LIRE AU LIT N° 1

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édito

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Offert par votre libraire

Le journal des éditions Médiapop

Juin 2015

Lire au lit

Amis lecteurs, vous tenez dans vos mains le premier numéro de Lire au lit. Ce journal vous donnera peut-être envie de découvrir les livres édités par Médiapop dans les collections Ailleurs et Sublime depuis cinq ans. Pour qu’un livre parvienne jusqu’à vous, la route est longue et tortueuse. Sans les libraires, nos livres seraient comme des messagers séquestrés dans les entrepôts de notre distributeur. C’est grâce aux librairies indépendantes qui nous font confiance en nous accordant un peu de place sur leurs tables et leurs rayonnages que nous nous rapprochons lentement mais sûrement de nos lecteurs.

Avec ce journal, il apparaît que notre petite maison d’édition existe grâce à une série de rencontres, de hasards heureux et de coups de pouce du destin. Des rencontres multiples comme celles entre un éditeur et des auteurs, un directeur artistique, des imprimeurs, un diffuseur-distributeur, rencontres entre des écrivains et des photographes ou des illustrateurs, entre des textes et des images. Rencontres diverses tout au long de la « chaîne du livre » qui aboutissent miraculeusement à la rencontre entre un auteur et un lecteur, que ce soit en librairie, dans une bibliothèque, un transport en commun… ou au lit ! Parce que « lire au lit » est une activité joyeuse qui nous relie à notre plus tendre enfance, ce journal est une invitation à la découverte et au plaisir. ◆ P.S.


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Far Out ! ; De Buffalo Bill à Automo Bill ; Îles grecques, mon amour ; L’amour de la marche ; Berlin 2005 ; Du thé et des sourires

Sublime 3, 5 — Ailleurs 3, 4, 5, 11

Le journal des éditions Médiapop

Les affinités électives Bernard Plossu, comment avez-vous rencontré Philippe Schweyer ? Je l’ai rencontré à Besançon, il est venu m’interroger au sujet de mon exposition sur le Jura au musée des Beaux-arts. On s’est installé au café d’en face, on a sympathisé et il m’a proposé de faire un livre. On a beaucoup parlé de musique, notamment des musiciens du Sahel que je connais bien parce que j’ai enregistré avec des amis un disque de musiques jouées par des Touaregs et des Peuls. Rapidement la discussion avec Philippe s’est focalisée sur des photos que j’avais publiées en 19701971 dans Rock & Folk sur la Californie et Goa. Philippe m’a demandé les diapos que j’ai fini par retrouver, il est donc venu avec Bruno Chibane l’été dans ma maison de La Ciotat pour les voir. C’est comme ça que nous avons réalisé notre premier livre ensemble, Far Out. Comment vous a-t-il convaincu de publier ces photos, où vous utilisiez le grand angle que vous avez abandonné ensuite ? Il n’y a pas que des photos prises au grand angle, à l’époque je faisais des photos avec tout ce qui me tombait sous la main. Ce ne sont pas des photos de journaliste qui part couvrir un sujet sur les hippies et passera ensuite à autre chose. Il s’agit vraiment d’un témoignage de

l’intérieur. J’étais avec eux, peu importe que ces images aient été faites au grand angle ou avec un objectif 50 mm. Far Out, raconte le rêve hippie auquel vous adhériez. Aviez-vous alors le sentiment d’immortaliser un temps important de la contre-culture ? Oui, même si je suis arrivé par hasard à San Francisco, en revenant du Mexique. J’arrive chez un ami qui avait besoin d’aide à Carmel, et là je me retrouve à côté de Big Sur, le lieu où tout se passait pour ma génération. C’était l’été qui précédait le fameux Summer of Love de 1967 qui a marqué la fin de l’époque Beatnik et le grand début des hippies avec les concerts de San Francisco. Il y a dans Far Out une belle photo de Ginsberg qui fait le lien entre les deux époques. On découvre aussi le visage de Mimi Farina, celui de Joan Baez. Mimi Farina était la petite sœur de Joan Baez qui était célèbre dans le monde entier. Mimi comptait beaucoup pour les Californiens, elle était l’égérie de cette jeunesse. Quand je l’ai rencontrée elle était déjà veuve, son mari l’écrivain Richard Farina s’était tué en moto. C’est assez rare d’avoir une photo des trois sœurs Baez réunies. Mimi Farina était d’une douce beauté.

On retrouve déjà à cette époque ces visages de femmes qui traversent votre œuvre. Le regard dit beaucoup de choses, l’intelligence, la tendresse, l’amour, la sensualité... ça me plaît ce qui se passe dans un visage, cette correspondance entre les regards. C’est le contraire du regard de la publicité qui utilise des filles aguicheuses pour vendre un produit. Tout ça n’est qu’escroquerie. C’était déjà ainsi dans les années soixante-dix et ça s’intensifie. On se sert des femmes pour vendre des choses, c’est d’une bêtise infinie. Quand je photographie un visage de femme c’est le contraire. Il y a du respect, de la correspondance, de l’amour. J’ai beaucoup de femmes pour amies. Les portraits de femme m’ont toujours intéressé, qu’il s’agisse de Mimi Farina, de ma femme Françoise, ou d’autres amies, parce que l’on correspond bien par le regard. Lin Delpierre, par exemple, qui a également collaboré avec les éditions Médiapop, est un jeune photographe que j’aime bien. Il a travaillé sur des femmes marchant dans les rues, croisant son regard. Ces photos de passantes ne sont pas agressives, on y perçoit de la tendresse. Au contraire, Garry Winogrand dans le livre de photographies Women are Beautiful, à mon sens n’a rien compris. Il y a une grande agressivité à l’égard de ces


Beaucoup de vos photographies sont en noir et blanc, pourtant vous avez également une œuvre en couleur où vous avez notamment eu recours au procédé Fresson. Cela donne une dimension picturale à l’image. On ne peut pas comparer la photographie à la peinture, ce sont deux systèmes différents. Même si une photographie en couleur a du grain, elle n’est pas un tableau. Ce n’est pas le même processus de vision et de pensée. Il ne faut jamais dire d’une photo qu’elle ressemble à un tableau, c’est une erreur. Les tirages de l’atelier Fresson sont mats et c’est ce que j’aime, cela crée une ambiance météorologique qui se rapproche de mes photographies en noir et blanc. C’est aussi parce que Philippe Schweyer a fait imprimer Far Out sur du papier mat qu’il est si réussi, les images ne sont pas clinquantes. Le mat est l’anti-spectaculaire, il refuse les effets contrairement au brillant. Paul Gauguin disait à juste titre : ça fait bien, ça fait de l’effet. Pourquoi travaillez-vous uniquement en argentique ? Je ne suis pas attiré par le numérique. Je n’ai pas envie de savoir que ma mémoire m’autorise à penser six cents photos. J’aime la discipline du rouleau de film qui n’a que trente-six vues, et il faut se débrouiller avec. Je photographie tout le temps, mon appareil est toujours avec moi. Sur une même planche contact de trente-six vues, il peut y avoir des images de mes plantes, de mes enfants, comme d’une voiture dans la rue que je trouve étrange ou d’un vieux mur qui me plaît. J’aime bien dire que l’on voit des photographies et non qu’on les prend. Dans le terme prendre il y a l’idée de la capture qui me dérange. De même shooter me rappelle le champ lexical des armes et je ne l’utilise jamais. On shoote peut-être dans les safaris au Kenya mais pas en photographie. Il peut y avoir des photos tout le temps mais l’on recherche toujours la poésie ou bien le constat. Ce sont les deux grandes tendances de la photographie.

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photographie est politique. Les films documentaires que j’ai aimés, je les ai vus dans ma jeunesse, parce que ça fait longtemps que je ne vais plus au cinéma. Pourquoi n’allez-vous plus au cinéma ? L’idée de faire la queue et de m’enfermer avec deux cents personnes dans le noir pour voir des images m’ennuie. Je préfère me promener. Je regarde quand même des films chez moi, et je trouve que l’on se rend compte du travail des cinéastes, de leur importance, en regardant leurs films en coupant le son. Les bandes-son la plupart du temps sont trop didactiques. C’est pour cela que j’aimais le cinéma de la Nouvelle Vague, le son n’y est pas conçu pour induire la pensée. J’aime aussi le cinéma d’Isidore Isou. Il se battait vraiment contre l’image comme produit de consommation. J’ai réalisé une série de photographies chez lui il y a quelques années qui font l’objet de mon prochain livre. Dans le cadre des éditions Médiapop vous collaborez avec David Le Breton, Jean-Christophe Bailly et Philippe Lutz. Comment leurs mots se lient-ils à vos images ? Il n’y a jamais un rapport d’illustration entre leur travail et le mien. Ce sont deux créations parallèles et l’on cherche à ce que les choses aillent bien ensemble. Ce sont des amitiés, des similitudes de pensée qui nous donnent envie de travailler ensemble. Jean-Christophe Bailly et David Le Breton sont les écrivains et penseurs dont je suis le plus proche aujourd’hui. J’entretiens depuis longtemps une correspondance avec Le Breton. Il est venu un jour à un vernissage de l’une de mes expositions MAMCS à Strasbourg, je voulais le rencontrer parce qu’il a écrit l’éloge de la marche. L’homme est aussi intéressant que ses textes, je l’aime beaucoup, il est authentique, et ce qu’il écrit est compréhensible. Quand je ne comprends pas un philosophe, j’abandonne. Je ne m’oblige pas à lire Debord ou Derrida parce qu’ils sont reconnus. Je fréquente surtout la

Bernard Plossu

femmes prises dans la rue, on n’y retrouve rien de comparable avec la douceur des images de Lin Delpierre. Et s’il s’agit de parler du nu, ce qui relève de l’image de mode n’est pas intéressant, je préfère Bill Brandt, Edward Weston. Les corps sont nus mais cela va au-delà de ça, ce n’est pas destiné à aguicher.

que j’allais y faire, ni même de projet de livre. Il y avait cette lumière blanche qui m’a tout de suite rappelé Century City, un quartier de Los Angeles. J’ai donc photographié un Berlin tout blanc. J’ai beaucoup d’amis qui vivent à Berlin pour son effervescence créative, sa jeunesse. Mon parcours a été différent, j’ai marché partout dans la ville et toutes les photos

— Le livre est une manière de parler, c’est comme un musée de poche. J’adore Médiapop pour cela, les formats des ouvrages sont intimes, les livres peuvent être baladés. —

Est-ce le voyage qui suscite en vous le désir de faire de la photographie ? On croit toujours cela, mais il n’en est rien. Je fais autant de photos lorsque je suis chez moi que si je suis en voyage. Je ne voyage pas pour faire de la photographie mais parce que je suis curieux. La photographie est une vision active qui se lie bien à la découverte d’un territoire.

littérature italienne, parce que j’y trouve de l’intelligence teintée d’un grand sens de l’humour. J’aime beaucoup Gadda. Cela fait longtemps que ma culture est devenue en grande partie italienne. D’ailleurs je me rends en Italie le plus souvent possible.

Vos photographies témoignent d’une certaine empathie pour un lieu et ses habitants. Quelle relation entretenez-vous avec le cinéma documentaire ? J’aime le cinéma-vérité avec la caméra à l’épaule. Raoul Coutard le chef-opérateur de Godard et Truffaut venait du cinéma documentaire et a réalisé des photographies au Vietnam. Je crois que toute photographie est d’office un documentaire puisqu’elle renseigne sur quelque chose. J’aime beaucoup l’écrivain Nathalie Quintane qui considère que tout écrit est politique. De même je considère que toute

David Le Breton dans le texte qui inaugure De Buffalo Bill à Automo Bill, affirme que c’est par désir de vivre ce que les westerns racontent que vous partez arpenter l’Ouest américain. Quelle est la place de la photographie face au fantasme ? J’adore ce livre et Le Breton connaît très bien ce cinéma. J’ai toujours été du côté des Indiens et si je suis parti vivre là-bas, c’était une façon de donner suite à un rêve d’enfance. Je n’ai pas trouvé beaucoup d’Indiens mais j’ai trouvé des décors. Au contraire, lorsque je suis parti à Berlin, je n’avais aucune idée des photographies

sont baignées d’une lumière blanche obsédante. Ces images ont été publiées au côté d’un texte de Jean-Christophe Bailly, dans Berlin 2005. Est-ce un goût commun pour le voyage qui vous a donné envie de faire avec Philippe Lutz îles grecques, mon amour et L’amour de la marche ? C’est Philippe Schweyer qui est à l’origine de cette rencontre. Les photos avaient déjà été réalisées. Les photographies des îles grecques avaient été exposées à la médiathèque de Sélestat que dirigeait alors Philippe Lutz. Vous avez écrit vous même le texte de Far Out et la préface de Du thé et des sourires de Francis Kauffmann. Quel est votre rapport à l’écriture ? Je suis un amateur, je ne me prends pas

au sérieux. J’écris tous les jours des notes qui enrichissent ma vie. Un ami joue les gardiens du temple et conserve tous mes carnets. Il recueille toutes ces pensées et les offrira un jour à mes enfants. Vous avez publié de nombreux livres de photographie, qu’est-ce qui motive cet attrait pour cette forme ? Le livre est une manière de parler, c’est comme un musée de poche. J’adore Médiapop pour cela, les formats des ouvrages sont intimes, les livres peuvent être baladés. On peut se replonger souvent dans un livre, alors que l’exposition est éphémère. Quarante ans après le livre est encore là. On peut lire une page, un extrait et le reposer. Le livre est vraiment un moyen d’expression privilégié pour moi. J’aime aussi les musées, même s’ils sont un peu trop sages, trop silencieux. J’aimerais qu’on laisse les gens crier et s’émerveiller. Bob Dylan chantait, si je traduis : Dans les musées l’infini va en jugement. Le musée devrait être un lieu ouvert à tous les excès. Heureusement il y a des conservateurs qui sont des créateurs, comme Emmanuel Guigon, le directeur des musées de Besançon, qui écrit très bien. Quel est votre prochain voyage ? Je pars bientôt à Noirmoutier pour aller marcher dans le vent de la mer. Je veux aussi me rendre à Saint-Véran, le village le plus haut de France dans le Queyras, pour faire de la marche en altitude. J’irai ensuite à Prague où je ne suis jamais allé, je ne connais pas bien l’Europe de l’Est et j’ai envie de la découvrir. ◆ F.A.


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Yves Tenret

Funky boy ; Fourt ; Faire dépression

Sublime 8, 9, 12

Vol au-dessus d’une école d’art

Funky boy JEUNE, j’étais bien décidé à ne jamais aller travailler ! Je voulais détruire l’idée bourgeoise du bonheur. Je voulais être l’émeute pour elle-même. Je voulais réinventer la révolution, être le révolté le plus artistique de tous les temps et le bohème le plus révolutionnaire de l’histoire occidentale. Je voulais inventer de nouveaux sentiments comparables en puissance à la haine et à l’amour. Être maître du monde, ou bien, chanteur de rock... Je voulais faire la guerre de la liberté avec générosité et colère. Je voulais rester pauvre et insouciant, ne rien posséder. Et j’y suis arrivé ! Je voulais lutter contre la banalisation du monde, déchaîner une inflation mortelle dans le monde des concepts, abolir toutes les spécialités et tous les spécialistes. Je voulais déconstruire le système. Je voulais plus que tout dissoudre en moi-même le désir d’être aimé par les autorités. Je voulais le paradis sur terre sinon rien ! Je voulais réaliser ce que les artistes n’avaient fait que rêver. Je fus essentiellement un mythe, une légende ! Le plus extrémiste, le plus infréquentable des marginaux, connu de tous de par son style provocateur, intransigeant, élitiste. Et comme alors, je parlais bien le désesperanto !

Fourt

Faire dépression, roman-fleuve à l’ambition polyphonique, nous fait vivre l’école d’art telle qu’elle a été fabriquée, vue et vécue par ceux qui l’ont fréquentée pendant les trente dernières années. Enseignant frondeur à la vitalité sardonique, Yves Tenret porte sur l’institution un regard lavé de toute illusion. En 2004, vous publiez aux éditions de la Différence, Comment j’ai tué la troisième internationale situationniste. Le narrateur de ce roman, auquel on est tenté de vous identifier affirme que dans sa jeunesse il espérait être une émeute, transmuter la pratique de l’art en rage pure... Que reste-t-il de ce désir dans Faire dépression ? J’ai découvert l’Internationale Situationniste à Tanger, en 1971, en lisant l’édition Van Gennep de la revue. à l’époque, je ne lisais pas les journaux et n’étais pas engagé politiquement, mais je me retrouve à lire ce texte au milieu du désert algérien et je l’apprends par cœur. Ça me parlait parce que je voulais être artiste pour sortir de mon milieu. J’en avais une vision très romantique : avoir les cheveux longs, envoyer chier tout le monde, baiser et ne jamais

aller travailler, c’était mon programme. Enseigner à l’école d’art de Mulhouse s’est inscrit dans cette perspective, je n’ai pas eu à faire un labeur pénible. J’ai été engagé au moment où l’école souhaitait sortir de l’académisme. Je pouvais donc mettre en scène ma rage. Néanmoins, le risque de cette posture c’est la démagogie parce que le système récupère sans cesse les choses, d’où la difficulté de la subversion. Je me suis ainsi forcé à ne pas dire du mal de l’institution aux élèves. Faire dépression est divisé en quatre chapitres qui correspondent à la présence à l’école de quatre directeurs successifs. Pourquoi cette importance accordée à l’autorité au sein de l’école? Seuls les élèves semblent épargnés par votre critique de l’institution ? Le directeur, comme le professeur, incarne toujours la figure du père. Auguste Suttels, le personnage auquel je ressemble le plus, est un enseignant paternaliste à force d’égotisme. Il joue les vedettes et instrumentalise les étudiants. Toutes les écoles d’art ont dans leurs équipes ce type d’individu. Ces révoltés qui prennent la place du maître sont vicieux parce qu’ils font semblant face aux étudiants d’être leur égal alors qu’il n’en est rien. La pédagogie implique aussi un rapport érotique, j’ai mis longtemps avant de trouver la bonne distance. Parfois les étudiants t’allument,

ils veulent que tu les remarques, se sentir élu. La position d’autorité m’est difficile, il a fallu que j’apprenne à dire la loi, à vouvoyer les étudiants. En même temps je suis quelqu’un de spectaculaire, j’aime la bouffonnerie. Mais j’essaie de travailler contre moi. Comment avez-vous construit ce texte, quelles ont été vos sources pour lui donner cette forme polyphonique ? Au départ, je devais participer avec le directeur de l’école d’art de Mulhouse à la création d’un livre intitulé Faire impression, qui retraçait l’histoire de cette école, et progressivement je me suis dégagé de cette commande, j’ai travaillé pour moi. Le texte que j’avais écrit était transgressif, il a été censuré par mes commanditaires et c’est devenu l’impulsion de ce livre, Faire dépression. J’ai aussi réalisé des entretiens d’élèves pour la radio, ça m’a plu. J’ai commencé à lire tout ce qui a été écrit sur l’école d’art en France ainsi que les textes de réformes que j’ai essayé d’intégrer au roman. J’ai découvert après l’écriture de mon livre celui de Brice Matthieussent, Good Vibrations, qui traite du même sujet. Ce livre me révulse, il est à l’opposé de mon esthétique. Mon livre n’a pas de message, il est polyphonique donc contradictoire, il est sans question ni solution. On pourra peutêtre me reprocher mon cynisme comme à toute ma génération et aux situationnistes.

Au début des années 60, un jour de grève générale, des enfants traversent la Belgique en ravageant tout sur leur passage. Et en particulier le langage. Des barbarismes apparaissent et la plupart des petits mots disparaissent. Ce récit de la dérive d’une bande de gosses laissés à eux-mêmes est encore plus expérimental que ne l’étaient les textes disparates et aventureux de Funky Boy à propos desquels, dans l’Hebdo, Patrick Morier-Genoud traça ce portrait d’Yves Tenret du temps de sa vie lausannoise : « Il riait fort, grimpait sur les tables pour un oui ou pour un non, n’était ni prévenant ni poli. Et il parlait, parlait et parlait ». Maintenant, il se tait et, pour compenser, a décidé de publier un livre tous les six mois.

Qu’est-ce qui a changé dans les écoles des Beaux-arts, au cours des dernières décennies ? L’évolution des écoles n’a pas été linéaire. En ce moment ce qui me frappe, c’est la professionnalisation, j’entends par là tout ce qui se focalise sur l’attitude des élèves. Ces critères à respecter, c’est la police qui envahit l’école d’art. ça me fait peur cet esprit technocratique qui s’impose aujourd’hui. On peut défendre les apprentissages, mais l’attitude d’un élève ne compte pas, peu importe qu’il soit saoul, drogué ou pédé, on s’en fiche, seule l’œuvre doit être soumise aux jugements. ◆ F.A.


5 Sublime 6, 13 Ayline Olukman

Small Eternity ; America

Appareil photo et carnet noir en poche, Ayline Olukman parcourt le monde. Small Eternity et America, ses deux premiers ouvrages mêlant textes et images, dévoilent un univers nostalgique où brille la fugacité de l’existence. Sri Lanka, Costa Rica, Japon, états-Unis, Argentine, Turquie, Ayline Olukman est sans cesse sur les routes. Chaque voyage est un pèlerinage photographique où elle s’aventure seule, décidée à arracher au temps qui file des fragments de l’existence. L’isolement comme l’ennui deviennent source de création pour celle qui entend « vivre et appréhender le présent, voir le monde, capturer son image ». On ressent cette solitude radicale, celle de tout homme traversant l’existence, croisant d’autres hommes, vivant mille anecdotes dans autant de paysages divers. Ayline Olukman s’attache à des détails anodins. Le banal l’inspire, elle lui rend sa poésie. La photographie et l’écriture, qu’elle pratique de concert, deviennent un moyen d’avoir une prise sur le monde, de maîtriser ses propres expériences. Small Eternity et

America renouent ainsi avec l’essence même du geste photographique : arracher l’existence à sa disparition. Ce sont les branchages turgescents des cerisiers en fleurs, les fruits dévorés d’un matin oublié, les longues routes des montagnes brunes qui suscitent une sourde mélancolie. Silhouettes sans visage, quelques figures traversent les paysages urbains et désertiques. Ces images recèlent une dimension contemplative et témoignent d’une attention particulière portée au réel. « Je suis rentrée du Costa Rica il y a peu, je n’y ai rien acheté, mais j’ai collecté des fruits et des fleurs séchées, des coquillages, du tissu et j’ai même trouvé le crâne d’un oiseau. Je les garde précieusement pour l’instant dans l’intention de les photographier un jour », explique l’aventurière, son art toujours à l’esprit. Pourtant le travail d’Ayline Olukman ne s’inscrit pas dans une perspective documentaire en ce sens qu’il ne s’agit pas de donner un sens à des phénomènes existants, ni même de les remettre en question. « Je reste toujours un peu à la périphérie du sujet, j’entretiens une certaine énigme, alors qu’une série de photographies documentaires apporterait une vision plus précise, moi je brouille les pistes » affirme l’artiste. Depuis l’adolescence, Ayline Olukman est fascinée par l’Amérique, celle qu’elle a imaginée en écoutant Sonic Youth et Neil Young, en parcourant sans relâche les films de David Lynch, Terrence Malik et Gus Van Sant. « Ce sont les grands espaces, la route, le road trip, cette sensation de liberté » qu’elle retient et dont on retrouve sans cesse le souffle entre les images et les mots d’America. La nostalgie qui hante ces photographies résulte également de procédés techniques. Ayline Olukman a longtemps travaillé avec un appareil argentique avant de se tourner

pour des raisons économiques et logistiques vers le numérique. Un travail minutieux de retouche à l’aide de logiciels lui permet cependant de renouer avec la volupté des grains anciens. Sans doute parce que la vie y est plus intense, comme le notait Truffaut, le cinéma est une source d’inspiration infinie. Ayline Olukman noircit quotidiennement les lignes de carnets accumulés depuis l’adolescence. Small Eternity et America allient naturellement les images aux mots. Les deux ouvrages ont été conçus comme des objets qui se prêtent au nomadisme, comme à la lecture intime. On caresse les pages veloutées de papier mat, parcourant en tous sens ces récits à la narration éclatée. Une baigneuse au vêtement orangé devient un motif récurrent de Small Eternity. Son visage à jamais inaccessible pour l’observateur se transforme en ritournelle. Ayline Olukman utilise également la photographie pour la mêler à la peinture. On reconnaît sous les huÎles colorées de From Behind et Water ces mystérieuses nymphes ondoyantes, chevelures délassées dans l’onde céruléenne. Si la vente de ses toÎles a toujours représenté pour la jeune voyageuse le moyen de poursuivre la route, elle décide aujourd’hui de se donner un nouveau cadre de vie, en quittant ses attaches françaises pour s’installer à Brooklyn. Première fiction états-unienne, America est le signe d’une voie nouvelle. ◆ F.A.

Le journal des éditions Médiapop

Faire la route


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Îles grecques, mon amour ; L’Amour de la marche En chemin vers Saint-Guilhem

Ailleurs 12, 5, 3

Le journal des éditions Médiapop

Philippe Lutz : mes livres ont à voir avec l’ailleurs

Comment a démarré votre collaboration avec les éditions Médiapop ? J’ai rencontré Philippe Schweyer lors d’une exposition de Bernard Plossu. Je lui ai parlé d’un bouquin sur les îles grecques que je venais de terminer et il a accepté de le lire. Trois mois plus tard il m’a rappelé... Comment êtes-vous venu à l’écriture ? Il est très difficile d’expliquer pourquoi on fait de la musique, pourquoi on écrit, pourquoi on fait de la photo. Cela tient de la nécessité intérieure. Cette nécessité chez moi n’est pas permanente. Je peux rester des mois, voire des années sans écrire. Puis tout à coup, je me sens plein de quelque chose, un sujet, des images,

des idées, des pensées, comme « enceint » d’un livre qui veut naître. La nécessité alors se fait impérieuse, et l’écriture vient d’ellemême. Je crois que cette nécessité est liée à un manque. J’écris parce que je n’ai pas trouvé de livre qui dit ce que je sens en moi. Vos trois livres ont un rapport avec le voyage. L’écriture pour vous est-elle liée au déplacement du corps dans l’espace ? Pas forcément. Je dirais plutôt que mes livres ont à voir avec « l’ailleurs », comme le dit le titre de la collection dans laquelle ils sont publiés. Ils parlent de l’insularité, de la mer, des gens, de la campagne... Mais s’intéresser à cela implique en effet de sortir un peu de chez soi...

Dans Îles grecques, mon amour et L’Amour de la marche, le texte est jalonné par des photographies de Bernard Plossu. Qu’est-ce qui lie votre écriture à ses photographies ? Je connais Bernard Plossu depuis une quinzaine d’années. Je dirigeais à cette époque une médiathèque, et j’avais monté une exposition sur « Michel Butor et ses photographes ». Bernard faisait partie des photographes que Michel Butor souhaitait inviter. On a tout de suite sympathisé, on a continué à se voir, on marche ensemble parfois... Quand il s’est agi de ponctuer mes livres avec des photographies, l’idée de faire appel à lui s’est tout de suite imposée. Je n’avais pas envie d’illustrer mes


Philippe Lutz

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tendance à me classer parmi les « écrivains voyageurs ». Mais je ne me reconnais que partiellement dans cette classification. Certes, L’Amour de la marche raconte ma relation à la marche. Mais îles grecques, mon amour parle de ma passion pour le monde grec, tandis qu’En chemin vers Saint-Guilhem parle de la France profonde. En réalité, ce qui relie ces livres, c’est l’utopie du paradis perdu. Les îles grecques, la marche, la campagne française représentent à mes yeux l’innocence de l’enfance. Ce sont des univers indemnes des maux de la civilisation urbaine, où l’homme est dans une relation harmonieuse avec la nature... Y a-t-il des écrivains qui vous ont inspiré cette forme ? Je crois que cette forme s’est imposée d’elle-même comme la plus adaptée à mon propos. Je ne pense pas l’avoir copiée sciemment d’un autre écrivain, même si je me sens proche de Jacques Lacarrière, avec qui j’ai en commun l’amour de la Grèce et de la marche.

livres avec mes propres photos, je crois que cela aurait été tautologique. Bernard Plossu apporte un regard différent du mien, un contrepoint. Il y a dans ses photos un sentiment de la fugacité du temps, une certaine nostalgie peut-être qui vont bien avec ce que je raconte... Dans îles grecques, mon amour, vous évoquez votre pratique personnelle de la photographie et votre difficulté à choisir entre le noir et blanc, jugé passéiste, et la couleur considérée comme trop objective ? S’agit-il seulement d’un dilemme qui se pose à vos yeux lors de photographies de voyages ? C’est en effet une problématique propre à la photo. Je ne sais pas si l’on peut y échapper, quel que soit le genre de photographie que l’on pratique. J’adore le noir et blanc, mais dans ma pratique je suis malgré tout plus à l’aise avec la couleur. Vous parlez également dans cet ouvrage de votre journal que vous tenez quotidiennement lors de vos voyages. Que peut-on y trouver ? C’est quelque chose de très modeste. Je note ce que j’ai fait dans la journée, les balades, les repas, les gens, les émotions. Je m’en sers après coup, pour écrire, au même titre que les photos. C’est un aide-mémoire. Dans les premières pages d’îles grecques, mon amour, vous révélez que votre attrait

pour le monde grec date de l’enfance. Comment analysez-vous cet amour de jeunesse et sa pérennité jusqu’à présent ? Je suis Alsacien, ma culture est donc double : française et germanique. à la fin des années 50, la guerre était encore très présente dans toutes nos mémoires. L’Allemagne représentait pour moi le nazisme, l’horreur de la Shoah, la barbarie absolue. Je me suis donc tourné tout naturellement vers des études de lettres classiques : français, latin, grec. La Grèce me semblait être le berceau de notre civilisation, l’Allemagne le tombeau. Depuis, je me suis réconcilié avec la part germanique qui est en moi, mais je reste définitivement amoureux de la Grèce, où je vais au moins une fois par an. Les îles grecques sont en effet le carrefour de deux imaginaires auxquels je suis très sensible : celui de l’insularité, du paradis originel – pensez à Robinson Crusoé, à Paul et Virginie – et celui de l’hellénisme comme origine de notre culture – pensez à Homère, Platon, Pythagore – ... Ces deux mythes des origines se potentialisent l’un l’autre, et font des îles grecques un territoire très particulier... Les trois ouvrages que vous publiez aux éditions Médiapop relèvent-ils du roman ou de l’essai ? Mes livres sont à cheval sur deux genres littéraires, le récit personnel et l’essai. Un casse-tête pour les libraires et les bibliothécaires, qui ne savent pas où les classer... Depuis mes dernières publications, on a

Quel rapport entretenez-vous avec l’autobiographie ? Je me sens incapable d’écrire quelque chose qui ne vienne pas de mon moi profond. Je ne pourrais jamais écrire un polar, par exemple, à moins d’avoir été confronté à un assassinat ou à un événement dramatique de ce genre. Mais en même temps, ce qui m’intéresse, en parlant de ma propre expérience, c’est d’atteindre une certaine universalité. Mon « misérable petit tas de secrets » ne me semble avoir d’intérêt que s’il permet une médiation vers le lecteur. Au détour d’un chapitre d’En chemin vers Saint-Guilhem, vous affirmez que « contrairement à ce que pourraient croire les non-marcheurs, la marche n’est pas une activité, c’est une paresse active ». Quelle place occupe la marche dans votre quotidien ? Je sors tous les jours de chez moi pour me balader, pas forcément très loin. J’ai besoin de cet exercice, qui n’est pas seulement un exercice physique, mais aussi un exercice mental et un exercice de regard. Je fais le vide, je vais vers les gens pour bavarder avec eux, je jouis du soleil ou de la pluie, je fais des photos. En réalité, je suis un hyperactif. La marche est un moment où je réussis à paresser, tout en échappant à la culpabilité judéo-chrétienne de l’oisiveté... A côté de ces sorties quotidiennes, j’aime aussi parfois partir pour plusieurs jours, au long cours. C’est comme une aventure, une longue excursion hors du quotidien. Cette année j’irai marcher dans le Jura, puis en Grèce.

Ce sont vos propres photographies qui jalonnent le texte d’En chemin vers Saint-Guilhem. Comment ce livre s’est-il construit ? Aviez-vous l’idée de l’ouvrage avant de prendre la route ? En partant traverser le sud du Massif Central, j’avais envie de retrouver la France de mon enfance, de la ruralité, des congés payés, la France éternelle, ce que j’appelle le « degré zéro de la France ». L’idée que cette quête pouvait donner lieu à un livre est venue au retour. J’ai pensé alors que les photos que j’avais faites pourraient montrer le paysage et que le texte raconterait les rencontres et les pensées qui m’étaient venues en chemin. Ce n’est pas un livre de marche à proprement parler, je n’y évoque pas mes ampoules aux pieds. C’est plutôt une méditation sur la campagne française. Entre la marche et la photographie, vous sentez-vous proche de certains artistes contemporains comme Hamish Fulton, Laurent Tixador ou encore Jean-Christophe Norman ? Je cite en effet Hamish Fulton dans L’Amour de la marche. C’est un type assez incroyable, qui développe l’idée que la marche est une œuvre d’art. Pourquoi pas. Mais même si j’écris et si je fais de la photographie, je ne me sens pas « artiste ». Je suis plutôt un observateur. Lorsque l’on évoque la marche c’est souvent Guy Debord et sa théorie de la dérive qui reviennent dans les discours actuels. La marche a-t-elle pour vous une dimension subversive ? La marche fait la part belle à un certain nombre de valeurs positives : la frugalité, la solidarité, le dépouillement... Ces valeurs sont très loin des valeurs marchandes dominantes. Marcher, c’est le contraire de consommer. On peut dire dans ce sens que c’est une forme de subversion face au système : marcher pour échapper au marché, vivre en marchant plutôt qu’en marchand... ◆ F.A.


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Je peux écrire mon histoire, itinéraire d’un jeune Afghan de Kaboul à Mulhouse d’Abdulmalik Faizi et Frédérique Meichler, illustré par Bearboz

Ailleurs 10

Abdulmalik Faizi

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Abdulmalik Faizi, dire pour vivre Âgé de 22 ans, Abdulmalik Faizi signe avec la journaliste Frédérique Meichler et le dessinateur Bearboz Je peux écrire mon histoire, récit autobiographique sur sa fuite d’Afghanistan.

Avant l’interview, il y eut la séance photo. Au cours de celle-ci, le photographe Olivier Roller évoqua ce que son sujet lui renvoyait. Sans rien connaître d’Abdulmalik Faizi, il qualifia sa veste en cuir de « carapace » – « ça fait comme une écorce » –, avant de lui confier : « C’est marrant, contrairement aux personnes que je photographie, vous ne revendiquez rien ». Quoique échangées à la va-vite, je trouvais ces remarques sur la discrétion et la réserve du jeune homme extrêmement justes. D’autant que lors de l’interview qui suivit, ce dernier s’exprima là encore avec pondération, pesant chaque mot. Sauf qu’en travaillant sur cet article, je m’interrogeai : pourquoi attacher tant

d’importance à sa douceur ? Pourquoi vouloir souligner sa mesure, sa patience ? Interpréter ainsi les remarques de Roller ne consiste-t-il pas à regarder Abdulmalik Faizi comme un cliché, un « clandestin-sans-papiers » ? Traquer d’éventuels traumatismes, n’est-ce pas succomber aux fantasmes suscités par son histoire ? Une réaction d’autant plus inappropriée que Je peux écrire mon histoire ne prête pas le flanc au voyeurisme. Ni dans sa forme, ni dans la genèse de son projet... Mais reprenons. Contant par le menu et pas-à-pas le voyage du jeune Afghan, son exil de Kaboul à Mulhouse, le récit, écrit avec la journaliste Frédérique Meichler et illustré par le des-

sinateur Bearboz, trouve son origine dans une succession de rencontres. Comme Abdulmalik Faizi raconte : « Quand je suis arrivé en France, je n’avais pas trop de difficultés à m’exprimer. J’aimais participer aux activités culturelles du lycée, comme le Prix littéraire des lycées professionnels du Haut-Rhin. À cette occasion j’ai rencontré Fouad Laouri, écrivain d’origine marocaine. Son autobiographie Une année chez les Français m’a particulièrement intéressé, aussi parce qu’elle ressemblait un peu à mon histoire. Je lui ai demandé si « je pouvais écrire mon histoire ? ». Il m’a répondu qu’il n’y avait pas d’histoires bonnes ou mauvaises, il fallait l’écrire, et un éditeur


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Dépasser la souffrance Si la sortie en 2014 du livre s’avère une période difficile pour Abdulmalik Faizi, qui « [se sent] mal de parler de [son] passé », elle constitue également une délivrance. « Au début du projet, je n’avais pas la certitude que ça soit publié. Je me disais que même si ça ne l’était pas, ça me permettait de sortir de la souffrance, de la partager avec quelqu’un. » C’est, d’ailleurs, bien cette affirmation d’une capacité à agir, à avancer, qu’énonce ce titre « Je peux écrire

mon histoire ». Véritable geste de résilience permettant au jeune homme d’assumer son expérience et de la dépasser, l’ouvrage a changé beaucoup de choses dans sa vie, en lui permettant « de sortir de l’ombre. Quand tu es un étranger, en dépit du fait que tu as des amis tu restes un étranger, personne ne te connaît. On est un numéro parmi d’autres. Ce livre m’a permis de rencontrer beaucoup de personnes, de me faire des amis. Mes amis me comprennent mieux. Ça m’a permis de tourner la page et de continuer à vivre. » Un an plus tard, le jeune homme continue son bonhomme de chemin, alternant entre ses études et sa participation à des rencontres autour du livre. Au sujet de ces multiples interventions dans des librairies, des établissements scolaires ou lors de salons, il relève : « ce qui me frappe c’est que ce sont souvent les mêmes questions qui sont posées : comment j’ai vécu, comment j’ai mangé, pourquoi je suis arrivé à Paris, quel est mon statut aujourd’hui, pourquoi j’ai choisi la France ? À chaque fois ça m’étonne, car on dit souvent que les adultes et les collégiens n’ont pas le même regard, mais c’est toujours ces questions-là qui reviennent. » Modestie de l’indicible Une remarque qui s’explique peut-être par le fait que Je peux écrire mon histoire dépasse l’entendement. Un tel parcours, effectué par un si jeune homme – lorsqu’il quitte Kaboul sans savoir qu’il n’y reviendra pas, Abdulmalik n’a pas seize ans – s’avère pour la majorité des citoyens européens lambda relever de la science-fiction. Face au récit d’une expérience de l’ordre de l’indicible, traumatisante, le premier réflexe du spectateur ou lecteur est souvent de s’interroger sur les éléments les plus prosaïques. Par pudeur et respect de l’intimité de la victime, peut-être, mais aussi parce que c’est dans les détails que se niche l’essentiel : le désir de vivre, le courage de continuer. À cette image, le récit retranscrit minutieusement toutes les étapes du périple. Dans une langue simple et directe, derrière laquelle transparaît le souci de tout capter, et de détailler

tous les rouages du fonctionnement des réseaux de passeurs, Je peux écrire mon histoire se donne comme une histoire au propos distancié, évitant les écueils du misérabilisme et du lyrisme. Prolongeant les mots, les dessins de Bearboz offrent des images aussi saisissantes par leur épure que par l’économie de leur trait. Il ressort de l’ensemble une façon de se défier des éventuels attendus et par sa modestie revendiquée, sa méfiance vis-à-vis du spectaculaire, son refus d’instrumentaliser la parole du jeune homme, le projet résiste aux clichés de l’étranger omniprésents dans nos sociétés occidentales. ◆ C.C.

Incertitudes au long cours Issu de la communauté hazara, Abdulmalik Faizi doit quitter l’Afghanistan en 2008 alors qu’il n’a pas seize ans pour fuir la pression islamiste. Laissant sa famille – dont il ne sait toujours pas s’ils sont encore en vie – le jeune homme s’embarque pour un périple de neuf mois. De passeur en passeur, il traverse les pays, sans jamais connaître sa destination finale. Arrivé à Paris en avril 2009, abandonné quelques jours plus tard par son dernier contact à Mulhouse, il découvre un autre parcours du combattant, administratif cette fois. Si les difficultés sont nombreuses – l’asile politique lui a été refusé à deux reprises –, les soutiens le sont également – notamment au sein de son lycée – et Mulhouse constitue aujourd’hui un solide port d’attache pour le jeune homme. Actuellement en BTS Industrialisation des Produits Mécaniques à Versailles, il souhaiterait pouvoir passer une licence professionnelle. Cela, alors qu’il vit encore dans l’incertitude, sa carte de séjour temporaire actuelle expirant fin 2015...

Le journal des éditions Médiapop

déciderait de son intérêt ou non. » Pour autant, prendre la plume n’ayant rien d’aisé, il faut d’autres rencontres pour que le projet se mette en place. D’abord, par l’entremise de sa marraine Sylvie Gabriel, documentaliste du lycée Stœssel de Mulhouse où il étudie, Abdulmalik fait la connaissance de Frédérique Meichler. La journaliste au quotidien L’Alsace, croisée notamment lors de manifestations de soutien à des lycéens sans-papiers (dont le jeune homme fait partie), accepte d’accompagner Abdulmalik Faizi dans la restitution de son histoire. Abdulmalik se révélant « plus à l’aise pour raconter que ses camarades » qui déclinent la proposition, Meichler et Faizi commencent à travailler. Parallèlement, la journaliste échange avec le responsable des éditions Médiapop Philippe Schweyer et c’est ce dernier qui leur présente Bearboz. Pour Abdulmalik Faizi, c’est l’inconnu : « je ne savais pas si ça allait « marcher », si c’était une bonne idée d’avoir des dessins. On lui a fait confiance entièrement. » Le trio trouve petit-à-petit son rythme de travail et tandis que Faizi et Meichler se « voient les lundis, pendant peut-être un an et demi de façon plus ou moins régulière » pour reconstituer son parcours, Bearboz vient « les écouter et dessine ». Lorsque le jeune homme déménage à Paris à la rentrée 2013 pour poursuivre ses études, les rendez-vous continuent avec la journaliste, le dessinateur travaillant de son côté. Sur les presque deux cent croquis réalisés, certains se révèlent « très frappants tellement ils sont réels. C’était comme si je voyais une photo prise par moi-même. »


12 L’eau à la bouche…

Raqa

Berlin 2005

de Christophe Fourvel

de Jean-Christophe Bailly et Bernard Plossu

“Les femmes et les hommes photographiés ici se trouvaient tous dans la ville de Raqa, à l’est de la Syrie, le 17 juillet 2010. C’était un matin. Nous voulions nous rendre à Deir ez-Zor, situé à une centaine de kilomètres plus à l’Est mais le prochain car ne devait partir que dans trois heures. Nous avions décidé d’attendre, là, dans ce quartier. La gare de Raqa est très facilement imaginable pour qui prend parfois la peine d’aller voir le monde de ses propres yeux. Elle est entourée d’un agrégat d’étals proposant de quoi se nourrir et s’abreuver pendant un voyage en car. Des petites télévisions fonctionnent en permanence dans les locaux exigus des compagnies de transport tandis qu’à l’extérieur, chaque démarrage de moteur exhale ses bouffées de poussière et d’air chaud. Si nous décidons de nous éloigner un peu vers le cœur de la ville, nous longeons des commerces qui vendent d’autres articles que le nécessaire au voyage. Les boutiques sont des carrés de béton brut, aux murs souvent couverts de vêtements suspendus ou de nourriture. Un peu en avant, des camelots épaississent le trottoir d’une deuxième offre : chaussures entassées sur des planches à tréteaux, lunettes, billets de loterie, cheichs, essences pour des eaux de toilettes composées sur place et à la demande, images du raïs. Rien de tout à fait exotique ni précieux. Le quartier attire des enfants dont nous ne savons presque rien. Ils ne sont pas des enfants de la rue ou des orphelins, mais viennent dans la gare routière pour y apercevoir quelque chose de plus grand que ce que montre les autres rues de la ville. Une éventualité d’ailleurs ; une miette tombée de la poche d’un voyageur… ”

Le lieu du monde

“Une ville marquée par l’Histoire : cela se dit de beaucoup d’entre elles, mais à Berlin qui, pour l’histoire récente – celle des deux siècles passés – devrait être l’emblème même d’une telle empreinte, le paradoxe est que, plus de vingt ans désormais après la réunification, cela ne se voie plus tellement. Certes, les traces, pour qui s’en ferait le sourcier, restent nombreuses, et plus particulièrement dans certains quartiers, mais dans ce que l’on pourrait appeler le centre et, par conséquent, là même où les destructions puis la visibilité de la division furent extrêmes, l’impression majeure que ressent le visiteur est celle d’une ville neuve et moderne, en partie transparente, où il semble que la volonté d’oubli (mais est-ce vraiment une volonté, ou un réflexe vital ?) ait triomphé. Pour qui a connu le Berlin d’avant, c’est-à-dire celui qui portait encore les stigmates de la guerre d’une façon qui semblait indélébile, le choc de la vision de cette ville nouvelle est extrêmement violent. On a beau savoir que tout texte urbain est un palimpseste, là la netteté de la réécriture est si clairement découpée dans l’espace que l’on en est saisi : me trouvant il y a deux ou trois ans Pariser Platz, c’est-à-dire de l’autre côté, du côté jadis interdit de la Porte de Brandebourg, je fus si impressionné par ce que je voyais – en lieu et place de ronces et de barbelés, une vaste esplanade avec l’hôtel Adlon reconstruit, des filles en collant rose distribuant des prospectus pour une boisson passant joyeusement en patins à roulettes sous la porte – que j’eus la sensation d’avoir vécu deux vies, celle d’avant, tout entière dans l’ombre portée des guerres mondiales et de la guerre froide, semblable à un film en noir et blanc plein de sursauts et de poussières volantes, et celle d’aujourd’hui, confrontée avec étonnement à un nouveau film…”

Le journal des éditions Médiapop

de Nathalie Sonntag “L’horizon dans le viseur, ils quadrillaient l’espace aérien entre deux sommets enneigés. Le ciel était une proie facile. L’armée américaine déchirait le soir qui tombait, à grands coups de projecteurs. Ratissage permanent, depuis des jours. On ne pouvait pas parler de haute voltige, plutôt d’un repérage orthonormé, même si l’adresse des pilotes rendait presque animal le mouvement des hélicoptères de combat. Les alpages étaient gelés, le feu craquait dans les cheminées, l’air était rose et glacial. Personne, ici bas, n’était jamais allé à la guerre, aucune guerre. Et pourtant tout le monde, ici bas, y pensait. Le fouet des hélices, la possibilité d’un déluge d’acier. En réalité, qu’y avaitil ? Des guêpes au-dessus d’une table en été, des hélicoptères sur la ville en hiver. Davos. Cette bourgade endormie et cossue avait rayonné grâce aux séminaires de ses universités. L’on s’y était pressé, s’y était rencontré, chercheurs, intellectuels, venus de toute l’Europe. Heidegger avait entrepris d’y éreinter Cassirer, qui avait fait montre d’une résistance opiniâtre. Brunschvicg y avait dispensé ses leçons. Coffres-forts d’une intelligence qui n’aspirait qu’à s’égayer vers de nouveaux esprits, les murs de l’antique et vénérable faculté bruissaient encore des démonstrations lapidaires, des exposés savoureux. De la craie qui, tonique, décisive, avait bondi sur le tableau pour rebondir comme mitraille, encore et encore, sèche comme l’alphabet morse. Parfois c’était un rire, ancien, étouffé, que les murs, au milieu de toutes les voix qui voletaient derrière le voile du temps, ne retenaient plus qu’à moitié…”

De la futilité et autres nuits rapportées De Michel Collet et Matthieu Messagier “Michel Collet : – Variété, roman ou essai, tel est le genre désigné dans l’un de vos recueils, Les Grands Poèmes Faux, quel sens donner à ce mot ? Matthieu Messagier : – Le sens de son contraire. Mais ce sont aussi des variétés au sens banal et divertissant du terme. Comme une émission de variétés à la télévision. C’est un livre de variétés que Les Grands Poèmes Faux. M. C. – Peut-être variétés somptuaires ? Vous écrivez « le poète somptuaire ». M. M. – Le poète somptuaire c’est pour redire combien la condition poétique est à mon avis, luxueuse, et somptuaire, contrairement aux idées reçues, je trouve que le poète est un nabab, le plus souvent, pas matériellement, mais spirituellement qu’il y a beaucoup de belles choses, d’odeurs magnifiques… je suis plus proche de Loti ou de Proust, finalement, que de cette idée du poète qui serait ascétique. J’ai une notion très luxueuse de la condition poétique qui emmène vers le haut, vers l’anti-détail, qui peut être burlesque, le luxueux ébarbé de ses richesses. Les poèmes ont ceci d’extraordinaire, qu’ils sont une sorte de précipité, comme en chimie. J’appelle cela des précipités de poésie…”


13 Extraits choisis…

Monument

Traqueuse de fantômes

de Bernard Heizmann

De Laure Vasconi Préface de Serge Kaganski

“Le principe : chacun de son côté – ma mère et moi – écrit un texte à partir de ce qu’évoque ou suscite chez lui – souvenirs, suppositions, hypothèses, analyses – chacune de ces photos de famille. Les deux textes sont ensuite mis en regard de l’image. Voilà un dispositif assez simple en apparence, mais qui sollicite deux personnes qui n’ont pas la même relation à l’écriture, et qui de plus a pu être décliné par l’un et l’autre de façon assez différente selon les moments et les images. J’avais ce projet en tête depuis fort longtemps et c’est la photo intitulée ici Saulcy qui m’a la première donné envie d’écrire quelque chose sur ou autour d’elle. L’idée de voir, pour quelques photos de l’album de famille – si on peut désigner ainsi les photos plus ou moins en désordre qui se trouvent dans un tiroir chez ma mère -, ce qu’elles évoquent ou déclenchent chez moi, de souvenirs plus ou moins forgés ou (re) fabriqués, de fantasmes, d’échappées, de souvenirs d’autres photos ou de lectures aussi, était là ; puis est arrivé un projet plus précis, qui associait à ce premier écrit un autre, produit par ma mère, sur la même photo. D’un côté donc quelqu’un qui a formé le projet et qui a, professionnellement en tout cas, des habitudes d’écriture au long cours éprouvées et, de l’autre, quelqu’un qui a longtemps travaillé pour les autres en mettant en forme leurs écrits, mais qui s’est éloigné de cela avec la retraite et qui, de toute façon, n’a jamais envisagé de pouvoir produire un écrit qui ne soit pas strictement utilitaire ou fonctionnel. Il a donc fallu la convaincre et même, chemin faisant, insister pour que tel récit issu de telle photo, soit complété, augmenté, à la lumière d’une conversation ancienne où tout avait été dit, mais ne semblait pas devoir mériter d’être écrit…”

Constellations photographiques de Anne Immelé “L’une des spécificités du cinéma est d’être un art du montage. C’est l’art de faire surgir un sens en rapprochant deux images, ou en rapprochant des images et des sons ; c’est l’art d’agencer des éléments visuels pour révéler un virtuel implicite. Mais qu’en est-il de la photographie ? Tout comme l’image filmique, l’image photographique s’insère dès la prise de vue dans le flux d’images de la planche-contact (en argentique) ou dans une succession ordonnée d’images numériques (banques d’images), puis, si elle est choisie, elle sera incluse dans un corpus déterminé où elle sera mise en relation avec d’autres images. La prise de vue est importante, primordiale et décisive, chez des photographes qui sont à « l’écoute du visible », attentifs à un quotidien qui n’est pas le banal, mais un réel dont ils cherchent à rendre l’immédiateté, la fulgurance ou l’irrémédiable. Leur préoccupation n’est pas de faire une « belle image », mais d’arracher au réel un fragment qui est une amorce de vie, comme l’écrivait Hervé Guibert à propos de Robert Frank : « Ce n’est pas la qualité de l’image qui compte, mais l’amorce de cinéma, de reportage, l’amorce de vie. » L’image photographique est un fragment et une amorce, elle va être mise en relation avec d’autres images, dans une opération artistique l’insérant dans les formes spécifiques d’associations que sont la séquence et l’agencement, formes à même de revisiter la relation au monde du photographe…”

“Du Caire à Rome, d’Hollywood à Babelsberg, de Paramount à Fox, Laure Vasconi a vadrouillé, déambulé, flâné, rêvé, toujours armée de sa prothèse devenue naturelle, l’appareil photo. Dans des studios plus ou moins en activité, en sommeil, voire en déshérence, elle a observé les coulisses des usines à rêves du XXème siècle, capté l’envers, les plis, l’inconscient du cinéma, saisi le hors champ des films. Dans des locaux le plus souvent déserts, mais parfois peuplés de quelques employés, abeilles invisibles mais indispensables de la grande ruche cinéma, elle n’a eu de cesse de photographier ce que les foules ne voient jamais : la béance du cinéma, la latence entre les films, avant ou après que ceux-ci soient fabriqués. Hangars vides, tréteaux, cimaises, machineries, vestiaires, placards, tiroirs, costumes, perruques, mannequins forment le monde englouti, le labyrinthe obscur, le liquide amniotique de la vie des films, toujours soustrait à la vue du public. Géologue, spéléologue, exploratrice du cinéma, Laure Vasconi opère donc un travail de dévoilement, révélant les entrailles cachées de la plus grande machine à fantasmes des cent-vingt dernières années. 120 ans, c’est vieux, et c’est aussi cet âge canonique, cette possible agonie qu’enregistre la photographe, produisant les dernières traces d’un art et d’un monde…”

De Buffalo Bill à Automo Bill de David Le Breton et Bernard Plossu “Bernard Plossu est un photographe qui marche, à l’affût des circonstances et prêt à saisir l’image à la manière d’un chasseur mais dans cet affleurement du réel qui le caractérise, et non en prédateur. Homme des pistes, marcheur inlassable, épris de solitude et d’amitié, d’une spiritualité qui se passe de mots, un homme de l’alliance avec le monde. Il avance au devant de la chance et il ne la laisse pas passer. « Tout grand paysage, dit Julien Gracq est une invitation à le posséder par la marche ; le genre d’enthousiasme qu’il communique est une ivresse du parcours » (1980, 187). Photographe en quête du vif des images possibles recélées dans un environnement qui ne cesse de changer : le passage des oiseaux, des nuages, le jeu de l’ombre et de la lumière sur les rochers, le mouvement des passants… D’où la dimension atmosphérique de ses photos. Tout fait sens à condition d’entrer dans la fulgurance de l’instant sans le laisser passer car une seconde plus tard le miracle est déjà loin. Quelque chose d’un chamanisme est à l’œuvre dans cette captation. « Ce n’est pas moi qui prends la photo, c’est la photo qui me prend », dit Bernard Plossu. Mais il fallait l’anticiper, la pressentir plutôt et créer les conditions de la chance. Mais le réflexe est toujours un acte de réflexion même s’il dure une fraction de seconde, un changement de diaphragme, d’obturateur pour être là au moment du kairos. De telles photographies ne vont pas sans une forme de voyance. « Il ne faut pas chercher, mais attendre » disait Corot dans une formule reprise par Bernard Plossu. Approche sensible, sobre, et infiniment libre, qui préserve la sensualité du monde : saisie et caresse dans le même mouvement…”


14 Sublime 10

Le journal des éditions Médiapop

Le Saut de l’Ange, hommage à Daniel Darc

Humain, trop humain par Dominique A C’est un sentiment étrange que de connaître pendant des années quelqu’un en tant qu’artiste, au travers de ce qu’il fait uniquement, puis de le côtoyer par la suite, de lui serrer la main, de lui demander des nouvelles, de déconner avec lui. L’image qu’on se faisait de lui reste, s’il n’est pas trop à l’opposé de ce qu’il projette de lui (car ça arrive), et se télescope avec la vraie vie. Daniel Darc était tel qu’on l’imagine, sur le tard en tout cas, il n’y avait pas d’écart entre ses chansons et lui : humain, trop humain. Un type bien, gentiment intense, et drôle. Quand je le voyais, ses vieilles chansons, celles que j’écoutais gamin, flottaient autour de lui, ça me faisait toujours bizarre de lui parler. On parle de Crèvecœur comme de son chef d’œuvre, et c’est vrai que c’est un disque splendide, mais pour moi son dernier est encore meilleur : il est tout entier dedans, foutraque, branlant, fulgurant. La taille de son âme était vraiment balèze.

Daniel Darc Emmanuel Abela et Bruno Chibane ont dirigé la publication du Saut de l’Ange. Ils nous renseignent sur leur ouvrage hommage. Pourquoi avoir opté pour un ouvrage hommage avec des contributions multiples ? L’idée d’un ouvrage choral, sous la forme d’un hommage pluriel, a été formulée d’emblée. Le tout premier instant du projet a été la rédaction d’une première liste de contributeurs possibles, liste qui a été rapidement augmentée en fonction des premières réponses favorables. On ne le soupçonnait guère au départ mais c’est bien l’addition de ces diverses contributions qui fait que le portrait qu’on dresse de Daniel nous semble aujourd’hui si proche de ce qu’il était pour nous. L’autre parti pris de l’ouvrage est de ne pas avoir fait appel qu’à des personnalités ou des artistes. Oui, nous souhaitions donner la parole à tous ceux qui estimaient avoir établi une forme de relation intime à l’artiste et à son

œuvre. Ainsi, un comptable, un juriste, une architecte ou une psychologue nous parlent avec la même ferveur de Daniel que certains musiciens, personnalités du monde du spectacle ou journalistes qui l’ont croisé. Nous n’avons pas souhaité établir de hiérarchie entre ces différentes interventions ; elles vivent donc côte à côte, avec des enchaînements qui fonctionnent comme des associations libres. Les formes, elles aussi, varient. Quelle était la liberté accordée à chacun des contributeurs ? Cette liberté était totale ! Au préalable, nous ne donnions aucune orientation : chacun était libre d’opter pour la forme qu’il souhaitait et de s’accorder le volume nécessaire. Aucune limite n’était donc fixée. Très vite, nous avons pu constater avec bonheur la diversité qui naissait

des premiers envois : des récits plus ou moins longs, des fragments, des formes poétiques, mais aussi des entretiens, etc. Certains des contributeurs ont préféré se livrer sous la forme de l’entretien. Oui, il ne leur semblait pas évident de pouvoir mettre sur le papier ce qu’ils ressentaient ; ils ont donc préféré répondre à des questions. Ça n’était pas forcément facile, le poids de la douleur les conduisant parfois à une certaine retenue. Il en résulte parfois des propos saisissants dans l’ouvrage, ce qui participe à la belle émotion qui se dégage de l’ensemble. Après, nous n’avons pas cherché à sombrer dans le pathos, c’était en tout cas loin d’être le but ! Ça peut surprendre, mais Daniel Darc parle dans l’ouvrage qui lui est consacré. Cette volonté a été exprimée très tôt elle aussi. Il est vrai que ça peut surprendre, mais nous souhaitions lui donner la parole. L’ouvrage évoque une quête – et quelques rendez-vous manqués – ; cette quête a abouti, nous avons rencontré Daniel à maintes reprises et nous avons donc souhaité republier un certain nombre d’entretiens que nous avions fait depuis son retour en 2004. Ça peut brouiller les pistes d’un point de vue temporel, avec des allersretours entre passé et présent, mais ça présente l’avantage non seulement de se

plonger dans une pensée lumineuse, mais aussi de maintenir sa voix vivante. C’est bien cela, au-delà de l’hommage nous souhaitions le restituer vivant... Ça n’est pas tant que nous soyons dans le déni par rapport à sa disparition, mais c’est la relation que nous souhaitons entretenir à cette artiste qui nous touche tant! ◆ M.M. Avec des textes et des images (par ordre d’apparition) de Emmanuel Abela, Pierre Terrasson, Dominique A, Bill Pritchard, Thomas Deligny, Bertrand Burgalat, Abd al Malik, Marc Dufaud, Anissa Bouihed, Christophe Miossec, Yves Tenret, Sébastien Bueb, Arnaud Dieterlen, Richard Bellia, Rodolphe Burger, Ludovic Carème, Christophe, Denis Scheubel, Henri Walliser, Franck Dupont, Patrick Messina, Christophe Urbain, Xavier Frère, Thierry Danet, Jean-Luc Billing, Line Fabing-Keller, Pascale Richter, Joël Danet, Pascal Bastien, Jean-Paul Roland, Mathieu Marmillot, Fabrice Voné, Vincent Vanoli, Etienne Rohmer, Nicopirate, Nicolas Geiger, Vincent Arbelet, Gabriel Franck, Renaud Monfourny, Matthieu Stahl, Bruno Chibane, Philip Anstett et Alexis Delon.


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Faire dépression de Yves Tenret Parution : 26.02.2015 18 € - 272 pages

Traqueuse de fantômes de Laure Vasconi, préface de Serge Kaganski Parution : 01.09.2014 15 € - 64 pages

Le Saut de l’Ange Hommage à Daniel Darc Parution : 01.07.2014 25 € - 272 pages

Fourt de Yves Tenret Parution : 15.04.2014 13 € - 128 pages

Funky boy de Yves Tenret Parution : 15.11.2012 12 € - 112 pages

La faute aux dinosaures de Anthony Ghilas Parution : 30.05.2012 8 € - 52 pages

Small Eternity de Ayline Olukman, avec un texte de Emmanuel Abela Parution : 30.05.2012 10 € - 116 pages

De Buffalo Bill à Automo Bill de Bernard Plossu et David Le Breton Parution : 10.05.2012 16 € - 100 pages

Songs to learn and sing de Vincent Vanoli Parution : 15.11.2011 11 € - 100 pages

Far Out ! de Bernard Plossu Parution : 01.06.2011 15 € - 164 pages

About rock, sex and cities de Henri Walliser et Denis Scheubel Parution : 01.12.2009 9 € - 96 pages

Constellations photographiques de Anne Immelé Parution : 13.05.2015 16 € - 128 pages

Monument de Bernard Heizmann Parution : 10.06.2015 12 € - 80 pages

En chemin vers Saint-Guilhem de Philippe Lutz Parution : 02.12.2014 17 € - 216 pages

Du thé et des sourires de Francis Kauffmann, préface de Bernard Plossu Parution : 02.12.2014 15 € - 112 pages

Je peux écrire mon histoire… de Abdulmalik Faizi, Frédérique Meichler et Bearboz Parution : 06.05.2014 16 € - 200 pages

De la futilité et autres nuits rapportées de Michel Collet et Matthieu Messagier Parution : 01.07.2014 12 € - 80 pages

Berlin 2005 de Jean-Christophe Bailly et Bernard Plossu Parution : 29.11.2013 15 € - 124 pages

Le lieu du monde de Nathalie Sonntag Parution : 20.10.2013 14 € - 144 pages

Comme neige au soleil de Pascal Bastien Parution : 29.11.2013 15 € - 176 pages

L’amour de la marche de Philippe Lutz avec des photographies de Bernard Plossu Parution : 20.10.2013 16 € - 216 pages

Un même moment d’existence de Geneviève Pernin avec des photographies de Lin Delpierre Parution : 20.06.2013 12 € - 88 pages

Îles grecques, mon amour de Philippe Lutz avec des photographies de Bernard Plossu Parution : 18.10.2012 18 € - 288 pages

Raqa de Christophe Fourvel Parution : 15.11.2011 9 € - 52 pages

La Courneuve, mémoires vives préface de Cloé Korman et Solène Nicolas Parution : 01.10.2011 10 € - 148 pages éPUISé

diverCité de Luc Georges et Bernard Jacqué Parution : 15.11.2014 15 € - 76 pages Format : 21 x 21 cm

Journées du patrimoine écrit Patrimoine écrit et territoires Sélestat, 21 & 22 juin 2012 Parution : 24.06.2013 18€ - 180 pages Format : 23 x 16,5 cm

Femmes du Gourara de Françoise Saur Parution : 05.10.2014 38 € - 144 pages Format : 27,5 x 24 cm

Peau et truie de Anne Zimmermann Parution : 05.06.2014 12 € - 120 pages Format : 12 x 18 cm

Radio Dijon Campus. 30 ans, une expérience culturelle Parution : 09.10.2012 20 € - 320 pages Format : 20 x 24 cm

Lire au lit, le journal des éditions Médiapop — Directeur de la publication : Philippe Schweyer (www.mediapop.fr) — Conception graphique : starHlight (studiostarlight.tumblr.com) Rédacteurs : Florence Andoka, Caroline Châtelet, Marie Marchal — Photographies : Pascal Bastien (couverture), Bernard Plossu (p.2-3 ; 7), Ayline Olukman (p.5), Philippe Lutz (p.6), Francis Kauffmann (p.8-9), Olivier Roller (p.10), Christophe Urbain (p.14) — Illustrations : Baomy Dang Trong (p.4), Bearboz (p.11) — ISSN : en cours — Dépôt légal : juin 2015 Impression : Ott imprimeurs — Tirage : 5000 exemplaires — Médiapop éditions : 12 quai d’Isly / 68100 Mulhouse – ps@mediapop.fr – 06 22 44 68 67 Avec le soutien du ministère de la Culture et de la communication - Direction régionale des affaires culturelles d’Alsace et de la Région Alsace

www.mediapop-editions.fr

www.r-diffusion.org


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