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MATAPÉDIA : PREMIÈRE GARE DU TRONÇON GASPÉSIEN
Collection Michel Goudreau
Le chemin de fer Intercolonial est le premier à traverser l’extrémité ouest de la Gaspésie. C’est vers 1875 qu’est construite la première gare de cette voie ferrée à Matapédia. Le premier bâtiment sert aux passagers qui partent ou reviennent en train, mais sert aussi de bureau pour le service de télégraphie. La gare est située tout près de la propriété de Daniel Fraser qui a vendu son vaste domaine à un groupe de riches notables de New York en 1880 pour former le Ristigouche Salmon Club. Le nouveau service ferroviaire et la proximité de la gare de Matapédia et de son service télégraphique ont beaucoup facilité les déplacements et communications pour ces amateurs de pêche au saumon en provenance des États-Unis.
Michel Goudreau
Président sortant, Société historique Machault
Un village, deux gares
Après le début de la construction de la voie ferrée Matapédia-Gaspé, Matapédia se retrouve à la jonction de deux lignes de chemin de fer : l’Intercolonial et le Baie des Chaleurs Railway. La première ligne va en direction de Campbellton et occupe la gare construite en 1875. Pour la ligne vers Gaspé, une deuxième gare est construite pour la compagnie Atlantic and Lake Superior Railway qui va exploiter ce tronçon jusqu’à Caplan à partir de 1893 et jusqu’à Paspébiac à partir de 1902. Le Quebec Oriental Railway prend ensuite la relève.
La position stratégique de Matapédia amène aussi la construction de différents ouvrages dont un premier garage pour locomotives et des ateliers d’entretien érigés en 1876. Un autre hangar pour locomotives est bâti en 1893 pour la ligne qui se rend alors à Caplan. À cela va s’ajouter une plateforme tournante servant à faire pivoter la locomotive dans la direction opposée. On se sert alors d’un bœuf pour mouvoir cette plateforme.
L’incendie de Matapédia de 1902
Le 16 avril 1902, le journal The New York Times reçoit un télégramme en provenance de Campbellton, annonçant qu’un violent incendie a détruit la partie nord-est du village de Matapédia où est située la gare. Le feu s’est déclaré dans le
Le pont ferroviaire interprovincial à Matapédia
Non loin de la gare de Matapédia se trouve le pont ferroviaire de la Ristigouche qui est inauguré le 1er juillet 1876. Le 8 juillet suivant, un premier train de passagers fait le trajet de Lévis à Halifax avec arrêt à la gare de Matapédia. Il faut cinq ans pour compléter la construction de ce pont qui représente un important défi pour l’ingénieur en chef, Sandford Fleming. La profondeur du fond rocheux nécessite d’y planter une quantité importante de longs pieux de bois pouvant supporter les travaux de maçonnerie pour les piliers du pont. Pour la structure de fer, il s’agit de cinq sections préfabriquées d’une longueur de 200 pieds (61 m) chacune. Après un concours entre compagnies anglaises et américaines, c’est une compagnie de Philadelphie qui obtient le contrat au montant de 209 352 $. Ce pont construit il y a près d’un siècle et demi est toujours utilisé aujourd’hui.

Pont ferroviaire à Matapédia, reliant la Gaspésie et le Nouveau-Brunswick, vers 1910. Une voie est réservée aux chevaux.
Collection Michel Goudreau devient une résidence pour les chefs de gare et leur famille jusqu’en 1977.
En 1926, cette même partie du village de Matapédia est détruite par un autre incendie qui va toutefois épargner la gare.
Les chefs de gare
Plusieurs chefs de gare se sont succédé sur le chemin de fer de l’Intercolonial depuis ses débuts en 1876, dont les suivants : Ernest D’Anjou, Esdras Chamard, Alphée D’Amours (qui y fait carrière pendant 42 ans), Raoul Thibault (pendant 18 ans) et Vernon Grant (pendant 33 ans) qui est le dernier chef de gare-télégraphiste en Gaspésie. En plus des chefs de gare, il y a de nombreux télégraphistes, dont le dernier, Jean-Roch D’Amours, qui a fait carrière pendant 25 ans. La gare procure aussi des emplois de concierge, de préposés à la manutention des bagages, des marchandises et de la poste ainsi que de service à la clientèle avec la venue de VIA Rail. Avec l’évolution des technologies, la presque totalité de ces emplois a disparu.
La deuxième gare, celle desservant la Gaspésie, a aussi ses chefs et agents. Le Quebec Oriental Railway a, à son service à Matapédia, J. S. Gordon, surintendant, un monsieur Mitchell comme assistant et Frank Scott comme premier agent de cette gare.
« snow shed » (pare-neige), cette espèce de tunnel en bois situé en bas du rocher de Matapédia qui permet le passage des trains en hiver. Le feu s’est propagé en direction de la gare brûlant l’église, une école, des hôtels, des magasins et le bureau de poste. C’est à la suite de cette catastrophe qu’une nouvelle gare de l’Intercolonial est construite en 1903. Dans une adresse à ses électeurs en 1904, le député Charles Marcil mentionne que son gouvernement a investi 10 000 $ pour la construction de la nouvelle gare de Matapédia qui dessert dorénavant les deux lignes de chemin de fer. L’ancien bâtiment du tronçon Matapédia-Gaspé
Gravure montrant la première gare de Matapédia datant de 1875 et le domaine Fraser qui est devenu le Ristigouche Salmon Club en 1880, vers 1883.
Image tirée de : Intercolonial Railway, Pleasant Places by the Shore and in the Forests of Quebec and the Maritime Provinces: via the Intercolonial Railway, Toronto, A.H. Dixon, 1883; réédition : Saint-Jean, 1886, 65 p. Collection Michel Goudreau

Groupe de personnes à la gare de Matapédia, vers 1920. On voit notamment le chef de gare avec sa casquette (troisième à partir de la droite).

Collection Michel Goudreau. Courtoisie Caroline Pelletier
Un haut lieu du patrimoine ferroviaire
Cette gare du début du 20e siècle (1903) recouverte d’un toit en croupe avec un large avant-toit en surplomb formant une plateforme bordant toutes les faces du bâtiment est représentative des gares du chemin de fer Intercolonial. Les portes et fenêtres en bois, les consoles de bois soutenant l’avant-toit et maints autres éléments architecturaux font de cette gare un bâtiment exceptionnel. Une annexe en longueur est ajoutée en 1950 qui ne compromet pas sa conception originale. Voilà pourquoi le gouvernement fédéral reconnaît cette gare le 1er juin 1994 comme gare ferroviaire patrimoniale.
Une disparition graduelle du service de passagers
En juin 1989, la gare de Matapédia devient le lieu de rassemblement des Gaspésiens opposés à la perte du service ferroviaire passagers. Malgré cette opposition populaire, le gouvernement canadien réduit le financement le 15 janvier 1990. Le service passagers passe alors de sept à trois jours par semaine sur la ligne Matapédia-Gaspé et en 2011, le train s’arrête à New Carlisle. Finalement, en 2013, VIA Rail suspend complètement ce service sur ce chemin de fer. Le service passagers de VIA Rail sur l’autre voie ferrée (Halifax-Montréal), qui était autrefois sur la base de sept jours par semaine, est graduellement réduit à six, puis à trois jours, et même un jour, pour revenir à deux jours par semaine durant la récente pandémie. Avec les changements technologiques et le recours à Internet, même les billetteries ont disparu de la plupart des gares. Leur utilisation étant de beaucoup réduite pour les passagers voyageant par train, les gares comme celle de Matapédia doivent désormais leur survie à la possibilité de se voir confier une nouvelle vocation. Afin d’en assurer la protection et la sauvegarde, la gare ferroviaire patrimoniale de Matapédia est inaugurée le 24 septembre 2021 avec une toute nouvelle vocation.

Jacques Barrette, agent de gare à Matapédia, années 1950.
Collection famille Barrette