Droit Montréal (11) 2010-2011

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Dossier Karim BENYEKHLEF, professeur – directeur du Laboratoire sur la cyberjustice Nicolas VERMEYS, directeur adjoint du Laboratoire sur la cyberjustice

Un laboratoire pour promouvoir l’accès à la

cyberjustice

Les facteurs ayant contribué, à travers les siècles, à corroder le droit d’accès à la justice sont nombreux et complexes. Ainsi, toute tentative visant à définir la cause de la désaffection des justiciables envers leur appareil judiciaire serait vaine. Il demeure toutefois que certains facteurs bien identifiés reviennent couramment tant dans la littérature sur le sujet que dans les propos des principaux acteurs du milieu juridique. En effet, en juin 2009, lors du colloque « Révolutionner la justice » organisé par l’Observatoire du droit à la justice et le Centre de recherche en droit public, les juges Guy Gagnon et François Rolland, alors respectivement juge en chef de la Cour du Québec et de la Cour supérieure, soulignaient tour à tour ce qu’ils considéraient être deux des principaux obstacles à l’accès à la justice : les coûts excessifs et des délais indus du système. Or, ce portrait peu reluisant de notre système judiciaire n’a rien de nouveau. Comme le souligne Jacques Krynen dans L’empire du roi, « [a]u XVe siècle, Jean Juvénal des Ursins, archevêque de Reims, adresse à Charles VII de longues remontrances. Il se plaint d’une justice trop coûteuse, trop longue et embrouillée ». L’auteur poursuit en précisant qu’on se désole déjà, en 1413, du fait que « les causes sont comme immortelles ». Mais si Charles VII pouvait prétendre que le système judiciaire du XVe siècle n’était que le reflet des temps – la signification de procédures était, après tout, tributaire de la disponibilité de cavaliers – les législateurs contemporains ne peuvent utiliser cette même excuse. En effet, si les solutions aux coûts et délais associés à la gestion des dossiers judiciaires étaient limitées à l’époque de Charles VII, il existe aujourd’hui de multiples avancées technologiques dont peut profiter l’appareil judiciaire afin d’augmenter l’efficience du processus. Le dépôt électronique de procédures, la télécomparution et les systèmes intégrés d’information de justice ne constituent qu’un échantillon des technologies qui, à divers égards, ont eu des incidences bénéfiques sur les coûts et délais associés au processus judiciaire dans divers États à travers le monde. Ceci n’implique pas, par ailleurs, que la technologie constitue un remède miracle qui saura guérir tous les maux de l’appareil judiciaire. Il ne s’agit pas de faire l’apologie d’une approche monolithique visant à une migration du processus vers l’informatique pour éliminer complètement le recours au papier, ainsi que toute interaction physique. Il demeure toutefois qu’une utilisation sélective et réfléchie de solutions technologiques innovatrices peut entraîner des bénéfices réels pour l’appareil judiciaire en général et pour les justiciables en particulier. D’ailleurs, de nombreux États comme l’Australie, les États-Unis et la Colombie-Britannique, ont su développer et implanter des solutions technologiques éprouvées afin de limiter les délais liés au processus judiciaire et, par le fait même, d’en réduire les coûts pour les justiciables. Une telle modélisation du processus judiciaire, si elle offre des avantages indéniables, ne constitue toutefois qu’une première étape dans l’exploitation du potentiel offert par les technologies de l’information. En effet, les changements législatifs nécessaires afin de permettre l’informatisation et la mise en réseau de l’appareil judiciaire constituent une rare occasion de remettre en question certains de ces préceptes et, par le fait même, de délaisser certains rituels dépassés et certaines pratiques désuètes. Comme le rappelait Hubert Reid dans son Rapport d’évaluation de la Loi portant réforme du code de procédure civile, « [l]e Code de procédure civile a subi de très nombreuses modifications depuis sa création mais la philosophie sur laquelle il est fondé n’a pas évoluée fondamentalement au cours des ans ». Or, c’est cette philosophie qu’il nous faut revoir et reconstruire si nous désirons avoir une influence positive sur le droit d’accès à la justice. 8


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