Zone campus 3 septembre 2013 (impression, press quality final)

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3 au 16 septembre 2013 Les textes publiés n’engagent que la responsabilité de leurs auteurs.

SOCIÉTÉ l’aplomb dans la tête

Le cynisme bachelier LILI BRUNET ST-PIERRE Chroniqueuse

De retour de l’été, l’université reprend son cours cette semaine. Les choses changent peu, les débuts de session se ressemblent tous. Gorgés de soleil, les poches un peu plus pleines, ou carrément plus vides, nous faisons nos choix de cours et l’horaire des prochains mois prend forme. On est motivés et on s’encourage matériellement en s’achetant des beaux stylos… peut-être dans une nostalgie enfantine du temps où nos parents se vidaient les poches à nous payer LA liste des fournitures scolaires. *huit crayons, deux effaces, un bâton de colle, un cahier-catéchèse-poisson-bleu, cinq duo-tangs* Ou peut-être est-ce typiquement féminin que de s’exciter devant une rangée de crayons multicolores? Toujours est-il que l’UQTR reprend vie, ou reprend notre vie, c’est selon votre niveau de cynisme. Personnellement, c’est cette chronique que je tiendrai dans le Zone Campus à partir de maintenant qui viendra alléger mon défaitisme universitaire. Appelez-le pessimisme bachelier

ou encore l’amertume de «la scolarisée», c’est un syndrome généralisé pour ma part, il n’y a plus rien à faire. C’est un diagnostic définitif dont les causes sont autant personnelles qu’acquises. Acquises, parce que le parcours universitaire se révèle parfois être plutôt un parcours à obstacles. Une confrontation à un système administratif digne de la maison qui rend fou des Douze travaux d’Astérix. *Formulaire jaune, guichet sept, cinquième étage, escalier K, couloir double-V* Le cynisme bachelier dont je fais preuve est apparu depuis peu sur le scanneur de ma réflexion, alors que je tentais de prévoir la fin certaine de mon premier cycle, devant les grilles de crédits obligatoires et optionnels, et il s’est plus tard révélé généralisé. Peut-être en êtesvous atteints aussi? Prenez garde: il apparaît habituellement lorsque malgré les efforts, les fameuses embûches administratives, les crédits et les équivalences, les cours inutiles et la répétition des notions à outrance, on termine avec un diplôme tout aussi inutile qu’onéreux. Des prêts accumulés, mais pas de travail. Ou encore, un poste qui ne demanderait qu’une technique. Observez que le premier symptôme est habituellement une envie irrésistible de s’inscrire à la Qualitech en ébénisterie, de s’envoler pour un pays lointain et de «gosser» du bois en salopette et en bottes de construction.

*Léger relent d’amertume* Or, cela fait longtemps maintenant que l’achat de stylos mauve-bleu-rose ne renforce plus ma motivation aux études universitaires. Mais d’écrire ici, au crayon de plomb s’il le faut, sans couleurs ni artifices, me donne un nouveau souffle et m’anime au plus haut point. Sans parler de mon niveau d’anxiété que je noterais à 8 sur 10. Toutefois, c’est souvent ce qui est empreint d’un certain niveau de stress qui nous rend aussi heureux et épanoui. Ce qui stimule fait d’ordinaire un peu peur aussi. Un certain Jean Grenier, naguère enseignant de philosophie du jeune Albert Camus, à Alger, disait qu’écrire, c’est mettre en ordre ses obsessions. Je ne me prendrai certainement pas pour Albert Camus (ce serait absurde!), ni pour Jean Grenier, cela va de soi. Mais je peux vous assurer, pour commencer, que j’ai énormément d’obsessions.

Ma madame à «capine» Afin de mettre un peu de baume (non, d’onguent) sur mon cynisme froid et aigre face aux études, je me rappelle les bons moments de l’été passé. Du travail, du soleil, des amis, des amis qui déménagent, beaucoup trop d’amis qui déménagent dans des appartements où la hotte de cuisinière est vraiment très jaune et sale. Mais aussi des spectacles, de la musique. J’ai pu voir Louis-Jean Cormier au Festivoix

entre autres, ce chanteur inconnu et sans talent selon les auditeurs de La Voix, l’émission où le talent musical égale la performance vocale lors d’une reprise de Céline Dion. Ce chanteur que j’adore, la faute à ses textes et à la musique intelligente de son groupe Karkwa. Louis-Jean Cormier jouait donc au parc des Ursulines cet été, devant un océan de têtes blanches en poncho assises sur des chaises en plastiques tout aussi blanches. Une ambiance digne du Rockfest. La musique débute et je me laisse aller à la contemplation du moment. Mon regard s’arrête soudain sur une vieille dame, vraiment mignonne avec sa «capine» en plastique pour ne pas mouiller ses cheveux. Elle suit le rythme du menton de façon énergique et semble vraiment apprécier ce qu’elle écoute. Ça me touche, je la trouve si belle cette femme de 85 ans qui hoche la tête à la cadence du batteur. Je me dis que je veux être comme elle à cet âge, ouverte à la nouveauté, expressive, avec une «capine» en plastique. La prestation terminée, je la croise sur le chemin à la sortie du parc, et j’envisage d’être émue encore une fois, au moment où je remarque qu’elle hoche encore frénétiquement la tête. Tout ça pour dire que ce n’était pas une vieille «hippie» qui tient le rythme du bassdrum dans les spectacles. Elle ne «tripait» pas du tout sur Louis-Jean Cormier. Elle avait le Parkinson.

Tout est bizarre

L’animal indestructible NICOLAS GAUTHIER Chroniqueur

Mes hommages, nobles lecteurs, et bienvenue dans cette chronique bien étrange. Pour la présentation, sachez que je me targue d’une curiosité arrogante devant toutes ces petites choses surprenantes dont on ignore souvent l’existence. Ainsi, après plusieurs années de curiosité maladive, je me présente à vous avec l’idée féconde de vous partager mes grandes découvertes qui, je l’espère, sauront vous surprendre. Mais trêve de mondanité, abordons par l’exemple. Je vous présenterai, en guise d’entrée, le premier de mes animaux favoris qui, de circonstance, sont toutes de bien étranges créatures. Saviez-vous qu’il est possible qu’une espèce extraterrestre soit présente sur Terre? Voilà une affirmation surprenante, n’estce pas? C’est pourtant possiblement le cas. En effet, le tardigrade, aussi nommé «ourson d’eau», est un minuscule animal pluricellulaire d’un demi-millimètre présent partout sur Terre. Là où la plupart des petits invertébrés remuent

dans tous les sens, les tardigrades, eux, se déplacent avec lenteur, escaladant posément de minuscules débris dans une démarche nonchalante et pataude. Leur nom vient d’ailleurs du latin tardigrada, qui signifie «marcheur lent». Il est même possible de les voir à l’œil nu. Mais pourquoi seraient-ils extraterrestres dites-vous? Premièrement, répondrai-je, ils forment une branche zoologique à part entière dans le merveilleux monde des animaux invertébrés. De plus, ils ne ressemblent à aucune autre espèce et n’ont aucun cousin génétique connu. Ils sont aussi très variables, plus de mille espèces de tardigrades sont connues à ce jour. Deuxièmement, les tardigrades vivent partout sur la planète. Du sommet de l’Everest jusqu’au fond des fosses océaniques, dans les glaces de l’Antarctique et dans le sable des déserts. En fait, ils peuvent aisément survivre à des températures comprises entre -270°C et 150°C. Ils peuvent aussi résister aux radiations, à la sécheresse, aux toxines les plus puissantes et même au vide de l’espace. Finalement, et c’est là qu’ils deviennent incroyables, les tardigrades ont un superpouvoir, celui de devenir invulnérable. En effet, ces petites créatures sont les seuls animaux connus à pouvoir accomplir une cryptobiose, c’est-à-dire qu’ils arrêtent leur métabolisme et entrent en état de stase. Pour faire cette prouesse qu’aucun de l’ensemble du vivant connu n’est capable, ils

transforment l’eau contenue dans leurs cellules en un sucre non réducteur, le tréhalose, qu’ils sont capables de synthétiser. Ainsi, totalement inactifs et aux allures de raisins secs, les tardigrades deviennent presque indestructibles, immuables, immortels, et peuvent attendre très longtemps, en stase, que leur environnement soit propice à la vie. Ils peuvent donc survivre à des contraintes extrêmes qui tueraient même les bactéries et organismes unicellulaires connus. C’est ce dernier point, et aussi le fait que le tardigrade soit une espèce singulière dans notre biosphère, qui a poussé les scientifiques à envisager l’hypothèse que ce petit animal soit arrivé sur Terre sur une météorite ou une comète, ce qui en ferait, le cas échéant, le premier voyageur intersidéral rencontré par l’Homme. En fait, les chercheurs de la NASA sont si convaincus de cette hypothèse qu’ils ont envoyé des tardigrades en orbite pendant une semaine, exposés aux radiations et au vide de l’espace, pour ensuite faire écraser le satellite les transportant... Et les tardigrades ont survécu, ils s’étaient même reproduits! Ces petites créatures fascinantes sont donc, possiblement, d’un autre monde. Néanmoins, pour ma part et sans vouloir briser la magie, je crois que la Terre est suffisamment vieille pour avoir mis au jour un tel chef-d’œuvre d’évolution. En fait, l’unicité du tardigrade dans la biosphère peut s’expliquer par

son extraordinaire adaptation aux contraintes possibles. Ainsi, il ne possède pas de proches parents génétiques pour la simple raison qu’il n’a pas eu à évoluer ni à se diversifier. Le tardigrade a donc, à mon sens, atteint une sorte de perfection évolutive. Incroyable cependant de voir le potentiel du Darwinisme. Pour qui voudrait se gaver davantage des singularités du tardigrade, sachez qu’il n’augmente jamais le nombre de ses cellules dans sa croissance. Il procède d’un grossissement cellulaire. On peut en déduire que ses cellules sont incapables de procéder à une mitose cellulaire, ce qui accroit d’autant plus le mystère entourant son existence surévoluée. Aussi, sa capacité à entrer en stase ne justifie pas une survie prolongée sans apport en oxygène. À cela, le tardigrade réagit par une anoxybiose. Lorsqu’il entre dans cet état, il se gonfle et flotte dans son environnement. Les chercheurs n’ont malheureusement pas encore élucidé les raisons de sa survie sans oxygène, ni les subtilités de l’anoxybiose. C’est pourquoi le tardigrade est un de mes animaux préférés, et pourquoi la possibilité qu’il soit extraterrestre existe, bien que dans des proportions beaucoup plus limitées que ne laissait croire la démagogie de mon entrée en matière. Alors voilà un bon exemple de curiosité surprenante, et le tardigrade pourrait bien offrir à l’humanité les secrets d’une survie efficiente dans les conditions terribles du vide spatial.


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