utilisées par les plus grands promoteurs et propriétaires fonciers du pays afin d’obtenir une exonération de la taxe sur la plus-value immobilière, comme l’a révélé le Land. Cela ne creuse-t-il pas aussi les inégalités sociales ? F.F. Quelque part, on a basculé dans un système
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— Juin 2018
où la structuration fiscale est toujours là, mais elle est devenue beaucoup moins accessible. Avant, chaque pays était un paradis fiscal pour l’autre. Le dentiste belge pouvait se cacher derrière le secret bancaire avec un compte au Luxembourg. Maintenant, c’est devenu plus complexe. On a une société luxembourgeoise, on a une panaméenne en dessous, et ainsi de suite. Mais l’enjeu moral fondamental est toujours le même : on élude l’impôt là où on gagne son argent. C’est un problème aussi par rapport aux résidents luxembourgeois et surtout à ceux qui ne gagnent pas beaucoup d’argent, dont les impôts sont retenus à la source et qui n’ont pas de possibilité d’abattement. C’est un gros problème de justice fiscale, et beaucoup plus encore de cohésion sociale. Idem avec les stock-options : on crée une caste de personnes qui ne jouent pas sur le même terrain que les autres parce qu’elles gagnent beaucoup d’argent. J’étais récemment à la Stëmm vun der Strooss : entre 2015 et 2017, le nombre des visiteurs à Hollerich a augmenté de 240 %, pour atteindre 3.600 personnes en 2017. Pas seulement des sans domicile fixe, mais aussi des gens qui sont dans la dèche. Et à côté, on a des gens qui roulent en Bentley et qui s’achètent des appartements que plus personne d’autre ne peut se permettre. J.E. Depuis que les rulings sont payants, il y en a nettement moins, et cela reste à un niveau raisonnable, d’après le rapport du ministère des Finances. Je pense que la cohésion sociale et la justice fiscale se rejoignent sur un certain point, mais on ne peut pas tout mettre dans le même panier. Qu’il s’agisse des SPV (véhicules à but spécial), des sicav ou des fonds alternatifs, il faut considérer également les recettes fiscales que ces sociétés nous rapportent. Si on dit qu’on ne veut plus tous ces fonds, à ce moment-là, il faut en assumer les conséquences, mais il faudra voir aussi combien d’emplois on met en jeu et les recettes fiscales qui vont disparaître. C.K. Le level playing field national au niveau des stock-options ou des fonds spécialisés, ce n’est pas seulement une question d’équité fiscale ou d’égalité devant la loi, c’est aussi le fait que cela crée des avantages ou des désavantages compétitifs, donc une distorsion de la concurrence. Il serait peut-être intéressant que le Conseil de la concurrence imite la Commission européenne et prenne cet angle pour dire qu’il n’y a plus égalité devant la loi. L.M. Je vous donnerai un exemple beaucoup plus simple qui est très significatif. Les frontaliers français sont traités différemment de leurs collègues belges et allemands au niveau de l’imposition des pensions complémentaires payées par leurs employeurs. Ainsi, le fisc français taxe une fois ces frontaliers lors de l’entrée et une deuxième fois lors de la sortie, alors qu’en Allemagne et en
Belgique, ces frontaliers ne sont taxés qu’une seule fois. Le Luxembourg n’a aucune responsabilité dans cette situation d’inégalité, dont la cause est à rechercher dans une fiscalité différente dans leurs pays de résidence respectifs. La Place pourrait-elle davantage contribuer au budget du pays, par exemple à travers une augmentation de la taxe d’abonnement, qui doit rapporter un milliard d’euros en 2018 ? Ou par une nouvelle augmentation de la taxe sur les soparfi ? J.E. J’ai déjà exprimé à maintes reprises mes
réserves quant à l’augmentation de la taxe d’abonnement. Si la question se posait quand même un jour, il faudrait absolument compenser cette augmentation par la baisse d’un autre impôt ou par un avantage fiscal, sous peine de perdre des fonds et des recettes. Trop d’impôt tue l’impôt. L.M. Je serais très prudent par rapport à de telles initiatives, puisqu’il faut savoir qu’à cause de la réglementation qui devient de plus en plus invasive pour le domaine bancaire, le coût des services et des produits financiers est déjà en train d’augmenter. Donc je ne pense pas qu’il faille augmenter encore le poids fiscal dans le secteur financier. Maintenant, on peut toujours réfléchir à des adaptations ponctuelles. Je serais cependant très réticent par rapport à une augmentation de la taxe d’abonnement, puisqu’elle existe quasiment exclusivement dans notre pays, et pas dans ceux avec lesquels nous sommes en concurrence directe. C.K. Il y a trop de flou pour le moment dans la perspective du Brexit. Il faut rester stable et prévisible, donc pas d’augmentation d’impôt. Nous n’en avons pas besoin pour le moment : les pensions sont assurées, le budget est en équilibre – pas au niveau de l’État central, mais cela tient aux énormes investissements engagés pour le futur. Ce n’était pas le cas il y a cinq ans lorsque ce gouvernement a pris les rênes. F.F. Je pense que la discussion sur la fiscalité n’est pas terminée, avec la réforme fiscale de 2017. Il faut que la Place contribue, mais ma préférence serait qu’elle le fasse sur la base d’une imposition juste, c’est-à-dire complète et à taux plein, des profits générés à Luxembourg, et pas forcément sur celle de la taxe d’abonnement. À cet égard, il faut suivre ce qui se passe au niveau européen avec le paquet Beps et autres.
Êtes-vous d’accord avec l’attitude du Luxembourg concernant le Brexit, entre fermeté par solidarité européenne et esprit de conciliation pour pérenniser la relation avec la City ? J.E. M. Gramegna a fait beaucoup de promotion
pour la Place – plus de 200.000 km et 28 missions économiques et financières. Le Brexit est clairement à double tranchant puisque, d’un côté, de nombreuses sociétés viennent s’installer au Luxembourg, notamment des sociétés d’assurances, et d’un autre côté, nous perdons un allié au niveau de l’Union européenne qui défendait les droits des grandes Places internationales. Il faut que le Luxembourg continue sur sa position.