Une vie trop parfaite J’ai une vie parfaite. Ce mot ne signifie pas grand-chose. La perfection n’a pas d’odeur, ni de goût. On ne peut pas la toucher, ni l’observer du coin de l’œil. Elle est simplement une certitude. On sait qu’on y est arrivée, une fois dans son lit douillet. Une finalité dans une vie rude et détestable. On n’espère plus rien, une fois la perfection atteinte. Une mort douce et désiré, où plus rien ne compte. On a alors l’impression que le monde fonctionne en accéléré. Les gens courent, s’essoufflent et se percutent sans relâche. Un cercle vicieux, un inconscient collectif. Ils veulent, espèrent, mais sont perdus dans les limbes et le chaos. Métro, boulot, dodo. Un enfer quotidien, qui tue à petit feu. Un démon régit ce néant, la routine. Elle aspire nos espoirs et nos désirs. Elle nous maintient dans un carrefour à sens unique, qui nous ramène inlassablement à notre point de départ. Emma et moi avons passé des années dans cet enfer. Elle était coiffeuse dans un « barbershop » bas de gamme et moi garagiste. Notre vie commune démarrait mal, il faut l’avouer. Des jobs ingrats et une vie difficile jalonnée de factures impayées et d’huissiers récalcitrants. Il faut avouer que nous menions une grande vie, que nous ne pouvions pas payer. Emma voulait tout avoir, la belle villa en banlieue, le 4x4 rutilant, le bouledogue assoiffé de facteurs, les robes de créateurs, mets les plus classes et j’en passe. Les crédits qui nous promettent mont et merveilles et le compte en banque qui crie famine. Je l’aime comme un fou, alors je dépensais sans compter, avec les emmerdes que cela apporte au quotidien. Notre vie était devenue une impasse. Emma achetait n’importe quoi de manière compulsive pour oublier que ce désastre était de sa faute. Moi je buvais comme un trou sans fond, pour oublier que le chien était mort de faim et que nous étions menacé d’expulsions, si nous ne payons pas tous les loyers en retard. Une impasse, un mur de brique inébranlable se dressent sur mon chemin. Une téquila frappée, un gin très tonic, un punch à l’alcool triste, un cocktail de chagrin, une bière ou deux de larmes… La colère et le désespoir au fond du verre. J’avoue, j’en ai voulu à Emma, pendant quelques secondes. Surtout envers ma faiblesse légendaire, ma dépendance à une femme qui me brise chaque jour un peu plus. Mon incapacité à faire face aux problèmes. Ma lâcheté