« On ne devrait pas critiquer une entreprise qui a respecté toutes les lois et qui ne paie pas beaucoup d’impôts. »
C’est la tendance et ce n’est pas toujours pour de bonnes raisons. Avec la directive Atad, on voit une volonté d’harmoniser la base fiscale. Mais on entend aussi des voix s’élever pour une harmonisation des taux. Je ne pense pas que ce soit une bonne idée au niveau européen, et ce n’est en tout cas pas positif pour le Luxembourg qui a su créer un pays très prospère, bien organisé et bénéficiant d’un budget, en général, le bas en termes de gestion budgétaire. équilibré. Mais cela, il a pu le réaliser en profitant de son indépendance. Si on nous Ce serait pénaliser certains pays qui ont enlève cette indépendance en fixant la eu une gestion saine pendant des années et les ramener au niveau des mauvais élèves base et le taux, la capacité à attirer des entreprises et des talents au Luxembourg qui jugent plus facile d’augmenter les sera fortement réduite. Or, il est moins impôts que de réduire les dépenses. évident d’attirer quelqu’un à Luxembourg Le Luxembourg a-t-il raison de freiner qu’à Paris. Nous devons donc pouvoir jouer la course au moins-disant fiscal ? de nos atouts. Selon moi, cette harmoniIl y a un équilibre assez fin à trouver. L’idée sation fiscale risque de nous tirer vers n’est pas que le Luxembourg devienne directement le régime fiscal le plus favorable en Europe, mais entre un taux de 10 % et un de 25 %, il y a de la marge. Le Luxembourg n’est pas très attractif actuellement, même avec U N P E U D’H I S T O I R E une réduction de 1 % du taux facial. Au niveau du cabinet, nous pensons que l’on pourrait encore réduire l’impôt des sociétés pour attirer des entreprises, ce qui crée Au départ, ils étaient cinq : de la richesse, en relevant l’impôt foncier Alex Sulkowski, Paul Chambers, qui est à des niveaux ridiculement bas. La Olivier Remacle, Olivier Ferres question est de savoir si l’on veut favoriser et Keith O’Donnell. Un quintet comles entrepreneurs ou les personnes qui ont posé d’anciens du cabinet Arthur déjà le plus profité de la richesse du pays.
L’APRÈS-ARTHUR ANDERSEN
Andersen, intégré par Ernst & Young (EY) au Luxembourg après l’affaire Enron, auquel il faut bien entendu ajouter Norbert Becker. Figure emblématique d’Arthur Andersen, revenu d’une longue carrière internationale, il est sorti d’une brève pause professionnelle pour se lancer en 2004 dans l’aventure Atoz, dont il est toujours le président. Leur idée était simple : créer un cabinet indépendant, uniquement centré sur le conseil fiscal. Ils en avaient ressenti l’intérêt après le vote de la loi Sarbanes-Oxley aux États-Unis en 2002, censée mieux protéger les investisseurs vis-à-vis des entreprises cotées. Les grands cabinets de conseil se sont donc retrouvés confrontés à des conflits d’intérêts à répétition face à leurs clients. « En tant que conseillers fiscaux, notre objectif était de travailler sur dix ans avec nos clients. Mais avec désormais la menace de devoir tout arrêter si une filiale, quelque part dans le monde, recourait au même cabinet pour des missions d’audit », explique Keith O’Donnel. 82 —
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Quelles ont été les conséquences de LuxLeaks sur la politique fiscale du pays ?
Je vois trois aspects. Premièrement, au niveau de l’échange d’informations que l’Union européenne a mis en place en partie en réaction à LuxLeaks, la transparence est devenue le « new normal ». Nous avons un programme d’échange de rulings et un échange d’informations sur des structures transfrontalières. Sur ce plan, LuxLeaks a foncièrement transformé le Luxembourg – nous avons assisté à un changement de paradigme, comme pour le secret bancaire. Deuxièmement, sur le plan strictement national, la mise en place d’une structure formelle pour la demande de rescrits a créé un cadre beaucoup plus clair et lisible pour des acteurs locaux mais aussi pour les institutions internationales qui nous regardent de près. Troisièmement, aspect moins positif, LuxLeaks a eu pour effet d’affaiblir la position du Luxembourg dans des débats fiscaux européens et internationaux et de lui enlever une partie de sa légitimité.
Le Luxembourg attire toujours le soupçon au niveau international. Comment analysez-vous ce phénomène ?
Il s’est beaucoup atténué. Le pays a été enlevé de toutes les listes noires ou grises, ce qui montre sa volonté de s’aligner sur les principes internationaux. On traîne toujours cette réputation, effectivement : certaines personnes reviennent sur LuxLeaks, et d’autres, toujours sur le secret bancaire. Il faudra donc encore quelques années pour que la trace ait totalement disparu. Par contre, sur le plan institutionnel, la réputation est très bonne. Les grands investisseurs tels que les fonds de pension ou les fonds souverains montrent une grande confiance dès qu’un projet est en lien avec le Luxembourg. Son environnement réglementaire et sa stabilité sont vus comme de réels atouts.
Voyez-vous des limites à l’optimisation fiscale ou pensez-vous que tout est permis tant que c’est légal ?
C’est une question difficile. Il y a effectivement des limites, mais c’est un terrain glissant, car très subjectif. Comment juger de ce qui est éthique et de ce qui ne l’est pas ? Sur le plan de la philosophie politique, on trouve des positions idéologiques diamétralement opposées. Dès lors, parler d’une norme éthique objective en fiscalité relève de la naïveté ou du dogmatisme. Moi, personnellement, je préfère m’en tenir à la loi. J’estime qu’on ne devrait pas critiquer une entreprise qui a respecté toutes les lois et qui ne paie pas beaucoup d’impôts. Cela revient à lui demander de pratiquer des contributions volontaires. Dans la pratique, certaines limites ont été fixées de nos jours par des contraintes de relations publiques. Nous devons être sensibles au fait que certaines pratiques, parfaitement légales, peuvent avoir des conséquences réputationnelles, et nous conseillons nos clients en conséquence. Je perçois d’ailleurs un brin d’hypocrisie chez certains gouvernements qui sont les premiers à critiquer les entreprises, alors que ce sont les gouvernements eux-mêmes, qui ont rédigé les lois que suivent les entreprises.
— Mai 2019
23/04/2019 16:30