NOTO #1 - Printemps 2015

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grand entretien

Valéry Giscard d’Estaing a finalement mené cette réforme en 1974, soit bien après que le reste de l’Europe, les États-Unis et l’URSS eurent pris des dispositions similaires. C’était aussi un moyen de canaliser certains débordements dans le contexte de l’après-Mai-68 : le garde des Sceaux de l’époque, Jean Lecanuet, expliquait ouvertement aux sénateurs réticents qu’il valait mieux un bulletin de vote qu’un pavé.

Cette culture spécifique à la jeunesse n’est pas uniforme. Elle est, au contraire, plurielle et cette pluralité révèle que des distinctions sociales ne cessent de s’opérer en son sein.

Il semble qu’à partir de la seconde moitié du xx e siècle, les jeunes, qui jusque-là étaient plutôt l’objet du discours des autres, commencent à devenir sujets de leur histoire. La césure se situe à la fin des années 1950 et au début des années 1960. Avec un retard d’environ une décennie par rapport aux États-Unis, on voit apparaître en France une culture spécifique

aux jeunes. Ils commencent à avoir de l’argent de poche qui leur permet de s’acheter leurs propres magazines, et ils écoutent leur musique, s’achètent leurs vêtements. Auparavant, les jeunes filles s’habillaient comme leurs mères et les garçons mettaient en avant leur maturité, notamment par le port de la barbe et de la moustache. Regardez les photos des jeunes soldats de la Première Guerre mondiale, on peine à leur donner vingt ans – ils en paraissent beaucoup plus, par rapport à nos propres apparences et critères. Or désormais, on voit apparaître une mode qui s’adresse aux jeunes. On est au cœur des dites « Trente Glorieuses ». Le capitalisme cherche de nouveaux marchés non seulement par une extension géographique, mais aussi par le développement de nouvelles gammes de produits permettant de toucher de nouvelles couches de la population. Mais cette culture spécifique à la jeunesse n’est pas uniforme. Elle est, au contraire, plurielle, et cette pluralité révèle que des distinctions sociales ne cessent de s’opérer en son sein. On évoque souvent, aux origines de cette culture, l’émission de radio Salut les copains !, puis le magazine du même nom en 1962. Mais le yéyé, Sheila, Sylvie Vartan, Claude François, Johnny Hallyday seront surtout écoutés par les jeunes des catégories populaires : les enfants d’employés, d’ouvriers, d’agriculteurs... Beaucoup de jeunes de milieux plus aisés vont regarder cela avec distance. Certains préféreront s’attacher au jazz ou à la musique classique. D’autres jeunes de milieu populaire, plus en révolte, vont se tourner vers le rock. C’est le cas de certains « blousons noirs » chez les ouvriers au début des années 1950. Leurs choix vont également prendre une coloration politique, en particulier après Mai 68 : on se mobilise contre l’intervention militaire au Vietnam, contre l’impérialisme des États-Unis en écoutant Joan Baez, Bob Dylan, les Doors... En France, c’est avec la guerre d’Algérie que l’on va prendre l’habitude de voir les jeunes se mobiliser comme tels. Des lycéens, des étudiants sont très présents dans les manifestations contre la guerre. Ils organisent des comités d’action, en particulier des « comités lycéens antifascistes », et appellent à lutter contre les attentats de l’OAS. On s’explique mal Mai 68 si on ne revient pas à cette mobilisation politique qui a eu lieu pendant la guerre d’Algérie.

© BNF

Justement, Mai 68 est-il, selon vous, une sorte de triomphe de la jeunesse ? Beaucoup de discours ont été tenus a posteriori sur ces événements, la plupart pour des raisons politiques. On a réduit Mai 68 au triomphe d’une


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