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PERSPECTIVE HISTORIQUE

LES CIMETIÈRES, QUELLE ÉVOLUTION ?

Si les cimetières existent depuis que l’Homme est Homme, le culte des morts étant considéré comme une caractéristique de l’espèce humaine, leur forme a évolué au fil des siècles. Quelle place avaient les cimetières autrefois ? Quelle place leur accordons-nous aujourd’hui ? Quelles perspectives pouvonsnous tracer pour demain ?

Auteur : Céline Coubray ROBERT L. PHILIPPART est historien et membre de la commission pour l’art funéraire de la Ville de Luxembourg. Dans le cadre de sa thèse, il a travaillé sur le sujet des cimetières (Luxembourg, de l’historicisme au modernisme, de la ville forteresse à la capitale nationale, Luxembourg-Louvainla-Neuve, 2006).

Le fait d’enterrer les morts est un signe qui nous distingue des animaux, une caractéristique de l’espèce humaine. Aussi, avant même l’invention de l’écriture, les archéologues ont pu constater que les hommes ont enterré leurs morts, reproduisant un rituel spécifique, dans des lieux dédiés, avec une architecture particulière.

LES CIMETIÈRES DES PREMIERS TEMPS

non plus de l’église, mais des communes. Au Luxembourg, « le décret général de l’Empereur Joseph II en 1784 exigea la fermeture des cimetières à l’intérieur des localités et l’ouverture de nouvelles nécropoles à l’extérieur des agglomérations », précise l’historien Robert L. Philippart.

LES 19E ET 20E SIÈCLES C’est en 1804 que les cimetières luxembourgeois passent aux mains des communes. Ils ne sont alors plus réservés à une seule confession et on est enterré suivant son lieu de domicile et non plus selon sa paroisse. « La ville, propriétaire des cimetières, propose l’acquisition à titre onéreux d’emplacements particuliers soumis à des concessions temporaires ou perpétuelles, avec la possibilité d’y élever des monuments », précise Robert L. Philippart. « Comme lieu de commémoration, le cimetière de plein air, balayé par les vents, devait être agrémenté de plantations, rappelant une promenade publique, un lieu de mémoire individuel et collectif. » Le cimetière est organisé comme une ville en miniature. Les concessions sont d’ailleurs gérées selon un système cadastral, avec des ensembles qui pourraient déterminer des « quartiers », les familles aisées pouvant se faire construire de véritables « dernières demeures ». « La concession devient rapidement un marché, et même si le règlement de police sur les cimetières de la capitale en 1879 confirme le principe d’égalité des citoyens en autorisant uniquement l’inhumation des défunts au cimetière du quartier où ils avaient vécu, il s’agissait uniquement d’une égalité de surface, pas de coût. Une concession ordinaire au cimetière Notre-Dame par exemple coûtait 150 francs contre 75 francs dans une autre nécropole. Et un emplacement en première rangée valait le double par rapport à la seconde rangée. » Le cimetière devient une galerie de personnages illustres, vantant différentes valeurs philosophiques, sociales ou simplement humaines. « Dès 1903, des comités de bénévoles se créaient pour faire exhumer des personnalités et les faire inhumer sur un emplacement de choix et sous un monument représentatif financé par souscription et sur concession gratuite accordée par la Ville. » L’art funéraire se développe, les créations artistiques signées par des architectes de renommée rivalisent avec un art funéraire choisi sur catalogue. « Le Luxembourg exportait d’ailleurs ses ‘créations de monuments funéraires’ par wagons en France et en Allemagne », souligne Robert L. Philippart. Avec l’accroissement de la population, les cimetières doivent être agrandis. En 1889, l’ancienne commune d’Eich autorise des caveaux encastrés dans le mur de soutènement. Un nouveau type de sépulture apparaît.

Dès la préhistoire, on a pu constater la présence de cimetières. Les tumuli étaient faits de terre et de pierres, allant de la simple protubérance en terre à la disposition plus complexe de pierres. Les nécropoles de l’Antiquité regroupaient plusieurs sépultures qui pouvaient être monumentales ou de simples tombes. Ces lieux étaient déjà situés en dehors des lieux d’habitation, et séparés des lieux de cultes. Les plus beaux exemples se trouvent certainement en Égypte (Vallée des Rois, des Reines, Saqqarah, Gizeh). Dans l’Antiquité romaine, les morts étaient enterrés en dehors de la ville, dans les catacombes, pour des raisons d’hygiène. Ce n’est qu’au Moyen Âge, vers le 10e siècle, qu’apparaît le cimetière autour de l’église, les notables étant LES CIMETIÈRES D’AUenterrés à l’intérieur même. Au 18e siècle, le JOURD’HUI ET DE DEMAIN cimetière autour de l’église est délaissé pour La fin du 20e et le début du 21e siècle sont les cimetières se trouvant à la sortie de la ville, principalement pour des questions sanitaires. marqués par une évolution des mœurs qui tend C’est également à cette époque que les cime» Suite page 94 tières passent progressivement sous la gestion

CIMETIÈRE FORESTIER Depuis quelques années, un nouveau type de cimetière est disponible au Luxembourg : les cimetières forestiers permettent de déposer les cendres d’un défunt au pied d’un arbre ou de procéder à une dispersion des cendres dans l’enceinte du cimetière. Pour préserver le cadre naturel du cimetière, les ornements de fleurs ou stèles funéraires ne sont pas autorisés. Seule une petite plaque commémorative est fixée au tronc de l’arbre. On trouve des cimetières de ce type à Betzdorf, Kayl / Schifflange et Luxembourg. LA ROUTE DES CIMETIÈRES Les cimetières existants sont aussi des espaces qui peuvent être valorisés au niveau culturel. L’association ASCE (Association of Significant Cemeteries in Europe), soutenue par le programme Culture de l’Union européenne, recense des cimetières en Europe dignes d’intérêt au niveau historique et culturel. Témoins de l’histoire locale, de l’héritage culturel et religieux, ils deviennent ainsi des vecteurs de tourisme culturel. www.significantcemeteries.org


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