Magazine Voir Québec V04 #01 | Janvier/Février 2019

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mis à porter le t-shirt en chantant tous en chœur Let’s get together and feel all right. C’est ce qui s’est passé au Québec. Ça s’est aussi passé au Japon, soit dit en passant. Si ça vous intéresse, allez donc écouter un peu de Joe Yamanaka. Vous apprendrez en même temps qu’on peut venir de Yokohama et porter des dreadlocks. Dans notre coin de l’Amérique, on peut dire sans crainte de se tromper que toute l’évolution de la vie culturelle, sociale et politique québécoise, depuis la Révolution tranquille, consiste à dénouer les nœuds de l’oppression, des préjugés et des inégalités. Si on est le moindrement sérieux, à la lecture de notre histoire, on doit bien se rendre compte que les Québécois, ce peuple de locataires, comme on le qualifiait naguère, ces vaincus longtemps dominés par une élite anglo-saxonne, dans leur désir d’émancipation, ont lutté non seulement pour leur libération nationale, mais aussi, surtout, pour une justice sociale qui transcende les genres, les orientations sexuelles, les couleurs de peau et les origines

ethniques. On peut bien considérer qu’on n’avance pas assez vite, mais on ne peut pas douter de la direction et aller s’imaginer que les engrenages du système qui nous sert de véhicule historique sont en quelque sorte graissés à l’idéologie esclavagiste ou à des souvenirs des traites négrières, ça relève de l’hallucination doctrinaire. Le Québec se trouve aujourd’hui aux prises avec deux formes de radicalisation, deux idéologies extrêmes qui jouent ensemble au tir à la corde: d’un côté, une bande de nonos qui fabulent sur une invasion islamique et une menace immigrante à la moindre vue d’un voile ou d’un turban, de l’autre, des savants fous qui voient poindre des suprémacistes blancs dès qu’un type porte une coupe de cheveux ou rigole en dansant manière Bollywood dans un Bye bye. Ces deux postures se singent, dans une chorégraphie parfaite, une sorte de performance de nage synchronisée où on se demande bien lequel va se noyer en premier. Toujours est-il que cette volonté de vouloir transformer les Québécois en peuple de

dominateurs blancs mérite qu’on s’y attarde. Ceux qui s’amusent à ce jeu ne semblent pas voir qu’ils reproduisent, à leur manière, tout ce qu’on peut reprocher aux visions du monde les plus inquiétantes. Pour eux, en dépit de toute histoire, une couleur de peau ne peut avoir qu’une seule signification, qu’une seule valeur. Les relations humaines doivent être réduites à une simple mathématique qui compare les individus entre eux comme des nombres – plus petit, plus grand ou égal – sur la base de leur génétique et en faisant fi de tout contexte et de toute histoire. On peut y voir un curieux revers du destin lorsqu’on constate qu’une frange de jeunes Québécois semble trouver satisfaisant de se rouler sans vergogne dans cette nouvelle morale à la mode. Tout se passe comme si, afin d’anesthésier le souvenir des défaites, ils prenaient désormais plaisir à s’injecter l’hallucination d’une posture victorieuse. Il y a peut-être là une nouvelle manière d’oublier. y sjodoin@voir.ca


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