Mauvaise graine # 35

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ZARATHUSTRA IS DEAD ZARATHUSTRA EST MORT


DAVID GOBEIL TAYLOR TRADUCTION FRANÇAISE DE WALTER RUHLMANN

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Édito J’ai donc apparemment eu la flemme d’écrire un éditorial le mois dernier. À vrai dire, je n’ai pas plus la force et le courage, encore moins l’inspiration de rédiger quoi que ce soit ce mois-ci. Le problème de toujours vouloir coller à l’actualité, plus ou moins en tout cas, c’est qu’au bout d’un moment on s’en lasse, on y prête un peu attention, on essaie de retenir, d’analyser... mais ça n’en devient que plus fastidieux. Ça en devient même un vrai casse-tête chinois lorsque cette actualité rebondit tous les jours ou presque. Évidemment que j’aurais bien aimé avoir une opinion à vous faire partager sur cette guerre en Europe à laquelle je faisais allusion le mois dernier déjà et dont tout le monde a entendu parler... mais plus on en parle, moins on retient et moins on a de quoi avoir sa propre opinion et sa propre analyse. Ce que j’en dis à l’heure où l’on semble préparer la paix avec quelques difficultés (nous sommes le 7 juin, le lendemain des cérémonies pleines de croulants médaillés à qui l’on doit quand même la liberté, il faut bien le reconnaître) ne peut rien avoir de différent de ce qui a déjà été dit, si ce n’est avec un peu plus de distance et, je l’espère, d’objectivité. Et puis, cette problématique binaire entre idéal antimilitariste, pacifiste et mollusque et l’esprit va-t-enguerre qu’on pourrait nous reprocher si nous avions affirmé prendre parti pour ou contre les bombardements de l’Otan – mais que penserait-on si je les critiquais, ils ont peut-être un arrière-goût de hamburger, je veux dire de domination américaine, mais ils étaient nécessaires et nous n’avons qu’à nous en prendre à nous-mêmes, européens, de n’avoir pas bâti cette force de défense armée (européenne). Je veux bien admettre qu’une fois de plus, ce sont les populations qui ont trinqué, qui trinquent depuis dix ans, et que les occidentaux, dans leurs rôles de médiateurs des problèmes internationaux – comprendre leurs rôles de grands frères protecteurs anciens colonialistes – auraient pu régler toute cette chiasse il y a déjà quelques années, en renversant le dictateur. Le plus horripilant, c’est la couardise de tous ces chefs d’état : qu’ils soient réticents à enclencher une guerre terrestre de peur d’y engendrer un nouveau Vietnam, soit, nous en sommes tous à ces pensées. Qu’ils hésitent à s’imposer face au cynisme et à l’arrogance de Milosevic, là, je comprends déjà moins, encore que la trouille devant l’alcoolique moscovite jamais bien à jeun qui un jour nous a menacé de larguer ses atomes et ses neutrons sur nos

tronches peut les prendre et là aussi, je comprends déjà mieux, car je ne sais pas pour vous, mais à moi aussi il me fait peur, pire ! il m’effraie ! Par contre, cette hypocrisie vis-à-vis des autres dictatures qui se servent de la situation pour se faire mousser ou pour se faire oublier (comme la Chine qui vient de commémorer à sa manière les manifestations écrasées de juin 1989, ou la Turquie qui juge peutêtre un terroriste, mais un terroriste qui se battait au moins pour une cause juste, celle de la libération de son peuple opprimé), là je craque. Quelque part, et même si les données ne sont pas tout à fait les mêmes, que penser de la situation en Corse ? Les Corses veulent une certaine autonomie, la France occupe encore ce territoire au nom de l’État de droit, n’y a-t-il pas là une certaine similitude ?... Alors évidemment, nos gendarmes ne font que brûler des restaurants de plage illégaux, ils ne vont pas massacrer les populations, mais encore une fois, nous sommes bien culottés d’avoir la prétention de libérer un peuple quand nous même n’avons pas su écouter nos “ dominions ”. Aujourd’hui, les Occidentaux sont fatigués, les populations serbes en ont assez d’imaginer combien de bombes vont leur tomber sur la gueule, Milosevic joue le jeu de la paix en se foutant encore un peu plus de notre gueule (j’en ai l’intime conviction), cette paix semble ne plus tarder, soit, en attendant que les Indo-pakistanais ne fassent exploser le Cachemire avec leurs bombes atomiques. Je me demande parfois si ces charlatans qui nous vendent la fin du monde pour la rentrée jusque dans des émissions que l’on aurait pu croire un brin sérieuses ne feraient pas mieux d’avoir raison finalement. Des milliers d’années que les êtres humains se tapent sur la gueule, des milliers d’années qu’ils se cherchent des histoires sans vraiment parvenir à trouver de solutions, alors envoyez-nous l’Antéchrist et sa ménagerie, le Mal Absolu peut nous brûler, je suis prêt... Zarathustra is Dead, une pièce de théâtre pour se pencher un peu plus sur le sens de la vie...

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Bonne lecture à tous...

Walter

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Auto-portrait Zarathustra is Dead was my first play, and so will always hold a special place in my heart. Many artists consider their early work juvenilia, and are even embarrassed by it. While my skills have definitely evolved since I wrote the play in 1993, I still derive pleasure from re-reading it. It taught me a number of valuable lessons that I have taken to heart and that have manifested themselves in all of my creative work since. Had I known what I was getting into at the outset, I might never have written Zarathustra is Dead, and I might never have become a playwright. Not only did I write the play, I performed it, alone on stage. Well, not alone exactly – as indicated in the script, I played myself as a pre-videotaped character that appears on television and interacts with the live actor. That day of videotaping was a humbling process; there's a skill to looking natural and being expressive using just your face, an ability that TV news anchors make look effortless. The biggest challenge, however, came when I was on stage. I had to practice with the videotape over and over, memorizing exactly how long each pause lasted during our dialogues. I had to accept the fact that this character would never evolve; it would perform exactly the same way during every show, and nothing I did as a live actor would influence it. This created an interesting situation; in essence, I was as locked into the timing and delivery of my lines as the videotape was. When two actors interact, there are nuances that make each performance different, arising from the energies of the actors and of the audience; this is an element of the art of theater that is so fundamental, I only became consciously aware of it when it was gone. Thankfully, the play was well-received; I really put myself on the line, performing my own work. Had everybody hated it, I probably never would have written another play. The most valuable lesson this experience taught me was that theater is a collaborative process; a truly successful play is the result of synergy, when playwright, actors, director and designers come together to create a whole that is much more than the sum of its parts. In my future plays, I have tried to write in a way that encourages interpretation; I don't write scenes with a particular staging in mind, and I don't write lines with a particular delivery in mind. Everyone involved must feel absolutely free to interpret my work; creating a play requires more than one person's imagination. I've had experiences in theater where the playwright has told the director and actors exactly what to do and how to do it; I, on the other hand, have always declined to get too involved in productions of my work, even avoiding rehearsals. The playwright's job should end once the script is written; it's everyone else's job to interpret it as freely as possible. It takes a lot of trust to let go of something so personal as your own work, but it's also very necessary. When I see a production of my own work and it looks nothing like what I had in my mind, I consider myself to have done my job right. It is my belief in the necessity of letting others interpret my work that defines me as a playwright; it was a difficult journey, maturing enough as an artist to be able to do so, and it's one of the personal achievements in my life I'm most proud of. And it arose because of Zarathustra is Dead – for this reason, I will always look upon this, my first work, with a fond nostalgia. It seems that I've lived a lifetime since I wrote and performed it; but I also see in this play the seed of my future development both as an artist and as a human being. *** Zarathustra est mort est la première pièce de théâtre que j’ai écrite aussi tient-elle une place spéciale dans mon cœur. Beaucoup d’artistes considèrent leurs premières œuvres comme des

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textes juvéniles et en ont même parfois honte. Bien sûr, mes talents ont évolué depuis que cette pièce fut écrite en 1993, mais je continue à éprouver beaucoup de plaisir en la relisant. Elle m’a appris un bon nombre de leçons fort appréciables que j’ai prises à cœur et qui m’ont beaucoup servi dans le reste de mes œuvres. Si j’avais su qu’avec cette pièce je mettais un pied dans la folie qui a suivi, j’aurais très bien pu ne jamais l’écrire et ne serais jamais devenu auteur dramatique. Mais non seulement ai-je écrit cette pièce, mais en plus, je l’ai jouée, seul, sur scène. Enfin, pas seul exactement – comme c’est indiqué dans le script, je jouais mon personnage et celui de l’enregistrement qui apparaît sur l’écran télé et interagit avec le personnage en chair et en os. Cette journée d’enregistrement vidéo fut un travail d’humilité, il faut beaucoup de talent pour paraître naturel et accrocheur en n’utilisant que son visage, une capacité que les stars du journal télévisé font paraître simple comme bonjour. Le plus gros challenge, quoi qu’il en soit, intervint lorsque je me retrouvai sur scène. J’ai dû m’entraîner pendant des heures pour mémoriser la longueur exacte des pauses entre chacune de nos répliques. J’ai dû accepter le fait que ce personnage n’évoluerait jamais, qu’il resterait sans cesse le même au fil des représentations, et rien de ce que je pourrais faire en tant qu’acteur humain n’y ferait quoi que ce soit. Ceci créa une situation intéressante en soi, j’étais emprisonné par le timing et devais suivre exactement le débit de la cassette vidéo. Lorsque deux acteurs jouent ensemble, il y a des nuances qui font que chaque représentation est différente, elles viennent de l’énergie des comédiens et du public, c’est un élément du théâtre réellement fondamental, mais je n’en ai pris véritablement conscience que lorsque je me suis aperçu qu’il n’était plus présent. Heureusement, la pièce fut bien accueillie, je me suis vraiment donné à fond en jouant mon travail personnel. Si tout le monde l’avait détesté, je n’aurais probablement pas écrit une autre pièce. La leçon la plus importante que cette expérience ait pu m’enseigner est que le théâtre est un processus de collaboration, une pièce réellement réussie vient du résultat d’une synergie, lorsque le dramaturge, les comédiens, le metteur en scène et les assistants se réunissent pour créer un tout qui ressemble encore plus qu’à un résumé de ces différents intervenants. Dans les pièces suivantes, j’ai tenté d’écrire d’une façon qui invite à l’interprétation, je n’écris pas des pièces avec une idée bien précise de la mise en scène et je n’essaie pas de laisser passer de messages bien particuliers. Toutes les personnes incluses doivent se sentir libres d’interpréter mon œuvre, créer une pièce de théâtre nécessite plus d’imaginations que celle d’un seul individu. J’ai connu des expériences au théâtre où l’auteur avait donné toutes les indications au metteur en scène et aux acteurs, à savoir tout ce qu’ils avaient à faire et comment le faire ; pour ma part, j’ai toujours refusé de m’impliquer dans la production de mon œuvre, j’évite même de me présenter aux répétitions. Le travail de l’auteur devrait se terminer dès que le scénario est écrit, c’est le travail des autres de l’interpréter aussi librement qu’ils le sentent. Il est nécessaire d’être très confiant pour laisser partir une chose aussi personnelle que votre propre œuvre, mais c’est aussi vraiment nécessaire de la laisser s’envoler. Lorsque je vois une représentation d’une de mes oeuvres et que ça n’a rien à voir avec ce que j’avais en tête au départ, j’estime avoir fait du bon boulot. C’est ma conviction de laisser les autres interpréter mon œuvre qui a fait de moi un auteur dramatique, ce fut un voyage harassant de mûrir ainsi pour devenir un artiste capable de tout ça, et c’est une des réussites dans ma vie dont je suis le plus fier. Et elle a émergé grâce à Zarathustra est mort – pour cette raison, je regarderais toujours cette pièce, ma première œuvre, avec un brin de nostalgie. Il me semble avoir vécu une vie entière après l’avoir écrite et jouée, mais je vois également dans cette pièce la racine de mon développement à venir à la fois en tant qu’artiste et qu’être humain. David Gobeil Taylor

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Zarathustra is dead a multimedia play in one act by David Gobeil Taylor CHARACTERS Zarathustra, a 19th-century poet and seeker of truth. Equal parts Everyman and Pierrot. TV, Zarathustra's prerecorded head-and-shoulders image on a television screen. Sometimes foil, sometimes antagonist, always a cynical, modernized version of Zarathustra's psyche.

Zarathustra: I am the Poet!

SCENE 1 : Also Sprach Television

Zarathustra: I am the Seeker of Truth!

(A black stage. TV stage left, on a pedestal which brings it to head level. A stool stage right, upon which Zarathustra sits reading a book as the audience enters. The TV turns on and speaks. Zarathustra, who is reading these very words, moves his lips in synchronization with the TV.)

TV : Truth. Noun. The property in a conception, judgment, statement, proposition, belief or opinion of conforming with fact or reality.

TV : “ And what do you do in the forest?” asked Zarathustra. The hermit answered, “ I make up songs and sing them, and when I make up songs, I laugh, weep and moan : thus I praise God. With singing, weeping, laughing and moaning I praise the God that is my God. But what gift do you bring me?” When Zarathustra heard these words, he saluted the saint and said, “ I have nothing to give you! Rather, I should leave quickly so that I will take nothing from you!” And thus they parted, the old man and Zarathustra, laughing as two boys laugh. But when Zarathustra was alone, he spoke thus to his heart : “ Can it be possible! Has this old man not yet heard in his forest that...”

Zarathustra: I am Zarathustra!

TV : Poet. Noun. One who writes verse which formulates a concentrated imaginative awareness of experience in language, arranged to create a specific emotional response through meaning, sound and rhythm.

(Sound cue : Also Sprach Zarathustra by Richard Strauss, building gradually.)

(As the tape plays, lights slowly dim onstage. Zarathustra looks confusedly around him, trying to find the source of this interruption, until he is finally in darkness.) SCENE 3 : From Nietzsche To Strauss To Kubrick

Zarathustra: (In the dark) God is dead!

TV : (After the tape stops) What you have just heard is Also Sprach Zarathustra, composed in 1896 by Richard Strauss, inspired by the book of the same name by Friedrich Nietzsche. Those of you who are relatively unversed in late 19th century symphonic repertoire may know the piece better from Stanley Kubrick's 1968 film, 2001 : A Space Odyssey. This assimilation into modern cinema has exposed Strauss' piece to millions more listeners than it otherwise would have had; in the process, however, it has been robbed of its thematic link to its source and, therefore, its meaning and purpose. While one can only speculate what Strauss' reaction might have been to the news that one of the greatest pieces he wrote would, 72 years later, be more famous as background music in a science fiction film, one can perhaps guess more solidly about Nietzsche. It is not inconceivable that he might have approved. Meaning and purpose pervade Nietzsche's body of work, and, as one philosopher would say years after Nietzche's death, how better to prove a thing than through its absence?

TV : Thus spake Zarathustra.

(Light up on Zarathustra.)

(Lights up on Zarathustra, who is standing.)

SCENE 4 : A Syllogism

Zarathustra: (Speaking aloud) ...God is dead?” (Zarathustra is taken aback by his outburst. He looks apologetically to the ceiling as the lights slowly dim on him.) SCENE 2 : The Poet, The Seeker Of Truth TV : God. Noun. The supreme or ultimate reality; the Deity variously conceived in theology, philosophy and religion as the holy, omnipotent, invisible, unchangeable, perfect, infinite and eternal spiritual reality; presented variously as creator, sustainer, judge, sovereign and redeemer of the universe.

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Zarathustra : A syllogism. I am a concept; I am a person. I am a concept; I am a man. I am a concept, I have a mind; I am a man, I have a penis and two testicles. I am a concept, I have a mind : I think, therefore I am; I am a man, I have a penis and two testicles. I think, therefore I am : I exist; I exist, therefore I have a purpose; I am a concept; I am a man; I have a penis and two testicles. I exist, I have a purpose; I have a penis and two testicles, they have a purpose. (Lights quickly down on Zarathustra). SCENE 5 : Why? TV : Humanity's greatest asset and its greatest curse is its ability and need to question. Humanity cannot see, sense or conceive a thing without asking the question: (Lights quickly up on Zarathustra, who is holding an apple) Zarathustra : (Indicating apple) Why? TV : Sometimes it finds the answer and uses it to its advantage. (Zarathustra takes a bite out of the apple and chews it, pleased.) TV : Sometimes it asks the same question: Zarathustra : (Loses interest in apple, gestures to himself). Why? TV : And cannot find the answer, so it invents one... and uses it to its advantage. Humanity invents the answers it needs : Religion, God, philosophy, truth, art... theater. Zarathustra : Why? Double-you-aitch...why. A simple three-letter word, but when posed in the form of a question... I suppose the most profound, or at least the most basic form of the question is “ Why am I here? ” . I don't mean here, on stage, in front of you, in this theater, but... here, period. Although, I suppose one has something to do with the other. Why am I here? What is my purpose? Many people have asked these questions, and no one has ever come up with a universal answer, so I supposed it's rather vain to think that I could. Maybe the answer is less important than the question itself. Why do I need to know why I am here? Why do I need a purpose? Why can't I just be born and die, and live my life in between?

TV : You are the Seeker of Truth. Zarathustra: I am the Seeker of Truth! TV : Thus Spake Zarathustra. SCENE 6 : From Descartes To Sartre Zarathustra: Someone once told me a story which did not entirely fail to comfort me. One day a philosopher named... (tries to remember name) One day a philosopher named... One day a philosopher came to the realization that every theory he hypothesized presupposed his own existence. That is to say, he had to assume he existed in order to accept that anything he said was true. Unable or unwilling to tolerate any assumptions whatsoever in his theories, he locked himself up in a room without food or water, saying he would emerge only when he could prove he existed! TV : What you have just heard is the philosophical equivalent to a bedtime story. The philosopher in question did nothing as romantic as starving himself. Rather, he addressed the question of existence in his book, “ Meditations on First Philosophy in Which is Proved the Existence of God and the Immortality of the Human Soul” . The title says it all. This book was designed to refute the doctrine of Aristotelian empiricism, in which the senses define reality, and put forward the idea that God defined reality, and all contradictions were embraceable in ultimate truth. And by the way, his name was... Zarathustra : René Descartes! That was his name! After several days of thinking, he was struck by a brilliant flash of inspiration. “ Cogito ergo sum! ” he said, which was in a language called Latin. Nobody speaks Latin anymore. Nobody spoke it anymore in those days either, but he said it in Latin anyway. He should have said it in French, for the simple reasons that he was French. In French it would sound like this : “ Je pense, donc je suis ” . In English it would sound like this : “ I think, therefore I am. ” TV : There is a fundamental flaw in your reasoning. Zarathustra : (Unsure who is speaking) I beg your pardon? TV : Your theory is designed to eliminate assumptions, but it in itself relies upon a basic assumption.

TV : Because you are the Poet.

Zarathustra : What assumption?

Zarathustra: (regaining his resolve) I am the Poet!

TV : “ Cogito ergo sum ” basically means, “ if I am capable of doubting my existence, then I must

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exist. ” The very concept of doubting your existence in itself assumes you have an existence to doubt. Descartes' theorem boils down to “ If I exist, then I exist.” A circular argument. Zarathustra : You're saying there is no proof that I exist. TV : I'm saying there is no proof of anything, if you define proof as a state of absolute truth not grounded in assumptions. Zarathustra : But I need proof! If I'm to find truth, I have to reduce everything down to a fundamental proof! TV : Whether or not that is true is another issue. Instead of only looking for proof, you might try seeking out axioms. Zarathustra : What's an axiom? TV : Axiom. Noun. The... Zarathustra : (Interrupting) Don't quote the dictionary at me. TV : Very well. An axiom is an assumption which does not require proof. Instead of eliminating all assumptions, it is often better to choose your assumptions... your axioms carefully. Zarathustra : How? TV : Take your “ cogito ergo sum ” , for example. It isn't the fact that you can doubt your existence, but the fact that you can ever not doubt your existence which is important. The fact that you are capable of doing something other than wonder “ do I exist?” all day, every day is crucial. Obviously you can. While this does not prove you exist, it gives you a sound basis for assuming you exist. A better version of Descartes' Theorem would be, “ I do not think, therefore I do not exist. ” Zarathustra : Who could possibly have been perverse enough to think that up?

such a simple word all my life, or am I just looking at it differently now?” Have you ever had that feeling? (Looks directly at audience) Have you? Don't just sit there in silence, I'm asking you a question. Just because you're over there and I'm over here doesn't mean we can't communicate... that's how wars start. (Approaches a member of the audience) Hi. What's your name? How are you? (Shakes hands) Oh, my name's Zarathustra. Well, no, that's not really my name, that's the name of the character I'm playing. Have you ever had that feeling of not recognizing a word? (addresses entire audience) See? He/she has had it and I've had it. That must mean something... I'm just not sure what. There's something we have in common, other than the fact that we're both alive, and here... I mean something... fundamental. I can't really describe it in words. Maybe that's it. Words aren't things, they're not concepts. Concepts are concepts, words are words. Words are just these sounds and these shapes we use to describe things, they aren't the things themselves. Words describe things you can see, they describe things you can't, they describe things that don't even exist, except... (points to head) in here. In here. How can something exist only in here... the concept is... mind-boggling, if that's not redundant. You know, sometimes I wonder about the mind. I mean, what survival value can it possibly have? Oh sure, humanity needed its mind to think of planting seeds in the ground and to think of using a stick to bash in an animal's head... but it didn't stop there. The mind made us think of bashing in each other's heads. Wasn't survival of the species one of Nature's priorities? It's the mind which makes people commit suicide, no other animal does that (the lemming story is a myth, by the way). It's the mind that makes us pay to sit in a dark theater watching a television set and an actor, for no particular purpose of survival! Sometimes I wonder if I just think too much. I mean, I keep running into people who don't seem to think at all. Oh sure, they think about what they're going to have for breakfast, or what time their doctor's appointment is at, but they don't think about thinking, if you know what I mean. The more questions I ask, the less answers I have. Sometimes I wonder why I ask questions at all.

TV : Jean-Paul Sartre. He was French, and he said it in French.

TV : Because you are the Poet.

SCENE 7 : Mere Words

Zarathustra : (resignedly) Oh yeah. I am the Poet.

Zarathustra : (To audience) Do I exist? Do I exist? Do I exist? Exist. Exist. (ponders for a beat.) Have you ever had the feeling, when you read or think about a word for a while, that you've never seen those particular letters in that particular order before? Like you look at a word, like, I don't know... foot, f-o-o-t, and you just don't recognize it and you ask yourself, “ Have I been misspelling

TV : You are the Seeker of Truth.

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Zarathustra : I am the Seeker of Truth. TV : You are Zarathustra. Zarathustra : If you say so.

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(Lights off on Zarathustra. TV directly addresses the audience) SCENE 8 : God Is Dead (Subordinately) TV : God is Dead. not : “ There is no God” , but “ God is Dead” , implying that God was, at some point alive. Who killed God? Everyone did. Science, philosophy, technology, art, religion. Obviously, people still believe in God. He is simply no longer the answer to every question. He has to find a new purpose in life, as do we all.

imagination? Zarathustra : I mean in a fundamental sense you don't exist. You are prerecorded and predetermined. You are incapable of real interaction. TV : So what are we doing now? Zarathustra : We are pretending to interact. Nothing I can possibly say will change anything you say. For instance : What is two plus two? TV : Four. What's your point?

(Lights up on Zarathustra, reading the same book from which he read at the beginning of the play) Zarathustra : “ Can it be possible? Has this old man not yet heard in his forest that...” TV : “ God is dead” ? One of the more profound statements ever to issue from the human mouth, or the human pen as it were, and it occurs in a subordinate clause. SCENE 9 : Po-Mo For A Mo Zarathustra : God is dead.

Zarathustra : If I had said, “ What is two plus three” , you still would have answered “ four ” ! TV : I am sticking to the script, as are you. You have no more “ post-determination” than I. Everything you say is as “ pre-recorded” as everything I say. Zarathustra : No! I am capable of improvisation. I can choose not to “ stick to the script” , but you can't. (To audience) Starting now, I am discontinuing this conversation. I will not say another word, but he will continue just as if I were still talking to him.

TV : Thus Spake Zarathustra. Zarathustra : (nodding) Thus I spake. (pause, to TV:) Who are you? TV : Who am I? Zarathustra : Who... are... you? It's not a very difficult question. Which three-letter word didn't you understand? TV : Who do you think I am? Zarathustra : That has no bearing on who you really are. TV : An obvious response would be, “ I am you” .

TV : (after a beat) Nice try. That was also in the script. Zarathustra : (looks around in desperation, then points to the person in the audience to whom he had spoken earlier). Your name is (person's name!) I spoke to you before! I can interact with you, and he can't. He has no way of knowing what your name is! (to TV) Tell me what (his/her) name is! You can't, can you? TV : From your tone of voice, one might suppose you think you've won some sort of victory. Zarathustra : Well I have!

Zarathustra : You are not me. I am me!

TV : Victory, noun. Defeat of an enemy or opponent in a battle or contest. See also Pyrrhic, adjective, a victory in which nothing is gained.

TV : All right then, I am a part of you. A reflection. An amalgam. A projection. A...

Zarathustra : What do you mean?

Zarathustra : You are nothing. I created you. TV : I'm sorry, Mr. Creator, but God is dead. Thus you spake. Zarathustra : You don't even exist! TV : You were so unsure of your own existence, now you're making blanket judgments about mine? What am I then, a figment of everyone's collective

TV : The only result of your “ victory” is the destruction of the audience's suspension of disbelief. Of course they know I am a prerecorded image, and of course they know we're not really interacting. We are, however, interacting just as much as if I were another actor. The audience is supposed to suspend their disbelief, they are supposed to forget that this is just a play, that these things aren't really happening, and observe with an open mind. You have now called to their attention

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everything they are supposed to ignore. Everything in any play is predetermined. In fact, this entire argument was predetermined. How is the audience supposed to believe anything you say now? You have eroded any reason they might ever have had to listen to you! And another thing. Who are you?

(TV rewinds)

Zarathustra : Who am I?

TV : We seem to be experiencing minor technical difficulties.

Zarathustra : (to audience) I'm sorry. We seem to be experiencing minor technical difficulties. (TV stops rewinding)

TV : Which three letter word...

Zarathustra : Then I'm still the poet.

(Sound Cue : A taped audio montage of samples of Zarathustra's voice saying “ We seem to be experiencing minor technical difficulties. The effect should be loud and chaotic Zarathustra is confused at first, then collapses in despair. The lights go on and off wildly. Finally, Zarathustra slams his fists onto the stage and everything stops.)

SCENE 10 : A Technical Problem

SCENE 11 : A Problem, Technically

TV : To be, or not to be.

Zarathustra : (crazily, to audience) What are you all looking at? Why are you staring at me? Why are you here? I've spent so much time asking myself that question. Why are you here? What possible reason could you have to coop yourselves up in this room and sit there for ages, just staring at me? What do you want from me? Entertainment? Education? I have nothing to give you, nothing to share with you. Go away and do something productive. God knows I'm not. Oh yeah, God is dead. Well you can see I'm not. Just stop staring at me. (to audience member) How about you? What are you doing here? I'll bet whatever reasons you could have possibly had for coming here, none of them included getting yelled at in the face!

Zarathustra : ...didn't I understand. I am the Poet. I am the Seeker of Truth. I am Zarathustra. TV : There is no truth. Not for you. Not here.

Zarathustra : That is the question. TV : Whether 'tis nobler in the mind to suff... (the TV turns to loud static. There is the sound of consternation backstage. Zarathustra breaks out of character for a second. The TV turns off and the stage lights go down.) Zarathustra : Lights, please. (Lights back up) Zarathustra : (continuing from where the TV left off.) Whether 'tis nobler in the mind to suffer the slings and arrows of outrageous fortune, or to take arms... (The TV turns back on to loud static, then turns off again.) Zarathustra : (to audience) I'm sorry. This scene won't work without the TV. (Looks in the wings to the technician.) TECHNICIAN : The machine ate the fuckin' tape.

TV : Oh, calm down. Zarathustra : Shut up. TV : What's wrong with you? Zarathustra : I want to die. TV : Death, noun. The end of life, human or... Zarathustra : I said shut up! TV : Why do you want to die?

Zarathustra : Well, let's move on to the next scene.

Zarathustra : Life has no meaning.

TECHNICIAN : It's on the same tape. Hold on, I'm loading the backup.

TV : You just realized that now? It hasn't stopped the rest of us from going on. Who do think you are?

(Long pause. TV turns back on, with proper image but in the wrong place)

Zarathustra : I'm Zarathustra! I'm the Poet, the Seeker of Truth!

TV : To die, to sleep, no more! And in that...

TV : You are an actor in a play. Zarathustra is a fictional character invented by Friedrich Nietzsche a few years before he was committed to an insane

Zarathustra : (to technician) Rewind!

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asylum. And if you don't mind my saying so, you look like you're headed the same way.

Zarathustra : ...and, by opposing, end them! (Points remote and TV and turns it off.)

Zarathustra : Shut the fuck up.

To die, to sleep.

TV : Fine. Shutting the fuck up.

(Sound cue : sample montage, as before, of the words To die, to sleep. Zarathustra recoils, finally screaming)

SCENE 12 : Alone Zarathustra : Who needs you? (to audience) And who needs you? I've got nothing else to say to you. I'm alone. Well, you're all here, but you don't count. You're not really here in any important sense, you're just getting some sort of sick pleasure by sitting there staring at me.

No more! TV : (turns back on by itself) And by a sleep to say we end the heartache and the thousand natural shocks that flesh is heir to. Zarathustra : 'Tis a consummation devoutly to be wished.

I'm alone. (Zarathustra approaches TV, reaches behind it and finds a remote control. He picks it up, ponders it for a moment, then slowly raises it until it points to his forehead. He closes his eyes, takes a deep breath, tenses and pushes the off button. Nothing happens)

TV : To die...

I can't turn myself off.

Zarathustra : Aye, there's the rub.

I can't turn myself off.

TV : For in that sleep of death what dreams may come...

I can't turn myself off! What’s wrong with me? I keep thinking, and keep thinking about thinking, and I keep asking why and thinking about asking why and asking why I think about why I ask why and I can't turn myself off! I'm alone.

Zarathustra : ...to sleep. To sleep... TV : Perchance to dream...

Zarathustra : ...when we have shuffled off this mortal coil... TV : ...must give us...

TV : Whether tis nobler in the mind to suffer...

Zarathustra : ...pause! (takes remote control and pauses TV) Must give us... rewind! (rewinds TV) Must give us fast forward! (fast-forwards, then recites as quickly as possible:) There's the respect that makes calamity of so long life. For who would bear the whips and scorns of time, the oppressor’s wrong, the proud man's contumely, the pangs of despised love, the law's delay, the insolence of office and the spurns that patient merit of the unworthy takes when he himself might his quietus make with a bare bodkin? Who would fardels bear, to grunt and sweat under a weary life but that the dread of something after death, the undiscovered country from whose bourn no traveler returns, puzzles the will and makes us rather bear those ills we have than fly to other we know not of? Thus conscience does make cowards of us all, and thus the native hue of resolution is sicklied o'er with the pale case of thought, and enterprises of great pitch and moment with this regard their currents turn awry and lose the name of action!

Zarathustra : ...suffer the slings and arrows of outrageous fortune...

Must give us... must give us... must give us STOP!!!

TV : ...or to take arms against a sea of troubles...

(He throws the remote control violently to the ground. The TV shuts off. After a moments

(Defeated, he sits on the stage floor.) SCENE 13 : Waxing Shakespearean TV : To be... (Long pause.) Zarathustra : ...or not to be. TV : That... Zarathustra : ...is... TV : ...the... Zarathustra : ...question!

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hesitation, he hurriedly picks up the remote and points it at the TV)

So I'll die now. But I'll do it backstage, if you don't mind. At least let me die in privacy.

Must give us... play? (nothing happens) Must give us.. on? (nothing happens) Must give us... (sighs)

Well, this is it, then. Goodbye. (He exits).

SCENE 14 : Zarathustra : Isn't Dead... Yet Zarathustra : (to audience) Does anyone have the time? Thank you. Well, time's almost up, its time for me to die. It's in the title. I have to die. Well, we all have to die, it's just that I have to do it right now. It's what's expected of me. It's the name of the play. It's why you're here. That's why you've all been sitting here in the dark, staring at me.

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TV : (Turns on) The play is ended. Go in peace. (Turns off).

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The end.

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Zarathustra est mort une pièce multimédia en un acte de David Gobeil Taylor Personnages Zarathustra, un poète du 19ème siècle en quête de vérité. TV, la tête et les épaules de Zarathustra enregistrées et lues sur un écran de télévision. Parfois ennemie, parfois alliée, toujours la version cynique et moderne de l’esprit de Zarathustra.

l’éternelle réalité spirituelle sainte, omnipotente, invisible, inéchangeable, parfaite, infinie ; présentée comme créateur, carburant, juge, souverain et rédempteur de l’univers.

Scène 1 : Ainsi parlait la télévision.

(Les lumières s’allument sur Zarathustra qui se tient debout.)

(La scène est sombre. La télévision est placée sur un piédestal, sur la gauche, à hauteur d’homme. À droite, Zarathustra est assis sur un tabouret, il lit un livre lorsque le public entre. La télévision s’allume et parle. Zarathustra, qui lit les mêmes mots que prononcent la télévision, bouge ses lèvres en synchronisation avec la télévision.) TV : “ Et que fais-tu dans la forêt ? ” demanda Zarathustra. L’ermite répondit “ J’écris des chansons et je les chante, et lorsque j’écris des chansons, je ris, je pleure et je bougonne : ainsi je prie Dieu. En chantant, pleurant et bougonnant, je prie le Dieu qui est mon Dieu. Mais quel cadeau m’apportes-tu ? ” Quand Zarathustra entendit ces mots, il salua le saint homme et dit “ Je n’ai rien à te donner ! Je devrais même plutôt partir au plus vite pour ne rien te prendre ! ” Et ainsi ils quittèrent les lieux, le vieil homme et Zarathustra, riant comme deux garçons rient. Mais lorsque Zarathustra fut seul, il parla ainsi à son cœur : “ Est-ce possible ? Ce vieil homme dans la forêt ne sait-il toujours pas que... ” Zarathustra : (à haute voix)... Dieu est mort ? ” (Zarathustra est déconcerté par ce qu’il vient de dire. Il regarde le plafond comme pour s’excuser tandis que la lumière s’éteint petit à petit sur lui.) Scène 2 : Le poète, le quêteur de vérité. TV : Dieu. Nom. La réalité suprême ou ultime ; la divinité conçue à la fois en théologie, en philosophie et en religion comme

Zarathustra : (dans le noir) Dieu est mort ! TV : Ainsi parlait Zarathustra.

Zarathustra : Je suis le Poète ! TV : Poète. Nom. Personne qui écrit en vers pour formuler son expérience active, imaginaire et concentrée du langage, arrangée pour composer une réponse émotionnelle par le biais du sens, du son et du rythme. Zarathustra : Je suis le quêteur de Vérité ! TV : Vérité. Nom. La propriété dans une conception, un jugement, une affirmation, une proposition, une croyance ou une opinion qui se conforme avec les faits ou la réalité. (Le signal sonore : Ainsi Parlait Zarathustra, de Richard Strauss, monte en puissance.) Zarathustra : Je suis Zarathustra ! (Tandis que la bande sonore est lue, les lumières baissent sur la scène. Zarathustra regarde tout autour de lui de façon confuse pour trouver d’où vient cette intrusion, jusqu’à ce qu’il soit totalement dans le noir.) Scène 3 : De Nietzsche à Strauss à Kubrick. TV : (après que la bande sonore se soit tue) Ce que vous venez d’entendre s’intitule Ainsi parlait Zarathustra, composé en 1896 par Richard Strauss, inspiré par le livre du même nom de Friedrich Nietzsche. Ceux d’entre vous qui ne sont pas connaisseurs en ce qui concerne la musique classique de la fin du 19ème siècle auront peut-être néanmoins reconnu cette œuvre utilisée dans le film 2001 : l’odyssée de l’espace réalisé en 1968

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par Stanley Kubrick. Le fait d’avoir utilisé ce morceau de Strauss lui a donné la possibilité d’être écouté par les oreilles de millions de personnes de plus qu’il ne lui aurait été autrement offert ; dans ce processus néanmoins, on lui a enlevé toute l’analogie thématique qu’il entretenait avec sa source d’inspiration, et de ce fait, son sens et sa raison. On ne peut que spéculer au sujet de la réaction qu’aurait eu Strauss s’il avait eu vent qu’un des plus grands chefs-d’oeuvre qu’il ait jamais écrit soit ainsi utilisé à son avantage comme musique de film, soixante-douze ans après, on peut par contre peut-être mieux cerner ce qu’aurait été la réaction de Nietzsche. Il n’est pas impossible qu’il ait apprécié. Le sens et la raison priment dans l’œuvre de Nietzsche et, comme le disait un grand philosophe, des années après la mort de Nietzsche, comment mieux prouver l’existence de quelque chose qu’à travers son absence ? Scène 4 : Un Syllogisme. Zarathustra : Un syllogisme. Je suis un concept ; je suis une personne. Je suis un concept ; je suis un homme. Je suis un concept, j’ai un esprit ; je suis un homme, j’ai un pénis et deux testicules. Je suis un concept, j’ai un esprit : je pense donc je suis ; je suis un homme, j’ai un pénis et deux testicules. Je pense donc je suis : j’existe ; j’existe donc j’ai une raison d’être ; je suis un concept ; je suis un homme ; j’ai un pénis et deux testicules. J’existe, j’ai une raison d’être ; j’ai un pénis et deux testicules, ils ont une raison d’être. (Les lumières s’éteignent rapidement) Scène 5 : Pourquoi ? TV : Le plus grand principe et le plus néfaste maléfice que l’humanité ait jamais engendré est sa capacité et son besoin de poser des questions. L’humanité ne peut voir ni sentir ni concevoir quoi que ce soit sans poser la question : (Les lumières éclairent rapidement Zarathustra qui tient une pomme) Zarathustra : (montrant la pomme) Pourquoi ? TV : Parfois, il lui arrive de trouver une réponse qu’elle utilise à son avantage.

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(Zarathustra croque dans la pomme et mange le morceau qu’il vient de lui arracher, satisfait.) TV : Parfois, elle se pose la même question : Zarathustra : (perd son intérêt pour la pomme et se met à gesticuler en se montrant) Pourquoi ? TV : Et n’y trouve pas de réponse, alors elle en invente une... et l’utilise à son avantage. L’humanité invente la réponse dont elle a besoin : La religion, Dieu, la philosophie, la vérité, l’art... le théâtre. Zarathustra : Pourquoi ? Pour - quoi... pourquoi. Un simple mot de deux syllabes, mais quelle interrogation... Je suppose que la plus profonde, ou au moins la plus élémentaire forme de question est “ pourquoi suis-je ici ? ” Je ne veux pas dire ici, sur la scène, en face de vous, dans ce théâtre, mais... ici, en tant que période. Bien que je suppose que quiconque ait quelque chose à faire ici bas, parmi les siens. Pourquoi suis-je ici ? Quel est mon but ? Beaucoup d’entre nous se sont posé ces questions, mais aucun n’a jamais trouvé la réponse universelle, aussi je pense qu’il est plutôt vain de penser que j’en suis moi-même capable. Peut-être que la réponse est de moindre importance face à la question ellemême. Pourquoi devrais-je avoir besoin de savoir pourquoi je suis là ? Pourquoi ai-je besoin d’un but ? Ne puis-je donc pas simplement naître et mourir, et vivre ma vie entre ces deux instants ? TV : Tu es le Poète. Zarathustra : (à nouveau résolu) Je suis le Poète ! TV : Tu es le Quêteur de Vérité. Zarathustra : Je suis le Quêteur de Vérité ! TV : Ainsi parlait Zarathustra. Scène 6 : De Descartes à Sartre Zarathustra : Un jour, quelqu’un m’a raconté une histoire qui ne m’a pas complètement déplu. Un jour, un philosophe nommé... (il tente de se souvenir du nom). Un jour, un philosophe nommé... Un jour un philosophe a réalisé que toutes les théories qu’on lui avait

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inculqué présupposaient sa propre existence. C’est à dire qu’il devait admettre son existence afin d’accepter que quoi qu’il dise soit vrai. Incapable ou ne voulant pas tolérer quelque hypothèse que ce soit dans ses théories, il s’enferma dans une pièce sans nourriture ni eau, en disant qu’il ne sortirait que lorsqu’il serait en mesure de prouver qu’il existait ! TV : Ce que tu viens d’entendre n’est que la version philosophique d’une histoire pour dormir. Le philosophe en question n’a jamais rien fait de si romantique comme de jeûner ainsi. Il a plutôt posé cette question fondamental dans son ouvrage Méditations métaphysiques, où l’on prouve l’existence de Dieu et l’immortalité de l’âme humaine. Le titre lui seul indique le sujet. Ce livre a été écrit pour réfuter la doctrine de l’empirisme d’Aristote, dans laquelle les sens définissent la réalité, et pour mettre en avant que seul Dieu définit la réalité, et toutes les contradictions étaient envisageable en vérité ultime. Et d’ailleurs, son nom était... Zarathustra : René Descartes ! C’était son nom ! Après plusieurs journées de réflexion il fut touché par un éclair de génie. “ Cogito ergo sum ! ” dit-il, dans une langue appelée le latin. Personne ne parle plus le latin. Personne ne le parlait plus en ces temps non plus mais bon, il l’a dit en latin. Il aurait dû la dire en français dès l’instant qu’il était français. En français, ç’aurait donné quelque chose comme : “ Je pense donc je suis ! ” . En anglais : “ I think, therefore I am ” . TV : Il y a une imperfection fondamentale dans ton raisonnement. Zarathustra : (incertain de savoir qui lui parle) Je te demande pardon ? TV : Ta théorie est censée éliminer les hypothèses, mais elle repose elle-même sur une hypothèse de base. Zarathustra : Quelle hypothèse ? TV : “ Cogito ergo sum ” veut simplement dire “ si je suis capable de douter de mon existence, je dois exister. ” Le seul concept de douter de son existence en soi suppose que tu as une existence de laquelle tu peux douter. Le théorème de Descartes se résume bêtement à “ Si j’existe, j’existe ” . Un argument circulaire.

Zarathustra : Tu es en train de me dire qu’il n’y a aucune preuve que j’existe. TV : Je veux dire qu’il n’y a aucune preuve pour rien, si la preuve est définie comme quelque chose d’absolument certain et non basé sur des hypothèses. Zarathustra : Mais j’ai besoin de preuve ! Si je dois trouver la vérité, je dois tout ramener à une preuve fondamentale ! TV : Savoir si cela est vrai ou faux est une autre question. Au lieu de chercher des preuves, tu devrais peut-être chercher des axiomes. Zarathustra : C’est quoi un axiome ? TV : Axiome. Nom. Le... Zarathustra : (l’interrompant) Ne me récite pas le dictionnaire. TV : Très bien. Un axiome est une hypothèse qui ne nécessite pas d’être prouvée. Au lieu d’éliminer toutes les hypothèses, il est toujours préférable de choisir ses propres hypothèses... ses axiomes prudemment. Zarathustra : Comment ? TV : Prends par exemple ton “ Cogito ergo sum ” . Ce n’est pas le fait que tu puisses douter de ton existence qui est important, mais le fait que tu ne puisses jamais douter de ton existence. Le fait que tu sois capable de faire autre chose que de te demander toute la journée, tous les jours “ Est-ce que j’existe ? ” est crucial. Apparemment, tu en es capable. Encore que cela ne prouve pas que tu existes, cela te donne un principe de base pour supposer que tu existes. Une version plus juste du théorème de Descartes serait, “ Je ne pense pas, donc je ne suis pas. ” Zarathustra : Qui a pu être suffisamment pervers pour penser à ça ? TV : Jean-Paul Sartre. Un Français, qui s’exprimait en français. Scène 7 : Des mots simples Zarathustra : (Au public) Est-ce que j’existe ? Est-ce que j’existe ? Est-ce que j’existe ? Exister. Exister. (Il s’arrête un

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instant.) Vous est-il déjà arrivé de ressentir cette chose curieuse lorsque vous lisez ou pensez à un mot en particulier et qu’il vous semble que vous n’aviez jamais vu ces lettres dans cet ordre auparavant ? Comme lorsque vous prenez un mot, comme, je ne sais pas... pied, p-i-e-d, et vous ne le reconnaissez pas et vous vous dites : “ Est-ce que j’ai mal orthographié ce mot durant toute ma vie, ou bien est-ce que je le regarde d’un angle différent aujourd’hui ? ” Avez-vous déjà ressenti cela ? (Il regarde le public en face) Alors ? Ne restez pas là silencieusement assis, je vous pose une question. Ce n’est pas parce que vous vous trouvez là-bas, et que je me tiens ici que nous ne pouvons pas communiquer... c’est ainsi que les guerres commencent. (Il s’approche d’un spectateur). Salut ! Comment vous appelez-vous ? Comment allez-vous ? (Il lui serre la main). Oh, je m’appelle Zarathustra. Enfin non, ce n’est pas mon vrai nom, c’est le nom du personnage que je joue. Avez-vous déjà eu l’impression de ne pas reconnaître un mot ? (Il s’adresse à tout le public). Vous voyez ? Il a déjà eu cette impression et moi aussi. Ça doit vouloir dire quelque chose... Je ne suis pas certain de savoir quoi. Nous avons quelque chose en commun, quelque chose d’autre que le fait que nous soyons vous et moi vivants, et ici... Je pense à quelque chose de... fondamental. Je n’arrive pas à décrire ce que c’est avec des mots. Peut-être que c’est ça. Les mots ne sont pas des choses, ce ne sont pas des concepts. Les concepts sont des concepts, et les mots sont des mots. Les mots sont simplement ces sons et ces formes que nous utilisons pour décrire les objets, ils ne sont pas ces choses eux-mêmes. Les mots décrivent ce que vous pouvez voir, et ce que vous ne pouvez pas voir, ils décrivent même des choses qui n’existent pas, sauf... (en montrant sa tête) ici. Ici. Comment quelque chose ne pourrait exister qu’ici... le concept est... un casse-tête, si ce n’est pas trop redondant. Vous savez, parfois, je m’interroge au sujet de l’esprit. Je veux dire, quelle valeur peut-il avoir ? Oh, bien sûr, l’humanité a besoin de son esprit rien que pour planter des graines dans la terre et pour penser à utiliser un bâton pour cogner sur la tête des animaux... mais ça ne s’est pas arrêté là. L’esprit nous a fait penser à nous cogner sur la tête les uns les autres. Est-ce que la survie de l’espèce n’était pas l’une des priorité de Dame Nature ? C’est l’esprit qui pousse au suicide, aucun autre animal ne fait ça (l’histoire du

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lemming n’est qu’un mythe). C’est l’esprit qui nous fait payer pour aller nous asseoir dans des théâtres sombres et regarder un écran de télévision et un acteur, pour aucune raison particulière de survie ! Parfois, je me demande si je pense trop. Je veux dire que souvent, je croise des gens qui ne pensent pas du tout. Oh, bien sûr, ils pensent à ce qu’ils vont manger au petit déjeuner, ou à l’heure à laquelle est leur rendez-vous chez le médecin, mais ils ne pensent pas à penser, si vous voyez ce que je veux dire. Plus je pose de questions, moins j’ai de réponses. Parfois, je me demande tout bonnement pourquoi je pose des questions. TV : Parce que tu es le Poète. Zarathustra : (Résigné). Parce que je suis le Poète. TV : Parce que tu es le Quêteur de vérité. Zarathustra : Je suis le Quêteur de vérité. TV : Tu es Zarathustra. Zarathustra : Si tu le dis. (La lumière s’éteint sur Zarathustra. TV s’adresse directement au public.) Scène 8 : Dieu est mort (par délégation) TV : Dieu est mort. Non pas : “ Dieu n’existe pas ” , mais “ Dieu est mort ” , signifiant que Dieu a existé, en quelque sorte a vécu. Qui a tué Dieu ? Tout le monde. La science, la philosophie, la technologie, l’art, la religion. Évidemment, les gens continuent de croire en Dieu. Il n’est simplement plus la réponse à toutes les questions. Il doit trouver une autre raison d’être, et de vivre, comme tout un chacun. (Les lumières reviennent sur Zarathustra qui lit le même livre qu’il lisait au début de la pièce.) Zarathustra : “ Est-ce possible ? Est-ce que ce vieil homme dans la forêt ne sait pas encore que... ” TV : “ Dieu est mort ? ” L’une des plus profondes affirmations qui soit jamais sortie d’une bouche humaine, ou du stylo humain peut-être, engendrée par délégation. Scène 9 : Po-Mo pour un Mo

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Zarathustra : Dieu est mort.

Tout ce que tu dis est tout autant enregistré que ce que je dis.

TV : Ainsi parlait Zarathustra. Zarathustra : (Hochant la tête) Ainsi ai-je parlé. (S’arrête, s’adresse à TV). Qui es-tu ? TV : Qui suis-je ? Zarathustra : Qui... es... tu ? Ce n’est pas une question terriblement difficile. Quel mot n’astu pas compris ? TV : Qui crois-tu que je sois ?

Zarathustra : Non ! Je suis capable d’improviser. Je peux choisir de ne pas “ suivre le texte ”, mais pas toi. (Au public). À partir de maintenant, je ne continuerai pas cette conversation. Je ne dirai plus un seul mot, mais il continuera de me répondre comme si je lui parlais. TV : (Après un instant) Bien essayé. Mais ça aussi faisait partie du texte.

Zarathustra : Tu n’es pas moi. Je suis moi !

Zarathustra : (regarde autour de lui, désespéré, puis pointe du doigt le spectateur ou la spectatrice à qui il a parlé auparavant). Votre nom est (le nom de la personne !) Je vous ai déjà parlé ! Je peux interagir avec vous, pas lui. Il ne peut d’aucune façon savoir quel est votre nom ! (À TV :) Dis-moi quel est son nom ! Tu ne peux pas, n’est-ce pas ?

TV : D’accord, je suis une partie de toi. Un reflet. Un amalgame. Une projection. Un...

TV : Au son de ta voix, on pourrait supposer que tu penses avoir remporté une victoire.

Zarathustra : Tu n’es rien. Je t’ai créé.

Zarathustra : Et bien j’ai remporté une victoire !

Zarathustra : Ça n’a rien à voir avec ce que tu es réellement. TV : Une réponse évidente serait : “ Je suis toi ”.

TV : Désolé monsieur le créateur, mais Dieu est mort. Tu l’as dit toi-même. Zarathustra : Tu n’existes même pas ! TV : Tu étais si incertain de ta propre existence que tu émets un jugement dérisoire au sujet de la mienne. Que suis-je donc, alors ? Une création de l’imagination collective de chacun ? Zarathustra : Je veux dire que dans un sens fondamental tu n’existes pas. Tu es enregistré et prédéterminé. Tu es incapable d’interagir. TV : Alors, qu’allons-nous faire à présent ? Zarathustra : Nous prétendons interagir. Rien de ce que je puisse dire ne pourra influer sur ce que tu répondras. Par exemple, si je dis deux plus deux ? TV : Quatre. Où veux-tu en venir ? Zarathustra : Si j’avais dis : “ deux plus trois ” , tu aurais toujours répondu “ quatre ” ! TV : Je suis le texte, tout comme toi. Tu n’as pas plus de “ post-détermination ” que moi.

Zarathustra : Victoire, nom. Défaire un ennemi ou un opposant dans une bataille ou un championnat. Voir aussi Phyrric, adjectif, victoire dans laquelle rien n’est gagné. Zarathustra : Que veux-tu dire ? TV : Le seul résultat de ta “ victoire ” c’est la destruction de l’incrédulité du public. Bien sûr, ils savent que je suis une image enregistrée et bien sûr qu’ils savent que nous ne sommes pas vraiment en train d’interagir. Nous interagissons néanmoins, tout comme si j’étais un autre acteur. Le public est supposé suspendre son incrédulité, il est supposé oublier que ce n’est qu’une pièce, que tout ça n’arrive pas vraiment et nous observer avec ouverture. Tu l’as maintenant amené à connaître tout ce qu’il était censé ignorer. Tout dans une pièce de théâtre est prédéterminé. En fait, tout argument est prédéterminé. Comment le public va-t-il croire quoi que ce soit que tu puisses dire maintenant ? Tu as éteint toute raison qu’il ait jamais pu avoir de t’écouter ! Et autre chose. Qui es-tu ? Zarathustra : Qui je suis ?

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TV : Quel mot... Zarathustra : ... n’ai-je pas compris ? Je suis le Poète. Je suis le Quêteur de vérité. Je suis Zarathustra. TV : Il n’y a pas de vérité. Pas pour toi. Pas ici. Zarathustra : Et alors, je suis toujours le Poète. Scène 10 : Un problème technique. TV : Être ou ne pas être ZARATHUSTRA : C’est là la question. TV : Est-il plus noble pour l’esprit de souff... (Sur l’écran de TV apparaissent des parasites. Un grésillement. Des voix consternées se font entendre en coulisse) Zarathustra sort de son rôle quelques instants. La TV s’éteint et les lumières aussi.) ZARATHUSTRA : Lumières, s’il vous plaît. (Les lumières reviennent) ZARATHUSTRA : (Reprend où TV avait laissé son dialogue.) Est-il plus noble pour l’esprit de souffrir la fronde et les flèches de l’outrageant hasard, ou de prendre les armes... (Sur l’écran de TV réapparaissent des parasites, puis elle s’éteint à nouveau.) ZARATHUSTRA : (Au public) Je suis navré. Cette scène ne pourra pas se faire sans la TV. (Il regarde en coulisse si le technicien arrive). Technicien : La machine a bouffé la putain de cassette. ZARATHUSTRA : Et bien avançons à la prochaine scène. Technicien : C’est sur la même cassette. Attendez, j’enclenche le retour manuel. (Un long silence. TV rembobine, avec une bonne image mais pas au bon endroit). TV : Mourir, dormir, plus jamais ! Et dans cet...

ZARATHUSTRA : (Au Technicien) Rembobinez ! (TV rembobine) ZARATHUSTRA : (Au public) Je suis désolé. Il semble que nous ayons quelques problèmes techniques. (TV arrête de rembobiner) TV : Il semble que nous ayons quelques problèmes techniques. (Réplique Sonore : Un montage sur cassette audio d’extraits de la réplique de Zarathustra : “ Il semble que nous ayons quelques problèmes techniques. ”. L’effet doit être fort et chaotique. Zarathustra ne comprend pas d’abord, puis se laisse tomber par terre de désespoir. Les lumières s’allument et s’éteignent subitement. Enfin, Zarathustra frappe du poing contre le sol et tout s’arrête.) Scène 11 : Un problème, techniquement ZARATHUSTRA : (Sauvagement, au public) Qui est-ce que vous regardez ? Pourquoi me regardez-vous ? Pourquoi êtes-vous là ? J’ai passé tellement de temps à me poser cette question. Pourquoi êtes-vous là ? Pour quelle raison vous êtes-vous engouffrés dans cette pièce pour vous y asseoir pendant des heures, simplement pour me regarder ? Que voulezvous de moi ? Du divertissement ? Du savoir ? Je n’ai rien à vous donner, rien à vous faire partager. Partez, et faites quelque chose de concret. Dieu seul sait que je ne fais rien de concret, moi. Oh c’est vrai, Dieu est mort. Et bien, comme vous le voyez, pas moi. Arrêtez simplement de me regarder. (À un spectateur) Vous là, que faites-vous là ? Je parie que quelque soit la raison pour laquelle vous êtes venu(e), vous n’aviez aucunement envie de vous faire crier après ! TV : Oh, du calme. ZARATHUSTRA : La ferme. TV : Qu’est-ce qu’il y a ? ZARATHUSTRA : Je veux mourir. TV : Mort, nom. Fin de la vie humaine, ou... ZARATHUSTRA : J’ai dit “ la ferme ! ”

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TV : Pourquoi veux-tu mourir ?

Scène 13 : l’obnubilant Shakespeare

ZARATHUSTRA : La vie n’a aucun sens.

TV : Être...

TV : Tu viens juste de t’en apercevoir ? Ça n’a pas empêché le reste d’entre nous de continuer à vivre. Qui crois-tu être ?

(Long silence)

ZARATHUSTRA : Je suis Zarathustra ! Je suis le Poète, le Quêteur de vérité !

TV : C’est...

TV : Tu n’es qu’un acteur dans une pièce de théâtre. Zarathustra est un personnage fictif, créé par Friedrich Nietzsche quelques années avant qu’il ne soit interné dans un hôpital psychiatrique. Et sauf ton respect, il me semble que tu suis le même chemin. ZARATHUSTRA : Ferme ta gueule ! TV : Bien. Fermer la gueule.

Zarathustra : ... ou ne pas être.

Zarathustra : ... la... TV : ... la... Zarathustra : ... question ! TV : Est-il plus noble pour l’âme de souffrir... Zarathustra : ...souffrir la fronde et les flèches de l’outrageant hasard... TV : ... ou de prendre les armes contre une marée de douleurs...

Scène 12 : Seul Zarathustra : Qui a besoin de toi ? (Au public) Et qui a besoin de vous ? Je n’ai plus rien à vous dire d’autre. Je suis seul. Enfin, vous êtes tous là, mais ça ne compte pas. Vous n’êtes pas vraiment là, dans un sens, vous prenez juste un plaisir malsain à me regarder, en restant assis là.

Zarathustra : ... et de les arrêter par une révolte ! (Pointe TV de la télécommande et l’éteint.) Mourir, dormir.

Je suis seul.

Rien de plus !

(Zarathustra approche de TV, passe derrière elle et trouve une télécommande. Il l’empoigne, la considère un instant, puis la soulève doucement jusqu’à sa tempe. Il ferme les yeux, inspire profondément, se raidit et pousse le bouton “ off ”. Rien ne se passe).

TV : (se rallume d’elle-même) Et dire que par ce sommeil nous mettons fin aux maux du cœur et aux mille tortures naturelles que sont les legs de la chair.

Je ne peux pas m’éteindre !

Zarathustra : ... dormir. Dormir...

Je ne peux pas m’éteindre ! Qu’est-ce qui ne va pas chez moi ? Je ne peux pas m’empêcher de penser à penser, et je ne peux pas m’empêcher de me demander pourquoi et de penser à me demander pourquoi et me demander pourquoi je pense à me demander pourquoi et je ne peux pas m’éteindre !

(Défait, il s’assoit sur le sol).

Zarathustra : C’est là un dénouement qu’on doit souhaiter avec ferveur. TV : Mourir...

Je ne peux pas m’éteindre !

Je suis seul.

(Puissance du volume : montage de la réplique “ mourir, dormir ”. Zarathustra recule puis crie :)

TV : Peut-être rêver... Zarathustra : Par là est l’embarras. TV : Car quels rêves peut-il nous venir dans ce sommeil de la mort... Zarathustra : ...quand nous sommes débarrassés de l’étreinte de cette vie... TV :... voilà qui doit nous...

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Zarathustra : ... arrêter ! (saisit la télécommande et met TV en veille) Doit nous... rembobiner ! (Il rembobine TV) Doit nous faire avancer rapidement ! (Appuie sur “ avance rapide ”, puis récite aussi vite que possible). C’est cette réflexion-là qui nous vaut la calamité d’une si longue existence. Qui, en effet, voudrait supporter les flagellations et les dédains du monde, l’injure de l’oppresseur, l’humiliation de la pauvreté, les angoisses de l’amour méprisé, les lenteurs de la loi, l’insolence du pouvoir, et les rebuffades que le mérite résigné reçoit d’hommes indignes, s’il pouvait en être quitte avec un simple poinçon ? Qui voudrait porter ces fardeaux, grogner et suer sous une vie accablante, si la crainte de quelque chose après la mort, de cette région inexplorée, d’où nul voyageur ne revient, ne troublait la volonté, et ne nous faisait supporter les maux que nous avons par peur de nous lancer dans ceux que nous ne connaissons pas ? Ainsi la conscience fait de nous tous des lâches ; ainsi les couleurs natives de la résolution blêmissent sous les pâles reflets de la pensée ; ainsi les entreprises les plus énergiques et les plus importantes se détournent de leur cours, à cette idée, et perdent le nom d’action ! Doit nous... doit nous... doit nous ARRÊTER ! ! !

télécommande et la pointe vers TV.) Doit nous... allumer ? (Rien ne se passe). Doit nous... connecter ? (Rien ne se passe). Doit nous... (Soupir). Scène 14 : Zarathustra n’est pas mort... pas encore. Zarathustra : (Au public) Est-ce que quelqu’un a l’heure ? Merci. Eh bien, c’est bientôt l’heure, l’heure que je meure. C’est dans le titre. Je dois mourir. Oui, ben nous devons tous mourir, simplement, je dois mourir précisément maintenant. C’est ce qu’on attend de moi. C’est le nom de la pièce. C’est ce pour quoi vous êtes là. C’est ce pour quoi vous avez tous passé des heures assis là dans le noir, à me regarder. Alors, je vais mourir, maintenant. Mais je préfère mourir en coulisses, si ça ne vous fait rien. Laissez-moi au moins mourir en privé. Bon, et bien, voilà quoi. Au revoir. (Il sort). TV : (s’allume) La pièce est terminée. Partez en paix. (Elle s’éteint).

(Il jette la télécommande violemment par terre. TV s’éteint complètement. Après un moment d’hésitation, il saisit frénétiquement la

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Fin.

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Notes Lorsque Stéphane Heude nous avait dit qu’elle allait disparaître, je me suis dit : “ Bon, ben tant pis ! ”. Depuis, l’association Hadès nous a fait parvenir un ancien exemplaire de la revue Rose noire qu’elle publie(ait), et je me sens tout con... À ce niveaulà, ce n’est plus une revue : c’est une œuvre d’art. La présentation générale d’abord : une pochette à rabat, décorée, cartonnée, illustrée et sur laquelle on peut lire le prix, dérisoire, 35 francs l’exemplaire. Ouvrez et vous en avez plein la vue. Le sommaire, tel le découpage scénique d’une pièce de théâtre, s’étale nonchalamment devant vos yeux. Dans la pochette, la revue, une fiche sur l’actualité littéraire consacrée exclusivement aux fanzines et des planches de dessins et de photos reproduits artistiquement et brillamment. Cette Rose noire-là, la cinquième livraison, datée de l’été 1998 était dédiée au costume. On y

découvre des textes de tous poils : littéraire, analyses sociologiques, commentaires historiques, philosophiques... c’est un vrai régal. Peut-être est-il trop tard pour soutenir encore l’association Hadès et plus particulièrement la revue Rose noire, et sans doute aurait-il mieux valu le faire avant ; je l’aurais au moins fait à titre posthume, et je m’en excuse le plus platement. Maintenant, vouloir diffuser une revue d’un tel calibre coûte très cher sans doute, vu ce que nous coûte Mauvaise Graine. Peut-être Hadès reviendra-t-elle avec un produit plus “ chiche ” mais de qualité identique et alors elle pourra renaître tel le phoenix... (Eh, il est pas poète pour rien le mec !) L’autre petit plaisir de l’analyste illusoire que je suis, c’est le trimestriel Rézine qui, en l’espace de 6 numéros, a su s’attirer les faveurs du public des auteurs,

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éditeurs et revuistes. Menée d’une main de maître par Xavier Lardy, l’association éditrice d’informations concernant tous les domaines du fanzinat est, je radote, un outil précieux, une mine d’or pour tous ceux qui veulent en savoir toujours plus sur leurs fanzines préférés. Un article spécial sur la nuit du palmarès off à Angoulême. Continuez les gars, nous autres de MG adorons réellement ce que vous faites. Ah mais oui ! J’allais oublier ! Le site de Rézine existe enfin, depuis peu, mais il existe, en voici l’adresse... www.mellecom.fr/rezine  rezine@mellecom.fr Rézine, Xavier Lardy, 30 rue des Souterrains, 79370 Fressines. France. Alexandre, la revue de “ littérature polycontemporaine ”, dirigée par André Murcie nous a contactés. J’en suis plutôt content. Dans le ton d’autres revues de notre sphère

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(elle est très proche de MG par le format et les textes publiés), elle a su nous convaincre avec sa 46ème livraison datée de décembre 1998 et je crois que nous en reparlerons dans quelques temps, le temps pour nous de nous en faire une idée plus précise. Vous pouvez néanmoins le contacter si vous vous sentez la fibre d’un contestataire. Alexandre, André Murcie, 48 rue d’Esternay, 77160 Provins. France. Comme tous les mois, nous avons reçu la lettre poétique Dockernet, ainsi que Libellé. La qualité de ces deux revues qui sont fort semblables autant par l’esprit que par le format est toujours aussi irréprochable. Dockernet, Harry Wilkens, 86 rue de

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Montbrilant 1202 Genève. Suisse  hwilkens@worldcom.ch Libellé, Michel Prades, 7 rue Jules Dumien, 75020 Paris. France. Ouuupppsss ! ! Évidemment, évidemment. Salmigondis 9 est loin de me décevoir et je devrais parfois revoir à deux fois mes notes, comme celle publiée - oserais-je dire à leur encontre - dans le numéro 33 de Mauvaise Graine. Ce dernier numéro (qui date néanmoins de mars 1999 car, et il faut le rappeler, Salmigondis est une revue trimestrielle) rachète le précédent. On y retrouve l’excellence de Jan bardeau, à [re]découvrir dans MG le mois prochain, le talent parfois caché de Matthieu Baumier que nous avions accueilli

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parmi nous et toute une foule éclectique d’auteurs, ce qui peut donc cette fois justifier le sous-titre de “ la revue des éclectismes ” qui présente bien et s’est réellement imposée dans le monde littéraire de la small-press. Salmigondis, Roland Fuentès, 7 rue Jean Eyrhal, 13200 Arles. France. www.bigfoot.com/~salm igondis Enfin, pour finir, juste un clin d’œil amical à notre ami Régis Gathier, qui vient d’autoéditer pour ses amis Petit Melting-Pot où sont regroupés, enfin recueillis quoi ! tous ses poèmes publiés ici et là, ou non. Un délice.

Walter


Feedback Nous commençons à nous demander si quelqu’un nous déteste. J’ai parfois l’impression, et Bruno plus que moi vraiment, que nous prenons plaisir à nous faire passer de la pommade par nos lecteurs adorés... Que nenni ! Vous nous aimez, nous vous aimons, peace brother, peace sister, all we need is love... ! Alors commençons donc ce Feedback par quelques mots de Jean-Pierre Baissac qui vous remercie de l’élan de passion méritée et fort attendue que vous avez communiqué après la lecture de ses textes parus dans le numéro 33. Puis, comme à l’accoutumée, un panache des différentes réactions suite au dernier numéro Spécial America. “ Les réactions de nos lecteurs à MG n° 33 constituent ce qu’un artiste peut espérer de mieux de son public. Je n’ai pas la prétention de ciseler des joyaux... juste, peut-être, l’espoir de voir apprécier, aussi, quelques-uns de mes textes “ joyeux ” - car il y en a -, soucieux que je suis de ne pas me laisser enfermer dans un blues qui n’est chez moi, cyclothymique accentué, que ponctuel. Je suis évidemment sensible aux efforts que vous déployez pour faire connaître mon travail et, vous le soulignez, les idées qui vont avec. Car, joyeux ou destroy, mes textes sont sous-tendus par une même idéologie libertaire, par une même exaltation de la singularité, par une même dénonciation des injustices résultant de la connerie publique. À nouveau un grand merci à vous tous, et à Stéphane Heude en qui l’on sent la passion militante d’un vrai défenseur de l’écrit underground. .../... Il est heureux de pouvoir lire les poèmes américains publiés dans le N°34 en VO - même si on maîtrise très approximativement la langue - et

en français. Ma préférence va indubitablement à Nathalie Y, avec sa “ plongée dans le merveilleux ”, qui s’inscrit dans une écriture américaine à la fois très actuelle, et empreinte d’un “ intimisme vertigineux ” rappelant les poètes de la Beat Generation. ”

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Jean-Pierre Baissac, Saint Vallier de Thiey (06)“ Tu l’auras peut-être remarqué, les numéros où se côtoient plusieurs auteurs ne sont jamais mes préférés, je préfère m’enfoncer dans un esprit, et même si les textes de l’auteur présenté peuvent être indépendants, ils vibrent d’une même vie. J’aime de plus en plus l’en dehors des textes : Édito, Portrait, Notes, Feedback, l’incontournable Forum. ” Stéphane Heude, Deuil la Barre (95) “ Voilà le fameux Made in America. Y sont forts ces Américains, ouh la

la. C’est net, franc, pas d’entourloupe, uppercut avec coup de genou dans les burnes. Précision, oui, moins la fantaisie européenne. (Je m’en retourne écouter Léo...) Non, elle est superbe cette poésie américaine, Ginsberg fout la chair de poule, Whitman m’explose, Ferlinghetty détaille les délicieux craquements du quotidien. (Je m’en retourne écouter Lou Reed...) .../... J’aime Nathalie Y., Stephen Booker, beaucoup Jacqueline Marcus, et bien sûr Von Neff. (Je m’en retourne écouter Luis Mariano...) ” Bruno Tomera, Gueugnon (71)

For hum... Oh happy days ! La médiocrasse, modalité spectaculaire du pessimisme, est bien dans la tendance sarcastique de notre fin de siècle. Putain complice des mesquins et des lâches, elle se tapine sur les trottoirs les mieux famés. La passe est sanguine et tout est permis, surtout les coups bas. Elle épand sa vérole dans la pube, les looks, l’écume de ses clous les faciès pâle des lycéennes sépulcrales, nivelle les crânes des bébé-allocs d’une coupe réglementaire survenue des bons aryens de l’an 40 ; elle trempe sa seringue dans la mauvaise bière, la nettoie quelquefois dans la noirceur des idées qui conspire au vote-sanction. Elle coule, plus souvent, ses étrons gluants à la une de la presse, fréquentable ou non. Oyez, braves gens ! La guerre est à nos portes, le cancer mondialiste étend ses métastases, la courbe du chômage grimpe, les gaz d’échappement asphyxient Paname et ses colonies provinciales, les scandales foisonnent, les magouilles pullulent, demandez l’affaire du jour ! On exhume un cadavre soupçonné de libertinage beauf ; on ne nous épargne rien de “ La ménopause de Michèle T. ” ; pour S. “ c’est (à nouveau) la tragédie ! ” ; de même que “ Le sort s’acharne sur Georgette L. ” Entre rumeur orchestrée et overdose de sinistre, il s’agit de topographier un tout-à-l’égout croupissant sous les pavés, un peu en-dessous de certaine plage entr’aperçue un mois de marée basse, dont on a eu si peur qu’on y

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a dépêché Cousteau, expert officiel de la baille. Et Cousteau a plongé. Est remonté un même 10 mai, treize ans plus tard, les bras gauche chargés de caviar, les droits mobilisés en un salut militaire consenti au Général, qui entre temps avait tombé l’uniforme, et qui en retour, transperça la combinaison du Capitaine Craddock d’une médaille de comice ramenée de Solutré-en-Gogaule. Dépressurisé, le body de néoprène a giclé dans tous les sens des déclarations d’intention destinées aux générations futures. Quicourent toujours. Et que nul ne songe à rattraper. Les générations futures leur préfèrent Michaël Mouse, Tomb Radasse, et les mangas pornos qu’elles se passent sous le Chevignon dans la cour du collège en arrêt de grève. Cioran, Shelley, Sartre, Schopenhauer, Henry Miler, Léopardi arpentèrent avec le style les arrières-mondes que procréèrent la lucidité et l’amertume. Mais le style, à ce jour, a cédé le pas à l’abjection. Il ne s’agit pas pour la médiocrasse d’inviter à une mise en abîme productrice de sens. La médiocrasse ne crée rien. Elle sample des échantillons de passé décomposé. Elle n’informe pas, elle divague. Elle ne détourne même pas la vérité. Elle tourne autour en se demandant par quel bout la prendre. Pas facile, un déclin, à remuer, même du bout de l’écrase-merde. Pas facile à précipiter dans le trou. Le poids de l’inertie. Les sentimentalités. L’odeur. Et Demain qui pointe le bout des rayons, le cadavre qu’il faut prendre de vitesse, le voilà qui remue, qui se hisse, et la médiocrasse qui recule, qui vomit au passage des menaces de guerre chimique, des bombes antipersonnel, un tunnel infernal sans Stallone -, des avalanches, des pédophiles, la dernière de Tibéri, l’avantdernière, c’est promis ! de Sheila... Le déclin boitille à force de traîner sa grappe de cultes-de-lapersonnalité gluants d’asticots. Il rote le caveau, louffe l’entrailles corrompue, les lombrics dévorent ses guenilles, mais il met tant d’entêtement à vouloir annexer Demain, qu’il en devient tout à fait incommodant. Milosevic, Chirac, Clinton, Eltsine, Nathanyahu, Arafat, G8, OTAN, ONU, Pentagone, Downing Street, Bruxelles, État de passe-droits, Kremlin, Vatican, Maison Blanche, même trahison, même viol d’un XXIème siècle qu’ils vous volent, qu’ils nous mentent, qu’ils entendent bien nous contaminer. À la diarrhée co-non-sensuelle qu’indirectement ils nous vendent, parce qu’elle profite, aussi indirectement, à ce qu’ils croient être leur vision du bonheur auquel nous serions en droit de prétendre, ripostons par le vouloir-jouir, son antithèse irréconciliable, son exorcisme peut-être. Le vouloir-jouir en appelle à une disponibilité esthétique, une connivence au grandiose, un laisser-venir sensuel, un aveuglement à l’en-suite, toutes choses ressenties par les desservants de l’Infect comme asociales, rebelles, égoïstes, pour tout dire irresponsables. Alors, soyons improductifs, poètes et intenses. MAUVAISE GRAINE 35

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Soyons Nietzschéens, Rimbaldiens, amoureux et effrontément passionnés. Soyons tout ce qu’il y a de plus singulier. Créons. Faisons l’amour. Refusons leurs fatalités. Censurons-les. Taisons-les. Gagnons les landes, les causses, les forêts et les crêtes, et réinventons-y les jours heureux ! Oh happy days ! Jean-Pierre Baissac

Surf Ah le joli mois de mai ! Je m’en serais voulu de ne pas revenir fleurir à grand renfort d’épines les semaines que nous vous venons de vivre. Un petit détour d’abord par www.kosovo.com car c’est bien d’un .com comme commerce qu’il faut suffixer cette guerre. Les frappes de l’Otan qui ne commencent qu’à l’heure des journaux télévisés américains, la destruction des centrales électriques serbes, des usines et des ponts jusqu’en Voïvodine alors que cette province est située à l’opposé du Kosovo, on se balise déjà le marché de la reconstruction ou quoi ? Et les pilotes qui préfèrent risquer un dommage colatéral (sic) – pourtant j’en rate rarement une, mais une expression comme celle-là je n’aurais jamais su l’inventer... bravo la com ! – comme le bombardement d’un hôpital, plutôt que de surchauffer leurs wasp asses en rentrant dans l’atmosphère, ça me donne un arrière-goût fielleux dans la bouche, du coup j’ai un doute affreux : et si c’était pas nous les gentils ? Et puis cette manie qu’ils ont à comparer chaque ennemi de l’Occident à Hitler, à faire défiler des bonnes âmes sous des banderoles à l’effigie de n’importe quel dictateur avec la mèche et la moustache du planificateur de la Shoah, je trouve ça pas très fin ; ça pourrait même finir par être dangereux quand un jour prochain on finira par croire qu’Adolf n’était pas un si vilain prénom, vu qu’on arrivera de toute façon à signer un armistice avec Slobodan autant qu’avec Saddam. Heureusement Milo fait ce qu’il faut dissiper toute hésitation. Une viols-tortures-party par-ci, un charnier par-là, j’arrête tout de suite la déclinaison de la terreur. Ceci dit il ne faut rien en oublier car j’en connais qui nous répéteront bientôt qu’il ne s’agissait pour les Serbes que de refouler leurs immigrés à eux et que ces petits dérapages ne furent qu’un détail de l’histoire des Balkans. Connerie que tous ces nationalismes, rêves faciles et pas chers, à la

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portée des petites bourses et des petites têtes, en vente libre partout jusque dans nos familles. Alors bon, les gentils ça doit être nous, forcément. Merci à Enki Bilal1 pour ses rares mais bienvenues contributions à notre intelligence au sujet de cette guerre, dans les débats, mais aussi dans ses BD. Ce mec-là a vraiment tout pour plaire, et je ne parle pas que de son physique. Je suis fan d’Enki. Superbe dernier album : Le sommeil du monstre, paru en 1998 chez les Humanoïdes Associés 2, poème et roman sur la mémoire, sur la Yougoslavie. Ma BD culte. Les sites de Bilal et des Humanos sur le net sont aussi beaux que leurs albums, et ce n’est pas un compliment gratuit. À visiter absolument ! À part ça, un peu de soleil sur le ouèbe grâce à Samuel D. – l’homme qui sentait le gaz en février dernier dans Mauvaise Graine – qui lance à son tour son grain de sel virtuel, en l’occurrence un site consacré à “ l’art nouveau ”3. Ce premier numéro reprend un long article (texte ou fac-similé) paru dans La Croix au début du siècle qui pourfend les tenants de l’art nouveau représenté par M. Eiffel et les bouches métalliques du métropolitain. C’était le bon temps de la guerre entre catholiques et anti-cléricaux, le temps où l’Église avait encore l’ambition de diriger nos consciences... Toute référence à des événements récents serait bien sûr pure coïncidence, aujourd’hui chacun sait tellement bien penser par lui-même, isn’t it ? Enfin, Stéphane Heude nous a mis l’eau à la bouche en nous faisant découvrir La Rose Noire – cf. les Notes de Walter – eh bien le site4 a aussi très belle allure. Un seul reproche, valable aussi bien pour la revue que pour le site, on y trouve peu de nouveautés. Ainsi Giger ou Lovecraft ne sont pas tombés de la dernière pluie. Ils hantaient déjà Métal Hurlant il y a une vingtaine d’années – chez les Humanos toujours – mais ne boudons pas notre plaisir, le résultat final est de toute beauté.

Bruno

1 www.bilal.com 2 www.humano.com 3 www.multimania.com/artnouveau 4 www.rosenoire.gci-sa.fr

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À suivre... MAUVAISE GRAINE REVUE MENSUELLE DE LITTÉRATURE N°35 - JUIN 1999 ISSN : 1365 5418 DÉPÔT LÉGAL : À PARUTION IMPRIMERIE SPÉCIALE DIRECTEUR DE LA PUBLICATION : WALTER RUHLMANN ASSISTÉ DE MMRGANE ET DE BRUNO BERNARD © MAUVAISE GRAINE & LES AUTEURS, JUIN 1999 ADRESSE : 71 RUE DE BERNIÈRES 14000 CAEN, FRANCE WEB : www.multimania.com/mauvaisegrain e  mauvaisegraine@multimania.com ABONNEMENT POUR UN AN (12 NUMÉROS) FRANCE : 22.50 € 150 FF ÉTRANGER : 30 € 200 FF INDIVIDUELLEMENT, LE NUMÉRO FRANCE : 2.25 € 15 FF ÉTRANGER : 3 € 20 FF

+ LA CRÈME [DE MAUVAISE

RÈGLEMENT PAR CHÈQUE OU MANDAT POUR LA FRANCE PAR MANDAT INTERNATIONAL POUR L’ÉTRANGER LIBELLÉ À L’ORDRE DE WALTER RUHLMANN

GRAINE] #3 Le recueil annuel supplémentaire et gratos !

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