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Life on Mars Par Aude Ziegelmeyer
Le long des berges de l’Ill, l’exposition Valles Marineris déploie les univers extra-stellaires de Manon Lanjouère et de David De Beyter face à des images de la planète rouge réalisées par la NASA et sélectionnées par Xavier Barral pour MARS, une exploration photographique, ouvrage publié aux Éditions Atelier EXB.
Le ciel est aussi rouge que le sol désertique. La poussière sature l’atmosphère et réduit la visibilité. De toute manière, le regard ne peut que s’accrocher à l’immense cicatrice jaune qui fend le ciel en deux. Une ligne embrasée qui signale le passage d’un vaisseau sur le point d’atterrir ou de s’écraser. L’humain arrive sur Mars. Exposée à la belle étoile, Valles Marineris rend compte de l’évolution de l’observation de la planète Mars, de sa mise en scène et du regard que lui portent les artistes. Ce dialogue vertigineux, entre données scientifiques témoignant de l’évolution des programmes d’exploration du système solaire débutés dans les années 1960 et photographies troublant le réel, transporte par-delà les étoiles jusqu’à ce territoire fertile de l’imaginaire. Sélectionnés parmi des milliers d’images capturées par la sonde d’observation MRO de la NASA et HiRISE, sa caméra télescope à haute résolution, les deux cents paysages du livre MARS, point de départ de l’élaboration de cette exposition, nous plongent dans un ailleurs étrangement familier. Les immenses canyons de Valles Marineris (« les vallées de Mariner », une des formations géologiques proche de l’équateur de la planète) cohabitent avec des volcans, dont le célèbre Olympus Mons, ainsi que des dunes et des calottes polaires. Chaque cliché scientifique rend compte d’une zone de 6 km où se découvre une diversité géologique et minérale intense, vectrice de motifs à la qualité graphique saisissante. Exacerbés par le contraste du noir et blanc, les cratères gigantesques, les coulées dégoulinantes et les plis vergeturés qui parsèment la surface de la planète se confondent avec des images agrandies de peau, celle d’un géant endormi, photographié à son insu. Plus loin, l’empreinte de sa paume semble creuser le sol sablonneux, et encore ailleurs, des myriades
de taches sombres criblent des amas mousseux blanchâtres, comme des sapins dans la neige. D’un corps gigantesque à des monts assoupis sous la poudreuse, l’on croit également percevoir la trace d’algues fossilisées, de quoi basculer en l’espace d’une image dans les profondeurs marines. Mais en omettant un instant toute tendance aigue à l’anthropomorphisme, ces clichés saisis à des millions de kilomètres témoignent de l’avancée de la découverte scientifique et, dans l’espace d’exposition, de ses effets sur la création artistique. Source de nombreux fantasmes, la planète ocre de John Carter, La guerre des mondes, Seul sur Mars ou de Missions, démultiplie les apparitions dans les œuvres littéraires, cinématographiques, musicales, et plus généralement dans notre imaginaire collectif. Visible à l’œil nu, Mars est un mystère à portée de main, un territoire entre le réel et l’imaginaire propice au déploiement de toutes les possibilités – celle de la Vie ailleurs – soutenu par sa ressemblance topographique avec la Terre et sa période de rotation similaire. Life on Mars? se demandait David Bowie dans sa balade mélancolique, aérienne, face à l’impossibilité de s’échapper dans la fiction, toujours trop proche de la réalité. Life on Mars, nous répond Manon Lanjouère dans sa proposition Le Laboratoire de l’Univers. Par la création d’images mariant intérêt scientifique et onirisme décalé, l’artiste aux talents hybrides Manon Lanjouère se saisit des diktats du regard pour mieux les renverser et plonger de l’autre côté du miroir. Là où les questions affluent, ouvertes plutôt que figées dans le temps et les savoirs. Pour sa série de portraits inspirés par des archives de la NASA, La Mécanique Céleste, une femme observe le ciel. Ses mains sont levées et placées en visière pour faire de l’ombre à ses yeux,