ACTUALITÉ ÉCONOMIE & POLITIQUE
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raumatisée par l’affaire Vatileaks et les révélations concernant des pratiques de corruption et de favoritisme au sein du Vatican, l’Église s’est lancée, depuis un peu plus d’un an, dans un grand mouvement de communication et de transparence. Même l’Institut pour les œuvres de la religion, plus communément appelé la Banque du Vatican au sein de laquelle le concept de « secret bancaire » trouve probablement sa démonstration la plus aboutie, s’est mis à suivre le mouvement. Il a publié, le 1er octobre, sur son site internet (qui n’existait même pas 18 mois auparavant), le rapport annuel de ses activités en trois langues (anglais, italien et espagnol). Le Luxembourg n’échappe pas au mouvement. Depuis son ordination épiscopale en octobre 2011, l’archevêque Jean-Claude Hollerich y a lui-même grandement contribué, marquant, à 53 ans, une rupture forcément assez prononcée avec son prédécesseur, Fernand Franck, de 24 ans son aîné. Il a bien été aidé, en cela, par Erny Gillen, 54 ans, nommé vicaire général au même moment et qui, à la tête du groupe Saint-Paul (éditeur du Wort et entité « opérationnelle » la plus visible active sous la coupe de l’Archevêché), a entrepris, depuis 2012, un travail de « dépoussiérage » intensif pour redonner au vaisseau amiral de Gasperich son lustre d’antan. En septembre dernier, lors de la cérémonie marquant le premier anniversaire de l’introduction de la Charte de la diversité Lëtzebuerg, Mgr Hollerich, en personne, s’est fendu d’un exposé sur « La diversité religieuse : perceptions, réalités et pratiques », appuyant la démarche de son archevêché, film vidéo à l’appui, d’être signataire de ladite charte. C’est au même moment que l’institution catholique a également choisi de présenter publiquement ses comptes pour l’année 2012, comme une cerise sur la religieuse. Un exercice qui n’est soumis à aucune obligation légale dans le chef d’une organisation « privée » et que l’Église a souhaité réaliser selon les règles applicables aux sociétés commerciales, avec le concours de la firme PwC. Et c’est aussi en même temps, hasard du calendrier, que l’Archevêché s’est invité dans le débat préélectoral, en critiquant la proposition
du parti chrétien social « ami » de remplacer l’enseignement religieux dans le secondaire par un enseignement des valeurs. Cette vaste opération de communication générale n’est évidemment pas anodine, à l’heure où les relations entre l’Église et l’État n’ont jamais autant été remises en question. On se rappelle que suite à un débat parlementaire qui s’est tenu en juin 2011, un groupe d’experts avait, à la demande du département des Cultes du ministère d’État, été mandaté pour plancher sur l’évolution future des relations entre les pouvoirs publics et les communautés religieuses ou philosophiques au Grand-Duché de Luxembourg. Le rapport de 130 pages, publié il y a un an, démontrait que le système luxembourgeois ne respectait pas le principe de neutralité et d’égalité de traitement, puisqu’il existait des communautés « conventionnées » et les autres, et que parmi les communautés conventionnées, l’Église catholique était « clairement favorisée ». D’où un appel à une réforme du système de « reconnaissance » et de financement des organisations cultuelles… Un lien moral, mais puissant
La « transparence » voulue par l’Archevêché se limite cependant aux liaisons « comptables » entre l’institution et les autres organisations catholiques. Ainsi les congrégations religieuses, le Grand séminaire ou encore la fédération Caritas ne sont-ils pas inclus dans le périmètre de présentation, puisqu’ils disposent de leur propre autonomie de fonctionnement. Il en va de même pour les quelque 285 fabriques d’église présentes sur le territoire du Luxembourg, qui sont à la tête d’un important patrimoine immobilier, mais dont le fonctionnement dépend à la fois des communes et du ministère de l’Intérieur. Difficile, pourtant, de nier l’extrême influence de l’Archevêché sur tout ce pan de l’économie nationale qui représente des milliers d’emplois. Le seul exemple de la fondation Caritas, dont Erny Gillen est le président exécutif (il est aussi président du conseil d’administration de la fondation Elisabeth) et Jean-Claude Hollerich
ENTREPRISES PLACE FINANCIÈRE
le président du conseil d’administration, suffit pour se rendre compte du lien « moral » puissant qui existe. Un lien qui, dans le cas de Caritas, a été renforcé en octobre 2012 dans le cadre d’un changement de statuts de l’asbl. À sa création, en 1996, ses statuts mentionnaient que l’action de Caritas « s’oriente selon la vision chrétienne de l’homme, les valeurs de l’Évangile et la doctrine sociale de l’Église ». C’est évidemment toujours le cas aujourd’hui, mais l’objet de la confédération, qui était assez « général » à l’origine, a été très fortement recadré, puisqu’il prévoit désormais l’accompagnement et le conseil de ses membres dans les domaines théologiques, et notamment l’enseignement social de l’Église ; dans le traitement des questions d’ordre éthique et moral et, plus généralement, la concertation de ses membres sur les grandes questions de la société. Juridiquement parlant, l’Archevêché de Luxembourg détient, en tant qu’actionnaire unique, la société de participations Lafayette qui, elle-même, détient 100 % du capital du groupe de presse Saint-Paul Luxembourg. C’est également au sein de Lafayette qu’est logé l’ensemble du patrimoine immobilier de l’Archevêché. Un patrimoine dont la valeur comptable est, tout de même, de 139,7 millions d’euros, mais dont la valeur de marché, établie par un expert indépendant, avoisine les 164 millions d’euros. Un décalage qui a, de fait, nécessité un ajustement comptable de 19,5 millions d’euros. Que trouve-t-on dans ce patrimoine immobilier ? Principalement le terrain et l’immeuble de Gasperich occupés par le groupe Saint-Paul (et qui, d’ailleurs, intéressent de près les développeurs du projet du Ban de Gasperich), quelques immeubles quartier Gare qui sont loués à des tiers, le Centre Convict et la résidence épiscopale, gérés par l’intermédiaire de la société Maria Rheinsheim (également filiale de l’Archevêché). « Nous voulons montrer, de la sorte, que nous n’avons rien à cacher et, surtout, que contrairement aux idées reçues, l’Église n’est pas si riche que les gens veulent bien le croire », explique Egon Seywert, économe général de l’archidiocèse (après avoir été NOVEMBRE 2013 —
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