Mémoire de fin d'études

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Couverture Paysage emblématique du Causse Méjean depuis les hauteurs du Gally, la corniche des Cévennes comme horizon. NB © : Sauf mention contraire, chaque visuel du document est une production personnelle soumise à des droits d’auteur.


Directrice d’étude : Catherine Farelle

Paysagiste et urbaniste, paysagiste conseil de l’État à la DREAL Occitanie Enseigne le projet de paysage à l’École de la Nature et du Paysage de Blois

Professeur encadrant : Claire Combeau

Plasticienne, architecte d’intérieur Enseigne le dessin et la représentation de l’espace à l’École de la Nature et du Paysage de Blois

Président de jury : Marc Claramunt

Paysagiste DPLG, paysagiste conseil de l’État Enseigne le projet de paysage à l’École de la Nature et du Paysage de Blois

Éventuelle maîtrise d’ouvrage : Sylvie Brossard-Lottigier

Architecte et Urbaniste en Chef de l’État, expert scientifique et technique international du Ministère de la Transition écologique Dirige la division des Sites et Paysages à la DREAL Occitanie

Reconnu pour ses compétences : Aurélien Delpirou Géographe, maître de conférences Enseigne à l’École d’urbanisme de Paris

Ancienne élève de l’école : Léa Muller Ingénieure paysagiste, urbaniste


Enceinte de la Rode



La carte nomade page 9

Hors-champ

page 10

Préambule

page 14

Épreuve du terrain

Découvertes et premières impressions L’héritage comme un moyen de f​aire​ ?

page 31

[ Agrafe n°1 ]

Complicités entre l’évolution des modes d’occupation humaine et la mutation du paysage Un fitre de pierre Récit d’un territoire « humanisé » depuis le Paléolithique


page 65

[ Agrafe n°2 ]

Trajectoires d’une vie caussenarde

Reconnaissance culturelle d’après guerre Les gens d’ici La gouvernance territoriale Dynamiques d’évolution du paysage caussenard Puiser dans le déjà-là En aparté

page 99

[ Agrafe n°3 ]

Quel avenir habité, pour quel paysage ?

Un “ADN” caussenard à mobiliser comme outil de projet Rappel des enjeux Proposition de gestion différenciée S’infiltrer dans le projet 1. L’agrafe des paysages 2. En équilibre sur la corniche du Tarn 3. Percée dans le plateau En un rien de temps

page 127

Dénouement

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Remerciements


La carte nomade « En l’absence de points de références stables, le nomade a développé la capacité de construire à chaque instant sa propre carte ; sa géographie change continuellement, elle se déforme dans le temps en fonction des déplacements de l’observateur et de la transformation perpétuelle du territoire. » (Careri, 2020) 8


Hors-champ

À l’heure fidjienne Aux îles Fidji, les habitants aiment le rappeler, la lenteur est un art de vivre. Non soucieux du temps qui passe, qui s’échappe, du temps compté et chronométré, ils maquillent le rythme de la trotteuse au profit de leur « fiji time ». L’apaisement intrinsèque, semble t-il soudé à la vie insulaire, n’est pas sans perturber nos habitudes occidentales. Obsédés par la rapidité, dopés à la performance, en roue libre dans un engrenage dont nous voudrions désespérément nous échapper, un besoin de retrouver de la simplicité est grandissant. Dans ce retour en arrière annoncé par l’exaspération du progrès, peut-on sous estimer l’influence des paysages sur le rapport que l’on entretient avec le temps ? La lenteur contagieuse et attachante des fidjiens viendra t-elle infuser dans les derniers archipels pacifiques de notre pays ?

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Préambule Extrêmes par leurs limites ou absence de limites, les grands espaces m’ont rapidement séduits. On y entretient un rapport singulier avec l’horizon, le temps, l’espace et les personnes avec qui on le partage. Mes expériences passées me ramènent continuellement à leur recherche. Je revois encore défiler trois jours durant l’outback australien à travers les fenêtres de l’Indian Pacific. Plus tard, l’horizon perdu des déserts du Cederberg et du Karoo en Afrique du Sud où nous passions des journées, têtes baissées, à gratter les cailloux à la poursuite de petites plantes grasses. Il était question pour moi d’interroger la place de la vie dans ce qui n’était que roche, chaleur, et poussière entre les deux. La recherche d’isolement s’est poursuivie inconsciemment en Patagonie chilienne, expérience pendant laquelle j’ai pu éprouver un réel isolement physique et humain. Inassouvie, la prospection de ces lieux me traverse depuis longtemps et s’est inscrite instinctivement dans le choix de ce sujet de fin d’étude. Si tant est qu’il existe, comment peut-on envisager un avenir humain pour ces régions reculées et inhospitalières dans la conjoncture actuelle du climat ? Ce questionnement initial m’a dirigé vers le grand plateau calcaire et aride du Méjean. Il n’était jamais très loin, dans un coin de ma tête. Je le connaissait de mon origine lozérienne, et pour avoir fait les saisons, comme beaucoup d’entre nous, dans les gorges du Tarn. Il était si proche et pourtant je ne savais rien de lui. Les pieds dans l’eau froide du Tarn, dans son ombre, l’effervescence touristique, j’étais loin d’imaginer que là haut, c’était tout l’inverse de la fraîcheur et du confinement. Le dépaysement immédiat est juste là. On me parle souvent de ses « étendues lunaires », de son calme, du désert et des rares personnes qui l’habitent. Le travail de fin d’études était finalement une manière de mieux le connaître, et de reprendre le questionnement sur les grands espaces à la lumière des réalités caussenardes. Le Causse Méjean, balayé par le vent au creux du Sahut 10


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Aubrac

Mende

Causse de Sauveterre

Mon

t-Loz

ère

Rodez

Causse Méjean

Grands Causses

Cévennes

Monts du Lévezou Causse Noir

Mont-Aigoual Alès

Causse du Larzac

Garrigues

Nîmes

Montpellier Camargue

Nord

10 km

Les grands causses ceinturent les Cévennes 12

Mer Méditerrannée


20 km

30 km

Lou Mèjio, Au sein de l’un des plus grands ensembles karstiques d’Europe, le Méjean émerge à environ 1000 mètres d’altitude, fracturé par les gorges du Tarn et de la Jonte. Il s’inscrit, comme son nom l’indique, « au milieu » des Grands Causses, coincé à l’est par les Cévennes, l’Aigoual et les contreforts du Mont-Lozère. Une rupture géologique marque le passage entre de vastes plateaux calcaires et des massifs schisteux aux sommets granitiques.

340 km2 - 605 habitants - 18 000 brebis

En marge du département le moins peuplé de France, il en est probablement la portion avec la plus faible densité. Il demeure un lieu de vie revendiqué comme tel par les 605 personnes1 qui l’habitent à hauteur d’1,7 habitants par km². Il apparaît clairement comme un territoire de l’hyper-ruralité2 et son contexte « extrême » peut en faire un lieu pilote.

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d’abord, on y monte.

La Malène

L’isolement est induit par sa morphologie insulaire, franchir les ponts est la première étape obligatoire à sa rencontre. D’abord on y monte et l’ascension est une expérience en soit, si bien que l’on ne se retrouve jamais en haut par hasard. Les routes périlleuses à l’instar de celle de la Malène, par oscillations nerveuses, nous mènent au plateau. Causse Méjean

1 Source : INSEE, 2019 2 Notion controversée issue d’un rapport parlementaire. (Depraz, 2017) Ce terme fait référence à 250 bassins de vie français accueillant 5,4% de la population sur 26% du territoire. Ils présentent un entassement de handicaps comme le vieillissement, le manque de perspectives ou l’isolement sous toutes ses formes. (Bertrand, 2014) 13


Épreuve du terrain

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Découverte et premières impressions Avant de fouler les terres arides du Méjean, d’arpenter toutes ses rondeurs et de m'y sentir plus que jamais minuscule, je souhaitais prendre une distance avec l’horizon. D'abord, c’est le Causse à perte de vue. Puis les vents ascendants qui nous portent, les vautours qui nous suivent, et la presque-île entière qui se dévoile, retenue par le col de Perjuret et l’Aigoual au loin. La terre paraît chaude, les nuages laissent des ombres vives sur les matrices bien dessinées, piquées par des hameaux isolés. Des bois de pins coiffent les reliefs qui s’amenuisent. Ici ou là, les parcelles non plantées sont pâturées ou cultivées. Les grandes plaines étirées offrent des mosaïques brunes, jaunes et vertes ; les dolines complètent le tableau par fragments arrondis. Les légers reliefs du plateau semblent démunis, l’enfrichement y gagne du terrain en recouvrant les clapas. Comme un sursaut, les grandes figures de l'occupation humaine millénaire font de la résistance : l’enceinte protohistorique de Drigas se dégage de son massif boisé et les lavognes, par petites touches, nous montrent que l’eau est rare et précieuse. Le planeur paraît flotter dans les nuages, mais là-haut, les courants chauds et froids se disputent, secouent l’appareil et me rappellent que nous sommes quand même mieux les pieds sur Terre.

Afin de parcourir le territoire dans sa diversité, j’ai établi trois protocoles de terrain complémentaires. Chacun remplit ses objectifs par un mode de transport différent. Le premier s’intéresse à un axe nord-sud, le second ouest-est, tandis que le troisième en fait le tour en suivant la corniche. Ces trois méthodes me paraissent idéales pour provoquer un grand nombre de situations en parcourant autant les routes principales que les lieux plus isolés. L’objectif majeur, s’il n’est pas seulement d’avoir une vision d’ensemble du Causse Méjean, est aussi d’esquisser une première analyse personnelle et sensible du paysage.

Étirer l’horizon 15


Protocole n°1 : La grande draille d'Aubrac à vélo - 1 journée -

Sainte-Énimie

P1

Col de Perjuret

re la Loubatiè Le valat de Jonte annonce la

L’Aigoual bientôt

Le col de Perjuret, cordon ombilical du Méjean 16


Reliant de manière quasi rectiligne le col de Perjuret à Sainte-Énimie, l'ancienne draille, profondément ancrée au terrain, porte en elle beaucoup de sens historique et culturel. Je choisis donc de suivre ce tracé, balisé GR60, à VTT. Il y a là une volonté d'éprouver physiquement ce territoire que l'on imagine plat. Le chemin de transhumance et sa physionomie primitive traverse au plus court le Causse Méjean et ses aspérités.

journée est de déterminer des « domaines d'études », autrement dit des sujets en soit, des thèmes à traiter, creuser ou questionner. Le col de Perjuret, unique attache à la terre, est mon point de départ. Se dégage d'abord une grande plaine cultivée qui plonge brutalement à Gatuzières, les parcelles planes y sont taillées jusqu'aux premiers reliefs donnant le chaos de Nîmes-le-vieux. Plus haut, le Gally s'y adosse humblement et regarde vers le sud. Le hameau s'organise autour de son habitat traditionnel, les bâtiments agricoles contemporains en périphérie traduisent quant à eux l'adaptation de l'agriculture, et à des réalités économiques et fonctionnelles.

Dans ce premier protocole de terrain, je me laisse guider par mes sensations pour les prises de vues photographiques. Qu'est-il important de retenir ? Quels sont les modèles qui se répètent ou qui font plutôt figure d'exception ? L'ambition de cette

on

Crête tabulaire du Méjean

de Tarn au se e au s i s ru is Du laba Ma

e de Lign des e g a x part eau

le Rozier, Pour atteindre parcourt la goutte d’eau

87 km 32 km

La ferme du Gally adossée sur le chaos de Nîmes-le-vieux 17


Doline en cuvette et lisière boisée induite par la topographie

La Combette, de gauche à droite : les dolines, les clapas et la draille

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a probablement facilité l'implantation d'activités pas seulement agricoles, comme des gîtes ou des auberges. Je n'avais pas encore atteint le Fraisse que ma gourde était déjà vide. La précaution que nous devons à l'eau est le premier d'une longue série d'enseignement caussenard. La fin du parcours se déroule alors avec beaucoup moins de lucidité et d'énergie, je maudis un instant ce chemin qui enjambe frontalement la pente et le soleil qui m'assomme de plus en plus. Aux abords du Puech d'Alluech, la route réemploie le tracé de la draille, et j'amorce progressivement la descente accidentée vers Sainte-Énimie.

Les prochains éléments qui ne manqueront pas de retenir mon attention sont les courbures cultivées au cœur du vaste « royaume des moutons ». Probablement déterminées par des logiques d'accès et de qualités des sols, ces poches nous rappellent que même les lieux les plus minces ont leur importance vivrière. Alors que l'horizon se dessine loin derrière la Combette, il est bientôt temps de traverser les pins ordonnés de la serre de Capel. Ces boisements denses aux limites franches supplantent le relief. Une autre ambiance marquée par de nouvelles odeurs caractérise désormais les lieux. La descente sur Nivoliers se fait en dégringolant les cailloux du ravin pour gagner le seuil de la vaste plaine de Chanet. Le village, bâti en longueur, traversé par un axe structurant du Causse, semble s'étaler et respirer dans la pente. Sa situation

En démêlant les photographies, il me semble essentiel de travailler sur la répartition des grands espaces et sur les liens que le Causse entretient avec les territoires voisins.

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Villaret puis le reste s'est déchargé, péniblement, sur un paysage qui ne se montrait pas surprit. Seul, sur une mobylette qui aimerait, elle aussi, dépasser ses 45km/h, les distances semblent infinies. Le temps change vite, c'est la deuxième leçon que j'ai apprise. Fort de cette expérience, et décidé à poursuivre l'effort sur la partie boisée le lendemain, je prévois un k-way. Mais ce jour-là, mon Peugeot 101 décide d'être capricieux, enrhumé de la veille. La panne. Vient alors le troisième enseignement en 3 jours : chaque erreur, oubli ou aléa se paye cher, et se paye en effort physique. Pour l'heure, je pédale, encerclé de pins et de reliefs vallonnés. Le paysage fermé s'ouvre de temps à autre, par éclats, vers le sud et les gorges de la Jonte. Autrement, cette expérience à mobylette m'a permis d'améliorer et affiner mon premier repérage. J'ai également perçu la limite entre boisé et ouvert comme une frange poreuse et fragmentée.

Protocole n°2 : Causse boisé, Causse nu ? - 2 journées -

Col de Pierre Plate

P2 Saint-Pierredes-Tripiers

Selon des documents tel que l'Atlas des paysages de la Lozère, il y aurait deux unités de paysage pour qualifier le Causse Méjean : un causse boisé à l'ouest, et un causse ouvert à l'est. Il y a effectivement une présence manifeste de boisements plus importants sur la partie occidentale. Pour autant, la limite entre les deux paysages est-elle si nette ? Un itinéraire ouest-est doit me permettre de comprendre ces variations. Les distances étant plus importantes, je décide d'effectuer deux boucles à mobylette ; l'une au départ de Saint-Pierre-des-Tripiers, l'autre du col de Pierre Plate au dessus de Florac. La mobylette est, lorsqu'elle daigne démarrer, un formidable outil d'exploration. La vitesse limitée à un petit 45km/h en pleine descente me laisse du temps pour voir et comprendre ce qui m'entoure tout en limitant mon effort. L'objectif de ce deuxième protocole est d'alimenter les domaines d'études déterminés lors de la première journée en arpentant, sans tracés pré-établis, une autre portion de territoire aux attributs différents.

Forêt ancienne de pins et chênes

Je m'aventure d'abord sur le « Causse nu », du col de Pierre Plate jusqu'à Costeguison en passant par Hures, Nivoliers, et la plaine de Cros Garnon. Si le temps était au beau fixe à l'aller, le retour vers Florac fût plus chaotique. Les nuages noirs s'étaient solidement installés et semblaient attendre mon retour. Les premières gouttes d'une heure de souffrance sont tombées à la Croix du Une délimitation pas si franche 20


MosaĂŻque de plantations

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lĂŠe

Steppe ondu

Tah Tac Tak

21

Causse ouvert ?


La Chabassude, hameau fantôme devant les crêtes tabulaires du Méjean et l’Aigoual en horizon 22


Protocole n°3 : Qualification de l'isolement - 2 journée -

P3

Les premières journées ont permis d'examiner le territoire dans sa longueur et dans sa largeur ; je souhaite à présent en faire le tour et photographier autant que possible les terres voisines depuis la corniche du Méjean. L'exercice, qui ne paraît pas insurmontable sur la carte, s'avère bien plus épineux lorsque l'on se frotte aux genévriers. Au préalable, j'ai déterminé une quarantaine de points de vue selon l'occupation du sol, les ruptures topographiques et les possibilités d'accès. Pour les relier et mener à bien mon entreprise, j'utilise la voiture et le VTT, un combiné qui me permet d'accéder (presque) partout. Du moins c'est ce que je pensais avant de crever à la première lande un peu robuste. Une fois n'est pas coutume, l'erreur me coûte en effort et j'imagine le Causse furieux de ce duel improvisé. Je compte alors sur une assistance familiale, un vélo dit « increvable », et un peu plus de sagesse pour continuer ! 23


Passé la Malène et les Vignes, les falaises dolomitiques se décomposent à l'image des détroits, altérés et suspendus. Les détroits du Tarn depuis le Roc des Hourtous Méjean

De Quézac à la Malène, les franges des causses qui plongent dans les gorges du Tarn sont plus arrondies, définies par les méandres de la rivière. Cirques, ravins boisés ou érodés, terrasses cultivées ou abandonnées, le paysage vacille.

L’arpentage du contour caussenard fait apparaître au moins quatre types de corniches. Mon hypothèse est que ces morphologies ont une influence sur la relation entre le Causse et les vallées. Les chemins et routes qui accèdent au plateau, dont l’existence et la nature dépendent du terrain, sont les vecteurs des relations humaines. Certains secteurs trop accidentés ne permettent pas l’infiltration entre le haut et le bas. Il semblerait que les plus petits chemins isolés ou périlleux sont laissés à l’abandon. Les axes majeurs de communication, comme la route de Sainte-Énimie au col de Coperlac, utilisent la topographie plus souple de certains reliefs. Je dénombre, pour le Méjean, une dizaine de villes ou villages « portes », à partir desquels une route fait l’ascension.

Méjean

Cirque de Saint-Chély-du-Tarn

Côté schiste, entre Meyrueis et Quézac, les falaises sont abruptes, et la crête tabulaire forme un promontoire affûté. Vallée du Tarnon depuis la Chabassude Méjean

Pendant ce grand panorama, les horizons défilent et les montagnes se répondent. L’Aigoual est assis sur les Cévennes, le Mont-Lozère pelé est solidement édifié, et la Margeride au loin annonce d'autres lieux. Une rivière est toujours présente sous mes pieds, en gorge resserrée ou donnant davantage d'espace à la culture. Les Hommes occupent les vallées, bien plus que les causses.

Entre Meyrueis et les Douzes, nous observons des crêtes plissées et arrondies. Les serres s’avancent en pente douce puis plongent brusquement dans les gorges boisées de la Jonte.

Dans la dernière ligne droite de l'exploration, un patou aura eu raison de mon fessier. Le territoire, définitivement plus fort, voulait avoir le dernier mot ; et les troupeaux sont bien gardés !

Méjean

24

Serre du Bouyssous depuis Hyelzas


Causse de Sauveterre

Causse Méjean

Causse de Sauveterre

Route de Sainte-Énimie au col de Coperlac

Causse Méjean

Corniche des Cévennes

Causse Noir

25


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Crêtes plissées Le Rozier

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Col de Perjuret Meyrueis

Calcaire Nord

Florac

Schiste + Granit

2 km 26

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Faisons le point Les limites entre les domaines boisées et les pâturages sont les lieux où la fermeture du paysage semble plus importante qu’ailleurs à raison d’une pression anthropique qui s’amenuise. Les limites entre les espaces pastoraux et les cultures sont souvent d’origine topographique, et les nombreuses dolines en sont les parfaits exemples. Enfin, dû à une pression plus importante sur les espaces cultivés, la frange avec les boisements me semble souvent plus nette.

En guise de courte synthèse de mon analyse sur le terrain, le schéma ci-contre simplifie mes relevés. Pour présenter le Causse Méjean, je commence souvent par ses limites qui induisent des relations aux territoires voisins. Selon moi, la nature de ces relations existe tout d’abord par une fracture géologique mais dépend également de la morphologie des corniches dont l’influence se manifeste par des types d’accès différents.

Pour terminer, le Causse est ponctué de petits hameaux isolés les uns des autres, regroupés autour d’un ou plusieurs corps de fermes et autour desquels se développent des bâtiments agricoles qui répondent à des besoins contemporains.

Concernant la répartition des grands espaces, nous identifions trois domaines principaux qui se partagent l’essentiel de l’espace. Les domaines forestiers d’abord occupent un gros tiers du Causse. Ils se composent de plantations de pins noirs qui datent des années 1960 - 1970, mais aussi de massifs qui me paraissent plus anciens sur la partie occidentale avec des forêts mixtes. Ensuite nous trouvons le « domaine des brebis », les espaces pastoraux. Ils concernent plus de la moitié du territoire et sont représentatif du Causse ouvert aujourd’hui très convoité. Il y a de fait, un intérêt pour ces milieux riches en terme de biodiversité avec les pelouses calcicoles, mais ils sont les premiers supports de traces agropastorales millénaires comme les drailles et les clapas. Enfin, l’agropastoralisme évoque aussi des cultures qui sont une composante importante du paysage. On trouve des parcelles de différentes tailles, parfois le fond d’une petite doline, parfois des plaines plus importantes.

a b c d e f g h i j k l m n o p 27

Se situer dans le récit (ordre d’apparition) Gatuzières Chaos de Nîmes-le-vieux Le Gally La Combette La serre de Capel Nivoliers Plaine de Chanet Le Fraisse Puech d'Alluech Saint-Pierre-des-Tripiers Col de Pierre Plate Costeguison Hures Plaine de Cros Garnon Croix du Villaret Col de Coperlac


L’héritage comme un moyen de faire ? Sur le Méjean, les traces du passage de l’Homme s’octroient une place prédominante dans le paysage. Nous en avons vu de plusieurs types : drailles, clapas, lavognes, jalses, murs, ruines, etc. Elles témoignent, en somme, de la richesse du passé caussenard. Afin d’imaginer le futur habité du territoire en accord avec son héritage, je souhaite porter un regard attentif sur l’histoire. Il s’agit de lire le patrimoine, non pas comme une manière de faire venir mais plutôt de venir faire. Le patrimoine est une trace qui appartient au passé et qui doit composer avec le présent. Mon impression est qu’il est souvent vu comme une opportunité pour attirer un public, touristique par exemple. Son entretien représente une charge financière et donc un investissement. Sans discréditer cette posture, je voudrais proposer une autre hypothèse : il devient un outil de projet, support d’enseignement à considérer dans la réflexion. Il sera important de distinguer les biens en tant que tel, et les raisons de leurs présences. Aussi, le terme « héritage » sera préféré à « patrimoine » qui renvoie davantage à des biens matériels et figés. Par conséquent, nous puiserons dans le déjà-là, les ressources locales, la tradition ou les expérimentations en cours. Comment peut-on se servir du passé pour imaginer un futur en accord avec les problématiques contemporaines ? Cette démarche historique doit permettre de dessiner un « ADN » caussenard qui fait historiquement sens. 28


TĂŠnacitĂŠ des vestiges humains aux Jalses de Croupillac 29


[ Agrafe n°1 ]

Le premier regard posé sur le territoire met en évidence une forme de vulnérabilité évidente vis-àvis des aléas d’un terrain qui peut se montrer rude et surprenant. Nous sommes ainsi dépendants les uns des autres. Habiter le Causse nous amène rapidement au vivre ensemble et à l’entre-aide. Pour bien comprendre le Méjean il faut en faire l’expérience, éprouver les difficultés qu’il nous impose, le parcourir d’un bout à l’autre. En terme de méthode, il me semble que les protocoles mis en place m’ont confronté aux réalités du terrain et ont provoqué un grand nombre de situations. Cette épreuve m’a permis d’avoir un premier aperçu du plateau, mais à l’heure du bilan, je me pose peut-être plus de questions que je n’ai eu de réponses.

Bibliographie A BERTRAND Hyper-ruralité. Un pacte national en 6 mesures et 4 recommandations pour restaurer l’égalité républicaine. Rapport au Sénat, 74 pages, 2014 F CARERI Walkscapes. La marche comme pratique esthétique. Éditions Actes Sud, 2020 S DEPRAZ Penser les marges en France : l’exemple des territoires de « l’hyperruralité ». Bulletin de l’Association de géographes français 94, n°3, 2017 T INGOLD Faire : Anthropologie, Archéologie, Art et Architecture. Éditions Dehors, 2013


Complicités entre l’évolution des modes d’occupation humaine et la mutation du paysage

Comment les Grands Causses ont-ils été habités depuis des millénaires et comment les populations primitives se sont elles adaptées aux problèmes de leurs époques ? Comment le territoire a-t-il été administré pour former l’occupation dispersée telle que nous l’observons aujourd’hui ? Comment a-t-on pu maintenir les espaces ouverts et quelle est la valeur historique de ces milieux ? Peut-on explorer la mutation du trio culture-pâture-boisement dans le temps ?

• 31 •


Un filtre de pierre À l’origine, une terre aride Dès les premiers temps de l’histoire humaine, l’Homme rencontre un territoire aride, hérité de la longue formation du Causse. Au début du Jurassique, une mer peu profonde et chaude envahit la région des Causses et Cévennes sur lesquels se déposent des sédiments calcaires et dolomitiques. Les derniers dépôts datent de la fin du Jurassique moyen, il y a 140 millions d’années. La mer s’est ensuite retirée dans la seconde moitié du Crétacé. Sous les climats chauds et humides de l’ère tertiaire (40 millions d’années), les calcaires et dolomies commencent leur dissolution et forment le karst. Il en résulte de nombreuses cavités souterraines, grottes, avens et résurgences qui percent les couches sédimentaires.

« Notre terrain, c’est un filtre ! Il parait que dans le temps, c’était un grand lac. Puis ça c’est desséché petit à petit et voilà... »

Jules Contastin, berger © Mario Ruspoli, Les inconnus de la Terre, 1961 Cavité souterraine rapidement investie par les premiers Hommes • 32 •


Symptômes des milieux karstiques, les dolines sont des attributs spécifiques au paysage caussenard. Elles sont provoquées par la dissolution du calcaire ou par l’effondrement d’une cavité souterraine. La jonction de plusieurs dolines (ouvalas), peut former des plaines plus importantes (plana). Elles sont toutes reliées par des avens, des puits naturels qui conduisent l’eau de pluie au cœur du Causse avant qu’elle ne réapparaisse en fond de vallée par les résurgences. Ainsi, presque aucune source n’est présente sur le Causse et la surface, privée d’eau, est marquée par l’aridité. Il arrive cependant que certaines dolines ou plaines, lors des fortes pluies et grâce aux couches d’argiles qui retiennent un moment l’eau, forment de petits lacs appelés poljés.

Inversement, le paysage est ponctué de puechs ou serres qui constituent de petites « montagnes ». Le sol y est bien plus mince et pauvre que dans les dépressions.

Calcaire Dolomie Résurgence Réseau karstique

1 2 3 4

Aven Puech Plana Doline, sotch

8

7

6

1 5

2 1

4

2 1

3

• 33 •

5 6 7 8


Nord

2 km

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Dépôts résiduels des dépressions karstiques, « Terre des Causses » (BRGM) La terre riche est retenue à la surface d’un univers souterrain

Richesse de la terre rossa Doline

ssa

Terra ro Lapié

Les dépressions sont remplies d’une terre rouge localement appelée terra rossa. Elle contient des éléments issus de la dissolution du calcaire comme l’argile et le fer, mais aussi de petits grains de quartz et autres minéraux qui proviennent des massifs granitiques et schisteux voisins (le Rouergue, la Margeride et les Cévennes). Ce serait donc d’anciens cours d’eau, datant de cinq à dix millions d’années qui auraient déposés leurs alluvions piégées dans les dépressions. (P.N.C., 1985) Ces anciens cours d’eau ne représentent aujourd’hui que des vallées sèches et des grandes plaines à l’image, sur le Méjean, des plaines de Chanet et de Carnac. Les dolines et les plaines sont des lieux propices aux cultures (rétention momentanée de l’eau, terra rossa riche et fertile).

Plaine fertile de Chanet

Eaux souterraines

Marnes du Jurassique inférieur

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Récit d’un territoire « humanisé » depuis le Paléolithique

Les Grands Causses entretiennent depuis des millénaires une relation singulière avec les sociétés qui les ont façonné. Lieux de passage ou d’occupation, pays riches ou désolés, boisés ou dénudés, ils sont su convaincre des générations pour l’occuper. L’idée de cette enquête historique et de se plonger dans la chronologie des faits en croisant les travaux d’archéologues, d’historiens ou d’écologues pour regarder l’évolution des liens entre la société et son territoire. Pour chaque époque, nous nous intéresseront au binôme indissociable que constitue les activités anthropiques et le paysage.

Les premières traces de passage (des origines à -6 500 ans av. J.-C.)

L’occupation caussenarde des premiers Hommes est renseignée par le mobilier archéologique qu’ils ont laissé. Les nombreux indices extraits des cavernes et tumulus permettent de remonter aux premiers temps de l’histoire humaine. Un biface en roche cassante retrouvé dans la grotte de la Caze entre la Malène et Saint-Chély-du-Tarn montrerait qu’il existe, dès le paléolithique inférieur, une circulation humaine entre les causses de Sauveterre et Méjean. (Fages, 2009) Les chasseurs-cueilleurs dépendent uniquement des ressources naturelles. Au Paléolithique moyen, des pointes de flèches en chaille sont retrouvées dans un abri sépulcral aux abords du col de Perjuret. Ces rares indices évoquent davantage le passage d’un groupe de chasseurs traquant le gibier (ours, rennes, rhinocéros...) que son installation. Les Grands Causses deviennent les témoins d’une industrie lithique importante à partir du Mésolithique. Avec la dernière glaciation et un adoucissement des températures, la flore et la faune se rapprochent de la notre. La forêt tempérée, composée de pins sylvestres et de chênes caducs, est en pleine expansion. Les Hommes occupent essentiellement les gorges et vallées qui leur confèrent des refuges à l’abri du vent et du froid.

(a)

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(a) : Pointe de flèche en chaille. Dim., 35x12 mm. Fouilles : Clément Marolle. Source : Département de la Lozère (b) : Poignard en Silex. Dim., 200x21 mm. Fouilles : Barthélémy Prinuères. Source : Harry Truman Simanjuntak

Enquête historique pour la définition d’un « ADN » caussenard


Une agriculture pionnière au Néolithique (c) : Tresses de cheveux humain retrouvées dans le Tumulus n° X du Freyssinel (Causse de Sauveterre). Dim., 90x68 mm. Fouilles : Charles Morel (d) : Crâne trépané retrouvé sur le Causse de Mende. Source : Département de la Lozère

(-6 500 à -2 000 ans av. J.-C.)

Le Néolithique est la période qui voit naître les sept ordres techniques qui ont fortement amélioré les conditions de l’existence : la construction, la poterie, l’agriculture, la domestication et l’élevage, le travail des métaux, le tissage et la navigation. (Grimaud et Balmelle, 1925) « Un premier flot humain de civilisation chasséenne a assimilé les survivants du Mésolithique, après avoir franchi les Cévennes et gagné les terres du Méjan par le col de Perjuret » (Hugues, 1982). Ce serait les Chasséens qui, au Néolithique moyen, auraient introduit l’agriculture sur les causses. Les céréales deviennent la base alimentaire nécessitant des innovations : faucille en silex, meules à grains, silos, fours à pierres chauffantes.

(c)

(d)

Le peuplement se limite encore aux vallées et sur les versants des plateaux où il règne un micro-climat plus favorable. « L’intérieur des causses, encore très boisé, ne semble avoir été fréquenté que pour des expéditions de chasse. » (Fages, 2009) Une augmentation de la population au Néolithique final avec la généralisation de l’économie agropastorale est attestée par la présence de nombreux dolmens sur le Méjean (76, cf. page 41) ainsi que plusieurs dizaines de grottes sépulcrales1. Les menhirs, presque aussi nombreux que les dolmens, « prolongent la notion de croyances et de pratiques qui échappent aux nécessités d’ordre purement matériel de l’humanité » (Fages, 2009). Les sites mégalithiques ne semblent pourtant pas avoir abrité d’habitat permanent.

1 Les sépultures sont collectives pour la plupart. Le tumulus à incinération est une particularité caussenarde qui consiste à brûler simultanément une dizaine d’individus. On y retrouve de précieux indices sur les peuples du Néolithique. Un tumulus à incinération sur le Causse de Sauveterre recelait « des restes de tresses de cheveux carbonisés qui figurent parmi les plus anciens vestiges de cette nature trouvés sur le vieux continent ». Les Grands Causses apparaissent aussi comme l’un des principaux foyer mondial de trépanation. Dans la grotte-aven des BaumesChaudes (gorges du Tarn), 130 crânes trépanés ont été retrouvés, dont 70% des individus avaient survécu. Ces découvertes illustrent les avancées majeures de cette période dans les modes de vie, la médecine ou le funéraire par exemple.

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Nous pouvons donc imaginer que les communautés paysannes semi-nomades faisaient des va-et-vient saisonniers entre l’intérieur du Causse et des grottes à flanc de vallées. (Sgard, 2010) Les crêtes cévenoles semblent être dès la fin du Néolithique des voies commerciales très fréquentées. « Dès le second millénaire av. J.-C., les Hommes auraient suivi le déplacement instinctif des animaux (notamment les ovins, présents dans la France méditerranéenne vers la fin du VIIe millénaire avant J.-C.), depuis la plaine littorale vers les pâturages plus verts de la montagne. Cette pratique expliquerait l’origine ancestrale du tracé de certaines drailles bordées de mégalithes. » (Sgard, 2010)

(Fagus sylvatica) est le feuillu le mieux représenté suivi des aubépines, des chênes caducifoliée et du buis. L’actuel Causse nu était donc boisé d’une pineraie avant qu’elle ne soit détruite par le feu. Une forte phase d’érosion a également décapé la partie orientale du Méjean de sa couverture pédologique au profit des secteurs dolomitiques à l’ouest, plus favorable à des accumulations. (Marty et al., 2003) Ainsi, la dualité Causse boisé - Causse nu remonterait à plus de 4000 ans.

Concernant l’occupation du sol, des résidus charbonneux témoins de paléofeux sont découvert en 1999 dans les dolines du Causse nu. Les résultats d’un échantillonnage de 85 stations dont la majorité sur la partie dénudée montrent que le pin sylvestre (Pinus sylvestris) forme à lui seul 90% des résidus, le hêtre

Le Néolithique est donc une période pendant laquelle les innovations dans les modes de vie ont amené une activité agropastorale semi-sédentaire entre les vallées et les plateaux. Les révolutions alimentaires provoquent une accélération de la démographie et l’émergence de sites mégalithiques (tumulus, dolmens et menhirs) principalement sur la partie orientale. La domestication des ovins et le feu auraient contribué à l’ouverture du paysage dans le même secteur.

Pinus sylvestris

Dolmen de la Tourtro (Causse Méjean) • 38 •


L’exploitation des ressources par les Gabales (-52 av. J.-C. à 476)

La tribu gauloise (ou celte) qui occupait le territoire actuel de la Lozère était celle des Gabales. La racine celtique gab (lieu élevé) pourrait signifier qu’ils se nommaient « les habitants des montagnes ». Après la conquête romaine, la civitas gabalorum prit pour capitale l’ancien oppidum gaulois Anderitum (Javols).

Influences étrangères aux âges des métaux (-2 000 à -52 av. J.-C.)

L’inexistence des mines d’étain en France conduit à des échanges avec l’Espagne ou la Grande-Bretagne. Les Causses se relient étroitement au nord-est de la France pendant le Bronze final (-1 000 av. J.C.). L’époque est marquée par les déplacement de populations qui utilisaient les drailles, probablement tracées dès la fin de l’Âge de Bronze à partir des pistes primitives. Elles ont contribué au peuplement des vallées tout en confortant leur complémentarité avec les causses et les montagnes granitiques. « Les drailles furent historiquement les éléments structurants des réseaux de connaissances, d’informations et de relations marchandes » (Sgard, 2010) Au cours du premier Âge du Fer (-700 à -400 av. J.-C.), « l’habitat rompt avec le mode de vie et les habitudes rupestres ancestrales pour se tourner résolument vers l’habitat de plein air ». (Fages, 2009). On s’installe alors sur des sites en hauteurs qui offrent une protection naturelle, renforcée par un rempart de pierres sèches. L’enceinte de la Rode, entre Drigas et le Buffre en est probablement le meilleur vestige sur le Causse Méjean (cf. page 4) ; elle daterait du VIe siècle av. J.-C. selon l’archéologue André Soutou. À l’intérieur de l’enceinte fortifiée, les habitations sont construites avec des charpentes qui supportent une couverture périssable constituée d’herbes, genêts, chaume etc. Parallèlement, des paysans restent près de leurs terres, formant un habitat dispersé. À la fin de l’Âge du Fer, l’influence méditerranéenne se caractérise par le commerce entre les causses et la Grèce. (Fages, 1965).

Les informations concernant l’époque romaine s’appuient abondamment sur la thèse en archéologie soutenue par Florian Baret en 2015 qui s’intéressait aux agglomérations « secondaires » gallo-romaines dans le Massif Central. Même si le tissu des habitats ruraux (villæ et fermes) des Gabales reste mal connu, ils semblent se localiser majoritairement dans les vallées du Lot et du Tarn. Le réseau viaire hérité des gaulois est probablement renforcé à l’image de la voie reliant Javols à Rodez par l’Aubrac. Dans la cité gabale, hormis dans la vallée du Lot et le long des axes routiers structurants, « le territoire [...] reste en marge du phénomène urbain », c’est le cas pour le Méjean. L’urbanisation commence vraisemblablement à la sortie des gorges du Tarn, côté Ruthène (Aveyronnais). La production de céramiques faisait la richesse et la renommée des cités. Le territoire gabale possédait la ressource en bois nécessaire à l’approvisionnement des ateliers de potiers et de fabrication de tonneaux. Les causses sont alors des territoires riches en bois. Celui-ci est exploité et acheminé par voie navigable jusqu’aux ateliers de Banassac par le Lot, Florac, le Rozier et la Graufesenque (Millau) par le Tarn. Les productions sont exportées jusque dans les régions rhéno-danubiennes. Parallèlement, la cité gabale apparaît comme l’une des principales zones de production de poix à partir de la distillation de la résine de pin sylvestre. Plus d’une centaine de stations d’extraction appelées « picaria » sont recensées, la plupart étant sur les causses Noir, Méjean, et de Sauveterre. La poix était enduite à l’intérieur des amphores et des tonneaux afin de les rendre étanches. Les vignerons de la Narbonnaise au pied du Larzac en était de grands consommateurs. La poix était également utilisée pour le calfatage des bateaux, pour rendre les • 39 •


cordages souples et imputrescibles. Elle aurait enfin, associée à d’autres plantes, des vertues antiseptiques et médicinales. C’est dans les sotchs ou les combes, que l’on rencontre les stations gallo-romaines d’extraction de la résine, là où la terre est profonde et meuble. Sur le Causse Méjean, toute les stations sont situées sur la moitié ouest, boisée, et principalement en bordure du Tarn. Une villæ plus importante a été découverte proche de Rouveret, au dessus de la Malène où la production de poix est attestée dès le premier siècle de notre ère. Les ateliers périphériques et probablement non-permanents récoltaient la matière brute qui devait prendre ensuite le chemin de la villæ pour y être purifiée, conditionnée sous forme de pains et stockée en quantité importante avant sa commercialisation. Les pars rustica comme celle de Rouveret demeurent rare. Sur la plupart des exploitations agricoles liées à l’extraction de la résine, la poix représentait une production rurale annexe modeste, pratiquée sans doute en complément de l’agriculture vivrière et de l’élevage. Cette industrie a dû constituer un atout économique pour la civitas des Gabales, étant donnée la situation géographique privilégiée qu’elle occupait, proche des secteurs viticoles de la Gaule du Sud. Elle vient en amont de deux socles économique important : l’artisanat de la terre cuite et la viticulture. (Trintignac, 2003) La grande quantité de bois nécessaire au fonctionnement des fours laisse imaginer l’impact humain sur l’occupation du sol caussenard. Une pénurie de bois suite aux grands déboisements pourrait expliquer l’origine du déclin de la production de céramique sigillée sur les territoires Gabale et Ruthène. De manière secondaire, l’extraction minière et la métallurgie était une ressource du territoire mentionnée par Strabon. Les sidérolithes (minerais de fer) des causses devaient être exploités dès les premiers siècles de notre ère.

Trajectoires des établissements humains jusqu’au haut Moyen-Âge Époque av. J.-C. Site mégalithique Époque Romaine Capitale de la cité Atelier de sigillé Villæ Station de résinier Voie majeure Haut Moyen-Âge Établissement religieux Forteresse Limites administratives Evêché de Mende

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ère

Truy

All ier

Javols

Mende Lot

Mont-

Lozère

Banassac

Tarn

Florac

Le Rozier

Jonte

Mont-Aigoual

Millau Nord

10 km Dolmen

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Le rôle majeur des institutions ecclésiastiques dans la territorialisation des pouvoirs

fonds de vallées. La transhumance s’étendit en même temps que l’influence des principales abbayes du pays comme celle d’Aniane ou de Gellone (Saint-Guilhem-leDésert). Lorsque l’abbaye bénédictine d’Aniane entra en possession du monastère à la confluence du Tarn et de la Jonte et de l’église de Saint-Pierre-des-Tripiers, les moines furent assurés de la maîtrise de vastes terrains de parcours sur les causses Méjean et Noir.

(476 à l’an mille)

La région du peuple Gabale appartient à l’Empire romain jusqu’à sa chute. L’importance économique des ateliers de céramique sigillée à l’époque gallo-romaine ne se dément pas au cours du haut Moyen-Âge et se poursuit à Banassac par des ateliers monétaires mérovingiens aux VIe et VIIe siècles. Un large mouvement de christianisation prit son essor à partir du VIIe siècle avec l’installation d’établissements monastiques. La fondation du monastère de SainteÉnimie et sa légende1 date de cette période. Les plus anciennes abbayes du Languedoc virent rapidement l’intérêt économique de cette région reculée dont la traversée était imposée pour relier le Massif Central, la plaine du Languedoc et les ports de la Méditerrannée. Il n’est donc pas surprenant de trouver Sainte-Énimie sur l’une des principale draille menant les troupeaux du Languedoc à l’Aubrac. Les implantations dans les vallées du Tarn et du Lot semblent perdurer et tisser des liens avec les monastères du Rozier et de Sainte-Énimie et les ermitages de Saint-Chély-du-Tarn et des Baumes. Pendant le haut Moyen-Âge, la capitale religieuse du Gévaudan passe de Javols à Mende. Il est inscrit dans une règle monastique appelée « Regula Tarnatensis » et adressée à un monastère non identifié dans les gorges du Tarn : « Si le postulant amène au monastère un troupeau de quelque espèce que ce soit, l’abbé lui en remettra le prix, et on ne lui refusera pas de disposer de cette somme comme il l’entend »2. Il s’agirait de l’unique règle monastique faisant référence à une activité agropastorale. Elle justifie une nouvelle fois les liens étroits existant entre les plateaux et les

L’installation de petits établissements religieux sur les Grands Causses se fait progressivement ; d’abord, sur les exploitations trop éloignées où des travaux étaient effectués pour permettre des séjours plus longs. Les domaines cultivés à proximité étaient alors agrandis. Quand l’élevage ovin prit d’avantage d’importance, de nouveaux établissements (ou celles) temporaires étaient crées au cœur des espaces de parcours pour les périodes d’estives. « La fréquentation des offices célébrés par les moines-bergers stabilisaient les populations autour de ces oratoires qui devinrent des églises ». Enfin, un maillage de celles fût mis en place le long des chemins de transhumance, les plus importants se trouvant aux lieux clés : gué, ponts, cols, etc. Les seigneurs laïcs ou religieux percevaient alors des redevances et contrôlaient le passage des moutons. Les premiers textes qui stipulent ce droit nommé « rafica » datent de la fin du IXe siècle. Un rapprochement peut également être fait avec le droit de « pulvérage » présent dans le Code Théodosien en 439, permettant de dédommager les riverains de la poussière émise par le passage des troupeaux sur les récoltes. L’essaimage de ces établissements et leur maillage sur le territoire, par les ordres monastiques, militaire et religieux fut essentiel dans l’organisation et la construction du paysage rural. (Sgard, 2010).

1 « Fille de Clotaire II et sœur du roi Dagobert (VII siècle), Énimie, princesse mérovingienne, désirait se consacrer à Dieu. Voulant échapper au mariage imposé par son père, elle implora Dieu, qui lui infligea la lèpre. Un rêve lui indiqua qu’elle serait guérie en se rendant dans la vallée du Tarn, à la source de Burle en Gévaudan. Après s’être plongée dans l’eau, elle constata que la lèpre avait disparu. Mais, lorsqu’elle s’éloigna de ce lieu, les plaies réapparurent. Elle décida donc de rester et de fonder un monastère nommé Burlatis où elle vécut jusqu’à sa mort. Elle fut consacrée abbesse par Saint-Hilaire, évêque des Gabales, et le monastère fut richement doté par le roi et son entourage. Il conserva d’ailleurs ses prérogatives royales. » (Darnas et Peloux, 2010) 2 Fernando Villegas. La regula monasterii tarnatensis : texte, sources et datation. Revue bénédictine, 1974 ; traduction par Desprez. Règles monastiques d’Occident (IV -VI siècle). Vie monastique, n° 9, 1980. • 42 •


Clapas du Villaret, témoins d’un long travail d’optimisation des terres • 43 •


Exploitation organisée des terres au Moyen-Âge (1 000 à 1453)

Jusqu’à la croisade des Albigeois (1209-1229), une dizaine de châteaux sont édifiés à des points stratégiques dans les vallées. Elles permettent l’accès et le contrôle des plateaux1 et deviennent ainsi des lieux de conquête. La domination du Méjean est alors partagée entre plusieurs grandes familles ou ordres monastiques qui sont composés de vastes mandements2. Les seigneuries possèdent souvent un castrum (lieu fortifié) et plusieurs mas (mansus) qui désigne un hameau ou un ensemble composé d’un hameau et de ses terres. En 1227, ces châteaux sont pris par les croisés et reviennent à l’évêque de Mende. « La croisade albigeoise sera donc l’artisan de la puissance des évêques de Mende sur le Méjean où, dès la première moitié du XIIIe siècle, ils auront la seigneurie dominante de presque tous les châteaux. » Lors des règlements de conflits, les limites des mas concernés sont redéfinies et bornées. Cela représente « une étape capitale de la construction territoriale de la seigneurie ». Selon le médiéviste Benoît Cursente, la multiplication des procédures de délimitation et la volonté nouvelle de réduire les différentes entités territoriales existantes à une seule [...], aboutissent à la construction d’un « nouvel ordre territorial ». Il se manifeste clairement [...] un souci nouveau d’ancrer les droits dans les territoires, et non plus seulement de les exercer sur les Hommes. » (Dumasy, 2011) Les évêques de Mende mirent en œuvre une exploitation systématique des terres qu’ils contrôlaient, induisant le passage du pastoralisme à l’agropastoralisme. Ils organisèrent de façon méthodique la mise en culture de toutes les terres labourables, notamment autour des villages, réservant la majorité

1 Les majorité des châteaux se trouvent dans les gorges du Tarn et ont été construit chronologiquement en remontant la rivière. Au XIe siècle : Châteaux d’Ayres (Meyrueis), de Mostuejouls, Capluc (Le Rozier), Blanquefort et Dolan (Les Vignes). Au XIIe siècle : Châteaux de Peyrelade, Hauterives, Castelbouc et Charbonnières (Montbrun). 2 Circonscriptions sur lesquelles ils exercent leurs juridictions.

Les ruines du château de Hauterives dominent la vallée • 44 •


des terres non cultivables aux parcours des ovins ou des chevaux militaires. (Sgard, 2010) Les pâtures et cultures sont en grande extension sur le plateau. Les jardins et terres labourables entourent les lieux habités mais peuvent aussi s’étendre à de longues distances des hameaux. L’activité pastorale de cette époque est attestée par la fréquence des mentions de droits de pulvérage. À partir d’un acte de paréage appelé Feuda Gabalorum (fiefs du Gévaudan), il est possible de dresser une carte d’occupation humaine du Causse Méjean. Des hameaux au centre du plateau semblent former un bloc tandis que les bordures sont occupées par un habitat plus

dispersé et les vallées sont occupées par de plus gros villages. « Le réseau de hameaux qui s’y dessine est assez semblable à ce qu’il sera trois siècles plus tard, quand seront dressés les premiers compoix3, et cinq siècles plus tard, lors de la réalisation du cadastre. » (Jaudon et al., 2009) Le Gévaudan, qui au début du XIVe siècle traversait une ère exceptionnelle de prospérité, se trouvait à la fin du même siècle dévasté par la guerre de Cent Ans (1337-1453) et la peste. Pendant les 20 premières années de guerre, la population du pays est divisé par trois en passant de 13 370 feux à 4 610.

Occupation humaine au XIVe siècle Manse

Sainte-Énimie

Forteresse Limite de communauté

Tarn

Florac La Malène

Les Vignes

Hures La Parade Saint-Pierredes-Tripiers

Tarn

Jonte Le Rozier Meyrueis

Nord

3

2 km

Un compoix est « un livre foncier enregistrant les biens et fonds taillables du ressort géographique d’une communauté. » (Jaudon, 2011) • 45 •

Tarnon


Relèvement et enrichissement du pays

De la Réforme à la Guerre des Camisards

Après la guerre de Cents Ans qui oppose le royaume français à l’Angleterre jusqu’en 1453, l’importation de draps anglais ou fabriqués dans les pays soumis à l’Angleterre est interdite. Le Languedoc et Bourges deviennent les principaux centres de production. Le Gévaudan qui fabriquait les draps et produisait la laine depuis des temps immémoriaux, vit le nombre de ses métiers s’accroître considérablement grâce à l’exportation de ses produits. (Grimaud et Balmelle, 1925) Sur le Causse et ailleurs en Gévaudan, tous les villages possédaient des ateliers de tisserands dans lesquels hommes, femmes et enfants travaillaient pendant les longs mois d’hiver. Vers la fin du XVe siècle, l’industrie des mines se développa également, les rognons de fer que recelait le Causse Méjean furent soumis à une exploitation active. L’on retrouve des vestiges de forges catalanes à Rivalte près de SaintChély-du-Tarn et à la Parade.

Venues de Suisse, les idées de la Réforme se diffusent en Gévaudan dès 1560 et séduisent particulièrement les habitants des Cévennes. Le massacre de la SaintBarthélémy contre les protestants en 1572 déclenche un succession de guerres civiles au cours des deux prochains siècles. Les armées protestantes assiègent Mende en 1579 et sèment la terreur sur le tout le Gévaudan avant que la tendance ne s’inverse. Un moment de paix sera accordé par l’Édit de Nantes en 1598, il permis le libre et plein exercice du culte protestant. Les troubles reprirent après la mort d’Henri IV et mena à la Révocation en 1685 et à de nouvelles persécutions protestantes. La liberté de culte qu’ils exigeaient ne sera définitivement accordée qu’à la révolution.

(1453 à 1562)

(1562 à 1710)

Les guerres de religion ont marqué l’histoire du Gévaudan en ayant une influence fondamentale au cours des siècles suivants dans les relations humaines locales. Nous pourrions simplifier avec le dicton régional : « le schiste est protestant, le calcaire est catholique ». S’il n’est pas vraiment exact sur le plan géographique, il illustre la dichotomie des modes de vie et des mentalités entre les Causses et les Cévennes.

Les premières indication précises sur l’occupation du sol concernent seulement les communautés de Meyrueis et de Gatuzières1. « Causse et Aigoual confondus, le bois paraît particulièrement rare en ce milieu du XVIe siècle. » (Jaudon et al., 2009) La situation des paysans s’améliore, ils peuvent désormais acheter des lots et devenir propriétaires fonciers. Ils sont défendus contre les abus de pouvoir et les vexations. Les droits féodaux subsistent mais toute taille arbitraire est interdite. Grâce à la paix, les corvées militaires prennent fin et les châteaux sont abandonnés puisqu’inutiles. L’Église possédait de riches domaines d’où elle retirait des revenus considérables au point d’être l’un des évêché les plus lucratif du Languedoc. La population du Causse Méjean progresse lentement après la crise des XIVe et XVe siècles jusqu’à atteindre un maximum d’environ 2500 personnes. La pression sur les boisements est très forte et les terres labourables sont recherchées. Les guerres de Religion mettront un terme à l’accroissement de la population.

Le Méjean sous l’Ancien Régime (1598 à 1789)

Au début du XVIIe siècle, il existe de profondes différences démographiques entre causses et vallées. Sur le Méjean, l’habitat est dispersé en petites unités, principalement des mas de moins de 10 habitants ou des hameaux d’une trentaine. Drigas et Nivoliers sont les deux plus importants villages qui abritent plus de 100 personnes. Dans les vallées, au contraire, l’habitat est groupé en villages autour des points de passage de la rivière (ponts, gués) ou des moulins. Ils comptent en moyenne une petite centaine d’âmes. Sainte-Énimie est le plus gros d’entre eux en dépassant 750 personnes.

1 Meyrueis totalise 35 hectares de pins, 8 de chênes et 32 de hêtres, soit une surface boisée inférieure à 2%. Gatuzières possède 1 hectare de chênes et 148 de hêtres, 5% de sa surface. • 46 •


Sur le Méjean, les professions des chefs de familles sont quasiment toutes liées à l’exploitation des ressources du sol et justifient une économie agropastorale forte, dominée par les agriculteurs et les éleveurs. Les chefs de familles sont d’ailleurs rarement bergers, rôle assumé par des personnes venant généralement de l’extérieur du noyau familial. Les petits tenanciers propriétaires cultivent des céréales pour l’autoconsommation, élèvent entre 30 et 50 brebis pour le fumier, la laine, la viande et,

accessoirement, le lait. Ils représentent la majorité de la population en 1600 (Jaudon et al., 2009). Ensuite, de grands domaines appartiennent à des nobles dont les exploitations emploient une main d’œuvre nombreuse. Les cheptels comportaient entre 200 et 300 ovins à laine et une grande partie des terres étaient consacrée à la production de céréales. Lors des grands travaux agricoles, ces exploitations embauchaient d’autres paysans qui occupaient les terres communales et les sectionaux1 le reste du temps.

Les terrasses nourricières surplombent Sainte-Énimie

1 Les sectionaux sont des terres agricoles qui appartiennent aux habitants d’un village ou d’une section. Dès leurs origines, elles étaient destinées à permettre aux pauvres de vivre en faisant paître leur troupeau. • 47 •


Optimisation des terres au XVIIIe siècle

Bois, herme, terre novale

Défriche

Issart

Mise en culture (orge, seigle, avoine, froment, lin, chanvre)

Remise en culture

Pastural

Laborative

Abandon

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Dans les vallées du Tarn, de la Jonte et du Tarnon, « la dominante économique se fonde autant sur l’agriculture que sur un artisanat de transformation des produits agricoles : cardeurs, filandières, tisserands, tailleurs d’habits, peigneurs de laine, etc. » (Jaudon et al., 2009). Nous pouvons conclure ce regard sur les structures démographiques et professionnelles des plateaux et des vallées en mettant en évidence que le Causse Méjean était bien plus peuplé qu’il ne l’est aujourd’hui1 ; et l’économie se fonde sur un agropastoralisme dont les produits sont dirigés vers les vallées qui disposent de foires, marchés et d’artisans pour le commerce et la transformation des produits. Concernant l’occupation du sol, les paysages ouverts sont acquis dès le début du XVIIe siècle et le resterons trois siècles durant, y compris sur la partie ouest du Causse. La pression nécessaire au maintien de ces paysages ouvert est à mettre en parallèle avec une augmentation de la population caussenarde plus rapide sur le plateau que dans les vallées. 1 2 3 4 5 6 7

Les compoix, ancêtres des cadastres actuels, établis à l’échelle de la paroisse, désignent « un livre foncier enregistrant les biens-fonds taillables du ressort géographique d’une communauté. [...] L’étude de la propriété privée dans les compoix met en évidence le caractère composite des parcelles : beaucoup de pièces de terre mixtes (laborative2 et herme3, laborative et devois4, ou encore laborative et pastural5), un nombre important de faisses6, des issartels7, de très rares parcelles de bois [...] mais des lieux-dits au nom évocateur d’un passé boisé : La Pinède, La Raysinade, Lafage. » (Jaudon, 2011) Nous avons donc une imbrication fine de plusieurs types de parcelles : espaces pastoraux de plusieurs ordres, terres arables en culture, friches ou défriches et peu d’espaces boisés. L’activité agricole est organisée selon un cycle culture - pâture - remise en culture. « Compte tenu des rendements faibles et irréguliers de l’époque [...], il fallait défricher et mettre en culture au moins un hectare pour nourrir une personne. » Ceci explique la nécessité de défricher en grandes quantité. Parmi les terres cultivées, il faudra donc faire une distinction entre les labours pérennes réglementés, et les défrichements pour faire des cultures temporaires. La nature de ces cultures se lit dans les redevance des baux ruraux qui se font en orge, seigle, avoine ou froment mais qui contiennent presque toujours une portion en laine et en fromage. Nous pouvons y ajouter des cultures de lin et de chanvre destinées à la production industrielle de textile.

La densité habitée était d’environ 8 hab. / km2 au XVIIe siècle contre 1,7 aujourd’hui. Les laboratives sont des terres arables mises en culture. Les hermes sont les terres en friche. Devois, devès fait référence à des herbages en pente. Un pastural est un terrain pâturé. Une faisse, faïsse ou faysse est une terrasse soutenue par un muret ou une défriche bordée d’un pierrier. Le terme bancel est également utilisé localement. Les issarts sont les défrichements. • 49 •


Ce système agricole est l’une des cause majeure de la pénurie de bois sur le Causse qui annonçait une précarité dans le chauffage des habitations. Au début du XVIIIe siècle, les plus vastes boisements, composés majoritaire de chênes blancs et quelques hêtres sont signalés dans les pentes abruptes des vallées du Tarnon et Tarn. Rien sur le Méjean ne devait donc faire obstacle à la coexistence et, parfois, à l’alternance de la pâture et de la culture. Seuls les terrains « infertiles », reculés et ne pouvant pas accueillir de cultures étaient, par défaut, destiné à produire du bois de chauffage. Même les pentes des vallées, lorsqu’elles étaient bien exposées, étaient cultivées de ceps de vignes, amandiers et autres fruitiers. La pénurie de bois est aggravée par une politique royale de 1770 visant à encourager les défrichages. Les paysans étaient dispensés de payer la dîme sur les défrichages de parcelles dites « novales » (pas défrichée depuis au moins 40 ans). Ainsi, près de 1300 hectares auraient été défrichés entre 1771 et 1786. Ils répondent aux besoins de terre sans précédent qu’exigeait l’essor de la population et la nécessité de les optimiser pour la nourriture.

La réduction de la transhumance l’atteste indirectement. « Celle-ci, qui semble avoir été pratiquée de tous temps sur la partie orientale du Causse, au moins à partir des vallées adjacente, atteint ses limites à la fin du XVIIIe. » En 1724, 3000 brebis « étrangères » venaient paître sur les pelouses caussenarde près de Villeneuve. Le chiffre sera presque divisé par deux 40 ans plus tard. Par comparaison, le nombre de brebis « caussenarde » s’élève à 20000 bêtes et reste quasiconstant jusqu’à nos jours. Les méthodes d’imposition des transhumants visaient donc à éviter le sur-pâturage et laisser plus d’herbe pour les troupeaux pérennes. Cela explicite une forte pression sur les milieux. Dans les textes, les références à la transhumance restent rares si ce n’est pour exprimer un mécontentement ou exiger sa régulation. La transhumance était pratiquée au moins sur tout le quart est du Causse, notamment sur la partie la plus élevée et moins peuplée. En effet, il est probable qu’elle ait eu lieu là où la pression sur la terre étaient plus faible. Les fumures provenant des animaux transhumants apportaient de bons compléments aux cultures mais ne pouvaient pas avoir lieu au même moment que les récoltes. « Le système agropastoral caussenard, qui existe depuis au moins huit siècles, semble bien s’être déplacé au profit des cultures dans les périodes d’essor démographique » (Marty et al., 2003) qui assurent l’essentiel de l’alimentation des populations. L’utilisation des terres limite la place du bois et contrôle efficacement la dynamique des pins. Dans ce système, les ovins servent à la gestion de la fertilité des sols et se nourrissent essentiellement sur les parcours. « L’utilisation des sols dans le cadre de systèmes agraires fondés sur la céréaliculture est un mode d’interaction société-nature qui contrôle très efficacement le pin, notamment grâce aux cultures temporaires suivies de longues périodes de repos. » (Marty et al., 2003) • 50 •


Maintien du paysage ouvert au XVIIIe siècle Boisements Nord

2 km

Espaces pastoraux Espaces cultivés • 51 •


Représentation de la « bête farouche qui ravage le Gévaudan et le Rouergue ». © Archives départementales de la Lozère, 2020 • 52 •


D’un point de vue humain, les dernières décennies avant la Révolution française sont marquées par, successivement, les disettes qui amplifièrent les souffrances des guerres de religions, la peste de 1721 et les sévices de la bête du Gévaudan. Cette dernière terrorisa le nord du pays en dévorant des enfants et jeunes adultes. L’imagination ayant fait son chemin, la réputation prit une importance telle que le Louis XV envoya ses meilleurs louvetiers pour mettre un terme aux tueries. Les ravages ayant cessés après que plus de 2000 loups furent tués jusqu’en 1773, on estima que la bête était morte. Il s’agit peut-être là des prémisses de l’image terrifiante véhiculée sur les loups, et de son éradication du territoire français. Son récent retour, notamment sur le Méjean, pose de nombreuses questions sur l’avenir de l’agropastoralisme et du paysage caussenard.

Le dernier siècle de la maîtrise des espaces ouverts : introduction à de nouvelles mutations (1789 - 1890)

À la révolution, la dénomination du Gévaudan devait changer. Parmi les proposition, le département des sources étaient évoqué, faisant référence à un territoire comptant 437 cours d’eau sans recevoir aucune goutte des pays voisins. On lui préféra Lozère, le nom de la chaine de montagne la plus élevée du pays. Les limites départementales reprennent quasiment les contours de l’évêché du Gévaudan, lui même hérité du territoire Gabale avant lui. La période est marquée par des troubles sociaux important, à l’instar de tout le territoire français. La perception de la dîme devenait difficile, des maisons particulières furent saccagées, les mauvaises saisons climatiques ne venaient qu’amplifier un constat de sérieux troubles sociaux. La question religieuse, notamment en Cévennes, devait une fois encore, ressusciter les passions populaires et plusieurs lieux (dont l’Aubrac et les Causses) subsistèrent un phénomène de brigantisme. L’occupation des sols est révélée par le plan d’assemblage du cadastre Napoléonien (1830) qui confirme la stabilité des patrons dégagés par les sources

du XVIIe et XVIIIe. La présence de boisements n’est signalée que dans les pentes et canyons. Sur le plateau, la partie orientale en est privée, seul subsistent une bande boisée sur un axe nord-sud entre Sainte-Énimie et la Parade. Les parcelles semblent fonctionner en couple : une partie est cultivée, l’autre est pâturée. « Le cadastre semble avoir joué le rôle d’une photographie figeant ce système d’alternance. » À l’échelle du Méjean, le parcellaire se découperait en propriétés d’environ 150 hectares de moyenne sur lesquels se maintiennent une agriculture d’auto-subsistance. À la fin du XIXe siècle, l’intégration du système agropastoral caussenard dans l’économie nationale, la fin des circuits commerciaux à l’échelle de la région pour les céréales provoquent son effondrement. Comparés à d’autres terroirs, les causses ne sont effectivement pas propices à un grand rendement céréalier. Le système ancestral, dont l’équilibre entre les sociétés, les cultures et les pâtures permettait de maintenir durablement et efficacement les milieux ouverts, n’est plus viable. L’examen des matrices cadastrales de 1913 mettra en évidence qu’une grande partie des couples de parcelles sont fusionnées à l’avantage d’un espace devenu beaucoup plus uniformément pastoral. Le territoire abandonne les céréales au profit des cultures fourragères et se spécialise ainsi dans l’élevage. Alors même que les derniers défrichements sont documentés à la fin du XIXe siècle, une action de reboisement en pins noirs d’Autriche est impulsée par les lois « Restauration des Terrains en Montagne » (RTM) dans les pentes accidentées des gorges du Tarn. Apres plus de trois siècles de stabilité démographique, la population caussenarde et cévenole chute dans la seconde moitié du XIXe avec le déclin de l’artisanat textile. « Par ailleurs, l’isolement prolongé des Causses et des Cévennes retarda la modernisation de l’agriculture et donc la progression des rendements. » L’entrée progressive de la production laitière dans l’industrie fromagère de Roquefort ne fit que ralentir l’effacement des petits producteurs. L’arrivée de la mécanisation mit fin aux besoins de mains d’œuvre des petits exploitants qui assuraient dans les grands domaines un revenu complémentaire. • 53 •


Chronique d’une rupture géographique et culturelle (1890 - 1950)

Si le temps des scientifiques avait déjà commencé au XVIIIe siècle avec les botanistes de l’école de Montpellier, le temps des explorateurs fût celui de la première moitié du XIXe. Les richesses archéologiques que certaines grottes recelaient ont probablement été décisives dans l’attirance que les spéléologues ont eu pour le Causse, alors surnommé la «  terre des cavernes  ». Parmi eux, Édouard-Alfred Martel fît figure d’ambassadeur. Un des pères fondateur de la spéléologie moderne, il explora les Grands Causses accompagnés de locaux,

comme Louis Armand, qui deviendront ses assistants. Pendant les traversées, il décrit les paysages et nous livre de précieux témoignages sur les représentations de l’époque. Malgré un amour sous-jacent pour les grands plateaux, il en dresse un portrait funèbre, nommant volontiers le Méjean de «  désert de pierre  ». Il restera néanmoins plus nuancé que certains géographes et auteurs de la même période. Tandis que les paysages de gorges sont décrits comme des lieux idylliques et pittoresques, le Causse est lui, dépeint comme un lieu sans vie.

« [...] le Causse Méjean, qui est bien le pays le plus désolé et le plus misérable du monde, sans bois, sans eaux, sans cultures, sans villages, sans habitants, sans rien de ce qui est la vie, mais avec d’immenses et mornes solitudes qui ne peuvent avoir de charme que pour ceux qui les parcourent rapidement en voiture ».

« Le soleil éclaire le Causse Méjean. Quelle horreur !... Le désert tel que je l’ai vu de Biskra à Touggourt est moins désolé que ces morceaux de pierres et de rochers qui s’étendent à perte de vue et qui semblent rendre impossible toute culture »

Hector Malot. Sans famille. 1878

Emmanuel de Las Cases. Éphémérides. Vers 1880

Paysage ouvert depuis les hauteurs du Gally vers la corniche des Cévennes • 54 •


« [...] le caussenard seul peut aimer le causse mais tout citoyen du monde admire les vallées qui le creusent. En descendant, par des sentiers de chèvre, du plateau dans les gorges, on quitte brusquement la rocaille altérée pour les prairies murmurantes, les horizons grands et vagues pour de petits coins du ciel et de la terre. En haut, sur la table de pierre, c’était le vent, le froid, la nudité, la pauvreté, la laideur, la tristesse, le vide, car ces plateaux ont très peu d’habitants; en bas, sur les tapis de gazon, c’est le zéphyr dans les vergers, la tiédeur, l’abondance et la gaîté. Le contraste inouï que certains causses font avec leurs cagnons’ est une des plus rares beautés de la belle France. » « [...] le caussenard qui n’a pas encore quitté son causse ne devinera jamais la limpidité des sources et la claire beauté des eaux courantes. » Onésime Reclus. France, Algérie, colonies. 1886

« À peine la barque a-t-elle dépassé les blanches cascades de Saint-Chély, que le paysagiste ne peut retenir un cri d’admiration. [...] En bas, une végétation luxuriante s’élève tant qu’un peu de terre revêt le flanc de la montagne, et l’eau s’étale largement sur les graviers bordés d’oseraies. Autant le fond du défilé était verdoyant entre Sainte-Énimie et Saint-Chély, autant ici il est d’abord aride et sauvage, mais de cette aridité ensoleillée du Midi qui sourit même dans sa tristesse. Les vagues du Tarn troublent seules le silence. » Édouard-Alfred Martel. Les Cévennes et la région des causses. 1893

Végétation luxuriante des gorges du Tarn depuis Anilhac • 55 •


• 56 •


En même temps se crée le Club Cévenol le Touring Club de France, qui accompagnent Martel dans la promotion du territoire. C’est le début d’un tourisme lié à la spéléologie (Grotte de Dargilan, Aven Armand et Abîme de Bramabiau, décrites par Martel), et à la batellerie1. Avec la création de la ligne de chemin de fer Paris - Béziers en 1884 qui avait pour vocation de rapprocher le nord du sud, le monde urbain du monde rural, des hôtels se développent dans les villages des gorges du Tarn, notamment à Sainte-Énimie et à la Malène. Les premiers touristes explorateurs arrivent à la fin du XIXe siècle et découvrent les « paysages pittoresques » décrits par Martel. Les longues barques à fond plat, peu adaptées au tourisme, étaient utilisées depuis au moins le XIVe siècle pour pêcher, travailler les cultures, ou simplement pour passer d’un village à l’autre. Les débuts du tourisme entraînent la création de la route des gorges du Tarn en 1905. Elle longe désormais toute la rivière sur les falaises du Causse de Sauveterre. Sa création amorce la fin progressive de la batellerie traditionnelle.

Création de la route des gorges du Tarn en 1905

Remontée des barques à cheval Descente touristique dans les Détroits

1 «  La route de voitures venant de Florac s’arrête à Sainte-Énimie (1889) ; si l’on ne veut continuer à pied, le moyen de transport change, et c’est aux bateliers qu’il faut se confier pour la suite de l’excursion. Le mode de locomotion ajoute dès lors beaucoup aux charmes du voyage ; aucune route carrossable n’a pu trouver place encore à côté de la rivière, et c’est en barque que l’on descend pendant 35 kilomètres, c’est-à-dire pendant un jour et demi, tantôt doucement flotté sur les planiols ou plaines d’eau profonde et calme, où le Tarn prend des airs de grand lac, tantôt rapidement entraîné par le courant sur le lit caillouteux des ratchs ou rapides.  » (Martel, 1893) • 57 •


Le Causse n’a pas été exempt de modifications routières pour autant. La route qui reliait Sainte-Énimie à Meyrueis par le Buffre était autrefois la principale traverse du Causse. La draille d’Aubrac qui avait eu une importance majeure dans l’irrigation du Méjean a du laisser sa place à une voie plus facilement carrossable. L’ancienneté de cette traverse est attestée par la croix du Buffre qui se trouve à mi-chemin entre les deux bourgs. L’inscription de la date 1151 sur son socle en fait la plus vielle croix du département. Elle se situe sur le tracé du Chemin de Saint-Guilhem-le-Désert, un chemin de pèlerinage reliant le Massif Central à la plaine du Languedoc. Selon Martel, ce « chemin de chars qui dévale abruptement sur l’oasis de Saint-Chély, [...] aux flancs d’un ravin très raide » était utilisé jusqu’en 1884. La nouvelle route encore empruntée de nos jours a été ouverte à la circulation en 1888. Elle « décrit une grande courbe vers l’ouest pour adoucir la pente ». Le tracé rectiligne présent sur la plaine de Carnac est caractéristique de ces nouveaux travaux. Une seconde voie maîtresse, perpendiculaire à la première, reliait les Vignes à Florac. Elles se croisaient proche du Mas-de-Val. C’est tout, selon Martel, « si l’on néglige quelques tronçons aboutissant en impasse à plusieurs hameaux isolés. Croisement historique des deux routes traversantes Croix du Buffre et chemin de Saint-Guilhem-le-Désert en 1960

De nouveaux travaux ont été effectués depuis 1888. Les voies principales triangulent le centre du Causse en glissant vers l’ouest et la plaine de Carnac. L’ancienne traverse est aujourd’hui déclassée et morcelée en plusieurs types de chemins. Sainte-Énimie

Florac

Les Vignes

©Jocelyn Fonderflick

Croisement des voies anciennes

Meyrueis • 58 •


Les principales voies de communication en 1830

Nord

Source : carte d’État Major (1830) • 59 •

1 km


Le manteau de pins noirs recouvre les terrasses abandonnées des gorges du Tarn • 60 •


À l’échelle du territoire, le tourisme apparaît comme fortement déséquilibré, s’intéressant aux vallées, oubliant le plateau « désolé » et « sans vie ». Une division profonde s’installe entre ces deux mondes qui avaient pourtant grandi de pair. Avant le tourisme, le Causse possédait les terres, employait une main d’œuvre nombreuse venue des vallées qui ne pouvaient cultiver que de fines faïsses accidentées. Il existait une complémentarité des territoires. Tandis que le Causse était tourné vers l’élevage et la céréaliculture, le micro-climat des vallées permettait de cultiver cerisiers, figuiers, amandiers, noyers, cognassiers ou vigne. Pendant les vacances, les enfants des vallées « se louaient » pour garder des troupeaux, ou aider aux foins dans des fermes plus aisées. Des problèmes techniques liés à la violence du vent n’ont pas permis de bâtir beaucoup de moulins sur les causses. Il devait en exister six sur le Méjean. Les caussenards avaient donc besoin de descendre aux vallées pour monder. Le moulin apparait comme un lieu social où se noue autour de lui les échanges entre « caussenards et ribeyrols » qui troquent des graines du plateau contre poissons, fruits et vin de la vallée. Il existe donc des échanges de biens (récolte) et services (main d’œuvre saisonnière, accès aux moulins à eau). Cette complémentarité est enrayée par l’arrivée du tourisme dont les revenus adressés aux villages des vallées permettent un détachement humain et économique avec les plateaux. Désormais, la tendance s’inverse. Le Causse autrefois jalousé pour les dimensions de ses parcelles cultivables envie à présent les revenus tirés d’un tourisme qui lui échappe.

Les deux guerres mondiales viendront amplifier une cicatrice bien entamée au début du siècle. L’exode rural, commun à tout le territoire national, ne fît pas les même dégâts. Le Causse perd 30% de sa population seulement entre 1911 et 1936. Même si les vallées sont également touchées par le dépeuplement, il opère plus lentement. La mutation de certains grands domaines accentue l’emprise de propriétaires extérieurs, des urbains résidant à Alès et Montpellier notamment, à mettre en fermage les propriétés. (Jaudon et al., 2009) On observe donc une diminution du nombre d’exploitation qui deviennent de plus en plus grandes. Dans ce nouveau système, l’abandon des défrichements temporaires et la diminution de la pression du pâturage permettent au pin de s’installer durablement. « La colonisation du pin s’enclenche donc à la fin du XIXe et au début du XXe siècle, avec la fin de la céréaliculture et la spécialisation ovine. » (Jaudon et al., 2009) L’avenir du plateau ne tient qu’à son reboisement. Selon les auteurs de l’époque, le déboisement est responsable du « désert des causses », et les troupeaux, qui ont remplacé les cultures, s’opposent à la restauration des forêts. • 61 •


Synthèse sur la complicité entre les activités anthropiques et l’évolution du paysage Nous observons une corrélation entre l’augmentation de la démographie humaine et celle des espaces cultivés et nourriciers. Ces deux facteurs jouent un rôle prépondérant dans le maintien des espaces ouverts. La quantité de brebis, relativement stable depuis plusieurs siècles ne suffit à empêcher la disparition des espaces pastoraux. Cela montre l’intensification du système agropastoral (page 83). Le XVIIe siècle semble être celui de l’équilibre et de l’optimisation maximale des terres.

Paléolithique supérieur

Néolithique Calcolithique

Époque romaine

L’an mille

1500

1800

1950

1980

Aujourd’hui

Brebis 20 000 18 000

54 %

64 %

Boisements 2 500 habitants

11 %

28 % 34 % Cultures 605

8% 350

Paléolithique supérieur

Néolithique Calcolithique

Époque romaine

L’an mille

1500 • 62 •

1800

1950

1980

Aujourd’hui


Évolution des boisements depuis le paléolithique. Sources : données archéologiques (sites mégalithiques, paléofeux, ateliers de résiniers, etc.) ; Jaudon, 2009 ; Carte d’État Major ; Atlas Forestier de la France (1889), Département de la Lozère•; 63 IGN• Scan50 historique, IGN BD Forêt 2019


Bibliographie A BEYNEIX À propos du niveau néolithique final du tumulus X du Freyssinel. (Saint-Bauzile, Lozère), 2001 I DARNAS, F PELOUX Évêché et monastères dans le Gévaudan du haut Moyen Âge. Annales du Midi, pages 341à 358, 2010 P DEUFFIC Regards d’habitants sur les paysages du Causse de Sauveterre. Les Grands Causses, terre d’expérience, pages 150 à 158, 2009 J DUMASY Construction et administration territoriales d’une seigneurie en pays d’habitat dispersé. Cahiers de recherches médiévales et humanistes. 2011 G FAGES Le peuplement humain des milieux caussenards. Les Grands Causses, terre d’expérience, pages 36 à 46, 2009 A GRIMAUD, M BALMELLE Précis d’histoire du Gévaudan rattachée à l’histoire de France. 1925 B JAUDON, J LEPART, P MARTY, E PÉLAGUIER Hommes et arbres du Causse Méjan, Histoire et environnement (XVIeXXe siècle). Histoire & Sociétés Rurales (Vol. 32), pages 7 à 47, 2009 B JAUDON Les compoix de Languedoc (XIVe-XVIIIe siècle), Pour une autre histoire de l’État, du territoire et de la société. Thèse dirigée par Élie Pélaquier, directeur de recherches au C.N.R.S., 2011 E LAS CASES Éphémérides. Presse du Languedoc, 1992 J LEPART, P MARTY Causse Méjan - L’histoire des paysages depuis 1775. Les Grands Causses, terre d’expérience, pages 115 à 117, 2009 M LORBLANCHET Contribution à l’étude du peuplement des Grands Causses. Bulletin de la Société préhistorique française. Études et travaux, tome 62, n°3, pages 667 à 712, 1965 H MALOT Sans famille. 1878 É.A MARTEL Les Cévennes et la région des causses. 1886 P MARTY, J LEPART, É PÉLAQUIER, J.L VERNET, et al. Espaces boisés et espaces ouverts : les temporalités d’une fluctuation. Le cas du Causse Méjan. 2003 H PALOC Les connaissances majeures acquises en hydrogéologie. Les Grands Causses, terre d’expérience, pages 25 à 29, 2009 P.N.C. Roches, géologie et paysages du Parc National des Cévennes. Revue du Parc National des Cévennes, N°23-24, 1985 O RECLUS France, Algérie, colonies. 1886 A ROUSSEAU, J.C RAMEAU Une typologie des milieux naturels des Causses. Les Grands Causses, terre d’expérience, pages 47 à 64, 2009 J SGARD, GRAHAL Dossier d’inscription des Causses et Cévennes au patrimoine mondial de l’UNSECO. 2010 A TRINTIGNAC La production de poix dans la cité des Gabales (Lozère) à l’époque galloromaine. 2003 J.L VERNET Des palmiers, des forêts, des steppes et des feux. Les Grands Causses, terre d’expérience, pages 105 à 113, 2009

[ Agrafe n°2 ] Nous venons de parcourir l’évolution d’une relation entre les sociétés caussenardes et leur territoire. À travers ce récit, nous démontrons qu’il s’agit d’un lieu occupé de manière permanente depuis le Néolithique. Il a d’abord été façonné depuis les vallées, à partir desquelles un grand nombre de chemins vertigineux ont permis l’infiltration humaine sur le grand plateau. L’histoire géographique et humaine du Méjean est indissociable de celle des vallées, bien qu’elles semblent aujourd’hui en rupture. Le plateau, par ses caractéristiques physiques, fût dès les origines humaines un lieu de ressources alimentaires. Les différentes civilisations qui s’y sont succédées ont su s’adapter à un environnement pourtant difficile. Le contexte d’isolement évident dont le Causse bénéficie a permis de conserver dans le temps des traces millénaires d’une relation des Hommes à leur environnement (drailles, clapas, lavognes, dolmens, menhirs, etc.). Bien que l’histoire du Causse soit intimement liée à l’élevage ovin, on oublie bien volontiers son passé céréalier qui a permis de maintenir durablement les espaces ouverts. L’évolution de l’occupation du sol est également à mettre en lien avec la démographie. Lorsque la pression humaine était à son maximum (environ 2500 personnes), les besoins en nourriture exigeaient une part importante des cultures céréalières au profit des espaces dédiés à la brebis. Lors des crises démographiques (exode rural, guerres), une progression des boisements est attestée. « Au cours de cette histoire, les moments de crise, de ruptures, de risques furent toujours les bases sur lesquelles ce territoire et ses paysages se sont construit par touches, par réactions et adaptations successives aux contextes, exprimant ainsi non pas une histoire strictement linéaire mais un patrimoine vivant et évolutif emprunt d’une notion invariable de résilience. » (Sgard, 2010)


Trajectoires d’une vie caussenarde

L’exode rural, le bouleversement des structures familiales ou la modernisation de l’agriculture sont des phénomènes nationaux qui ont profondément bouleversés la vie paysanne française. Quelles en ont été les conséquences sur le Méjean ? À quoi correspond la vie sur le Causse aujourd’hui ? Quelles sont les tendances d’évolution du paysage ?

•• 65 ••


Reconnaissance culturelle d’après guerre Après la guerre, le Causse est abandonné par ses jeunes qui préfèrent la ville. D’un exode venant de l’intérieur, naît une attirance nouvelle de l’extérieur. Elle se traduit notamment au niveau des services de l’État. À cette période, la plupart des outils réglementaires visant à protéger les espaces naturels sont définis, conséquemment à la naissance des préoccupations environnementales internationales. (UICN, 2013) Par ses attributs extrêmes et déconnectés du reste du territoire, le Causse a su attirer de nombreux réalisateurs. Jean-Benoît Lévy est le premier à tourner sur le plateau en 1936. Mario Ruspoli le suivra en 1961 dans une nouvelle forme de documentaire et, depuis, le Méjean fait régulièrement décor pour de nombreux films.

Confrontation de regards Berger, fils de berger, et ainsi de suite jusqu’à l’âge des cavernes, voici Contastin Jules, 70 ans, 20 moutons, aucun voisin. Sa vie est attachée au Causse Méjean.

« Nous avions l’intention de faire un film sur le problème rural des pays marginaux comme la Lozère. C’est le problème de ces hommes de la terre qui sont au fond très ignorés. De là, le titre « Les Inconnus de la Terre » qui méritent toute l’attention publique. »

- Ici sur le Causse ! Personne ne veut rester mon pauvre. Quand nous serons partis, c’est fini le pays

Mario Ruspoli, 1962

- Comment ça se fait que les gens soient partis ? - Que voulez-vous, ils ont goûté la ville ... une fois qu’ils ont goûté la ville ils veulent y rester. - Vous, vous ne voulez pas partir ? - Ah non, moi je veux rester ici. On est nés ici.

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Extraits du film « Les Inconnus de la Terre », Mario Ruspoli, 1961 Les maisons abandonnées d’Anilhac, dont l’ancienne école à gauche

L’union du territoire contre la désertification Précurseur du cinéma direct, Mario Ruspoli a filmé le Causse Méjean et d’autres lieux reculés de Lozère au début des années 19601. Le type de documentaire qu’il a contribué à créer s’intéresse à filmer une forme de « réalité » ou d’« authenticité » à l’aide d’un matériel allégé et d’une approche singulière sur l’humain. S’il est soutenu par le milieu du cinéma, Les Inconnus de la Terre est mal reçu par une partie de la population. Nous lirons dans les coupures de presse locale : « Non, les Lozériens ne sont pas fous », regrettant le regard funeste porté sur eux. « Les Inconnus de la Terre ? On est des gens un peu bizarre ? On se sentait pas si inconnus que ça... » expliquait une des inconnues dans le film Traces de Jean-Christophe Monferran qui revient sur les pas de Mario Ruspoli 50 ans plus tard. Selon Antoine Blanchemin, ancien instituteur itinérant entre 1956 et 1964, ce film « renvoyait une image trop vraie et trop dure [...] de la vie des paysans lozériens » (Traces, CNRS Images, 2011).

Qui aurait parié, voyant ce film, qu’il resterait un seul caussenard 50 ans plus tard ? Pourtant, depuis, la population a su se mobiliser. À partir des années 1970, l’association « Le Méjean » est créée par les habitants pour animer le territoire. Plusieurs grandes familles utilisent le tourisme comme un complément de l’agriculture. Ils se sont organisés pour conserver une école à la Parade, au centre du plateau, et permettre à de nouvelles familles de s’installer. Toutes les autres, presque une par hameau, avaient été abandonnées. Une fromagerie, Le Fédou, est créée et emploie aujourd’hui 25 salariés et 8 exploitants agricoles. Par ce mouvement de coopération et d’entre-aide, le Méjean renverse la tendance démographique. Il ne comptait que 350 habitants en 1970. Elle est, depuis les années 1980, en hausse et gagne année après année des résidents supplémentaire. Aujourd’hui peuplé par 605 âmes (INSEE, 2019), il reste, comme ailleurs, des sujets qui font débats, emprunt de conflits ou de convergences.

1 Après les Inconnus de la Terre (1961), Mario Ruspoli a continué son enquête cinématographique sur l’isolement à l’hôpital psychiatrique de Saint-Alban en réalisant Regards sur la folie (1962). On pourra ainsi faire un parallèle entre les travaux de Mario Ruspoli et ceux de Raymond Depardon qui s’intéressera aux difficultés des paysans cévenols dans Profils paysans (2008) et également un travail sur la psychiatrie avec 12 jours (2017). •• 67 ••


Les gens d’ici Propos recueillis

Paysage « d’en haut », ouvert sur le lointain

Liberté

Les enfants

Unanime

« J’aime être en haut parce que je veux voir loin. »

« C’est la liberté quand même, là où tu peux marcher tout droit devant ! »

« Ici, c’est le paradis pour qui veut bien le voir... À midi on cri un coup pour qu’ils viennent manger, sinon ils sont dehors. »

« Ce qui me plaît c’est d’être libre dans mon travail. Je m’organise comme ça me chante. »

Quasi-unanimité

L’embrousaillement « Il faut laisser le territoire tel qu’il est, sauvage. La terre-mère sait comment elle doit être. » « On sera toujours limité par la qualité des terres : à un moment donné les terres ne pourront plus être défrichées, il n’y aura plus que des travers. »

Une population nouvelle avec des idées nouvelles

« Le pin noir ça ne va pas avec l’élevage et l’avenir du Causse, c’est le mouton. »

« Nous on est pas venu ici pour s’isoler, mais pour être acteurs, voyez ? Nîmes c’était tous les excès, la chaleur, les gens... On a repris la maison familiale, on y était bien, la rivière n’est pas loin. »

L’étranger

« Il a sa place dans la nature... »

« Ici les gens sont un peu rudes, mais on est toujours bien accueillis ! » « Le tourisme c’est bien en saison... Mais nous on mange toute l’année ! » •• 68 ••

Divergences

Le loup

« Personne ne touche du doigt la réalité du quotidien. Ils ne sont pas concernés nous imposent sans nous demander cette saloperie de bestiole ! » « La solution on la connaît, c’est le fusil, c’est tout. »


Insularité

« On s’est installé en zone Parc, parce que ça nous garantissait un cadre de vie préservé. »

« Là haut, c’est un peu la République du Méjean. » « Le Causse, c’est le Causse... Un plateau calcaire... Tandis qu’à la base ils ont l’eau, ils ont tout... Nous on est obligé d’aller la chercher loin. L’eau est essentielle. Autrefois ils avaient que des citernes mais... Jamais on reviendra en arrière, jamais. Ce serait affreux. »

Une accumulation de réglementations Conflits

« On n’est pas dans le Parc, c’est le Parc qu’est chez nous .»

Les gens d’en bas « Quand j’étais petit, on ne montait pas. J’étais à la pêche tout le temps. En haut, j’y suis allé plus tard, pour la chasse. » « Un caussenard, c’est un homme qui est courageux, qui est croyant, qui est tenace. »

À disparu

« Le Causse Méjean, c’est un territoire assez indépendant qui se serre les coudes pour pouvoir s’en sortir mais ils n’ont pas tellement de relations avec les autres, en dehors du Causse Méjean. Ils essayent de s’en sortir ensemble. C’est voulu par le territoire. Ça fait une sorte d’île. Il y a les gorges du Tarn, les gorges de la Jonte... Ils n’ont pas tellement de relations avec la vallée, sauf sur Meyrueis ou Sainte-Énimie, pour les médecins, la pharmacie, l’alimentation. Sinon les gens de la vallée n’ont pas les mêmes problèmes que ceux du Causse. »

Le berger « il gère son herbe selon la météo, les saisons... Si tu soignes ton troupeau, tu soignes ton porte-feuille. »

© Michelle Sabatier, 1985

L’éleveur de brebis

« À 15 ans, j’avais mon troupeau avec 300 brebis, j’étais heureux comme ça. »

Anti- Parc Pin Prédateur

« Ma famille ne m’a pas forcée à reprendre l’exploitation. C’était pas évident, parce que j’ai vu les revenus de mon père... »

© Renaud Dengreville, 2009 •• 69 ••


Pendant les longs mois d’hiver, le Causse est balayé par le vent et le froid. Dans une impression de léthargie, il semble figé ainsi pour toujours. Le manteau neigeux rend la circulation plus difficile, principalement sur les routes sinueuses qui le lie aux vallées.

Horizons caussenards, hiver 2018 - été 2020

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Saisonnalité


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En été, le calcaire à vif conserve la température caniculaire accumulée pendant la journée. La rare fraicheur se trouve au fond des petites dolines et l’eau, plus rare encore que l’ombre, est rationnée dans les lavognes.

d’un extrême à l’autre


De territoire déserté à convoité Localement, les gorges du Tarn sont inscrites en 1942, les gorges de la Jonte en 1989. Ce n’est qu’en 2002 que l’on fusionne et élargi ces deux périmètres en les protégeant au titre des sites classés, mesure maximale de protection des paysages prévue par le Code de l’Environnement. De nombreux sites sont également inscrits sur le Méjean, dont le village de Drigas en 1945. La volonté de classement de paysages ou monuments concernent principalement les années 1980. La plupart des édifices classés ou inscrit au titre des monuments historiques, comme la croix du Buffre (1984) ou l’Église de Saint-Pierre-des-Tripiers (1987), reposent sur cette époque. Le Parc National des Cévennes, crée en 1970 entre aussi dans cette dynamique. « Le Parc National est un territoire dont les patrimoines naturel, culturel et paysager ont été jugés exceptionnels, justifiant une protection et une gestion adaptée, confiée à un établissement public sous tutelle du ministère en charge de l’Écologie. » (P.N.C.) Au début des années 1990, il est question de fonder le Parc Naturel Régional des Grands Causses, dont le Méjean et Sauveterre devraient logiquement faire partie. Finalement, les élus lozériens et gardois s’opposent au projet les laissant hors du périmètre PNR. On se plaint d’une superposition de réglementation, un frein au progrès dont le reste du territoire bénéficie. La vision descendante de l’État est aussi vu d’un mauvais œil. Sur le fond, la « naturalisation » du Causse est aussi difficile a entendre pour une majorité de « natifs » qui y voient avant tout un lieu de vie qui ne doit pas être « mis sous cloche ».

Le Méjean devient aussi un terrain d’expérimentation et d’étude privilégié pour les scientifiques. Écologues, agronomes, économistes, historiens et sociologues s’intéressent aux milieux caussenards et à leur relation avec les sociétés. Les premières recherches effectuées par le CNRS en 1964, concernent des axes potentiels de modernisation de l’agriculture en conjuguant des données climatiques, écologiques et pédologique. C’est au tour de l’INRA et de plusieurs programmes de recherche de s’emparer du Causse Méjean. « Ce territoire apparaît déjà en 1975 comme le contreexemple des zones dites difficiles. En effet, la dynamique locale vient contredire la vision manichéenne d’une inéluctable marginalisation ». (Chassany, 2009) En 2011, les Causses et Cévennes sont finalement inscrits sur la liste du Patrimoine mondial de l’UNESCO comme paysage culturel de l’agropastoralisme méditerranéen. Avec plus de 300 000 hectares, il est l’un des plus vastes sites français inscrit à l’UNESCO. Sa Valeur Universelle Exceptionnelle (VUE) est caractérisée par tous les types de pastoralisme.

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Parc National des Cévennes Zone d’adhésion

Parc Naturel Régional des Grands Causses

Sites Classés

Sites Inscrits

Natura 2000 Directive Habitat

Zone de Protection Spéciale

UNESCO Espace tempon

Monuments Historiques (classés ou inscrits)

ZNIEFF I ZNIEFF II


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La gouvernance territoriale

Confrontation géographique et culturelle : ce que la politique doit à la géographie

L’appui d’Edgard Pisani1 et de la Jeunesse Agricole Catholique permettent la mise en place d’infrastructures importantes au début des années 1960. La construction de routes, l’arrivée de l’eau courante par canalisation depuis l’Aigoual, l’électricité et le téléphone font partie de ces grands chantiers qui ont radicalement changé la vie quotidienne des caussenards. C’est aussi l’époque des grands reboisements de résineux dans le cadre du Fond Forestier National. Les grands domaines abandonnés sont les premiers reboisés et rachetés par des investisseurs fortunés non exploitants. Avec l’arrivée de nouvelles générations, pas toutes caussenardes, c’est une société différente qui se met en place. Le progrès n’est plus très loin. Le progrès est de refuser de vivre comme ses parents, « à la dure », c’est la mécanisation permettant de façonner le pays en résonance avec son époque, c’est aussi l’entraide et les groupements agricoles. Le Causse qui paraissait aux yeux de l’étranger comme « terriblement en retard », a finalement évité de commettre les erreurs que le progrès a apporté ailleurs. Sans omettre une partie de sa légitimité, nous le remettons aujourd’hui en cause en tant qu’utopie ravageuse. Le Causse parait en avance d’avoir été freiné dans cette course à la destruction de son ADN. Lorsque le générique infuse dans notre rapport au territoire, l’esprit caussenard n’est plus là.

1

Le territoire est-il sur-réglementé ? Une grande partie de la population actuelle du Causse Méjean, notamment du monde agricole, se dit souffrir d’une accumulation de réglementations qui contraint son développement économique. Nous pouvons effectivement repérer une superposition de calques aux limites morcelées et aux influences réglementaires différentes : l’UNESCO, le Parc National des Cévennes, plusieurs sites classés ou inscrits dont le vaste site des gorges du Tarn et de la Jonte ainsi que plusieurs zones Natura 2000. Cette fragmentation contribue à une forte confusion dans l’esprit collectif ainsi qu’à un rejet quasi systématique de toutes les directives provenant « d’en haut ». Par conséquent, l’Opération Grand Site des Gorges du Tarn, de la Jonte et des Causses est freinée par les élus locaux depuis plus de 15 ans, et l’ensemble du territoire, encore au Règlement National d’Urbanisme, souhaite majoritairement y rester. Ce constat soulève un enjeu majeur de gouvernance territoriale : alors qu’une partie de chaque commune est presque figée par des cahiers des charges contraignants, les autres territoires exempts de réglementation peuvent être sacrifiés. Finalement, je voudrais simplement attirer l’attention sur un phénomène propre aux espaces protégés : le poids de la limite.

Artisan de la modernisation du monde agricole dans les années 1960, ministre de l’agriculture dans le gouvernement de Michel Debré. •• 74 ••


Des communes entre plateaux et vallées

Gorges du Tarn Causses

Le Massegros

Florac

Mas-Saint-Chély

La Malène

Cans et Cévennes Hures-la-Parade

Vébron Saint-Pierredes-Tripiers Fraissinet de Fourques Gatuzières

Le Rozier Meyrueis

Limite communale Espace réglementé (P.N.C., site classé ou inscrit)

Nord

2 km

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Extraits du Midi Libre, N°27005, 23 octobre 2019, pages 1 et 3

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Conflits entre agriculteurs et le Parc Depuis sa création en 1970, le Parc National des Cévennes ne fait pas l’unanimité. Garant d’un espace préservé pour les uns, contraintes pour les autres, il a souvent eu des relations délicates avec les éleveurs, et plus largement avec les « natifs » du Causse. En octobre 2019, la tension palpable entre agriculteurs et agents du Parc s’est une nouvelle fois manifestée. Le Parc National des Cévennes, par la voix de sa directrice Anne Legile, se dit victime d’un « Parc-bashing », regrettant le manque de dialogue et la confusion émanent de « cas infimes ». Les bénéfices du Parc National sur le territoire restent nombreux pour les agriculteurs : accompagnement technique de projet, connaissance scientifique, subvention et expérimentation. Le Parc National est conscient des difficultés auxquelles les agriculteurs sont confrontés. Pour autant, ils regrettent un manque de considération de l’administration du Parc, « imposé au monde agricole depuis 49 ans et figeant complètement le territoire ». La colère semble retombée avec l’organisation de groupes de travail.

Les risques de la mise en tourisme du Causse Je souhaite à présent aborder le paradoxe d’un tourisme basé sur les attributs paysagers d’un territoire qu’il est susceptible de modifier. Trop miser sur le tourisme, c’est risquer la « fabrique » d’un paysage artificiel, une illusion destinée à satisfaire une volonté déconnectée. Le terrain doit être, en premier lieu, un espace vécu dans lequel nous activités le façonnent. La spécialisation des gorges du Tarn dans le tourisme est une fenêtre à travers laquelle nous regardons la disparition des terrasses vivrières et un territoire éteint pendant plus de 10 mois.

Pour résumer, j’ai l’impression que des effets indésirables proviennent de l’hétérogénéité des puissances réglementaires. Concernant l’incidence sur le paysage, il existe deux risques, celui de sa mise en tourisme et celui d’un développement agricole déconnecté de son héritage. Pour mieux appréhender ce problème complexe, je propose de simplifier le propos par la schématisation du cadre réglementaire. •• 77 ••


Dans sa hauteur, le schéma est organisé selon une vision communale du territoire. Chaque commune qui possède des terres sur le Causse Méjean en détient également dans les vallées, voir sur un autre plateau ou dans les Cévennes. Les activités économiques du territoire étant principalement liées à l’agriculture ou au tourisme, la part de gâteau est partagée en deux. Plus l’on s’éloigne du seuil central, plus les possibilités de développement sont élevées. Les acteurs sont situés dans un cadre réglementaire défini par la législation de base (RNU, code forestier, code de l’environnement...) et des règles plus strictes en zone protégée.

Légende des schémas :

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Lecture géographique

Lecture par activité économique

Lecture historique du conflit

Avant 1900 La société est organisée selon un modèle exclusivement agricole. Les relations complémentaires entre les plateaux et les vallées, basées sur l’échange de biens et services (récoltes, mains d’œuvre agricole...), sont à l’origine du découpage communal.

1950 - Aujourd’hui

1900 - 1950 L’exode rural touche particulièrement le monde agricole et annonce une spécialisation des vallées dans le tourisme à l’image des gorges du Tarn. Les liens préexistants sont rompus et des identités géographiques fortes se distinguent.

Une volonté de protéger certains attributs du paysage est manœuvrée de manière descendante (top-down). L’État est souvent à l’origine de la sanctuarisation d’espaces naturels et les possibilités de développement agricole ou touristique sont fortement réduites.

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Demain ? Les acteurs locaux sont intégrés dans la réflexion d’un nouveau contrat réglementaire (bottom-up). Celui-ci vise à s’aligner sur un projet commun avec les acteurs institutionnels existants.


Possibilité de développement touristique

agricole

Cadre réglementaire actuel

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Pression réglementaire +

Le schéma souligne de fortes différences dans les marges de manœuvre agricoles et touristiques entre des territoires classés ou en zone cœur du Parc National, et le reste du territoire qui est encore au Règlement National d’Urbanisme. Il s’agit d’un outil à partir duquel les seuils critiques et acceptables seront discutés. •• 79 ••

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Conduite d’un troupeau aux abords du col de Perjuret •• 80 ••


Dynamiques d’évolutions du paysage caussenard L’enquête historique a mis en évidence que le modèle agropastoral traditionnel a permis de maintenir les espaces ouverts sur une longue période. Suite à la déprise agricole, à l’arrivée de la modernisation des équipements, ou encore au bouleversement des structures familiales, les pratiques ont évolué. Comment sommes-nous passé d’un système à l’autre ? Quelles sont les incidences des pratiques actuelles sur l’évolution du paysage ?

Résilience du modèle ancien Pour rappel, l’agropastoralisme traditionnel repose sur l’optimisation maximale de l’espace et des ressources naturelles. Il émerge d’une connaissance précise des potentialités du milieu. La conduite du troupeau par le berger1 est le spectacle d’une adaptation au terrain qui valorise les décalages de pousse d’herbe en fonction de l’exposition, de la profondeur des sols, des sécheresses ou des ressources issues des parties boisées (feuillage de frênes et ormes). L’itinéraire du berger s’adapte et évolue d’une année à l’autre selon les aléas climatiques. Il naît une relation singulière entre l’Homme et l’animal, chacun favorisant l’alimentation de l’autre. Le berger connaît ses meneuses, testardes, têtes brûlées, novices, etc. « Par la maîtrise de la pression de pâturage, le berger peut faire brouter le grossier, les herbes plus coriaces et même les jeunes pousses de ligneux et limiter la consommation d’herbes tendres qui risqueraient d’être surpâturées. Un pâturage bien mené gagne (en potentialité fourragère et ne s’embroussaille pas. » (Dereix et Guitton, 2016) 1 Le gardiennage était la seule méthode de conduite des troupeaux. Il était généralement assuré par l’aîné de la famille ou un enfant. •• 81 ••


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4


Les évolutions des pratiques agricoles depuis la fin du XIXe siècle L’arrivée des clôtures permet désormais de parquer des troupeaux toujours plus importants tout en réduisant considérablement le gardiennage et la main d’œuvre nécessaire à l’élevage. La mécanisation et l’automatisation ont également bouleversé les pratiques. Alors qu’il fallait deux personnes et deux heures pour traire à la main 150 brebis, une salle de traite permet aujourd’hui d’en traire le double, en divisant par deux la main d’œuvre et le temps de travail ; et cela pour produire trois fois plus de lait. Ces avancées technologiques étaient nécessaires à l’amélioration des conditions de travail et répondent à la déprise agricole. Le tracteur a remplacé les animaux de traits (bœufs et chevaux) en augmentant les capacités de travail du sol (gyrobroyage, épierrage, transport, etc.). Depuis les années 1980, il est techniquement possible de broyer les pierres des terres intrinsèquement inadaptées. Ce phénomène est responsable de la disparition de nombreux clapas. Avec l’expansion de la fromagerie Roquefort au XIXe siècle, la race ovine traditionnelle, la caussenarde, a cédé sa place à la lacaune qui a un meilleur rendement de production laitière. Aujourd’hui, sur les 18 000 ovins du Causse Méjean, environ un tiers est destiné à la viande d’agneaux, et les deux-tiers restants pour faire du lait (Fédou et Roquefort). Des cas plus rares nous montrent aussi la vente de laine à une fabrique de vêtement située à Florac.

Incidences paysagères des changements de pratiques agricoles 1 2 3 4 5 6

Broyage et disparition des clapas Les espaces destinés à la céréaliculture deviennent des cultures fourragères Les nouvelles bergeries sont en rupture avec les pratiques vernaculaires Clôturage des pâtures Embroussaillement des espaces abandonnés Plantations de pins noirs en « timbre-poste »

Ferme du Gally à l’ère de la modernisation

Parmi les nouvelles productions du territoire, nous observons des élevages de vaches allaitantes pour la production de broutards, quelques vaches à lait mais surtout des élevages équins d’endurance. Ils « participent à l’entretien de l’espace et à la notoriété du Bien à l’international (UNESCO, ndlr) ». Ils semblent être une spécificité du Méjean que l’on retrouve moins sur les autres causses. L’utilisation des chevaux de traits pour le travail agricole est encore très réduite. Dans cette dynamique positive de diversification, notons aussi l’apparition d’apiculteurs, d’élevages de canards ou de porcs. •• 83 ••


Une agriculture dictée par la PAC Pour freiner l’exode rural et maintenir un agropastoralisme « condamné sur l’autel de la compétitivité » (Dereix et Guitton, 2016), la mise en place de la Politique Agricole Commune vise à garantir des prix et apporter des aides aux exploitations de montagnes défavorisées. Moins de la moité des revenus des ménages agricoles est assurée par la vente des productions (viande et lait) depuis l’ouverture aux marchés mondiaux. Les exploitations caussenardes sont donc très dépendantes des aides, ce qui « interpelle la fierté des éleveurs qui se sentent de plus en plus des jardiniers du paysage, fonctionnaires de Bruxelles. » (Dereix et Guitton, 2016) La PAC est fondée sur deux piliers dont découlent des aides spécifiques. Le premier correspond au soutien des marchés et des revenus agricoles1, le second assiste la politique de développement rural. Leur programmation a été revue en 2015 et doit être reconsidérée courant 2020. Concernant le premier pilier, des aides sont versées aux jeunes éleveurs qui s’installent, d’autres valorisent le maintien des prairies permanentes, la diversité des assolements et la présence de surfaces d’intérêt écologique sur les terres arables. Elles tendent à faciliter la conversion et le maintien de l’agriculture biologique, la production de légumineuses fourragères par l’éleveur, l’élevage caprin, ovin (viande et lait) et bovins allaitants. Dans le second pilier, les éleveurs des causses bénéficient d’une indemnité compensatrice de handicap naturel (ICHN) basée sur leur surface agricole utile (SAU). Elle est donc défavorable aux petites structures. Enfin, les mesures agro-environnementales et climatiques (MAEC) ont pour objectifs d’accompagner les changements de pratiques apportant une contribution favorable à l’environnement et au climat. L’obligation d’un diagnostic préalable à l’obtention d’une aide MAEC, onéreux, est un frein à son adoption par les petites exploitations. 1

Pour résumer, la PAC apporte une part majeure dans les revenus des éleveurs du Causse, quel que soit le système de production. Les aides tendent à valoriser certaines pratiques vertueuses, mais ciblent particulièrement les plus grosses exploitations. Si elles sont aujourd’hui nécessaires, elles ne doivent pas établir une si forte dépendance.

Limites du système actuel vis-à-vis des préoccupations environnementales Le changement climatique se manifeste clairement sur le Méjean par l’accentuation de la sécheresse estivale, l’atténuation des rigueurs de l’hiver, l’allongement de l’automne et du printemps. Les causses ont dans leur ADN une adaptation au manque d’eau, ils sont déjà résilients et conscients de sa rareté. Toutefois, les sécheresses estivales plus longues et plus fréquentes nous amènent à repenser des relations avec les vallées qui la détiennent ainsi que favoriser sa récupération sur le plateau (lavognes, citernes, etc.). Les sécheresses ont également une incidence majeure sur la quantité d’herbe disponible. La recherche d’autonomie fourragère se réfléchit de pair avec les préoccupations climatiques. En 2011, la réapparition du loup en Lozère « remet en cause les évolutions de gardiennage des animaux, notamment le parcage dans lequel les animaux seuls sont très vulnérables ». (Dereix et Guitton, 2016) L’utilisation de chiens de protection et de clôtures sont les réponses préconisées et largement rependues. La présence des patous fait émerger des conflits d’usages, notamment dans les lieux fréquentés où toute personne étrangère à l’exploitation, vue comme une menace, est susceptible d’être attaquée. La protection des troupeaux, subventionnée à 80 %, rend les élevages encore plus dépendants des aides.

Financé par les fonds FEDER (Fonds européens de développement économique et régional). •• 84 ••


Incidences du modèle contemporain sur le paysage Dans l’élevage dominant (ovin-lait), la tendance est de respecter au minimum le cahier des charges Roquefort qui demande 120 jours de pâturage par an. Le reste du temps, les brebis sont gardées en bergerie, ce qui permet une optimisation du temps de travail (traite mécanisée, temps libéré pour effectuer d’autres tâches). Afin d’être plus autonomes en herbe, les exploitations cherchent à agrandir leurs espaces de cultures ou finissent par importer le fourrage depuis les plaines. Ce qui est mangé en bergerie ne l’est plus sur les pelouses, favorisant l’abandon et l’enfrichement de certains terrains. La garde en bergerie est aussi une forme d’adaptation à la présence du loup. En outre, la disparition du travail de berger laisse les brebis décider seules de leur nourriture. Elles surpâturent les végétaux les plus appétents et délaissent les autres.

L’adoption de ces pratiques d’artificialisation, d’intensification et ou l’abandon des parcours sont autant de facteurs qui participent à une fermeture générale des milieux et une baisse de la SAU des exploitations. Sur le territoire des Causses et Cévennes, la proportion de boisement a doublé en 40 ans. Finalement, nous observons un cercle vicieux dans lequel les exploitations sont de plus en plus sensibles aux subventions et aux directives des grandes laiteries. Les pratiques se détachent de l’héritage au dépend des parcours, laissés à l’enfrichement.

Clôturage des parcours au Tomple •• 85 ••


Focus sur l’embroussaillement1 L’embroussaillement des parcours est un phénomène complexe qui accompagne la baisse de la population impliquée dans la gestion des espaces naturels ouverts. Ces milieux, occupés mais plus entretenus, apparaissent donc comme une « manifestation écologique de l’abandon social .» (Vabre, 1986) Sur ce thème, les scientifiques (théoriciens) et les éleveurs (praticiens) ont une légitimité indiscutable. Je m’appuierai donc sur ces deux points de vue : D’abord, sur une étude interdisciplinaire qui a réuni géographe, écologue, agronome, anthropologue, et sociologue autour de « l’embroussaillement du Causse Méjan, ses interactions avec les pratiques et les représentations sociales » ; ensuite, sur les entretiens et les rencontres que j’ai pu faire au cours de mon enquête de terrain. Sur le Méjean, l’embroussaillement se superpose à un maintien des exploitations agricoles. Comme nous venons de le voir, le changement des pratiques culturales (utilisation de clôtures, « intensification » de l’élevage, mise en place de cultures fourragères) provoque un abandon, par taches morcelées, de grands domaines. Ce sont des lieux logiquement plus touchés par la fermeture du paysage. Il est primordial de comprendre la double lecture du phénomène : la brousse progresse dans les parcelles abandonnées, mais ne négligeons pas l’incidence de la brousse sur les choix de pratique. En effet, le cercle vicieux incite animaux et berger à éviter les espaces moins valorisables, où l’herbe sera plus rare, moins appétente ou plus difficile d’accès. Cela nous ramène à la figure du berger qui a disparu du Causse sous sa forme salariée. « Celui qui gère son herbe selon la saison et la météo » (cf. page 69) et qui conduit son troupeau en veillant à « fumer » les jachères, est devenu un éleveur clôturant ses bêtes. De cette manière, la différence entre les terres contrôlées et celles qui ne le sont pas est majeure. Autrefois ajustées, elles sont désormais figées et donc « subies ».

1 Terme utilisé localement pour parler de la progression de la brousse, végétation ligneuse qui remplace l’herbe destinée aux animaux.

Embroussaillement et disparition des clapas aux abords de la plaine de Chanet •• 86 ••


Mobilisation de tous les acteurs L’embroussaillement suscite un intérêt auprès des éleveurs et des gestionnaires du territoire (Parc National des Cévennes, Entente Causses et Cévennes, gestionnaires, Natura 2000, etc.). Les raisons de lutte peuvent être diverses mais le maintien des espaces ouverts demeure un sujet qui rassemble. Quels intérêts y trouvons-nous ? La dimension paysagère du problème est évidente et se rapporte à la fermeture du paysage, avec des conséquences sociales sur sa représentation. La notion de perception, présente dans la définition même du « paysage » de la Convention Européenne, prend ici un sens particulier. La fermeture des espaces d’allure steppique a des conséquences profondes liées aux représentations culturelles. Nous pouvons effectivement lire dans les traces lisibles de l’organisation actuelle (parcellaire, motif de paysage), des attributs très anciens. La disparition des espaces ouverts peut émouvoir, toucher notre rapport à l’espace et ainsi avoir des conséquences esthétique. Elle a en parallèle des incidences économiques ; la diminution de la ressource en herbe en est probablement l’exemple le plus parlant. Enfin, la dimension patrimoniale n’est pas à négliger par une perte significative de biodiversité, notamment pour les cas d’enrésinement.

La progression des pins sur les Causses La diversité des communautés végétales des causses, de la pelouse rase aux bois (chênes blancs, pins sylvestres, etc.) en passant par les formations ligneuses basses à buis ou genévrier, nous amène à considérer un ensemble de dynamiques différentes. Toutefois, la progression du pin sylvestre et du pin noir d’Autriche sur les milieux ouverts est considérable. C’est aussi la plus visible et prégnante dans l’évolution du paysage. Nous y accorderons une importance supplémentaire. Elle débute à partir des couverts forestiers existants, qui représentent des semenciers (une banque de graines). Le pin sylvestre est un essence pionnière et autochtone, il a néanmoins des difficultés à s’installer sur le calcaire actif. C’est ainsi que le pin noir a été choisi pour les travaux de reboisements (RTM). •• 87 ••


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En l’état actuel, les lisières apparaissent comme des espaces de « combat » entre la dynamique de dissémination du pin et les pratiques agropastorales qui les empêches. Les cônes femelles des pins contiennent des graines légères pourvues d’une aile membraneuse. Au mois d’avril, lorsque les « pommes de pin » arrivent à maturité, les écailles sèches, s’écartent et libèrent les graines. Leur morphologie leur permet d’être emportées par le vent en tourbillonnant.1 La pluie de graine, qui correspond à la surface au sol sur laquelle les graines se déposent, s’étend majoritairement à une dizaine de mètres autour de l’arbre émetteur. Sur le Méjean, nous assistons principalement à une avancée depuis les lisères, à courte distance, « par diffusion ». Dans une moindre mesure, nous observons une dispersion clairsemée dite par « sauts ». Des arbres isolés plus loin du front se développent, forment ensuite de petits bouquets et finissent par s’étaler et combler les clairières. Nous noterons donc deux types de dispersion aux vitesses de progressions différentes. 1

Temporalité de la dispersion Le temps est un acteur majeur de la fermeture du paysage. Les pins sylvestres ne se reproduisent qu’à partir de l’âge d’environ 15 ans, le double pour le pin noir d’Autriche. Il faut ainsi compter une génération pour voir la progression se faire par étape. Les conditions climatiques jouent sur la période de libération des graines. En effet, il faut attendre les premières chaleurs du printemps pour la déclencher. Plus celle-ci tarde, plus la germination apparaîtra au moment de la sécheresse estivale. Dans ce cas, les chances de germer sont réduites. Selon une étude menée en Sierra Nevada2, l’invasion du pin sur les parcours pâturés se fait surtout dans les quelques années qui suivent l’abandon et nettement moins ensuite.

Comme les samares chez les érables, les pins possèdent des graines dites « anémochores », dispersées par le vent.

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Scénarios tendanciels de la progression des pins avec un abandon de l’élevage

Trajectoire de la fermeture du paysage Comme nous l’avons déjà vu, les semenciers sont majoritairement présents sur la partie occidentale du Méjean et dans les travers des vallées encaissées. Sur la corniche nord du Causse, les rebords plus arrondis des gorges du Tarn facilitent la dissémination des pins vers le sud. C’est moins vrai à l’est du plateau, où les corniches « tabulaires » forment une barrière naturelle efficace. De manière plus fine, « le parcellaire ancien constitue un véritable réseau au sein duquel se sont propagés les ligneux. Ils y ont trouvé refuge tant que les perturbations étaient encore relativement intenses, le long des corridors pierreux formés par des murettes et bords de champs, et au sein de des parcelles de cette matrice. Il s’agit là d’un fait majeur de l’organisation spatiale de la végétation à l’échelle de l’exploitation. » (Cohen, 2003) Quoi qu’il en soit, l’analyse des processus de reproduction, de dissémination et d’installation des pins doit permettre d’élaborer des moyens de lutte.

Moyens de lutte La lisère proche des semenciers apparaît comme un espace stratégique pour le maintien des espaces ouverts. Le meilleur rempart à la dispersion des pins reste les espaces cultivées qui, par une pression forte et répétée, détruisent les jeunes pousses. Néanmoins, un sol labouré est plus favorable à la germination, d’où l’importance de conserver une pression annuelle. Le pâturage ovin est aussi un bon moyen de lutte mais

s’avère inefficace sur les plantules qui ont commencé à se ramifier (4 ans). Celles-ci ne sont presque plus consommées et peuvent se développer avec une faible probabilité de mortalité. Passé ce stade, le processus de propagation est donc engagé. Les chevaux constituent une bonne alternative à l’entretien des friches et prés abandonnés par l’élevage ovin traditionnel. Ces deux types d’élevage peuvent être complémentaires et se pratiquer sur les mêmes parcelles à des périodes de l’année différentes. Le rôle du troupeau est déterminant par l’entretien qu’il opère sur le tapis herbacé avec la destruction des semis par piétinement ou broutage des bourgeons des jeunes sujets. En terme de moyens naturels, la prédation par oiseaux et rongeurs évite considérablement les graines de germer. (Castro et al., 2002) Enfin, et bien qu’il ne s’agisse pas d’un moyen à proprement dit, le réchauffement du climat semble être un facteur limitant le développement des pins. Nous observons également des pratiques de destruction mécaniques comme les coupes ou le gyrobroyage. Dans une moindre mesure, l’écobuage ou le feu de manière générale est une façon de lutter.

Nuances Je ne voudrais pas donner le sentiment que l’arbre n’a pas sa place sur le Causse. En période de sécheresse, ils forment des ombres appréciées par les brebis. Dans un contexte de mixité des essences, ils participent à former des habitats indispensables au maintien des espèces animales. Nous préférerons donc les essences natives et feuillues comme le frêne, chêne, hêtre par exemple. •• 90 ••


Aujourd’hui

Dans 20 ans ? Progression depuis les semenciers

Dans 50 ans ?

Nord

Les espaces cultivés et d’altitudes sont les derniers colonisés

5 km

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Puiser dans le déjà-là

Des dynamiques vertueuses engagées

Des dolines à la Mejeanette Après une longue période de restauration et de mobilisation habitante, le moulin à vent de la Borie (XVIIe siècle) devient opérationnel en 2017. Il constitue la pièce moteur d’une micro-filière de céréales locales qui réunit agriculteurs, meuniers, boulangers, et clients. En effet, plusieurs agriculteurs du Causse produisent la matière première, du blé de variété ancienne de préférence. Chaque exploitation mobilisée dans le projet cultive quelques hectares. Un programme de formation sur le sol et la culture de céréales panifiables a émergé de cette dynamique commune. Deux meuniers font continuellement fonctionner le moulin, et sont aidés pendant la saison touristique. Enfin, les boulangers des vallées (Florac, Sainte-Énimie, la Malène et Meyrueis) sont formés pour pouvoir travailler le pain avec la « Mejeanette », la farine du Causse. Le projet est viable économiquement, et socialement très symbolique. Le lien établi entre le plateau et ses vallées, producteurs et transformateurs, est exemplaire. La restauration du moulin nous rappelle le temps où la céréale naissait des dolines, participe à la sauvegarde du patrimoine bâti caussenard et permet d’encourager une activité ancestrale devenue signe de résilience.

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Ruines du moulin de Saubert Moulin de la Borie, commune de Hures-la-Parade


Investir la pente Depuis plusieurs années, la restauration de terrasses dans les gorges du Tarn fait naître de nouvelles activités : du maraîchage à la Ferme de reconquête (Montrbun), ou de la viticulture à Ispagnac (Domaine des Cabridelles). Ces actions montrent surtout l’importance d’un maintien des activités dans les programmes de restauration afin qu’ils ne soient pas faits « en vain » ou pour la carte postale.

Plantations de chênes truffiers sur les versants abrupts du Causse de Sauveterre, en face de Hauterives •• 93 ••


Ponte di Veja

Vérone, Parc Naturel de la Lessinia

Photographies issues de l’inventaire des bâtiments d’intérêts culturels du Parc Naturel Régional de la Lessinia, 1992 •• 94 ••


En aparté Les paysages d’allures steppiques tels que nous les observons sur le Méjean sont rares à l’échelle européenne, du moins dans ces dimensions. Toutefois, il est des lieux qui présentent des caractéristiques et problématiques similaires. Nous verrons d’abord l’exemple du Parc Naturel Régional de la Lessinia en Italie, qui est un territoire intrinsèquement analogue. Nous y trouvons un « ADN » semblable qui laisse visualiser des pistes de réflexion pour le Causse. Ensuite, l’exemple de la Laponie nous montrera comment la gestion durable d’un bien culturel et naturel a pu se mettre en place.

Le frère italien La Lessinia, au nord de Vérone est un plateau d’altitude qui ressemble en nombreux points au Causse Méjean. Bien que le sol semble plus profond et l’herbe plus riche, le milieu est également karstique et dominé par les pâturages. Nous y trouvons un fort ancrage culturel un sentiment d’appartenance et d’attachement à la terre. « Pour nous la montagne est fondamentale, source primaire de subsistance et ses habitants sont fiers d’être montagnards ». (Fabio Zivelonghi, président de l’Association Protection de la Lessinia) Le territoire subit des maux similaires comme le dépeuplement du plateau au profit des vallées, la grande progression de la forêt sur les espaces abandonnés ou la présence du loup qui amène un conflit identique.

Vers une meilleure gestion sylvo-pastorale ? Le couvert végétal et l’utilisation des terres sont différenciées selon l’étage montagnard. À plus haute altitude (1800 m), le pâturage prévaut avec de petits boisements dispersés de hêtres et de conifères. Aux altitudes intermédiaires, la prairie est répandue sur les crêtes. Les chênes et les châtaigniers occupent les versants trop pentus. Enfin, à basse altitude (800 m), les terres arables, si elles ne sont pas abandonnées, cèdent la place aux vignobles et aux oliviers. Le bois, dans des conditions de semi-abandon, est valorisé pour le chauffage. En certain lieux, il y a la volonté de remplacer 1

des pinèdes de pin noir et de pin sylvestre par des essences indigènes (charme, frêne, chêne). En plus de la valeur patrimoniale, ces interventions auraient un sens en résolvant les problèmes hygiéno-sanitaires liés à la présence de la chenille processionnaire. Une forte réflexion autour de chemins « sylvopastoraux » est engagée. Un meilleur maillage permettrait d’améliorer et d’optimiser les conditions de travail dans les bois en facilitant l’accès et la gestion de certains sites reculés. Les nouvelles routes proposées ont fait l’objet d’une étude1 minutieuse sur le paysage, sur les caractéristiques structurelles, les accès et les services offerts par ces nouveaux tracés. Elles ont d’abord un rôle lié à l’exploitation forestière, à la lutte contre les incendies, mais peuvent aussi servir à une meilleure appréciation des bois par les touristes.

Limite de l’étude Cependant, le territoire du Parc Naturel Régional et les sites Natura 2000 sont exclus de l’étude car les règles de sauvegarde spécifique ou les dispositions contenues dans le plan environnemental s’y opposent. Il y a là un véritable enjeux de gouvernance. Pour une gestion durable des espaces naturels et la mise en place d’un projet géographiquement cohérent, il est nécessaire de trouver un équilibre entre les besoins de la population locale, les pratiques, et les réglementations des gestionnaires.

Comunità montana della lessinia, Provincia di Verona. Piano della viabilità silvo-pastorale, 2018. •• 95 ••


Les Samis, les rennes et l’« etnam » La région de Laponie au nord de la Suède est inscrite sur la liste du patrimoine mondial de l’UNESCO au titre de paysage culturel et naturel du peuple Sami. Elle représente l’un des plus vastes et derniers espaces où se pratique encore leur mode de vie ancestral. Il est fondé sur l’élevage saisonnier du renne qui remonte aux premiers temps du développement économique et social de l’humanité. Chaque été, les Samis « conduisent leurs immenses troupeaux de rennes vers les montagnes dans un paysage naturel jusqu’ici préservé mais désormais menacé par l’arrivée des véhicules à moteur. »1

Alors que les « conservationnistes » de l’État s’estiment chargés de conserver une nature exceptionnelle, les Samis, se revendiquent comme acteurs de la gestion de ce territoire : Nous les Saami avons géré Laponia depuis des milliers d’années. Nous avons les savoirs, les traditions et la motivation pour continuer à gérer Laponia sans laisser de traces importantes dans le paysage – malgré les temps modernes et la technologie. Nous sommes fermement déterminés à prendre nos responsabilités pour la préservation de la nature et de la biodiversité et nous pensons que nous sommes particulièrement bien placés pour préserver la culture saami dans la région. Nous sommes complètement en accord avec les buts du site du Patrimoine mondial et voulons formuler nos propres stratégies pour les atteindre. Mija ednam, 2000.

Les Samis mettent en avant l’attachement à leur terre natale et accordent une importance capitale à la transmission. Pour eux, le souvenir de la petite enfance est un critère pour désigner un čappa etnam, un « beau paysage ». Le beau est avant tout le paysage que l’on a reçu en héritage.

En se réunissant, les Samis ont pris conscience de leur capacité collective à impulser une nouvelle gouvernance.

La Laponie est un exemple exceptionnel d’utilisation des terres pour la transhumance, mais aussi un site comparable avec celui des Causses et Cévennes.

Épilogue

Premières difficultés de gouvernance Une dizaine d’années de conflit suivent la nomination de l’UNESCO en 1996. Le plan de gestion proposé par l’État est violemment attaqué par tous les acteurs locaux « qui n’y voyaient rien d’autre que la protection d’une nature toujours présentée comme sauvage, dont les liens à la culture n’étaient toujours pas envisagés. » (Roué et al., 2011) Chaque partie propose donc son plan de gestion. Les représentants de l’État optent pour la vision purement « naturaliste », les municipalités concernées préfèrent miser sur le tourisme tandis que les Samis entendent continuer à développer l’élevage du renne sur leur terre natale. Véritablement mis à l’écart des négociations, ils sont pourtant au cœur du projet UNESCO. La confrontation de deux parties n’est pas sans rappeler les Causses et Cévennes. 1

Finalement, ils obtiennent la constitution de groupes de travail qui se réunissent tous les mois pour discuter de la gestion du site (création de nouveaux chemins, plateforme d’information, communication, etc.). Représentants de l’État, des communes et éleveurs produisent ensemble un programme de gestion approuvé en 2010 par le gouvernement suédois. La prise en compte des Samis dans la réflexion a abouti à un consensus et une gestion désormais plus pacifiste. Nous pouvons faire un rapprochement avec les Causses et Cévennes et les divergences de points de vues entre le Parc National et les éleveurs notamment. Il ne s’agit effectivement pas d’un cas isolé. La mise en place d’un dialogue, la compréhension et le respect des avis contraires sont primordiaux pour prétendre à une gestion pacifiste et durable.

Les saamis utilisent désormais des hélicoptères et des scooters des neiges pendant la transhumance. (UNESCO, Centre de patrimoine mondial) •• 96 ••


Gestes des Samis pour la conduite des rennes © AFP , « La périlleuse transhumance des rennes en Laponie suédoise », 2016 •• 97 ••


Bibliographie

[ Agrafe n°3 ]

J BLANC La difficile «  naturalisation  » du Causse Méjean. Logiques de participation et dynamiques d’appropriation des enjeux de gestion de la biodiversité dans le Parc national des Cévennes (France). Revue d’ethnoécologie, no 6, 2014 J CASTRO, R ZAMORA, J HÓDAR Mechanisms blocking Pinus sylvestris colonization of Mediterranean mountain meadows. Journal of Vegetation Science 13 : 725-731, 2002 J.P CHASSANY Préface. Les Grands Causses, terre d’expérience, 2009 M COHEN Le Causse Méjan et l’embroussaillement. Les Grands Causses, terre d’expérience, pages 118 à 125, 2009 S DEBAIN, T CURT, J LEPART, B PREVOSTO Reproductive variability in Pinus sylvestris in southern France : Implications for invasion. Journal of Vegetation Science, 14 : 509-516, 2003 S DEBAIN et al. Comparing effective dispersal in expanding population of Pinus sylvestris and Pinus nigra in calcareous grasland. 2007 C DEREIX, J.L GUITTON Pérennisation des pratiques agropastorales extensives sur le territoire UNESCO des Causses et des Cévennes. Rapport du CGAAER n°15 103, page 20, 2016 J LEPART, P MARTY Représentations des paysages. Le tournant des années 1980. Les Grands Causses, terre d’expérience, pages 146 à 149, 2009 C MARSTEAU Les stations forestières des Grands Causses. Les Grands Causses, terre d’expérience, pages 78 à 82, 2009 P MARTY, P CAPLAT, J LEPART Modéliser la dynamique des paysages. Espaces naturels, n°17, 2007 M.O NOZIERES-PETIT, J WELLER, L GARDE, M MEURET, C.H MOULIN L’adoption des moyens de protection des troupeaux sur le territoire des Grands Causses permettrait-elle aux systèmes d’élevage ovins de rester viables face à l’arrivée des loups ? [Rapport de recherche] Préfecture de l’Aveyron, 220 pages, 2017 P.N.C. Atlas des paysages du Parc national des Cévennes. 2015 P.N.C. Les gens d’ici. Revue du Parc National des Cévennes, N°40, 1985 M ROUÉ et al. Paysages culturels et naturels : changements et conservation. Ministère de l’écologie, du développement durable, des transports et du logement, Programme de recherche « Paysages et développement durable », 185 pages, 2011 A ROUSSEAU, J.C RAMEAU Une typologie des milieux naturels des Causses. Les Grands Causses, terre d’expérience, pages 47 à 64, 2009 J VABRE Le brachypode dans l’enfrichement des soulanes de l’Ariège. 1986

Films R DEPARDON Profils paysans. Palmeraie et désert, 88 minutes, 2008 E HENRY, A PRATLONG Lou Mèjio. La Ferme Caussenarde d’Autrefois, 2000 G ROUQUIER Farrebique. 90 minutes, 1946 G ROUQUIER Biquefarre. 90 minutes, 1983 M RUSPOLI Les Inconnus de la terre. Argos Films, 37 minutes, 1961 ​J.C MONTFERRAN Traces. CNRS Images, 60 minutes, 2013

Après la seconde guerre mondiale, le Causse est déserté mais nous assistons à une reconnaissance culturelle depuis l’extérieur. Elle a donné lieu à une multiplication de sites naturels classés, inscrits, à la création d’un Parc National, et, plus récemment, à l’inscription des Causses et Cévennes sur la liste du patrimoine mondial de l’UNESCO. Cette reconnaissance est aujourd’hui source de conflit, notamment entre le Parc National et les éleveurs. Les années 1960 sont marquées par de grands travaux de « restructuration ». L’arrivée de l’eau courante et de l’électricité changent le quotidien des habitants, et leur rapport au territoire. À partir des années 1980, le territoire s’organise, se regroupe, conserve une école et inverse la courbe démographique. Pour autant, la population ayant une incidence réelle sur la gestion du paysage ne progresse pas. Les exploitations agricoles sont de plus en plus grandes et de moins en moins nombreuses. La modernisation de l’agriculture, les changements de pratiques vis-à-vis des contraintes économiques (spécialisation dans l’ovin lait, abandon des cultures céréalières au profit de cultures fourragères), la réduction du gardiennage (disparition des bergers salariés), la réapparition du loup, ont considérablement contribué à changer le paysage du Causse. Le modèle agricole actuel peine à maintenir les espaces ouverts qui profitent pourtant aux éleveurs et aux gestionnaires. Finalement, depuis le début du XXe siècle, la trajectoire caussenarde tourne le dos aux vallées, spécialisées dans le tourisme estival. Le lien maternel qu’ils entretenaient est rompu, à l’image des nombreux chemins abandonnés.


Quel avenir habité, pour quel paysage ?

Comment maintenir durablement les espaces ouverts, sans opposer les exigences des « naturalistes » à celles des éleveurs ? Comment renouer des liens humains et économiques avec les territoires voisins ?

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Un “ADN” caussenard à mobiliser comme outil de projet Convoquer l’héritage

Rappelons d’abord les enseignements tirés de l’enquête historique. Quatre préceptes me suivront dans la démarche de projet afin de puiser dans l’héritage anthropique du Causse Méjean et proposer une vision en lien avec son histoire, solidement ancrée au terrain

Attention particulière aux ressources rares Les deux principales ressources limitées sont l’eau et les terres cultivables. Pour palier au manque d’eau, des citernes intégrées à l’architecture caussenarde permettaient de récupérer l’eau de pluie. L’implantation des bâtiments, face au sud et adossés au relief, épargnait les terres riches et rares.

Transformation du socle pour en améliorer ses caractéristiques Les Hommes ont su s’adapter en modifiant, par touche, des attributs du territoire. Lavognes et clapas témoignent de ces adaptations, et ont fait l’objet d’un travail minutieux et inépuisable pour faciliter les pratiques d’élevage.

Des voûtes résistent parmi les ruines

Les attributs du paysage caussenard à Cros Garnon (Vébron) ••• 100 •••


Utilisation savante des ressources locales

Aujourd’hui, l’architecture et les savoirs-faire ancestraux séduisent (surtout à l’étranger) pour l’intelligence et la débrouillardise qu’ils expriment. Il n’y avait pourtant aucune volonté esthétique mais plutôt l’obligation de faire dans la juste mesure et avec les modestes moyens à disposition.

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Elle se manifeste dans une architecture traditionnelle sur mesure et mesurée, évitant le « générique ». La pierre, matériau en présence, était utilisée de manière ingénieuse. Les voûtes des habitations permettent de soutenir la lourde charge des toitures en lauzes calcaire. La peur du feu par manque d’eau incitait aussi à limiter les charpentes en bois.

L’utile, le fonctionnel, le vital ou le nécessaire précèdent toute démarche esthétique

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Rappel des enjeux Le Causse Méjean est un paysage qui marque les esprits. Trompées par une illusion de « sauvage », les personnes qui le traversent se souviennent des étendues lointaines, d’une terre hostile et aride, d’un sentiment de démesure. Quelque soit notre avis, nous y sommes rarement indifférent. Ce pouvoir attractif incite et amène des positions hétérogènes. Laisser le territoire tel qu’il est en sortant d’une vision anthropocentrée ? Lutter pour un maintien des espèces végétales et animales rares et emblématiques ? Maintenir coûte que coûte des activités humaines et économiques ? Le Causse est un espace éminemment politique, un lieu de confrontation d’idées. Dans ce débat passionnant, la vision transversale et le regard sur l’espace du paysagiste lui confère une certaine légitimité. Parmi les nombreux enjeux du territoire, j’en ai retenu trois qui pourront faire l’objet de réponses spatiales

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Ménager le maintien du paysage emblématique du Causse

Renouer des liens entre plateaux et vallées

Les espaces ouverts, dont la valeur patrimoniale n’est plus à prouver, sont riches en biodiversité, rares de cette dimension à l’échelle européenne, garant d’un attrait humain pour la qualité des panoramas et horizons visuels, mais surtout résultat d’une pratique agricole ancestrale et symbole d’une relation singulière entre des sociétés et leur territoire. Les maintenir profite à tous. Les éleveurs d’abord qui y voient une quantité d’herbe supplémentaire ; les gestionnaires ensuite pour la préservation d’habitats naturels exceptionnels et de patrimoines vivants marqueurs d’un riche héritage. Le plan de gestion 2015-2021 de l’UNESCO, par sa première orientation, souhaite aider et maintenir l’activité agropastorale. Le maintien des espaces de parcours constitue un enjeu capital. Les objectifs de Natura 2000, pour d’autres motifs, visent à préserver les pelouses calcaires mésophiles (Mesobromion), milieux qui présentent une richesse spécifique menacée par le surpâturage, la progression du bois ou la mise en culture. Quant à lui, le Parc National des Cévennes s’engage à soutenir le pastoralisme et garantir la préservation des paysages culturels évolutifs et vivants. Pourtant, les activités agricoles contemporaines ne semblent pas en mesure de maintenir durablement les espaces ouverts, face à la progression du pin et le retour de la prédation lupine. Les exploitations deviennent particulièrement sensibles aux perturbations du marché et aux aléas climatiques. Ainsi, plus que maintenir des espaces ouverts, la proposition d’un modèle agricole plus résilient et respectueux de l’héritage me paraît essentielle.

La rupture culturelle et économique entre les vallées et les plateaux amorcée au XXe siècle nous permet de réinterroger la place actuelle du Méjean entre les autres causses et les Cévennes. Les chemins traversent nos paysages et les unissent, ils témoignent à leurs échelles d’une histoire riche et parfois méconnue. Ils ont façonné notre manière de se déplacer dans le territoire, de l’appréhender, de le regarder et de le transformer. À partir de ces vecteurs, le retour vers une forme de complémentarité entre les paysages est fondamental pour retrouver des liens humains et économiques.

Instaurer un dialogue propice à une gestion durable Le climat entre acteurs locaux et gestionnaires relève d’une véritable confusion, source de conflit. L’enjeu, pour ce travail de fin d’étude, n’est pas de résoudre tous les problèmes, mais plutôt de faire passer l’idée selon laquelle les trop fortes différences de réglementation ne profitent à aucune partie. Le dialogue semble être la pièce manquante de la mécanique de gestion du territoire, à la fois pour comprendre les besoins et les enjeux de chacun, mais aussi pour discuter d’une trajectoire commune.

Dans ce domaine emprunté aux scientifiques et aux éleveurs, le paysagiste peut proposer des réponses spatiales issues d’une lecture transversale non spécialisée. ••• 103 •••


Cadre réglementaire proposé La négociation d’un contrat réglementaire rend possible les propositions qui suivent. Elle cible aussi des réglementations nationales qui s’appliquent mal sur le Causse : compensation sur le défrichement, déclassement des prairies en cultures, aides PAC, etc. Il s’agit de réunir le quatuor d’acteurs qui fonctionnent déjà bien ensemble (l’UDAP, le PNC, le CAUE de la Lozère et l’EICC) pour qu’ils puissent s’accorder sur les règles à appliquer sur un certain nombre de sujet. Je propose de nous aligner sur les critères souhaitables définis par l’UNESCO qui couvre l’ensemble du Causse Méjean. Les principaux acteurs de l’agriculture (SAFER, syndicats) et du tourisme sont intégrés à cette négociation. Les épingles sont donc symboliquement dirigées du bas vers le haut. Le schéma apparaît comme un outil de discussion. Les seuils « acceptables » et « critiques » sont à discuter. Il faudra se mettre d’accord en fonction des critères et des volontés de développement.

.

Cadre réglementaire actuel

L’objectif est de donner une respiration aux espaces protégés tout en contraignant un peu ceux qui ne le sont pas à l’aide d’un outil type PLUi pour éviter de trop gros écarts de réglementation. Rappelons que les PLUi peuvent intégrer des mesures spécifiques à la pratique de l’agropastoralisme (Ap, agricole pastoral et Np, naturel pastoral). Nous pouvons nous inspirer du « pacte pastoral » mis en place sur la Communauté de Communes Causse Aigoual Cévennes Terres Solidaires. Le paysagiste peut avoir un rôle important lors de ces phases de négociation, à la fois dans la pédagogie et dans la discussion des nouvelles règles. Par sa position neutre, son regard transversal et sa sensibilité paysagère, il peut être le garant d’un développement équilibré, « acceptable » et ouvert à l’innovation. Il assume ainsi un rôle de médiateur entre les acteurs, notamment entre le « quatuor » et les représentants des personnes qui « subissent » les réglementations. ••• 104 •••


entale des Causses et Cévennes (gestion naire épartem UNES Interd e t n CO) e Ent C.A.U.E. nal des Cévennes Parc Natio

U.D.A.P. D.R.E.A.L.

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1 Avec la création d’un outil de planification type PLUi, les possibilités de développement sont encadrées mais négociées. 2 Les réglementations actuelles des sites classés, inscrits ou en zone cœur du Parc National sont rediscutées et alignées entre elles. Sont-elles aujourd’hui toutes pertinentes et placées au bon endroit ? 3 On ne se limite pas aux critères patrimoniaux, laissant place à l’innovation.

Synd i c a ts a g ric o l e s + act eurs du tourisme cou R s vran édaction d’un PLUi ernée c t les 1 3 communes con

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Nord

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Proposition de gestion différenciée Précision 1:25000

Le découpage très marqué du Causse Méjean, qui forme un bloc uni, nous amène logiquement a avoir une première réflexion cohérente à cette échelle. La stratégie de lutte contre la fermeture des paysages steppiques s’organise ici. Des actions multidirectionnelles et morcelées ne pourront pas permettre une action efficiente.

1. Optimiser les terres arables La terra rossa est valorisée en cultures céréalières et fourragères. Une reconquête des terres cultivables doit être menée avec minutie par rapport à la qualité des sols et l’exposition. Les risques de destruction de traces millénaires (clapas) ou d’érosion sont également déterminants. Les plantations de pins noirs, qui n’apportent finalement pas les résultats économiques escomptés et favorisent l’enrésinement du Causse, ne sont pas reconduits après leur maigre valorisation.

2. Encourager des systèmes agraires complémentaires et diversifiés entre plateau et vallées La diversité des productions caussenardes permet d’envisager une résilience alimentaire luxueuse. Dans ce cadre, chaque exploitation peut faire un peu de céréales, du maraîchage, un élevage de porcs, brebis viande et lait, élevage équin, etc. Finalement, la gestion différenciée opère aussi à l’échelle de l’exploitation et alimente des filières courtes comme celle du moulin de la Borie. Les gorges complètent la pluralité des conjonctures agricoles et touristiques. Dans l’objectif de renouer des liens entre les paysages, les chemins apparaissent comme des vecteurs d’expériences et de relations humaines privilégiés. Autour d’eux se tissent de nouvelles complémentarités qui façonnent à nouveau le paysage. Les terrasses abandonnées sont réinvesties pour alimenter des filières existantes (vignes, chêne truffiers) ou en créer de nouvelles (vergers, etc.). ••• 107 •••


3. Préserver la dualité Causse nu - Causse boisé Il s’agit de spatialiser des types d’activités pastorales qui se différencient par leur pression sur les milieux, leur vulnérabilité à la prédation et les attributs du terrain. Cette organisation à l’échelle du Causse laisse établir une stratégie globale d’entraide et vise, dans la diversité, à ménager durablement de vastes terres au centre du plateau où la prédation lupine est réduite, le paysage emblématique du Causse préservé et l’héritage anthropique considéré. La plaine de Carnac et la rupture topographique issue de la faille géologique de Sainte-Énimie apparaissent comme un rempart naturel à la progression du pin. La plaine est en effet un large espace cultivé qui ne risque pas l’abandon ; la faille est quant à elle une limite topographique qui joue un rôle de frein dans la dispersion des graines. Ces deux éléments deviennent ainsi le nouveau front qui délimite le Causse nu du Causse boisé. a- Valorisation de projets sylvopastoraux Nous composons avec la présence du bois et de la prédation par une activité sylvo-pastorale. Celleci tire profit de la forêt pour des activités d’élevages diverses. L’utilisation des feuillages comme ressources fourragère réduit les coût d’alimentation du troupeau, et compose un environnement propice à l’élevage en plein air (ombre, coupe-vent, etc.). Parallèlement, des objectifs de production forestière sont déterminés. Le bois est par exemple valorisé par une filière boisénergie locale qui bénéficie à l’ensemble du Causse. La gestion forestière doit permettre des éclaircies optimales pour la pousse de l’herbe et les activités d’élevage. Les efforts sur les moyens de protection sont optimisés dans ces espaces boisé.

b- Un front de gestion intensive La progression du pin est gérée à partir des semenciers, à savoir l’ouest et le nord du Méjean. Les actions de déboisement, défrichement et de valorisation forestière sont accentuées. Le maintien des espaces pastoraux est assuré par une gestion appuyée qui forme un rempart efficace à la progression de la forêt. L’élevage équin, qui présente un risque de prédation plus faible, peut apparaître comme une bonne alternative complémentaire à la brebis. Les moyens de protections tels que les clôtures sont toujours présents. c- Espace tampon Dans cet espace de transition, où la prédation et les moyens de protection s’amenuisent, l’élevage devient plus extensif. Le bois devient plus rare mais la plantation d’essences feuillues (frêne, orme, chêne) peut accompagner les franges des pâturages pour apporter une ressource fourragère supplémentaire et de l’ombre. d- Un cœur emblématique Grâce aux précédentes gestions, une grande partie de Causse est privé de pins. La rareté du bois au centre du plateau réduit considérablement la prédation du loup, et tous les moyens de protection qui en découlent. Le cœur ainsi formé laisse imaginer la naissance d’un fonctionnement singulier, extensif, basé sur un possible retour du nomadisme. Il est permis par l’entraide caussenarde et la complémentarité du plateau avec ses vallées.

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a.

b.

c.

d.

Risque de prédation

Risque de prédation

Risque de prédation

Risque de prédation

Moyen de protection

Moyen de protection

Moyen de protection

Moyen de protection

Pression sur les pâturages

Pression sur les pâturages

Pression sur les pâturages

Pression sur les pâturages

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S’infiltrer dans le projet Le cheminement que je propose précise et spatialise les actions de projet annoncées à l’échelle du Causse. L’itinéraire se partage en trois séquences. Bien que son tracé soit arbitraire, il permet de suivre le raisonnement général en se positionnant sur le terrain puis de généraliser les propositions sur d’autres lieux similaires.

1. L’agrafe des paysages La première séquence montre un exemple d’une relation directe entre le plateau et ses vallées. L’ancienneté du lien entre les villages de Hauterives et d’Anilhac est attesté par la présence d’un château du XIIe siècle qui permettait de contrôler l’accès au plateau (page 44). Nous sommes dans un exemple typique d’une relation rompue entre villages.

2. En équilibre sur la corniche du Tarn Le pourtour nord du Causse est un front de progression du pin. Celle séquence montre comment nous pourrions à la fois lutter contre sa progression et inciter un nouveau rapport aux paysages voisins.

3. Percée dans le plateau Par la voie ancienne, nous entrons jusqu’au cœur du Causse. L’occasion est donnée pour voir plus finement, et dans l’épaisseur, comment se concrétise la mise en place de la gestion différenciée. Sainte-Énimie

Florac

Les Vignes

Meyrueis ••• 110 •••


+ 898

Chamblon

Saint-Chélydu-Tarn

Cabrières

890 + 2 445 +

+ 1000 + 1078 Hauterives

Col de Coperlac 1

Tarn + 970

Caussignac 850 + Mas-Saint-Chély Anilhac

3 + 1125

Montignac

+ 925

+ 931

Carnac

Le Buffre Nord

500 m

••• 111 •••

Mas-de-Val


7

6

5

2 3

4

1

1 2 3 4 5 6 7

Une carte postale d’été, désertée l’hiver ••• 112 •••

Ruines du Moulin Gîte « le petit Paradis » Ancienne école Four banal Chemin vers Anilhac Hameau de Castellos Ruines du Château de Hauterives, XIIe siècle


1. L’agrafe des paysages Hauterives, un hameau isolé Accroché sur les ultimes versants du Causse Méjean, Hauterives est un hameau à la fois typique et singulier des gorges du Tarn. La route passant sur l’autre rive, aucun accès routier ne permet de l’atteindre. La voiture laissée sur le bord de la route, les habitants descendent jusqu’aux abords de la rivière et traversent en barque. Parmi la quinzaine de propriétaires, plus personne n’y vit à l’année. Le hameau est privé d’eau courante et d’assainissement.

Une grande campagne de restauration Depuis les années 1990, sous l’impulsion du SIVOM1 Grand Site des Gorges du Tarn, de la Jonte et des Causses, une opération globale de réhabilitation du village est lancée. Des aides financières apportées par les collectivités locales, territoriales et européennes permettent d’assurer la sauvegarde et la pérennité du hameau. En 1997, une benne téléphérique est installée pour faciliter le transport des matériaux et des marchandises d’une rive à l’autre. Ces aménagements ont permis à de nombreux propriétaires de rénover leurs maisons, et notamment les toitures traditionnelles en lauzes. Des stages de restauration de murs en pierres sèches sont aussi entrepris et encadrés par l’Association des Bâtisseurs en Pierres Sèches2 (ABPS). De nombreuses terrasses qui permettaient autrefois la culture de la vigne et de l’amandier ont ainsi pu être remises sur pied. Enfin, le four « banal » a été restauré en 2003 avec l’appui de l’association locale Altaripa3.

Aujourd’hui, le hameau est donc bien préservé, la majorité des maisons étant en bon état. Seul le moulin, détruit par la grande crue de 1900 est resté en ruine. La digue qui déviait l’eau dans le moulin est rapidement détruite, à l’explosif, pour faciliter le transport des barques. Avec plus de 6000 visiteurs par an4, Hauterives est l’un des lieux les plus prisés et attractifs des gorges du Tarn. Il est une halte appréciée par les randonneurs et canoës l’été. Depuis quelques années, un gîte loue des habitations à la semaine. Cependant, derrière ce portrait séduisant, le village est soumis à plusieurs difficultés.

1 Syndicat intercommunal à vocation multiple, présidé à l’époque par Jean-Jacques Delmas, figure politique lozérienne. 2 Installée dans les Cévennes, cette association est l’une des seules écoles formant des artisans au savoir-faire ancestral de la pierre sèche. Elle œuvre pour la qualification, la recherche et le développement de la filière pierre. 3 Altaripa est l’ancien nom donné à Hauterives. 4 Comptage des randonneurs, sans prise en compte des canoës. ••• 113 •••


Manifestation des habitants au regard du manque de soutien municipal Benne téléphérique ayant permis la restauration du village, aujourd’hui hors-service

Derrière la carte postale Les deux crues annuelles le rendent inaccessible par voie fluviale, l’eau et l’assainissement font débat entre les habitants et la municipalité. Une partie des propriétaires, soutenus par l’association Altaripa, « se battent pour avoir l’eau », d’autres se suffisent de l’existant. La municipalité de Sainte-Énimie ne soutient aucun projet et n’en fait pas davantage pour la benne téléphérique qui est en panne depuis 2016. L’on se plaint également d’un manque d’équipement, de services aux visiteurs et de la dégradation des chemins. ••• 114 •••


Anilhac s’étire jusqu’à la plaine Le village d’Anilhac est celui du berger Contastin que l’on a connu ici ou là dans le mémoire (page 66). En 1960, il était le dernier habitant. Depuis, des familles se sont réinstallées et plusieurs maisons ont été rénovées. Anilhac est à cheval entre les gorges du Tarn et la fertile plaine de Carnac. Entre les deux, des domaines pastoraux abandonnés laissent place au pin. Il ensevelit les clapas et les vieux chemins.

Anilhac réinvesti par une nouvelle population ••• 115 •••


••• 116 •••


Couture d’un lien nourricier Dans les versants accidentés des gorges du Tarn, et le long de la rivière, des terrasses pourront être remises en cultures. Certaines sont en friche et boisées, d’autres sont déjà réhabilitées et plantées de chênes truffiers. Ces derniers sont aujourd’hui largement répandus mais forment une « niche » isolée et sensible au marché. Une production plus diversifiée sera donc engagée. Les nouvelles cultures complémentaires avec celles du plateau seront basées sur les atouts des gorges (présence de l’eau, climat plus doux, terre fertile). La diversification permettra d’améliorer l’offre alimentaire locale, d’être moins sensible aux fluctuations du marché et mieux s’adapter aux changements climatiques.

Causse de Sauveterre

Hauterives

Le projet vise donc à préciser le système de fonctionnement et d’utilisation des terres (groupement agricole, location de terre, etc.) ; les cultures et les filières qui en découlent (plantation et lien avec les cultures caussenardes) ; les détails techniques de réalisation des travaux nécessaires (débardage, construction de murs, soutènement du chemin, etc.). Parallèlement, le tourisme est lié au projet avec la volonté d’établir des relations vers le plateau, pour mieux cerner cette complémentarité et les produits qui en sont issus. Véritable « carte postale » des gorges du Tarn, le village peut représenter un bon exemple de conciliation entre paysage « tel que perçu » et « tel que vécu ».

Corniche des gorges du Tarn

Anilhac

N-0

Plaine de Carnac

S-E

450 m

••• 117 •••


2. En équilibre sur la corniche du Tarn Un chemin de lisière

Et un nouveau regard

Il me semble pertinent de dessiner un nouveau chemin d’exploitation pour faciliter la lutte contre la progression du pin et la mise en place d’une gestion soutenue. En permettant l’accès à des lieux difficiles, en complétant les voies existantes, en s’appuyant sur le découpage parcellaire, il détermine un nouveau front forestier et apparait comme un outil pour contenir les boisements dans les versants du Tarn.

De manière secondaire, et en accord avec le contrat, il peut apparaître comme un nouveau moyen de découvrir ce territoire insulaire et fera l’objet d’un bornage particulier aux points clés (croisement historique, points de vue). La corniche du Tarn offre un sentiment presque intime avec le Sauveterre. D’un causse à l’autre, l’imaginaire produit par la co-visibilité pourrait être traité à partir d’un chemin initialement fonctionnel.

Son tracé et les usages qui en découlent entrent dans les négociations du contrat réglementaire.

Château sur son éperon rocheux Sainte-Énimie

Florac

Les Vignes

Meyrueis ••• 118 •••


Chemin

périlleu

x

La corniche, épaisseur organique entre les profondes gorges et l’étendue du plateau ••• 119 •••


Emprise de la réflexion

Cabrières 1

2

3

4

Différents degrés de pression au cours de la percée dans le plateau

Mas-SaintChély

5

6

Mas-de-Val

7

8 9

Nord

1 km

Nord ••• 120 •••

500 m

Le Buffre


3. Percée dans le plateau Il s’agit désormais de clarifier les changements de pratiques agricoles en fonction du plan de gestion. Pour rappel, celuici détermine et localise les grandes directions agricoles en fonction d’une stratégie commune permettant un système caussenard diversifié. Dans cette percée jusqu’au Buffre, nous traverserons trois types de gestion, de la plus soutenue en terme de lutte contre le pin et la prédation (intensive), à un système préservé de ces problématiques. L’échelle opérationnelle, de mise en œuvre, reste celle de l’exploitation. C’est ainsi que nous étudierons comment les exploitations peuvent composer avec les limites du plan général.

Des logiques collectives Le plan de gestion du Causse est établi à partir du terrain (qualité des sols, optimisation des terres, recherche d’une diversité de production). Ses limites se superposent aux SAU des exploitations, et un même fermage peut se trouver sur plusieurs types appelant à des gestions différentes.

Aux exigences individuelles Ainsi, il sera intéressant de travailler à l’échelle de l’exploitation. Comment un éleveur peut diversifier son activité en suivant au mieux les directives générales ? Le système est finalement comparable à un sport collectif. Le plan de jeu est déterminé par le groupe avant la rencontre. Ensuite, chaque joueur agit de son propre chef, en essayant de respecter au mieux la stratégie. Le collectif prime sur les individualités, mais nous nous appuyons sur les plus dynamiques pour tirer le groupe vers le haut. Pour résumer, à travers la percée dans le plateau je préciserai l’impact des différentes gestions dans l’épaisseur du chemin, c’est-à-dire la transformation de ce qui est aujourd’hui une large bande boisée, morcelées de plusieurs formations végétales. Cette transformation est rendue possible par l’addition d’une multitude d’actions individuelles, déterminées dans chaque exploitation au service du groupe. ••• 121 •••


Le chemin comme un observatoire de la mutation du paysage L’itinéraire est un prétexte pour s’infiltrer dans le projet. À partir du chemin, nous observerons les transformations du paysage. À titre d’exemples, les focus ci-contre présentent des mosaïques hétérogènes (plantation de pin noir, progression spontanée, plusieurs étages de landes, des terres arables ou encore des pâtures). Le projet aura pour objectif de traiter la mutation de cette mosaïque, dans le temps, selon le plan de gestion et les moyens d’actions à l’échelle de l’exploitation. L’emprise du projet pourrait s’étendre selon les visibilités depuis le chemin (crêtes des serres, horizons dégagés, etc.). Nous pouvons d’ores et déjà estimer les emprises de la reconquête des espaces cultivables en fonction de la présence de terra rossa. Les terres supplémentaires obtenues doivent permettre de diversifier les productions et alimenter de nouvelles filières. L’exploitation et le non-renouvellement des boisements de pin noir nous interrogent sur les moyens administratifs et agronomiques de retour au pâturage. Comment faire la transition entre ces deux modèles ? Comment maintenir une pression suffisante sur les résineux dans le premier front de gestion intensive ? Dans l’espace tampon, la lutte contre l’enfrichement par les résineux est compensée par la plantation mesurée d’essences feuillues. La suppression des clôtures laisse envisager de nouvelles manières d’élevages extensifs. Le principe de servitude pastorale pourrait être mis en place (tolérance de passage et broutage des troupeaux non préjudiciable au bien foncier). Paysage de motifs, en mutation autour du chemin ••• 122 •••


1

2

3

4

5

6

7

8

9

Nord

100 m

••• 123 •••


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En un rien de temps Dès aujourd’hui Il me parait important de soutenir les projets dynamiques qui vont dans le sens d’une production locale, des filières courtes, d’une relation saine avec le territoire. C’est par exemple le cas du moulin de la Borie qui forme un lien humain et économique avec les vallées.

Dans les années à venir L’organisation du contrat réglementaire est un moment charnière. Celui-ci, à l’image du « pacte pastoral » dans une communauté de commune voisine, est un moyen de négocier le droit pour parvenir à des objectifs locaux. L’entente entre les gestionnaires et les acteurs du territoire (agricoles et touristiques notamment) est fondamentale. Pour cela, nous devons comprendre les besoins de chacun, s’accorder sur des règles et sur un plan de gestion qui s’approche au mieux des directives communes. De ce contrat réglementaire émerge donc un plan de gestion différenciée qui divise le territoire en plusieurs portions. Il comporte par exemple les directions relatives aux travaux forestiers. La priorité pour les actions de défrichement ou d’exploitation du bois est donnée au cœur du plateau, puis progressivement jusqu’au franges. La réflexion sur les chemins d’exploitation nécessaire à la mise en œuvre de ces travaux est effectuée en amont. La diversification des cultures et l’optimisation des terres arables rendues possibles dans le droit est mise en place très tôt pour accompagner les projets pilotes et créer de nouvelles filières. Un suivi sur le long terme doit permettre d’améliorer l’autonomie fourragère des exploitations par rapport à l’évolution du climat (types de plantes, techniques culturales, etc.) Des accords sont trouvés pour permettre plusieurs types de pastoralismes complémentaires sur le Causse (sylvo-pastoralisme, équin-ovin, etc.)

Dans un futur lointain et incertain Le territoire se caractérise par un modèle agricole singulier, organisé spatialement pour maintenir durablement un terrain propice à l’agropastoralisme. La résilience du système provient de la diversification des productions animales et végétales, de la complémentarité des modes de gestions du plateau, et des liens retrouvés avec les vallées. Résurgence d’une forme de nomadisme dans le cœur emblématique Méjean

••• 125 •••


Bibliographie A BONNERY et al. Projet Climfourel : Adaptation des systèmes fourragers et d’élevage péri-méditerranéens aux changements et aléas climatiques. Diagnostic régional des systèmes d’alimentation et des systèmes d’élevage : Cas des Causses. En ligne. Climfourel Agropolis, 2008, 42 pages. J.P CHASSANY, J.M SALLES Produire une biodiversité sur les Causses. Enjeux et difficultés. Les Grands Causses, terre d’expérience, 2009, pages 334 à 341 E.I.C.C. Plan d’actions du bien UNESCO 2015-2021. « Construire un avenir commun... », 2014 E.I.C.C. Plan de gestion Causses et Cévennes 2015-2021. « Construire un avenir commun... », 2014 M ÉTIENNE Modéliser les dynamiques paysagères pour accompagner un projet d’aménagement du territoire : le cas du Causse Méjean. Colloque « Gérer les paysages de montagne pour un développement concerté et durable », 2002 C LHUILLIER Pérennité et renouvellement des fermes du Causse Méjan. Les Grands Causses, terre d’expérience, pages 173 à 179, 2009 P MARTY, C LHUILLIER Biodiversité : scénarios, espaces, agriculture. Les Grands Causses, terre d’expérience, pages 302 à 308, 2009 N MATHIEU Les enjeux du développement rural pour une société durable. Les Grands Causses, terre d’expérience, pages 342 à 348, 2009 126


Dénouement Le Causse Méjean est un lieu précieux qui nous accompagne depuis des millénaires, et nourrit une profonde fascination. Les traces ancestrales que nous y avons laissé sont restées intactes, défiant le temps et les éléments, comme pour nous rappeler continuellement que l’histoire humaine et ce territoire sont indissociables. Façonné à partir des vallées et par un agropastoralisme savant, le Causse témoigne jusqu’au XIXe siècle d’un équilibre entre ses ressources et nos besoins. L’optimisation méthodique des terres par rapport à la présence humaine est sabotée par l’exode rural.

Le temps est nécessaire à toute idée utopique de faire son chemin. Dans l’urgence du climat, les caussenards sauront se regrouper comme ils l’ont déjà fait, et s’adapteront une fois encore en utilisant à bon escient la terre aride du Causse. Ce mémoire propose simplement une vision et des idées, toute confiance étant donnée aux habitants et gestionnaires de ce merveilleux territoire pour les exploiter comme ils l’entendent.

Aujourd’hui, avec le changement des pratiques agricoles, la dépendance aux aides européennes, le dérèglement climatique, le retour de la prédation du loup et la rupture du lien maternel du Causse avec ses vallées, il n’est plus en mesure de se projeter durablement vers l’avenir. Nous sommes donc amené à penser une nouvelle forme d’organisation du territoire pour devenir plus autonome en aliment, moins sensible aux fluctuations des marchés et plus résilient face aux conjonctures climatiques.

La soutenance du travail de fin d’étude aura lieu le 4 juin 2020 à l’École de la Nature et du Paysage de Blois. Elle présentera le projet en s’appuyant sur ce mémoire, et en suivant les directions énoncées à partir de l’agrafe n°3 (page 99).

Pour que Lou Méjio reste un lieu précieux qui ne cède pas aux tentations d’un progrès illusoire ; pour qu’il demeure habité, vécu, et utilisé dans une relation saine avec ses occupants ; pour qu’il devienne un laboratoire des territoires hyper-ruraux sur les questions d’adaptation au changement climatique, de vie isolé ou d’indépendance vivrière ; je propose l’idée d’une entraide spatiale, soutenue par l’exemplaire capacité d’union caussenarde. Il s’agit de revenir vers l’optimisation des terres pour déployer de nouvelles ressources diversifiées et complémentaires entre le Causse et les vallées. 127


128


Remerciements Personnes sollicitées

Je remercie

André Baret

Catherine Farelle et Claire Combeau

Maire de la commune de Hures-la-Parade

pour l’accompagnement rigoureux et passionné, le refus de l’anecdote, et les encouragements d’une écriture personnelle

Morgane Costes-Marre

Marc Claramunt

Directrice de l’Entente Interdépartementale des Causses et Cévennes

d’avoir insisté pour une représentation « en accord avec l’ADN caussenard »

Éric Daniau

Antoine, Héloïse et Jean-Denis

Les Écuries du Méjean

pour le soutien et la confiance aveugle

Éric Dessoliers

Yara, Marguerite, Gaspard, Matthieu et les Quentins

Chargé de mission Paysage, Habitat et Urbanisme au Parc National des Cévennes

pour la bienveillance et leur regard précieux

Caroline Entraygues

La mobylette

C.A.U.E. de la Lozère

malgré une panne mal venue au milieu de nulle part...

Jacques Fages

Berger à la retraite

Anne Fréville Bougette

Animatrice au C.P.I.E. des Causses méridionaux

Maria et François Manthes

Éleveurs de brebis pour le lait et la laine

Marie-Laure Mirman

Nouvellement installée

Marie-Amélie Péan

Communauté de communes Gorges Causses Cévennes, Gestionnaire de l’OGS des Gorges du Tarn de la Jonte et Causses

Hélène Pratlong

Ferme Caussenarde d’Autrefois

Céline Tastet

Chargée de mission Interprétation à l’Entente Interdépartementale Causses et Cévennes

Gilles Vernhet

Association Chanet vol à voile

De nombreux anonymes rencontrés sur le chemin 129



Au sein de l’un des plus grands ensembles karstiques d’Europe, le Causse Méjean émerge à environ 1000 mètres d’altitude, fracturé par les gorges du Tarn et de la Jonte. En marge du département le moins peuplé de France, il en est probablement la portion avec la plus faible densité : 1,7 habitants par km². Pour autant, et malgré des conditions de vie difficiles, l’occupation humaine y est millénaire. Drailles et clapas témoignent d’une activité agropastorale très ancienne et ont contribué, en 2011, à inscrire le territoire des Causses et Cévennes sur la liste du patrimoine mondial de l’humanité. Si l’ancrage culturel est manifeste, le Méjean est aussi une terre scientifique étudiée depuis le XVIIIe siècle et un paysage productif fortement lié à l’élevage ovin. Enfin, ses étendues « lunaires » attirent de nombreux visiteurs pour des activités de loisirs en plein air. Aujourd’hui, le Causse reste bien préservé, dynamique et exemplaire sur certains sujets, mais demeure isolé physiquement, à l’écart des centres de décision, des facilités de communication et de l’intérêt du « grand nombre ». Dans un contexte de changements environnementaux et sociaux, je m’interroge sur son avenir habité. Que deviendront les grands espaces de plus en plus difficilement maintenus ouverts, aujourd’hui convoités comme tel ? Comment les liens avec les vallées peuvent-ils retrouver du sens ? Le dynamisme actuel du Causse, son capital scientifique conséquent et son contexte « extrême » peuvent-ils en faire un lieu pilote au service des territoires de l’hyper-ruralité ?



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