Projet de fin d'études

Page 1


Couverture La lavogne du Buffre, un bien commun comme instrument de mesure populaire de l’eau. NB © : Sauf mention contraire, chaque visuel du document est une production personnelle soumise à des droits d’auteur. Le contenu de ce document est la suite du premier volume : « Lou Mèjio, puiser dans l’héritage anthropique du Causse Méjean pour envisager son avenir habité ». Il propose une synthèse du projet de fin d’études soutenu le 23 septembre 2020 à l’École de la Nature et du Paysage de Blois.


Directrice d’étude : Catherine Farelle

Paysagiste et urbaniste, paysagiste conseil de l’État à la DREAL Occitanie Enseigne le projet de paysage à l’École de la Nature et du Paysage de Blois

Professeur encadrant : Claire Combeau

Plasticienne, architecte d’intérieur Enseigne le dessin et la représentation de l’espace à l’École de la Nature et du Paysage de Blois

Président de jury : Marc Claramunt

Paysagiste DPLG, paysagiste conseil de l’État Enseigne le projet de paysage à l’École de la Nature et du Paysage de Blois

Éventuelle maîtrise d’ouvrage : Sylvie Brossard-Lottigier

Architecte et Urbaniste en Chef de l’État, expert scientifique et technique international du Ministère de la Transition écologique Dirige la division des Sites et Paysages à la DREAL Occitanie

Reconnu pour ses compétences : Aurélien Delpirou Géographe, maître de conférences Enseigne à l’École d’urbanisme de Paris

Ancienne élève de l’école : Léa Muller Ingénieure paysagiste, urbaniste


(Re)situer Le système agropastoral traditionnel reposait sur l’optimisation maximale des ressources naturelles et sur la complémentarité du causse avec ses vallées. Sur les hauteurs, les terres cultivables produisaient les céréales et le reste constituait de vastes parcours où l’herbe spontanée nourrissait les brebis. Le fond des gorges possédait quant à lui l’eau, les moulins et les vergers. Ce système avait conquis les espaces ouverts sur l’ensemble du Méjean au XVIIe siècle. Comme pour de nombreux territoires ruraux, le tournant majeur est la déprise agricole d’après-guerre. La population du causse passe de 2 500 habitants à la fin du XIXe siècle à moins de 400 en 1960.

Avec moins de deux habitants au kilomètre carré, le causse Méjean fait partie des lieux les moins peuplés d’Europe. Il n’en demeure pas moins intensément habité, vécu, perçu par 605 personnes. Habiter un territoire suppose une lecture active des lieux selon leur signification sociale ou leur importance culturelle, mais aussi une attention spécifique aux manières de les traverser et de les transformer. Ce projet de paysage s’attache davantage à la qualité des relations que les Caussenards entretiennent avec leur pays plutôt qu’à leur quantité démographique. Situé dans l’un des plus vastes ensembles karstiques du continent, le causse Méjean, fracturé par les gorges du Tarn et de la Jonte, émerge à environ 1 000 mètres d’altitude. Il s’inscrit, comme son nom l’indique, « au milieu » des Grands Causses, bordé à l’est par les contreforts du mont Lozère et de l’Aigoual. L’isolement du Méjean est dû à sa morphologie insulaire. Pour venir à sa rencontre, on commence par monter : l’ascension des 300 à 500 mètres de dénivelé fait partie de l’expérience caussenarde. Les routes périlleuses mènent au plateau. On y découvre un paysage de dolines et de puechs marqué par l’agropastoralisme méditerranéen dont les traces sont encore parfaitement lisibles. Drailles, clapas et lavognes témoignent d’une relation millénaire entre les habitants et leur territoire. Tandis que les fonds de dolines contiennent la fertile terra rossa, les puechs sont couverts de pelouses calcicoles à Brome érigé (Bromus erectus) et Stipe pennée (Stipa pennata), des sols maigres voués à l’élevage ovin.

À partir des années 1980, le territoire s’adapte par une double spécialisation. Les causses concentrent l’élevage ovin pour la production de roquefort, les gorges se tournent vers le tourisme estival, abandonnant leurs terrasses vivrières. Ces deux organisations désormais distinctes forment une rupture humaine entre les deux pays et mettent fin aux échanges passés. Sur le plateau, pour compenser le manque de main-d’œuvre, le berger est remplacé par des parcs clôturés. Les parcours les plus éloignés de l’exploitation sont abandonnés et les cultures céréalières deviennent fourragères. Enfin, certaines grandes fermes, faute de repreneurs, sont reboisées de pins noirs d’Autriche à l’aide du Fonds forestier national (FFN). Insularité du causse Méjean Sculpture du relief dans une planche de frêne massif Échelle 1 : 50 000 - Dimensions 770 x 630 mm 4


Causse de Sauveterre

Causse Méjean

Causse Noir

Aigoual Calcaire

5

Schiste


Des défis environnementaux et sociaux L’ensemble de ces éléments provoque une fermeture du paysage par « la broussaille », c’est-àdire l’enfrichement. Le modèle agricole actuel peine à maintenir les espaces ouverts qui profitent pourtant aux éleveurs et aux gestionnaires. Dans cette fermeture qui progresse depuis l’ouest et le nord, le loup trouve à nouveau refuge depuis une vingtaine d’années. Si le retour de ce prédateur cristallise toutes les attentions, il ne constitue pas la seule préoccupation. L’évolution climatique se manifeste sur le causse Méjean par l’accentuation des sécheresses estivales, plus longues et plus fréquentes. Celles-ci ont une incidence majeure sur la quantité et la qualité de l’herbe, et donc sur l’équilibre fourrager des exploitations. Enfin, plusieurs défis sociaux se font jour, comme l’accueil de nouvelles populations qui viennent trouver sur le causse un cadre de vie préservé, parfois dans l’illusion du sauvage. Alors que la démographie du Méjean augmente depuis les années 1980, la population qui modifie le terrain, celle des éleveurs, diminue.

Puech

Doline

Draille

6


L’héritage comme ressource Je propose de mobiliser l’héritage comme un outil de projet de paysage. Entendons ce terme au sens large, celui qui singularise les causses par la manière dont les populations humaines ont habité ces territoires depuis des millénaires. Ne voyons pas là une attitude passéiste voulant reproduire un schéma jugé vertueux. Il s’agit plutôt de ne pas perdre de vue l’essence vibrante des lieux, quels que soient nos besoins et leurs variations contemporaines. Ainsi, trois préceptes guident les propositions de projet : - Une attention particulière aux ressources rares que sont l’eau et la terra rossa. L’eau précieuse est retenue, les terres cultivables sont protégées et utilisées comme telles. - Une fine transformation du « socle ». Les lavognes et les clapas sont de remarquables exemples pour améliorer les pratiques d’élevage. L’action humaine, mesurée, peut faire preuve de génie et de simplicité. - Une utilisation savante des ressources locales, qui se traduit autant dans l’architecture caussenarde entièrement en pierre que dans la gestion ingénieuse de l’herbe par le berger.

Embroussaillement

Plantations de pins noirs

Cultures fourragères

Disparition du métier de berger

7


Débattre d’une stratégie commune L’interprétation de ces enseignements se dessine d’abord à l’échelle du causse et se traduit par une gestion différenciée pour le maintien des espaces ouverts et la couture de nouvelles relations entre le causse et ses vallées. Pour mieux décrire le projet, je propose une déambulation entre Hauterives (gorges du Tarn) et le Buffre (cœur du plateau). Le choix de ce cheminement repose sur sa capacité à porter des exemples pour d’autres lieux similaires. N’ayons pas une lecture « trop proche » des sites de projets choisis, les réponses apportées peuvent résonner ailleurs.

Méditerrannée Le Méjean parmi les Grands Causses

Go

Occupation humaine Villages et hameaux Principaux axes routiers Domaine des cultures Parcelles cultivées (source : IGN, RPG 2016) Terres cultivables disponibles : plus de 1000 hectares (source : BRGM, Terre des causses) Domaine des forêts Boisements conservés Boisements à défricher Remplacement des essences forestières et réduction de la densité boisée Boisements de pins noirs à retourner au pâturage après valorisation Domaine du pâturage

Le Rozier

Parcours Lavognes Relief Principaux points hauts 8

rge s du T rn a


Sainte-Énimie

Florac

Plain

e de

Carn

ac

Hauterives

Vallé ed

u T ar n o

n

Le Buffre

Gorges de la Jonte

Meyrueis 500 m

9

N


Renouer des liens avec les vallées Cultiver les terrasses de Hauterives

Hameau à la fois représentatif des gorges du Tarn et atypique, Hauterives est un lieu exemplaire pour imaginer la métamorphose d’un paysage fragilisé par le tourisme. Un chemin très ancien, attesté par les ruines d’un château du XIIe siècle, le relie au causse, tandis que l’ensemble des terrasses vivrières abandonnées étaient cultivées d’amandiers et de vignes. Pour ces raisons, Hauterives représente une situation très commune, partagée par d’autres hameaux dans les gorges du Tarn. Toutefois, il fait figure d’exception par son isolement : depuis la construction de la route en 1904 sur la rive opposée, les habitants traversent en barque lorsque le niveau d’eau le permet. En dépit d’une grande campagne de restauration des toitures

en lauzes dans les années 1990, avec l’installation d’une benne électrique qui permettait jusqu’en 2016 le transport des marchandises d’une rive à l’autre, le hameau reste privé d’eau courante et de réseau d’assainissement. Cette situation singulière lui confère une reconnaissance locale, une « carte-postale ». En cultivant les terrasses, l’ambition est de recourir aux qualités de ce terroir spécifique, différent de celui du causse, afin d’améliorer l’offre alimentaire du bassin de vie et de retisser des liens humains. Cette démarche ouvre aussi la porte à une nouvelle activité vivrière qui ne se réduise pas à la saison touristique.

Ca

uss

ed

eS

au

vet

err

e

Ca

u

e ss

n

jea

Moulin rénové

Élargir la carte-postale : Vue projetée des terrasses cultivées 10

Route des gorges du Tarn

Le Tarn


Hauterives

Ruines du château

Castellos

11


Hauterives

Castellos

Ruines du château

Périmètre optimal du projet Potentialités de plantations 12


Une proposition ancrée au terrain

Aujourd’hui

Le tracé des anciennes terrasses constitue l’ossature des nouvelles, même si l’on s’en affranchit par touches, notamment au niveau des accès. Un nouveau jeu de rampes complète les escaliers anciens et permet le passage de petits engins motorisés.

+ 9 ans

Commencer par les parcelles les plus accessibles et nécessitant peu de travaux

+ 9 ans

À partir de ces parcelles « souches », gagner du terrain sur les terrasses limitrophes

Le dernier temps est réservé aux lieux les plus reculés qui nécessitent plus de travail et d’énergie

En accord avec l’esprit des lieux, chaque mètre carré est optimisé. Nous cherchons à planter des essences fruitières diversifiées et les placer en fonction de facteurs édaphiques, climatiques et topographiques. Par exemple, les poiriers en demi-tige côtoient les figuiers palissés contre les murs lorsque l’espace le permet, les amandiers sont protégés du vent derrière les éperons rocheux, les kiwis et les noyers sont placés au plus proche de l’eau, les moins exigeants comme les abricotiers ou les chênes truffiers complètent les hauteurs plus pauvres. Les temps de projets correspondent à la durée d’un bail rural. Une fois la troisième phase achevée, il sera dores et déjà temps de renouveler les plantations de la phase 1, et ainsi de suite pour enclencher une rotation durable.

Essence

Conduite

Rendement

Haute-tige

50 kg/arbre

950 kg (19)

1,2 T (25)

1,2 T (25)

Haute-tige

40 kg/arbre

900 kg (23)

2,4 T (60)

2,4 T (60)

Chêne truffier

Haute-tige

25 g/arbre

4 kg (155)

5,3 kg (210)

15 kg (595)

Abricotier

Demi-tige

30 kg/arbre

2,4 T (80)

4,7 T (155)

9 T (300)

Amandier

Demi-tige

20 kg/arbre

2 T (100)

3,1 T (155)

3,7 T (185) 4,2 T (85)

Noyer Cerisier

Production annuelle estimée (nombre d’arbre)

Poirier

Demi-tige

50 kg/arbre

500 kg (10)

3,5 T (70)

Poirier

Palissé

50 kg/arbre

2,7 T (55)

7,7 T (155)

Figuier

Palissé

20 kg/arbre

4,2 T (210)

9,2 T (460)

16,6 T (830)

Palissé

10 kg/arbre

700 kg (70)

2 T (205)

3,1 T (300)

14,3 T (720)

33,8 T (1500)

Kiwi

12,7 T (255)

Totaux 13

53 T (2630)


Le désir de rassembler À toutes les étapes du projet, l’ambition est de mobiliser un maximum de personnes : propriétaires, habitants, élus, gestionnaires, organismes financeurs, artisans, techniciens, visiteurs, acteurs touristiques, consommateurs, etc. Ainsi, les travaux de restauration des terrasses peuvent êtes organisés en chantier-école par l’association des Artisans bâtisseurs en pierres sèches (ABPS). Celle-ci a déjà été sollicitée dans les années 1990. Le savoir-faire de la pierre sèche est encore profondément ancré sur le territoire. Il est nécessaire de s’y référer et de soutenir la filière autour de projets pilotes. Les difficultés d’accès inhérentes à ce hameau nous poussent à utiliser les matériaux en présence et ne pas recourir à l’importation étrangère qui serait, ailleurs, moins coûteuse.

Activation du projet

Une démarche initiée par les propriétaires Ce travail de fin d’études élabore un état des lieux des terrasses et des potentielles plantations à Hauterives. Il donne une perspective d’avenir au paysage des gorges du Tarn en complémentarité et lien avec le causse. Afin d’avoir une idée de la viabilité économique du projet, il doit être approfondi par un état des lieux des filières existantes et en devenir par la Chambre d’Agriculture.

Les travaux de plantations peuvent être des moments qui rassemblent. Nombreuses sont les personnes qui sont attachées à ce hameau et se sentent concernées par l’avenir du paysage des gorges du Tarn. Elles peuvent être toutes conviées à ces moments festifs. La période des récoltes, dont le calendrier s’étend de mai pour les cerises à novembre pour les kiwis, fait appel à une main d’œuvre saisonnière déjà largement présente dans les gorges du Tarn, notamment pour la location de canoë, les campings ou la restauration. Compte tenu de l’ampleur des terrasses restaurées, cette main d’œuvre est primordiale et jouera un rôle clé jusqu’à la commercialisation.

Cette première étape sera exposée aux habitants avec l’aide de l’association Alta Ripa. La concertation pourra mettre en débat la proposition et identifier les propriétaires intéressés. La création d’une association foncière agricole permettra d’accéder à des subventions publiques en définissant un périmètre de projet et des objectifs d’intérêts collectifs (touristiques, paysagers, fonctionnels, écologiques, etc.). Puisque Hauterives appartient à l’aire d’adhésion du parc national des Cévennes, l’association peut bénéficier d’un appui technique et administratif. Les cultivateurs ne sont pas nécessairement les propriétaires des parcelles qui, eux, n’habitent pas les lieux à l’année. Il est préférable de s’adresser aux résidents du causse dans les environs de la plaine de Carnac ; Anilhac est un cas idéal pour sa position limitrophe. Le projet s’adresse à de nouveaux arrivants, des éleveurs ou des personnes en reconversion par exemple, à la recherche d’une activité complémentaire.

Celle-ci peut se faire, en vente directe, dans le moulin dont la restauration en lieu de stockage temporaire est prévue dès la phase 2. Nous mobilisons ici les nombreux visiteurs en période estivale comme de potentiels consommateurs. Les fruits non vendus pourrons remonter sur le causse avant les premières crues (début septembre) par le chemin des muletiers. Ils y seront stockés, éventuellement transformés et vendus dans le bassin de vie caussenard. Coupe type d’une terrasse cultivée d’amandiers et de kiwis au sud du hameau 14


1m

15


La réhabilitation du moulin lui confère un nouveau rôle social : Lieu de stockage temporaire, de vente et de consommation, de convivialité

16


Intervention ponctuelles sur le chemin des muletiers Dans un scénario où des Caussenards seraient amenés à cultiver les terrasses de Hauterives, la réhabilitation du chemin des muletiers est un point fondamental. L’idée est de permettre à de petits engins motorisés (type micro-tracteur) de descendre et remonter. Pour cela, il doit être consolidé d’une calade aux lieux fortement ravinés. Le calepinage de celleci permettra d’éloigner les eaux pluviales du chemin tout en le consolidant. Les matériaux en place seront utilisés. Dans la partie boisée de l’ascension, plusieurs pins devront être abattus pour élargir le chemin à une largeur d’1 m 20. Les troncs seront laissés sur place. 17


1

Saint-Chélydu-Tarn

Carnac

Hauterives

1 2

3

4

Anilhac

4

18


Un territoire contrasté, des stratégies complémentaires La corniche du Tarn, entre Hauterives et Anilhac, est un lieu stratégique pour appréhender les relations entre la qualité des terrains, les choix de gestion, les ressources et les productions. 1 C’est un espace de lutte, où progressent les boisements, qu’il conviendra de maîtriser par une action forte et volontaire. L’ouverture par le feu ou par des moyens mécaniques comme le gyrobroyage est à effectuer avec parcimonie, à défaut de pouvoir agir autrement, et à condition de maintenir durablement les espaces ouverts. Le pâturage mixte ovin-équin à différentes périodes de l’année peut y contribuer. Cette pratique existe déjà sur le plateau ; il s’agit de l’organiser de manière stratégique, en favorisant par exemple l’augmentation du taux de chargement des parcelles et l’alimentation complémentaire de ces deux espèces.

2

2 La présence des animaux engendre de nouvelles ressources qui peuvent être partagées avec les gorges. Le fumier de cheval sert à amender les sols pauvres des terrasses de Hauterives tandis que les déchets de laine, peu valorisés, peuvent composer un paillage qui conserve l’eau au pied du verger et limite le développement des adventices. 3 Dans les grandes plaines comme celle de Carnac, les cultures peuvent davantage se diversifier. Près de 99 % sont destinées à l’alimentation animale. Il s’agirait d’augmenter la part des cultures de vente et de produire des céréales panifiables pour moudre la « Méjeanette », par exemple. 4 Inadaptées à la mécanisation, les dolines se fondent de plus en plus dans les pâturages. Le safran, culture inconnue sur le Méjean, peut permettre de mieux valoriser la terre fertile sur de petits espaces. Après les dernières récoltes de figues et de kiwis à Hauterives, la main-d’œuvre saisonnière disponible récolte le safran à la main jusqu’en novembre. Les clapas qui couronnent les dolines peuvent être remodelés pour former des clôtures-remparts. 19


Mon

t-Loz

ère

A

Mont- Aigoual

A’ Carte du paysage visible depuis le chemin Élévation est du chemin

A

A’ 20

500 m

N


Ménager durablement la steppe caussenarde L’embroussaillement progresse singulièrement du nord vers le sud par les rebords plus arrondis des gorges du Tarn, et de l’ouest vers l’est depuis le causse boisé. Ainsi, la proposition est d’agir de façon décroissante : un front de gestion « soutenue » sur la corniche comme nous venons de le voir avec l’ouverture des milieux et la mise en place de pâturages mixtes ; une gestion « in-situ », de transition, avec un remplacement progressif des pins au profit d’essences plus diversifiées, plus adaptées au futur climat caussenard et moins colonisatrices ; et une gestion « extensive » au cœur du plateau profitant des efforts limitrophes qui éloignent le pin et la prédation. La partie qui suit s’intéresse à détailler la mise en œuvre d’une gestion « in-situ » au Buffre.

A

1. Puech crémat Autour des stigmates d’un incendie récent s’opère la lutte pour l’espace entre les buis et l’élevage.

2. Val d’issarts Grande plaine ouverte jalonnée de puechs qui cadrent des percées visuelles. La séquence porte en son nom la mission d’ouverture des espaces agricoles.

Mas-SaintChély

Mas-de-Val Occupation humaine Grande traverse du Méjean, ancienne route de Sainte-Énimie à Meyrueis Un territoire en projet Parcelles mises en culture Boisements défrichés (en filigrane rouge) Boisements ouverts ménagés par le sylvo-pastoralisme Contrôle de la densité forestière

Le Buffre

Maintien des domaines pâturés ou cultivés existants

3. Les arènes du Buffre Le hameau du Buffre, adossé face à une plaine, est ceinturé de puechs qui forment un espace clos.

Relief et visibilité Lignes de crêtes Courbes de niveaux tous les mètres Franges de l’aire de visibilité* A’ * L’aire de visibilité est une simulation cartographique calculée à partir d’un Modèle Numérique de Terrain. Elle se définie par la superposition des limites visuelles d’une centaine de points de vue le long du chemin. Lecture du résultat : Plus la surface est blanche, plus le paysage est masqué, dans un creux ou derrière une crête. 21


Œuvrer pour son paysage quotidien au Buffre Le bien de section, un moyen pour tous de contribuer au dessein du paysage caussenard

Par la voie ancienne qui traverse le Méjean du nord au sud, nous arrivons au hameau du Buffre. Il est face à une plaine et ceinturé de puechs. Depuis une trentaine d’années, ses habitants observent la fermeture du paysage et regrettent les parcours pelés qu’ils avaient sous les yeux. Au sud, le jeune boisement spontané de pins sylvestres qui s’étire jusqu’à l’enceinte protohistorique de la Rode est sous le régime des biens de section. Ce massif de 250 hectares est loué par un éleveur ovin qui valorise le peu d’herbe disponible sous les aiguilles.

La gestion de ces biens est souvent source de litiges. À rebours des efforts législatifs pour les faire disparaître, le projet propose d’en faire des outils démocratiques d’action sur le paysage. Avec la création d’une commission syndicale autonome, chaque habitant d’un village participe, à son échelle, à transformer son paysage quotidien. Cela correspond bien aux personnes qui s’installent sur le causse pour être partie prenante, sans pour autant pratiquer l’élevage. Les sectionnaux occupent plus de 50 km² entre vallées et plateau, soit près de 15 % de la surface du Méjean. Dans un territoire dominé par le privé, ils émergent comme de remarquables occasions de faire en commun ; par exemple pour mettre en œuvre le remplacement progressif des pins, ou pour restaurer la lavogne.

Un bien de section est une forme de propriété collective héritée de l’Ancien Régime. Les habitants d’un village y ont des droits : la récolte de bois, de champignons ou la chasse par exemple.

Par l’action collective menant à sa restauration, la lavogne du Buffre redevient un instrument de mesure populaire de l’eau 22


À la croix du Buffre, le troupeau se dirige vers les pâturages du bien de section

Vue de plan et coupe de la lavogne Les cercles de pierres indiquent le volume d’eau restant (de 25 m³ à 250 m³)

23


Le pin sylvestre peut être valorisé en bois-énergie par l’entreprise Engelvin à Mende. Les éclaircies sont semées de nouvelles essences feuillues en mélange, adaptées à un climat plus sec ou sélectionnées pour leurs qualités fourragères : par exemple plusieurs essences de chêne (Quercus muehlenbergii, Q. ilex, Q. cerris, Q. faginea), le cormier (Sorbus domestica) ou l’aulne de Corse (Alnus cordifolia).

Pourtant, si le remplacement des essences et la réduction des densités boisées semblent faire consensus entre éleveurs et gestionnaires, de nombreuses difficultés freinent les initiatives. Outre le morcellement foncier, les démarches administratives et les coûts inhérents aux travaux forestiers, la réglementation nationale relative aux défrichements et aux déboisements montre le chemin opposé. Les mêmes lois qui protègent, à juste titre, certaines forêts françaises, constituent de véritables entraves aux éleveurs qui souhaitent éclaircir une parcelle ou la reclasser en pâturage. Les mesures compensatoires exigées ne correspondent ni aux réalités, ni à l’esprit du terrain caussenard. Dans certains cas, nous aurions envie que le causse devienne un lieu d’expérimentation en matière de droit. Dans quelle mesure ce dernier peut-il conforter un projet commun ?

Pendant « la cohabitation », les pins protègent et accompagnent la levée des feuillus. Peu à peu, les résineux reculent et la densité boisée est limitée, à terme, à 50 arbres/ha. Cela forme un milieu ouvert qui ressemble davantage à la dehesa ibérique qu’à la steppe mongole avec laquelle le causse est souvent comparé. Cette stratégie permet de concéder davantage de lumière au sol, ce qui accroît l’herbe du pâturage. L’autonomie fourragère de l’exploitation en est améliorée : les feuillages pouvant aussi représenter des ressources complémentaires. Par leur dissémination gravitaire, les chênes colonisent nettement moins les parcours environnants. Enfin, le choix des essences propose une meilleure diversité et richesse biologique des milieux, tout en supportant les variations du climat.

Vues de principe pour le remplacement des pins sylvestres

Avant

Après 24


Vue aérienne du bien de section après remplacement du pin et réduction de la densité boisée Les arènes du Buffre en anaglyphe : Regarder l’image avec des lunettes 3D anaglyphe rouge/cyan pour percevoir le relief.

25


26


Réconcilier par la démarche paysagère Face aux difficultés de dialogue entre les acteurs, et à l’urgence de s’entendre, la candidature du Méjean à l’appel à projets « plans de paysage » semble une possibilité intéressante. Ce dispositif annuel lancé par le ministère de la Transition écologique et solidaire peut répondre aux besoins du territoire en matière d’étude, de concertation et d’aide à la décision. Sans constituer un nouvel outil réglementaire, il permettrait de dresser un programme d’actions concertées à l’échelle du causse. Il s’agit de se donner les moyens de construire une stratégie d’adaptation commune et cohérente spatialement qui puisse orchestrer les politiques sectorielles d’aménagement du territoire de façon transversale. La concertation prévue dans les plans de paysage peut s’avérer très fine et pourrait réconcilier certains Caussenards avec les initiatives de l’État. Il conviendra néanmoins d’accepter le paysage caussenard comme un bien commun dont les enjeux s’étendent au-delà des limites géographiques du Méjean et de l’emprise exclusive de ses habitants.

27



Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.