Molly Une brise légère automnale fait virevolter les feuilles mortes. Le paysage se couvre de paillettes et dorures d’or. Jaune, orange, rouge. Ces teintes dominantes ont envahi l’espace, le temps et les âmes. À chaque saison, ses couleurs. Un cycle sans fin. Une routine intemporelle inébranlable. Un éternel recommencement. Un émerveillement pour certain, un ennui mortel pour d’autre, le néant pour moi. Pourquoi s’en soucier ? La vie s’écoule laborieusement en secondes, minutes, heures, jours, semaines, mois, années. Un sablier qu’on tourne et retourne inlassablement. On prend l’unique scénario universel et on le duplique à l’infini pour chaque nouvelle naissance et chaque décès. Naître, vivre, mourir. Métro, boulot, dodo. L’asphyxie des sens, la disparition des rêves, l’engourdissement des espoirs, la décrépitude des illusions. Des robots aseptisés, noyés dans la consommation à outrance pour oublier l’ironie de leur existence désuète. Une petite bourrasque tourne ma page, sans crier gare. Une mèche ébène s’égare entre le monde des rêves et mon regard azur. Je balaie cette chevelure rebelle de mon visage et la remets en place. Repose ma main sur mon livre, pour en garder le contrôle. Une domination purement matérielle, car chacun des mots, des points et virgules me possèdent au point de réduire la réalité à un infime rayon de lumière dans mon obscurité. Une porte qui donne sur un monde qui m’est devenu étranger. J’en perçois parfois quelques échos, à travers les mots. Un lointain murmure insignifiant qui n’a plus de prise sur les phrases et les récits. -
Molly ? Molly ? Toujours dans tes bouquins. Jamais tu ne relèves le nez ?
Je crois qu’il s’agit de mon professeur de Mathématique. Ou celui d’Histoire. Je n’en suis plus certaine. Ce n’est qu’une voix qui m’est devenu étrangère et poignarde mon intrigue captivante. Telle une mouche à merde sur la spécialité du chef d’un restaurant quatre étoiles. Il suffit de la balayer d’une main, pour qu’elle s’envole vers un ailleurs plus digne de son rang. Mais le mal est fait, la perfection est définitivement souillée et a perdu de son attrait. Je referme mon livre et me redresse telle un automate. La sonnerie retentie et le bruit des pas par millier s’accentuent dans mon dos. C’est l’heure de lessivage des neurones et de l’abrutissement des masses. Le lycée, haut-lieu de prédilection pour la perversion des élites qui prônent la disparition de la connaissance et de la culture. Leur but réel, faire pulluler de la main d’œuvre stupide, incapable de réflexion et de prise de décision hors d’un groupe. La méthode parfaite pour annihiler toute rébellion au fil des générations lobotomisées. Fournissez-leur des occupations abrutissantes, gavez les de nourriture d’une industrie sans âme, prônez le matérialisme à outrance comme unique objectif de vie et vous obtenez la recette parfaite de l’être humain nouvelle génération. Une coquille vide, que l’on remplit de purin et de boniments. L’esclavagisme moderne, une boucherie à ciel ouvert qui broie chaque être jusqu’à leurs morts. Je serre contre ma poitrine à peine naissante, mon œuvre du jour. Un recueil de nouvelles de mon auteure favorite. Certains diront que ce n’est qu’un énième ouvrage parmi les centaines d’autres qui pullulent dans tous les recoins de la demeure familiale. D’autres se contenterons de moqueries et autres bassesses pour fustiger mon manque de modernité évidente. « Quoi? Ça existe encore les livres papiers? Le numérique t’en a entendu parler ?! Pauvre Molly, toujours à la ramasse !». Ils ne peuvent pas comprendre. Qu’importe leurs propos et leurs pensées, ils ne sont qu’un infime écho dans le lointain. Plus rien n’est réellement audible. Plus rien n’a de