Jean Paul Lemieux exposition rétrospective - Retrospective exhibition Jean Paul Lemieux

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JEAN PAUL LEMIEUX


« La promenade des prêtres » 1958 Huile 61 cm x 101,5 cm Collection privée

Couverture avant « L’orpheline » 1957 Huile 25,5 cm x 12,5 cm Collection privée


Jean Paul Lemieux

Oeuvres de 1956 Ă 1979

Works from 1956 to 1979


Jean Paul Lemieux : Ce bruit de soupir, d’inquiétudes, que fait le temps qui passe, par Robert Bernier page 6 Jean Paul Lemieux : The Windows of the Soul, by Dorota Kozinska page 9

« Le parasol noir »1965 Huile 110 cm x 53 cm Collection privée


Avant-Propos Chaque année, je tente de présenter une exposition à l’automne qui soit à la fois intéressante, historique, originale et souhaitons-le, informative. La Galerie Valentin, qui s’est longtemps appelée L’Art Français, célèbre cette année son 75ème anniversaire et j’ai voulu marquer cet événement par quelque chose de spécial. Pour moi, l’oeuvre de Jean Paul Lemieux s’insère merveilleusement bien dans cette catégorie. Depuis les trente dernières années, j’ai eu la chance de voir de nombreuses toiles de Jean Paul Lemieux accrochées aux cimaises de ma galerie. Les tableaux de l’artiste, pratiquement sans exception, m’ont toujours touché profondément autant par la complexité que par la pseudo simplicité de l’œuvre, ainsi que par le message explicite et parfois implicite qui s’impose à nous et qui nous invite à nous interroger sur notre propre existence. Pour cette exposition, j’ai choisi des œuvres réalisées entre 1956 et 1979, un aperçu fascinant de vingt-trois années de création. Je tiens à souligner que j’apprécie grandement la générosité des nombreux collectionneurs qui ont prêté leurs tableaux et ont ainsi permis de faire de cette exposition un événement unique. Je profite de l’occasion pour les remercier chaleureusement.

Jean-Pierre Valentin

Foreword Every year I attempt to put together a show that is interesting, historical, original, and hopefully informative. It is Galerie Valentin’s 75th anniversary and for that I wanted to do something special. For me, the work of Jean Paul Lemieux has always fallen into that category. Over the past thirty years I have been fortunate to have many great paintings by Jean Paul Lemieux grace my gallery’s walls. Almost without fail, I have found them moving, for the questions they ask of us, both the complexity and simplicity of the work, for what they say, and sometimes, for what they don’t say. For this exhibition I have chosen works from 1956 to 1979, a fascinating look at twenty three years of creation. As always, I greatly appreciate the generosity of the many collectors who have lent their paintings to make this show what it is. Thank you.

Jean-Pierre Valentin


Jean Paul Lemieux

« Ce bruit de soupir, d’inquiétudes,   que fait le temps qui passe » par Robert Bernier Peu d’artistes peintres ont atteint au cours de leur carrière un niveau de sympathie de la part du public aussi élevé que Jean Paul Lemieux. Ses tableaux ont profondément ému toutes les couches de la population, de l’élite jusqu’au plus simple des citoyens. Il en est ainsi depuis plusieurs générations déjà et ce n’est pas fini. Comment expliquer cette relation privilégiée ?

intimes comme collectives, dans son univers poétique et pictural. Le temps dans la peinture de Lemieux s’exprime de plusieurs façons, par les mailles de l’histoire de la société québécoise avec entre autres Montréal il y a longtemps (1966). Le temps s’inscrit aussi dans son œuvre par les mailles de sa propre histoire avec entre autres l’importantissime tableau 1910 Remembered (1962), où l’on retrouve le jeune Jean Paul entre sa mère et son père dans une composition simple et néanmoins efficace qui laisse un champ d’interprétation magnifique de complexités et de possibles. Au-delà de la dimension narrative, n’oublions (surtout) pas la (grande) qualité du traitement pictural. L’œuvre est réfléchie, dense, tout est à sa place, aucun artifice. Jean Paul ­Lemieux réalise ici un tableau d’une grande maîtrise où la structure et la composition éblouissent. Lemieux réalise une autre œuvre du même niveau, elle aussi inspirée de l’histoire familiale, Été 1914 (1965), avec comme toile de fond le Manoir Montmorency (The Kent House). La composition met en interaction sur la toile le jeune Jean Paul et des membres de sa famille dans un jeu de position fort évocateur, complexe, à la limite du surréalisme.

Un élément susceptible de mieux nous faire comprendre ce rapport unique avec le public est la dimension historique dans son œuvre. Lemieux a beaucoup puisé dans l’histoire, la grande comme la petite, celle de la société québécoise comme la sienne propre. Dans le contexte de l’époque (avant et après la Révolution tranquille), où la société québécoise vivait une profonde remise en question, cette période ponctuée de changements fondamentaux a paradoxalement aussi provoqué et stimulé la recherche de nos racines et favorisé un sentiment d’appartenance avec son art. À travers le regard du peintre, une société entière se reconnaissait et redécouvrait ses origines, voire ses propres sentiments intérieurs face à sa nature propre et à son environnement dont elle avait peut-être (un peu) perdu la trace. Renaissait ainsi un sentiment de fierté longtemps occulté que la peinture de Jean Paul Lemieux, avec son regard poétique porté sur la rigueur de notre climat et la rudesse de la vie d’alors, a certes contribué à raviver. En s’inspirant de nos grands auteurs tels que Gabrielle Roy, Émile Nelligan, Louis Hémon (et d’autres), sa peinture a mis une image sur ce qui jusque-là n’en avait pas. Il a nourri notre imaginaire.

La peinture de Jean Paul Lemieux, c’est aussi (et peut-être ­surtout) le temps suspendu. L’espace intérieur où le temps n’a pas de prise. C’est le questionnement sur le sens à donner à notre quête commune, celle de la vie, de notre vie, de notre fragilité devant les éléments et notre environnement. C’est le regard fixé sur notre éphémère condition, le tout placé sur la toile par des compositions épurées et néanmoins souvent audacieuses et où la ligne d’horizon donne le rythme à l’ensemble par son désaxement (pensons à Orion). Cela donne un regard de peintre sur notre quête commune à trouver le sens des choses à travers les mystères de l’existence. Plusieurs de ses tableaux réclament ce temps d’arrêt, le silence nécessaire à ce regard introspectif, comme dans Julie et l’univers (1965), Orion (1967), Marine (1957)

Puis (et peut-être surtout), il y a le temps (dans son sens général et singulier). Le temps qui passe, que l’on attend, qui nous effraie aussi. L’œuvre de Lemieux est étroitement lié au temps. Sous-jacent aux thèmes, il en ponctuera ses tableaux. Et plusieurs d’entre nous reconnaîtrons nos propres interrogations,


et dans combien d’autres dont La récréation (1961) où, comme spectateur, on ne sait trop de quel côté va basculer la narration. L’œuvre de Lemieux est aussi particulièrement riche de cet ­esprit à la frontière entre le temps suspendu et la peur du temps qui fuit, voire de l’angoisse face au vide. Pensons au fantastique ­tableau Les masques (1973), qui se situe dans un esprit pictural proche de celui de James Ensor. Lemieux regarde la mort avec humour et ironie. D’ailleurs, la dernière période de l’artiste puise abondamment dans cette direction. Lui qui à la fin de sa vie avait perdu en vélocité avait cependant beaucoup gagné en émotion. La facture des œuvres de cette période est nettement expressionniste et évoque des émotions parfois extrêmes.

teinter l’essence intime de sa peinture dans chacune de ses manifestations et périodes. Permettez-moi de conclure sur cette phrase de Gabrielle Roy dans La montagne secrète qui traduit si bien l’esprit de l’œuvre de ce grand peintre : ce bruit de soupir, d’inquiétudes, que fait le temps qui passe…

Robert Bernier est éditeur de la revue Parcours

« Portrait de Francine » 1979 Huile 35,5 cm x 20,5 cm Collection privée

Surtout il faut absolument considérer (l’immense) importance de Madeleine Des Rosiers (devenue Madeleine Lemieux) dans le cheminement pictural de Jean Paul Lemieux et dans la gestion de sa carrière. Elle-même peintre (ils se sont rencontrés à l’École des beaux-arts de Montréal et se sont mariés le 12 juin 1937), Madeleine Des Rosiers a (rapidement) abandonné ses aspirations artistiques pour se consacrer toute entière à la carrière de son mari. Parallèlement, elle a coécrit un livre et organisé des ateliers d’art pour les enfants à la maison familiale au cours des années 1950. Véritable complice, son influence sur l’œuvre de Jean Paul Lemieux a été beaucoup plus sensible qu’on ne le considère généralement. Son apport est loin de s’être limité à la seule diffusion des œuvres de son mari. Elle a été une muse et une conseillère inestimable qui a su, à sa manière, apporter une réelle contribution à l’esprit même de l’œuvre. Même si l’on tente de couper de façon chirurgicale l’œuvre de Jean Paul Lemieux en trois périodes : la période naïve ou primitive (dans les années 1940), la période dite classique —celle que la plupart des gens connaissent (du début des années 1950 jusqu’à la fin des années 1970)—, l’expressionnisme ou la période tardive (de la fin des années 1970 jusqu’à son décès en 1990), les choses ne sont toutefois pas aussi tranchées. S’il existe des approches distinctes dans son œuvre entier, Lemieux conservera néanmoins tout au long de sa vie le même « esprit » pictural, d’autant que sous les différents thèmes qu’il aborde dans sa peinture, ce qui le préoccupe comme homme et comme peintre —le temps qui passe—, demeure sous-jacent et viendra toujours


« La visite du jour de l’an » 1971 Huile 81 cm x 134 cm Collection privée


Jean Paul Lemieux

WINDOWS OF THE SOUL by Dorota Kozinska Jean Paul Lemieux painted his inner world, and left us with a legacy of paintings that speak of loneliness and melancholy. Yet, despite their often-desolate landscapes and silent figures, it is a world of deep emotions and profound reflection, not only on the human lot, but on the quality of light, the delicate outline of the horizon, the colour of ice.

flowers, of still waters, of great sweeps of ice just a tone lighter than the sky above. Punctuating this static composition are solitary human figures. Even when in groups, they are apart, each encapsulated within his or her own reverie. Even in his seminal self-portrait, 1910 Remembered, he stands between his parents facing the viewer. He is closer to his father, who seems to be engaged in a staring match with the mother framing the boy on the other side. A tiny figure in white marks the horizon, a large, sepia cloud hovering above her.

“I paint because I like to paint,” Lemieux said in 1967. “I have no theories. In my landscapes and my characters I try to express the solitude we all have to live with, and in each painting, the inner world of my memories. My external surroundings only interest me because they allow me to paint my inner world.”

It is summer, but no one is smiling, his parents resemble petrified sentinels, the silence is deafening and the boy is aware of it. A sense of loss permeates this painting done many years later (1962), when his parents were no longer together.

This simple explanation belies the effect those silent paintings have on a viewer. They place the Quebec artist apart from his contemporaries, and he has met many while studying in ­Montreal and Paris, great painters and sculptors like Edwin Holgate of the Group of Seven, and Marc Aurèle de Foy Suzor-Côté. He worked alongside artists who flocked in the 1930s to the picturesque, ­albeit poor, Charlevoix region, and although, like the others —with the exception of Jori Smith, who chose to paint the people, and children in particular—, he painted landscapes, his were of a different ilk.

Compassion and a touch of humour mark yet another famous painting by Lemieux, The Promenade of the Priests (1959), focusing on a group of priests clad in their black robes that billow in the cold winter wind. One can hear the snow crunching under their feet as they dash across the open space, looking more like elderly women in their long cassocks. Severe yet humorous, they present an unusual scene.

Some say his works speak of ‘northern sensibility’ or worse, ‘are sombre’. To me they are neither. Truly, they are paintings of the soul. And not that of the character in the image —except for a portrait of Emile Nelligan— but of the artist.

It is this understanding of the human nature with its frailties, that makes these paintings so accessible, and Lemieux so beloved by the people. The edges are never sharp, the colours never too bright, the palette is in dialogue with the subject matter in all of Lemieux’s works, and underlying it all is hope.

Inspired by the quotidian, this soft-spoken, gentle man worked indoors, eschewing models. The visions came to life from a very different source, transformed, enhanced by his imagination and sensitivity forming vast quiet expanses of fields covered with

Although in his earlier years Lemieux experimented with a variety of styles —look to The Ursuline Nuns (1951) for a cubist influence


for example—, he soon developed his own visual lexicon and remained faithful to it till the end. One can see the tendency towards simplification already in the works like Le train de midi (1957), which is an almost abstract image composed of only three elements. There is the train that breaks up the expanse of white snow, resembling more a submarine ploughing the ice. It is but a shade lighter than the grey, solid sky in the upper half of the painting. There is no movement, no sound, not even air. There is a suspended feeling of waiting, and the viewer holds his breath in anticipation of it. But it is not the ominous silence of Colville, whose static scenes foretell danger. In Mon ange (1958), Lemieux focuses on a profile of a standing young woman. With her dark hair and red dress, she strikes a stylized pose, arms behind her back. She leans forward just a little, as if trying to listen to someone beyond the frame, resembling Seurat’s picnicking 19th century ladies with their rigid poses, bust forward. Just a touch of a shadow gives depth to this rather flat, stylized image. But it is all Lemieux. That simplicity, both in composition and colour scheme, the quiet of the painting, and yet… The longer one looks at it, the more one feels. Yes, feels. Lemieux’s economy of style is in service of the message imbued in all his works. The attention to the human soul, to the soul in nature, to the soul in art. With enormous sensitivity, this, one of the greatest Quebec and Canadian painters, has opened the doors to the inner world of his city, of his people, of himself. There are no monuments, no great landscapes, no complex compositions, no famous faces in his paintings. But like with Modigliani, the art of Jean Paul Lemieux speaks of the world within, and the quiet beauty of a human being.

up and down the painting, from the large (fur?) hat the woman is wearing, and down left to the black umbrella pointing at the ground. A very different scene is presented in a rather original Lemieux work titled Bord de mer (1957). This is not a quiet scene, and the silence of his other works is invaded by the roar of an angry sea. The painting is dark, foreboding, the tiny ship looks like a sinking house tossed by murky waves. The sky hangs low, suffocating, and the land melds with the water as they both disappear in the horizon. What dark demons possessed the soul of the artist at that moment… What solitary inner battle was he waging… The profound pathos of this lonely scene will stay with the viewer for a long time. Although greatly honoured during his lifetime, both as an artist, an illustrator, and as a teacher, with many exhibitions to his credit, including a retrospective at the Montreal Museum of Fine Arts in 1969, the year he was named Companion of the Order of Canada, he did not live to see his greatest exhibition organized by the Musée de Québec in 1990. He died just before its opening, at the age of eighty-six. The world became a little more lonely…

Dorota Kozinska is a Montreal-based international writer, art critic and editor.

“I am especially interested in conveying the solitude of man and the ever-flowing passage of time. I try to express this silence in which we all move.” In Parasol noir (1965) one can find references to the Italian painter, the elongated face and figure, the half-closed eyes and tiny red lips of the young woman in white. The features are minimal, the hands barely delineated, the viewer’s eye is instantly drawn

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« 1910 Remembered » 1962 Huile 108 cm x 148,8 cm Collection privée

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« Course de novembre  à Blue Bonnets » 1962 Huile 53 cm x 112 cm Collection privée

« Les masques » 1973 Huile 84 cm x 128 cm Collection privée

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« La récréation » 1961 Huile 35.5 cm x 56 cm Collection privée

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« Nude with Pearl Necklace » 1966 Huile 35,5 cm x 16 cm Collection privée

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« Traverse d’hiver »1964 Huile 50,8 cm x 110,5 cm Collection privée

Couverture dos « Montréal il y a longtemps »1966 Huile 79 cm x 131 cm Collection privée

Conception artistique : Sylvie Gagnon. Impression : Solisco Caractéra. Publication et distribution : Galerie Valentin 14628945 Québec Inc. Membre de l’Association des Marchands d’art du Canada Inc. Member of the Art Dealers Association of Canada. Membre de l’Association des Galeries d’Art Contemporain. © 2009 Tous droits réservés pour les textes des auteurs. Dépôt légal Bibliothèque nationale du Québec, septembre 2009. Dépôt légal Bibliothèque nationale du Canada, septembre 2009.



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