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Le chlordécone face au droit

par Bastien Dailloux

Le « scandale » du chlordécone pose la question de l’indemnisation des victimes. Où en est-on ?

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Patrice Ndiaye : Il s’agit là du volet politique, celui de la solidarité nationale. En la matière, la solution la plus large et la plus généreuse a été rejetée par l’Assemblée nationale. À l’origine, une commission d’enquête parlementaire, conduite par des élus d’outre-mer, a milité pour une indemnisation immédiate de toutes les victimes, sachant que le chlordécone est partout dans l’environnement. Or c’est une solution a minima qui a été choisie : la loi de financement de la Sécurité sociale pour 2020 a créé un fonds d’indemnisation pour les victimes des pesticides mais celui-ci est limité aux victimes et à leurs enfants en cas d’accident ou de contamination au chlordécone par usage professionnel. D’où la réaction des Antillais : on leur dit qu’ils sont français, mais quand il s’agit de « passer à la caisse », on leur rétorque : « Ça va être compliqué, on va limiter le fonds aux travailleurs agricoles. » Cela entretient le sentiment d’être des citoyens déclassés.

Sans oublier qu’une bonne partie des ouvriers dans les bananeraies n’avaient pas de contrat… Comment obtenir réparation dans pareil cas ?

Effectivement, il y avait notamment beaucoup d’Haïtiens sans contrat. S’ils sont rentrés dans leur pays, il n’y a plus rien à faire. C’est d’ailleurs le calcul cynique qu’avait fait la majorité à l’Assemblée nationale.

Venons-en au volet pénal et à ce fameux non-lieu prononcé en janvier dernier.

En 2008, à la suite de plaintes déposées deux ans auparavant par des associations martiniquaises et guadeloupéennes pour « empoisonnement », « mise en danger de la vie d’autrui » et « administration de substances nuisibles », une information judiciaire a été ouverte. Et le 2 janvier 2023, conformément aux réquisitions du parquet, deux juges d’instruction du pôle santé et environnement du tribunal judiciaire de Paris ont prononcé le non-lieu, abandonnant donc les chefs d’accusation. Rappelons que nous sommes là sur le registre pénal : on cherche des coupables qui peuvent faire l’objet de sanctions lourdes. Pour l’instant, cette voie a été fermée, les juges d’instruction arguant que les faits étaient prescrits. Mais les parties civiles ont annoncé faire appel, décidées à aller s’il le faut jusqu’à la Cour de cassation et, le cas échéant, jusqu’à la Cour européenne des droits de l’Homme.

Et puis, il y a un dernier volet, administratif cette fois, initié l’été dernier…

Oui, le 24 juin 2022, le tribunal administratif de Paris a déclaré l’État responsable au regard de ses carences et négligences, en matière d’information, de contrôle, d’autorisation provisoire de vente alors que la nocivité du produit était connue. En revanche, ce même tribunal a rejeté la demande indemnitaire. Les requérants mettaient en avant un préjudice moral d’anxiété : « Nous avons vécu depuis 1972 plus de douze mois en Guadeloupe ou en Martinique, on y a bu de l’eau, on y a consommé des produits et nous sommes du coup susceptibles de développer à tout moment une maladie liée à cette exposition. » Il est en effet possible de se prévaloir d’un préjudice lié à l’état d’anxiété pour demander réparation. Mais, tout en reconnaissant que l’État a commis des fautes, le tribunal a estimé qu’il n’y avait pas lieu d’engager sa responsabilité pour préjudice d’anxiété, faute de preuve d’un préjudice direct pour chacune des personnes concernées. Cela laisse une porte ouverte : si une victime parvient à prouver qu’elle a subi un dommage en lien avec l’action fautive de l’État, elle aura droit à une réparation. ◆