Cours Vérité - Sciences

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A quelle(s) vérité(s) l'homme peut-il prétendre ? Notions: -La vérité. -La démonstration. -Le vivant. -La matière et l'esprit. I La recherche de la vérité ou la vérité comme recherche : la philosophie, le doute philosophique : A -Etude du mythe de la caverne dans la République de Platon, livre VII

Figure-toi des hommes dans une demeure souterraine, en forme de caverne, ayant sur toute sa largeur une entrée ouverte à la lumière ; ces hommes sont là depuis leur enfance, les jambes et le cou enchaînés de sorte qu'ils ne peuvent bouger ni voir ailleurs que devant eux, la chaîne les empêchant de tourner la tête ; la lumière leur vient d'un feu allumé sur une hauteur, au loin derrière eux ; entre le feu et les prisonniers passe une route élevée : imagine que le long de cette route est construit un petit mur, pareil aux cloisons que les montreurs de marionnettes dressent devant eux, et au-dessus desquelles ils font voir leurs merveilles. — Je vois cela, dit-il. — Figure-toi maintenant le long de ce petit mur des hommes portant des objets de toute sorte, qui dépassent le mur, et des statuettes d'hommes et d'animaux, en pierre, en bois, et en toute espèce de matière ; naturellement, parmi ces porteurs, les uns parlent et les autres se taisent. — Voilà, s'écria-t-il, un étrange tableau et d'étranges prisonniers. — Ils nous ressemblent, répondis-je ; et d'abord, penses-tu que dans une telle situation ils aient jamais vu autre chose d'eux-mêmes et de leurs voisins que les ombres projetées par le feu sur la paroi de la caverne qui leur fait face ? — Et comment ? observa-t-il, s'ils sont forcés de rester la tête immobile durant toute


leur vie ? Et pour les objets qui défilent, n'en est-il pas— de même ? — Sans contredit. — Si donc ils pouvaient s'entretenir ensemble ne penses-tu pas qu'ils prendraient pour des objets réels les ombres qu'ils verraient ? — Il y a nécessité. — Et si la paroi du fond de la prison avait un écho, chaque fois que l'un des porteurs parlerait, croiraient-ils entendre autre chose que l'ombre qui passerait devant eux ? — Non, par Zeus, dit-il. — Assurément, repris-je, de tels hommes n'attribueront de réalité qu'aux ombres des objets fabriqués. — C'est de toute nécessité. — Considère maintenant ce qui leur arrivera naturellement si on les délivre de leurs chaînes et qu'on les guérisse de leur ignorance. Qu'on détache l'un de ces prisonniers, qu'on le force à se dresser immédiatement, à tourner le cou, à marcher à lever les yeux vers la lumière : en faisant tous ces mouvements il souffrira, et l'éblouissement l'empêchera de distinguer ces objets dont tout na l'heure il voyait les ombres. Que crois-tu donc qu'il répondra si quelqu'un lui vient dire qu'il n'a vu jusqu'alors que de vains fantômes, mais qu'à présent, plus près de la réalité et tourné vers des objets plus réels, il voit plus juste ? si, enfin, en lui montrant chacune des choses qui passent, on l'oblige, à force questions, à dire ce que c'est ? Ne penses-tu pas qu' il sera embarrassé, et que les ombres qu'il voyait tout à l'heure lui paraîtront plus vraies que les objets qu'on lui montre maintenant ? — Beaucoup plus vraies, reconnut-il. — Et si on le force à regarder la lumière elle-même, ses yeux n'en seront-ils pas blessés ? n'en fuira-t-il pas la vue pour retourner aux choses qu' il peut regarder, et ne croira-t-il pas que ces dernières sont réellement plus distinctes que celles qu'on lui montre ? — Assurément. — Et si, repris-je, on l'arrache de sa caverne par force, qu'on lui fasse gravir la montée rude et escarpée, et qu'on ne le lâche pas avant de l'avoir traîné jusqu' à la lumière du soleil, ne souffrira-t-il pas vivement, et ne se plaindra-t-il pas de ces violences ? Et lorsqu'il sera parvenu à la lumière, pourra-t-il, les yeux tout éblouis par son éclat, distinguer une seule des choses que maintenant nous appelons vraies ? — Il ne le pourra pas, répondit-il ; du moins dès l'abord. — Il aura, je pense, besoin d'habitude pour voir les objets de la région supérieures D'abord cc seront les ombres qu'il distinguera le plus facilement, puis les images des hommes et des autres objets qui se reflètent dans les eaux' ensuite les objets euxmêmes. Après cela, Il pourra, affrontant la clarté des astres et de la lune, contempler plus facilement pendant la nuit les corps célestes et le ciel lui-même, que pendant le jour le soleil et sa lumière. — Sans doute. — À la fin, j'imagine, ce sera le soleil — non ses vaines images réfléchies dans les eaux ou en quelque autre endroit — mais le soleil lui-même à sa vraie place, qu'il pourra voir et contempler tel qu'il est. — Nécessairement, dit-il. — Après cela il en viendra à conclure au sujet du soleil, que c'est lui qui fait les saisons et les années, qui gouverne tout dans le monde visible, et qui, d'une certaine manière, est la cause de tout ce qu'il voyait avec ses compagnons dans la caverne. — Évidemment, c'est à cette conclusion qu'il arrivera. — Or donc, se souvenant de sa première demeure, de la sagesse que l'on y professe, et de ceux qui y furent ses compagnons de captivité, ne crois-tu pas qu'il se réjouira


du changement et plaindra ces derniers ? — Si, certes. — Et s'ils se décernaient alors entre eux honneurs et louanges, s'ils avaient des récompenses pour celui qui saisissait de l'oeil le plus vif le passage des ombres, qui se rappelait le mieux celles qui avaient coutume de venir les premières ou les dernières, ou de marcher ensemble, et qui par là était le plus habile à deviner leur apparition, penses-tu que notre homme fût jaloux de ces distinctions, et qu'il portât envie à ceux qui, parmi les prisonniers, sont honorés et puissants ? Ou bien, comme le héros d'Homére, ne préférera-t-il pas mille fois n'être qu'un valet de charrue, au service d'un pauvre laboureur, et souffrir tout au monde plutôt que de revenir à ses anciennes illusions et de vivre comme il vivait. — Je suis de ton avis, dit-il, il préférera tout souffrir plutôt que de vivre de cette façon-là. — Imagine encore que cet homme redescende dans la caverne et aille s'asseoir à son ancienne place : n'aura-t-il pas les yeux aveuglés par les ténèbres en venant brusquement du plein soleil ? — Assurément si, dit-il. — Et s'il lui faut entrer de nouveau en compétition, pour juger ces ombres, avec les prisonniers qui n'ont point quitté leurs chaînes, dans le moment où sa vue est encore confuse et avant que ses yeux se soient remis (or l'accoutumance à l'obscurité demandera un temps assez long) n'apprêtera-t-il pas à rire à ses dépens, et ne diront-ils pas qu'étant allé là-haut il en est revenu avec la vue ruinée, de sorte que ce n'est même pas la peine d'essayer d'y monter ? Et si quelqu'un tente de les délier et de les conduire en haut, et qu'ils le puissent tenir en leurs mains et tuer, ne le tueront-ils pas ? — Sans aucun doute, répondit-il — Maintenant, mon cher Glaucon, repris-je, il faut appliquer point par point cette image à ce que nous avons dit plus haut, comparer le monde que nous découvre la vue au séjour de la prison, et la lumière du feu qui l'éclaire à la puissance du soleil. Quant à la montée dans la région supérieure et à la contemplation de ses objets, si tu la considères comme l'ascension de l'âme vers le lieu intelligible, tu ne te tromperas pas sur ma pensée, puisque aussi bien tu désires la connaître. Dieu sait si elle est vraie. Pour moi, telle est mon opinion : dans le monde intelligible l'idée du bien est perçue la dernière et avec peine, mais on ne la peut percevoir sans conclure qu'elle est la cause de tout ce qu' il y a de droit et de beau en toutes choses ; qu'elle a, dans le monde visible, engendré la lumière et le souverain de la lumière ; que, dans le monde intelligible, c'est elle-même qui est souveraine et dispense la vérité et l'intelligence ; et qu'il faut la voir pour se conduire avec sagesse dans la vie privée et dans la vie publique.

Définition du mythe et de sa fonction dans les Dialogues de Platon : Récit fictif qui raconte une histoire, a une forme narrative mais ne repose pas sur une argumentation rationnelle. Il se rapproche de la fable, de la parabole au de l'allégorie car il rompt avec la démonstration dialectique, c'est un discours imagé qui ne prétend pas au Vrai, mais au Sens Il est porteur d'un message et doit donc être interprété. Il intervient quand l'interlocuteur de Socrate est fatigué de la rigueur démonstrative et que la discussion s'enlise. Il a donc une fonction pédagogique : dire autrement, montrer plutôt que démontrer par des raisons.


Les éléments du mythe et l'interprétation qu'on peut en faire : -La caverne : Lieu sombre où sont enchaînés des prisonniers depuis leur enfance. Ils ne connaissent que ce lieu, ne sont jamais sortis de la caverne. C'est le symbole de la condition humaine, de l'ignorance qui règne chez ces hommes paralysés, cloués sur place par des images qui les hypnotisent au point de les exclure de la réalité. Ils partagent tous cette condition, liés les uns aux autres par une culture (cet état qui est le leur, n'est pas naturel, mais artificiel), ils regardent tous dans la même direction, attachés les uns aux autres par ces mêmes croyances, valeurs auxquelles ils adhèrent depuis toujours et qu'ils ont reçues par héritage, de la société, de l'éducation, de leur environnement. Ils se ressemblent donc et forment une communauté. Ils sont enchaînés par cette culture. Cependant ce qu'ils croient être vrai n'est qu'apparence. Cette caverne représente cette situation dans laquelle nous sommes enfermés, lorsque nous avons des opinions. C'est en effet l'opinion et ses caractéristiques qui sont décrits ici : •

L'opinion ou doxa est fixité : elle s'accroche à un contenu, le défend corps et âme, et par là même, elle est l'inverse de la pensée, qui selon Platon est mouvement, « dialogue de l'âme avec elle-même ». Tant que je pense, je cherche, je me pose des questions, j'y réponds, je suis dans ce mouvement dialectique . Or, l'opinion est jugement. Je me prononce et cesse donc de penser, c'est l'arrêt de la pensée.

Par suite, l'opinion s'accompagne du sentiment d'avoir raison, de la certitude de soi.

D'où une certaine intolérance à la différence. Demander au prisonnier de faire un écart par rapport à ce qu'il croit, c'est remettre en question une habitude de pensée qui est bien confortable et rassurante, puisque c'est ce que j'ai toujours su, vu, expérimenté. Hegel, dans la Préface de la Phénoménologie de l'Esprit, décrit cette attitude de repli sur soi : « [...]. Puisque le sens

commun fait appel au sentiment, son oracle intérieur, il rompt tout contact avec qui n'est pas de son avis, il est ainsi contraint d'expliquer qu'il n'a rien d'autre à dire à celui qui ne trouve pas et ne sent pas en soi-même la même vérité ; en d'autres termes, il foule aux pieds la racine de l'humanité, car la nature de l'humanité, c'est de tendre à l'accord mutuel ». Non seulement je ne comprends pas la différence d'opinion mais je la refuse catégoriquement. •

L'opinion qui achève la pensée, est pour le sujet qui opine, son opinion. L'âme finit par se confondre avec ce qu'elle juge. « L'âme affirme et ne doute plus, cette opinion nous la posons comme étant la sienne » Théétète, 190A, Platon. Ainsi si mon opinion est contestée par une autre, je le prends pour moi autrement dit c'est la négation même de ce que je suis. Il y a là confusion, je ne suis pourtant pas ce que je juge ! A en voir le déroulement des discussions familiales, nous oublions cette distinction !!!

Autre caractéristique de l'opinion, sa versatilité, son caractère instable. Elle s'accroche certes à un contenu avec ardeur, mais est pourtant


capable de l'abandonner pour un autre, plus séduisant, quitte à se contredire. Voir les oscillations de l'opinion publique, qui est capable de porter aux nues un individu et de le réduire à néant, quelques temps plus tard ! Le dialogue Théétète montre dans l'extrait qui suit, le travail de la pensée et les troubles qu'elle peut engendrer chez celui qui se prête au jeu, non sans difficultés ou résistance. On retrouve les éléments propres à l'opinion.

L'ART DE LA MAÏEUTIQUE [Socrate] - [...] Efforce-toi d'appliquer, à la pluralité des sciences, une définition unique. Théétète - Mais sache-le bien, Socrate, maintes fois déjà j'ai entrepris cet examen, excité par tes questions, dont l'écho venait jusqu'à moi. Malheureusement je ne puis me satisfaire des réponses que je formule, ni trouver, en celles que j'entends formuler, l'exactitude que tu exiges, ni, suprême ressource, me délivrer du tourment de savoir. Socrate - C'est que tu ressens les douleurs, ô mon cher Théétète, douleurs non de vacuité, mais de plénitude. Théétète - Je ne sais, Socrate ; je ne fais que dire ce que j'éprouve. Socrate - Or ça, ridicule garçon, n'as tu pas ouï dire que je suis fils d'une accoucheuse, qui fut des plus nobles et des plus imposantes, Phénarète ? Théétète - Je l'ai ouï dire. Socrate - Et que j'exerce le même art, l'as-tu ouï dire aussi ? Théétète - Aucunement Socrate - Mon art de maïeutique à mêmes attributions générales que celui des sages-femmes. La différence est qu'il délivre les hommes et non les femmes et que c'est les âmes qu'il surveille en leur travail d'enfantement, non point les corps. Mais le plus grand privilège de l'art que, moi, je pratique est qu'il sait faire l'épreuve et discerner, en toute rigueur, si c'est apparence vaine et mensongère qu'enfante la réflexion du jeune homme, ou si c'est fruit de vie et de vérité. J'ai, en effet, même impuissance que les accoucheuses. Enfanter en sagesse n'est point en mon pouvoir, et le blâme dont plusieurs déjà m'ont fait opprobre, qu'aux autres posant questions je ne donne jamais mon avis personnel sur aucun sujet et que la cause en est dans le néant de ma propre sagesse, est blâme véridique. La vraie cause, la voici : accoucher les autres est une contrainte que le dieu m'impose ; procréer est puissance dont il m'a écarté. Je ne suis donc moi-même sage à aucun degré et je n'ai, par-devers moi, nulle trouvaille qui le soit et que mon âme à moi ait d'elle-même enfantée. Mais ceux qui


viennent à mon commerce, à leur premier abord, semblent, quelquesuns même totalement, ne rien savoir. Or tous, à mesure qu'avance leur commerce et pour autant que le dieu leur en accorde faveur, merveilleuse est l'allure dont ils progressent, à leur propre jugement comme à celui des autres. Le fait est pourtant clair qu'ils n'ont jamais rien appris de moi, et qu'eux seuls ont, dans leur propre sein, conçu cette richesse de beaux pensers qu'ils découvrent et mettent au jour. De leur délivrance, par contre, le dieu et moi sommes les auteurs. [...] Ce qu'éprouvent ceux qui me viennent fréquenter ressemble encore en cet autre point à ce qu'éprouvent les femmes en mal d'enfantement : ils ressentent les douleurs, ils sont remplis de perplexités qui les tourmentent au long des nuits et des jours beaucoup plus que ces femmes. Or ces douleurs, mon art à la puissance de les éveiller et de les apaiser. Voilà donc, à leur état, quel traitement j'apporte. Mais il y en a, Théétète, de qui je juge qu'ils ne sont en gestation d'aucun fruit. Je connais alors qu'ils n'ont, de moi, aucun besoin. [...] Pourquoi, très cher, t'ai-je donné ces longs détails ? Parce que je soupçonne, ce dont toi-même à l'idée, que tu ressens les douleurs d'une gestation intime. Livre-toi donc à moi comme au fils d'une accoucheuse, lui-même accoucheur ; efforce-toi de répondre à mes questions le plus exactement que tu pourras ; et si, examinant quelques unes de tes formules, j'estime y trouver apparence vaine et non point vérité, et qu'alors je l'arrache et la rejette au loin, ne va pas entrer en cette fureur sauvage qui prend les jeunes accouchées menacées en leur premier enfant. C'est le cas de plusieurs déjà, ô merveilleux jeune homme, qui, envers moi, en sont venus à ce point de défiance qu'ils sont réellement prêts à mordre dès la première niaiserie que je leur enlève. Ils ne s'imaginent point que c'est par bienveillance que je le fais [...]

Les ombres : Ce sont les reflets des objets fabriqués et manipulés par des marionnettistes. Tout est artificiel : les objets ( ce sont des reproductions sensibles d'idées qui préexistent ; par exemple, le lit matériel du menuisier a d'abord été conçu dans sa tête avant d'être réalisé.). Les objets sont donc déjà des copies, éloignées des Vérités, des Idées, qui sont les Modèles de toutes choses. Les objets représentent ce sur quoi la communauté s'entend, les conventions par lesquelles elle s'accorde sur ce que signifie la science, le beau, le bonheur... ;Dire que ce sont là des constructions d'un groupe humain, c'est rappeler aux hommes que leurs valeurs ne sont pas innées mais transmises par d'autres. Ce qui est nécessaire pour Platon, c'est de le savoir, de comprendre cette génèse de nos opinions pour en être libres. La liberté tient dans notre capacité à rendre raison de ce que nous affirmons. Cela signifie qu'il y a avec Platon non seulement des opinions fausses, des opinions vraies (= opinion en adéquation avec ce qui est ; Prendre Théétète pour Alcibiade c'est se tromper, dire quelque chose de faux), mais aussi il ne suffit pas d'avoir des opinions justes, il faut se les approprier, pouvoir les justifier. Quant au mouvement, qui projette les ombres sur la paroi, c'est le fait des « faiseurs de prestiges », qui ont cette supériorité sur les prisonniers, ils savent qu'en manipulant ces objets , ils créent des illusions de réalités, en bas, chez ceux qui n'ont qu'un point de vue et qui construisent leur connaissance à partir de ce qu'ils perçoivent. Il y a bien des différences entre les prisonniers, ceux, en effet qui


ont des louanges ou paraissent plus savants que d'autres, sont ceux qui par rapidité, capacité à anticiper, arrivent à discerner une ombre d'une autre, à remarquer des séquences régulières et en viennent donc à penser qu'une ombre est cause d'une autre. Cependant, cette connaissance est construite sur des illusions. Sur la base de ce défilé d'apparences, ces hommes élaborent pourtant des connaissances. Cette adhésion au sensible, à ce qui est perçu immédiatement est critiqué par Platon. Il s'agit de dénoncer cette attitude spontanée, car ce sont des images et non le réel qui est sous nos yeux. Voir, ça n'est pas penser et pour cela il faut justement se mettre à distance des choses sensibles. Ces dernières peuvent être construites de toutes pièces pour nous manipuler. Il faut donc apprendre à discerner le vrai du faux. L'image n'est pas l'original (eidolon=idole, image simulacre et eikon=icône, image qui se donne comme telle ). Voir analyse conceptuelle de la manipulation et ses techniques . Les Faiseurs de prestiges : C'est évidemment aux Sophistes que Platon s'en prend ici pour dénoncer leur capacité à manier le langage pour arriver à leurs fins. Le logos ne peut être un simple outil de persuasion, il doit être au service du vrai. En faisant du langage une arme, les Sophistes justifient le mensonge. Ceux qui sont donc capables de produire des discours, qui sont aussi des images parlées de toutes choses, sont dangereux et doivent être démasqués. Seule la connaissance de ces différences, la pratique de l'esprit critique, permet de ne pas se laisser influencer et séduire par la beauté de tels discours persuasifs. Ils concourent à produire une interprétation de la réalité qui sera adoptée par les membres de la société comme étant la réalité. Les marionnettistes sont dans l'obscurité eux aussi, car même s'ils ont quelque chose de plus que les prisonniers, ils jouent sur les apparences, ils ne connaissent pas pour autant le Vrai. Ils trompent certes les autres mais sont dans l'ignorance du Vrai (hors de la caverne, il y a la lumière). On retrouve l'image de l'obscurité qui n'est pas sans rappeler l'obscurantisme. La connaissance de cette différence entre les originaux et les ombres, ne suffit pas. Si les Sophistes savent manier la dialectique, son utilisation en vue de se jouer de son interlocuteur, d'avoir raison de lui dans la discussion, n'est pas celle attendue par le philosophe. L'ascension vers la sortie de la caverne. L'échappée de la caverne n'est pas la volonté du prisonnier. « Formaté » par les ‡institutions de la Cité, l'éducation, l'opinion publique et la pression qu'elles exercent sur lui depuis l'enfance, le prisonnier aime ses habitudes et n'est pas prêt à y renoncer. Pour le sortir de cette situation, il faut quelqu'un qui le détache et le force à lever les yeux, à marcher, à se retourner pour voir autre chose. C'est la rencontre hasardeuse ou contrainte qui me met face à ce qui ne me ressemble pas et qui justement me fait prendre conscience d'une altérité, d'une autre façon de vivre, de penser, de se positionner. Sans cela, je serais paralysé, à jamais bloqué dans une seule et exclusive manière de penser. Eduquer, c'est donc convertir le regard, voir autrement, changer d'angle. Il na s'agit pas de remplir une âme de contenu, mais d'arracher l'âme toute entière au spectacle du visible. Cette conversion doit être individuelle et progressive. Pour ne pas faire souffrir le prisonnier, aveuglé par une lumière trop forte, il faut le faire avancer par degrés, il verra ainsi que la cause de ce qu'il croyait être la réalité, ce n' est pas les objets qui dépassent du mur, mais le feu. Il passera ainsi d'une causalité multiple et changeante à une unique cause. Cette progression est le mouvement de la pensée. C'est par étapes que le prisonnier passera de reflets en reflets vers la sortie. Il doit habituer ses yeux à la lumière et d'images en images, il finira par voir le Soleil lui-même et les Réalités pures, l'Intelligible. Après cette expérience, qu'est la pensée (dianoia), le prisonnier est


transformé, il ne peut plus parler le langage commun, il voit désormais clairement. Il a appris à se détacher des séductions du sensible, faciles et immédiates. Il a découvert l'esprit critique, le doute. La redescente dans la caverne. Celui qui est sorti de la caverne, qui a changé, qui a fait l'expérience de la pensée, ne peut laisser ses compagnons de captivité dans l'ignorance. Il ne peut que être mû par la volonté de les délivrer de leurs illusions. Si j'ai vu les trucages, l'envers du décor, les astuces pour créer ces images fallacieuses, je ne peux que vouloir les démasquer. C'est le philosophe, qui est ici décrit et qui vient se confronter aux autres, qui vient les déranger dans leurs certitudes, au risque de sa vie. Allusion à la mort de Socrate, et à la violence avec laquelle l'opinion condamne tout ce qui s'oppose à elle. Conclusion sur le mythe : Le mythe est une invitation à se libérer de nos entraves. L'absence à soi-même, l'ignorance, l'adhésion immédiate, nous enferment. L'homme doit se soucier de son âme s'il ne veut pas être lui aussi qu'une image fugitive, inconstante, mortelle et périssable. Seule la pensée est éternité et nous délivre de notre prison, elle est détachement, capacité à s'élever. L'homme, pour Platon ne peut se contenter de vivre et de mourir, d'être là et de ne plus y être. Le souci du corps, de se conserver seulement, de jouir de ce qui nous est agréable, fait de nous des images inconsistantes. Cette préoccupation ne suffit pas, il doit y avoir un sens supérieur qui donne à cette vie une autre dimension. L'homme doit donc se demander ce que c'est qu'être un homme et comment il convient à un homme de vivre. L'âme a cette puissance de se séparer de son corps. La liberté est celle de la pensée. Concepts en lien avec le mythe : -La réminiscence -L'apprentissage -le savoir -Les Essences, les Formes -Théorie des Idées de Platon -La liberté -La pensée -L'illusion -La manipulation -La société -Les croyances -Opinion, vérité... B-Définition de la vérité dite philosophique : La vérité nous est apparue comme nécessairement liée au doute, à la remise en question de l'opinion, considérée comme suspension de la pensée. Ainsi, il n y a de vérité que dans le cheminement progressif d'une pensée à l'oeuvre, qui cherche, interroge,et se positionne enfin dans une attitude toujours critique vis à vis d'un contenu avec lequel elle ne se confond jamais. Or cette façon de comprendre la vérité est-elle en accord avec la vérité dite scientifique , à laquelle on reconnaît une certaine autorité ? L'image classique de la science dénote une confiance certaine en son


pouvoir d'atteindre la vérité, comme si elle permettait à elle seule d'accréditer tel discours plutôt que tel autre. Ainsi, nous voyons dans la connaissance scientifique de la nature par exemple, la véritable compréhension des phénomènes dans un tout cohérent et organisé, qui semble donc répondre à l'exigence fondamentale d'explication. « C'est vrai parce que c'est scientifique, c'est prouvé, c'est objectif ». Si nous associons science et objectivité, en quoi consiste cette objectivité tant convoitée, sur quoi repose la scientificité d'une discipline ? Comment distinguer une science d'une non-science ? Le problème de la démarcation se pose, mais aussi celui de la diversité des sciences. Autrement dit, quels sont les caractères distinctifs de ce type de connaissance ? Si la science repose sur des théories permettant de fournir des grilles de compréhension dans des domaines de réalité différents, qu'est-ce qui donne une légitimité à une théorie, qu'est-ce qui permet de la valider ou au contraire de la rejeter comme construction délirante ? Il existe une multiplicité de théories (mathématiques, économiques, médicales, sociales..),quel critère permet de décider de leur valeur ? L'histoire de la physique de Galilée (1564-1642) montre précisément que la raison a dû s'arracher à ses certitudes sensibles, empiriques, ses croyances, ses représentations, pour considérer que la Terre tourne autour du Soleil. Cette conception n'a pas été jugée sérieuse, d'autant que l' observation contredisait les dires du physicien. Le Soleil semble tourner autour de la Terre. Il a donc fallu aller contre les mentalités d'une époque, contre les dogmes religieux, contre les évidences sensibles, pour sortir du géocentrisme ( Terre considérée comme le centre de l'univers). Ce qui fait dire à Kant dans la Préface de La Critique de la raison pure : « La Raison ne voit que ce qu'elle produit d'elle-même d'après ses propres plans...elle doit prendre les devants avec les principes qui déterminent ses jugements, suivant des lois immuables, elle doit obliger la nature à répondre à ses questions et ne pas se laisser conduire par elle, comme à la laisse pour ainsi dire. » Il convient donc de s'interroger sur le rôle de l'expérience et de la raison dans la construction de nos connaissances afin de cerner ce qui distingue une science d'une non science. Les théories (ensemble d'hypothèses articulées fournissant sur un domaine de réalité une grille d'intelligibilité) proposent donc de rendre compte de phénomènes en les comprenant comme des processus , reliés à des lois. Elles proposent une vision, une certaine description du réel qu'elles cherchent à mieux saisir. Comment valider une théorie comme étant scientifique ?

II Comment procèdent les sciences ? (réflexion épistémologique) Définition de l'épistémologie : discours sur la science, discipline critique qui étudie les conditions de possibilités de la production des connaissances scientifiques. Selon G.Ganguilhem, c'est : « l'histoire de la formation, de la déformation et de la rectification des concepts scientifiques. ». L'épistémologue étudie le développement des sciences, les découvertes, la pratique, les méthodes des diverses sciences.

A-La démarche scientifique : exemple du docteur Semmelweis (1818-1865) et la fièvre puerpérale. Semmelweis est un médecin hongrois qui travaille à l'hôpital de Vienne de 1844 à 1848. Attaché aux services d'obstétrique (suivi grossesse), il est témoin d'une mortalité importante des femmes qui accouchent dans le service n°1 (8%) contre 2%


dans le service n°2, avec une augmentation de ce taux de mortalité sur plusieurs années. Il écrivit un livre pour relater les efforts entrepris pour résoudre cette énigme. Carl Hempel dans Eléments d'Espistémologie retrace les hypothèses successives qui ont permis de guider la recherche et de trouver la solution du problème. •

Elaboration d'hypothèses et leur réfutation :

1. Epidémie due à des changements climatiques ?/ si c'est le cas pourquoi un service est épargné ainsi que la ville entière ? Si épidémie pas de sélection. 2. Conditions matérielles, entassement des femmes ? / Dans le second service plus de femmes sont admises car elles font en sorte d'éviter le premier ! Le régime alimentaire, les soins, sont les mêmes. 3. Explication psychologique : Dans le premier service, un prêtre venait donner les derniers sacrements et agitait une clochette lors de sa venue, était-ce un facteur de stress, rendant les femmes plus vulnérables ?/ On modifie le parcours du prêtre, l'obligeant à la discrétion. / Pas de diminution de la mortalité dans le service 1. 4. Méthodes d'accouchement ? Position latérale des femmes dans le second service et sur le dos dans le premier. / on intervient pour utiliser la position latérale dans le service 1. / Pas de changement. / On remarque une mortalité moins élevée des femmes qui accouchent en cours de route et sont admises dans le premier service, néanmoins. 5. Inexpérience des étudiants en stage dans le premier service ? / Mêmes façons d'examiner les patientes, par les sages femmes en grande majorité dans le service 2. / Les lésions engendrées par l'accouchement sont plus fortes que celles que peut causer un examen maladroit. 6. 1847, un médecin se coupe avec un scalpel lors d'une autopsie, il meurt en présentant les mêmes symptômes que ces femmes. Ce n'est qu'à la fin du XIX ème s que Pasteur découvre l'action de micro-organismes dans ce type d' affections, mais Semmelweis comprend que la matière cadavérique a contaminé le docteur. Il s'agit d'un empoisonnement du sang, les étudiants et ses confrères avaient été les vecteurs de l'infection, puisqu'ils pratiquaient des dissections sur cadavres en cours d'anatomie et ne se lavaient pas suffisamment les mains avant d'examiner les femmes. Si la fièvre était provoquée par un élément infectieux, qui adhèrait aux mains, en le détruisant avec du chlorure de chaux, avant d'examiner les patientes, la mortalité devait tomber. Par ailleurs les sages femmes n'avaient pas de cours d'anatomie, et les femmes accouchant en route n'étaient pas nécessairement examinées après leur admission, elles avaient ainsi éviter l'infection. A noter que le hasard ou occasion a orienté dans une autre direction la recherche sans apporter pour autant une solution toute faite ! Pasteur disait à ce propos : « le hasard ne favorise que les esprits préparés ». Il faut encore savoir interpréter le fait nouveau qui se présente, en le liant aux hypothèses qui le précèdent. Conclusion sur la recherche scientifique et ses procédures : La recherche commence par l'élaboration d'hypothèses : élaboration théorique en vue de répondre à un problème déterminé par laquelle certains faits significatifs sont


sélectionnés afin de la corroborer ou de l'invalider. Une hypothèse permet de décrire un fait et peut être accompagnée d'hypothèses auxiliaires d'où on dérive des implications vérifiables. Les hypothèses sont inventées et non dérivées des faits, elles sont un point de départ pour chercher des corroborations. Le modèle de raisonnement est le Modus Tollens : Si H est vrai, l'implication vérifiable l'est aussi, on constate par les faits , que I n'est pas vraie, donc H non plus (modèle hypothético-déductif) ; Si les prémisses sont vraies la conclusion est vraie. Il n y a pas d' explication possible sans l'hypothèse qui oriente la recherche. Le docteur aurait pu classer les femmes selon leur âge, leurs antécédents médicaux, leur alimentation...ces informations n'auraient apporté aucune lumière sur les risques de contracter la maladie, ce n'est pas le problème qui permet de recueillir des données, car tout peut être important, mais c'est la solution provisoire qu'il faut imaginer et établir pour intervenir sur les faits et tester le scénario envisagé. Si la fièvre est accrue par la vue du prêtre, on intervient sur ce paramètre et on devrait observer des changements. Sans modification sur la mortalité, on rejettera l'hypothèse. Plusieurs éléments sont donc exigés pour confirmer une hypothèse : • • • • • •

La simplicité de l'hypothèse, ne doit pas impliquer trop de concepts. La nécessité d'un grand nombre de faits signifiants qui la corroborent. Diversité des faits et nouveauté. Implications vérifiables nouvelles non prévues initialement par l 'hypothèse. Corroboration théorique : vient d'hypothèses supérieures déjà confirmées ( théories admises). Expérimentation et observation favorables à l'hypothèse.

L'induction pure qui passe par: 1. 2. 3. 4.

collection des faits analyse et classification des faits dérivation à partir de ces faits d'hypothèse. Contrôle de ces hypothèses.

n'est pas possible. Il faut lui substituer le schéma suivant : 1. 2. 3. 4.

Etonnement face à un problème, une énigme. Elaboration d'une hypothèse explicative. Vérification par expérimentation ou observation , tests. Collégialité (accord avec les autres théories).

Mêmes les sciences de l'observation font appel à un engagement actif de la raison dans la construction des hypothèses. B-Le rôle de l'expérience dans la construction des connaissances scientifiques : expérience et expérimentation, quelle différence ? De l'observation à l'expérimentation. Suffit-il d'observer pour connaître ? La réalité ne se donne pas à nous immédiatement, il ne suffit pas d'observer, d'accumuler des données empiriques, élémentaires pour comprendre la réalité. Le premier sens du mot expérience semble insister sur le vécu, un homme d'expérience a a un savoir faire ,issu de la pratique, de l'exercice, de la confrontation avec une situation d'où il a tiré des compétences. A force de revenir sur une tâche, je finis par


la maîtriser. Est-ce à dire que nos perceptions sensibles sont au fondement de nos connaissances ? Je sais que le feu brûle après avoir approché ma main ! En même temps, un certain nombre de conclusions tirées de simples observations sont fausses.L'idée que deux corps de poids différents tombent à la même vitesse semble heurter l'évidence. (voir l'analyse de Galilée sur la chute des corps) ; Le ballon de plastique, plongé dans l'eau semble résister. Et un objet de métal coule, si on le laisse à la surface de l'eau. Comment expliquer alors qu'un porte avion puisse flotter ? (voir principe d'Archimède). Si on plonge un bâton droit dans l'eau il me paraîtra brisé. Les lois de la nature n'apparaissent pas spontanément. D'où des précautions nécessaires à prendre et une méthode. Paul Ricoeur dans Histoire et Vérité donne la définition suivante de l'objectivité : « est objectif ce que la pensée méthodique a élaboré, mis en œuvre et compris et ce qu'elle peut ainsi faire comprendre. » La méthode est un ensemble d'étapes progressives qu'il faut suivre pour atteindre un résultat. Il s'agit d'une procédure (protocole en sciences physiques et implication logique en Mathématiques.) La science cherche à établir la vérité de ses affirmations, et pour cela se munie de méthodes particulières en fonction des objets d'étude. La méthode expérimentale : Claude Bernard, Introduction à la l'étude de la médecine expérimentale. (1813-1878) physiologiste français qui a contribué à l'étude des fonctions vitales de l'organisme. Les éléments de la méthode : Sentiment, raison, expérience.

Nous avons dit plus haut que la méthode expérimentale s'appuie successivement sur le sentiment, la raison et l'expérience. Le sentiment engendre l'idée ou l'hypothèse expérimentale, c'est-à-dire l'interprétation anticipée des phénomènes de la nature. Toute l'initiative expérimentale est dans l'idée, car c'est elle qui provoque l'expérience. La raison ou le raisonnement ne servent qu'à déduire les conséquences de cette idée et à les soumettre à l'expérience. Une idée anticipée ou une hypothèse est donc le point de départ nécessaire de tout raisonnement expérimental. Sans cela on ne saurait faire aucune investigation ni s'instruire; on ne pourrait qu'entasser des observations stériles. Si l'on expérimentait sans idée préconçue, on irait à l'aventure; mais d'un autre côté, ainsi que nous l'avons dit ailleurs, si l'on observait avec des idées préconçues, on ferait de mauvaises observations et l'on serait exposé à prendre les conceptions de son esprit pour la réalité. Les idées expérimentales ne sont point innées. Elles ne surgissent point spontanément, il leur faut une occasion ou un excitant extérieur, comme cela a lieu dans toutes les fonctions physiologiques. Pour avoir une première idée des choses, il faut voir ces choses; pour avoir une idée sur un phénomène de la nature, il faut d'abord l'observer. L'esprit de l'homme ne peut concevoir un effet sans cause, de telle sorte que la vue d'un phénomène éveille toujours en lui une idée de causalité. Toute la connaissance humaine se borne à remonter des effets observés à leur cause. À la suite d'une observation, une idée relative à la cause du phénomène observé se présente à l'esprit; puis on introduit cette idée anticipée dans un raisonnement en vertu duquel on fait des expériences pour la contrôler. Affirmation de la méthode hypothético-déductive (voir C. Hempel.) En quoi consiste la vérification d'une hypothèse ? La notion de falsifiabilité et la valeur des théories scientifiques.


Corroborer plutôt que attester, éliminer des hypothèses, plutôt que de les affirmer comme vraies : l'approche de K. Popper, Misère de l'historicisme.(1945) On peut prouver le faux, mais pas le vrai. Mettre à l'épreuve pour confirmer. « une hypothèse permet une déduction : si p alors q. Mais l'implication en bonne logique, ne peut prouver que le faux : si non q alors non p. Elle ne peut prouver le vrai. Un résultat conforme à une prévision n'est pas une preuve de la validité de l'hypothèse. » L'induction ne peut fonder la vérité d'un énoncé, ce n'est pas à partir de constatations mêmes régulières, que l'on peut avec certitude affirmer une vérité. Il suffirait d'un seul corbeau blanc pour rejeter la proposition selon laquelle tous les corbeaux sont noirs. Il faudrait recenser la totalité des expériences passées et à venir pour prouver une telle affirmation !

Extrait de: Karl Popper, Misère de l’historicisme, Paris, Editions Plon, collection Agora, extrait. Le fait que j'ai discuté le problème des expérimentations sociales avant d'avoir discuté en détail le problème des lois sociologiques, ou des théories, ou des hypothèses, ou des «généralisations», ne signifie pas que je considère les observations et les expérimentations comme ayant d'une façon ou d'une autre une priorité logique sur les théories. Au contraire, je crois que les théories ont la priorité sur les observations aussi bien que sur les expérimentations, en ce sens que ces dernières n'ont de signification qu'en relation à des problèmes théoriques. Aussi nous est-il nécessaire de poser une question avant de pouvoir espérer que l'observation ou l'expérimentation puisse nous aider en quelque façon à fournir une réponse. Ou, pour exprimer cela dans les termes de la méthode des essais et erreurs, l'essai doit venir avant l'erreur; et (…) la théorie ou hypothèse, qui est toujours avancée à titre de tentative, fait partie de l'essai, tandis que l'observation ou l'expérimentation nous aident à éliminer les théories en montrant en quoi elles sont erronées. Je ne crois pas, en conséquence, à la «méthode de généralisation», c’est-à-dire à la conception selon laquelle la science commence par des observations, d'où elle ferait dériver ses théories par quelque processus de généralisation ou d'induction. Je crois plutôt que la fonction de l'observation et de l'expérimentation est, plus modestement, de nous aider à tester nos théories et à éliminer celles qui ne résistent pas aux tests; et cela, bien qu'on doive même admettre que ce processus d'élimination ne met pas seulement la spéculation théorique en échec, mais aussi la stimule à essayer encore et souvent à se fourvoyer encore, et à être réfutée encore, par des observations et des expérimentations nouvelles. […] La science, peut-on dire, est confrontée à des problèmes à chaque moment de son développement. Elle ne peut


commencer par des observations, ou par la «collection de données», comme le croient certains. Avant de pouvoir recueillir des données, il faut qu'ait été suscité notre intérêt pour des données d'un certain genre: le problème est toujours premier. Le problème à son tour peut être suggéré par des besoins pratiques, ou par des croyances scientifiques ou préscientifiques, qui, pour une raison ou une autre, apparaissent avoir besoin d'une révision. […] Les méthodes consistent toujours à offrir des explications causales déductives et à les tester (par le moyen de prédiction), (…). On a parfois appelé cela la méthode hypothético-déductive, ou plus souvent la méthode par hypothèse, car elle ne procure une certitude absolue pour aucun des énoncés scientifiques qu'elle teste; bien plutôt, ces assertions gardent toujours le carac-tère d'hypothèses avancées à titre d'essai, même si leur caractère provisoire peut cesser d'être mani-feste après avoir subi avec succès un grand nombre de tests sévères. […] Ce qui est important c'est de se rendre compte qu'en science nous avons toujours affaire à des explications, des prédictions et des tests, et que la méthode selon laquelle on teste les hypothèses est dans l'ensemble invariable (…). A partir de l'hypothèse à tester - par exemple une loi universelle - en même temps que quelques autres propositions qui à cet effet ne sont pas considérées comme problématiques - par exemple certaines conditions initiales -, nous déduisons une prévision. Puis nous confrontons cette prévision, toutes les fois que cela est possible, avec les résultats des observations expérimentales ou autres. On considère que l'accord corrobore l'hypothèse, sans être une preuve définitive; et qu'un désaccord mani-feste est une réfutation ou une falsification. Selon cette analyse, il n'y a pas grande différence entre explication, prédiction et tests. Ce n'est pas une différence de structure logique, mais d'accentuation ; elle dépend de ce que nous considérons être notre problème, et de ce que nous ne considérons pas l'être. Si nous considérons la prévision comme non problématique et les conditions initiales ou quelques-unes des lois universelles (ou les deux à la fois) comme problématiques, alors nous parlons d'explication. Si nous considérons les lois et les conditions initiales comme non problématiques, et si nous ne les utilisons que pour déduire la prévi-sion, afin d'obtenir par là une nouvelle information, alors nous parlons de prédiction (c'est le cas où nous appliquons nos résultats scientifiques). Et si nous considérons l'une des prémisses, c'est-à-dire soit une loi universelle soit une condition initiale, comme problématique, alors nous parlons d'un test de la prémisse problématique.


Le résultat des tests est la sélection des hypothèses qui ont résisté aux épreuves, au moyen de l'élimination de celles qui ne l'ont pas fait, et qui ont en conséquence été rejetées. Il est important de se rendre compte des conséquences de cette conception. Ce sont celles-ci: tous les tests peuvent être interprétés comme des tentatives d'élimination des théories fausses - des essais pour découvrir les points faibles d'une théorie, afin de la rejeter si elle est falsifiée. On estime parfois que cette conception est paradoxale; notre but, dit-on, est d'établir des théories, non pas d'éliminer celles qui sont fausses. Mais précisément parce que notre but est d'établir des théories du mieux que nous le pouvons, nous devons les tester aussi sévèrement que nous le pouvons; c'est-à-dire que nous devons essayer de les mettre en défaut, de les réfuter. Ce n'est que si nous ne pouvons pas les réfuter, en dépit des plus grands efforts, que nous pouvons dire qu'elles ont résisté aux tests les plus sévères. C'est la raison pour laquelle la découverte d'exemples qui confirment une théorie a très peu de signification, si nous n'avons pas essayé, sans succès, de découvrir des réfutations. Car si nous ne prenons pas une attitude critique, nous trouverons toujours ce que nous désirons: nous rechercherons, et nous trouverons, des confirmations; nous éviterons, et nous ne verrons pas, tout ce qui pourrait être dangereux pour nos théories favorites. De cette façon, il n'est que trop aisé d'obtenir ce qui semble une preuve irrésistible en faveur d'une théorie qui, si on l'avait approchée d'une façon critique, aurait été réfutée. Afin de faire fonctionner la méthode de sélection par élimination, et de garantir que seules les théories les plus convenables survivent, leur lutte pour la vie doit être rendue sévère.

La science procède donc par rejet d’hypothèses. Pourquoi ? Le principal argument de Popper est d'ordre logique: Le raisonnement expérimental consiste à déduire d’une hypothèse explicative de nouvelles observations que la théorie implique. Si la théorie est vraie, alors, on devrait observer tel phénomène dans telles circonstances. Le contrôle expérimental de la théorie consiste à mettre en place une expérience qui permettrait de faire ces observations afin de tester l'hypothèse théorique. Cependant, en toute rigueur, si les observations concordent avec les prédictions de nos hypothèses théoriques, nous ne pouvons pas conclure que la théorie est vraie. En effet, le schéma logique :Si P, alors Q Et Q donc P est invalide. Exemple : S’il pleut, le sol est mouillé. Et le sol est mouillé. Donc il pleut. Le sol peut avoir été mouillé par autre chose que de la pluie. En revanche, , si l’expérimentation prend en défaut la théorie, c’est-à-dire si les observations attendues ne se réalisent pas, on peut en toute rigueur


conclure que la théorie est fausse. En effet, on a le schéma logique suivant : Si P, alors Q Et non Q Donc non P Exemple : S’il pleut, le sol est mouillé. Et le sol n'est pas mouillé. Donc il ne pleut pas. Par conséquent, la démarche expérimentale ne permet jamais de vérifier une théorie. Par contre elle permet de l’éliminer si elle est fausse, c’est-à-dire si ses prédictions ne se réalisent pas. Il s’agit donc bien d’un processus de Conjectures et Réfutations.( titre d'un des ouvrages de Popper, 1963) Nos théories scientifiques sont des conjectures (des hypothèses sur le monde) que la démarche expérimentale peut éventuellement réfuter. Une « bonne » théorie est évidemment une théorie qui a résisté jusqu’à date à toutes les tentatives de réfutation. Mais cela ne prouve pas rigoureusement qu'elle est vraie. En science, il n'y a de certitude que négative: on peut savoir hors de tout doute si une théorie est fausse (quand elle est réfutée expérimentalement) mais pas si elle est vraie. Pour qu'une théorie soit scientifique, il doit exister un moyen de la réfuter soit en testant sa cohérence logique, soit en cherchant à établir des faits en contradiction. Le réfutabilité est donc un critère qui signifie la possibilité de tester, de mener des tentatives de réfutation. Il ne s'agit pas évidemment de la réfuter effectivement, mais elle doit se prêter au jeu. D'où le concept de vérisimilitude, la théorie non encore réfutée, est provisoirement vraie. C'est en comparant les théories entre elles, que l'on peut savoir celle qui se trouve être la meilleure, celle dont on va déduire le plus d'énoncés vrais, celle qui répond le plus précisément aux questions posées. Ainsi, c'est pour un temps que la théorie est vraie parce qu'elle répond le mieux à un problème déterminé. On peut ainsi démarquer les théories acceptables des autres. D'où une vérité relative de la théorie, car elle dépend des autres théories ! Il n y a donc pas d'expérience cruciale, c'est à dire d'expérience pouvant décider définitivement de la vérité d'une théorie, de trancher en faveur de l'une plutôt que l'autre. Si les travaux de Newton sur la lumière, composée de rayons réfrangibles, ont été démentis par d'autres, ce n'est pas par une expérience cruciale, mais cela montre différentes conceptions possibles de la lumière. L'histoire des sciences est la manifestation de paradigmes divers qui jalonnent et révolutionnent la science. Les conséquences sont multiples : d'une part, cela signifie que la science n'est pas exempte de « préjugés » ou plus précisément de concepts, de croyances multiples, de paradigmes, comme l'affirme Thomas Kuhn , dans La Structure des révolutions scientifiques. D'autre part, L'acceptation d'une théorie ne relève pas d'une certitude absolue, mais d'une sélection.

C-La science est-elle exempte de croyances et de présupposés ? Peuton séparer les faits de leur interprétation ? On oppose souvent observation et expérimentation car on suppose que la première est perception brute de la réalité, sans intervention pour la modifier, tandis que la seconde est construction d'un dispositif artificiel pour tester la théorie ou hypothèse.


En effet, dans ce cas, on intervient de façon délibérée et méthodique sur un système réel pour observer le comportement contraint et le comparer au comportement libre. On provoque ainsi des changements et on les enregistre, on les mesure. Cependant, l'observation scientifique est, d'après Bachelard (1884-1962) « toujours polémique ; elle confirme ou infirme une thèse antérieure, un schéma préalable, un plan d'observation. », Le nouvel esprit scientifique. Le chercheur doit formuler, imaginer, concevoir des hypothèses, et plus que cela se méfier de ses propres cadres théoriques qui l'empêchent parfois de se poser les bonnes questions. Bachelard insiste donc sur cet équilibre fragile entre ce qui vient de la nature, et de la pensée de l'homme ; d'où l'idée d'un combat chez Bachelard pour établir la vérité scientifique.

La science, dans son besoin d'achèvement comme dans son principe, s'oppose absolument à l'opinion. S'il lui arrive, sur un point particulier, de légitimer l'opinion, c'est pour d'autres rai-sons que celles qui fondent l'opinion; de sorte que l'opinion a, en droit, toujours tort. L'opinion pense mal; elle ne pense pas: elle traduit des besoins en connaissances. En désignant les objets par leur utilité, elle s'interdit de les connaître. On ne peut rien fonder sur l'opinion: il faut d'abord la détruire. Elle est le premier obstacle à surmonter. Il ne suffirait pas, par exemple, de la rectifier sur des points particuliers, en maintenant, comme une sorte de morale provisoire, une connaissance vulgaire provisoire. L'esprit scientifique nous interdit d'avoir une opinion sur des questions que nous ne comprenons pas, sur des questions que nous ne savons pas formuler clairement. Avant tout, il faut savoir poser des problèmes. Et quoi qu'on dise, dans la vie scientifique, les problèmes ne se posent pas d'eux-mêmes. C'est précisément ce sens du problème qui donne la marque du véritable esprit scientifique. Pour un esprit scientifique, toute connaissance est une réponse à une question. S'il n'y a pas eu de question, il ne peut y avoir connaissance scientifique. Rien ne va de soi. Rien n'est donné. Tout est construit. Une connaissance acquise par un effort scientifique peut elle-même décliner. La question abstraite et franche s'use: la réponse concrète reste. Dès lors, l'activité spirituelle s'invertit et se bloque. Un obstacle épistémologique s'incruste sur la connaissance non questionnée. Des habitudes intellectuelles qui furent utiles et saines peuvent, à la longue, entraver la recherche. « Notre esprit, dit justement M. Bergson, a une irrésistible tendance à considérer comme plus claire l'idée qui lui sert le plus souvent ». L'idée gagne ainsi une clarté intrinsèque abusive. À l'usage, les idées se valorisent indûment. Une valeur en soi s'oppose à la circulation des valeurs. C'est un facteur d'inertie pour l'esprit. Parfois une idée dominante polarise un esprit dans sa totalité. Un épistémologue irrévérencieux disait, il y a quelque vingt ans, que les grands hommes sont utiles à la science dans la première moitié de leur vie, nuisibles dans la seconde moitié. L'instinct formatif est si persistant chez certains hommes de pensée qu'on ne doit pas s'alarmer de cette boutade. Mais enfin l'instinct formatif finit par céder devant l'instinct conservatif. Il vient un temps où l'esprit aime mieux ce qui confirme son savoir que ce qui le contredit, où il aime mieux les réponses que les questions. Alors l'instinct conservatif domine, la croissance spirituelle s'arrête.


La théorie comme construction de l'esprit humain pour rendre compte du réel. La notion de paradigme. D'après T. Kuhn (1922-1996), dans son ouvrage, La Structure des révolutions scientifiques, les paradigmes sont « les découvertes scientifiques universellement reconnues qui pour un temps, fournissent à une communauté de chercheurs des problèmes types et des solutions » (Préface). C'est donc le lien qui soude une communauté, dont les membres partagent une même formation, les mêmes valeurs. Le groupe reconnaît le paradigme et son exemplarité. Non seulement le paradigme résout une difficulté ancienne, mais il se trouve être la promesse de solutions à venir. Il inaugure une tradition de recherche, en forçant la nature à se ranger dans des boites conceptuelles particulières. C'est sur la base de ces convictions que débutent les travaux de recherche. Le paradigmes englobent des lois, des théories, des dispositifs expérimentaux, des règles, des modèles que vont suivre les scientifiques. Nous avons vu précédemment que les faits ne sont signifiants que par rapport à des postulats théoriques et méthodologiques de base . Sans cela, pas de données possibles. La science dite normale, selon Kuhn est la réalisation de cette promesse qu'est le paradigme. On cherche à augmenter la corrélation entre les faits et les prédictions, les résultats attendus et les résultats effectifs. Si la science normale rencontre une difficulté, il peut y avoir un changement de paradigme, c'est une révolution scientifique. On va interpréter de façon différente la réalité. La science ne se développe donc pas, par accumulation de résultats, (vision continuiste) mais par des changements qui sont des bouleversements et qui s'accompagnent de crises. Une anomalie apparaît, une résistance, un écart entre prévisions et résultats et c'est le prélude à une nouveauté, une découverte. Un paradigme se substitue à un autre. Une nouvelle vision du monde se met en place avec un nouveau dispositif conceptuel. Galilée voit dans le pendule un mouvement idéalement infini (sans les résistances de l'air, il devrait poursuivre son mouvement. Pour Aristote, le mouvement du pendule est artificiel, il est empêché d'aller vers son lieu naturel, car retenu par une corde. Le repos est naturel. Le paradigme fait naître de nouveaux phénomènes. Pas de progrès dans le sens de croissance vers quelque chose de supérieur. Le progrès n'est pas lié à une technologie qui se développe, car les découvertes ont justement été faites sans instruments!(voir concept d'expérience de pensée). La source réelle de la science est l'esprit du scientifique.

Comparaison Aristote et Galilée : deux lectures d'un même phénomène. (tableau, Document). Voir p 204 Manuel.


Quelques repères historiques pour saisir l'évolution des conceptions de la nature. : causalité finale, causalité efficiente, mécanique classique et mécanique quantique. Des schémas d'explication différents. D-La science est la rencontre entre le savant et la nature, le fait scientifique est construction, représentation théorique, image du monde. Les concepts scientifiques ne sont donc pas tirés exclusivement de l'expérience sensible. « Ce sont des créations libres de l'esprit ». La science n'est donc pas une approche neutre de la nature, mais nécessite justement une interprétation de celle-ci. C'est non seulement en vertu d'une hypothèse que le réel se met à apparaître, et guide le chercheur, mais aussi plusieurs systèmes explicatifs sont possibles et opératoires pour un même phénomène. Dans le texte qui suit, Einstein interroge d'une part, la prétention scientifique à atteindre les structures du réel, et d'autre part, le lien, la dépendance des théories entre elles. En effet, il y a nécessairement un écart entre le réel et la connaissance que nous en avons. Nous sommes des observateurs d'une réalité qui demeure toujours extérieure. Le monde est d'ailleurs comparé à une montre fermée, dont le mécanisme interne nous échappe donc. Nous ne pouvons entrer dans le boitier et voir de l'intérieur. Seule la face externe des choses s'offre à nous. Nous ne percevons que les effets d'un mécanisme invisible (des régularités observables) et nous nous efforçons à partir de ces constatations de remonter à leurs sources, en cherchant des causes. Il s'agit là, d'une modélisation de la réalité et nous ne pouvons affirmer avec certitude qu'il y a bien correspondance entre cette grille de compréhension et la réalité elle-même, en elle-même ! L' « En soi » du réel n'est pas accessible par l'homme. C'est ainsi l'esprit qui imagine d'abord, puis organise, ordonne les différentes expériences sensibles, les compare, les associe, les comprend, c'est à dire les intègre dans un système plus vaste, de lois, de théories. La part de l'esprit, dans la construction de nos explications sur le monde, est fondamental. Einstein ne nie pas le fait que l'expérience soit un point de départ de la recherche, mais insiste sur la part d'intervention de l'esprit dans ce contact au monde. Par ailleurs, il souligne l'interdépendance de ces diverses conceptions scientifiques. En effet, chaque système apporte une vision qui complète l'ensemble, affine les approches, de la même manière que la multiplicité des angles de vue permet d'obtenir une image complexe de la réalité. Le statut de la « vérité objective » est donc à repenser, puisqu'il faut considérer avec Einstein, que le savant intervient sur une nature qui n'est pas totalement hors de lui. C'est dans un même mouvement, que la nature se « donne » à voir, et que le savant saisit quelque chose... Albert Einstein, L.Infeld L'évolution des idées en physique, 1938.

"C’est en réalité tout notre système de conjectures qui doit être prouvé ou réfuté par l’expérience. Aucune de ces suppositions ne peut être isolée pour être examinée séparément. Dans le cas des planètes


qui se meuvent autour du soleil, on trouve que le système de la mécanique est remarquablement opérant. Nous pouvons néanmoins imaginer un autre système, basé sur des suppositions différentes, qui soit opérant au même degré. Les concepts physiques sont des créations libres de l’esprit humain et ne sont pas, comme on pourrait le croire, uniquement déterminés par le monde extérieur. Dans l’effort que nous faisons pour comprendre le monde, nous ressemblons quelque peu à l’homme qui essaie de comprendre le mécanisme d’une montre fermée. Il voit le cadran et les aiguilles en mouvement, il entend le tic-tac, mais il n’a aucun moyen d’ouvrir le boîtier. S’il est ingénieux il pourra se former quelque image du mécanisme, qu’il rendra responsable de tout ce qu’il observe, mais il ne sera jamais sûr que son image soit la seule capable d’expliquer ses observations. Il ne sera jamais en état de comparer son image avec le mécanisme réel, et il ne peut même pas se représenter la possibilité ou la signification d’une telle comparaison. Mais le chercheur croit certainement qu’à mesure que ses connaissances s’accroîtront, son image de la réalité deviendra de plus en plus simple et expliquera des domaines de plus en plus étendus de ses impressions sensibles. Il pourra aussi croire à l’existence d’une limite idéale de la connaissance que l’esprit humain peut atteindre. Il pourra appeler cette limite idéale la vérité objective. E-Les mathématiques, exemple d'une méthodologie spécifique pour établir le vrai. Les mathématiques procèdent par démonstration : on réduit le non connu à du connu en partant d'axiomes, déjà démontrés. Démontrer une proposition, c'est la rattacher par une série d'étapes ( dont chacune est l'application d'une règle déjà reconnue) à une proposition dont la validité est supposée acceptée. La cohérence logique est une condition nécessaire à la démonstration. La vérité mathématique revêt plusieurs caractéristiques : 1. Vérité logique : elle procède d'enchaînements déductifs. Déduire= introduire une nouvelle proposition à partir de propositions acceptées préalablement. La relation des axiomes et de la proposition, ou des propositions est une implication ou conséquence valide. (importance de l'assemblage des propositions entre elles.) 2. Vérité a priori : expression qui naît avec la philosophie de kant,(1724-1804) selon laquelle il y a une source de connaissance indépendante de l'expérience. Dire qu'une proposition est vraie, a priori, c'est dire qu'il n y a pas d'élément tiré de l'expérience externe dans la validation de la proposition. Si la proposition est en accord avec l'expérience, c'est un fait contingent. La vérité est accord de la pensée avec elle même, suivant des règles établies. 3. Vérité conventionnelle : elle dépend des axiomes choisis, des termes primitifs.(prémisses) . Elle n'est pas pour autant arbitraire, mais parfaitement nécessaire. Ces termes admis d'emblée (évidences intuitives) ne sont pas démontrés, mais servent à démontrer. Régression à l'infini, s'il fallait tout démontrer ! On renonce donc à cela. 4. Vérité hypothétiquement nécessaire. Si on peut montrer qu'une proposition est impliquée par une autre déjà admise, alors sa contradictoire doit être


exclue. Il n ' y a pas de nuance dans la vérité mathématique, une fois établie, elle ne peut être remise en question, même si il y a changement possible de conception des mathématiques. (Voir Grecs, par exemple). Dire qu'une proposition est hypothétiquement nécessaire, c'est qu'elle s'impose par la force des axiomes utilisés. Une proposition isolée ne peut être considérée comme vraie. Plusieurs méthodes pour démontrer : -La méthode directe :on relie directement la proposition à établir avec les autres déjà admises, en assurant comme vraie la proposition à démontrer on recherche de quelle autre proposition elle est la conséquence valide, jusqu'à parvenir à une proposition déjà acceptée. Méthode analytique ou résolutive. Ou bien on part de propositions acceptés et on développe leurs conséquences, on essaie de rejoindre la proposition validée. Méthode synthétique ou compositive. -La méthode indirecte : montrer la vérité d'une proposition, en montrant que sa négation entraîne une contradiction (démonstration par l'absurde). III Les différentes doctrines liées à l'origine des connaissances, qui soustendent l'histoire des sciences. A-Schéma : Sensualisme/ Platonisme/ Rationalisme/ Empirisme/Philosophie critique. B- Analyse du principe de causalité: pourquoi associons-nous nécessairement une cause à une conséquence? D'où vient la causalité? 1. Hume, ( 1711-1776), Enquête sur l'entendement humain. Thèse de Hume : La causalité est une habitude mentale, une croyance subjective de l'esprit, qui lie et combine des images.

Je hasarderai ici une proposition que je crois générale et sans exception ; c’est qu’il n’y a pas un seul cas assignable, où la connaissance du rapport qui est entre la cause et l’effet puisse être obtenu a priori ; mais qu’au contraire cette connaissance est uniquement due à l’expérience, qui nous montre certains objets dans une conjonction constante. Présentez au plus fort raisonneur qui soit jamais sorti des mains de la nature, à l’homme qu’elle a doué de la plus haute capacité, un objet qui lui soit entièrement nouveau ; laissez-lui examiner scrupuleusement ses qualités sensibles ; je le défie, après cet examen, de pouvoir indiquer une seule de ses causes, ou un seul de ses effets. Les facultés rationnelles d’Adam nouvellement créé, en les supposant d’une entière perfection dès le premier commencement des choses, ne le mettaient pas en état de conclure de la fluidité et de la transparence de l’eau que cet élément pourrait le suffoquer, ni de la lumière et de la chaleur du feu, qu’il serait capable de le réduire en cendres. Il n’y a point d’objet qui manifeste par ses qualités sensibles les causes


qui l’ont produit, ni les effets qu’il produira à son tour : et notre raison, dénuée du secours de l’expérience, ne tirera jamais la moindre induction qui concerne les faits et les réalités. Cette proposition : Que ce n’est pas la raison, mais l’expérience qui nous instruit des causes et des effets, est admise sans difficulté, toutes les fois que nous nous souvenons du temps où les objets dont il s’agit nous étaient entièrement inconnus, puisqu’alors nous nous rappelons nécessairement l’incapacité totale où nous étions de prédire, à leur première vue, les effets qui en devaient résulter. Hume, en bon empiriste, affirme que nous ne connaissons rien avant d'en avoir fait l'expérience. Le réel se fait connaître par le biais de nos impressions sensibles. A partir des impressions que nous laissent nos sensations, nous nous forgeons des idées, qui sont les traces, les images de ce premier contact avec le monde. L'esprit ne connaît donc rien avant d'avoir senti. C'est une sorte de table rase, les idées sont donc acquises, la réalité est ainsi le fruit de ce rapport perceptif. Elle n'est donc pas totalement indépendante, objective , dans le sens où elle serait une extériorité pure. Elle existe d'abord pour nous, parce qu'elle nous apparaît, nous la percevons. Maintenant, qui peut savoir si l'eau gèle, à une certaine température s'il n' a jamais fait cette expérience? De la simple observation d'un objet, d'une réalité, nous ne pouvons prédire ses propriétés, ni ses effets, ni ses causes. A priori, c'est à dire avant l'expérience, nous ne savons rien. L'effet ne peut être tiré de la cause a priori, mais l'expérience ne nous livre pas non plus la connexion entre les phénomènes. Supposons que nous soyons pour la première fois face à l'eau, ( comme le tout premier homme, Adam dans le texte), rien ne pourrait nous renseigner sur cet élément, nous donner la moindre information, à partir de la simple vision de cet élément nouveau. Nous ne pouvons rien anticiper de ses propriétés, tant que nous n'avons pas expérimenté la nage, la plongée ! Autre exemple que prend Hume : quand nous voyons pour la première fois une boule de billard en heurter une autre, on constate une conjonction de leurs mouvements. Ce sont deux mouvements qui se suivent. Or, nous affirmons au bout de la deuxième expérience, que le premier mouvement est cause du deuxième et donc que le deuxième est conséquence du premier. Mais il n'y a rien de plus dans la dernière expérience que dans la première. Nous avons glissé pourtant de l'idée d'une conjonction de mouvements à celle d'une connexion nécessaire. La répétition engendre une habitude qui produit une croyance. La connexion causale n'est donc pas dans les choses, mais dans la représentation que l'on se fait des phénomènes. Cette liaison que nous établissons entre les phénomènes vient de l'habitude à percevoir régulièrement des faits consécutifs. Cela ne prouve pas l'existence objective de causes dans la nature. Suite à une impression présente, nous posons l'existence du phénomène en son absence, nous croyons que le soleil se lèvera demain, puisque il en a toujours été ainsi. L'expérience va certes dans le sens d'une répétition, mais cela ne prouve aucune nécessité. Nous n'avons que de simples probabilités. Cette analyse du principe de causalité « a réveillé Kant de son sommeil dogmatique » (dogmatisme=au sens premier, c'est le refus d'admettre tout autre doctrine à l'exception de celle à laquelle on adhère ; puis conception philosophique, qui accorde une confiance absolue en la capacité de la raison de connaître). Kant, en effet, veut sortir de ces deux voies, soit le rationalisme forcené qui affirme le caractère a priori de nos jugements ou le scepticisme (doute sur les capacités de la raison, suspension du jugement selon les grecs) auquel Hume débouche. Kant cherchera donc à montrer que l'expérience est organisation selon des principes a priori de la raison, issus de la raison elle-même. Contre l'idéalisme de Descartes, Kant affirme qu'il ne peut y avoir de connaissance sans expérience. Et contre l'empirisme de Hume, Kant souligne que l'expérience est une condition nécessaire mais pas


suffisante. B-Kant et la philosophie critique ou la volonté de montrer le mode de fonctionnement de nos facultés de connaître. L'idéalisme transcendantal de Kant :nous ne connaissons seulement que des phénomènes. Question que pose Kant : Que puis-je savoir ? » La vision de Kant est la suivante : le sujet, classiquement opposé à son objet d'étude, à la nature, à ce qui lui fait face, n'est en réalité ni passif, ni totalement coupé de la réalité qu'il appréhende. La connaissance est rapport et non réception d'un donné purement extérieur. Il y a bien quelque chose qui m'est donné dans une expérience, une matière, un contenu, (le divers du donné, « le divers sensible » selon Kant), mais cela est d'emblée organisé, ordonné dans une expérience déjà façonnée, par des structures à la fois mentales et sensibles (a priori). Ces dernières donnent une forme en quelque sorte à cette matière. Et ce ne sont pas là, des moments séparés, connaître est en fait la synthèse active entre ce qui nous vient des sens, et l'action de notre entendement (après la sensibilité, il y a l'entendement, qui est aussi une faculté de connaissance). « Des pensées sans contenu sont vides, , des intuitions sans concepts, aveugles. » De ce contact sensible nous nous formons une image des choses et nous les concevons, nous en avons des concepts. Le concept est la représentation synthétique de ces diverses expériences. (voir définition du concept comme ensemble des déterminations communes à un même objet). Si nous ne nous étonnons pas à chaque fois, qu'un même objet se présente à nous, c'est parce que nous faisons cette synthèse de toutes nos expériences, nous en avons un concept ! D'après Kant, nous percevons selon des catégories a priori de la sensibilité que sont l'espace et le temps, et selon des catégories a priori de l'entendement. A la source des conditions de possibilités de nos connaissances, il y a un sujet universel qui détermine la réalité selon des modalités subjectives. Nous ne pouvons concevoir un objet hors de l'espace et du temps (formes a priori de la sensibilité). L'espace et le temps ne sont pas des qualités objectives, mais sont la forme de toute sensation externe;ce sont des lois de l'esprit ; loi stable qui coordonne toutes nos sensations. C'est donc l'homme qui donne sa nécessité à la connaissance. Par là même, Kant délimite la connaissance au phénoménal et réduit la prétention de la science à accéder aux choses en soi. L'entendement est lié aux phénomènes qui font donc l'objet d'une expérience possible.Tout ce qui au delà de cette frontière n'est pas connaissable. Cependant, la raison peut penser des Idées : Dieu, la liberté, ...Ce sont là de pures idées (archétype, modèle qui par définition sont des perfections, qui ne se trouvent pas dans l'expérience.) mais elles ont pourtant une utilité pratique dans la mesure où les penser, y croire (puisqu'on ne peut les connaître) permet d'avancer, de progresser, de « tendre vers. ». Il faut croire au progrès pour se donner une chance de s'en approcher. Le caractère irréalisable de l'Idée n'est pas pour Kant un argument qui permettrait de la rejeter. Les idées régulatrices sont utiles dans la pratique, même si nous savons que la perfection n'est pas accessible. Penser la justice, la liberté de tous et de chacun dans une société par exemple, est nécessaire, c'est un postulat qui rend possible le progrès. L'idéalisme des Droits de l'homme par exemple, n'est pas inutile. Il force les hommes à aller dans le sens d'Idées sur lesquelles nous ne pouvons qu'être d'accord : la paix, le bonheur, le respect...L'écart entre le réel et l'Idée n'est pas un argument valable pour abandonner ces postulats ! Il faut d'abord les poser pour se donner la possibilité de les suivre ! Le scepticisme auquel aboutit celui qui condamne l'idéalisme politique par exemple, n'est pas recevable pour Kant, voire « indigne d'un philosophe ». Il faut avoir des projets, penser le meilleur pour être guidé et orienter la société. Kant et sa philosophie critique a donc inauguré ce que l'on a appelé le dialogue


expérimental ou la compréhension de cette « Nouvelle alliance » avec la nature, pour reprendre le titre de l'ouvrage de Stengers et Prigogine. Ainsi, la vérité et le concept d'objectivité auxquels on associe la science, sont donc à reconsidérer dans la mesure où il y a des vérités scientifiques et que la vérité est avant tout accord : accord de la Raison avec la nature, accord des scientifiques entre eux,(paradigme). Il n'est donc pas paradoxal d'affirmer qu'une théorie peut être à la fois provisoire et vraie. « C'est le plus beau sort d'une théorie physique que d'ouvrir la voie à une théorie plus vaste, dans laquelle elle continue à vivre comme un cas particulier ». Einstein, La théorie de la relativité générale et restreinte. IV- La spécificité des sciences humaines : peut-on faire de l'homme un « objet » d'étude ? Les sciences herméneutiques. Quelques pistes de réflexion. Les caractéristiques propres aux sciences physiques et mathématiques peuvent-elles être appliquées à l'homme ?Le positivisme, l'expérimentation, le déterminisme peuvent-ils s'appliquer à l'homme ? Y a t-il des lois régulières, des causalités qui peuvent expliquer le comportement humain ? G. Canguilhem affirme qu'il « faut tirer du vivant l'idée du vivant » et donc adapter sa méthode en fonction de l'objet d'étude. L'originalité de la vie doit d'abord être prise en compte pour déterminer par la suite une manière spécifique de l'appréhender. La biologie doit donc trouver sa propre méthode pour respecter le vivant tout en tentant de le saisir. C.Bernard va dans ce sens en affirmant :« La vie, c'est la création, on dira que la connaissance de la vie doit s'accomplir par conversion, s'efforçant de saisir un devenir dont le sens ne se révèle jamais si nettement à notre entendement que lorsqu'il le déconcerte. »En ce qui concerne l'homme, si je néglige le fait qu'il soit une conscience, une liberté, imprévisible, puis-je seulement le comprendre ? Quelle est la méthode des sciences humaines, quels sont les objets d'étude, les champs de réalité sur lesquels se porte la recherche ? L'historien qui travaille sur le passé humain, le psychanalyste qui étudie le psychisme refoulé, le sociologue qui s'intéresse à une réalité complexe où de nombreux facteurs (économiques, culturels, historiques...) entrent en jeu, Si on suit la définition de Ricoeur, l'objectivité est la démarche, la mise en œuvre d'outils, d'instruments pour découvrir la vérité. Elle n'est donc pas à confondre avec le résultat qu'elle cherche à atteindre. Elle renvoie ainsi à l'idée de mesure commune, de critères d'évaluation sur lesquels nous nous entendons. Le premier préjugé à dépasser est donc celui qui définit l'objectivité comme la neutralité psychologique, de celui qui n'est pas déterminé par ses affects ( sorte d'ascétisme). Il y a bien au fondement du métier de juge, des convictions, une volonté de poursuivre la justice et une certaine façon de vivre ces Idées. De même qu'il serait étonnant de voir l'Historien ou l'enquêteur judiciaire, dépourvus de subjectivité. Non seulement est ce possible mais aussi souhaitable? Comment juger sans faire intervenir une subjectivité ? Quelle est donc ce parcours réglé, cette espèce de subjectivité requise dans les sciences humaines, qui en font leur spécificité ? Comment travaille l'historien ? L'histoire comme connaissance du passé humain.

Texte de H.I Marrou, De la connaissance historique. Paris, 1954

Comment rendre compte d'un événement historique ? Le décrire de façon objective ?

A un instant t du devenir de l'univers (qu'on pourrait repérer en se référant à la précession des équinoxes et aux mouvements apparents de la lune et du


soleil), en un point de la surface terrestre défini par les coordonnées x°de lat.N et y° de long. E Greenwich, à l'intérieur d'un espace clos ayant la forme d'un parallélépipède rectangle, où se trouvaient rassemblés environ 300 individus mâles de l'espèce HOMO SAPIENS, un nouvel individu appartenant à la même espèce pénétra, décrivant une trajectoire rectiligne. A l'instant t+n, tandis que les autres individus présents oscillaient légèrement autour de leur position d'équilibre, 12 se mirent en mouvement, décrivant à une vitesse accélérée des trajectoires convergentes qui rejoignirent la trajectoire du précédent. A l'extrémité préhensile des membres supérieurs droits des 12 se trouvaient des pyramides affilées d'acier qui, grâce à la force vive, produisirent des plaies pénétrantes dans le corps du dit premier individu, entraînant la mort. Une telle présentation (qui ressemble à une énumération) ne parvient pas à saisir le contexte, l'ambiance, les ressorts psychologiques des différents protagonistes et mettre en lumière la singularité de ce moment où César a été assassiné. Pour comprendre cet événement encore faut il tenter de retrouver à la fois les causes invisibles qui ont contribué à le faire advenir, et essayer aussi de se remettre dans le moment unique que représente ce crime. Pour cela, l'historien doit utiliser une forme subjective, que Marrou nomme la sympathie. Il s'agit de la capacité de l'historien à se mettre à la place de l'Autre, cet Autre qu'il étudie pour tenter de le comprendre de l'intérieur. Il ne s'agit pas de projeter sa propre subjectivité ( que l'on pourrait définir comme étant tout ce qui relève de l'intériorité d'un individu : ses idées, ses opinions, ses sentiments...), mais de savoir adopter celle de l'autre. Je dois par là même aimer suffisamment cet Autre pour me donner les chances de l'appréhender justement sans préjugés. Cette qualité subjective doit être contrôlée et équilibrée par une seconde qualité, qui est le sens objectif de l'historien. Les archives, les témoignages, les documents constituent la partie objective, qui n'est pas d'ailleurs sans regard déjà interprétatif. En effet, le document est toujours une version d'un événement qui implique une lecture. Il faut faire parler les documents, et ce n'est pas sans rappeler l'hypothèse qui guide le scientifique. De la même façon qu'il n' y a pas de fait historique brut, donné immédiatement, il faut reconstruire le fil des actions et les lier entre elles, pour comprendre comment par exemple Napoléon a été amené à livrer telle ou telle bataille. Le travail critique, de tri, de sélection, d'examen, de confrontation, semble nécessaire. L'historien ne fouille pas le passé “comme un chiffonnier en quête de trouvailles", mais part avec en tête une hypothèse de travail à vérifier. [...] Le fait en soi, cet atome prétendu de l’histoire, où le prendrait-on? L’assassinat d’Henri IV par Ravaillac, un fait? Qu’on veuille l’analyser, le décomposer en ses éléments [...] : comme bien vite on verra se diviser, se décomposer, se dissocier un complexe enchevêtré... Du donné? Mais non [...] de l’inventé et du fabriqué, à l’aide d’hypothèses et de conjectures, par un travail délicat et passionnant.” Lucien Febvre, Combats pour l’Histoire.

Pour rendre intelligible le passé, découvrir une altérité, et élaborer


un sens, certaines compétences sont donc indispensables. Objectivité et subjectivité sont toutes deux requises, et ne sont pas exclusives l'une de l'autre. Elles doivent agir de concert. • Texte n °2 : Marrou, De la connaissance historique.

Autre texte qui va dans le sens de cette approche de Marrou et qui peut être mis en comparaison : Nous attendons de l'histoire une certaine objectivité, l'objectivité qui lui convient : c'est de là que nous devons partir et non de l'autre terme. Or qu'attendons-nous sous ce titre ? L'objectivité ici doit être prise en son sens épistémologique strict : est objectif ce que la pensée méthodique a élaboré, mis en ordre, compris et ce qu'elle peut ainsi faire comprendre. Cela est vrai des sciences physiques, des sciences biologiques ; cela est vrai aussi de l'histoire. Nous attendons par conséquent de l'histoire qu'elle fasse accéder le passé des sociétés humaines à cette dignité de l'objectivité. Cela ne veut pas dire que cette objectivité soit celle de la physique ou de la biologie : il y a autant de niveaux d'objectivité qu'il y a de comportements méthodiques. Nous attendons donc que l'histoire ajoute une nouvelle province à l'empire varié de l'objectivité. Cette attente en implique une autre : nous attendons de l'historien une certaine qualité de subjectivité, non pas une subjectivité quelconque, mais une subjectivité qui soit précisément appropriée à l'objectivité qui convient à l'histoire. Il s'agit donc d'une subjectivité impliquée, impliquée par l'objectivité attendue. Nous pressentons par conséquent qu'il y a une bonne et une mauvaise subjectivité, et nous attendons un départage de la bonne et de la mauvaise subjectivité, par l'exercice même du métier d'historien. Ce n'est pas tout : sous le titre de subjectivité nous attendons quelque chose de plus grave que la bonne subjectivité de l'historien ; nous attendons que l'histoire soit une histoire des hommes et que cette histoire des hommes aide le lecteur, instruit par l'histoire des historiens, à édifier une subjectivité de haut rang, la subjectivité non seulement de moi-même, mais de l'homme. Mais cet intérêt, cette attente d'un passage - par l'histoire - de moi à l'homme, n'est plus exactement épistémologique, mais proprement philosophique : car c'est bien une subjectivité de réflexion que nous attendons de la lecture et de la méditation des oeuvres d'historien ; cet intérêt ne concerne déjà plus l'historien qui écrit l'histoire, mais le lecteur - singulièrement le lecteur philosophique -, le lecteur en qui s'achève tout livre, toute oeuvre, à ses risques et périls. Tel sera notre parcours : de l'objectivité de l'histoire à la subjectivité de l'historien ; de l'une et de l'autre à la subjectivité philosophique (pour employer un terme neutre qui ne préjuge pas de l'analyse ultérieure). Paul RICOEUR, Histoire et Vérité, éd. du Seuil, pp. 23-24


Sur les difficultés que pose la scientificité d'une discipline : Freud, Métapsychologie

« On nous conteste de tous côtés le droit d’admettre un psychique inconscient et de travailler avec cette hypothèse. Nous pouvons répondre à cela que l’hypothèse de l’inconscient est nécessaire et légitime, et que nous possédons de multiples preuves de l’existence de l’inconscient. Elle est nécessaire, parce que les données de la conscience sont extrêmement lacunaires ; aussi bien chez l’homme sain que chez le malade, il se produit fréquemment des actes psychiques qui, pour être expliqués, présupposent d’autres actes qui, eux, ne bénéficient pas du témoignage de la conscience […] Tous ces actes conscient demeurent incohérents et incompréhensible si nous nous obstinons à prétendre qu’il faut bien percevoir par la conscience tout ce qui se passe en nous en fait d’actes psychiques ; mais ils s’ordonnent dans un ensemble dont on peut montrer la cohérence, si nous interpolons les actes inconscients inférés. Or, nous trouvons dans ce gain de sens et de cohérence une raison, pleinement justifiée, d’aller au-delà de l’expérience immédiate. Et s’il s’avère de plus que si nous pouvons fonder sur l’hypothèse de l’inconscient une pratique couronnée de succès, par laquelle nous influençons, conformément à un but donné, le cours des processus conscients, nous aurons acquis, avec ce succès, une preuve incontestable de l’existence de ce dont nous avons fait l’hypothèse. L’on doit donc se ranger à l’avis que ce n’est qu’au prix d’une prétention insoutenable que l’on peut exiger que tout ce qui se produit dans le domaine psychique doive aussi être connu de la conscience ».


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