,

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13h10

arnaud daguin et christian aguerre, en chapeau et béret, flânent dans la rue. Le chef du hegia, à hasparren, qui supervise aussi le restaurant des grandes tables sur l’île seguin (boulogne-billancourt), a déserté la cohue et le brouhaha d’un grand salon professionnel parisien pour accompagner son camarade du “paysquint”, ou Kintoa, contrée de montagnes et de forêts où gambadent en liberté de dodus porcs basques. associé à gilles billaud dans le gaec haranea depuis 1999, christian aguerre produit, outre du piment d’espelette, un jambon à la chair rouge intense, finement persillée, et au gras brillant. terroirs d’avenir le distribue, il est donc venu ici en visite de courtoisie. Les bureaux de la jeune société fondée en 2010, dotés d’une petite cuisine, se transforment rapidement en salle à manger, on sort les assiettes et les verres, on trinque et on refait le monde.

14h15

une poularde du patis, élevée amoureusement par pascal et marie-agnès cosnet, pose dans le plus simple appareil sur le billot. andriy fait une démonstration de ficelage à son apprenti. on passe sous

16h25

teshima salue andriy et actionne le volet roulant de sa poissonnerie. il fait la bise à tatiana, jeune et ravissante cuisinière passée par l’arpège et l’astrance, qui l’a rejoint depuis une semaine pour une expérience nouvelle. autant le russe andriy est volubile, autant le japonais teshi est taiseux. il est cuisinier lui aussi, il cherche d’ailleurs une affaire. mais en attendant, il s’est lancé dans l’aventure terroirs d’avenir. côté mer. et il a de quoi s’amuser. alexandre drouard, spécialiste de cette activité dans le duo qu’il forme avec samuel nahon, lui garantit un arrivage exceptionnel tous les jours. “j’ai toujours été fasciné par le métier de pêcheur, explique alexandre. c’est l’un des plus beaux qui soit. il y a toujours une incertitude sur ce que l’on va rapporter quand on sort. c’est une activité très mystérieuse, quasi religieuse.” il travaille exclusivement avec des bateaux de saint-jean-de-Luz, de l’île d’yeu, et du lac Léman pour la fera d’éric jacquier. pêche côtière et même petite pêche le plus souvent, avec des embarcations qui ne restent pas plus de 12 h en mer.

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une idée des vignerons rené-jean dard et françois ribo. sans parler des “expériences personnelles” de jean van roy. ce lambic qui vieillit actuellement dans un coin de la cave dans des amphores. ou mieux encore celui qui dort dans un fût de vin jaune précieusement récupéré chez stéphane tissot. “c’était un de mes rêves. Les premiers résultats sont assez exceptionnels…”. froment) est broyée pendant deux heures dans de l’eau progressivement amenée à 72° pour briser les chaînes d’amidon et produire des sucres fermentescibles. par décantation et ajout d’eau chaude (10 000 litres au total par brassin), on obtient alors le moût. un jus doré au goût malté, dont les brasseurs, par tradition, prélèvent un verre les matins de brassage et dégustent à l’heure du café. Le moût est alors envoyé dans les cuves d’ébullition, pendant trois à quatre heures, ce qui va permettre la stérilisation et l’évaporation d’un quart de l’eau, et donc la concentration des sucres. juste avant cette étape, on incorpore du houblon au moût. mais à la différence des bières classiques, on utilise du houblon suranné, c’est à dire séché. “Le lambic a une acidité naturelle. nous ne cherchons donc pas à dénaturer cette saveur en apportant de l’amertume avec le houblon. en vieillissant, il perd son amertume, mais conserve ses propriétés antiseptiques et sa lupuline, un conservateur naturel”, explique jean van roy. Le moût est alors près pour l’ultime étape, la plus impressionnante. sept heures après le début du brassage, à un instant que seul l’expérience du brasseur détermine, ce sont 7 500 litres de moût en ébullition qui monte par pression sous les combles de la brasserie et se déversent dans un nuage de vapeur au fond de l’énorme bac refroidissoir en cuivre rouge. une pièce unique au monde, solidement rivetée (car aucune soudure ne tiendrait le choc) et qui claque méchamment sous le liquide bouillant. Les choses se calment au petit matin, quand le moût atteint la température de 18 à 20°. et que les bactéries et levures ont fait leur travail. cours répit, puisque quelques jours après la mise en fûts, commence la fermentation spontanée ; si violente que l’on ne peut fermer hermétiquement le tonneau sans risque d’explosion. La fermentation lente commence elle trois à quatre semaines plus tard. et là, on en prend jusqu’à trois ans…

village du brabant flamand, où l’on brassait aussi cette bière. mais parmi les bactéries et levures sauvages qui font sa particularité, on relève la brettanomyce bruxellensis, dont la présence n’est attestée que dans les environs de bruxelles (la vallée de la senne et le pajotteland), et la brettanomyce lambicus qui donne son goût typique à la lambic. elles ont la particularité d’absorber les sucres non fermentescibles ; d’où l’acidité caractéristique des lambics. jean Le roy va même plus loin et évoque lui un ensemencement micro-local, lié aux murs de sa brasserie ; comme si depuis le temps, celle-ci secrétait ses propres bactéries. un genre de brettanomyces cantillonarus en somme, indigènes du 56 rue gheude.

question de FeeLinG mais pour percer les ultimes secrets de la cantillon, il faut assister à un brassin. on brasse de fin octobre à début avril. en théorie. car réchauffement climatique oblige, cette période se décale progressivement vers novembre. Lorsqu’il fait trop chaud, la fermentation est trop rapide et le goût de la bière est alors moins équilibré. “en hiver, brasse qui veut, en été brasse qui peut”, disent les brasseurs de lambic. Lorsqu’il fait trop froid en revanche, on hésite aussi à brasser, car alors les bactéries s’endorment et le temps de fermentation s’allonge. un brassin, c’est trois jours de travail. un jour et demi rien que pour nettoyer les fûts. La bière fermente en effet de un à trois ans en barriques. “par tradition, explique le brasseur, on utilise des fûts d’occasion, seuls à même de développer des saveurs vanillées et boisées”. Le jour du brassage, on reproduit exactement les mêmes gestes qu’il y a cent ans. seule une pale mécanique a remplacé le fourquet traditionnel, prolongement du bras du brasseur (d’où son nom), qui servait autrefois à mélanger le moût. plus d’une tonne de mouture (65 % d’orge malté, 35 % de

y’A pAs que du houBLon… pendant cette période, le lambic va développer toute la complexité de ses arômes. il va gagner en acidité et perdre son effervescence pour devenir une bière non moussante. pour le brasseur, c’est le moment où il reprend la

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Lyon n’a pas (encore) perdu la course pour devenir la nouvelle cité de la gastronomie française. mais il était moins une. La désignation a été repoussée à fin avril, ce qui laisse à la cité des gaules la possibilité d’écarter ses rivales ambitieuses, dijon, rungis ou tours. Lyon s’était sans doute endormie sur le titre honorifique attribué par curnonsky en 1935 de “capitale mondiale de la gastronomie”. aux confins de la bresse et du charolais (élevages), de la dombes (gibiers), de la savoie (poissons des lacs), de la drôme (légumes et fruits primeurs), de l’ardèche et du forez, des vignes de la bourgogne, du beaujolais et de la vallée du rhône, mais aussi terre natale d’eugénie brazier, de marie bourgeois, de fernand point et de paul bocuse, Lyon a toujours eu toutes les bonnes et les mauvaises raisons de ne jamais se remettre en question. ce n’est pas le succès de la dernière édition du sirha, fin janvier, qui a été de nature à faire bouger les lignes. Le grand salon été marqué par le triomphe tricolore au bocuse d’or, façon jeux olympiques ou coupe du monde de foot, mais aussi par le “dîner des grands chefs du monde”, venus rendre hommage à paul bocuse lui-même, figure tutélaire, statut du commandeur de la gastronomie lyonnaise et hexagonale malgré ses 87 ans. dans son ombre, peu de soleil. pourtant, dans le sil-

retrouvons nos racines ! « Des produits d’ici cuisinés ici » c’est le premier label des chefs franciliens revisitant la tradition des produits d’Île-de-France avec le savoir-faire culinaire d’aujourd’hui. Pour vous aussi, cuisiner local en Île-de-France, c’est possible. Rejoignez-les !

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main sur son lambic. car c’est lui qui va juger de sa maturité. seule une partie de la production est écoulée en lambic pur, sous l’étiquette “grand cru bruocsella”. un “trois ans d’âge”, très prisé par les œnologues et les amateurs de bière. encore que. “il faut oublier que c’est de la bière, commente jean van roy. c’est un vin de grains. Le chaînon manquant entre le vin et la blonde.” pour ce breuvage ambré, aux arômes complexes de pomme, de miel et de pain grillé, que certains comparent au chardonnay, on n’hésite pas à parler de robe et de bouquet. il va sans dire que l’on ne sort pas la chope, mais le verre à pied et que ce vieux lambic se déguste plus qu’il ne se boit. La moitié de la production part sous forme d’assemblage de jeunes (un an) et vieux lambics (trois ans) pour obtenir l’une des grandes spécialités bruxelloises : la gueuze, le “champagne des bruxellois”. on sélectionne une dizaine de lambics provenant de différents tonneaux pour n’en garder que cinq ou six. et on fait refermenter en bouteille, bouchée par un bouchon de liège et un bouchon couronne. La gueuze, lambic pétillant, passe alors encore un an en cave. chaque cuvée est unique. L’autre grande spécialité, c’est la bière à fruits. La plus connue est bien sûr la kriek. oubliez les limonades sirupeuses de la grande distribution. historiquement produite avec une variété locale de griottes, les cerises de schaerbeek (il faut désormais compter sur des importations turques), la kriek cantillon est une bière tranchée, acide, aux beaux reflets tuilés. autrefois, au bistrot, on la servait même avec deux morceaux de sucre pour que chacun l’adoucisse à sa convenance. sa cousine, la rosé de cambrinus, est un lambic à la framboise, historique lui aussi car ce fruit abondait dans la campagne bruxelloise au début du siècle. depuis, cantillon a développé d’autres spécialités, fruit de sa collaboration avec les vignerons. La saint Lamvinus (macération de raisins merlot et cabernet-francs), la vigneronne (aux raisins de serre) ou plus barré, la fou’foune, à l’abricot bergeron, sur

on saisit mieux pourquoi le lambic déclenche les passions. mais un peu moins pourquoi il n’est pas protégé précieusement comme une espèce en voie de disparition. car il y a lambic et lambic. si certains petits brasseurs assurent encore une partie de leur production en fermentation spontanée, d’autres profitent du flou de la législation pour aider un peu le processus naturel et accélérer le temps, qui, comme chacun sait, est de l’argent… pourtant, jean-pierre van roy, le père de jean, a tenté de taper du poing sur le comptoir. outré que les arrêtés royaux et ministériels qui protégeaient à l’époque le lambic ne soient pas respectés, il a déposé en 1991 une plainte auprès du substitut du roi. plainte classée, loi abrogée dans la foulée. “c’était le combat de david contre goliath. j’avais les grands brasseurs industriels en face de moi”, se souvient-il. depuis, chez cantillon, on s’en tient à un principe : “La vérité est au fond du verre”. comme le résume non sans fierté jean-pierre roy : “ceux qui boivent cantillon, ce n’est pas n’importe qui.” et de tourner fièrement le dos à toutes les appellations et associations qui se créent autour de la bière dite artisanale. À raison, semble-t-il, si l’on en juge par la passion cantillon. dès 1989, les japonais, qui ont bon goût, en importaient une palette. et progressivement la brasserie est sortie de ses années de galère et d’oubli. a preuve, les 43 000 visiteurs qui l’ont visitée dévotement cette année. ou le succès du zwanze day. encore un truc un peu barré, né des expériences de jean. une cuvée privée qui avait explosé les scores sur le site ratebeer et dont le prix des bouteilles s’envolait sur ebay. depuis jean refait chaque année cette cuvée avec des accords chaque fois différents. macération de fleurs de sureau en 2009, pineau d’aunis (d’olivier Lemasson) en 2011, rhubarbe bio en 2012. mais rien ne sort en bouteille. tout en fûts, mis en perce le même jour à la même heure aux quatre coins du monde. À 10 h à hawaï, midi à oakland, 21 h chez cantillon, où c’est jour de fête. car le lambic, ce n’est pas seulement épique, c’est émocratique. cantiLLon 56 rue gheude 1070 bruxeLLes téL. : +32 (0) 25 21 49 28 www.cantillon.be

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on a tendance à un peu oublier ces fumets entêtants, ces goûts puissants d’iode et de chair marine, et on y replongeait avec délectation. sans oublier la touche d’humour en forme de clin d’œil avec, en dessert, une bugne (plus lyonnais, tu meurs), revue en gaufrette sur une classique crème brûlée. cette voie très personnelle, christophe hubert l’a prolongée lors d’un dîner à quatre mains avec jean-michel carrette (aux terrasses, tournus), à l’invitation d’omnivore, grand ordonnateur de dîners 100 % aux grandes tables du 104 (un lieu culturel au nord de paris). ce soir là, stimulé par un carrette malicieux en diable, il avait envoyé un plat d’une puissance rarement atteinte : orphie (poisson d’eau de mer serpentiforme et doté d’un long bec armé de fines dents très acérées), cecina (jambon fumé de bœuf), asperges, crème et citron. orphie et cecina, ça ressemble à une tragédie grecque. de fait, c’était d’une beauté formelle assez bluffante, toute en transversalité, l’asperge débordant presque de l’assiette, à la fois brute de fonderie, en apparence, mais d’une incroyable complexité en bouche. fumé, croquant et acide au premier abord, mais aussi onctueux et rond en finale, un très grand plat. c’est pour tout ça qu’il faut aller voir et complimenter ce cuisinier qui n’a pas vécu que des choses drôles, ces derniers mois, et qui n’a pas baptisé son restaurant par hasard. L’effervescence, c’est tout lui.

lage de matthieu viannay (La mère brazier), authentique talent singulier mais héraut d’une tradition réinventée, la gastronomie lyonnaise a bel et bien vécu une remarquable année 2012. on le doit à deux trentenaires aux tempéraments radicalement différents. dans l’ordre alphabétique, christophe hubert (“L’effervescence”) et guillaume monjuré (“palégrié”).

homme LiBre Le premier a ouvert son restaurant le 15 novembre 2011 mais c’est tout sauf un perdreau de l’année. christophe hubert a fréquenté les cuisines du meurice, du grand véfour, et surtout, fait corps avec michel trama (L’aubergade, puymirol) puis mathieu viannay, et n’avait pas vocation à rester longtemps dans l’anonymat. en restant à Lyon, haut lieu d’une gastronomie codifiée depuis des lustres, donc, le gersois, guerrier ascendant

têtu, n’a pas choisi la facilité. il n’était pas attendu, ou alors au tournant. Le virage, lui, il l’a pris résolument au cours d’une année un peu folle qui lui a donné l’occasion d’être reconnu par ses pairs et par la critique, décrochant au passage quelques jolies breloques, la dernière en date, inattendue, à la sortie d’un certain guide rouge. ce fut le résultat du travail de fond d’un homme libre, sur lui-même et sur sa cuisine. L’émancipation du cuisinier enfin chez lui n’est pas une vue de l’esprit. christophe hubert a mené en à peine plus d’un an une petite révolution personnelle, poussé par les uns, scruté par les autres. en débarquant chez lui, quelques semaines après son installation, omnivore a joué ce rôle d’aiguillon sans lequel les déclics n’arrivent parfois jamais, christophe le reconnaît avec une vraie émotion dans la voix. sous ses dehors bourrus, le récent papa d’une petite matylda, second fruit de ses amours avec sa bouillonnante moitié, ewa, d’origine polonaise, dissimule une sensibilité que l’on ne soupçonne pas immédiatement mais qui transpirait déjà dès ses premières assiettes. au long d’un menu carte blanche bien dans l’air du temps, il cherchait dès le début à instiller une dose d’impertinence franchement bienvenue. Là ou d’autres se la jouent terremer à fond les saveurs, il se vautrait dans l’écume et le varech. mer-mer dans le tourteau en tartine inversée avec son aïoli léger. mer-mer encore dans la daurade royale à la plancha, chevauchée par deux coques débraillées et ointe de beurre aux algues.

Goût du LArGe chronologiquement, guillaume monjuré

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omn vore au pays des

soviets

ChAmp LiBre

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la poitrine, on remonte jusqu’aux pattes, on croise, on noue, on renoue, on serre fort, du bondage made in russia. Le garçon maîtrise son sujet. on pourrait bien le retrouver en tsarevitch de la barbaque dans une russie qui s’éveille à la maturation. il est prêt à tous les défis. quand il a contacté les petits gars de terroirs d’avenir pour le job, le projet de boucherie était sommaire. on y servirait les morceaux préparés par les éleveurs, mis sous vides comme pour les cuisiniers. “faut pas faire ça, avait alors répliqué notre russe blanc. il faut aller dans le vif, montrer ce qu’on sait faire !” et il l’a fait. il maîtrise ses découpes, sa maturation. et comme la philosophie, c’est aussi de se battre sur les prix, la clientèle a vite compris. connaisseuse, curieuse, avide de conseils, de cuisson mais aussi d’accompagnement (andriy sait toujours ce qu’il y a sur les rayons de l’épicerie d’en face). comme reynald, fleuriste, qui a déserté les boutiques de la rue montorgueil voisine. pièges à touristes où l’on est, selon lui, “mal reçu, même quand on a ses habitudes”, où l’on peut se faire claquer la porte au nez parce que l’heure c’est l’heure.

texte stéphane méjanès et Kim Levy Photos Dimitri maj

couvert couvert 171 sint-jansbergsesteenWeg 3001 heverLee - beLgique téL. :+32 (0)16 29 69 79 www.couvertcouvert.be

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on assiste à des mouvements incessants où l’on rejette ce que l’on a adoré et l’on assistera sûrement bientôt à un renouvellement, qui ne doit pas aller jusqu’au retour au bon vieux temps, mais à une modernité plus aimable, qui reste à définir. une modernité plus à l’écoute où le mangeur pourra se prendre un peu plus en main. que chacun soit conscient du rôle qu’il joue dans cette histoire, qui ne se réduit pas à un buzz moutonnier où un même public se précipite soudain dans un même restaurant.

Chœur de Lyon

L’iris 100 % malt et houblon frais “c’est une bière plus ambrée, avec une amertume plus prononcée et une fraîcheur citronnée. elle n’est pas à la carte du restaurant. celle-là, nous la buvons en privé.”

tout, tel qu’il devrait aller. greg sert à ses convives les légumes, la viande, et le poisson d’alex et sam, mais aussi le café d’hippolyte, alors autant vivre entre gens qu’on aime plutôt qu’avec des inconnus. dans la boutique de l’arbre à café, la déco est encore sommaire. quelques caisses, de grands sacs de jute estampillés aux couleurs de la plantation et au nom de la marque, gage de productions exclusives, des sachets de café, des boîtes de thé, et du chocolat de são tomé de chez claudio corallo. L’endroit n’est pas officiellement ouvert, les travaux vont débuter pour aménager la chose de façon un peu plus fonctionnelle, avec un vrai bar pour la machine et les accessoires. en attendant, hippolyte a déjà fixé au mur un prototype de machine à piston que lui a confié un apprenti sorcier néerlandais, Wouter strietman. Le bel objet cuivré revisite un grand classique italien, la pavoni, avec sélection de la température de l’eau au degré près et précision diabolique dans l’extraction. tests concluants, parole d’amateur. au journaliste grippé, le maître des lieux prépare aussi un chocolat express en turbinant une tablette réduite en morceaux, et c’est tout. c’est chaud, c’est gras, c’est onctueux. dès que tout sera prêt, sans doute fin mars, chaque visiteur de passage sera aussi bien traité.

quand il débarque à paris sans boulot, en fin de droits, avec sa femme enceinte de 7 mois et pas d’appartement à lui, c’est par la force de son envie et de son pouvoir de conviction qu’il décroche son indépendance dans cette artère perdue. pas de volonté hégémonique derrière son déploiement en face, puis plus bas, bientôt, juste le désir de créer pour ne jamais s’ennuyer. “je n’ai jamais voulu m’agrandir, j’ai voulu me diversifier, confie le surdoué hyperactif. j’ai lancé le Wine bar parce que j’adore ce genre d’endroit et que le vin fait partie de l’aventure du frenchie. et puis j’adore cuisiner des plats plus directs, à manger rapidement. je voulais aussi défendre les fromages anglais. Le frenchieto-go, c’est la même idée. proposer une restauration rapide, à emporter ou sur place, sur des tabourets hauts, telle que je l’aime. il y aura des sandwiches au bacon, des donuts et des scones maison, du pastrami (préparation de viande de bœuf saumurée et fumée), des fish and chips, du pulled pork (sandwich à l’effiloché de porc rôti), des reuben (sandwich grillé au corned-beef, choucroute, emmental et sauce russe). ce n’est ni ethnique ni conceptuel, c’est juste bon. j’aurais pu le faire ailleurs mais un local se libérait ici, pourquoi aller chercher plus loin ?” ouverture prévue fin mai début juin.

Lyon, BeLLe endormie de LA GAstronomie FrAnçAise ? des indiCes ConCordAnts pourrAient Le LAisser penser mAis à y reGArder de pLus près, deux trentenAires ont modiFié Le tABLeAu, en à peine pLus d’un An. iLs s’AppeLLent Christophe huBert et GuiLLAume monJuré.

Le conseiL Du sommeLier : sur le boudin maison : sang / échine / tête de porc avec beaucoup d’oignons et d’ail. aussitôt dit aussitôt fait : vincent et moi avons validé l’idée et cela fonctionnait très bien.

Conception : www.agencebeaurepaire.com – Photos : Getty, Thinkstock, Fotolia

LA kriek

vers quoi cette société de mangeurs peutelle aller ? Ça ne va pas pouvoir durer très longtemps. il va y avoir un recentrage. après la grande mode de la cuisine moléculaire, on s’est orienté vers ce que les gens pensaient être une antithèse absolue, le naturel, le néo-primitivisme, l’expressionnisme, que sais, alors que c’est beaucoup plus contrasté que cela.

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texte et Photos marie-Laure Fréchet

Les FoLmer déGustent CAntiLLon Lambic à la cerise “certains la laissent vieillir. nous la préférons dans la fraîcheur et pour sa belle acidité. c’est une bière d’été. elle est aussi un peu amère, car elle est faite avec une cerise griotte. mais on n’est pas sur du sucré. c’est pourquoi il ne faut pas nécessairement penser à elle pour le dessert.”

Quand vous abordez la modernité d’aujourd’hui dans votre livre, vous consacrez de nombreuses pages à la communication, aux classements, aux prix… La modernité du xxie siècle est-elle réduite à la communication ? justement, c’est un écueil. je dis dans ma conclusion qu’il faut oublier le buzz suscité par tel ou tel classement. il faut que les cuisiniers — mais pas qu’eux, les critiques, journalistes, écrivains avec ! — redeviennent exigeants vis à vis d’eux-mêmes. ne nous laissons pas mener en bateau par les chimères de la communication, qu’elle soit mise en place par des groupes de communication où par les chefs eux-mêmes dont certains semblent vouloir imposer leurs diktats. cela va des classements aux menus uniques ou à rallonge. ces menus là nous ennuient, lâchez-nous un peu et laissez-nous choisir ! on a un peu l’impression d’être un cochon payant, où la seule marge est d’accepter l’addition ou de la refuser.

on LA dit unique Au monde. CAntiLLon BrAsse depuis quAtre GénérAtions Cette Bière AveC Les mêmes Gestes, un soin presque intéGriste. vin de GrAins, Bière nAture éLevée en Fûts, Le LAmBiC est Le ChAînon mAnquAnt pour tous Ceux qui CherChent LA vérité Au Fond du verre.

Les Deux chefs De couvert couvert (herveLee) sont Des passionnés De bières. iLs ont accepté De DéGuster pour omnivore Quatre Des bières phares De La maison bruxeLLoise.

Gueuze

est ce que ce phénomène n’est pas une forme de fuite en avant ? si, mais ce n’est pas propre à la cuisine. Le phénomène d’oubli, de négation de sa propre histoire dans une projection lointaine, dans le temps ou dans l’espace, appartient à tous les domaines de la création. La tendance japonisante de la cuisine où l’épisode moléculaire — qui n’est pas à renié mais semble clos — sont une interprétation possible de la cuisine mais à côté de cela il y en a des milliers d’autres.

épique LAmBiC

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assemblage de lambics champagnisé en bouteille “français d’origine, nous ne sommes pas des buveurs de bière. pour nous, la gueuze est ce qui se rapproche le plus des vins nature. nous aimons sa fraîcheur, son côté désaltérant.”

et vous écrivez qu’on ne sait pas ce qui serait advenue de la cuisine du xxe siècle si ce pré-Gagnaire mystérieux avait survécu à la guerre. oui car cette tentative est restée celle d’un esthète pour un cercle très fermé. on ne sait effectivement pas quels échos sa cuisine aurait pu trouver au cours du xxe siècle. mais c’est en tout cas curnonsky qui a écrit sa nécrologie. et lui, le conservateur, avait un regard plutôt indulgent sur ces tentatives modernistes. il parle même de cuisine cubiste “qui est sans doute la cuisine de l’avenir” écrit-il, il fait même référence à des volailles “intra saucée” où maincave préconise d’injecter le jus dans la chair. en tout cas, que maincave soit un mythe, une réalité ou une supercherie — il pourrait être l’avatar d’un groupe de gens aux idées nouvelles — son existence est en tout cas très révélatrice de ce que le xxe siècle était en train de secréter : une tentative de mettre fin à l’histoire de la cuisine codifiée.

Qu’est-ce que la modernité aujourd’hui ? elle se traduit dans un morcellement sans fin. on a l’impression que peut naître une cuisine nouvelle dès que s’ouvre un restaurant en même temps que de grands courants la traversent. mais le phénomène principal est la globalisation de la cuisine, sa mondialisation. on peut être au fin fond du monde et l’on peut s’intéresser à ce qui se passe à l’autre bout du monde.

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des cageots partout. “même si c’est devenu tout de suite un gros client, l’épicerie en est un parmi d’autres au milieu de la tournée des restaurateurs avec lesquels nous travaillons, explique samuel nahon, cofondateur de terroirs d’avenir avec alexandre drouard. Le mardi, c’est la grosse livraison de la semaine, depuis notre entrepôt de bercy, pour la réouverture des restaurants fermés le dimanche et le lundi. il se trouve que l’épicerie reçoit souvent sa marchandise pile à l’heure d’ouverture. on fait avec.” une ambiance déballage de marché qui ne déplaît pas aux premiers chalands, compréhensifs. on est loin des codes de la grande distribution qui cherche à singer les commerces de quartier dans un décor à la soleil vert pour consommateurs pressés. ici, ça vit vraiment, à l’image des fruits et légumes, cabossés, non calibrés, avec des têtes qu’on ne connaît pas mais qu’on a tout de suite envie d’adopter.

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en fonction de la disponibilité, terroirs établit son offre tôt le matin. Les chefs doivent y répondre avant 11 h, dernier carat. puis c’est l’embarquement. direction les restaurants, et la boutique de la rue du nil. fraîcheur absolue. une habitante du quartier venue pour une daurade royale repart avec un beau morceau de merlu de ligne, préparé devant ses yeux par tatiana, trempée, congelée mais heureuse. teshi emballe tout ça façon origami, c’est beau comme une lettre d’amour enroulée dans du papier de soie.

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les (bons) restaurateurs. au-dessus du 7, les bureaux de terroirs, dans lesquels on a aussi fait une petite place pour sapiens, la société créée conjointement avec stéphane meyer, cueilleur d’herbes sauvages (mais pas que, on y reviendra). au 8, blotties l’une contre l’autre, la boucherie et la poissonnerie, opérationnelles depuis mi-janvier 2013. au 9, derrière une devanture encore anonyme, le chantier à peine entamé de la troisième adresse de greg marchand, frenchie-to-go, comme son nom l’indique. au 10, enfin (mais est-ce vraiment fini ?), les 15 m2 de carrelage rustique et de pierres apparentes investis par l’arbre à café, qui sélectionne, torréfie et distribue des cafés mono variétaux en direct trade.

Le premier cuisinier moderne du xxe siècle apparaît pourtant avant la nouvelle cuisine, il se nomme jules maincave et c’est pour ainsi dire une énigme ! c’est vrai, on ne connaît pas grand chose sur lui. ce ne sont que des propos rapportés, des articles écrits sur le lui dans le new york times et le figaro… avant la guerre de 1914 un certain nombre de journaux parlent de ce cuisinier parisien, jules maincave, qui en réponse à apollinaire publie dans le journal fantasio un “manifeste sur la cuisine moderne”. ce manifeste est rapporté en fait par un dénommé andré charpentier, auteur de l’article. il écrit qu’il faut tout bouleverser dans la cuisine “je m’attaque à tout !, dit maincave” et en particulier il est très en pointe sur les nouveaux accords : une sole brûlante, marinée dans le rhum servie avec un poudre d’arêtes et une crème salée glacée. maincave aurait eu un restaurant dans le quartier latin avant guerre, dont on ne connaît pas le nom… et il meurt sur la somme en 1916 a trente ans.

et pourtant il faut attendre 60 ans pour que la cuisine change vraiment avec la nouvelle cuisine… oui et la chose peu dite est que c’est grâce à la nouvelle cuisine, il y a eu explosion de la cuisine dans le monde. Les cuisiniers s’affranchissent de la cuisine du passé, mettent en brèche références. c’est désormais l’histoire personnelle de chacun, l’histoire qu’on se choisit soi-même et plus les normes au sens d’escoffier.

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Lorsqu’iL ouvre FrenChie en AvriL 2009, GréGory mArChAnd ne sAit pAs que, trois Ans et demi pLus tArd, LA rue du niL, Ce serA çA : son restAurAnt, son wine BAr et Bientôt un FrenChie-to-Go, mAis Aussi trois Boutiques ouvertes pAr terroirs d’Avenir et CeLLe de L’ArBre à CAFé. pLonGée dAns LA rue des mirACLes.

texte stéphane méjanès Photos Luc Dubanchet

ritablement un homme de son époque. un peu plus tard, escoffier lui est un “cuisinier normal”, au sens de normatf. il a poussé à son terme la logique d’une cuisine initiée par carême. normalisée, elle peut se développer mais elle reste un univers dangereusement fermé sur lui même. alors, évidemment, durant le xxe siècle, “rideau !”, il faut faire autre chose. et c’est la nouvelle cuisine qui va conclure toutes ces tentatives de subversion de la cuisine selon escoffier.

photo phiLippe matsas

“ LA modernité est une vieiLLe histoire ”

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Les GrAnds petits soLdAts de LA Jeune Cuisine

La br GaDe jeune cu s ne

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verDura major

Ghost chef

juLien burLat

saiLor et tuna

Davy scheLLemans

Le fantassin burlat est dévoué à la cause omnivore depuis ses débuts. il a sauté – quasiment sans parachute - sur les premières éditions du festival au havre, investi sans rechigner deauville, genève, moscou… capable de sacrifice jusqu’au bout du monde. tel est le chef du dôme, anvers. reconnaissance éternelle.

DaviD toutain

ce fantôme là n’en est pas un. bien vivant au contraire, à anvers, il distille depuis sa veranda une cuisine suspendue entre rigueur, finesse et grande sensibilité jouissive. en deux ans, il s’est même imposé comme l’un des grands talents de son petit pays. il peut regarder droit devant lui. L’avenir.

ce pince sans rire bourré d’humour a laissé tomber la veste du chef rigoureux pour simuler l’improbable lanceur de daurade cauriphène. imperturbable, david toutain, fixe son but avec la même intensité qu’il envoie des séries graciles de plats équilibristes. son prochain point de chute reste encore inconnu, mais l’ancien d’agapé substance au cv de maréchal de france n’a que le meilleur à venir.

rosevaL commanDo

michaeL GreenwoLD et simone tonDo drôle de duos, les artilleurs de roseval. michael, le (faussement) flegmatique british associé à simone le (réellement) expansif sarde forment pourtant depuis leur ouverture une team cohérente, catapultant l’air de rien une cuisine en constante recherche. attention, ces artilleurs iront loin !

spice commoDore wiLLiam LeDeuiL

fooD seaL

Le maître de ze Kitchen galerie à paris campe un parfait général. port de tête altier, calme légendaire, rigueur de mise. ses décorations ont beau être des légumes, elles n’en disent pas moins l’admiration du monde de la cuisine pour ce chef qui a su imposer à tous un style unique, brillantissime.

sven chartier sven chartier a la discrétion des commandos. dangereux, forcément, il surgit avec sa cuisine quand on ne s’y attend pas et, loin de prendre en otage, oblige chacun à rendre les armes. Le talent unique du chef de saturne en fait pour 2013 le créateur omnivore de l’année. il est bon de compter sven chartier parmi ses troupes.

hedone, in Love with Food

dinGue de Cuisine, mAis ALLerGique Aux ALiments. Le suédois miChAeL Jonnson AurAit pu pAsser à Côté de sA voCAtion. sAuvé pAr un réGime, Le “GAstrophiLe” se révèLe à Londres un Cuisinier puriste et AutodidACte. portrAit d’un quAdrA qui vouLAit vivre sA vie. texte et Photos marie-Laure Fréchet Ça commence par une langoustine longue comme un avant bras. frétillante. bien vivante. “Ça, c’est pour vous”, lance le grand rouquin taiseux, en lieu et place de présentation. dix minutes plus tard, la revoilà. snackée à la plancha. À peine raidie. exactement du même rouge corail. aller sans retour de son fjord écossais, en dix heures chrono. même topo pour le turbot sauvage. du dorset celui-là. péché à 18h la veille, arrivé le lendemain à chiswick aux aurores. michael jonnson la sert avec une écume de peau de pommes de terre d’une certaine variété. Laquelle ? “Ça, je peux pas dire.” bref, vous voyez le genre… La route vers cette banlieue cossue de Londres est directe ou presque. eurostar & picadilly line en moins de trois heures. À l’aise pour le déjeuner. celle qui a mené ce descendant de viking loin de ses eaux territoriales est beaucoup plus barrée. À 8 ans, le jeune michael est dans le pétrin. celui de sa grand-mère avec qui il apprend le secret du levain ; le même qu’il cultive dans son restaurant, pour réaliser un pain sur lequel il veille jalousement. La cuisine, comme une évidence, le pousse à 16 ans à faire un stage dans un restaurant. sauf qu’une semaine après, il lui faut tout lâcher, car il se couvre d’eczéma au contact des aliments crus.

Les médecins ne sont guère encourageants. diagnostic : allergique à presque tout. finis les rêves de cuisinier. mais cela ne l’empêche pas de manger. il part alors en france, puis de par le monde pour écumer les restos. tout en se lançant dans une carrière d’avocat. il faut bien vivre…

mayo montée avec le blanc et vinaigre de banyuls … réminiscences de france, d’émotions culinaires. comme le chaud-froid d’œuf au sirop d’érable et vinaigre de xérès d’alain passard. Le plat parfait pour michael jonsson, pourtant du genre jamais satisfait. de ceux qu’il a traqués pendant des années, alors que pour tromper sa frustration de cuisinier manqué, il compulsait dans un blog de référence (www.gastroville.com) ses impressions de repas. en 2006, commentant celui qu’il fait à l’ambroisie et qu’il note 19,5/20, il écrit : “un repas préparé par un grand chef devrait atteindre une harmonie absolue sans pour autant sacrifier la saveur complexe de la cuisine française classique. À la fin du repas, on doit se sentir extatique. et quelques semaines après, avec le recul, on doit encore revivre le nirvana culinaire, expérience transcendantale qui ne peut être traduite par des mots.”. La barre est haute. avec gastroville, michael jonsson devient gastrophile. et bientôt productophile. Le site, en sommeil, va d’ailleurs reprendre prochainement du service autour de ce

extAtique L’interview se fait entre les plats, au passe de la kitchen table. on sent de toute façon qu’on ne parviendra pas à faire asseoir cet hyper actif rentré, pas du tout perturbé par une table de quatorze qui s’annonce déjà. toujours droit debout. dépassant le reste du staff d’une bonne tête. plié en deux quand il dresse une assiette. arrive une huître. cuite dans sa coquille, sous vide à 62° et servie froide. encore gorgée de jus et d’iode. éclatante de fraîcheur avec sa gelée de granny-smith et son émincé d’échalote. L’huître magnifiée, sans son côté slurp. puis les premières asperges du Lubéron, truffe de L’isle-sur-lasorgue, jaune d’œuf de canard poché,

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imitant les circonvolutions de la d7, l’esprit s’envole au gré des chênes pubescents, verts, rouvres, noisetiers, genévriers, prunelliers, aubépines et alisiers. plantés sur cette terre blanchâtre et caillouteuse, éthiques, ils peuplent les abords de la route et les collines posées comme des marmites. L’on se plaît à deviner le mycélium nappant le sous-sol de ses hyphes soyeuses et invisibles à l’œil. toile d’araignée géante, tapie à quelques centimètres de la surface grumeleuse et calcaire. ingénument et par bonheur, le mycélium laisse apparaître aux pieds de certains arbres, les brûlés. une façon d’indiquer sa présence en modifiant le couvert des graminées, du sainfoin, du sedum élevé (herbe à truffe), de l’épinette pilosa et de la fétuque. ces plantes semblent dévorées, comme avalées par le sol mis à nu. ces brûlés témoignent de la présence du capricieux champignon magique. elles certifient son mariage aux racines des arbres - la mycorhization – la truffe n’est pas loin. nous voici au coeur du Lot, aux frontières du périgord noir, dans le quercy blanc, sur les 70 hectares du domaine de saint-géry. tout a débuté en 1984. Âgé d’à peine 25 ans, patrick duler, goûte pour la première fois, la truffe, tuber melanosporum et hérite du domaine de saint-géry, ancien fief du seigneur de saint-géry depuis le ixe siècle. abandonnée, la maison familiale croule sous la végétation et n’offre alors, au menu, qu’un vaste chantier de restauration. Le jeune patrick, descendant direct par son père de julien-joseph duler, intrépide et brillant corsaire né à bayonne le 8 juin 1737, conduit le chantier de restauration du domaine selon les principes et valeurs de son aïeul : “témérité et humanité”. dès 1985, cinq chambres sont disponibles et “La petite auberge” restaurant privatif, devient le rendez-vous des cadurciens. La ferme auberge est née, il reste à en inventer le propos. en 1989, patrick duler fait sa révolution. il défriche quelques hectares sur les hauts plateaux déshérités du domaine et plante ses premiers chênes truffiers. “La truffe, elle pousse sur les mauvaises terres” lui soufflent les paysans voisins. Logique paysanne, habile et circonstanciée. partick duler comprendra plus tard que les truffes, comme le blé

ou le seigle, s’accommodent bien mieux des “bonnes” terres. ces paysans ignorent la coplantation mais pensent utiliser au mieux les ressources du sol. ils dédient leurs meilleures terres aux céréales et les “pauvres” aux melanos, qui, secrètes, invisibles et mystérieuses leur semblent se nourrir d’un rien... après des mois de défrichages et des années d’observations, patrick duler associe les chênes truffiers de variétés diverses, aux colurna, dénommés à juste titre, noisetiers de byzance. La vigne, la lavande, le genévrier, le blé, le seigle, le pois chiche, la lentille, la faverole viennent nourrir cette bio-diversité indispensable à l’équilibre des sols.

100 Ans : de 3000 tonnes à 30 tonnes de truFFes La lecture du traité de philosophie et d’agriculture de masanobu fukuoka – La révolution d’un seul brin de paille - vient en aide au jeune agriculteur. Le principe élémentaire du ne pas cuLtiver, comble du cultivateur ! c’est-à-dire ne pas labourer ou retourner la terre résonne en écho particulier. “si le mycélium n’est qu’à quelques centimètres de profondeur dans le sol, le labourage ne peut qu’entraîner sa destruction partielle, compromettant la récolte des tuber melanosporum.” Les trois autres principes : pas de fertilisant chimique ou de compost préparé – ne pas désherber au cultivateur ni aux herbicides – pas de dépendance envers les produits chimiques, lui ouvrent les voies d’une culture sauvage, biologique et autarcique. La ferme de patrick duler possède en terre une fortune, elle offre le sol, le soleil et l’eau, avec la source aux loups. une source romaine, enfouie dans une forêt de buis centenaires, une roche aux fées moussue et druidique, située idéalement en bout de combe, sur le versant sud-est du domaine. amer, patrick duler commente : “en france, la récolte de truffes était de 3 000 tonnes avant la guerre de 14. aujourd’hui, l’on peine à trouver 30 tonnes. Les fongicides ont tué le sol et les truffes. La truffe croît dans les terrains de grande qualité biologique et de surcroît les arbres n’y souffrent pas de sécheresse. La truffe pousse avec le soleil et l’amour de l’homme pour la terre”. ce plateau de 30 hectares, où prospèrent les truffières, offre une géométrie temporelle. clepsydre nature, “land art” où le temps qui

croquettes. d’une boule de terre grumeleuse, surgit une truffe maculée de sa gangue calcaire. il faut avoir respiré la terre/ventre où naît la truffe, pour comprendre les arômes de cette pépite. minéralité et esters unis pour assouvir les sens olfactifs. si l’on sait depuis 2010, année du séquençage du génome de la truffe qu’elles ont un sexe... on ne sait toujours pas reproduire l’arôme de la truffe, tant ses composés sont nombreux, variables et volatils ; et c’est tant mieux ! La culture sauvage nécessite un mode opératoire simple et mobilise des agents sophistiqués. en été, lorsque l’on chemine au gré des plantations de truffiers, libellules et papillons volent à l’étourdi. Les abeilles bourdonnent d’un arbre en fleur à un autre. Les insectes divers, les grenouilles, les lézards s’activent dans l’ombre fraîche des cultures. taupes et vers de terre fouissent sous la surface. Les voilà les forçats de la terre, les travailleurs de l’âme mère. ils opèrent un écosystème en équilibre. Les chevaux en liberté se chargent de la taille des arbres. au printemps, on utilise les jeunes branches détaillées en copeaux de bois, le brf : bois raméal fragmenté ou encore bois raméaux fragmentés. cette idée qui reprend les paillis du moyen Âge a été développée par le professeur gilles Lemieux du département des sciences du bois et de la forêt de l’université de Laval au québec - canada. cette introduction du broyat végétal dans la couche supérieure du sol recrée un sol riche en micro-organismes. il favorise la pédogenèse nécessaire à la création de l’humus. L’on parle alors d’agradation du sol (le contraire de la dégradation des sols). À saint-géry, la paille des blés et des seigles qui croissent dans les allées des truffiers est répandue après moisson, conservant la fraîcheur aux sols et ravivant insectes et vers. Le brf accompagne la création du potager. culture en butte et co-plantations, voilà le principe élémentaire et alimentaire avec pour règle, autonomie et autosuffisance. P. 51

les cro-magnons. conscient que l’on n’a pas évolué avec ce que l’on mange aujourd’hui”. en quatre mois, il est guéri. prêt à se lancer enfin en cuisine. deux capitales en europe s’imposent alors à lui. paris ou Londres. La suède, il n’y pense même pas. “il n’y a pas de produits exceptionnels en suède. même les halles de stockholm sont une blague.”

près prononçable dans toutes langues. il n’a jamais travaillé dans une cuisine professionnelle et pendant trois semaines, il se bat avec le mode d’emploi de son matériel. quelques mois plus tard, les premières critiques tombent. dithyrambiques. time out lui donne sa note maximale, le critique gastronomique andy hayler 8/10 et a. a. gil, critique redouté du sunday times, deux fois cinq étoiles, note qu’il n’avait jusqu’alors accordée qu’à l’arpège. “après ça, le téléphone a sonné toutes les trente secondes”, commente laconiquement michael jonsson. Lui n’a rien changé. heureux de travailler dans cette cuisine ouverte sur la salle. “je l’imaginais ainsi pour être le plus proche possible de chaque table. pour travailler en toute transparence.” Les produits restent la ligne directrice. “quand je ne trouve plus ceux que je veux, je fais autre chose. pour les légumes, il n’y a que deux endroits, l’un dans le dorset et l’autre en cornouailles. pareil

idéAListe pragmatique, michael jonnson ne perd pas de vue l’intérêt économique de son nouveau projet. paris le fait finalement fuir. “avec la législation c’était la galère”. il trouve à chiswick l’endroit idéal. s’il a pour voisin un pizzéria à emporter, dans le quartier il peut aussi croiser colin finn, tom ford ou daniel craig. “c’est un peu la banlieue de new york”, fait remarquer sans rire ce scandinave qui ne perd pas le nord. il ouvre hedone en juillet 2011. pas de message dans l’enseigne. juste un nom à peu

pour la viande. parfois, sur deux cents morceaux d’une même bête, seule une pièce me convient.”. d’autant que le suédois impose ses choix. quitte à expliquer aux anglais comment on mange de l’agneau. “je le sers assez gras. j’ai des bêtes extraordinaires, qui viennent des shetland. mais certains clients contestent.” Les mêmes qui tiquent quand arrive le pigeon servi avec patte et doigts. shocking. Le volatile arrive justement. servi avec une association betterave fumée, foie gras, girofle. remarquable. comme toutes les associations de saveurs de michael jonnson. juste avant, une raviole au parmesan liquide, oignon de roscoff, écume de raifort. “L’idée m’est venue une heure avant le service. j’avais cet oignon, un peu avancé. Le reste

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passe s’écrit en lignes d’arbres plantés et se plie aux ramures et aux courbes de niveaux. “À droite en contrebas, les plantations de 1989 et tout là-haut à l’horizon, les plantations de 2012”. Les rangées se succèdent et créditent la propriété d’une année de plus. “depuis 2007, je plante en suivant les courbures du sol. Lydia et claude bourguigon du Lams (Laboratoire analyses microbiologiques sols) m’ont fait prendre conscience de la présence de micro-terroirs. ceux-ci sont très liés au sous-sol (roche mère, fractures...). on les repère souvent grâce aux plantes autochtones et aux changements de niveaux. ils révèlent à coup sûr une modification du sous-sol. avec méthode, j’ai suivi chaque courbe de niveau. procédant ainsi, j’ai défini un micro-terroir homogène sur toute la longueur d’une rangée d’arbustes. La truffe est très sensible à son environnement, encore plus que la vigne. capricieuse, elle peut se faire attendre 10 à 15 ans avant qu’un arbre n’en produise.” en hiver, seuls athos, amarone, syrah et freya ont le droit de creuser la terre, et d’enfreindre les règles de fukuoka. Leur truffe perçoit les effluves des ces belles ténébreuses à plusieurs mètres de distance. Les chiens se partagent en deux groupes : les consciencieux et quêteurs de croquettes... avec les Labrador et le beauceron, et, le Latin, athos, un Lagotto romagnolo. ce chien magnifique, au pelage de petit mouton, natif d’emilie-romagne navigue chaloupé, au gré des plantations. il apprécie la distraction que lui procurent les champs truffiers, toujours prêt à mâcher une plante sauvage et à uriner consciencieusement sur chaque tronc d’arbuste. sa conduite dissipée et erratique le conduit quelquefois à dénicher l’or noir. seules les grosses truffes semblent mobiliser son talent. d’une patte experte et nonchalante, il fend à peine le sol, comme l’on ouvrirait avec précaution son portefeuille garni de grosses coupures. fier et un peu cabot, athos réclame l’attention du public et la gratification de quelques 2013_volume 06

thème, michael prévoyant d’y poster quelques billets bien sentis. il raconte ça quand arrive sur la table un “unami flan”. mi chawanmushi (sorte de flan japonais), mi crème brulée, servi tiède, couvert d’un confit de gombos. presque un plat signature, peaufiné jusqu’à atteindre un équilibre extrêmement délicat des saveurs. remonté contre la cuisine moléculaire, l’agroalimentaire et tout ce qui fait disparaître les méthodes traditionnelles de préparation des aliments, jonsson a traqué partout dans le monde les meilleurs produits et la meilleure façon de les préparer. c’est sans doute ce qui l’a dirigé vers ce qui a changé sa vie : la fin de ses allergies alimentaires. À l’âge de 44 ans, il adopte un régime paléolithique, excluant notamment les céréales et les huiles raffinées. “je me suis mis à manger comme

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est un travail autour du chaud et du froid, de l’amertume et de l’acidité. et des textures.” il cherche encore. toujours. Le millefeuille, lui, est presque abouti. “on y travaille depuis huit mois. je dirais qu’il est prêt à 62 %.” un idéal de dessert. “j’adore les desserts qui sont des vrais desserts. je trouve ça nul de faire des desserts avec des légumes par exemple. moi, tout ce que je fais, j’ai envie de le manger. j’ai mangé partout et je sais c’est ce que je veux manger. je fais une cuisine de client, d’un client.” parfois, quand il a des doutes, michael appelle robin. “c’est notre client le plus régulier. il est venu quatrevingt-six fois, alors qu’il habite de l’autre côté de Londres. pendant quatre mois, il est parti travailler à munich. et il est quand même venu chaque semaine.” Love actually.

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pour patrick duler : “La vie réside dans le mélange. il n’existe pas de système agricole plus productif que la forêt. dans la forêt, l’on trouve de grands arbres, des arbres moyens, des buissonnants, des plantes annuelles, des bisannuelles... tous poussent dans ce lieu identique, c’est -à-dire, qu’au même endroit, la forêt produit une multitude de combinaisons différentes. Le cumul de tout ça est beaucoup plus important que la somme des individualités. tout cela sans aucun engrais ajouté, sans pesticide et sans aucune dégradation du sol. au contraire, la forêt et l’activité des plantes "fabriquent" la terre. L’activité de photosynthèse transforme l’énergie du soleil en matières carbonées par la respiration des plantes (une plante aspire du co² et recrache de l’oxygène). il subsiste le carbone c, stocké dans les racines et consommé par les animaux hôtes du sol. ils "mélangent" cette matière carbonée vivante avec les particules minérales issues de la roche mère. ainsi la terre se construit en permanence. avec ce principe, je mélange tout pour produire le maximum au même endroit. une forme de permaculture.”

Cuisine sAuvAGe tout sourire, patrick duler confie : “Le matin je prends l’air, travaille aux bois, au jardin ma salle de fitness au grand air avec vue sur la nature, et le soir je suis en cuisine, riche de ces expériences, le coeur habité du biodivers. ces légumes en bio poussent sans engrais, il croissent sereinement et offrent le meilleur du goût et de la fraîcheur. Le potager du paysan est le lieu de concentration pour le cuisinier.” À saint-géry, la matière première provient de la propriété et du potager. La terre rocailleuse imprime son grain à la cuisine, l’on “parle” gastronomie du sud-ouest. porc noir gascon, plus connu sous la marque noir de bigorre et foies gras en constituent les deux piliers. ecoutons patrick duler : “on a évoqué l’agriculture sauvage selon les préceptes de fukuoka. À table, elle se transpose en cuisine sauvage. au domaine de saint-géry, c’est un style de vie.” cette démarche procède d’une relation forte avec la nature. Le respect des saisons, bien sûr, mais avant tout, une façon de s’inscrire sans ethnocentrisme, dans une réalité écologique. nous sommes au nadir de la nature si longtemps considérée comme source inépuisable pour l’homme. La terre

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duler élabore l’un des meilleurs jambon cru que je connaisse. avec le soin d’un père pour ses enfants, il sélectionne et taille les cuissots de porc. salés avec science, ils sont ensuite maturés en chambre froide pour une durée variable et nécessaire. après environ 2 mois, ils prennent un bain d’eau de source et paraissent au grand air. frottés à l’armagnac et enduit de saindoux, sur les parties maigres, ils s’affinent à l’air libre. La pureté de ce travail contribue à l’épanouissement d’une flore indigène. cette flore agit en idéal, elle protège le jambon des mouches - elles détestent les remugles de ces bactéries - et infuse les lards qui patientent une année entière en compagnie des jambons. Les séchoirs abritent une symbiose rêvée entre mortification et vivant qui confère protections et saveurs. constitués en grappes suspendues à des portiques crochus et ronds, les jambons de saint-géry offrent au regard, l’illusion d’un “arbre” à jambons. patrick duler sait éveiller nos papilles : “après 24 mois, ce jambon se livre en bouche, en fines tranches. sa texture presque confite, offre au palais la douceur de la soie. Les arômes rappellent ceux des grands jambons ibériques et la texture, celle d’excellents jambons de parme.” La typicité des jambons de porcs gascons de patrick duler s’explique par la haute surveillance et le soin dont ils font l’objet. quelques éléments factuels contribuent eux-aussi à cette exception : une proportion élevée d’acide oléique, d’acides gras poly-insaturés (omegas 3) et un fort taux en fer contenus dans cette viande. Leur fabrication sans nitrite, ni salpêtre respecte les qualités organoleptiques du cochon et, in fine, du consommateur ! un produit sain et doux comme une caresse faite à notre second cerveau, l’estomac. il en va ainsi pour les foies gras. “La première qualité d’un foie gras c’est sa fraîcheur. on reçoit le jour même, avant midi, les foies des canards tués le matin. nous les travaillons immédiatement.” patrick duler apprécie les lectures savantes. fukuoka, mais aussi quelques livres de cuisines grimoires où il déniche recettes et idées. “Les égyptiens avaient remarqué que les oies, avant les grandes migrations, étaient plus savoureuses. ils gavaient les oies avec des figues et se régalaient des chairs grasses et de leurs foies. j’apprécie une recette romaine d’apicius. elle utilise le garum, ce jus de poisson fermenté – l’ancêtre du nuoc màm, le miel et les épices. L’idée d’associer

comme substrat inutilement vivant, devenant sous les injures de l’industriel/paysan un simple terrain de profit. michel guérard, de passage en famille à saintgéry, ne s’y était pas trompé : “avec mille pensées cordiales et une sincère admiration pour la vérité de ce que vous faites... fêtes !”. La cuisine à saint-géry, c’est une seconde nature pour patrick et pascale duler. elle, en salle, lui, aux fourneaux et les enfants... un peu partout. affaire de famille, la cuisine réconforte et offre le “bien” nourrir. Le plantain, les pétales de jonquille, l’ortie, la reine-des-prés, le gaillet, la consoude, la bourrache, la capucine, le frêne, le sureau, la mauve, l’alliaire, l’armoise, le millepertuis, le gland de chêne, la pimprenelle, tous ces petits sauvages viennent enrichir la palette des légumes et fruits du jardin, cultivés à un jet de noyau des fenêtres de la cuisine. au fil des saisons et des envies, le cochon, le foie gras et les truffes se partagent les premiers rôles. en revanche tout débute avec le lard de porc noir gascon. tout le monde connaît l’appellation contrôlée : principe de Lavoisier. “rien ne se crée, rien ne se perd, tout se transforme”. principe qui devrait être attribué au philosophe grec anaxagore, mort en 500 av j.-c... L’on connaît moins cette formule du même antoine Laurent de Lavoisier (il perdit la tête, guillotiné, un 8 mai 1794 à paris) : “Le bétail, un mal nécessaire”. patrick duler, lui, considère le bétail comme un bien nécessaire et s’il s’agit de noir gascon, rien ne se perd en effet. Le lard gras ou maigre, le saindoux, le gras de ventrèche constituent les précurseurs essentiels à cette cuisine du bon gras. À saint-géry tout commence et finit avec le lard. il faut dire que ces porcs-là vivent en hédonistes. depuis des millénaires, ces descendants du porc méditerranéen, comme leur cousin ibérique, s’élèvent sur les contreforts pyrénéens. en plein air, ils habitent la forêt et les prairies. gourmets, ils se régalent de glands, de châtaignes, de noix, de céréales, de vers de terre, de pommes, de prunes et de poires. n’hésitant pas, gracieusement, à se frotter aux troncs des fruitiers, pour en faire choir les fruits juteux et mûrs à souhait. fort de ces viandes savoureuses, patrick

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cette sauce poisson avec le foie gras m’a vraiment intéressé.” Les foies sont saisis, nappés de cette sauce et cuits au four. cela change de la truffe !” élevée au rang de passion, la confection du pain, fascine depuis 25 ans patrick duler. La fermentation, sous condition d’une farine issue d’une culture sauvage, développe les arômes tirés de la terre, de ses éléments détritiques et de la roche mère. il en va ainsi pour la vigne, le lait et la farine. Les petits blés de saint-géry poussent laborieusement au long cours des allées de truffiers. de cet environnement particulier, de ce climat, ils tirent des notes aromatiques hors du commun. La céréale s’affirme alors avec ses parfums de miel, d’épices, de cannelle. La fermentation de cette farine avec le sel, le levain naturel issu de cette même farine et l’eau de la source aux loups, résume à elle seule, la qualité du domaine. Le pain exprime le meilleur de cette culture sauvage. cette petite boule d’un kilo environ, cette monade, contient le monde dans son entier. elle invente l’unité parfaite, globale, un principe absolu tout en incarnant l’unité minimale. subtilement, elle évoque un jeu de miroirs entre l’un, unité maximale, et le tout, somme des éléments de ces minuscules choses. comme un microcosme, un reflet, un point de vue du monde. L’Âme, réside en cette boule de pain, celle d’un monde équilibré et humaniste. Domaine De saint-Géry 46800 Lascabanes téL. 05 65 31 82 51 WWW.saint-gery.com À Lire : La révolution d’un seul brin de paille : une introduction à l’agriculture sauvage, asanobu fukuoka, guy trédaniel éditeur.

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Jean-Kévin et le B.C.C.

Un légume oublié

Cuisine réALité

Épater son poissonnier

GuiLLAume LonG se met en sCène dAns une FiCtion AutoBioGrAphique, rAConte ses spLendeurs et ses misères ALors qu’iL tente d’Apprivoiser ses éLAns d’Amour pour LA Cuisine. iL rAConte Les dessous de LA Cuisine ACtueLLe, où ChACun se retrouve. Les deux tomes déJà pArus de à Boire et à mAnGer, une truCuLente CompiLAtion de pLAnChes issues de son BLoG, Condensent une Bonne pArtie de ses péréGrinAtions.

Guillaume Long

L’Ami expert

christophe guitard n’a pas pris le chemin le plus court pour arriver jusqu’au vin. Le jeune berrichon dilettante s’ennuie ferme à l’école, rêve de l’école boulle ou des beauxarts mais l’indre, ce n’est pas saint-germain des prés. sans le bac, il bourlingue, cumule les petits boulots, dont celui de steward pendant quatre mois. il faut qu’une fée se penche enfin sur lui pour qu’il décide de se lancer dans une maîtrise d’histoire de l’art à paris i-La sorbonne. il décroche son diplôme en 1997 après une thèse sur l’un des derniers surréalistes vivants, fred deux, avec lequel il finit par collaborer, comme avec Woldemar Winkler, Louis pons, isabelle jarousse ou des critiques et poètes comme bernard noël et alain jouffroy. entre 2002 et 2005, il découvre l’univers du vin grâce à un

guillaume Long ne verse donc, fort heureusement pour lui, pas tout à fait dans l’autobiographie. Les obsessions toutes personnelles qui habitent son personnage émaillent le folklore culinaire qui parle à chacun, quand il ne s’agit pas de folklore tout court livré entre autres références à travers la vision -:HSMARA=[YW[]\: d’un budapest fourmillant d’antres, au goulash pas tous enchanteurs, et le croquis d’une trabant sur un bout de trottoir. plus loin, “comment faire une sauce alla carboGuillaume Long est né en 1977 à Genève, au pays du chocolat et du fromage. Dès son plus jeune âge, il se passionne pour la cuisine et observe souvent sa mère aux fourneaux, ce qui n’empêche pas son premier pain d’être remplacé in extremis par celui du boulanger sur la table familiale. Diplômé de l’école des beaux-arts de Saint-Étienne en 2002, il obtient l’année suivante le prix Töpffer pour son album Les sardines sont cuites. Ensuite, il mitonne plusieurs livres pour petits et grands et travaille pour la presse, toujours entre deux repas. Depuis 2009, ce fin gourmet est un homme comblé puisqu’il marie avec humour cuisine et bande dessinée dans un blog gastronomique hébergé sur le site du journal Le Monde, et savamment intitulé « À boire et à manger ».

Quels sont les ustensiles indispensables à tout cuisinier qui se respecte ? Où trouver l’ail des ours ? Que faire de nos amies les courges ? Où aller manger si vous êtes à Venise ? Comment préparer un bon apéro ? Et un risotto aux asperges ? Et les crêpes ?

Guillaume Long

Ce livre est le prolongement du blog que Guillaume Long développe au jour le jour pour la rubrique gastronomique du site « lemonde.fr ». Vous ne trouverez pas dans ces pages des dosages précis, des temps de cuisson à la minute et des thermostats à tout va, mais des expérimentations, des anecdotes, des chroniques culinaires, bref… à boire et à manger.

ISBN : 978-2-07-064268-7 / 20 ¤

En partenariat avec

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à boire et à manGer, guiLLaume Long, éditions gaLLimard (2012)

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JeAn-miCheL stephAn Côte-rôtie Côteaux de tuPin - 2005

La bouteiLLe c’est une cuvée très nerveuse, un pur sang, à l’image du millésime et du vigneron. il y a une grande densité, c’est noir ébène, réglissé, bien tenu, un bolide qui t’emmène très très loin. on ne sait même plus trop avec quoi le boire. c’est un vin qui se suffit à luimême alors qu’il est encore dans sa vigueur rocambolesque. L’accorD ca irait bien sur du gibier, sur de l’agneau, un sanglier corse à la broche, qui a mangé des glands, des noisettes, des figues, de la myrthe. avec une côte de bœuf wagyu, aussi. on peut surtout attendre un peu, c’est encore très jeune. Domaine henri miLan via auréLia – La gaLine 13210 saint-rémy-de-provence téL. : 04 90 92 12 52 www.domaine-milan.com

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Le viGneron j’ai découvert jean-michel stephan grâce à mathieu barret (domaine du coulet), l’un des barbouzes du rhône, comme je les appelle. je l’ai vraiment connu avec son fameux condrieu “collector”. il avait trouvé un accord avec sa tante pour vinifier son raisin sur deux millésimes, 2007 et 2008. il en a sorti un vin d’une minéralité incroyable, sans doute bu trop jeune parce que parti trop vite. depuis, c’est une autre branche de la famille qui s’en occupe. on n’entend pas beaucoup parler de lui, même s’il a de vrais exégètes qui ne jurent que par son vin. cet adepte de la méthode jules chauvet (vins “naturels”) mèche ses barriques pour que le jus se mélange mieux. il connaît très bien ses terroirs, affine son travail d’année en année. ses vins sont ciselés, très purs, dynamiques. c’est rare de sentir l’énergie de la biodynamie dans le vin. Là, on sent le vortex, une sorte de circulation sanguine, ça vit, il y a un cœur qui bat. La bouteiLLe c’est un grand millésime, comme beaucoup dans le rhône récemment. comme on le voit sur l’étiquette dessinée par ses enfants, c’est un vin très noir. on retrouve les saveurs typiques de violette intense. il y a une telle minéralité, une telle acidité, qu’on a envie de goûter ça dans 10 ou 15 ans. L’accorD j’ai interprété la recette du gigot d’agneau aux cinq épices de philippe delacourcelle (pré verre, paris). mélange sucre, sauce soja, cannelle, poivre, cumin, en cocotte en fonte comme un gigot de 7h. La côte-rôtie apporte beaucoup de fraîcheur à toute la chaleur des épices. un côté cerise très chouette.

Le viGneron j’ai connu les vins d’emmanuel giboulot dès 1993, et les ai tout de suite appréciés. il émanait une ferveur, une respiration très aérienne, des saveurs précises sans être démonstratives, une étiquette nonchalante, une qualité qui s’affirmait au-delà de l’étiquette. il a une grande finesse d’esprit, c’est un dandy assez rusé mais dans le bon sens du terme, avec beaucoup de malice. il ose des choses, comme du chardonnay sur un terroir de rouge (la combe d’eve), ou un pinot noir sur un terroir de blanc (la Lulune). son père avait déjà entamé une démarche bio dans les années 70, de façon très monacale, en autarcie. il lui a emboîté le pas. c’est quelqu’un qui explique de façon simple des choses compliquées. il a une sûreté, une prestance, une droiture, qui ne va pas jusqu’à l’assurance, car l’une de ses qualités, c’est d’être toujours en équilibre. aujourd’hui, il produit parmi les plus grands blancs de bourgogne. La bouteiLLe cette côte-de-beaune recèle la densité, la profondeur et la complexité que l’on peut retirer d’un chardonnay sans excès. ce n’est pas un vin de concours. c’est tendu, minéral. 2007 est un mauvais millésime mais réussi chez les gens qui travaillent bien. emmanuel giboulot le tire vers lui, concentre les effets du terroir, avec un côté très introspectif qui surprend. un vin à son image. L’accorD j’ai pour lui une recette sympathique de langouste, juste revenue “tac tac”. avec de jeunes pousses d’épinard frais à la sauce cajun, et des asperges vertes juste rehaussées d’un trait d’huile d’olive au yuzu. Domaine emmanueL GibouLot 4, route de seurre - 21200 beaune téL. : 03 80 22 90 07

FrédériC GounAn l’arbre blanC vieilles vignes - 2009 Le viGneron frédéric gounan, c’est un ermite, cool, un peu baba cool. il a créé son domaine en 2000 à partir d’un demi hectare de vieux gamay d’auvergne. il en compte aujourd’hui deux : un hectare de gamay d’auvergne et de gamay beaujolais, et un hectare de pinot noir. il a essayé de planter de la petite syrah mais ça n’a pas marché. au départ il avait deux cuvées, puis quatre puis à nouveau deux quand il a grêlé en 2007 et 2008. il en a bavé mais il récolte aujourd’hui le fruit de son travail, reconnu partout. il vinifie presque comme un bourguignon mais en accord avec sa région, cette lave si particulière qui fait de l’auvergne un grand pays de vin. ses vignes sont situées au pied du puy de saint-sandoux, entre la plaine de la Limagne et le parc naturel des volcans. après une vinification de 3 à 4 semaines en cuve bois, il élève son vin en barrique, sans soufre, pendant 18 à 24 mois. il fait tout lentement. “Les choses qui se font sans le temps ne lui résistent pas”, rappelle-t-il toujours.

LʼABUS DʼALCOOL EST DANGEREUX POUR L A SANTÉ. À CONSOMMER AVEC MODÉRATION

LAurent herLin illuminations - 2010

phiLippe GiLBert les renardiÈres - 2009

Le viGneron Laurent herlin est un ancien informaticien reconverti. il a commencé sous l’égide de vignerons de bourgueil comme catherine et pierre breton, il aide lui-même aujourd’hui les jeunes qui veulent s’installer. c’est un grand gaillard de 2 m pour plus de 90 kg, très humble, très timide, qui ne se la pète pas. il se cherche encore, affine ses cuvées sous l’œil de ses maîtres. sa femme fait du design et de la sculpture, ce sont des gens super généreux, toujours disponibles. il fait des vins authentiques et très aériens, comme les saint-nicolas de bourgueil que buvaient mon grand-père, couvreur, dehors tout le temps et qui avait envie de fraîcheur, de salinité. on retrouve ça dans les vins de fred, mais avec de la densité, de la profondeur dans les tannins très ronds.

Le viGneron menetou-salon, ce n’est pas très loin de chez moi, le berry. en allant à sancerre chez les mellot et autre vacheron, on m’a parlé de ce philippe gilbert, installé à menetou-salon. je suis tombé sur un type formidable, ancien comédien, avec ses vignes que l’on n’a pas envie de photographier tellement elles sont moches. il se lançait dans la biodynamie, c’était très dur, sur un terroir de merde, tout plat, avec la grêle, le vent. il a du mérite. c’est un dandy délicat. il travaille au chai avec jeanphilippe Louis, un introverti, mais un très grand vinificateur. À l’époque, ils cherchaient le bon format de barrique, la bonne chauffe. ils avaient envie de faire du pinot noir à la bourguignonne, avec un élevage adapté, en finesse, sans marquer le vin. ils en sont arrivés là aujourd’hui. ils se remettent beaucoup en question mais constatent par exemple que la vigne réagit bien à la biodynamie, qu’elle donne plus de fruit, plus de rendement. ils réussissent à garder le côté sauvage du terroir, comme certains terroirs de chablis qui prennent la grêle, le vent, le soleil, mais avec une stature très droite, très en place.

La bouteiLLe dès son premier millésime, c’était un coup de maître. tout le monde a été surpris. il y avait une énergie, une densité du cabernet franc mûr mais sans excès, sans les amers habituels, le côté poivron. il y a un équilibre très franc entre le racinaire et le fruit avec une fraîcheur “éolienne”, comme si le vent était entré dans les baies.

La bouteiLLe c’est une rareté puisqu’après avoir connu des problèmes de dos, fred gounan a rendu ses vieilles vignes centenaires à son propriétaire qui les a vendues en 2010. du coup, il a tout mis en magnum. c’est dense, profond, vertical, ça vous emmène loin dans la terre, dans les forges de vulcain. c’est un vin d’héroic fantasy, avec des chevaux qui fument, de la tripaille, un vin d’après la bataille.

L’accorD ca irait très bien avec le salmis de palombe que ma mère fait très bien depuis longtemps. Les petites palombes bien jeunes sont rôties avec du lard, des oignons, et une sauce faite avec les abats. c’est croustillant à souhait.

L’accorD j’ai trouvé un jour un accord incroyable avec une viande rouge, faux filet ou tournedos, juste agrémentée d’un mélange d’épices du trappeur fait par un pote à moi (et vendu à la boutique). il y a tout le côté confit, café torréfié, chocolaté, ça enrobe la viande. Le jus ajouté à l’acidité et à la minéralité du vin d’auvergne, c’est parfait.

Laurent herLin 1 Le pLessis 37140 chouzé sur Loire téL. : 06 14 23 57 45 www.laurentherlin.com

Domaine De L’arbre bLanc rue de L’arbre bLanc 63450 saint-sandoux téL. : 04 73 39 40 91

La bouteiLLe Les renardières sont une très belle cuvée de menetou-salon, on pourrait même dire qu’on est sur un grand sancerre. un pinot noir très fin, très bourguignon, l’élevage lui sied à ravir, l’a porté. en 2007 et 2008, il y avait déjà une superbe acidité, un beau travail tout en finesse, en délicatesse. philippe gilbert est un comme un chef d’orchestre symphonique. tous les instruments sont là et l’harmonie se met en place. L’accorD il faut un accord très fin, avec du veau, un quasi par exemple, ou une côte de veau avec la garniture d’un osso bucco, herbes, pointe d’agrume, tomates mûres écrasées, un peu confites, parfumées. Domaine phiLippe GiLbert Les faucards -18510 menetou-saLon téL. : 02 48 66 65 90 www.domainephilippegilbert.fr

Domaine jean-micheL stephan 1 ancienne route de semons-tupin 69420 tupin semons téL. : 04 74 56 62 66

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emmAnueL GiBouLot la Combe d’Ève - 2007

Le viGneron henri milan, c’est la générosité, la passion. c’est un être rocambolesque. il a quand même flingué presque toute sa cuvée 2000 en voulant la faire sans soufre. et il le raconte avec le sourire. c’est un vrai sudiste. il est à saint-rémy-de-provence, un beau terroir, connu, reconnu, un peu bling-bling, même, chez certains qui ont parfois oublié qu’il fallait travailler. Lui, c’est un être généreux, un peu fou, un peu fougueux. il y a d’ailleurs beaucoup de fougue dans ses vins. ils ne sont pas toujours faciles d’accès, se referment parfois très vite les premières années. mais quand c’est ouvert, c’est magnifique. il sait s’adapter, il fait à son goût, ce n’est jamais figé d’un millésime sur l’autre.

extérieure, contemplative. “quand on voit un tableau qui nous émeut, parmi les envies qui viennent, il y a celle de rencontrer celui qui l’a peint. il se passe la même chose pour le vin. d’où le rapport très intime que je noue avec les vignerons.” outre la vente en direct, ce très bon cuisinier amateur accompagne aujourd’hui quelques chefs, comme romain tishenko (Le galopin, paris), son voisin de la rue sainte-marthe, ou james henry (bones, paris). il a aussi le projet d’ouvrir une cave à nantes, à côté de la cathédrale. La contre-étiquette 36 rue sainte-marthe - 75012 paris téL. : 01 42 01 08 51 www.la-contre-etiquette.com

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henri miLAn Clos milan - 2001

caviste et suit une formation au cidd, tenu par alain ségelle. quelques mois plus tard, il rencontre edouard vallerey, sylvain mauger et olivier Leroy, qui ont dans leurs cartons un projet de site internet de vente de vin en ligne, ochato.com. il sera leur conseiller technique. ouvert en 2006, le site se transforme en cave physique en 2008. L’aventure de la contreétiquette démarre vraiment. il y accomplit depuis un travail dans la droite ligne de son parcours atypique. “j’ai appris comment regarder un tableau, y compris en 3d, et j’ai toujours aimé le vin. je m’en sens proche. je peux en parler comme de la peinture. j’avais la vue, désormais j’ai le goût et l’odorat. j’ai affiné ces sens pour qu’ils soient à la même hauteur que le regard.” il ne se contente pas pour autant d’une approche purement

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en parler avec science. Le récit oscille dans une même vignette – avec l’humour parfois régressif et souvent efficace d’un trentenaire bien de son temps – entre l’autobiographie et la fiction, l’impérieux désir de maîtriser la gastronomie et l’auto-dérision devant les inexorables échecs de la pratique.

depuis sA CAve, LA Contre-étiquette, postée en hAut de LA rue sAintemArthe, Christophe GuitArd ContempLe Le viGnoBLe FrAnçAis qu’iL Arpente depuis dix Ans. Ce spéCiAListe du surréALisme nous présente queLques-uns de ses viGnerons FétiChes et Bien réeLs. texte stephane méjanès // Photos marc schwartz

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GuitArd hérAut

nara ?” devient le savoir populaire le moins bien partagé au monde. sur le ton prudent que la passion confère à l’enthousiaste-prescripteur, guigui fait de toute chose maîtrisée (“une salade de tomates sardes idéale pour l’été”) une affaire de purisme. tout est à l’image de sa rencontre fortuite avec un compagnon de co-voiturage. il est cuisinier, guigui le harcèle de questions, dont la plus symbolique serait peut-être : “comment faire des pâtes al dente ?”. Le rapport jamais légitime du personnage à la gastronomie, exception faite de sa propre gourmandise, profile celui de l’auteur. cela ne l’empêche pas de donner quelques recettes, exactes, et des planches entières d’astuces pour reconnaître un filet de morue d’un filet d’aiglefin, et de dérouler sa bande-dessinée entre la source d’inspiration intarissable de la cuisine et la soif inextinguible d’espièglerie. simple comme un café noir.

texte Kim Levy tout commence par un bon café, comme l’auteur les aime. c’est un café qui donne à boire, délayé, aqueux quoique fort, avec un goût d’objet qui se bonifie et dont il ne pourrait pas se passer, pas plus que de sa saucière en cuivre et de son couteau japonais. À côté et pour un laps de temps restreint entre deux recettes compulsives, il a rangé le moulin à ail, méprisé au départ et devenu l’ustensile début-de-siècle, prétexte à tous les risques culinaires. “guigui”, personnage principal et impayable avatar de l’auteur, possède la panoplie de rigueur pour le cuisinier amateur, féru de plaisirs simples et de révélations. sa monomanie de la cafetière italienne se retrouve çà et là au fil des saisons. c’est le point d’ancrage d’une passion, l’incipit des deux tomes de “À boire et à manger”. en 125 pages chacun, guillaume Long réunit certaines de ses planches publiées par voie de blog dans la rubrique gastronomique du site du journal Le monde. au cours des quatre saisons, chaque épisode raconte en quelques pages une péripétie, une recette (parmi lesquelles “pâtes fraîches aux couteaux, à l’ail et au persil”, “orecchiette alla barese”, “pörkölt au veau”), l’envie d’un survolté de la table qui voudrait pouvoir tout cuisiner lui-même, connaître les produits,

LA vinothèque de… Christophe GuitArd

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stéphAne LuCAs le ChamP d’orPhée - 2010 Le viGneron stéphane Lucas a travaillé dans une coopérative avant de s’installer, soutenu notamment par robert plageoles. comme il l’écrit, il souhaite “maintenant effectuer un travail sans concession, exigeant mais en toute simplicité”. c’est un garçon intègre, soucieux de son vin (un vin de pays des côtes du tarn) pour lequel il fait tout. il n’a qu’une cuvée, avec des rendements faibles, c’est assez osé. il est amoureux de son cépage, le braucol, “l’un des cépages les plus raffinés du sud ouest, sans artifice, franc et direct”, ditil, et de son terroir. il travaille en biodynamie, les vendanges manuelles se font à maturité optimale. son vin est hyper énergisant, j’ai rarement goûté un braucol comme celuilà. c’est un cépage méconnu qui a un gros potentiel de garde. et quand on attend, c’est étonnant. La bouteiLLe Ça goûte très bien, c’est très dense, il y a une très forte complexité, le vin ne se livre pas tout de suite mais en plusieurs fois. il y a comme un noyau dense, planétaire, qui donne beaucoup dans la longueur, la caudalie. on pense qu’on en a fini avec lui, mais il est encore présent.

ALAin hAsArd merCurey la brigadiÈre - 2009

FAnny sABre meursault 1er Cru les Charmes - 2007

Le viGneron alain hasard est installé sur une appellation improbable, en côtes du couchois, prés du creusot, à côté de la côte chalonnaise. c’est un terroir très froid, avec des vents glaciaux. c’est sinistré, personne ne connaît. mais on est bien sur du pinot noir et du chardonnay bourguignons. La première fois que j’ai goûté son vin, j’ai trouvé du fruit, du grain. un vin authentique, beaucoup de délicatesse, élégant, fin, mais un type simple et un sacré bosseur. il est très fier d’habiter à côté d’une abbaye, qui donne son nom à son domaine (champs de l’abbaye), dont les terres appartenaient aux moines. il a replanté des pinots noirs très fins, avec le souci d’une extrême qualité avec fermentation et élevages mesurés en barriques, blancs comme rouges. on est dans la tradition bourguignonne.

La viGneronne fanny sabre est quelqu’un d’assez réservé, humble, qui parle peu, avec timidité, mais écoute beaucoup. et quand elle se sent en confiance, on peut réussir à entrer dans son intimité de vigneronne. elle déconnecte parfois mais c’est qu’avec 4 ha, quasiment toute seule, elle a beaucoup à faire. quand on vendange comme elle des meursault, du pommard, du volnay, on pourrait se croire arrivé. pas elle. elle a toujours envie de mieux faire, d’aller plus loin. fanny, c’est un peu alice au pays des merveilles. elle respecte les millésimes, cherche, évolue. elle travaille en biodynamie, en utilisant très peu de soufre, tout en restant moins sauvage que certains parce que ses belles appellations, il faut qu’elles se tiennent.

La bouteiLLe ca pinote à fond, c’est du bourgogne, avec une trame intéressante. Le terroir se dessine en filigranes. en 2009, il y a une densité, une concentration, c’est un pinot noir diaphane, qualitatif, le grain est présent grâce à un élevage subtil, très musical, avec une harmonie lancinante et des notes qui continuent bien après la dernière gorgée. il y a toujours l’idée de garder l’intégrité de la qualité du millésime.

L’accorD je le conseille sur un agneau, un veau ou un lapereau. une viande assez goûtue mais jeune, pas trop racée. quelques herbes, mariné, grillé, le braucol aime bien ce mélange animal et végétal.

L’accorD on peut le carafer tout de suite ou attendre un peu et le servir dans deux ans sur un ris de veau braisé, pas trop mou, croustillant. c’est un mercurey racé, épicé, mais avec en plus des fleurs blanches. c’est un vin qui s’affirme sans problème, l’accord sera parfait.

Domaine Le champ D’orphée Las pLanes 81600 senouiLLac téL. : 06 74 93 21 15

Domaine Les champs De L’abbaye 9 rue des roches pendantes 71510 aLuze téL. : 03 85 45 59 32

La bouteiLLe il s’est passé quelque chose avec cette cuvée, un effet barrique qui, dès le départ, faisait penser à de grands meursault de grandes maisons. comme tout ce qu’elle fait, c’est un vin très sapide, tout en élégance, stylé, cristallin, avec une trame, une épaisseur et les arômes typiques de meursault, noisette, alcool, liqueur. L’accorD je l’ai servi un jour sur un brillat-savarin truffé, bien affiné. c’était

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