Journal La Tribune 10 juin 2009

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La Tribune

R E P O R T A G E

Mercredi 10 juin 2009

LE THÈME A FAIT RÉCEMMENT L’OBJET D’UN

De la responsabilité et du rôle des médias De notre envoyée spéciale à Genève

Photos : DR

Mekioussa Chekir

«QUEL rôle peuvent jouer les journalistes en temps de guerre et de paix ?» Telle est la problématique autour de laquelle un workshop international a été organisé du 18 au 21 mai derniers dans la capitale suisse, Genève, à l’initiative du réseau global du journalisme «Média 21 Genève» avec le concours du Centre de politique de sécurité de Genève (GSCP). Cette rencontre a réuni une quinzaine de journalistes de Suisse, de Guinée-Bissau, du Kenya, du Liberia, de Jordanie, du Soudan, d’Algérie, de Palestine, du Kosovo, de Colombie et de Roumanie. Elle aura permis à ces représentants de prendre connaissance de certains aspects liés à la gestion des situations conflictuelles et à la construction de la paix à travers le monde. Elle aura surtout permis à ces derniers de confronter les expériences de leurs pays respectifs en la matière en prenant, du coup, connaissance des différents processus en cours ou ayant conduit à une paix. Pour animer ces ateliers, un panel de différentes personnalités représentant divers organismes, essentiellement ceux relevant des Nations unies et qui interviennent dans le domaine du maintien et de la sauvegarde de la paix. Le directeur exécutif de Média 21, Daniel Wermus, donnera le ton et l’intérêt de cette rencontre dès l’ouverture du workshop : «Les journalistes ne sont pas des diplomates. Nous pouvons nous poser toutes sortes de questions car des centaines de millions de vies en dépendent. Nous ne sommes pas uniquement des

spectateurs passifs des événements mais des acteurs essentiels dont les comptesrendus ont un large impact. Malheureusement, cet impact n’est pas suffisamment exploré», dira-t-il. Tout au long de cet atelier, le rôle des Nations unies a été mis en avant, non sans susciter des interrogations quant à l’efficacité de cette institution, voire par rapport à sa crédibilité en raison de la mainmise des grandes puissances sur ses appareils. Représentant l’organisation internationale, le Dr Thierry Tardy rappelle de son côté que les Nations unies «sont le principal gardien» de la paix au monde avec plus de 7 billions de dollars investis par an. Face

aux multiples conflits que l’organisation est appelée à solutionner, ajoute l’intervenant, les Nations unies se doivent avant tout d’être mieux structurées pour une meilleure efficacité en même temps que d’être dotées d’un mandat «clair et limité». A cela doit s’ajouter une «cohérence de la visibilité» à travers une stratégie clairement définie. De même, explique M. Tardy, qu’est nécessaire une coordination entre l’organisation onusienne et les pays concernés par un conflit donné. Ce qui suppose, au préalable, l’engagement de ces derniers à trouver une solution pacifique au conflit. C’est le cas, rappellera-t-il, notamment en Afrique où 70 à

75% des forces onusiennes sont déployées. Intervenant à son tour, Robert James Persons, journaliste correspondant au bureau des Nations unies à Genève, estime trop élevé le coût des opérations de maintien de la paix. Cela, fera-t-il remarquer, au moment où le journaliste se transforme parfois en «un tueur sans armes».

Le journaliste, un acteur du processus de pacification Parfois, il contribue à transformer complètement le cours de l’histoire comme cela a été le cas lors de la guerre du Vietnam. «Le journaliste est un acteur du processus d’édification de la paix, il peut soit détruire celui-ci

ou le renforcer ; la différence entre un bon journaliste et un meilleur, c’est de savoir quand il faut s’empêcher de rendre compte d’un fait !» ajoute le reporter qui cumule une longue expérience dans les zones de turbulence. Pour illustrer certaines difficultés liées à l’exercice de la profession de journaliste, il citera le cas des reporters sri lankais qui ont du mal à rendre compte objectivement de la situation qui prévaut dans leur pays tant ils sont persécutés par leur gouvernement : «Ils sont entre deux feux, celui des autorités de leur pays et celui des forces rebelles !» Il mettra enfin le doigt sur l’un des thèmes contemporains qui créent le plus de polémiques et qui font toujours autant couler d’encre : «Il y a une incompréhension entre les mondes musulman et occidental à cause d’une profonde divergence de vues et les médias ont un rôle important à jouer pour remédier à cette situation.» Le Dr Rama Mani, formateur au GCSP, parlera des «défis de la reconstruction de la paix» et situe les réponses d’abord dans la prévention et regrette que cet aspect ne soit pas développé et hissé au rang de «culture» au sein des sociétés. Le suivi des actions identifiées depuis les années 1990 en vue de renforcer la paix dans le monde font état d’une nette évolution de leur nombre, notera-t-elle. Des conflits, précise-t-elle, qui ont un coût de plus en plus élevé. Il ressort également une plus grande brutalité et une violence endémique de ces litiges du XXI e siècle, davantage de complexité et une dimension internationale des litiges. zzz

LA PORTE-PAROLE DU MOUVEMENT INTERNATIONAL DES FEMMES POUR LA PAIX, Mme THÉRÈSE GASTAUT :

«Les gouvernements ne doivent pas attendre que la solution vienne de l’extérieur»

Propos recueillis par Mekioussa Chekir

LA TRIBUNE : Quelle est l’importance que revêt, à vos yeux, une telle rencontre ? Thérèse Gastaut : C’est une grande foire internationale d’experts en sécurité qui exprime le besoin de la communauté internationale en ce type de forums. On y établit des

partenariats et on y crée des réseaux étant donné la présence des différentes agences et représentants de gouvernement, de même que les fondations dont l’expertise est reconnue pour avoir travaillé sur des sujets très concrets. Cela étant, ce n’est pas une assemblée de gouvernements pour prendre des décisions ou faire des propositions. Il ne faut pas s’attendre à une solution miracle dans la mesure où une solution qu’on peut appliquer à un pays donné n’est pas forcément valable pour un autre. Il est important que les gouvernements le comprennent et qu’ils s’engagent dans les problèmes dont ils souffrent et qu’il ne faut pas attendre qu’une solution toute faite vienne de l’extérieur. En revanche, c’est

ainsi que les ONG qui sont là pour travailler ensemble. Il est important aussi de souligner le rôle des médias, de les sensibiliser et de les impliquer dans le processus de règlement des problèmes. Cela en sachant que, dans beaucoup de pays, les médias sont dans une situation difficile vis-à-vis des gouvernements qui craignent de les voir s’associer à une opposition quelconque.

Photos : DR

La tenue du workshop sur «le rôle des médias en temps de guerre et de paix» à Genève avait coïncidé avec l’organisation, également dans la capitale helvétique, du Forum international de la sécurité (ISF), du 20 au 22 mai dernier. Directrice des relations publiques et de l’information à l’ONU et porte-parole du Mouvement international des femmes pour la paix, M me Thérèse Gastaut nous donne son point de vue sur cette rencontre à laquelle elle a pris part, à travers ce bref entretien :

une rencontre pendant laquelle on essaye d’apporter une expertise pour développer un partenariat, c’est un bouillon de réflexion qui permettra de déboucher sur des décisions qui relèvent des gouvernements, il y a aussi les bailleurs de fonds qui soutiendront les programmes

Ne pensez-vous que la recherche de la paix et de la sécurité mondiales peut paraître vaine dès lors que les principaux pays producteurs d’armes sont ceux-là mêmes qui sont censés les promouvoir, voire les financer ? On ne peut pas dissocier l’offre de la demande. La vente d’armes d’un Etat à un autre ne sera jamais interdite car un Etat a le droit de la légitime défense, d’avoir une armée et une police dans un contexte constitutionnel. En revanche, ce qui est rassurant, c’est que les principaux

producteurs d’armes sont en train de réglementer de plus en plus leurs ventes. Le problème se pose au niveau des trafiquants, les pays récipiendaires et qui sont victimes de ce trafic doivent se doter d’une législation qui rendra ce trafiquant illégal et condamnable par la justice, car il y a des pays où ce n’est pas encore le cas. C’est lorsque les pays acheteurs et les pays vendeurs se comporteront de façon responsable et que les premiers s’assurent que les armes vont au bon endroit, c’est seulement à ce moment-là qu’on arrivera à limiter la production d’armes. Quant à la violence, c’est un autre sujet. Il y a une reconnaissance de la violence à l’arme blanche dans les grandes villes comme New York. Il s’agira ensuite de traiter les causes de cette violence à la racine. Tant qu’on acceptera, par ailleurs, le fait qu’un mari ou un père qui use de violence à l’égard de sa femme ou de sa fille ne soit pas condamné, la violence s’installera alors durablement dans la société. M. C.


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